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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 039 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 21 octobre 2014

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Français]

    Chers collègues, nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous tenons aujourd'hui, le 21 octobre 2014, notre 39e séance.

[Traduction]

    J'aimerais d'abord signaler que la séance d'aujourd'hui est télédiffusée; par conséquent, comportez-vous en conséquence. Nous discutons d'un sujet que nous avons abordé dans le passé, la question du prélèvement forcé et le trafic d'organes humains.
    Aujourd'hui, nous accueillons deux personnes. Damon Noto est le porte-parole de Doctors Against Forced Organ Harvesting. Il comparaîtra en premier. Ensuite, ce sera au tour d'Ethan Gutmann.
    Cela dit, un de nos membres m'a demandé de permettre au comité de commencer par se pencher sur une question de procédure.
    Monsieur Sweet, vous avez la parole.
    Monsieur le président, je me suis entretenu avec les autres membres du comité au sujet de notre ordre du jour du 30 octobre. Je présente des excuses aux membres, parce que, généralement, nous faisons les choses autrement. Toutefois, en raison de la nature de notre ordre du jour, le 30 octobre, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en Iran sera en ville. Je crois que vous constaterez qu'il y a consentement unanime pour inviter cette personne à comparaître devant le comité du fait qu'elle sera à Ottawa ce jour-là.
    Chers collègues, y a-t-il consentement?
    Des voix: D'accord.
    Le président: D'accord. Nous l'inviterons.
    Nous devrons changer la date de comparution du témoin qui était prévue pour le 30 octobre.
    D'après ce que je comprends, c'est vous qui allez parler en premier, docteur Noto. Je vous cède donc la parole. Une fois que vous aurez terminé, nous entendrons M. Gutmann.
    Vous pouvez commencer.
    Honorables députés, merci de m'avoir invité à comparaître ici aujourd'hui. C'est vraiment un honneur et un plaisir pour moi d'être ici.
    Comme le président l'a dit, je suis membre d'une ONG appelée Doctors Against Forced Organ Harvesting. L'organisation est composée de professionnels de la santé du monde entier, surtout de chirurgiens transplantologues.
    Dans les années 1990 et au début des années 2000, des preuves de plus en plus nombreuses ont révélé que les pratiques de prélèvement d'organes en Chine étaient tout à fait contraires à l'éthique. Dès l'année 2001, les premiers éléments de preuve solides ont été mis en lumière quand un chirurgien transplantologue, appelé Wang Guoqi, est venu aux États-Unis pour comparaître devant le Congrès américain. Il a dit que la Chine utilisait des organes de prisonniers qui avaient été exécutés.
    Les médecins ont été encore plus alarmés par l'augmentation rapide et exponentielle du nombre de transplantations qui ont été réalisées en Chine à partir de l'année 1999. En Chine, le nombre de transplantations effectuées est passé de quelques centaines par année à des milliers par année en 2004. Cette situation, conjuguée à l'augmentation du nombre de centres de transplantation d'un bout à l'autre de la Chine, était très préoccupante, étant donné qu'aucun autre programme de transplantation d'un autre pays n'avait jamais augmenté aussi rapidement. En cinq ans, la Chine a fait ce que les États-Unis ont fait sur une période de plusieurs décennies.
    Selon les statistiques du gouvernement chinois, le nombre de transplantations effectuées chaque année est passé de plusieurs centaines, en 1999, à bien plus de 10 000, en 2008. Selon le journal China Daily, ce nombre se rapprochait plutôt de 20 000. À l'heure actuelle, le milieu international de transplantologues reconnaît que la Chine se situe au deuxième rang pour ce qui est du nombre de transplantations réalisées chaque année, après les États-Unis, et qu'elle lui ravira probablement la première place d'ici un an ou deux. À un moment donné, la Chine semblait avoir une surabondance d'organes, et son tourisme médical pour des organes était en plein essor.
    Les hôpitaux chinois faisaient beaucoup de publicité sur le Web pour dire qu'ils pouvaient garantir aux patients des délais d'attente de quelques semaines pour des organes et que les transplantations pouvaient être planifiées d'avance. Les professionnels de la santé ont trouvé cela stupéfiant étant donné qu'il faut normalement des années pour obtenir des organes, non pas des semaines. De plus, le fait de planifier une greffe d'avance était une notion inconnue.
    Certains sites Web d'hôpitaux ont même été assez audacieux pour déclarer que leurs transplantations étaient de qualité supérieure parce qu'ils pouvaient tester le fonctionnement des organes du donneur vivant avant le prélèvement. Il est devenu très évident que les transplantations d'organes étaient un commerce extrêmement profitable en Chine, certains hôpitaux déclarant que leurs programmes de transplantation d'organes étaient leur plus importante source de revenu. Les prix indiqués en ligne étaient les suivants: 60 000 $ pour un rein, 100 000 $ pour un foie et 170 000 $ pour un coeur ou un poumon.
    Au premier coup d'oeil, il pourrait sembler logique que la Chine puisse réaliser un si grand nombre de transplantations du fait qu'il s'agit d'un si grand pays. Cependant, il faut tenir compte d'un certain nombre de facteurs. Tout d'abord, il n'existe aucun système national de don d'organes en Chine. Cela veut dire que les hôpitaux doivent compter sur des événements locaux et qu'ils ont leurs propres temps d'attente et leurs propres sources d'approvisionnement d'organes. Selon la Croix-Rouge, seules quelques centaines de personnes se sont inscrites pour devenir des donneurs d'organes en Chine. Cela diffère nettement de la situation dans d'autres pays, notamment les États-Unis qui compte plus de 100 millions de donneurs d'organes.
    En 2010, le vice-ministre de la Santé publique de Chine, le Dr Huang Jiefu, a admis que, entre 1997 et 2008, la Chine avait réalisé plus de 100 000 transplantations, dont 90 % des organes provenaient de prisonniers qui avaient été exécutés. Des Chinois ont admis cela.
    Le gouvernement chinois ne fournit pas de chiffres officiels du nombre de personnes exécutées chaque année. Toutefois, la plupart des experts estiment que ce nombre se situe entre 2 000 et 5 000. De toute évidence, ce nombre est de loin inférieur aux 10 000 transplantations d'organes qui sont effectuées chaque année. De plus, même si ces chiffres s'accordaient, il existerait tout de même un grand écart pour la simple raison que cela serait impossible. Je dis cela à cause du nombre de variables dont il faut tenir compte quand on effectue des greffes, notamment pour déterminer si toutes ces personnes seraient des candidates convenables pour un don d'organes et si elles seraient compatibles avec celles qui ont besoin d'une greffe.
    L'autre divergence importante, c'est que, dans les prisons, un très haut pourcentage des gens sont atteints d'hépatite B ou d'hépatite C, ce qui fait qu'ils ne seraient pas des candidats convenables pour des dons d'organes.
    Ensuite, il y a le facteur des délais. Une fois prélevé, un organe, comme un foie, est bon pendant quelques heures seulement après avoir été prélevé d'un corps. Il serait donc impossible de créer un stock d'organes après des exécutions pour un usage ultérieur. Ce serait tout simplement impossible.

  (1310)  

