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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 089 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 5 décembre 2017

[Enregistrement électronique]

(1310)

[Traduction]

    Bonjour, mesdames et messieurs, bonjour, chers collègues. Bienvenue à la 89séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne. Nous poursuivons notre étude sur le travail des enfants et l’esclavage moderne.
    Nous avons devant nous Peter Talibart, un associé de Seyfarth Shaw, établi à Londres. Il sera épaulé par Mark Trachuk, associé principal en valeurs mobilières du cabinet d’avocats Osler, à Toronto. Nous accueillons également par vidéoconférence Cindy Berman, chef, Stratégie sur l’esclavage moderne, Ethical Trading Initiative.
    Je crois comprendre que vous avez été informés du temps dont vous disposiez pour faire votre déclaration préliminaire. Nous allons commencer par notre vidéoconférence, car les gens ont toujours du mal à prêter attention à ce qui se passe à l’écran lorsque certains témoins sont présents dans la salle. Cette façon de procéder aidera peut-être.
    Madame Berman, pourriez-vous commencer votre déclaration, s’il vous plaît?
     Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous faire un exposé aujourd’hui.
    L’Ethical Trading Initiative est une initiative multilatérale de premier plan qui réunit des entreprises, des syndicats et des ONG, et qui s’occupe des droits des travailleurs au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales. Ses 90 sociétés membres comprennent des marques et des détaillants importants du monde entier dont le chiffre d’affaires combiné totalise plus de 180 billions de livres du Royaume-Uni, et les membres des syndicats représentent 200 millions de travailleurs dans 163 pays.
    L’initiative compte 17 petites et grandes organisations de la société civile, et elle part du principe selon lequel la façon la plus efficace et la plus durable d’aller de l’avant en ce qui concerne la gestion des problèmes complexes en matière de droit du travail et d’abus de travailleurs qui sévissent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, c’est d'organiser une participation collaborative.
    En ce qui concerne les thèmes que vous cernez dans le cadre de votre étude, j’aborderai chacun d’eux brièvement.
    En ce qui a trait au premier thème portant sur l’aperçu mondial, cette année, l’ETI a produit et lancé à notre Chambre des communes deux guides à l’intention des entreprises pour les aider à lutter contre le travail des enfants ainsi que le travail forcé dans le cadre des activités qu’elles exercent au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les guides traitent des facteurs qui contribuent au problème et des mesures de diligence raisonnable en matière de droits de la personne que les entreprises devraient prendre pour lutter contre les pires formes de travail des enfants et pour s’assurer qu’une surveillance est exercée aux endroits où des enfants travaillent légalement.
    Je ne doute pas que vous ayez obtenu beaucoup plus d’informations à propos du tableau mondial, mais je tenais à mettre en relief quelques enjeux liés à votre étude.
    La plupart des enfants qui travaillent se trouvent en Asie et, plus précisément, en Asie du Sud. Ils travaillent principalement dans le secteur agricole, mais le travail des enfants est plus répandu chez les filles, lesquelles accomplissent des travaux domestiques. Cela n’a rien d’étonnant compte tenu de la discrimination fondée sur le sexe dont les filles font l'objet.
    Les garçons et les filles qui travaillent proviennent souvent des familles les plus pauvres et de minorités religieuses ou de communautés faisant l’objet de discrimination fondée sur leur caste, leur race ou leur ethnicité. Ces enfants sont souvent peu instruits, et ils exercent des emplois peu spécialisés et peu rémunérés. Certains d’entre eux effectuent des travaux dangereux qui sont illégaux dans presque tous les pays, bien qu’ils persistent ailleurs. Le travail des enfants est dissimulé en grande partie, et il est peu probable qu’il soit décelé par les entreprises au cours de leurs vérifications ou par les inspecteurs du travail dans le cadre de leurs activités de surveillance du travail.
    Nous croyons — et des données probantes montrent — qu’il existe une relation directe entre le travail des enfants et les conditions de travail des adultes, ainsi qu’un manque de protection sociale. Là où des adultes touchent des salaires si maigres qu’ils ne peuvent assurer la subsistance de leur famille, les gens n’ont pas accès à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres avantages ou perspectives, et les enfants sont beaucoup plus susceptibles d’être maltraités et exploités.
    Par conséquent, nous soutenons que le gouvernement canadien devrait envisager d’élaborer une mesure législative qui met l’accent non seulement sur le travail des enfants, mais aussi sur toutes les formes de travail forcé, y compris celui des adultes. Comme le gouvernement canadien se soucie heureusement de l’équité entre les sexes, cela lui donne l’occasion de faire ressortir les vulnérabilités particulières auxquelles les jeunes filles et les femmes font face relativement au travail forcé et au travail des enfants.
    En ce qui concerne le deuxième thème, vous avez posé des questions à propos d’études de cas et du recours au travail des enfants dans le secteur de la production textile et de la production de vêtements en Asie du Sud et dans le secteur de la pêche et des fruits de mer en Asie du Sud-Est. L’ETI s’est penché sur ces deux problèmes. Je vais vous exposer brièvement nos activités dans ces domaines et comment nous percevons ces enjeux.
    Le secteur de la filature du coton est l’épine dorsale de l’industrie textile du Tamil Nadu. Il représente 65 % des filatures de l’Inde et emploie près d’un demi-million de travailleurs.
     Ce secteur emploie surtout des jeunes femmes âgées de 16 à 21 ans à titre de soi-disant apprenties. Souvent, ces travailleurs ne reçoivent aucun contrat officiel. Environ la moitié d’entre eux habitent dans des auberges exploitées par les entreprises. On limite leurs déplacements. Le non-versement du salaire minimum est généralisé. Et ne perdez pas de vue que le salaire minimum pour un apprenti de l’industrie textile s’élève à 330 roupies indiennes par jour, ce qui équivaut à 6 cents canadiens par jour. Selon le régime Sumangali, un paiement forfaitaire est versé aux employés après trois années de travail. Ce régime n’est plus aussi commun qu’il l'était, mais il demeure en vigueur dans certaines régions rurales et dans certains centres.
