FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 27 novembre 2012
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
À l'ordre, s'il vous plaît.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la politique étrangère du Canada pour l'Arctique.
Nous accueillons aujourd'hui deux témoins. Le premier est Donald McRae, professeur à l'Université d'Ottawa. Bienvenue, monsieur McRae. C'est un plaisir de vous accueillir devant notre comité. Nous accueillons aussi Michael Byers, professeur titulaire d'une chaire de recherche du Canada au Département de sciences politiques de l'Université de la Colombie-Britannique. Bienvenue à vous, monsieur Byers.
Comme vous le savez, nous continuons notre étude au sujet de l’Arctique. Vous aurez chacun une dizaine de minutes pour faire une déclaration liminaire, après quoi nous ouvrirons une période de questions.
Cette partie de la séance durera probablement entre une heure et une heure et demie, après quoi le comité se penchera peut-être sur certaines questions d'ordre interne.
Monsieur McRae, vous pouvez commencer.
Merci, monsieur le président. Je remercie le comité de m'avoir invité à venir témoigner ce matin.
Je vais vous parler du régime juridique international de l'Arctique, sujet qui fait l'objet de certains malentendus dans l'opinion publique, je pense. Les théories concernant le besoin d'un nouveau régime juridique, ainsi que les litiges imaginaires sur le territoire et les ressources, ne tiennent pas compte, à mon avis, de la réalité juridique touchant cette région. Permettez-moi de vous donner certains éclaircissements assez élémentaires.
Quand je parle de l'Arctique, je parle essentiellement des eaux et du plancher océanique, pas des terres des États entourant l’Arctique, bien que j'aie l'intention de dire quelques mots à ce sujet un peu plus tard. L'océan Arctique n'est que cela, un océan, une masse d'eau qui était historiquement couverte de glace pendant la majeure partie de l'année. Comme c'est un océan, il est régi par le régime de droit énoncé dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, laquelle reflète en grande mesure le droit coutumier international. Le fait que les États-Unis ne soient pas partie au traité n’a, dans l'ensemble, aucune conséquence réelle.
D'un point de vue juridique, l'Arctique est comme n'importe quel autre océan, qu'il s'agisse de l'océan Pacifique, de l'océan Indien, de l'océan Atlantique ou même de la mer Méditerranée, la seule différence étant qu'il était historiquement couvert de glace. De ce fait, chaque État côtier de l’Arctique a droit aux ressources vivantes et non vivantes d'une zone économique exclusive de 200 milles nautiques, et les ressources du plateau continental s'étendent au-delà de 200 milles nautiques, jusqu'aux limites de la marge continentale.
Nous parlons ici de droits qui appartiennent automatiquement à l'État côtier et qu'il n'est donc pas nécessaire que celui-ci revendique. Voilà pourquoi l'incident du dépôt d'un drapeau russe il y a quelques années, même s'il était amusant et scientifiquement intéressant, n'avait absolument aucune signification juridique, ce dont que les Russes eux-mêmes convenaient.
Tout comme les États de la région ne peuvent rehausser leur position en formulant des revendications, les droits sur le plateau continental à l'intérieur de l’Arctique ne peuvent être revendiqués par des États de l'extérieur de la région. D'un point de vue juridique, le plateau continental est le prolongement du territoire côtier. Si vous ne possédez pas de terres dans la région, vous ne pouvez pas avoir de plateau continental.
Chacun sait qu'il y a cinq États côtiers dans l'Arctique: les États-Unis, le Canada, la Russie, la Norvège et le Danemark, de par le Groenland. Les autres États qu'on qualifie souvent d'États de l’Arctique — l'Islande, la Suède et la Finlande —, qui sont tous membres du Conseil de l'Arctique, ne détiennent aucun droit sur les eaux ou sur le plateau continental plongeant sous l'océan Arctique. Ils sont bloqués par les cinq États arctiques, dont les ZEE — les zones économiques exclusives — entourent essentiellement l'océan Arctique. Cela signifie que l'accès à l'océan Arctique passe nécessairement par l'une des ZEE ou au moins l'un des États arctiques.