    Même les lois de la Chine stipulent que, une fois que des prisonniers ont été condamnés à la peine de mort, cela doit se faire dans les sept jours qui suivent. Tout cela montre que le nombre de criminels condamnés à la peine de mort ne peut pas justifier le grand nombre de prélèvements d'organes qui sont effectués chaque année en Chine — surtout quand on dit que les greffes effectuées dans le cadre du tourisme médical peuvent être planifiées d'avance.
    La question que se pose le milieu médical est la suivante: comment la Chine peut-elle avoir un système de transplantation d'organes sur demande, qui prévoit des délais d'attente extrêmement courts comparativement à ce qui se fait dans tous les autres pays du monde, y compris les États-Unis, où les délais d'attente pour un rein sont de plus de deux ans, et le Canada, où ils sont de plus de trois ans? La seule façon dont la Chine peut être en mesure de faire cela, c'est en ayant une autre source de donneurs disponible, qui peut être utilisée sur demande.
    Plusieurs enquêtes ont été menées — notamment par Ethan Gutmann, qui est assis à mes côtés —, et elles ont toutes fait état de l'utilisation des prisonniers d'opinion comme étant la principale source d'organes — les adeptes du Falun Gong représentant la grande majorité de ceux-ci. Si vous regardez la chronologie de l'essor des transplantations d'organes en Chine, et que vous la comparez à celle de la persécution des adeptes du Falun Gong, qui a commencé en 1999, les deux se suivent presque parfaitement. Selon les estimations, en 1999 seulement, deux millions d'adeptes du Falun Gong ont été arrêtés au pays et placés dans des centres de détention.
    La Chine a un système pénitencier extrêmement grand. Selon une ONG, la fondation Laogai, à tout moment, entre trois et cinq millions de personnes se trouvent dans ces prisons. Beaucoup d'experts croient maintenant que les adeptes du Falun Gong constituent la majeure partie des prisonniers d'opinion en Chine à l'heure actuelle, et que, à tout moment, de 500 000 à un million d'adeptes peuvent y être détenus. De plus, les adeptes du Falun Gong sont persécutés à l'échelle nationale, pas seulement dans une seule région, ce qui fait que leurs organes sont à la disposition des hôpitaux de l'ensemble du pays.
    Une des raisons pour lesquelles tout cela est possible, c'est que la Chine se trouve dans une situation tout à fait unique: l'armée contrôle le système pénitencier, les camps de travaux forcés et la majorité des hôpitaux qui effectuent ces transplantations. Quand les patients qui se sont rendus en Chine pour des organes reviennent au pays, souvent ils déclarent que les greffes ont été effectuées de façon secrète par des médecins militaires dans des hôpitaux militaires, souvent au milieu de la nuit.
    La persécution des adeptes du Falun Gong est une politique officielle de l'État. Les adeptes du Falun Gong sont considérés comme étant des ennemis de l'État, qui n'ont pas droit à une représentation juridique. À ma connaissance, depuis le début de la persécution, pas une seule personne n'a jamais fait l'objet d'accusations au pénal pour avoir torturé ou tué des adeptes. Le manque de répercussions sur le plan juridique rend ce groupe de personnes particulièrement vulnérables. Les adeptes du Falun Gong refusent souvent de révéler leur véritable identité afin de protéger leur famille et leurs amis, ce qui fait qu'ils restent dans ces prisons sans être identifiés. Par ailleurs, une campagne de propagande systématique contre ce groupe les a diabolisés aux yeux de la population.
    Une enquête menée en 2007 par les Canadiens David Kilgour et David Matas a compilé 52 véritables preuves que les adeptes du Falun Gong ont été tués pour leurs organes. Ils ont estimé que 41 500 greffes d'organes à avoir été effectuées en Chine entre 2000 à 2004 seulement n'avaient aucune autre source vérifiable que les adeptes du Falun Gong. Il y a eu d'autres enquêteurs, notamment Edward McMillan-Scott, un membre du Parlement européen.
    Les adeptes du Falun Gong qui ont réussi à s'enfuir de la Chine témoignent souvent du fait qu'ils ont fait l'objet d'analyses de sang et d'urine en série, et qu'ils ont subi des examens physiques, des rayons X et des échographies à de nombreuses reprises pendant qu'ils étaient en prison, tandis que ce n'était pas le cas pour leurs codétenus. Il est difficile à croire que ces analyses coûteuses aient été dans l'intérêt de la santé des adeptes, qui étaient torturés dans ces camps de travaux forcés.
    Par ailleurs, pendant des entrevues, des codétenus et des membres du personnel des prisons ont déclaré avoir été témoins de prélèvements d'organes chez les adeptes du Falun Gong. Pendant des appels téléphoniques enregistrés, plusieurs hauts dirigeants chinois ont admis être au courant du fait que les adeptes du Falun Gong servent de source d'organes. Même le vice-ministre de la Santé de Chine, Huang Jiefu, qui est souvent cité, a pratiqué des centaines de greffes en utilisant des organes de prisonniers. Dans une entrevue avec le People's Daily de la Chine, il a déclaré que la lutte contre le Falun Gong constitue une importante campagne politique, et que le gouvernement ne doit pas être clément à l'égard des adeptes.

  (1315)  

    Les deux principaux organismes internationaux de greffe d'organes ont envoyé une lettre au chef du Parti communiste chinois, Xi Jinping, dans laquelle ils qualifient le système chinois de greffe d'organe de système corrompu « méprisé par la communauté internationale ».
    En avril dernier, le directeur du système chinois de greffe d'organes, Wang Haibo, a déclaré que le régime chinois n'avait aucunement l'intention de publier un échéancier pour se sevrer du prélèvement d'organes sur des prisonniers exécutés, confirmant ainsi le maintien pour longtemps de cette pratique qui consiste à utiliser les prisonniers et les prisonniers d'opinion à titre de principale source d'organes.
    Selon les statistiques, on peut estimer que chaque jour, des douzaines de personnes sont tuées pour leurs organes. À ce rythme, dans cinq ans, 50 000 autres innocents pourraient avoir perdu la vie. Si nous ne réagissons pas, nous risquons de devenir des complices de cette grande tragédie humaine.
    Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de venir m'exprimer sur le sujet.
    Merci beaucoup, monsieur Noto.
    Nous allons maintenant passer à notre deuxième témoin, M. Ethan Gutmann. Monsieur, vous avez la parole.
    Pour les personnes qui mènent des recherches originales à propos des prélèvements d’organes sur les prisonniers d’opinion en Chine, cette audience arrive à la fin d’une année particulièrement sinistre.
    Au cours de l’hiver, nous avons assisté à l’effondrement définitif de l’engagement médical de l’Occident auprès des autorités médicales chinoises. Au printemps, nous avons eu de nouvelles preuves, non seulement que le prélèvement forcé d’organes à très grande échelle sur les prisonniers d’opinion se poursuivait, mais qu’il s’accélérait. Puis, à l’automne, on a émis les premiers rapports, non confirmés, mais étonnamment corroborés à l’échelle de toutes les provinces de Chine, selon lesquels les autorités chinoises ne se contentaient plus de recueillir des échantillons d’ADN et des analyses sanguines pour vérifier la compatibilité des tissus auprès d’adeptes du Falun Gong dans les prisons et les camps de travail, mais aussi à leur domicile.
    En bref, l’histoire que je m’apprête à vous résumer aujourd’hui continue de s’écrire.
    Commençons par le milieu des années 1990, avec ces hommes qui viennent tout juste de procéder à une exécution. Le policier armé sur la gauche s’efforce de se donner un air « officiel ». Au premier plan, un agent du parquet populaire suprême portant une guenille blanche pour se protéger contre des éclaboussures nous défie du regard. Ce sont là les visages qui reviennent éternellement au cours d’une exécution courante; gommons les caractéristiques raciales et nous retrouvons les mêmes attitudes empreintes d’un certain malaise dans de nombreux états totalitaires. D'ailleurs, l'homme au premier plan porte une guenille blanche pour se protéger contre des éclaboussures lorsqu'il fait feu.
    Et pourtant, dans l’optique officielle de la Chine, il n’y avait là rien d’illicite; les signes sur les prisonniers exécutés indiquent qu’ils ont été dûment condamnés pour des crimes punissables de la peine de mort: meurtre, viol, trafic de drogues, etc. Leurs corps seront conservés dans des fourgons médicaux et on prélèvera leurs reins et leur foie. Ce n’est pas non plus un secret; depuis 2006, Beijing a reconnu que la grande majorité des organes que les hôpitaux chinois greffent sur des touristes occidentaux « de la transplantation » vieillissants et sur des Chinois fortunés ont été prélevés sur des condamnés à mort.
    Vingt ans plus tard, donc, aujourd'hui, la plupart des exécutions sont menées en secret, par des chirurgiens. Sur cette photo, ils transportent des organes fraîchement prélevés. Le changement majeur survenu depuis le milieu des années 1990 consiste en ceci, soit que la majorité des organes sur le marché ne sont pas prélevés sur des condamnés à mort, mais sur des prisonniers d’opinion — des prisonniers politiques et de conscience — qui ne peuvent pas être condamnés à mort, même en vertu de la loi chinoise: les moines tibétains, un militant ouïghour qui a ouvertement levé le poing durant une manifestation, ou une adepte du Falun Gong qui distribuait des dépliants dans la rue.
    On dit que le système médical chinois pratique environ 10 000 greffes par année. Le nombre de prisonniers exécutés légalement se situe bien en deçà de 5 000. Les dons volontaires d’organes sont négligeables. Cela indique qu’il existe une autre source. Mais nous n’avons pas à nous fier uniquement à de mystérieux écarts dans les chiffres. Nous pouvons étayer cette transformation qui dure depuis 20 ans en nous appuyant sur des témoignages fiables dans le monde médical.
    J’ai fourni une carte — je crois que vous l'avez devant vous — sur laquelle se trouvent les principaux postes de police et les principales installations médicales à l’échelle de la Chine ayant participé à des prélèvements d’organes. La liste n’est pas exhaustive; elle représente les centres que j’ai pu identifier au moyen d’entrevues que j’ai menées pour mon nouveau livre, The Slaughter. Dans le coin nord-ouest de la carte, vous pouvez voir l’hôpital de la gare centrale d’Urumqi.
    En 1995, un des chirurgiens de l’hôpital, le Dr Enver Tohti, que l'on voit ici sur la photo, a été conduit au terrain d’exécution des montagnes occidentales. À l’issue de ce qui semblait une exécution de masse comme une autre, un des prisonniers a été sélectionné pour le prélèvement d’organes. L’homme était vivant; le coup de feu avait délibérément visé le côté gauche de sa poitrine pour produire un choc susceptible de créer une anesthésie naturelle. On a dit au docteur Tohti de prélever les reins et le foie de l’homme. Après une contraction réflexe unique, le docteur Tohti a effectué le prélèvement. À en juger par les pulsations veineuses, le coeur de l’homme a battu jusqu’à la fin. Il s’agissait d’une percée médicale; le prélèvement d’organes sur une personne vivante réduit le taux de rejet des receveurs.
    Les criminels endurcis ont beaucoup de problèmes de santé, notamment des hépatites. Deux ans plus tard, Xinjiang a été le lieu d’un deuxième changement en matière d'éthique médicale. Le premier prélèvement d’organes sur des prisonniers politiques ouïghours a eu lieu à Urumqi pour le compte de cinq hauts gradés du parti communiste qui étaient à la recherche d’organes sains de personnes jeunes. Le prélèvement d’organes sur des personnes vivantes allait devenir courant à l’échelle de la Chine, mais pour ce qui est des prisonniers d’opinion, il se limitait à l’origine au Xinjiang.
    En 1999, la Sécurité d’État en Chine a lancé l’opération à grande échelle la plus importante depuis la révolution culturelle, soit l’éradication du Falun Gong. Et voilà qu’en 2001 déjà, les opérations éclairs s’étaient transformées en guerre de tranchées, quand les hôpitaux militaires chinois ont commencé à sélectionner certains prisonniers adeptes du Falun Gong pour prélever leurs organes.