    Dans ces secteurs, les conditions de travail demeurent déplorables. Les employés travaillent pendant de longues heures et sont exposés à la poussière de coton. Les femmes ont peu d’occasions d’accéder à des postes de superviseur, les allégations de harcèlement sexuel et de mauvais traitements sont endémiques, la capacité des syndicats d’exercer leurs activités est limitée et il n’y a pas de mécanismes efficaces de règlement des griefs.
    Que fait l’ETI à cet égard ? Nous travaillons dans ce domaine depuis un certain temps, et nous reconnaissons que des normes culturelles et sociales problématiques s’ajoutent à une chaîne d’approvisionnement qui exploite grandement ses travailleurs. Nous croyons que les femmes doivent être leurs propres agents de changement. Par conséquent, nous nous employons à leur en donner les moyens en les formant et en entamant un dialogue avec leurs superviseurs, leurs gestionnaires et les propriétaires des filatures afin de leur faire remarquer le manque d’échanges avec leurs employés, les salaires très faibles et les conditions de travail déplorables.
    Nous sommes très satisfaits de notre travail, et nous discutons aussi avec les autorités locales afin de favoriser l’amélioration de la réglementation. Une évaluation nous a permis de constater que nous avons joint environ 16 000 travailleurs, mais nous sommes encore très loin du but. La loi sur les apprentis a été abolie en théorie, mais nous n’avons pas encore observé cette abolition en pratique.
    Passons à l’Asie du Sud-Est et au secteur des fruits de mer. Vous êtes bien conscients que les travailleurs sont exploités et maltraités dans ce secteur depuis un certain temps. Cela a été assez bien documenté. De nombreux acteurs interviennent maintenant dans cette industrie, et certains progrès ont été réalisés, mais, pour un certain nombre de raisons, ces progrès sont lents.
    L’étendue du problème est immense, et bon nombre des entreprises les plus problématiques sont locales et appartiennent à des Thaïlandais. Il ne s’agit pas de grandes marques ou de grands détaillants. De plus, les autorités détiennent peu de pouvoir, les changements apportés aux lois manquent de mordant, et la volonté politique est limitée, tout comme les mesures prises par les politiciens. La résolution de problèmes est médiocre. En outre, les immigrants font face à des lois discriminatoires. Par conséquent, bon nombre d’entre eux décident d’immigrer et de travailler illégalement, ce qui les expose à de plus grands risques d’exploitation et de traitements abusifs.
    La société civile a peu d’occasions de créer des organisations démocratiques ou de contester les agissements des entreprises. Les sociétés abusent scandaleusement des travailleurs et font preuve de négligence. De plus, certaines d’entre elles exercent des activités criminelles liées à la traite de personnes, des activités qui sont difficiles à éliminer.
    Il y a une pénurie d’agences de recrutement étiques. La pire exploitation est observée dans les chalutiers-boeufs de pêche hauturière qui exercent leurs activités loin des côtes, parfois 24 heures par jour et sept jours par semaine. Ces navires ne se mettent pas à quai, même dans les ports. Comme ils ont recours au transbordement, ils n’ont jamais besoin de revenir pour subir des inspections. Les propriétaires de ces navires sont des gens très puissants, qui sont souvent corrompus et absents.
(1315)
    À notre avis, de nombreuses initiatives internationales comptent peu de participants, et elles ne s’attaquent pas nécessairement aux causes profondes de ces problèmes ni ne leur trouvent des solutions à long terme. Le carton jaune de l’Union européenne et le rapport des États-Unis sur la traite des personnes contribuent à garder les entreprises et le gouvernement thaïlandais concentrés sur les problèmes, mais les progrès sont lents, et nous reconnaissons qu’il est nécessaire de s’attaquer à de nombreuses facettes des problèmes simultanément.
(1320)
    Madame Berman, votre temps de parole est presque écoulé. Vous devez conclure dès que possible.
    En ce qui a trait à la transparence et aux lois sur les chaînes d’approvisionnement, l’ETI a participé activement à l’élaboration de la Modern Slavery Act du Royaume-Uni en préconisant l’adoption de l’article 54. Nous estimons que la loi joue un rôle important à titre d’agent de changement, mais nous remarquons d’importantes lacunes dans sa mise en oeuvre et son observation. Nous invitons donc le gouvernement canadien à envisager sérieusement la mesure dans laquelle des ressources adéquates sont affectées à la surveillance de l’observation et de l’efficacité de la mesure législative.
    Nous croyons aussi que le gouvernement canadien prend un risque en mettant l’accent seulement sur le travail des enfants et sur deux secteurs, car le travail forcé et le travail des enfants sont généralisés et se déplacent d’un secteur à l’autre.
    Merci, madame Berman. Nous devons nous arrêter ici. Si, au cours des séries de questions, vous trouvez un moyen d’inclure certains de vos messages, vous êtes autorisée à le faire.
    Bien entendu, je mentionne à nos deux témoins que s’ils n’ont pas été en mesure de nous communiquer certains enseignements aujourd’hui, nous leur saurions gré de présenter plus tard un mémoire à la greffière.
    Nous allons passer à M. Talibart, qui dispose de 10 minutes.
    J'ai pris des notes pendant l'exposé de Cindy. Je conviens qu'il est risqué de ne s'attaquer qu'au travail des enfants. Je pense qu'il s'agit d'un problème complexe. Il est, en effet, difficile de déterminer ce qui est le pire: le travail des enfants ou le travail forcé en général. Mais ce n'est pas là ce qui nous préoccupe.
    L'argument que je veux faire valoir aujourd'hui et que je vous ai présenté par écrit, c'est qu'il existe d'excellentes raisons pour lesquelles le Canada devrait légiférer le plus tôt possible sur le plan du trafic des personnes au sein des chaînes d'approvisionnement. Nous savons tous qu'il s'agit de pratiques atroces. Je ne vous raconterai pas d'histoires horribles à ce sujet et me contenterai de faire une brève analyse juridique de la question.
    D'autres pays, comme le Royaume-Uni, la France et l'Union européenne, ont déjà adopté des lois pour lutter contre ce crime à portée internationale, et les braves parlementaires de ces pays ont choisi de s'y attaquer, considérant qu'il s'agit d'un des plus graves problèmes de notre vie et de notre époque.