La distance jusqu'où s'étendent les plateaux continentaux des États arctiques sous les eaux de l'océan Arctique est une question qu'examinent évidemment tous les États côtiers de l’Arctique. Il existe, en vertu du traité du droit de la mer, une formule compliquée fondée sur la distance et la profondeur sédimentaire, et c'est pour fixer ces limites extérieures que de vastes investigations scientifiques ont été entreprises ces dernières années par la plupart des États côtiers de l'Arctique. Le Canada, comme vous le savez, participe à des recherches en collaboration avec les États-Unis et le Danemark.
Le Canada doit exposer ses vues sur les limites du plateau continental à un organisme des Nations Unies, la Commission sur les limites du plateau continental, d'ici la fin de 2013, mais une certaine prudence s'impose à cet égard. Étant donné l'arriéré accumulé par la commission, il lui faudra peut-être jusqu'à une vingtaine d'années pour qu'elle exprime un avis quelconque sur les thèses du Canada. Cela veut dire qu'on devra peut-être attendre 20 ans pour obtenir un avis définitif sur les limites du plateau continental dans l'Arctique.
Il faudra peut-être des années pour savoir quelles sont les limites extérieures précises, mais je pense que la plupart des prévisions sont que la majeure partie du plancher océanique de l'océan Arctique sera placée sous la juridiction du plateau continental des États côtiers. Il ne restera là pas grand-chose qui puisse être considérée comme du plancher océanique international, ce qui signifie que des frontières devront être tracées pour délimiter la compétence de ces États sur le plateau continental.
Il existe des règles pour fixer les frontières maritimes, fondées sur le traité du droit de la mer. Elles ne sont pas très claires — et sont même relativement vagues —, mais elles ont été formulées dans le contexte de la pratique des États et des décisions des tribunaux internationaux. Les États arctiques ont indiqué dans la Déclaration d’Ilulissat de 2008 que le régime du droit de la mer s'appliquera à l'Arctique, c'est-à-dire que les règles de délimitation des frontières maritimes s'appliqueront lorsque viendra le moment de déterminer les limites du plateau continental au-delà de 200 milles nautiques.
Passons maintenant à un autre aspect de la problématique de l'océan Arctique, la navigation. La majeure partie de l'océan Arctique est une zone de haute mer et la navigation y est donc libre mais, comme je l'ai dit, l'accès à l'océan Arctique ne peut se faire qu'en traversant la zone économique exclusive d'au moins l'un des États côtiers de l'océan Arctique.
En vertu de l’article 234 du traité sur le droit de la mer, les États côtiers de l'Arctique peuvent établir à l'intérieur de leur zone économique exclusive — dans des secteurs qui sont couverts de glace pendant une bonne partie de l'année et où il y a des dangers exceptionnels à la navigation — des règles non discriminatoires au sujet de la pollution marine par les navires. Ils peuvent faire respecter ces règles. On tente actuellement, dans le cadre de négociations à l’OMI, d'élaborer un code polaire exécutoire qui imposerait des normes internationales de navigation dans les eaux de l'Arctique et rendrait ainsi les règles nationales uniformes.
Deux autres questions se posent au sujet de la navigation dans l'Arctique. La Russie soutient que certaines parties de la route maritime du Nord font partie de ses eaux intérieures, et le Canada soutient que les eaux du passage du Nord-Ouest font partie des siennes. Nous avons renforcé cette revendication quand nous avons tracé des lignes de base directe autour de l'archipel de l’Arctique en 1985.