  (1320)  

    Il existe bien des éléments de preuve à cet égard; comme Damon l'a souligné, Kilgour et Matas ont dressé la liste de 52 d’entre eux. Je ne vous en présenterai qu’un seul: le Dr Ko Wen-je, directeur du service de traumatologie à l’hôpital national universitaire de Taiwan. Il y a 10 ans, le Dr Ko s’est rendu dans un hôpital du continent pour négocier une baisse des prix des reins et des foies pour les patients âgés de son service. Au terme d’un banquet amical, le Dr Ko a obtenu le prix réservé aux Chinois, soit environ la moitié de ce que paie un étranger. En réponse aux inquiétudes du Dr Ko par rapport aux organes prélevés sur des criminels en mauvaise santé, les chirurgiens chinois lui ont assuré que tous les organes seraient prélevés sur les adeptes du Falun Gong. Ces gens-là ne fument pas et ne boivent pas. Ils s’adonnent au qi gong, ce qui est bon pour la santé. Nous apprécions votre discrétion.
    Le Dr Ko est le principal candidat à la mairie de Taipei, surtout parce qu’on le perçoit comme un homme intègre. J’irai plus loin: le témoignage du Dr Ko a pu faire avancer cette enquête mieux que toutes les organisations de la santé du monde entier réunies.
    Dans les faits, le prélèvement d’organes sur des prisonniers d’opinion n’a pas commencé avec les adeptes du Falun Gong. Le phénomène a évolué de façon organique. La décision centrale d’exploiter le filon des prisonniers d’opinion à grande échelle s’est à peu près résumée à instaurer une sorte de flou juridique. Mais alors, pourquoi le parti communiste chinois, fort de tant de richesses et de pouvoirs et si avide de l’approbation internationale, est-il disposé à prendre un tel risque? C’est pourquoi le problème de l’enquête porte sur la motivation et non la plausibilité. On ne tente pas seulement de répondre à la question comment, mais aussi, pourquoi. Cette question est au coeur de six chapitres sur dix dans mon livre. Je ne ferai ici que l’effleurer.
    Vous avez sans doute entendu dire que la décision du parti d’éradiquer le Falun Gong était avant tout motivée par l’ampleur du mouvement. Avec ses 70 millions de membres, il en compte cinq millions de plus que le parti. C’est vrai. On peut également affirmer que le Falun Gong est né dans le centre de la Chine, sans lien avec des intellectuels occidentaux et sans que les Chinois ne soient confrontés à des « ruses » d’étrangers. Ainsi, la crainte du parti a davantage à voir avec le petit garçon que l’on voit au premier plan de la photo.
    Le garçon pourrait grandir pour devenir un homme, peut-être même un soldat de l’Armée populaire de libération. Mais c'est cette femme, Ding Jing, que le parti craignait le plus. Elle habite à Toronto. Si je ne m'abuse, elle est hospitalisée. À titre de coordonnatrice du Falun Gong, elle enseignait les exercices et transportait des sacs de plastique pour s’assurer que les lieux demeuraient propres. Elle s’occupait de trois emplacements. Le premier, pour la télévision nationale en Chine. Le deuxième, au bureau de la sécurité publique, la police secrète chinoise. Le troisième, pour les hauts responsables du parti communiste et leurs épouses.
    Pour le parti, les emplacements dont s’occupait Ding Jing semblaient sortir tout droit du modèle marxiste de prise du pouvoir. On s'installe d'abord au centre du pays, puis on infiltre les intellectuels, ensuite les militaires, et enfin les dirigeants. Pour les éléments nationalistes du parti, qui croient que ce siècle est celui de la Chine, la foi des adeptes du Falun Gong en la vérité, la compassion et la clémence rappelait le passé d’une Chine faible, passive et facilement dominée.
    Leur théorie était fausse. La résistance des adeptes du Falun Gong dans les camps de travail, et en fait, partout, n’avait rien de passif. Elle était extraordinaire. Tout comme la réaction féroce du parti. Je ne vais pas vous montrer de photos des camps de travail ni d’atrocités. Mais je vais vous montrer cette photo d’adeptes du Falun Gong réfugiés parce que, à l’exception du type au centre, ce que l’on voit ici constitue une représentation assez fidèle de mes constatations. Toutes ces femmes ont été envoyées dans un camp de travail. Elles ont toutes été torturées. L’une d’elles a été victime de violences sexuelles, et la femme sur la gauche a subi une série d’examens physiques exclusivement destinés à déterminer la santé de ses organes pour les vendre et la compatibilité de ses tissus.
    En me fondant sur un échantillon de 50 réfugiés, j'ai conclu qu’à tout moment, entre 500 000 et un million d’adeptes du Falun Gong sont emprisonnés. En 2008, on avait déjà prélevé les organes d’environ 65 000 d’entre eux. Mes chiffres figurent dans deux livres: The Slaughter et State Organs, et mon évaluation est utilisée comme calcul de référence dans le texte de la résolution 281 de la Chambre des représentants des États-Unis. Extrapolant à partir des données officielles des autorités chinoises, Kilgour et Matas estiment qu’en 2008, on avait déjà prélevé environ 60 000 organes des adeptes du Falun Gong. Sans vouloir comparer des pommes et des oranges, il ne fait aucun doute que cela se traduit par plus de 50 000 décès.
    Bien que les chiffres soient beaucoup plus faibles, de nombreux Tibétains et Ouïghours et même certains chrétiens « de maison » reçoivent le même traitement que les adeptes du Falun Gong. Les disparitions forcées de Ouïghours sont particulièrement troublantes. Je ne peux pas estimer le nombre de décès à l’heure actuelle. Je peux seulement affirmer que les deux Tibétains que voici ont survécu.
    Brièvement, j'aurais quelques points à souligner pour terminer. Tous les démentis visant à réfuter que le prélèvement d’organes était téléguidé par le gouvernement sont partis en fumée avec la découverte, en 2012, de ces photographies de Wang Lijun, le protégé de l’ancien membre du Politburo, Bo Xilai. En fait, il dirige le prélèvement d’organes sur des personnes vivantes; Wang a reçu un prix du gouvernement pour le recours à une nouvelle méthode d’injection mortelle sur des milliers de prisonniers victimes de prélèvements. Cette découverte a amené les responsables médicaux chinois à s’efforcer de forger aux yeux du public un portrait d'un système de transplantation en voie d’être rapidement réformé. Peut-être que certains d’entre vous ont entendu parler de cette promesse. En Occident, la Société de transplantation a joué le jeu en refusant poliment de reconnaître le prélèvement d’organes sur les prisonniers d’opinion, même si de nombreux membres croient que les allégations sont véridiques.

