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Bonjour à tous, mesdames et messieurs.
Je vous souhaite la bienvenue à la 12 e séance du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude sur l'industrie du logiciel de divertissement.
Nous recevons trois témoins de deux organisations. Le premier est Jason Della Rocca, directeur général d'Execution Labs.
Les autres sont Geneviève Poulin, conseillère, Affaires corporatives, et Nathalie Verge, conseillère principale, Affaires corporatives, chez Ubisoft Divertissement Inc.
Bienvenue à tous.
Je précise que vous avez 10 minutes pour nous présenter vos exposés. J'aimerais que vous respectiez le plus possible cette limite de temps. Je voudrais cependant demander aux représentantes d'Ubisoft si elles vont se partager le temps imparti pour l'exposé? Oui.
Nous allons commencer par M. Della Rocca.
Veuillez nous présenter votre exposé.
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Je vous remercie infiniment de m'avoir invité. C'est un grand honneur pour moi d'être ici.
Je travaille dans le milieu du jeu vidéo depuis presque 20 ans. Pendant ma carrière, j'ai surtout occupé des fonctions qui visaient à appuyer et à construire l'industrie du jeu, ici au Canada comme à l'étranger.
J'ai été président de l'International Game Developers Association pendant presque neuf ans. Il s'agit de l'association qui regroupe les concepteurs de jeux vidéo du monde entier. Je travaillais de Montréal, bien que les bureaux de l'association se trouvent en Californie. J'ai également été consultant pendant trois ans pour des gouvernements du monde entier qui se demandaient comment stimuler la croissance de leur industrie du jeu vidéo, quelle que soit la région ou le pays. J'ai gagné beaucoup de AIR MILES, mais c'était intéressant de parcourir le globe et d'observer les différents écosystèmes de jeux et les défis qui existaient à l'étranger. En tant que Canadien, je faisais la comparaison avec ce que nous avons ici.
Plus récemment, j'ai co-fondé Execution Labs. Execution Labs est un incubateur d'entreprises qui finance et accompagne les entrepreneurs en démarrage dans l'industrie du jeu, plus particulièrement les développeurs de jeux mobiles. C'est un incubateur totalement financé par du capital de risque. Nous allons finir par profiter des allègements fiscaux ou des crédits fiscaux du Québec, mais pour l'instant, c'est une entité financée par des fonds privés. Elle est reconnue dans le monde comme une pionnière qui propose un modèle novateur pour appuyer les entreprises en démarrage dans l'univers du jeu vidéo.
Soit dit en passant, je siège aussi au comité consultatif en TIC du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, ce qui me procure une occasion intéressante de voir comment certaines parties du gouvernement appuient l'industrie et la perçoivent. Mon rôle de conseiller au MAECD m'a permis de constater que les mesures du succès sont limitées, parce qu'elles sont très axées sur la création d'emplois, un paramètre fantastique, mais insuffisant pour juger du succès dans un secteur aussi axé sur le contenu et sur la propriété intellectuelle. Je pense qu'il faut favoriser une perspective beaucoup plus globale de l'industrie du jeu vidéo et des paramètres économiques qui l'entourent.
J'aimerais faire le postulat que la véritable valeur de l'industrie du jeu, sa richesse, vient de la création de nouvelle propriété intellectuelle, de propriété intellectuelle originale. Cette propriété intellectuelle ou PI est créée par des développeurs talentueux, qui sont nombreux au Canada, mais il faudrait mesurer leur succès en fonction de leur carrière plutôt que du seul point de vue des emplois créés. Les créateurs de jeux travaillent au sein d'entreprises en démarrage, si bien que nous pouvons tirer avantage de l'entrepreneuriat dans l'industrie du jeu pour lancer de nouvelles entreprises.
Je vais vous raconter l'histoire d'un groupe de la Finlande. Nous la battons peut-être facilement au hockey, mais dans l'industrie du jeu, la Finlande domine le monde en ce moment. Il y a là une entreprise du nom de Supercell, dont les bureaux se trouvent à Helsinki et qui a été fondée en 2010, donc il y a moins de quatre ans. Elle a été fondée par de vieux routiers de l'industrie du jeu, avec quelques autres studios de la Finlande et quelques employés de Nokia. À ce moment-là, Nokia traversait une période sombre, qui n'est pas sans rappeler la situation de BlackBerry de nos jours. Elle a reçu un financement de démarrage de 2 millions de dollars, à peu près, en 2010. Environ deux ans plus tard, elle obtenait 780 millions de dollars de financement.