Comme les États-Unis et certains États européens s'opposent par principe au fait que le passage du Nord-Ouest soit considéré comme faisant partie des eaux intérieures canadiennes et le considèrent comme un détroit international, il y a un litige à ce sujet. J'estime toutefois qu'on en exagère l'importance, d'un point de vue pratique. Les États-Unis ne s'opposent pas en pratique à ce que le Canada exerce concrètement sa compétence mais, si vous soulevez certaines questions auprès des Américains, comme l'extension du NORDREG, ils formuleront une objection de principe. À mon avis, cette objection concernera plus les implications de la position du Canada pour d'autres voies d'eau dans le monde qu'une préoccupation quelconque sur ce que le Canada fait ou pourrait faire.
De plus, à cause de l'accord de 1988 entre le Canada et les États-Unis sur les brise-glaces, les navires du gouvernement américain emprunteront le passage du Nord-Ouest avec le consentement du Canada. Encore une fois, il s'agit plus là d'une question de principe que de pratique, à mon avis.
Le vrai test de la compétence du Canada — ou de la Russie, d'ailleurs — se posera lorsque le Canada voudra arrêter un navire battant pavillon étranger dans le passage du Nord-Ouest et que l'État du pavillon contestera le droit du Canada de ce faire. À mon sens, une telle contestation échouera, soit parce que la revendication des eaux intérieures sera validée, soit parce que l'exercice de la compétence du Canada sera justifié au titre de l’article 234 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Étant donné les dangers de la navigation dans l’Arctique, qui ne changeront certainement pas dans l'avenir prévisible, le scénario le plus vraisemblable est que les navires empruntant le passage du Nord-Ouest auront besoin du genre de soutien que la garde côtière de la Russie dispense dans la route maritime du Nord. Nous le constatons actuellement avec le navire Ob River, un transporteur de GNL.
Je pense que la plus grande ouverture de la voie maritime du Nord permet de penser que c'est probablement plus par cette voie qu'on franchira l'océan Arctique dans un avenir proche. Le passage du Nord-Ouest servira peut-être plus à donner accès à l'exploitation des ressources naturelles sur terre ou aux collectivités côtières. Selon moi, il est peu probable que la compétence du Canada sur le passage du Nord-Ouest fasse l'objet de contestations pratiques, mais on ne peut évidemment rien exclure d'office.
Je crois que la conséquence est que la meilleure manière pour le Canada de rehausser sa position à l'égard du passage du Nord-Ouest est de simplement traiter et gérer ce dernier comme faisant partie de ses eaux intérieures tout en le laissant ouvert à la navigation internationale. Je crois que les efforts répétés déployés pour essayer d'amener les États-Unis à partager notre point de vue sont antiproductifs. Les États-Unis ont de bonnes raisons de ne pas s'opposer à ce que fait le Canada en pratique. Je soupçonne qu'acquiescer à la gestion exercée par le Canada aura peut-être plus d'importance à long terme que formuler une objection de principe, et que nous ne devrions donc pas encourager les États-Unis à contester par principe ce que nous faisons.
Permettez-moi de mentionner quelques autres questions de droit concernant l'Arctique. Premièrement, la propriété des terres dans l'Arctique n'est pas vraiment un problème, sauf en en ce qui concerne le problème que nous pouvons qualifier de lilliputien de souveraineté sur l'île Hans, qui n'a aucune conséquence géopolitique stratégique et probablement aucune conséquence en matière de ressources naturelles et peut donc très certainement être réglé entre le Canada et le Danemark. Deuxièmement, il reste quelques litiges frontaliers maritimes à régler à l'intérieur des 200 milles nautiques. Certains sont mineurs, dans la mer de Lincoln, et un autre est majeur, avec les États-Unis, dans la mer de Beaufort.
Je le répète, il existe des principes de droit pour résoudre ces litiges. Dans le cas de la mer de Beaufort, le Canada et les États-Unis pourraient renvoyer le litige en arbitrage international, ou devant la CIJ comme nous l'avons fait pour l'affaire du golfe du Maine. Selon moi — considérant l'incohérence qu'il y a entre une frontière qui est bonne pour le Canada à l'intérieur des 200 milles nautiques et ce qui est bon pour le Canada sur le plateau continental au-delà de 200 milles nautiques —, il serait bon d'approfondir la réflexion sur la position canadienne avant de s'adresser à une instance internationale.
