La procédure financière / Les voies et moyens

Le Budget : divulgation non autorisée du Budget; tentative de retrait du consentement unanime déjà accordé pour l'exposé budgétaire du ministre des Finances; secret budgétaire; questions de privilège soulevées

Débats, p. 1059-1060

Contexte

Le 19 avril 1989, un ordre de la Chambre est adopté par consentement unanime pour la prise en considération de l'article n°1 des travaux des voies et moyens afin d'entendre l'exposé budgétaire du ministre des Finances (l’hon. Michael Wilson), à dix-sept heures, le jeudi 27 avril 1989[1]. Le 26 avril 1989, la veille du jour où M. Wilson doit présenter son exposé budgétaire à la Chambre des communes, un document intitulé Le Budget en bref ainsi que certains des détails du Budget sont divulgués à la télévision au bulletin d'information diffusé en soirée.

Le 27 avril 1989, M Wilson soulève une question de privilège pour expliquer à la Chambre les circonstances entourant la fuite du Budget la veille. Il souligne que « la divulgation prématurée de détails du Budget semble avoir résulté d'un abus de confiance, d'un crime prémédité, genre d'acte contre lequel on ne peut jamais se protéger complètement ». Conscient de! 'importance de ne pas permettre à quiconque de connaître à l'avance le contenu du Budget et d'en profiter, le gouvernement a jugé plus prudent de rendre le Budget public immédiatement au cours d'une conférence de presse tenue en soirée le 26 avril 1989. Il précise qu'il aurait pu éviter de présenter le Budget à l'extérieur de la Chambre si les partis d'opposition avaient donné leur accord au gouvernement pour demander à la présidence de convoquer une séance spéciale de la Chambre[2].

Le très hon. John Turner (chef de l'Opposition) soulève alors une question de privilège pour souligner que la décision du ministre de dévoiler le Budget à l'extérieur de la Chambre constitue une violation du principe fondamental de la démocratie parlementaire voulant que les mesures financières doivent émaner de la Chambre des communes. Il soutient qu'il s'agit là de la violation la plus grave du secret budgétaire jamais commise et qu'en conséquence, M Wilson devrait démissionner de son poste et le Budget déclaré nul et non avenu. Quant au prétendu refus de coopérer de l'opposition, M Turner affirme qu'en vertu de l'article 28(3) du Règlement, le gouvernement aurait pu demander à la présidence de convoquer une séance spéciale[3]. D'autres députés soulèvent également des questions de privilège qui sont débattues tout au cours de la journée[4].

Le Président intervient à dix-sept heures pour déclarer qu'il est lié par l'ordre spécial adopté par la Chambre le 19 avril 1989 et qu'il doit passer immédiatement à la prise en considération de l'article n° 1 des travaux des voies et moyens afin d'entendre l'exposé budgétaire du ministre des Finances. M Jean -Robert Gauthier (Ottawa­ Vanier) invoque le Règlement après la lecture de l'ordre spécial pour informer la Chambre que l'Opposition officielle retire son consentement à la motion du 19 avril, ainsi que le fait ensuite M Nelson Riis (Kamloops) au nom du Nouveau Parti démocratique. Le Président suspend momentanément la séance pour examiner cette situation exceptionnelle[5]. À son retour, il rend sa décision qui est reproduite intégralement ci-dessous. Celle-ci concerne spécifiquement la question du retrait du consentement unanime. (Note: Le 1er mai 1989, le débat reprend sur les questions de privilège[6].)

Décision de la présidence

M. le Président: Le 19 avril 1989, un ordre a été adopté à l'unanimité par la Chambre à la suite de discussions entre les leaders parlementaires des trois partis, comme c'est souvent le cas. Cet ordre portait sur la présentation d'un Budget, et je dis ceci afin que les députés et le public comprennent bien ce qui se passe. entente conclue avant que l'ordre ne soit présenté à la Chambre et le consentement unanime qui a été donné lorsque l'ordre a été présenté à la Chambre étaient clairement fondés sur le fait que le ministre des Finances devait prendre la parole aujourd'hui pour présenter son Budget. Je lis l'ordre en question:

Que, nonobstant tout article du Règlement ou ordre spécial de la Chambre, à dix-sept heures, le jeudi 27 avril 1989, le Président interrompe les travaux dont la Chambre sera alors saisie et passe sur-le-champ à la prise en considération de l'article n° 1 des travaux des voies et moyens afin d'entendre l'exposé budgétaire du ministre des Finances;
Que, immédiatement après cet exposé budgétaire, la Chambre revienne aux Affaires courantes, à la rubrique « Dépôt de projets de loi émanant du gouvernement » et qu'après le dépôt et la première lecture d'un ou de plusieurs projets de loi, le Président donne la parole à un membre de l'Opposition officielle au titre du débat sur l'article n° 1 des travaux des voies et moyens; et

C'est la procédure normale. Un représentant de l'Opposition officielle aurait la parole, sans limite de temps.

Que la Chambre ne s'ajourne pas avant l'ajournement du débat sur l'article n° 1 des travaux des voies et moyens, et que le Président ajourne ensuite la Chambre jusqu'au jour de séance suivant.