    Le Canada a le choix: il peut suivre l'exemple de ces pays ou essayer de tracer sa propre voie. Je vais tenter de vous convaincre que la deuxième solution est à meilleure pour le Canada.
    Tout le monde craint d'imposer un fardeau supplémentaire aux entreprises en renforçant la réglementation, mais c'est une mauvaise analyse de la situation. Les entreprises canadiennes sont déjà soumises aux exigences d'autres pays et doivent surveiller leurs chaînes d'approvisionnement. Il semble qu'à l'échelle internationale, le modèle qui est en train de s'établir prenne la forme d'un énoncé publié sur un site Web traitant des mesures d'évitement. Je sais que vous avez entendu parler de cette approche en ce qui concerne les modèles français et britannique; je n'ai donc probablement pas besoin de vous l'expliquer de nouveau. Ce modèle a été lancé en Californie et semble être adopté aux quatre coins du monde.
    C'est une erreur de présumer que les lois américaines sont muettes quant au problème du trafic des personnes. Les États-Unis disposent en effet de plusieurs lois solides qu'ils peuvent décider d'invoquer. Dans mon mémoire, je parle du lien entre l'accès au marché et les droits de la personne, un point que vous devriez examiner très soigneusement, à mon avis.
    Les lois d'autres pays s'appliquent déjà aux entreprises canadiennes de bien des manières, principalement de deux façons. Tout d'abord, si des entreprises canadiennes sont directement en activité ou ont un siège social dans ces pays, les lois locales s'appliquent à elles en vertu du droit français. Prenez la Modern Slavery Act du Royaume-Uni, par exemple. Toute entreprise canadienne effectuant des travaux d'une valeur de 10 $ dans ce pays est assujettie aux dispositions de la Modern Slavery Act.
    Les entreprises canadiennes n'ont pas encore été touchées par la deuxième manière, c'est-à-dire l'obligation pour toute grande entreprise européenne, y compris celles qui sont françaises et britanniques, de réaliser une vérification de leurs propres chaînes d'approvisionnement. Les entreprises canadiennes devront bientôt remplir une avalanche de questionnaires si elles font partie de la chaîne d'approvisionnement de ces compagnies. Elles devront expliquer ce qu'elles feront pour s'assurer que leurs chaînes d'approvisionnement sont conformes pour être autorisées à continuer de faire affaire avec ces entreprises étrangères et de leur fournir des biens et services. Si l'Australie, qui est manifestement en avance sur nous, adopte une loi, la même condition s'appliquera dans le cas des entreprises de ce pays.
     Comme les entreprises canadiennes n'ont pas encore été obligées de se demander si leurs chaînes d'approvisionnement sont conformes, elles éprouveront quelques difficultés à se conformer à ces demandes.
    Les avocats doivent admettre que l'accroissement constant de la traite des personnes est comme l'effondrement du Rana Plaza: un échec catastrophique du régime juridique international. Une multitude de lois auraient dû prévenir ce drame; pourtant, elles ne l'ont pas fait. La traite des personnes est illégale partout, mais elle étend ses tentacules à l'échelle planétaire.
    L'approche traditionnelle du droit pénal axé sur les sanctions est un échec: ceux qui se demandent comment lutter contre ce crime se tournent donc davantage vers le droit économique. Par « droit économique », je parle des lois qui permettent d'agir comme les policiers ou les policières sur le marché et qui visent à effriter la rentabilité de la traite des personnes.
    Les chaînes d'approvisionnement de secteurs d'affaires légitimes comprennent un nombre considérable de victimes de la traite des personnes. Pour les trafiquants — qui, soit dit en passant, sont en train de gagner actuellement —, la manière la plus facile d'engranger des profits consiste à intégrer le fruit du travail des victimes de la traite des personnes dans les chaînes d'approvisionnement légitimes d'entreprises internationales.
(1325)
    Le genre de lois actuellement envisagées et adoptées au Royaume-Uni et en France font surgir le problème dans les salles des conseils d'administration, suscitant des tensions entre les entreprises, leurs employés, les consommateurs et les actionnaires, qui appuient directement ou indirectement ce crime atroce. Voici ce que le Canada devrait faire, selon moi.
    Les lois sur la transparence dans les chaînes d'approvisionnement peuvent au moins commencer à réduire les profits de l'industrie du trafic des personnes, dont nous ignorons même l'ampleur. Le Bureau international du travail pense que 24 millions de personnes sont touchées. Dans mon mémoire, j'ai mis une note indiquant que jusqu'à 46 millions de personnes pourraient être réduites à l'esclavage sur la planète Terre en 2017.
    Le Bureau estime que les profits illégaux non imposés tirés de ce crime atteignent 150 milliards de dollars par année à l'échelle internationale, mais ce chiffre est fondé sur son estimation initiale selon laquelle 21 millions de personnes sont victimes de la traite des personnes dans le monde. Si ce chiffre est en fait de 46 millions de personnes, les profits illégaux s'élèvent probablement plus à 400 milliards de dollars US par année. Ce chiffre continuera de croître, puisque ces activités sont très rentables. Les pays qui veulent intervenir à cet égard devront donc utiliser leurs lois pour tenter de faire en sorte que ce crime ne paie pas.
    Je peux traiter brièvement de l'histoire de la Modern Slavery Act et vous expliquer comment l'article 54 a été élaboré, puisque ce fait est moins connu. Tout ce que je peux vous dire à ce sujet, c'est que j'étais présent, mais ce n'est pas vraiment ce qui nous intéresse aujourd'hui. Si vous abordez le sujet pendant la période de questions, je me ferai un plaisir d'entrer dans les détails.
    Le genre de loi que nous proposons et qui s'inspire de la Modern Slavery Act cadre fort bien avec la manière dont la gouvernance d'entreprise évolue à l'échelle internationale de toute façon. Les entreprises se soucient davantage de l'avenir, de l'environnement et de la durabilité mondiale. Le vieux concept voulant que les administrateurs ne servent que les intérêts financiers immédiats des actionnaires actuels est chose du passé.