  (1325)  

    Plus tôt cette année, le gouvernement chinois a renié explicitement sa promesse de réformer le système, ne laissant à la Société de transplantation rien de plus que cette photo maintenant embarrassante. Nous, à notre tour, avons été laissés avec un vide politique.
    L’un des éléments de cette réforme avortée portait sur une prétendue interdiction du tourisme occidental de la transplantation. En fait, cette pratique n’a jamais pris fin. Il y a trois mois, ces vendeurs chinois d’organes continuaient d’annoncer ouvertement leurs activités sur le Web.
    Le prélèvement des organes sur les adeptes du Falun Gong n’a pas non plus pris fin. Je ne peux pas encore fournir de chiffres sur le nombre de décès de membres du Falun Gong depuis 2008, mais l’année dernière, cette réfugiée d’un camp de travail pour membres du Falun Gong a subi des examens visant à déterminer la compatibilité de ses organes, en même temps que 500 autres prisonniers, surtout des adeptes du Falun Gong.
    Que devrait faire le Canada? Je vous invite à lire mon livre avec un regard critique. Je peux affirmer que mes conclusions sont fiables, en partie parce que je m’en tiens largement aux constatations que je viens de présenter. Je n’ai pas écrit ce livre pour influencer votre opinion sur l’État chinois.
    Si vous croyez que la Chine constitue un bon investissement, eh bien, vous avez peut-être raison. Mais l’histoire que je viens de vous raconter est également vraie. Et cette histoire continue de s’écrire, aujourd’hui, durant cette audience. Je ne suis pas là pour vous demander de vous engager dans la voie du désinvestissement ou de la guerre commerciale; je vous demande de suivre vos propres valeurs. Comment un citoyen canadien peut-il être complice d’une situation où l’on tue un innocent pour qu’un Canadien puisse vivre?
    Le Canada a le pouvoir de mettre un terme à cela. Le mécanisme de criminalisation du tourisme de transplantation des organes est simple — celui qui se rend en Chine et qui en revient avec un nouvel organe ira en prison. Tant et aussi longtemps que les autorités chinoises n’auront pas assumé pleinement la responsabilité de ce crime contre l’humanité, je crois que c’est précisément dans cette voie que le Canada doit s’engager.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Gutmann.
    Chers collègues, afin que les six membres qui veulent intervenir puissent le faire, chacun disposera de cinq minutes pour chacune des séries de questions. Je vous encourage donc à poser des questions aussi concises que possible.
    Comme d'habitude, M. Sweet sera notre premier intervenant. Monsieur Sweet, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les témoins d'avoir accepté notre invitation.
    L'un ou l'autre d'entre vous peut me répondre.
    Je tiens à préciser que la position du citoyen chinois moyen est bien différente de celle de la République populaire de Chine. La crainte d'être associé au Falun Gong et d'être emprisonné pour avoir protesté contre le comportement du gouvernement a-t-elle pour effet de faire taire les protestations des citoyens moyens?
    Nous ne savons pas vraiment pour le moment l'étendue des connaissances du citoyen chinois au sujet du prélèvement d'organes. Il y a des rumeurs qui circulent. Le gouvernement empêche la divulgation d'informations sur le sujet sur le Web.
    Toutefois, il y a un fait intéressant à souligner. Trois jours avant que les autorités médicales chinoises annoncent en grandes pompes la mise en oeuvre d'une réforme — ils ont fait la une des journaux canadiens et américains, notamment The Wall Street Journal et The New York Times —, Internet a été déverrouillé pendant 24 heures pour permettre aux gens de rechercher l'expression « Wang Lijun: prélèvement d'organes sur des personnes toujours en vie ». C'était clairement le coup d'une faction. On aurait dit une faction qui disait à une autre: « Jusqu'où êtes-vous prêts à aller? »
    Cette courte période a permis à des institutions comme celle-ci de confirmer certaines rumeurs. Les gens ont pu écouter des audiences du Congrès américain et des audiences tenues en Europe et ils se sont rendu compte que les rumeurs étaient vraies.
    Donc, malgré mon exposé très dur, je tiens à souligner que cette audience-ci constitue un grand pas en avant pour le peuple chinois. Sincèrement.

  (1330)  

    Mon expérience me porte à croire que le Chinois moyen est quelque peu étouffé par ce qui se passe avec le Falun Gong, car lorsque l'on parle à des ressortissants chinois qui voyagent à l'étranger, au Canada ou aux États-Unis, ou que l'on discute avec eux de la question du prélèvement d'organes ou de la persécution du Falun Gong, on constate qu'ils ont peur. Ils évitent le sujet; ils ne veulent pas prendre un dépliant ou consulter la documentation. À mon avis, ce n'est pas qu'ils ne veulent pas savoir ce qu'il en est; ils ont peur parce qu'ils craignent d'être persécutés d'une façon ou d'une autre à leur retour. Donc, je crois que cela a pour effet de réduire au silence leur propre population.
    Si vous visitez le centre Yad Vashem, en Israël, vous verrez qu'on y a fait des efforts considérables pour dresser la liste des victimes de l'Holocauste. Au sein du mouvement Falun Gong et des collectivités ouïghoures et tibétaines, a-t-on essayé de faire la liste des personnes disparues pour avoir une idée du nombre de personnes qui ont été tuées dans le cadre de ce stratagème de prélèvements forcés d'organes?
    Je pense que ce que Damon vient de dire vaut aussi pour cela. Il y a deux problèmes. Le premier est évidemment que les familles ont peur de faire des recherches plus poussées pour retrouver un parent disparu. Le deuxième point, c'est qu'à un moment donné, beaucoup d'adeptes du Falun Gong ont choisi de demeurer anonymes parce qu'ils n'en pouvaient plus de voir des membres de leur famille perdre leur emploi ou avoir des ennuis, etc. Donc, lorsqu'on leur demandait leur nom, ils se disaient simplement des adeptes du Falun Gong. Lorsqu'on leur demandait d'où ils venaient, de quelle province, ils répondaient qu'ils venaient du cosmos. Ces personnes anonymes se comptent par milliers, peut-être par dizaines de milliers. J'ai eu des entretiens avec plus de 100 personnes, 100 adeptes. Parmi ces personnes, une seule est sortie de Chine vivante — une seule.
    Si je ne me trompe pas, M. Noto a indiqué qu'en Chine, la liste de donneurs d'organes légitimes ne compte que deux ou trois centaines de personnes. Or, pour arriver à ce nombre de transplantations, les militaires doivent avoir mis en place un système très perfectionné. Vous parlez d'au moins 10 000 par année, et ce nombre pourrait s'élever jusqu'à 20 000 ou plus. Avez-vous une idée de la structure et du fonctionnement de ce système?
    Nous avons une hypothèse selon laquelle il y aurait dans ces camps de prisonniers un genre de répertoire où seraient consignés le groupe sanguin et les types de tissus des gens, ainsi qu'une base de données quelconque qui rendrait ces données facilement accessibles. Nous savons que lorsqu'une personne se rend là-bas à des fins de tourisme médical, on parvient à trouver rapidement un donneur compatible, et ce, tant à l'échelle régionale qu'à l'échelle locale. Donc, pour que ce soit possible, il faut un genre de répertoire. Nous ne savons pas exactement comment cela fonctionne, mais c'est notre hypothèse.
    Lorsque je lui ai posé la question, le Dr Ko Wen-je a affirmé que pour ce faire, les médecins utilisaient un système électronique non officiel. Autrement dit, si quelqu'un cherche quelque chose et indique avoir besoin d'un groupe sanguin précis, l'information est transmise par ce système. Parmi les dissidents, on trouve de formidables pirates informatiques qui ont voulu pirater une base de données centrale quelconque. Nous ne sommes pas certains qu'il y en ait une.
    Monsieur Marston.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux simplement souligner que lorsque je suis arrivé ici en 2006, plusieurs députés que je ne nommerai pas m'ont dit de me tenir loin des adeptes du Falun Gong, qu'ils ont qualifié de fous. J'ai interrompu mes activités pour écouter ces députés et je me suis rendu compte qu'ils tenaient de tels propos parce qu'ils étaient consternés par le fait — horrible — que des gens étaient assassinés pour leurs organes. À l'instar d'autres personnes qui sont ici, j'ai appuyé des adeptes du Falun Gong pendant un certain nombre d'années, et d'après ce que je me rappelle, MM. Matas et Kilgour sont venus au moins trois fois pour nous présenter des informations. Je suis véritablement heureux du témoignage que vous avez livré ici aujourd'hui parce qu'il a accru notre degré de compréhension, ce qui est très important. Récemment, j'ai rencontré des adeptes du Falun Gong qui, je dirais, avaient bon espoir que la passation des pouvoirs que l'on voit en Chine représente une ouverture pour eux. Or, en vous écoutant aujourd'hui, j'en doute. Dans votre étude sur la question, avez-vous tenu compte de la passation des pouvoirs et de l'incidence que cela pourrait avoir?