Elle a commercialisé deux jeux pendant sa courte vie, deux jeux qui généraient plus d'un million de dollars de revenus par jour. C'est un type de jeu particulier, en ce sens qu'on peut y jouer gratuitement d'un téléphone cellulaire, c'est-à-dire qu'on peut le télécharger et jouer gratuitement. Mais une fois qu'on est embarqué dans le jeu, il y a d'autres possibilités, et on peut acheter une super épée, obtenir certains bonus plus vite, etc. Essentiellement, ce sont des jeux gratuits, mais ils génèrent 1 million de dollars par jour.
Il y avait 125 employés qui travaillaient à développer ces deux jeux. Par comparaison, Electronic Arts, l'une des grandes bêtes de l'industrie du jeu à ce moment-là, qui avait une librairie de plus de 800 jeux et 5 000 ou 6 000 employés dans le monde, était bien loin de générer autant de revenus. Moins de quatre ans plus tard, à peu près, je pense que c'était en octobre ou en novembre, Supercell a vendu 51 % de ses actions à des investisseurs du Japon pour 1,5 milliard de dollars.
Bref, une poignée de personnes qui se sont lancées en affaires à Helsinki en 2010, avec deux jeux et de la propriété intellectuelle originale, ont réussi à mettre la main sur 1,5 milliard de dollars après avoir déjà engrangé 780 millions de dollars. Ces gens étaient tellement fiers d'eux et des revenus qu'ils ont générés. Il faut souligner qu'il y a divers programmes d'aide gouvernementaux en Finlande, des mécanismes de financement de la R. et D., etc. Ils ont publié leur facture d'impôt de 345 millions de dollars dans les journaux tellement ils étaient fiers de redonner leur part de taxes sur les profits réalisés à leur pays.
Ce n'est qu'un exemple de petite entreprise en démarrage fondée par des entrepreneurs ayant créé de la PI originale qui a généré énormément de richesse. Bien sûr, c'est une exception. Ce n'est pas toutes les entreprises en démarrage qui vont connaître le même résultat, mais nous devons nous demander comment profiter de l'expérience et du climat favorable que nous avons créé au Canada pour continuer de croître, de connaître du succès et créer le prochain grand hit.
Le Canada est vulnérable. Nous avons connu du succès, mais si l'on prend l'exemple de Vancouver, en 2008-2009, elle a perdu presque la moitié de son effectif en période économique difficile parce que beaucoup de studios là-bas mettaient l'accent sur les grands budgets, les jeux destinés aux grandes consoles. L'industrie a été décimée, elle est passée d'à peu près 5 000 travailleurs à environ 2 000 ou 2 500.
En général, dans la Silicon Valley, on voit les entrepreneurs canadiens comme des personnes qui manquent d'ambition et de sens des affaires. Réfléchissons-y. Comment ne pas être contre-productifs pour les entrepreneurs?
Je vais vous donner quelques exemples. Il faut élargir l'accès aux fonds de démarrage, pour financer les nouveaux studios qui voient le jour dès le début. Il faut accepter la possibilité de l'échec, mais de l'échec rapide et à peu de frais, et voir l'échec comme une étape du processus vers la découverte du succès. Il faut concevoir un système d'éducation qui n'est pas exclusivement axé sur l'emploi. Il faut former les étudiants à l'entrepreneuriat, améliorer leur capacité de réaction et leur donner l'occasion d'exprimer leur sens d'entreprise. Il faut également prioriser la rétention des talents, investir dans les talents, voir les talents comme des travailleurs, des personnes que nous voulons voir mener de longues carrières dans l'industrie, ne pas voir que les emplois. Il faut surtout réfléchir à de nouvelles façons de mesurer le succès dans l'industrie du jeu, à de nouveaux paramètres comme le volume de la nouvelle propriété intellectuelle créée, le nombre de nouvelles entreprises en démarrage, les fonds investis et le capital de risque investi.
Je suis étonné que le MAECD ne considère pas le capital de risque comme un investissement étranger. Quand quelqu'un arrive à attirer du capital de risque de la vallée, ce n'est pas considéré comme de l'investissement direct étranger. On considère qu'il y a investissement direct étranger seulement quand une entreprise étrangère, comme Ubisoft, vient ouvrir un studio ici. Je trouve cela particulièrement bizarre.
Ce sont quelques idées que je lance rapidement. Je pense que le principal message que je veux vous transmettre, c'est qu'il faut réfléchir à la façon dont on peut créer de la nouvelle propriété intellectuelle, parce que c'est là où se trouve la valeur réelle et c'est de là que vient la richesse dans une industrie axée sur le contenu. Comment créer cette PI avec des talents que nous conservons à long terme et comment pouvons-nous voir ces talents du point de vue de la carrière? Ensuite, comment pouvons-nous appuyer les entreprises en démarrage afin qu'elles créent cette PI?
Pour conclure, je dois vous dire que je serais très heureux de vous signer un chèque de 345 millions de dollars de taxes si je connaissais le même sort.