    En conclusion, le droit canadien doit progresser dans ce dossier, car notre pays accuse un retard considérable. D'autres pays prennent position à cet égard, et les entreprises canadiennes en subiront les contrecoups. Dans ces pays, les investisseurs sont plus au fait du profil de risque des entreprises canadiennes que ces dernières ne le sont. C'est fou. Nous devons faire quelque chose à ce sujet.
    L'esclavage moderne est la nouvelle corruption. Si on y songe, il y a 15 ans, il y avait peut-être deux ou trois pays dotés des lois anticorruption, mais cela a fait en sorte que ceux qui n'en avaient pas étaient considérés comme des pays corrompus. Le problème a ainsi pris une tournure économique. Les lois contre l'esclavage moderne vont proliférer à l'échelle du globe, et le Canada devrait être un chef de file à cet égard au lieu de marcher dans les traces d'autres pays.
    Je dirais enfin qu'un problème constitutionnel se pose ici. Dans mon mémoire, j'ai laissé entendre que le Canada examiner la Loi sur les droits de la personne. Nous avons entendu, dans les exposés de Cindy et d'autres témoins, qu'il existe un lien entre l'esclavage moderne et la discrimination fondée sur l'âge, la nationalité, la race ou le sexe. Nous pourrions nous pencher sur la question afin de modifier les lois canadiennes actuelles et peut-être ainsi permettre au Canada de prendre position plus rapidement que si nous partons de zéro.
    Merci.
(1330)
    Merci beaucoup, monsieur Talibart.
    Mesdames et messieurs, si vous voulez bien me pardonner à l'avance, je me montrerai brutal afin d'optimiser le temps dont les intervenants disposent pour poser des questions.
    Monsieur Anderson.
    Merci, monsieur le président. Je remercie également les témoins de comparaître aujourd'hui.
    Madame Berman, vous avez indiqué que vous avez préparé, à l'intention des entreprises, deux guides sur le travail des enfants et le travail forcé. Nous serait-il possible d'en obtenir des copies à titre de référence?
    Nous nous ferons un plaisir de vous les communiquer.
    Merci.
    Je veux donner suite à quelque chose dont nous avons parlé à propos du fait que les travailleurs du secteur de la pêche et des produits de la mer travaillent au large et échappent ainsi à la supervision des autorités. Avez-vous des recommandations précises à formuler à cet égard? La situation est légèrement différente de celle d'une usine, où on peut entrer et identifier les gens qui y travaillent. Il semble que ce soit bien plus difficile de le faire en mer. Pourriez-vous nous proposer des mesures que nous pourrions ensuite recommander?
    Nous recommanderions que l'inspection des bateaux soit préconisée et assurée dans tous les pays. Je ne suis manifestement pas une spécialiste des eaux internationales, mais nous recommandons que dans certains cas... Par exemple, la Fédération internationale des ouvriers du transport a le droit d'embarquer sur les navires afin d'y inspecter les conditions, et elle devrait pouvoir le faire en eaux tant nationales qu'internationales.
    Nous préconiserions également l'adoption d'une loi cohérente exigeant que les armateurs et les gestionnaires adhèrent à un meilleur arrangement de gouvernance internationale.
    Pour ensuite tenter de l'appliquer à la reddition de comptes sur les chaînes d'approvisionnement, je présume?
    Vous avez tous deux proposé de mettre l'accent tant sur le travail forcé que sur le travail des enfants. J'ai posé la question suivante l'autre jour: risquons-nous de nous éparpiller et de perdre notre efficacité en nous attaquant de front aux deux problèmes?
    Notre étude porte sur le travail des enfants. Risquons-nous d'être moins efficaces dans ce dossier si nous combinons ce problème avec le travail forcé? Nous avons vu des statistiques sur les deux problèmes, mais j'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.
    Je ne pense pas que cela risque d'arriver. À dire vrai, la solution à l'un des problèmes sera probablement la solution pour l'autre; vous avez donc l'occasion de faire une pierre deux coups en combinant les deux problèmes.
    C'est une opinion que je partage entièrement. À mon avis, les lois et même les initiatives, les projets ou les programmes qui ne ciblent que le travail des enfants afin d'éliminer le problème ont tous montré qu'il faut tenir compte de la famille, de la communauté et de l'éventail de facteurs qui poussent les enfants à travailler.
    J'ai une question sur la différence entre la loi britannique et la loi française. Je crois comprendre que la loi britannique n'exige pas que les entreprises prennent des mesures concrètes de diligence raisonnable, mais demande qu'elles indiquent si elles l'ont fait. La France exige par contre la prise de mesures. Considérez-vous qu'il s'agisse d'une amélioration? Quelle approche nous recommanderiez-vous d'étudier alors que nous cherchons à aller de l'avant?
    Je considère qu'il s'agit d'une amélioration.
    Regardez comment les lois ont évolué. Le mouvement a commencé tout doucement en Californie, où on a exigé la publication d'un énoncé sur un site Web, lequel, à dire vrai, pouvait être rédigé par n'importe qui, le plus souvent au service du marketing. Quand, par la suite, l'entreprise recevait des questions sur la justesse de cet énoncé, elle répondait généralement que l'employé avait quitté l'entreprise.
    Le Royaume-Uni a ensuite resserré un peu l'étau en exigeant, de la part de toutes les industries, un énoncé sur la transparence dans la chaîne d'approvisionnement signé par deux administrateurs.
    Pour en revenir à votre question, la France a été un peu plus loin en imposant une exigence supplémentaire. Voilà qui, à mon avis, témoigne de l'évolution de la loi dans le monde.
    Mon temps s'écoule rapidement. Pensez-vous que nous puissions en arriver à une entente au Canada, étant donné que les éléments dont nous parlons touchent à de multiples champs de compétences et que nous avons été confrontés à des défis de taille quand nous avons voulu instaurer un organisme de réglementation national? Est-ce possible? Comment pouvons-nous y parvenir?
(1335)
    C'est tout à fait possible: les avocats spécialisés en droit constitutionnel grincent des dents parce qu'ils ne peuvent pas copier la Modern Slavery Act pour des raisons de compétences. Le Royaume-Uni étant compétent en la matière, si une de ses lois fédérales s'applique à toutes les entreprises, nous ne pouvons pas faire de même au Canada en raison du partage des pouvoirs.