  (1335)  

    Je ne suis pas un adepte du Falun Gong, mais de toute évidence, les adeptes de ce mouvement ont démontré un vif intérêt pour mon travail au fil des ans et j'ai souvent été journaliste intégré au sein du groupe. On m'a souvent indiqué que je devrais accélérer mes recherches. Lorsque je demandais pourquoi, on me disait que c'était en raison du changement à la tête du pays, de l'arrivée de Xi Jinping, etc. Ils tenaient les mêmes propos par rapport à Hu Jintao. Cela remonte à un certain temps, à son arrivée au pouvoir. Il s'avère que je n'ai pas dû intensifier mes recherches, parce que la situation posait toujours problème. En fait, pendant la rédaction, j'ai pensé que j'étais probablement en train d'écrire l'histoire parce que je me demandais comment les Chinois pourraient continuer à agir ainsi étant donné l'attention que suscite cet enjeu. Or, à ma grande surprise, cela se poursuit.
    À la lumière de votre témoignage, il semble y avoir là un système beaucoup plus perfectionné que ce que les gens avaient imaginé. Lorsqu'on parle du nombre de victimes, je ne pense pas que nous ayons déjà entendu parler de chiffres comme ceux que vous nous avez présentés aujourd'hui ni du fait que cela avait atteint une telle ampleur. Cela signifie donc qu'outre les dirigeants, un nombre effarant de personnes et un système tout entier utilisent les Ouïghours et les Tibétains comme source d'organes. C'est vraiment tragique.
    Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais notre premier ministre doit se rendre en Chine. Je ne sais pas si vous êtes en mesure de le déterminer ou non, mais pensez-vous que cela pourrait avoir une influence quelconque sur ce gouvernement? Vous avez fait allusion au commerce. Évidemment, si l'on remonte à un certain nombre d'années, nous étions parmi les premiers pays à se tourner vers la Chine. Je pense que nous avons l'occasion d'utiliser nos préoccupations à l'égard des questions liées aux droits de la personne pour soulever ce point, mais selon vous, y a-t-il une possibilité que cela soit accueilli favorablement?
    Oui; je vais essayer de répondre à la question.
    Fait intéressant, Israël — où la moitié de l'industrie des TI et des logiciels bénéficie des investissements chinois — a choisi d'interdire le tourisme à des fins de transplantation d'organes. Le pays l'a fait sans se soucier des répercussions économiques. En fin de compte, il n'y a eu aucune répercussion économique.
    Ce n'est qu'un exemple. Je ne dis pas que cela change tout.
    J'aimerais, si possible, parler de l'aspect politique. J'ai de la difficulté à imaginer que le Canada puisse vraiment utiliser le commerce comme une arme dans ce dossier. Voilà pourquoi j'ai demandé une chose que j'estime possible, soit la surveillance des procédures médicales au Canada.
    Nexen a des intérêts de 15 milliards de dollars dans les sables bitumineux. Il y a donc déjà une ouverture de ce côté.
    Pour revenir à vos commentaires sur la criminalisation du tourisme à des fins de transplantation d'organes, cela me semble une solution raisonnable. Une telle mesure a-t-elle été adoptée en Europe?
    Non, mais la moindre des choses serait d'avoir un avis des autorités médicales indiquant que les patients voyageant à l'extérieur du pays...
    Nous avons déjà adopté des mesures concernant les prédateurs sexuels canadiens qui se rendent à l'étranger. Pour moi, c'est un problème similaire. Nous devrions réagir.
    Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?
    Il vous reste une minute.
    Je ne suis pas si rapide que cela.
    Merci, monsieur le président
    Avant de passer au prochain intervenant, pourrais-je poser une question complémentaire sur un point précis?
    Vous avez indiqué qu'Israël l'a interdit. Israël a-t-il adopté une mesure semblable à celle que vous avez proposée, soit une loi qui prévoit que se rendre en Chine à cette fin constitue une infraction?
    Oui. La première mesure à entrer en vigueur était d'interdire aux compagnies d'assurance médicale israéliennes de rembourser les frais pour toute transplantation d'organes à l'étranger. Ensuite, Israël a mis en place des politiques visant à rendre illégaux les voyages en Chine à des fins de tourisme médical, en particulier pour une transplantation. Donc, la réponse est oui.
    Merci.
    Madame Grewal.
    Merci, monsieur le président. Merci aux témoins de leur temps et de leurs exposés.
    Le rapport Kilgour-Matas ainsi que les mesures prises par le Parlement européen et les Nations Unies ont-ils entraîné de véritables changements sur le terrain en Chine? La Chine a-t-elle freiné le trafic d'organes en raison de l'attention internationale?

  (1340)  

    Cela a eu certains effets, dont l'un est que beaucoup d'activités se font maintenant dans la clandestinité. Avant le rapport Kilgour-Matas, nous avions accès à beaucoup de choses. Il y avait, à Hong Kong, un registre public que l'on pouvait consulter, ce qui n'est plus possible depuis la publication du rapport. L'information est devenue plus difficile à obtenir, mais quant à la question de savoir s'il y a eu un ralentissement de ces activités, nous n'avons pas cette impression. La seule chose qui pourrait avoir entraîné un ralentissement, ce sont les Jeux olympiques de Beijing. Je ne crois pas que le rapport Kilgour-Matas ait eu un effet. Le fait que cela a été rendu public et que le problème est mieux connu a eu une incidence, mais cela n'a pas vraiment réduit le nombre de transplantations qui sont effectuées.
    Je pense qu'il y a un autre aspect, soit la réduction du taux d'exécution publique en Chine. Encore une fois, ce sont des prisonniers condamnés à mort. Il semble y avoir eu une baisse du nombre d'exécutions. Il semblerait que l'on procède à la fermeture de certains camps de travail, même si l'on n'observe pas une réelle diminution de la population globale des Laoga lorsque l'on regroupe tous les établissements: les prisons, les camps de travail, les prisons noires, les hôpitaux psychiatriques et les centres de détention. Donc, en réalité, c'est une réorganisation, en quelque sorte.
    Toutefois, on semble clairement cibler la clientèle occidentale. L'un des problèmes que nous avons eus à cet égard — si l'on aborde la question comme une lutte activiste quelconque —, c'est que certains médecins examinent la question et se contentent de dire que personne ne devrait être exécuté pour ses organes, point. D'autres se rangent plutôt du côté de Kilgour et Matas qui sont beaucoup plus préoccupés par les prisonniers d'opinion. Nous croyons vraiment que cela va beaucoup trop loin.
    En Europe, en raison de leur grande opposition à la peine de mort, les gens ont souvent tendance à mettre la province du Liaoning et le Texas sur un pied d'égalité.
    Concernant le tourisme à des fins de transplantation d'organes, combien y a-t-il de soi-disant touristes internationaux annuellement? Combien de Canadiens se rendent en Chine à cette fin chaque année?
    On parle de milliers de touristes. Je ne connais pas le nombre de Canadiens. Je peux vous dire qu'il y a plus de 100 ressortissants américains par année. Ce sont les chiffres que j'ai; je n'en ai pas pour le Canada. Toutefois, pour les États-Unis, la destination de choix pour les organes est la Chine, et cela augmente chaque année. Je ne connais pas les données pour le Canada, mais si vous regardez l'ensemble des pays, des milliers de personnes se rendent en Chine à des fins de transplantation d'organes.
    En passant — et je n'aime pas promouvoir le livre d'un autre auteur —, Daniel Asa Rose a écrit un livre intitulé Larry's Kidney, dans lequel il raconte avec beaucoup d'humour comment il est allé chercher un rein en Chine pour son incapable cousin.
    L'un de vous peut-il nous parler de la demande d'organes en Chine? Une mesure législative interdisant le trafic d'organes suffirait à enrayer la demande d'organes? Comment peut-on s'attaquer à cette demande de façon adéquate?
    Parlez-vous de la demande pour obtenir des organes? À l'échelle mondiale, la demande est énorme et je ne pense pas que l'adoption d'une loi puisse enrayer cette demande. Je crois cependant que cela empêcherait les citoyens canadiens à se rendre en Chine en grand nombre, mais la demande que nous voyons actuellement se maintiendra pendant des années.
    Je ne veux pas dire que la question des revenus est l'élément essentiel. Ce n'est peut-être pas l'aspect le plus important si l'on veut empêcher les Canadiens à se livrer au tourisme à des fins de transplantation d'organes. Toutefois, il est vrai qu'il existe des cas — du moins non confirmés — de gens qui ont payé jusqu'à deux millions de dollars pour l'un de ces organes. Si l'on parle de gens extrêmement riches, le genre de personnes que l'on pourrait trouver facilement au Japon, au Canada ou aux États-Unis, il est tout à fait possible que certaines de ces personnes aient payé ce genre de montants. C'est un incitatif.
    Il est vrai que les Chinois paient un prix deux fois moindre que les étrangers. Parfois, il est beaucoup plus bas que le prix pour les étrangers. Par exemple, si l'on prend le montant de 62 000 $ américains que l'on exigeait pour un rein en 2004, les Chinois payaient parfois aussi peu que 2 000 $ pour ce même rein. Il y a donc un aspect financier.
    Cependant, je pense que le point le plus important est le suivant: dans le domaine médical, la Chine a de grandes ambitions. Elle considère que l'industrie des médicaments est une industrie pilier, comme on l'appelle. La Chine se perçoit comme la nouvelle Rome, la nouvelle FDA, la destination de choix pour les gens qui voudront mener des expériences et faire approuver des médicaments. Tout message que peut lui envoyer cette institution pour faire savoir à la Chine qu'elle n'en est pas encore là est très important. Cela a certes un effet colossal, un effet bien plus important que ce que vous seriez prêts à reconnaître.

