Le programme quotidien / Déclarations de députés

Droit des députés de critiquer un jugement rendu par un tribunal

Le 1er décembre 1986

Débats, p. 1636, 1651-1652

Contexte

Le 1er décembre 1986, lors de la période réservée aux Déclarations de députés, M. Jim Fulton (Skeena) traite de la condamnation de M. Peter Fenwick, chef du Nouveau Parti démocratique de Terre-Neuve, qui a été emprisonné pour ne pas avoir respecté une injonction de la Cour suprême de Terre-Neuve contre le piquetage lors d’une grève illégale des fonctionnaires de la province de Terre-Neuve. M. Fulton soutient que cette sentence est injuste. Le Président interrompt alors le député et explique les motifs de sa décision[1]. Plus tard au cours de la même séance, M. Fulton et d’autres députés demandent des clarifications à cet égard[2]. La première intervention du Président ainsi qu’une large part de ses éclaircissements offerts par la suite sont reproduits ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : […] les députés ont souvent le devoir de critiquer une loi. Toutefois, ils doivent aussi se rendre compte qu’il ne leur incombe pas de stigmatiser un tribunal ou un juge ni la décision rendue conformément à une loi. […]

Bien sûr, le député soulève une question que la présidence estime préoccupante. L’ennui, c’est que dans ce cas, comme dans d’autres, le député faisait une déclaration et que la présidence n’est pas toujours en mesure de savoir exactement ce à quoi s’attendre. Les députés peuvent critiquer les lois, mais ils doivent savoir que, conformément à la tradition, la présidence a l’obligation de leur imposer certaines restrictions si leurs propos constituent une attaque ou une critique à l’endroit d’un jugement rendu par un tribunal. C’est un problème sur lequel tous les députés doivent réfléchir.

Comme je pense l’avoir dit il y a quelques jours au député de Burnaby (m. Svend Robinson), il y a une distinction à faire entre les critiques portées contre le juge et un tribunal et celles qui s’adressent à la loi en vertu de laquelle ce juge ou ce tribunal rend son verdict[3].

D’autre part, le député nous explique pourquoi il estime, comme d’autres aussi sans doute, que le jugement rendu par un tribunal n’était pas satisfaisant dans les circonstances. L’ennui, c’est que le tribunal est censé posséder tous les renseignements pertinents. Cette Chambre qui, comme certains l’ont dit, est, depuis son origine, considérée comme le plus haut tribunal du pays, ne possède pas tous ces renseignements. Par conséquence, les juges et les tribunaux se retrouveraient dans une situation très délicate si les députés se permettaient de réviser leur jugement. Je sais que telle n’était pas l’intention du député. Cependant, je sais également qu’il n’est pas satisfait de ce qui s’est passé. Bien sûr, il en a parfaitement le droit. La présidence estime toutefois, dans ce cas, qu’il suffit peut-être d’accepter l’intervention du député et j’ai d’ailleurs bien précisé à ce dernier que j’allais l’écouter.

Je demande à tous les députés de comprendre que, d’une part, les députés ont le droit incontesté de critiquer les lois et que, d’autre part, ceux qui doivent appliquer ces lois ont le droit d’être à l’abri des critiques lorsqu’ils exercent les pouvoirs qui leur sont conférés et qu’il est très difficile pour la présidence d’établir une ligne de démarcation entre les droits des uns et des autres. Je demande au député de reconnaître la sincérité de mes intentions. J’ai pris bonne note de la chose. Je continuerai à faire très attention avant d’interrompre la déclaration d’un député, mais c’est parfois difficile. À propos, si un député désire faire une déclaration qui risque de poser des problèmes à la présidence, il devrait peut-être prendre plus de précautions, lui aussi. […]

De l’avis de la présidence, certaines démarches, telles que l’avis de motion ou d’autres procédures, peuvent légitimement permettre ce genre d’action ou de critique. Il est toutefois clair pour la présidence que cela ne doit pas se faire dans le cadre des déclarations de députés. Encore une fois, je ne veux nullement dire aux députés qu’ils ne doivent pas être libres de critiquer une loi. Je pense toutefois que les députés comprendront la situation délicate dans laquelle se trouve la présidence puisqu’elle n’a que quelques brefs moments pour déterminer si la déclaration est conforme ou non au Règlement. […]

La présidence n’a pas décrété qu’il était hors de question en toute circonstance de critiquer une sentence ou un acte quelconque d’un tribunal. Ce qu’elle dit, c’est qu’il est souhaitable, dans le cadre de déclarations de 60 secondes, que les députés prennent soin de ne pas contrevenir à la mise en garde traditionnelle et historique du commentaire 321 de Beauchesne, où l’on peut lire :

Les allusions aux magistrats, tribunaux et hauts personnages officiels, si elles revêtent le caractère d’une attaque ou d’un blâme personnels, ont toujours été considérées comme étant non parlementaires[4].

Le député doit savoir que la présidence n’a pas vraiment considéré comme non parlementaires les remarques du député de Skeena, mais qu’elle a simplement voulu signaler à tous les députés le caractère délicat de ce genre de situation. […]

F0303-f

33-2

1986-12-01

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[1] Débats, 1er décembre 1986, p. 1636.

[2] Débats, 1er décembre 1986, p. 1651-1652.

[3] Débats, 19 novembre 1986, p. 1315-1316.

[4] Beauchesne, 5e éd., citation 321, p. 114.