Merci beaucoup.
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Ubisoft est une société française. Elle est un leader dans le domaine du développement, de l'édition et de la distribution de jeux vidéo et de logiciels interactifs. Nous sommes présents dans 28 pays dans le monde et nous comptons 9 200 employés, dont environ 3 350 ici au Canada. Nous sommes installés dans trois villes canadiennes, soit Québec, Montréal et Toronto. Les studios canadiens travaillent sur des projets à grand déploiement, ce que nous appelons des projets AAA qui ont de gros budgets et qui sont issus des marques phares de notre groupe. Vous connaissez peut-être
Assassin's Creed,
Tom Clancy's Splinter Cell et
Far Cry.
Ubisoft est le plus grand employeur dans le domaine du jeu vidéo au Canada. L'industrie est extrêmement compétitive. Pour développer des jeux qui répondent aux attentes très élevées des joueurs, il faut absolument miser sur une chose essentielle, à savoir le talent de nos créateurs, de nos artistes, de nos designers, de nos techniciens et de nos programmeurs. C'est la véritable clé du succès. Il faut aussi s'assurer de maintenir un équilibre entre les employés ayant plus ou moins d'expérience et d'ancienneté au sein de nos équipes de travail pour assurer la qualité de nos jeux. Je vous donne un peu plus de détails à ce sujet.
Ubisoft est présent au Canada depuis à peu près 17 ans. On s'est d'abord installé à Montréal, en 1997. Nous avons alors fondé le studio d'Ubisoft à Montréal. C'est le plus gros du groupe Ubisoft dans le monde et un des plus gros studios de jeux vidéo au monde. Le studio d'Ubisoft à Montréal emploie actuellement 2 650 personnes. Vous avez peut-être entendu l'annonce de l'automne dernier. On prévoit la création de 500 nouveaux emplois au cours des 7 prochaines années.
Je vais vous présenter le portrait de notre main-d'oeuvre: environ 80 % de nos employés sont des Canadiens ou des résidents permanents et environ 20 % d'entre eux sont des travailleurs étrangers ayant un permis de travail.
Le second studio que nous avons ouvert au Canada, en 2005, est celui de la ville de Québec. Il compte environ 325 employés dont 90 % sont des Canadiens et des résidents permanents. Le studio de Québec a annoncé, le mois dernier, que 100 nouveaux emplois seront créés au cours des trois prochaines années. Il y aura aussi des investissements de plus de 30 millions de dollars pour mettre les installations à niveau et produire des jeux de nouvelle génération encore plus modernes.
Le dernier studio de la famille Ubisoft au Canada est celui de Toronto qui a été inauguré en 2010. Ce studio compte 300 employés et prévoit en avoir éventuellement 800. Nous nous engageons à avoir 800 employés d'ici 2020. Au studio Ubisoft Toronto, 80 % des employés sont des Canadiens et des résidents permanents et 20 % d'entre eux ont un permis de travail. Ubisoft Toronto vient tout juste de lancer son premier jeu AAA cet été, à la suite de l'ouverture.
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Je vais vous parler des facteurs qui ont contribué à l'implantation aussi forte d'Ubisoft au Canada et qui expliquent sa croissance importante. En effet, en 17 ans, on a généré assez rapidement un peu plus de 3 000 emplois dans une jeune industrie.
J'imagine qu'on va tous vous dire la même chose, à savoir que le premier facteur est la disponibilité et la compétence de la main-d'oeuvre. Quand Ubisoft a fait le pari de venir en Amérique du Nord, elle s'est établie à Montréal parce qu'il y avait une base artistique. Le grand nombre d'artistes était un facteur très important.
Il y avait aussi des gens bilingues. Pour une compagnie française qui travaille sur tous les continents et qui s'installe en Amérique du Nord, c'était avantageux d'avoir des gens qui pouvaient parler facilement le français et l'anglais afin de travailler avec d'autres studios.
Il y avait aussi une base d'entreprises de télécommunications et de développement de logiciels. À l'époque, Softimage et Téléglobe étaient des entreprises très fortes à Montréal. Le potentiel était bon. C'étaient des facteurs déterminants pour venir s'installer au Canada.
Au fil du temps, on a cultivé le talent. En 2005, on s'est aperçu qu'il y avait moins de ressources junior que l'on pensait. Il fallait former beaucoup plus de gens pour continuer à croître. Alors, on a bâti le campus Ubisoft. Quand je dis bâti, je ne veux pas dire qu'on construit quelque chose en partant de rien. On s'est associé avec des institutions collégiales et universitaires où nos employés sont allés former directement leurs étudiants à quelques-unes de nos réalités comme nos aires de production et le travail multidisciplinaire entre artistes et ingénieurs programmeurs. Grâce à cela, on a formé plus de 400 nouveaux travailleurs, dont 50 % sont venus chez Ubisoft. L'autre moitié est allée à travers l'industrie, que ce soit à Montréal ou ailleurs au Québec. Donc, cela a donné un bon coup pour augmenter le bassin de main-d'oeuvre junior, c'est-à-dire des gens fraîchement sortis du collège.