  (1345)  

    Ma dernière question s'adresse à M. Gutmann. Il semble que le système judiciaire chinois ait intérêt à exécuter les prisonniers afin de fournir de nouveaux organes au système de soins de santé. Par conséquent, comment peut-on briser le lien entre le système judiciaire et le système de soins de santé en Chine?
    D'après ce que nous a indiqué l'Organisation mondiale d'enquête sur la persécution du Falun Gong — qui compte sur une excellente équipe d'enquête formée de personnes d'origine chinoise qui se rendent sur le terrain, qui font des appels téléphoniques et qui apprennent à connaître les gens qui sont dans ce milieu — il s'agirait d'une sorte de système d'enchères, presque une guerre d'enchères pour les juges, une guerre qui opposerait les services de police armés aux hôpitaux militaires.
    Autrement dit, les hôpitaux militaires ont toujours eu carte blanche pour le prélèvement des organes des prisonniers d'opinion. Les services de police armée tentent de s'immiscer dans ce milieu. Voilà où en est la situation. Malheureusement, le système juridique est totalement corrompu. La plus grande tragédie dans toute cette affaire, c'est que deux des professions les plus respectées dans toute société — eh bien, ce n'est peut-être pas le cas de la profession juridique dans notre société —, mais les médecins le sont certainement dans toute société, et la profession est profondément minée par la corruption.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Cotler, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Comme on l'a indiqué, nous avons entendu des témoignages à ce sujet plus d'une fois, principalement de la part de David Kilgour et David Matas.
    Je dois dire que j'ai l'impression d'être à un point tournant dans ce dossier aujourd'hui en raison du nombre de considérations qui sont ressorties de vos témoignages aujourd'hui, lesquels forment, selon moi, le fondement de ce qu'il faut faire au point actuel, c'est-à-dire sonner l'alarme.
    Tout d'abord, il se commet actuellement un crime contre l'humanité. On a eu l'impression — peut-être en raison de ce que les autorités chinoises ont réussi à accomplir — que le phénomène était en régression ou que ces pratiques avaient été abandonnées. Je pense que le premier constat qui émerge, c'est qu'on commet des crimes contre l'humanité.
    De plus, ces actes sont sanctionnés par l'État. Je pense que c'est une dimension importante du problème.
    Ensuite, on prend pour cible des prisonniers politiques — principalement, mais pas exclusivement, des adeptes du Falun Gong —, de la manière dont on cible les minorités et les personnes vulnérables en Chine.
    Il existe en outre une culture d'impunité, et personne n'a été tenu responsable de ces actes.
    Enfin — et c'est là que l'affaire relève de notre responsabilité à titre de parlementaires —, si nous restons silencieux, nous devenons complices de tous les actes que je viens d'énumérer.
    J'ai déposé un projet de loi d'initiative parlementaire pour faire ce que vous avez proposé, monsieur Gutmann, c'est-à-dire criminaliser le tourisme de transplantation des organes. Ce projet de loi a été appuyé par ma collègue ici présente, Judy Sgro. Mais comme je suis membre du Parti libéral, le troisième parti, les choses n'iront nulle part. Je suis également en bas de l'échelle quand vient le temps de faire examiner des projets de loi.
    À mon avis, il faut convaincre le gouvernement d'agir dans ce dossier, car sans son appui, cela n'ira nulle part. Voilà pourquoi vos commentaires arrivent à point nommé pour le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, qui visiteront bientôt la Chine. Je ne prétends pas que le fait de soulever la question aura une incidence, mais je dis que de ne pas le faire en aura une, car la Chine pourrait alors conclure que nous ne prenons pas le problème au sérieux.
    Je pense donc que nos dirigeants doivent aborder le problème avec la Chine et que nous devons faire la promotion de ce projet de loi d'initiative parlementaire pour en faire un projet de loi émanant du gouvernement.
    Enfin — et c'est sur ce point que je voulais poser une question — comment pouvons-nous élargir des efforts de défense des victimes à l'échelle internationale? Comment pouvons-nous créer une masse critique de défense des droits au sujet des points que vous avez soulevés afin de mobiliser ceux qui ont honte pour qu'ils agissent contre la violation des droits de la personne afin d'avoir une incidence, en Chine dans le cas présent?
    Je ne peux parler que du point de vue médical. Notre objectif a toujours consisté à convaincre la communauté médicale internationale de rendre les choses très difficiles pour la Chine.
    Je vous donnerai un exemple. Les chirurgiens chinois qui effectuent des transplantations et la Chinese Medical Association sont encore membres de la société de transplantation internationale. Leur adhésion n'a pas été révoquée même s'ils ne se conforment pas aux normes internationales de transplantation éthique. La société continue de traiter avec la Chine, de garder ses membres en son sein et de lui parler au lieu de lui forcer la main en lui indiquant qu'elle ne peut rester membre, participer aux réunions et faire des exposés à moins qu'elle ne respecte les normes.
    Nous continuons d'appliquer des normes différentes pour la Chine, que ce soit dans les domaines économique ou médical. Si divers pays pouvaient exercer des pressions sur leurs propres organisations — nous travaillons avec l'American Medical Association, par exemple — et leurs sociétés de transplantation pour leur signifier qu'il faut vraiment faire quelque chose à propos du fait que la Chine est membre de ces organisations, cela les obligerait, du moins du point de vue médical, à dire « Écoutez, ces pratiques doivent cesser. Vous ne pouvez faire partie de notre communauté internationale et continuer de commettre ces crimes contre l'humanité contraires à l'éthique. »

  (1350)  

    J'ajouterais seulement que plusieurs États — j'ai témoigné en Écosse — ont certainement fait preuve d'un intérêt considérable. Qu'ils soient indépendants ou non, ils administrent leurs politiques en matière de santé et d'éducation. Ils se sont montrés très intéressés à mettre fin au tourisme de transplantation des organes et envisagent sérieusement d'agir à cet égard.
    En Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, le Parti vert a écrit un projet de loi magnifiquement conçu et très élaboré qui aurait mis fin au tourisme de transplantation des organes. Il l'a même fait sans faire mention de la Chine. C'était très futé de sa part, mais il jouissait apparemment d'un solide soutien bipartite, même s'il s'agit du Parti vert.
    Je pense qu'il y a d'autres États. Je vis à Londres et je ne m'attends pas à ce que Westminster agisse promptement dans ce dossier. C'est la banque mondiale, et Londres est le banquier du monde, mais il est intéressant de constater qu'il y a une sorte de confluence étrange entre l'Écosse, l'Australie et potentiellement le Canada. Ce sont les pays qui pourraient vraiment tout changer, parce qu'ils pourraient exercer des pressions sur Westminster. Ainsi, le seul fait d'envisager d'agir ou même d'avoir une sorte de coopération ou de coordination avec ces autres parties de l'étranger pourrait apporter un changement majeur. Si Westminster changeait d'avis ou subissait beaucoup de pression — les Irlandais font aussi preuve d'un grand intérêt, soit dit en passant —, on peut imaginer que Berlin pourrait changer son fusil d'épaule également.
    Je pourrais ajouter que je me suis inspiré du modèle australien et que je n'ai pas parlé directement de la Chine pour recueillir plus de soutien.
    Merci.
    Nous accordons maintenant la parole à M. Schellenberger.
    Je vous remercie de vos exposés d'aujourd'hui.
    Au sein du comité, j'ai entendu parler de nombreux événements tragiques et de choses dont on ne peut imaginer qu'elles se produisent encore de nos jours.
    Un de mes très bons amis a fait don d'un rein à sa soeur il y a bien des années. Elle a survécu 26 ans, je pense, après avoir reçu la transplantation. Elle est décédée il y a deux ou trois ans.
    Je sais qu'on ne peut transplanter de coeur et avoir deux personnes vivantes à la fin, mais est-ce qu'il s'effectue des transplantations de rein ou des transplantations partielles du foie en Chine actuellement?
    Nous pensons qu'il s'en fait très peu. C'est presque insignifiant au regard du nombre total de transplantations réalisées chaque année. Habituellement, si cela se produit dans le système carcéral, les gens sont évidemment exécutés et incinérés. Très peu de personnes se proposent pour faire don d'un organe à un parent ou un ami dans ce contexte. Il y a eu une augmentation ces dernières années dans la documentation en Chine, mais c'est minime.
    On ne vérifie pas tellement bien les faits non plus. Si nous avons une photo des trois chirurgiens, c'est parce que c'était une des très rares occasions où quelqu'un a fait don de ses organes. C'est la raison pour laquelle elle a été publiée. Même ainsi, les chirurgiens semblent extrêmement nerveux à propos de toute l'affaire.
    J'aimerais également faire remarquer qu'un des gros problèmes qui se posent, c'est que la norme internationale de transplantation exige qu'on soit disposé à faire l'objet d'un examen, ce qui signifie que le public devrait pouvoir consulter les données sur le nombre de transplantations et l'origine des organes, et savoir si on a procédé de manière éthique. La Chine ne fait rien de tel. Aucune tierce partie ne peut examiner ou vérifier les activités menées en Chine.
    C'est une part considérable du problème auquel la communauté de la transplantation est confrontée avec la Chine. Nous ne pouvons vérifier tout cela, car on ne nous permet pas de le faire. On ne nous donne accès à aucun renseignement.
    Le vieillissement de la population et la réalité démographique en Chine feront-elles augmenter encore la demande en transplantation d'organes au cours des prochaines décennies ou est-ce la communauté internationale qui maintient la demande élevée?