    Ne sous-estimez pas votre capacité d'influencer d'autres lois. Si le gouvernement fédéral prend une mesure importante, il importe peu que la loi fédérale en restreigne l'application, car vous instaurez une balise pour les provinces et le reste du monde.
    Vous pouvez agir de bien des manières, en examinant le droit des douanes ou, comme je l'ai proposé, la Loi sur les droits de la personne, ainsi que les lois fédérales régissant les entreprises. Si vous le souhaitez, vous pouvez y parvenir. La réussite se mesurera par l'intégration du concept de transparence de la chaîne d'approvisionnement en ce qui concerne les êtres humains dans le système juridique canadien.
    La loi n'a pas à être parfaite. Les régimes juridiques prennent ces concepts et travaillent avec eux. Vous pouvez donc tout à fait y arriver.
    J'ai une autre question à poser, si le temps me le permet: les avantages découlant du régime diplomatique, c'est-à-dire les services des délégués commerciaux et le soutien d'EDC, devraient-ils être liés à aux responsabilités relatives à la diligence raisonnable dans la chaîne d'approvisionnement?
    Je ne suis pas certain de comprendre tous ces régimes. Je suis désolé.
    Par exemple, EDC offre du financement aux entreprises actives à l'étranger pour les aider à élargir leurs marchés. Je vous demande si ces éléments devraient être liés.
    Eh bien, oui, mais il faut faire attention. Ici encore, nous avons parlé à Cheryl d'un projet de développement dans le cadre duquel le travail des enfants était interdit. Le projet a été mené à bien sans que l'on ait recours au travail des enfants, mais la prostitution juvénile a connu une augmentation fulgurante à l'échelle locale. Il faut donc faire attention, car on peut empirer les choses si on va trop loin.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Fragiskatos, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président. Je remercie également tous les témoins de comparaître aujourd'hui.
    Je veux donner suite à l'avant-dernière question que mon collègue a posée sur la constitutionnalité. Merci beaucoup de la note d'information que vous avez envoyée, monsieur Talibart, mais je crains que la constitutionnalité et le régime fédéral de notre pays n'empêchent les lois d'être efficaces et d'avoir un effet.
    Dans vos notes, vous indiquez que « Les avocats spécialisés en droit constitutionnel canadien auront de la difficulté à rédiger une version canadienne » de la Modern Slavery Act, particulièrement de l'article 54, lequel est peut-être la disposition la plus pertinente parce qu'elle porte sur les chaînes d'approvisionnement. Vous poursuivez en indiquant que « dans la plupart des cas, les lois provinciales (comme les lois sur les valeurs mobilières et les entreprises) sont beaucoup plus pertinentes que les lois fédérales en ce qui a trait à la modification du comportement des entreprises canadiennes. »
    Je sais que vous avez déjà abordé la question et que vous avez donné des exemples de la manière dont les lois fédérales pourraient fonctionner, mais si le gouvernement décidait d'adopter une loi contenant l'esprit et les principes de la Modern Slavery Act, pourrions-nous nous retrouver dans une situation où cette loi n'aurait pas d'effet réel et où les provinces auraient le pouvoir d'apporter à leurs lois des modifications qui auraient une incidence réelle sur les chaînes d'approvisionnement et leur surveillance?
    Je crains que l'on n'élabore une loi inefficace qui constituerait un exemple symbolique. La loi a-t-elle un effet réel?
    Je me demande s'il existe des exemples au Royaume-Uni. Je ne peux me prononcer sur la situation constitutionnelle au Canada, mais au Royaume-Uni, les parlements écossais et gallois ont renforcé les lois parce que le gouvernement a légiféré à l'échelle nationale en adoptant la Modern Slavery Act. Certaines lois sont même plus loin. C'est un modèle qui vaudrait la peine d'être envisagé.
    Merci.
    Je reviendrais à l'argument que j'ai présenté au sujet de l'influence. Je ne suis pas avocat spécialisé en droit constitutionnel. À cet égard, vous avez accès à une expertise qui serait bien plus efficace que la mienne. Le fait est qu'il faut commencer quelque part. On propose un concept, et le régime juridique évolue de manière cohérente avec les rouages du système; je suis donc un architecte principal des systèmes. Quand j'examine ce problème, je n'étudie pas les obstacles que pose la Constitution.
    Mon analyse est, à dire franchement, fort simple: le Canada veut-il lutter contre ce crime? Veut-il faire une déclaration? Si c'est le cas, il peut le faire d'un certain nombre de manières, à l'intérieur des contraintes du régime fédéral. Il peut se pencher sur les lois sur les douanes, les lois fiscales ou la Loi sur les droits de la personne. Tant que ces lois sont modifiées d'une manière qui cadre avec la façon dont elles fonctionnent dans le cadre constitutionnel, la Constitution ne pose pas vraiment de problème.
    Pour répondre à votre question, sachez que vous aurez un problème plus difficile à résoudre si vous adoptez une nouvelle loi, car les provinces affirmeront que vous allez un peu trop loin. La loi pourrait être contestée en vertu de la Constitution, mais pensons au problème qui nous préoccupe ici: le travail des enfants et le travail forcé. Une telle contestation servira-t-elle les intérêts de quelqu'un? Peut-être; c'est une possibilité que nous ne pouvons rejeter. Si vous modifiez une loi fédérale afin d'orienter le régime contre le trafic des personnes, cela n'influencera-t-il pas les provinces?
    Plutôt que de se soucier de ce que nous ne pouvons pas faire, mettons l'accent sur ce que nous pouvons accomplir. Nous devons composer avec la répartition constitutionnelle des pouvoirs, mais si le gouvernement fédéral donne l'exemple dans les limites de ses pouvoirs, cela aura une incidence sur les provinces.
    Nous avons cette discussion parce que la Modern Slavery Act a un effet au Canada. J'ai indiqué au parlement du Royaume-Uni que c'est exactement ce qu'il se produirait, et c'est ce qu'il s'est passé. Les régimes juridiques évoluent comme les gens. Ils sont jaloux et cupides. Ils s'observent mutuellement. Ils veulent de l'argent...