De plus, on a lancé Academia. C'est un concours universitaire où plusieurs universités du Canada et d'ailleurs dans le monde compétitionnent, font des prototypes et travaillent en équipe pour bâtir le meilleur jeu possible. Ubisoft organise cela depuis quelques années. On a organisé des camps d'immersion pour que les jeunes apprennent ce que c'est que de faire un jeu vidéo. C'est aussi conçu pour que leurs parents comprennent qu'une carrière en jeu vidéo, c'est lucratif et prometteur. Comme le disait M. Della Rocca, ce n'est pas seulement un emploi, c'est une carrière à long terme.
Il existe aussi au Québec un comité sectoriel de la main-d'oeuvre nommé TECHNOCompétences. Ce comité s'occupe de faire de la formation continue, surtout pour les petites et moyennes entreprises. Son but est de continuer à former et à accroître le niveau de formation de la main-d'oeuvre. Bref, il s'agit de ne jamais perdre the edge.
Les incitatifs fiscaux sont évidemment un deuxième facteur qui a convaincu Ubisoft de se localiser au Canada et de continuer à y croître. En 1997, le risque était grand d'offrir à une entreprise un crédit d'impôt de 50 % sur la masse salariale. Toutefois, le pari a été tenu et cela a fait en sorte que la croissance s'est poursuivie. Les entreprises sont venues s'installer au Canada et au Québec. De plus, toutes les provinces ont suivi en développant leurs propres incitatifs. Le crédit d'impôt recherche et développement contribue aussi au succès et à l'innovation dans notre industrie. Les gouvernements ont toujours été sensibles aux projets de modernisation et de croissance de nos entreprises.
L'environnement d'affaires est un troisième élément. Les institutions financières et les gouvernements nous comprennent bien. Nous sommes une industrie à risque, une industrie du divertissement, ce qui est toujours à risque. On raconte des histoires dans la vie. C'est ce qu'on fait. Toutefois, il existe maintenant une bonne compréhension de notre industrie, ce qui aide à la croissance.
Finalement, le dernier facteur est l'écosystème global. Cela inclut les institutions d'enseignement, les centres de recherches qui nous poussent à aller toujours plus loin, la présence de nombreux studios de start-up et autres.
Voilà quels sont les facteurs qui contribuent à notre croissance.
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Malgré que l'environnement soit favorable au Canada, certains enjeux sont à noter. Nous allons en souligner trois, à commencer par le principal dont on parle souvent, soit la mobilité de la main-d'oeuvre. Je crois qu'il est très important de mentionner que notre entreprise — et c'est le cas de l'industrie en général — déploie énormément d'efforts, en termes de temps et d'argent, pour développer les compétences des Canadiens, des jeunes, des étudiants ainsi que celles de notre propre main-d'oeuvre. Elle s'efforce vraiment de faire du recrutement au Canada. Malgré cela, nous constatons une pénurie importante de main-d'oeuvre, surtout aux niveaux intermédiaire, sénior et expert.
Face à cette réalité, nous devons nous tourner vers l'étranger pour l'embauche, même si cela représente des coûts très importants pour notre compagnie. Embaucher des gens à l'extérieur du pays est la seule façon d'assurer la qualité de nos jeux et de répondre aux attentes très élevées des consommateurs. Cela comporte cependant un avantage: l'expertise de ces personnes leur permet de former des Canadiens, ici. Notre main-d'oeuvre peut donc se développer ici et acquérir une expertise qui n'est pas disponible au Québec ou au Canada.
Nous faisons face à certains obstacles au cours du processus d'embauche au plan international, notamment les longs délais encourus pour obtenir des avis sur le marché du travail, surtout depuis la suspension du processus accéléré, des resserrements proposés au programme de transfert intra-entreprise, une limite de quatre ans pour les permis de travail, des délais et un traitement inégal dans les ambassades, etc. Tout cela complique beaucoup le processus servant à trouver ces ressources, qui sont vraiment essentielles pour nous.
Le deuxième point concerne le crédit d'impôt pour la recherche et développement. Ce dernier est nettement plus avantageux pour les compagnies canadiennes que pour les filiales étrangères. Si la différence de traitement entre les compagnies canadiennes et les compagnies étrangères pouvait être réduite, ce serait vraiment appréciable.
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Oui. Vous avez bien raison.
[Français]
L'environnement est vraiment intéressant.