  (1355)  

    Je pense que les deux facteurs entreront en jeu. Le revenu familial moyen augmente en Chine, et la demande en organes à l'échelle mondiale ne fera que croître au cours des 5 à 10 prochaines années. À mon avis, donc, la demande augmentera.
    Précédemment, vous avez souligné — ou laissé entendre, je pense — qu'il serait préférable d'exercer des pressions sur la communauté médicale que d'agir directement auprès du gouvernement chinois. Je pense qu'il faudrait probablement agir sur les deux plans, mais tout de même, considérez-vous qu'il serait plus bénéfique d'exercer des pressions sur la communauté médicale internationale que de tenter d'en arriver à une résolution?
    En fait, je dirais simplement que j'en sais plus sur la communauté médicale, mais je pense qu'il faut agir sur les deux plans. Je sais qu'aux États-Unis, de nombreux médecins travaillent à une résolution, laquelle est actuellement devant le Congrès. On espère qu'elle sera adoptée cette année. On s'y oppose fermement contre le prélèvement d'organes en Chine et y interdit peut-être aux gens de pouvoir se rendre dans ce pays pour recevoir des organes.
    Je pense que la communauté médicale considère qu'il faut certainement agir sur les deux plans, mais pour nous, le problème est qu'elle fait preuve d'une certaine hypocrisie en disant qu'il faut faire quelque chose, alors qu'elle laisse quand même les Chinois faire partie de toutes ses organisations. Quand on parle d'être complice d'un crime contre l'humanité, il est très triste de voir qu'à notre époque, notre propre communauté médiale pourrait bien être complice d'un tel crime.
    Je pense que Damon a vraiment mis le doigt sur le problème. Le dilemme, c'est que si on pousse la communauté médicale à parler à ses homologues chinois pour tenter de les influencer, on amorce un processus de pourparlers. Nous l'avons fait pendant deux ans, et cela nous a menés exactement là où nous en sommes, avec une impression que la communauté médicale maîtrise en quelque sorte le problème et que ce dernier est plus ou moins en train de disparaître. Écoutez, c'est aussi l'impression que j'avais quand j'ai écrit mon livre, mais le fait est que ce n'est évidemment pas vrai.
    Vous avez donc un choix. Vous pourriez avoir à prendre des mesures plus punitives afin de vous faire comprendre, auquel cas les pourparlers pourraient ne pas être agréables. Ce serait un bon point de départ pour la communauté médicale, selon moi. Elle ne possède pas beaucoup d'expérience dans ce genre de négociations.
    J'ai déjà vécu à Beijing, où j'ai mené bien des négociations d'affaires. On n'arrive jamais en déclarant qu'on ne vérifiera pas ce qui se passe sur place.
    J'ai juste une remarque à formuler. Je sais que M. Cotler a dit qu'il a présenté un projet de loi d'initiative parlementaire, mais que puisqu'il se trouve au bas de l'échelle, son projet de loi ne sera probablement donc pas débattu.
    Bien souvent, nous entendons des témoignages dévastateurs pendant nos séances, des témoignages qui restent plus ou moins dans cette pièce, et il peut s'écouler six mois à un an avant que nous ne déposions notre rapport. C'est donc déjà de l'histoire ancienne.
    Je propose au comité qu'après avoir entendu vos témoignages — et je pense qu'il y en a d'autres —, nous émettions au moins une déclaration où nous ferions part du sentiment du comité sans attendre six mois. Peut-être que cela tombera dans une oreille qui écoutera.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Schellenberger.
    Monsieur Benskin, vous avez la parole.
    Nous entendons effectivement des récits assez horrifiants sur ce que les êtres humains s'infligent les uns aux autres dans le monde et sur toute l'ingéniosité dont ils peuvent parfois faire preuve pour trouver de nouvelles façons ou renouveler d'anciens moyens pour se faire du mal.
    J'ai une brève question, puis une question et un commentaire. Je présume que le problème du tourisme de transplantation des organes, dont le nom donne froid dans le dos, si vous me permettez l'expression, vient en grande partie du fait que les gens peuvent se le permettre, et la plupart des gens qui reçoivent des organes en Chine sont ceux qui en ont les moyens.
    Mais vous avez affirmé plus tôt que le citoyen chinois moyen paie beaucoup moins qu'un étranger ne le ferait. Pourriez-vous nous dire si vous pensez ou non que c'est une façon d'obtenir l'appui du grand public par rapport à ce qui se passe? Vous avez dit précédemment que le citoyen chinois moyen ne s'oppose pas tellement à ce qui arrive aux adeptes du Falun Gong.
    Serait-ce parce que cela leur permet d'avoir accès à des organes si jamais ils en ont besoin?

  (1400)  

    En quoi le touriste chinois moyen de la transplantation diffère-t-il d'un touriste occidental de la transplantation? Il n'existe pas de touriste de la transplantation « unique », parce que nous savons qu'il y en a toutes sortes. Aucun n'a écrit quoi que ce soit. Il est très difficile de les interviewer. Les hôpitaux se montrent évidemment très protecteurs, mais j'ai récemment réussi à organiser une entrevue avec un Chinois au Royaume-Uni, et je prévois l'interviewer à mon retour.
    Non. Les touristes de la transplantation ne se plaignent pas. Tout d'abord, ils sont tenus à l'écart du processus; ils peuvent donc nier ce qui se passe de façon vraisemblable. Ce sont des gens désespérés, qui voient un miracle se produire dans leur vie. Ils sont très malades et tout à coup, ils émergent d'un lit d'hôpital et peuvent vivre encore 25 ans.
    Je ne vois pas de grande différence à cet égard. Tout le monde peut prétendre que rien ne se passe, et ils ne sont pas différents. Le seul à avoir écrit sur le sujet est Daniel Asa Rose, un bon humoriste du Massachusetts.
    Je pense que cela fait partie des façons de faire habituelles en Chine. J'entends par là que si un occidental descend dans un hôtel en Chine, il paie environ 50 % plus cher que le Chinois moyen. C'est une pratique courante.
    Il est toutefois fort possible que les membres du Parti communiste jouissent d'un privilège à cet égard et que s'ils ont besoin d'une transplantation, ils ont aisément accès à des organes.
    D'accord, merci.
    Monsieur Gutmann, vous avez indiqué précédemment que l'aspect économique de la question — je ne me souviens pas des mots que vous avez employés — n'entre pas tellement en ligne de compte. Je vous demanderais de vous expliquer, ou je vais mettre cette affirmation un peu en question, pour la simple raison que nous avons vu, au cours de l'histoire, comment diverses cultures dominantes ont recouru à une forme ou une autre d'inhumanité envers des êtres humains — comme dans le cas des esclaves en Amérique — pour stimuler l'économie de leurs pays.
    Il me semble que la manière dont les Chinois sont en train de se constituer un ensemble de compétences — vous me pardonnerez l'expression —, même dans l'expérimentation de médicaments, de produits pharmaceutiques et de choses de cette nature, s'apparente à ce que les nazis ont fait dans les camps de concentration, à la manne économique que l'esclavage représentait en Amérique et à ce qui se passe dans d'autres pays du monde concernant la main-d'oeuvre peu ou pas rémunérée.
    En ayant ce qui est littéralement un coffre au trésor d'organes disponibles sur demande, la Chine dispose d'une énorme réserve économique. On ne peut faire fi de l'aspect économique du problème. Je pense que l'Occident peut tout d'abord mettre fin au tourisme de la transplantation d'organes afin de priver la Chine de cet aspect de la manne économique. Nous pouvons dire que nos citoyens ne peuvent aller là-bas et contribuer à cette situation en contournant nos lois et en se rendant en Chine pour recevoir des organes.
    Qu'en pensez-vous?
    En effet, ce que vous venez de dire est très convaincant.
    J'ajouterais simplement que la Chine a tendance à faire son sale boulot sous le couvert d'entreprises, lorsque c'est possible. Autrement dit, Deng Xiaoping, un ancien dirigeant militaire, a dit aux militaires qu'ils devaient commencer à payer leurs choses parce que cela coûtait trop cher et qu'ils devaient faire tout ce qu'il fallait pour gagner de l'argent. On s'est donc retrouvé avec de la prostitution, entre autres, dans toutes sortes d'hôtels, et avec de la drogue, dans certains cas. En fait, lorsque la crise du sida est arrivée en Chine, l'armée l'a en grande partie réglée en mettant un terme à la prostitution et à la drogue.
    Par conséquent, les militaires s'en sont certainement servis à leur façon pour faire de l'argent, et cela représente probablement beaucoup pour eux. On parle sans doute de pots-de-vin versés à d'autres responsables qui s'ennuieront d'une partie de cet argent, même s'il s'agissait d'une petite somme.
    Je suis d'accord avec vous. Je dis simplement qu'il ne faut pas se contenter de l'aspect financier. On cherche ici à détruire un peuple. Je ne sais pas si cela correspond à la définition exacte d'un génocide; mais chose certaine, il s'agit d'un massacre. On tente d'éliminer le Falun Gong, qui est devenu un groupe problématique — plus que problématique, un groupe qui s'entête à rester. On était censé s'en débarrasser après trois mois, mais les pratiquants sont toujours présents, comme vous le savez.
    Je pense que le leadership... c'est devenu une question d'image, une question de fierté nationale. Ces deux éléments sont malheureusement étroitement liés.