(1340)
    Je ne veux pas vous interrompre, mais mon temps est restreint. Merci beaucoup. Vous avez très bien répondu à la question.
    Le sujet de la portée est revenu au cours de nos séances. Ce qui me préoccupe, c'est que l'accent est mis sur le travail des enfants. Juste à écouter les questions qui ont été posées au cours des dernières séances, je pense que M. Anderson et d'autres collègues partagent mon inquiétude. Je me demande si c'est la façon la plus efficace d'intervenir.
    Si on fait de l'esclavage moderne et du travail forcé l'objet principal du modèle des approches du Royaume-Uni, de l'Australie et de la Californie, on pourrait encore s'attaquer aux violations les plus graves des droits des enfants et assurer la protection de ces derniers en milieu de travail, n'est-ce pas? Cela va presque sans dire, n'est-ce pas? Si on met l'accent sur l'esclavage moderne et le travail forcé, on interviendrait pour les enfants et pas seulement les adultes. C'est l'approche que le Royaume-Uni, l'Australie et la Californie ont adoptée.
    Oui, et j'ai l'impression que nous sommes en parfait accord, mais le fait est que les mesures que vous prendriez pour instaurer un système contre le travail des enfants serviraient également à en instaurer un contre le travail forcé. La date arbitraire du 18e anniversaire ne changerait rien aux faits fondamentaux.
    J'ai une dernière question concernant les sanctions et les recours en cas de non-conformité.
    Selon les approches de la Californie et du Royaume-Uni, et le modèle proposé en Australie, il n'est pas question d'amendes, de sanctions ou de responsabilité civile en cas de non-conformité. Le droit hollandais prévoit des sanctions financières, voire une peine d'emprisonnement. Quant au droit français, il impose des sanctions potentielles et une responsabilité civile. Quelle est, selon vous, la meilleure approche à adopter?
    Le vice-président (M. David Sweet): Vous pouvez répondre brièvement, madame Berman.
    À mon avis, c'est le droit français qui va le plus loin. Nous l'appuyons, car il traite de la diligence raisonnable en matière de droits de la personne. Nous considérons que les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme constituent un cadre accepté à l'échelle internationale au sujet duquel les entreprises ont besoin de conditions égales et de règles claires pour gérer les risques relatifs au travail des enfants et au travail forcé.
    Une loi en matière de diligence raisonnable exigeant que les entreprises fassent preuve de diligence raisonnable, offrent des recours quand les droits sont violés, atténuent certains risques et préviennent le problème qui constitue le moyen le plus efficace de...
    Merci, madame Berman. C'est tout le temps que nous avons.
    Madame Hardcastle.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier tous les témoins du travail qu'ils accomplissent pour nous aider à comprendre le fait que nous devons faire quelque chose à propos de l'esclavage moderne et d'autres violations des droits de la personne, y compris l'esclavage des enfants. Je vous laisserai tous traiter de la raison pour laquelle nous avons avantage à adopter une loi adaptée à la situation et notre propre approche au lieu d'attendre et de suivre l'exemple des autres pays, comme un témoin l'a indiqué, il me semble. Quelles occasions laissons-nous nous échapper et que devrions-nous faire?
    J'aimerais entendre Mme Berman, M. Trachuck et M. Talibart à ce sujet. J'utiliserai tout mon temps pour entendre vos opinions: vous disposez donc tous d'environ deux minutes. Merci.
(1345)
    Je crois qu'il est généralement admis qu'une prolifération de lois semant la confusion représente un risque, c'est-à-dire que les entreprises qui mènent des activités dans différents pays ont besoin de règles du jeu très claires. Les entreprises responsables ont besoin de règles du jeu équitables et doivent savoir que ce qu'elles sont tenues de faire dans un pays s'applique à un autre pays.
    Cela dit, je pense que les Canadiens ont toujours été extrêmement fiers d'être des chefs de file sur les questions des droits de la personne. J'ai parlé de l'accent mis sur les sexes. À mon avis, il est possible de s'appuyer sur les mesures législatives qui ont été mises en place ailleurs pour faire en sorte que les dispositions soient uniformes et que les règles du jeu soient équitables pour toutes les entreprises qui mènent des activités partout.
    Le Canada ne bouge pas, ce qui fait qu'avec le temps, le risque existant s'accroît pour les économies de toute une vie des retraités canadiens, qui sont nombreux à avoir investi leurs économies dans des sociétés ouvertes qui ne savent pas qu'elles doivent faire quelque chose pour régler ce problème. Les répercussions sur la capitalisation boursière d'une entreprise lorsqu'une catastrophe sur le plan des droits de la personne se produit dans sa chaîne d'approvisionnement sont profondes. C'est un risque à évaluer.
     Nos entreprises canadiennes ne veulent pas encourager cela, mais elles ne savent pas quoi faire, et il faut les orienter. Elles doivent divulguer l'information de toute façon. C'est avantageux pour les autres pays qui ont adopté ces lois. Les investisseurs et les consommateurs étrangers sont plus au fait du profil de risque des entreprises canadiennes sur le plan des droits de la personne que les investisseurs et consommateurs canadiens. Cela n'a aucun sens. Nous n'avons pas de temps. Nous accusons un retard à cet égard.
    Je vais faire deux ou trois très brèves observations.
    Je crois vraiment que c'est une question de responsabilité sociale des entreprises. On en parle; ces questions font l'objet de discussions au sein des conseils d'administration des entreprises partout au Canada. Je crois que si nous ne créons pas de régime qui cadre avec les normes les plus élevées du monde, le Canada sera perçu comme un pays qui perd du terrain sur le plan de la maturité et de la sophistication de ses lois sur les sociétés et de la façon dont nos entreprises sont dirigées.