Cependant, dans les domaines de la programmation et de l'informatique, on est en concurrence avec beaucoup d'autres industries. L'industrie des télécommunications et celle des technologies de l'information sont énormes. Elles sont beaucoup plus grandes que celle du jeu vidéo. L'environnement concurrentiel est très important.
Par ailleurs, peu de gens pensent s'inscrire dans des programme de métiers spécialisés comme celui de level designer. Ces programmes sont quand même assez spécialisés. Ceux qui veulent s'y inscrire ne sont pas nécessairement acceptés. Ces métiers sont très sophistiqués. Il y a pénurie surtout aux niveaux intermédiaire, sénior et expert.
L'industrie au Canada est donc jeune. Elle a peut-être une quinzaine d'années. Il est difficile de trouver les employés talentueux qui ont 10 ans d'expérience ou plus et qui sont experts dans leur domaine. Il n'y en a pas énormément au Canada. On commence à voir des employés de niveau junior qui progressent et qui ont 10 ans d'expérience. De plus en plus, ils se répartissent dans diverses entreprises. Nous ne sommes plus seuls sur le territoire. Il y en a énormément d'autres. Plusieurs d'entre eux choisissent de fonder leur propre compagnie. Il y a donc une rivalité entre les entreprises qui veulent engager ces employés talentueux. Tous ces facteurs, soit la spécialisation des métiers, la concurrence et l'expérience, sont les éléments qui créent une pénurie.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie tout le monde d'être ici aujourd'hui.
Poursuivons un peu la conversation sur la difficulté de trouver des talents chevronnés. Le bassin de talents est limité, et ils sont très recherchés. Il arrive de temps en temps qu'on se fasse voler quelqu'un à un moment critique d'un projet.
Jonathan Lutz, qui travaille chez EA, nous en a parlé lundi dernier. Lorsqu'une entreprise évolue à un très haut niveau, je pense à de grandes entités comme la LNH ou la FIFA, qui doivent respecter un calendrier précis — ou dans le cas d'Ubisoft, on peut penser au cas d'Assassin's Creed —, puis qu'elle perd un haut gestionnaire, tout le projet peut dérailler et lui faire perdre des millions de dollars si elle n'arrive pas à remplacer la personne dans une très courte période de temps.
Une entreprise comme Ubisoft, qui a des bureaux dans différents pays du monde, peut avoir accès à un talent d'envergure dans un autre de ses bureaux ailleurs qu'au Canada, mais avoir de la difficulté à faire venir la personne à ce moment critique.
Je voudrais simplement vous poser une question parce qu'il y a des changements qui vont être apportés aux programmes et qui pourraient exiger que les employés soient à l'emploi de l'entreprise depuis trois ans plutôt qu'une seule année. Est-ce que les dirigeants d'Ubisoft voient cette mesure comme un plus ou un moins pour attirer les talents d'ailleurs?
Comme Mike le disait, nous avons eu beaucoup de plaisir à Québec. J'ai eu l'occasion de visiter les studios de Montréal l'année dernière et d'y voir des choses fantastiques, le studio 3D en particulier. Ubisoft a réussi à attirer des concepteurs 3D d'Industrial Light & Magic, qui a la réputation d'être au top de l'industrie.
C'est merveilleux de constater la profondeur du jeu vidéo de nos jours. Pour quiconque joue à des jeux vidéo, le niveau de détail et la profondeur des jeux d'aujourd'hui sont incroyables, ils sont extrêmement réalistes. C'est quelque chose. Ce sont aussi des compétences transférables dans d'autres domaines qui utilisent la modélisation en 3D, pour des simulateurs, pour l'aviation et bien d'autres choses.
J'aimerais maintenant m'adresser un peu à Jason pour parler de l'effet d'incubateur. Vous faites partie d'une entreprise qui aide des petites entreprises à prendre leur envol. Bien sûr, il nous faut beaucoup d'entreprises en démarrage, beaucoup d'entrepreneurs et beaucoup de concepteurs de jeux vidéo pour que l'industrie continue de croître, parce qu'il va y avoir beaucoup d'entreprises différentes avant que l'une d'elles ne perce vraiment.
À quel point est-il important de favoriser l'entrepreneuriat et la formation de nouvelles entreprises?
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C'est fondamental. Il y a toute une tendance en faveur des entreprises en démarrage, de l'entrepreneuriat. Il y a beaucoup d'activité dans ce domaine, même à l'échelon fédéral, où l'on offre du capital de risque, entre autres. Il n'y en a pas beaucoup qui est destiné à l'industrie du jeu vidéo. Le jeu vidéo reste une catégorie à part, dans une certaine mesure. Notre industrie connaît du succès, nos produits sont mis en marché sans qu'on ait nécessairement besoin de capital de risque, mais il y a clairement un repositionnement dans l'industrie à la défaveur des grandes consoles de jeux et en faveur des jeux mobiles, gratuits, en ligne. Cela ouvre la porte à l'investissement de capital de risque, entre autres.