Il y a une faille majeure dans le régime de droit international, et elle concerne les peuples autochtones de l'Arctique. Le traité du droit de la mer a été négocié avant qu'on commence à s'intéresser sérieusement aux droits autochtones. Les textes importants concernant ces droits, comme la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, sont arrivés plus tard. L’Arctique est une région qui a été historiquement et est toujours à maints égards occupée de manière prédominante par des populations autochtones. Le Conseil de l’Arctique prévoit une participation autochtone permanente. Le droit légal aux terres et au territoire maritime appartient aux cinq États de l'Arctique, pas à tous les membres du Conseil de l'Arctique. Lorsque les cinq États de l'Arctique se réunissent, comme ils l'ont fait à Ilulissat en 2008, il n'y a aucune représentation autochtone.
Il reste une question de portée plus vaste à envisager, et c'est là-dessus que j'aimerais conclure au sujet du niveau approprié de la diplomatie dans l'Arctique. En Europe et ailleurs, l’Arctique est souvent considéré comme une région d'intérêt international. Il est vrai que bon nombre des questions concernant l'Arctique devront être traités dans un contexte multilatéral, comme le réchauffement planétaire, la pollution atmosphérique et certains aspects de la pollution marine. Ces questions ne peuvent être réglées par les seuls États côtiers de Arctique. La propriété des territoires dans l'Arctique et la propriété des ressources minières et halieutiques dans la zone de 200 milles nautiques et au-delà, en ce qui concerne le plateau continental, sont des questions de compétence nationale. Ce sont les cinq États arctiques qui possèdent cette compétence. Quel équilibre devra-t-on donc trouver en matière de diplomatie dans l'Arctique au niveau des cinq États côtiers, au niveau plus large du Conseil de l'Arctique, ou au niveau plus large encore de la communauté internationale? Voila la grande question qui se pose au Canada du point de vue de sa politique étrangère dans l'Arctique.
Merci, monsieur le président.
Je répondrai avec plaisir à vos questions.
[Français]
Je parle le français, mais aujourd'hui, je parlerai en anglais.
[Traduction]
Je partage l'avis de mon ami et collègue sur pratiquement toutes les questions qu'il a soulevées, ce qui va me permettre de prendre appui sur ses larges épaules pour aborder un ou deux sujets particuliers.
Premièrement, j'aimerais expliquer aux membres du comité où je me situe de manière générale en ce qui concerne l'Arctique. Comme j'estime qu'il existe un accord politique général au Canada au sujet de l'Arctique, les positions des différents partis n'ont pas vraiment d'importance ici. Pour ma part, l’Arctique est certainement une question d'expertise académique. En effet, je suis entre autres choses chercheur principal pour ArcticNet, un consortium, piloté par le gouvernement fédéral, de scientifiques de l’Arctique de 27 universités canadiennes et de 8 ministères fédéraux. Je crois utile de préciser aussi que j'ai conseillé l’ex-ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon sur sa déclaration de politique étrangère de l'Arctique il y a deux ans, déclaration dont j'ai été très satisfait. Je suis donc ici pour conseiller le mieux possible le comité dans l'espoir que toutes les parties pourront oeuvrer ensemble afin de trouver les bonnes réponses.