  (1405)  

    J'aimerais faire une brève observation. Sur le plan économique, cette industrie est estimée à plus de 1 milliard de dollars par année. Si le travail est bien fait et qu'on peut extraire plusieurs organes, une personne peut valoir près de 500 000 $.
    Toutefois, pour revenir à ce que disait Ethan, on a les conditions idéales pour créer une jolie tempête. On a un groupe de gens dont le gouvernement veut se débarrasser. Il s'agit d'un groupe qui pose problème au gouvernement, un groupe vulnérable, et le gouvernement a trouvé un moyen de faire beaucoup d'argent à ses dépens. Et j'en conviens, il est difficile d'interrompre un tel système.
    Et cette tempête s'est répétée à plusieurs reprises au cours de l'histoire. Dans tous les cas, on s'est retrouvé avec une combinaison parfaite d'accessibilité, de besoins futurs et de pures inventions en vue de diaboliser un groupe de gens et de rendre cette situation plus acceptable aux yeux de la population dans le but de les isoler.
    Il y a un autre facteur que les gens négligent souvent, selon moi. La campagne lancée contre les pratiquants du Falun Gong visait à rendre toute la société complice. Cela signifie les plus bas niveaux, même les vieilles dames qui arborent un brassard et qui parcourent les hutongs en s'assurant qu'ils sont propres. Tout le monde doit s'en mêlé. Tout le monde devait se prononcer contre le Falun Gong, du préposé au ramassage de chiens jusqu'aux plus hauts échelons.
    Toute la société doit en quelque sorte être solidaire. C'est le gros problème en Chine, et c'est aussi une grande tragédie, parce qu'au bout du compte, la démocratie devient impossible lorsque tout le monde est coupable.
    Merci.
    M. Tyrone Benskin: Je vous remercie de votre indulgence.
    Le président: Je me suis montré très patient. Vous en êtes à neuf minutes.
    Il n'y a pas de problème; on a eu droit à des réponses très complètes.
    Je vais maintenant poser quelques questions qui font suite à celles de M. Benskin, après quoi nous allons conclure.
    Monsieur Noto, vous avez estimé qu'il s'agissait d'une industrie de 1 milliard de dollars, et qu'une personne valait près de 500 000 $. J'imagine que c'est lorsque les organes sont extirpés et que plus d'un organe est utilisé. Juste pour mettre les choses au clair, si cette industrie n'était pas rentable, on cesserait ces activités. Lorsque vous dites qu'une personne vaut 500 000 $, parlez-vous des profits ou du volume de ventes?
    Je parle du volume de ventes.
    D'accord. Dans ce cas, les profits seraient considérablement inférieurs à 1 milliard de dollars.
    C'est exact.
    Très bien. C'est très pertinent.
    Cela soulève une question. Étant donné la taille et l'influence de la Chine, et le fait que les autres pays, toute la communauté internationale, n'adopteront pas une attitude de confrontation à l'égard de la Chine ou de tout autre abus commis par le régime de la RPC comme ils le feraient pour n'importe quel autre pays dans le monde, nous pouvons seulement les influencer en leur montrant qu'ils n'agissent pas dans leur meilleur intérêt et en les amenant à changer eux-mêmes leurs pratiques. Est-ce que toute cette industrie de la transplantation d'organes revêt, selon vous, un intérêt considérable pour l'État, aux yeux des gens du régime qui ont la capacité de faire bouger les choses? Peut-on supposer que cette industrie présente un intérêt majeur pour l'État qui ne changera pas, comme la politique d'une seule Chine par exemple, ou s'il s'agit plutôt d'une activité périphérique jugée non essentielle dans les bonnes circonstances?
    J'aimerais vous entendre tous les deux là-dessus, mais je vois que M. Gutmann est déjà prêt à répondre.
    J'aurais quelque chose à dire à ce sujet.
    J'ai bien peur que ce ne soit ni l'un ni l'autre. Je pense que le problème...
    Supposons un instant que de nombreux dirigeants chinois souhaitent que cette situation ne soit jamais arrivée et regrettent qu'on en soit rendu là. Le problème, c'est qu'il y a deux factions rivales en Chine qui se livrent bataille. Je ne peux même pas dire laquelle est la meilleure; je n'ai pas de préférence. Il pourrait bien s'agir des Bloods et des Crips; cela m'importe peu. Ce qu'il faut savoir, c'est que ni l'une ni l'autre ne peut y mettre fin et, parmi ceux qui le feront, il y aura quelqu'un qui sera blâmé et une faction qui prendra le blâme. Pour cette raison, comme le jeu de la chaise musicale, il ne faut pas s'arrêter.
    C'est ainsi que je perçois la situation. Ils sont coincés et ne savent pas comment y mettre un terme. Ils ont peut-être même fait une tentative dans le milieu médical, mais ils ont cru que cela ouvrirait une boîte de Pandore, qu'ils se retrouveraient confrontés à un important problème une fois qu'ils auraient exposé la situation.
    Je me trompe peut-être. C'est mon interprétation des événements.

  (1410)  

    Avant de passer à autre chose, vous dites que si on cesse le prélèvement d'organes, on fait la lumière sur toute l'histoire. Est-il possible de mettre fin à cette situation sans qu'il n'y ait d'enquête approfondie à savoir qui est responsable ni de poursuite à l'égard des pratiques antérieures et ce genre de choses?
    Le problème, c'est que si vous avez deux factions qui s'attaquent mutuellement, lorsqu'on commence à admettre quelque chose, on s'engage sur une pente glissante menant à des poursuites, des enquêtes, etc. C'est ce que je comprends. Je n'ai pas de preuve absolue de ce que j'avance; c'est seulement mon interprétation.
    Merci.
    Monsieur Noto, avez-vous quelque chose à dire?
    À ce sujet, je pense que les pratiquants du Falun Gong avaient bon espoir que lorsque Xi Jinping, le nouveau président, arriverait au pouvoir, — il semble que ce soit Jiang Zemin qui ait donné l'ordre d'amorcer le prélèvement forcé d'organes — il serait possible de s'entretenir avec le nouveau régime pour mettre fin à ces tortures. Toutefois, cela ne semble pas s'être produit car, comme M. Gutmann le disait, dès qu'on commence à admettre quoi que ce soit, il y a un effet d'enchaînement. Par conséquent, je ne crois pas qu'ils savent comment gérer la situation.
    Merci beaucoup; c'est très utile.
    Nous avons un peu dépassé notre temps. Avant de lever la séance, je tiens à signaler que MM. Gutmann et Noto témoigneront demain, à l'occasion d'une séance publique qui se tiendra à 12 h 15, dans la salle 268 de l'édifice La Promenade, ou comme nous l'appelons maintenant, l'édifice de la Bravoure. Cette réunion sera coanimée par MM. Marson et Cotler ainsi que moi-même. J'espère vous y voir en grand nombre. Ce fut une séance très informative. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir été des nôtres aujourd'hui.
    Merci.
    La séance est levée.
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