Il est intéressant de souligner que dans les équipes que nous appuyons, la plupart des talents viennent des grands studios. Ces personnes ont leurs propres rêves, leurs propres idées de produits. Ce n'est pas le prochain Assassin's Creed, elles veulent produire des ninjas, des robots ou je ne sais quoi d'autre, donc elles s'évadent et viennent nous voir. Leur principale lacune concerne l'entrepreneuriat, ces personnes ont du mal à comprendre comment gérer une entreprise. Elles se demandent comment un jeu peut leur faire faire de l'argent, comment gérer leurs relations professionnelles, le marketing, ce genre de choses.
Une personne peut être un programmeur ou artiste designer incroyable, qui n'a aucune compétence en entrepreneuriat, si bien que plus de 80 %, si ce n'est pas plus, de l'effectif au Canada travaille dans les grands studios de production. Notre base de talents manque de compétences en entrepreneuriat.
Étonnamment, c'est vrai pour les entreprises en démarrage comme pour les grands studios, qui auraient besoin de gens ayant un sens plus aigu des affaires. Cela va dans les deux sens.
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C'est une excellente question. En fait, nous essayons d'éliminer la position d'éditeur intermédiaire entre le jeu et le marché. L'avantage des marchés numériques, comme la boutique App Store d'Apple, Google, Facebook et le reste, c'est que le concepteur peut aller directement sur le marché sans passer par un éditeur, pour ceux qui ont la présence d'esprit et les moyens de le faire.
La difficulté ici, c'est bien sûr de se faire découvrir. Si tout le monde peut aller directement sur le marché, vous n'êtes plus qu'une goutte dans un océan de concepteurs qui ont fait de même. Il faut alors jouer au plus fin sur les plans de la commercialisation, des relations publiques, de l'attraction des utilisateurs, et ainsi de suite.
Il y a donc encore un défi à relever, mais ce n'est plus parce qu'aucun éditeur n'est là pour sauver le concepteur et son produit. Le concepteur, qui s'adresse directement aux utilisateurs, doit plutôt jouer du coude avec tous ceux qui ont fait la même chose que lui. Comment peut-il se démarquer de la masse?
L'évolution du rôle de l'éditeur, qui est davantage un partenaire de commercialisation et de découverte, est une autre histoire. Quoi qu'il en soit, aucun studio canadien ne devrait se plaindre les bras croisés qu'aucun éditeur ne veut de lui. Nous devrions tous les envoyer directement sur le marché.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais d'abord m'adresser à vous, monsieur Della Rocca.
Vous vous êtes beaucoup concentré sur les petites entreprises et les entreprises qui démarrent. Comme vous l'avez exposé, le cadre fiscal général n'est pas nécessairement adapté à leur réalité.
Je voudrais aborder la question du capital de risque patient. En fait, au Québec, on a quand même une expérience particulière avec les fonds de travailleurs. Lundi, on a abordé justement la question avec M. Moisan, de Frima Studio. Il a été très clair. Il considérait que l'abolition du crédit d'impôt pour les fonds de travailleurs, comme Fondaction de la CSN et le Fonds de solidarité FTQ, représentait un risque potentiel pour les entreprises dans ce secteur.
Croyez-vous que ce risque s'applique aux petites entreprises ou aux entreprises qui démarrent? On sait que ces Fonds de travailleurs ont développé une expertise envers les entreprises situées à l'extérieur des grands centres ainsi qu'avec de petites entreprises qui n'étaient pas en mesure, malgré leurs nombreuses sollicitations, de s'allier quelqu'un qui serait prêt à s'engager dans l'aventure et qui serait prêt à investir.
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Nous avons eu des discussions avec Fondaction et la FTQ, deux fonds de travailleurs, dont le rôle dans l'économie du Québec est important, mais qui ne sont pas très actifs dans le démarrage d'entreprises.
Différents investissements se font à différentes étapes. À la toute première, l'investissement est souvent dicté par un sentiment proche de l'amour fou, parce qu'il faut être assez fou pour le faire. C'est là qu'interviennent les oncles riches et les investisseurs providentiels.
Il y a ensuite l'investissement de prédémarrage ou en début de croissance. À Montréal, un exemple serait Real Ventures, très actif dans la création de l'écosystème des entreprises de démarrage. Ce n'est pas avant la rentabilité, la production de revenus, pas avant le besoin de capitaux pour la croissance qu'interviennent Fondaction et la FTQ.