    À mon sens, une autre question n'a pas été examinée, bien qu'on l'ait peut-être déjà examinée lors des séances précédentes. Le Canada est l'une des principales économies dans le monde dans le secteur de l'extraction, dans l'industrie minière non seulement au Canada, mais partout dans le monde. Des entreprises canadiennes le font et nous sommes les meilleurs au monde, mais il y a des cas de violations des droits de la personne comme ceci. Au Canada, d'anciens esclaves commencent à intenter des recours collectifs contre des directeurs canadiens d'entreprises ayant des activités dans différentes parties du monde où l'on observe toujours ce type de comportement.
    Je pense que si nous n'agissons pas, nous risquons de prendre du retard sur le plan de la concurrence et de l'économie. C'est très important, et c'est une chose à laquelle la plupart de nos grandes entreprises se conforment déjà, car elles ont une portée mondiale.
    Reste-t-il du temps?
    Mme Cheryl Hardcastle: Oui.
    M. Peter Talibart: Les États-Unis ont adopté une loi, qui n'a pas été utilisée très souvent, mais qui permet à leurs douaniers de saisir des produits dont la fabrication a possiblement inclus de l'esclavage. L'Union européenne est également très préoccupée par les droits de la personne et établit un lien avec l'accès au marché. Les entreprises canadiennes qui n'agissent pas à cet égard mettent en danger l'accès au marché.
     Si les États-Unis commencent à appliquer cette loi davantage — plusieurs de mes partenaires sont d'anciens procureurs fédéraux américains qui pensent que cela se produira —, ce type de lois peut être utilisé dans un conflit commercial. Un moyen fantastique de refuser aux entreprises canadiennes l'accès à ce marché consiste à dire qu'on ne leur permettra pas d'exporter leurs produits aux États-Unis à moins qu'elles garantissent en quelque sorte qu'aucune violation n'a été commise dans leur chaîne d'approvisionnement.
    Toutes sortes de risques se présentent. Pour le faire, il faudrait que la loi américaine soit modifiée légèrement. Comme je le dis dans mon mémoire, dans le système américain, il y a déjà une pression systémique, malgré le régime de réglementation actuel. Je crois que nous le regretterons si nous n'agissons pas maintenant.
(1350)
    Madame Berman, vouliez-vous intervenir rapidement?
    Je voulais seulement dire que la Ethical Trading Initiative, en partenariat avec le British Retail Consortium... En fait, nos entreprises ont déployé beaucoup d'efforts concernant la disposition sur la transparence dans les chaînes d'approvisionnement. La semaine dernière, nous étions à Genève dans le cadre du forum de l'ONU sur les entreprises et les droits de l'homme. Un certain nombre de très grandes entreprises françaises disaient à quel point elles accueillaient favorablement la loi en matière de diligence raisonnable française, et d'autres entreprises disent aussi qu'elles ont besoin de conditions égales.
    Concernant les observations qui ont été faites, une entreprise responsable a besoin que le gouvernement réglemente pour que des concurrents sans scrupules ne lui coupent pas l'herbe sous le pied. Nous savons qu'on nivelle par le bas. Sur le plan des normes du travail, il y a la production juste-à-temps, et le prix des marchandises baisse de plus en plus. Si le gouvernement n'intervient pas pour établir un cadre réglementaire, il est extrêmement difficile pour les entreprises de s'autoréglementer.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Tabbara.
    Madame Berman, dans votre témoignage, vous avez dit une chose que j'ai trouvé très intéressante. J'aimerais y revenir un peu.
    Nous avons beaucoup parlé du travail des enfants et du travail forcé, mais il n'a pas été vraiment question de la cellule familiale. Vous avez dit que les adultes sont tellement peu payés qu'ils ne sont pas capables de combler les besoins fondamentaux de leurs enfants, d'assurer leur éducation, etc. C'est dans cette situation que de nombreux enfants sont forcés de travailler dans ces industries en raison des circonstances dans lesquelles ils grandissent.
    De plus, d'après ce que j'ai entendu et lu, souvent, certains organismes offrent des programmes de transfert de fonds destinés aux femmes de la famille. Qu'il s'agisse de la mère, d'une grande soeur ou d'une tante, on fait des transferts de fonds, ce qui aide la famille à combler ses besoins essentiels en premier lieu de sorte que les enfants ne soient pas contraints à participer à ces programmes.
    Vous pourriez peut-être en dire un peu plus à ce sujet et nous dire si vous avez entendu parler d'exemples comme celui-là.
     Oui, il y a eu de très bonnes expériences sur le plan des transferts de fonds. Nécessairement, à mon avis, les évaluations que j'ai vues à cet égard indiquent qu'ils donnent de bons résultats pour les familles qui en bénéficient, mais il y a des risques que ceux-ci ne soient pas durables à long terme: les gouvernements doivent mettre en place des systèmes de protection sociale qui permettent aux gens d'avoir accès à des services de soins de santé en cas de crise, ou à l'éducation ou à d'autres services s'ils se trouvent dans une situation où ils sont vulnérables. De plus, les gouvernements doivent également exiger que les adultes reçoivent des salaires suffisants ou du moins un salaire minimum et que de bons cadres réglementaires soient mis en place.
    Je crois que dans un certain nombre de pays, les transferts de fonds — qu'ils soient inconditionnels ou conditionnels — ont entraîné une diminution sur le plan du travail des enfants. Nous venons de voir au Brésil que la Bolsa Familia, un programme qui a malheureusement été aboli, a beaucoup contribué à la diminution du nombre d'enfants qui travaillent, mais il s'agissait d'un assez vaste ensemble de mécanismes de protection sociale créés par le gouvernement pour les familles pauvres extrêmement vulnérables, et je dirais qu'au bout du compte, ce sont les mesures les plus durables.
    Merci.
    Ma deuxième question s'adresse à Mark Trachuk.
    Après que la loi a été adoptée au Royaume-Uni, est-ce que des petites entreprises ont suivi l'exemple de grandes entreprises qui se sont conformées à la loi?
    Je crois que cette question s'adresse davantage à Pete.
    Peter, vous avez donné des exemples aux États-Unis et au Royaume-Uni, et vous avez dit que l'Australie est en avance sur nous. Pouvez-vous nous parler un peu du Royaume-Uni et de certaines mesures législatives qu'il a adoptées et de ce qui en a résulté?
(1355)
    Voulez-vous dire par rapport à la Modern Slavery Act?