Et, du consentement unanime, il a été ordonné :

Que le vendredi 28 avril 1989, la Chambre se réunira à onze heures, abordant à ce moment-là les Déclarations de députés, conformément à l'article 31 du Règlement, puis, de 11h 15 à midi, les Questions orales, et ensuite les Affaires courantes ordinaires;
Que, dès la fin de l'étude des Affaires courantes ordinaires, la Chambre passera, à la rubrique des Ordres émanant du gouvernement, à l'article n° 1 des travaux relatifs aux voies et moyens (la motion relative au budget);
Que, pendant le débat sur la motion relative au budget, ce jour-là, un orateur aura la parole pour l'Opposition officielle, puis un autre pour le Nouveau Parti démocratique, et que ces deux orateurs disposeront de tout le temps nécessaire pour prononcer leur discours; et
Qu'une fois le discours de l'orateur du Nouveau Parti démocratique terminé, mais en tout état de cause au plus tard à 15 h 30, le Président ajournera la Chambre jusqu'à onze heures le lundi 1er mai 1989.

Tel est l'ordre adopté du consentement unanime.

Plusieurs événements se sont produits depuis 24 heures, comme le savent les députés et le public, et le [gouvernement] a décidé en conséquence que le [ministre des Finances] devait procéder à la présentation du Budget au moyen d'une conférence de presse hier soir au lieu d'attendre à aujourd'hui pour le présenter conformément à l'ordre spécial.

Il ne m'appartient pas de juger de ces événements sauf pour constater, comme les députés et le public le savent, que l'Opposition officielle et le Nouveau Parti démocratique ont soutenu cet après-midi qu'il ne convient pas de procéder d'après cet ordre, même s'ils y avaient déjà donné leur consentement, parce que les circonstances ont changé.

Aussi bien l'Opposition officielle que le Nouveau Parti démocratique ont pris la décision inhabituelle d'informer la Chambre qu'ils retiraient leur consentement étant donné les circonstances. Je suppose qu'ils veulent dire par là qu'ils n'estiment plus devoir accepter que la Chambre procède selon les dispositions de l'ordre spécial.

Je m'empresse de faire remarquer que des négociations se poursuivent en permanence ici et qu'il arrive parfois que les circonstances changent alors qu'on semblait en être arrivé à un accord mais avant qu'il n'ait été mis en œuvre sur le parquet de la Chambre.

Parfois, ce qui peut avoir semblé être un consentement déjà acquis n'est pas mené à sa conclusion à cause de circonstances nouvelles.

Voici la difficulté dans laquelle se trouve la présidence en l'occurrence: je comprends très bien la position de l'Opposition officielle et du Nouveau Parti démocratique et je comprends très bien leurs raisons, mais le fait est que nous avons maintenant un ordre de la Chambre, adopté par la Chambre, et je ne vois aucun moyen pour moi de le modifier unilatéralement.

Cet ordre de la Chambre pourrait bien sûr être modifié, si la Chambre veut me donner des instructions en ce sens, mais je n'ai rien reçu de tel. Je suis donc obligé de l'appliquer à moins, bien sûr, qu'on me dise d'agir autrement. Je le répète, la Chambre ne l'a pas fait.

On a soutenu également que l'étude du Budget ne devait pas suivre son cours tant que le débat sur la question de privilège, au cours duquel nous avons entendu un certain nombre de requêtes, ne serait pas terminé.

Je continue d'écouter les arguments avancés sur ce qui constitue ou ne constitue pas un outrage à la Chambre. Je ne saurais préjuger de rien. La question que nous devons entendre en vertu de cet ordre spécial, que j'ai décrit tout à l'heure, et les questions d'outrage et de privilège sont liées entre elles à première vue, mais en les examinant de plus près, je me rends compte qu'elles ne dépendent pas les unes des autres. Chacune doit être traitée à part.

Le Président ne peut pas prédire l'avenir, c'est-à-dire qu'il ne saurait prévoir ce que la Chambre fera s'il y a eu, de prime abord, outrage à la Chambre ou violation des privilèges des députés. Comme je l'ai déjà dit, j'ai l'intention d'entendre d'autres arguments sur la question de privilège. Cette question est loin d'avoir été vidée cet après-midi.

Mais même si je ne sais pas quelle décision sera rendue au bout du compte à propos de la question de privilège, je sais, par contre, quel cheminement la Chambre a suivi dans le cadre de cet ordre spécial. Je dois prévenir les députés que je suis lié par cet ordre. Il est donc de mon devoir de donner la parole à l'hon. ministre des Finances.

Post-scriptum

Le 1er mai 1989, à la suite de commentaires prononcés par M Nelson Riis, l'hon. Herb Gray (Windsor-Ouest) et l'hon. Doug Lewis (ministre de la Justice et procureur général du Canada), le Président interrompt le débat sur les questions de privilège relatives à la divulgation non autorisée du Budget jusqu'à ce que les leaders parlementaires viennent le voir. Ces questions n'ont jamais été soulevées de nouveau à la Chambre.

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1989-04-27

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[1] Débats, 19 avril 1989, p. 690-691.

[2] Débats, 27 avril 1989, p. 1004-1005.

[3] Débats, 27 avril 1989, p. 1005-1010.

[4] Débats, 27 avril 1989, p. 1010-1023, 1036-1057.

[5] Débats, 27 avril 1989, p. 1057-1059.

[6] Débats, 1er mai 1989, p. 1107-1110. Voir post-scriptum ci-dessus.