Il est beaucoup trop risqué pour eux d'investir par sentiment et au début de la croissance, parce que le taux d'échecs est très élevé et les enjeux beaucoup plus petits. En général, ils versent de plus gros montants à un stade ultérieur.
Ils constituent un rouage important de l'économie. Ce n'est pas que je connaisse bien toutes leurs statistiques, et je pense que leur contribution est notable, mais elle n'est pas vraiment utile au démarrage, au début de la croissance.
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Merci, monsieur le président.
Je possède peu d'expérience concrète de ces jeux, monsieur le président, mais un créateur local d'applications de ma circonscription, Red Barn Games, vient de lancer l'application What a Wonderful Word, dans la boutique App Store. Pour les besoins de la recherche, je peux examiner son cas. L'entreprise est située dans une communauté agricole et très rurale appelée Westmeath.
Je pense qu'il s'agit d'obtenir autant de mots de quatre à neuf lettres que possible à partir de lettres mélangées, et ainsi de suite. C'est une application vendue plutôt que d'être offerte gratuitement, pour la version lente, puis vendue, pour les versions rapides, comme un témoin l'a expliqué.
Nous avons entendu beaucoup d'opinions sur la nécessité des crédits d'impôts. Par quels moyens le gouvernement peut-il favoriser l'industrie des jeux vidéo au Canada, autrement que par des incitations fiscales? Des obstacles s'opposent-ils au développement de nouveaux produits?
Ma question s'adresse aux deux témoins.
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Oui. Particulièrement pour une entreprise qui démarre, comme celle dont vous parlez, dans le domaine des jeux pour les dispositifs mobiles, les allégements fiscaux ne sont pas très utiles. Ces compagnies doivent survivre encore 10 ou 12 mois avant même de déclarer leurs revenus. Que ce soit ou non par l'entremise du gouvernement fédéral, elles ont plus besoin de saisir des occasions offertes en début de croissance, par exemple du capital-risque ou des programmes comme le Fonds des médias du Canada, qui finance effectivement la production au démarrage.
Une jeune entreprise n'a pas d'argent et elle ne possède pas à l'étranger de siège social investissant dans la région et construisant un studio. C'est simplement cinq jeunes dans un sous-sol, qui veulent réaliser un rêve. Une grande partie des mécanismes d'aide, dans la mesure où ils existent, consiste à faciliter l'accès aux capitaux. Ce serait certainement un ingrédient qui aiderait à créer de nouvelles entreprises qui créent à leur tour une nouvelle propriété intellectuelle. Concernant la propriété intellectuelle dont vous avez parlé, si le jeu de lettres appartenant à une entreprise canadienne engendre des millions de dollars, cet argent reviendra dans l'écosystème et l'économie canadienne. Voilà un moyen.
Ensuite, on peut envisager d'autres moyens: établir des liens avec les universités, ce dont nous avons parlé; mettre sur pied plus de programmes d'éducation pour les entrepreneurs, pour que, lorsque ces jeunes terminent leurs études universitaires, ils puissent envisager de créer quelque chose à eux et produire leurs propres jeux pour les médias. Enfin, financer la recherche. On peut faire beaucoup.
Si on facilitait l'accès aux capitaux en début de croissance, l'effet serait certainement spectaculaire sur le volume ou la vitesse d'évolution des nouvelles entreprises et la création d'une nouvelle propriété intellectuelle.
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Merci, monsieur le président. Je veux vous informer que je vais partager le temps dont je dispose.
Je tiens à remercier les témoins d'être présents parmi nous. Votre franchise est très agréable. Je vais commencer par vous poser deux questions.
Tout d'abord, il existe dans mon comté une institution que vous connaissez peut-être. Elle recrute des jeunes et les forment. Il s'agit du Centre de formation professionnelle des Riverains. Il est de niveau professionnel. Un peu plus tôt, il a été question de tous les mécanismes que mettez en place pour le recrutement, mais je n'ai pas entendu parler de tout ce qui existe à l'extérieur du bassin normal. Ces gens font un excellent travail. Ils se situent même au-delà des professionnels du cégep et de l'université. Ils travaillent très fort.
Je suis de la génération du
[Traduction]
Timex Sinclair 100.
[Français]
Cela fait très longtemps. J'ai également un ami qui a continué à progresser en programmation jusqu'à aujourd'hui. Il peut enseigner l'intelligence artificielle au niveau du doctorat.
En ce moment, quel est le processus qui existe? Vous parlez de recrutement. Avez-vous des programmes visant à attirer des gens provenant d'autres établissements que celui des cégeps et des universités? Par la force des choses et à cause de toutes sortes de facteurs, beaucoup de gens se sont fréquemment déplacés sans jamais fréquenter l'université ou le cégep. Ils ont peut-être fréquenté le niveau professionnel, mais ils auraient besoin de cela.