    Oui, par rapport au fait qu'une loi a été adoptée.
    C'est nouveau, et les entreprises commencent à s'y conformer. Elles commencent à présenter les énoncés, à commencer par les grandes entreprises, qui prennent cette question très au sérieux. Les administrateurs concentrent de plus en plus leur attention sur la question de l'esclavage dans les chaînes d'approvisionnement. Je ne sais pas ce que je pourrais ajouter.
    Lorsque la loi a été adoptée, bon nombre des grandes chaînes d'approvisionnement suivaient certains règlements. Je me demande si les petites chaînes d'approvisionnement les suivaient pour réduire...
     Madame Berman, puisque vous hochez la tête, je vais peut-être vous laisser...
    Compte tenu du temps qu'il reste, vous ne pourrez que donner une réponse brève, madame Berman.
    Je serai très brève. Nous suivons cela de très près. Nous ne croyons pas... Les grandes entreprises prennent cela très au sérieux et prennent des mesures à cet égard, mais les petites entreprises accusent un retard. Certaines font le commerce entre elles et n'ont pas de réputation à défendre, et il est donc moins probable qu'elles agissent en chef de file à cet égard, mais nous constatons qu'il y a eu des progrès.
    Merci beaucoup, madame Berman.
    Monsieur Anderson.
     Je vais revenir à la question que vient de poser M. Tabbara. Je m'interroge sur le plan de l'information. Nous parlons de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, mais comment pouvons-nous confirmer l'information dans des pays où la primauté du droit n'existe pas et où les institutions et les mécanismes d'application sont faibles? Est-ce que chacun de vous peut en parler un peu?
    D'après ce que nous observons, les entreprises commencent à inclure dans leurs énoncés sur l'esclavage moderne qu'ils sont en train d'analyser leurs chaînes d'approvisionnement et de comprendre les risques tout au long de la chaîne. Évidemment, les risques sont beaucoup plus élevés dans les pays où, comme vous le dites, les lois et les mécanismes d'application de la loi et les systèmes de surveillance du travail sont faibles.
     Nous disons très résolument que la diligence raisonnable en matière de droits de la personne doit inclure la collaboration avec les intervenants locaux, les entreprises et les industries locales, les syndicats et les organisations de la société civile du sud, des pays sources. Ils doivent faire partie de la solution. Cela ne peut tout simplement pas fonctionner avec une approche descendante. Plus nous pouvons collaborer avec les acteurs locaux et leur donner les moyens de prendre la question au sérieux, plus il est probable que nous observions des changements à long terme.
    Je suis du même avis. Pour la première fois, les entreprises commencent à analyser leurs chaînes d'approvisionnement, à faire des vérifications sur leurs principaux fournisseurs et à faire enquête sur eux — parfois sans l'annoncer. Elles changent leurs documents contractuels pour obliger les fournisseurs à respecter les droits de la personne. Certaines établissent des lignes d'aide au moyen desquelles les employés des fournisseurs peuvent signaler des violations.
    J'ai une autre question. Cela n'avantage-t-il pas les grandes entreprises, en fait? Il me semble que cela favorise la consolidation. Les grandes entreprises ont la capacité de faire ce genre de choses contrairement aux petites et moyennes entreprises en général. Cela ne favorise-t-il pas une plus grande consolidation dans le monde des entreprises? Vous n'avez peut-être pas encore observé cela, mais je serais curieux de savoir si c'est ce qui en découle.
    Voilà pourquoi les mesures adoptées tendent à avoir des seuils financiers en deçà desquels ce n'est pas applicable.
    Je comprends.
    Je crois que l'idée, c'est qu'il y ait un processus itératif. Les grandes entreprises seront les pionnières et créeront des pratiques exemplaires d'entreprises à mesure que leurs énoncés sur l'esclavage seront publiés...
    Leurs pratiques ne sont habituellement pas avantageuses pour les entreprises plus petites qu'elles. Est-on assuré que cela se produira?
    L'un des grands avantages subtils de la Modern Slavery Act du Royaume-Uni, c'est qu'il n'y a pas de critères nets; il s'agit simplement de dire aux gens ce que l'on fait. L'entreprise peut ne faire que ce que ses capacités lui permettent de faire, de sorte qu'elle ne rend compte que de ce qu'elle peut faire.
    En théorie, elle pourrait déclarer qu'elle ne fait rien, bien que nous croyons que tant les marchés financiers que les consommateurs ne verront pas cela comme étant très positif. On ne s'attend pas à ce que son rendement soit comparable à celui d'une grande entreprise.
(1400)
    C'est différent par rapport à la loi française. D'accord.
    Il y a un volet financier.
    Oui.
    Pourrais-je faire une proposition?
    Ce sera la dernière. Merci.
    L'une des choses que nous faisons valoir, c'est que les exigences en matière d'approvisionnement public pourraient couvrir certains des plus petits fournisseurs et entreprises.
    La baronne Young a présenté un projet de loi d'initiative parlementaire à la Chambre des lords et à la Chambre des communes pour demander aux gouvernements de s'assurer que leurs mesures législatives sur l'esclavage s'appliquent également aux organismes publics. Nous croyons que souvent, les contrats de marchés publics couvrent certaines petites entreprises et celles qui ne sont pas des marques et des détaillants bien connus comme les grandes multinationales, et ceci constituerait un grand pas tant pour les gouvernements, sur le plan de la modélisation de pratiques exemplaires dans leur propres pratiques d'approvisionnement, et également pour certaines des petites entreprises de la chaîne.
    Je remercie beaucoup les témoins. Il est passé 14 heures, et c'est habituellement l'heure à laquelle nous terminons nos travaux.
     Au nom du Comité, je remercie beaucoup les témoins de leur bon travail. Vos connaissances nous aideront à préparer un rapport pour le gouvernement du Canada, et nous vous remercions vraiment d'être à l'avant-garde et de faire du mieux que vous le pouvez pour encourager les pays à élaborer des lois visant à protéger les enfants et les gens contraints à l'esclavage. Au nom du Comité je vous remercie beaucoup.
    Chers collègues, la séance est levée.
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