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Il est très difficile de répondre avec un degré quelconque de certitude à cette question. Un livre très intéressant, cependant,
The Innovator's Dilemma a été publié, il y a 10 ou 12 ans, par un professeur de Harvard. Il ne porte pas sur les jeux, mais sur l'innovation et la technologie.
Pour résumer son propos, les causes mêmes du succès d'une entreprise, aujourd'hui, sont celles qui l'empêcheront de réussir demain. Notre propre réussite nous empêche d'apercevoir les changements et les bouleversements actuels. La meilleure solution qui permet de trancher le dilemme de l'innovateur consiste à créer et à appuyer de jeunes entreprises qui ne s'embarrassent pas des règles qui ont mené à la réussite d'hier; elles peuvent explorer de nouveaux territoires, expérimenter et connaître l'échec; elles peuvent devenir la nouvelle coqueluche. Toutes les ressources et tous les soins consacrés au paradigme actuel seront complètement perdus quand il sera remplacé par un autre.
Je suis désolé pour le cliché facile du « changement de paradigme », mais c'est vraiment ce dont il s'agit.
Nous devons concilier la contribution à la réussite d'aujourd'hui, la prolongation de cette réussite et les avantages qu'on en retire, tout en n'étant pas aveugles aux bouleversements et aux prochaines nouveautés. La meilleure conduite consiste à ne pas essayer de prévoir ce qui s'en vient, mais à laisser le marché faire ses prévisions, en mettant à la disposition des jeunes entreprises des capitaux en début de croissance, en donnant des occasions à saisir aux entrepreneurs et en appuyant les entreprises en démarrage.
Malgré toutes ses réussites, Ubisoft ne sera pas nécessairement le découvreur de la prochaine quasi-coqueluche. Ce sera quelqu'un d'autre, surgi de nulle part, qui n'est pas embarrassé par les mêmes budgets et les mêmes contraintes.
C'est vrai pour tout, pas seulement les jeux. Comme nation, nous avons été en mesure d'appuyer ce genre de processus d'exploration. Ce processus est encore plus à l'oeuvre à l'étape du démarrage, grâce à un financement en début de croissance et à l'esprit d'entreprise. Les allégements fiscaux n'ont rien à voir...
M. Jean-François Larose: À ce niveau.
M. Jason Della Rocca: ... à ce niveau.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous nos témoins pour ce qu'ils ont livré jusqu'ici. Je dois vous demander de m'excuser pour avoir raté la première heure. Je suis convaincu que c'était absolument brillant. Veuillez me pardonner si je couvre du terrain déjà connu. C'est ma façon d'essayer de comprendre.
J'ai décidé, monsieur le président, que, à cause de cela, le comité est un endroit où on s'amuse comme des fous à tous ces jeux.
Le président: [Note de la rédaction: inaudible]
M. Ed Holder: Ce l'est.
Nous avons deux types très différents d'organisations, et j'essaie de comprendre un peu plus. Je passerai donc de l'une à l'autre, si vous permettez.
Monsieur Della Rocca, d'après ce que j'ai lu sur votre organisation, Execution Labs —, « exécution », quel mot intéressant!, vous êtes un incubateur de jeux hybrides et un accélérateur de mise en marché. Vous en avez probablement déjà parlé dans votre déclaration préliminaire, mais, en quelques mots, vous pourriez nous dire exactement ce dont il s'agit.
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Je veux dire rapidement quelque chose. Certains d’entre vous ont dit qu'ils avaient visité différents studios, etc. Si jamais vous allez à Montréal, je vous invite bien sûr à venir visiter Execution Labs et notre lieu de travail.
Je veux dire également au greffier que je peux fournir de l'information au sujet de GRAND, car quelques députés souhaitaient en savoir plus.
Les jeux constituent un secteur d’activités incroyable, une forme d’art extraordinaire, et nous avons rarement l’occasion d'être témoins de la création d’une nouvelle forme d’art, d’une nouvelle façon pour l’humain de s’exprimer. À plusieurs égards, les jeux deviendront la forme d’art dominante du XXIe siècle — certains sont d’avis qu’ils le sont déjà.
Le Canada a un rôle à jouer en tant que chef de file, et j’espère que nous pourrons tous travailler ensemble: les gens de l’industrie, du milieu universitaire et du gouvernement pour nous en assurer.
C’est une industrie complexe, excitante, dans laquelle il se passe beaucoup de choses. Il n’y a pas de solution miracle. Il n'y a pas de solution unique, et il faut connaître le milieu et les paramètres économiques. C’est formidable que vous ayez demandé à des gens de l’industrie de vous donner leur point de vue. Cela a été un honneur pour moi de pouvoir le faire.
Merci.