Il est particulièrement opportun que ce soit votre comité qui mène cette étude puisque bon nombre des défis concernant l'Arctique sont foncièrement des défis de politique étrangère. L'océan Arctique est entouré de continents et il est bien sûr traversé par l'ancienne ligne de partage de la guerre froide entre la Russie et l'OTAN. Il est sujet à certains problèmes très graves concernant, par exemple, la fonte des glaces, le transport maritime ou les menaces potentielles d'acteurs non étatiques. Il y a là une dynamique qui est vraiment à maints égards une dynamique de politique étrangère. En voici un exemple: la majeure partie des armes de dissuasion nucléaire stratégiques de l'armée russe est basée dans la presqu'île de Kola qui se trouve au nord du Conseil de l'Arctique. Dès qu'on se met à parler de l'Arctique, on se met à parler de la relation entre la Russie et les États-Unis et on se met à parler des efforts de M. Obama pour relancer cette relation. On ne peut séparer ces questions de cette dynamique géopolitique plus large, et on se doit d'admettre qu'il y a là à l'oeuvre certaines forces — dont la grande initiative diplomatique de M. Obama — qui devraient affecter aussi l'approche du Canada.
L'autre chose à dire est qu'on estime généralement qu'il y a peu de risque de conflit militaire entre les États-nations, malgré l'histoire de la guerre froide. Grâce à WikiLeaks, par exemple, et à une missive de l'ambassadeur David Jacobson adressée à Hillary Clinton en janvier 2010, nous savons que le premier ministre du Canada, Stephen Harper, a dit au secrétaire général de l'OTAN que l'alliance n'a aucun rôle à jouer dans l’Arctique parce que, et je cite, « les relations avec la Russie sont bonnes ».
Il est donc très généralement admis, derrière les portes closes, que ce n'est pas une région où il risque d'y avoir un conflit militaire. Dans l’Arctique, si ce n'est ailleurs, la Russie a adopté et applique une politique de coopération internationale. C'est une chose très importante. C'était dans cet esprit que le ministre des Affaires étrangères Cannon avait rédigé la déclaration de politique étrangère engageant le Canada à résoudre par la négociation ses litiges frontaliers de l'Arctique, et nous avons actuellement des pourparlers avec les États-Unis sur la frontière de la mer de Beaufort, et des pourparlers avec le Danemark sur la frontière maritime dans la mer de Lincoln. Nos scientifiques et nos diplomates parlent aux Danois et aux Russes des litiges possibles — ce ne sont pas encore des litiges — dans l'océan Arctique central une fois que ces trois pays auront exposé leurs positions respectives à la Commission des Nations Unies sur les limites du plateau continental.
La situation est donc généralement positive: coopération internationale, prise en compte de cela par le gouvernement canadien et, maintenant, avec notre prochaine présidence du Conseil de l'Arctique, possibilité de porter cette coopération à un niveau supérieur en se fondant sur la déclaration de politique étrangère de l'Arctique d'il y a deux ans. Certes, les défis sont énormes, mais les promesses aussi.
Parlant de défis, d'ailleurs, il convient de souligner que l'Arctique est totalement en première ligne du point de vue du changement climatique.
Dans l'Arctique canadien occidental, nous avons déjà constaté une hausse de 5 °C de la température annuelle moyenne. C'est phénoménal, et cela a toutes sortes de conséquences. Le Conseil de l’Arctique a joué un rôle de leader dans le passé sur cette question. En 2004, l'Évaluation de l'impact du changement climatique dans l'Arctique a été l'étude définitive sur le changement climatique dans l'Arctique: ses causes, essentiellement d'origine humaine, ses diverses conséquences, dont certaines très graves pour les peuples autochtones et les écosystèmes, et ses défis d'adaptation.
Il y a des choses que le Canada et les autres pays de l’Arctique peuvent et devraient faire à cet égard. Il y a la question de la réduction globale de nos émissions de dioxyde de carbone. On ne peut séparer cela de la politique étrangère de l'Arctique. Il y a aussi des causes spécifiques à l'Arctique du changement climatique, comme le carbone noir et la brume de l'Arctique, qui sont des agents de forçage climatique de courte durée. Le Conseil de l'Arctique a l'occasion d'agir sur ces questions en collaborant avec les États-Unis et la Russie pour réduire les émissions de carbone noir des génératrices diesel et des camions au diesel afin de régler le problème de la brume de l'Arctique. Ces choses-là accélèrent et exacerbent les changements climatiques plus vastes résultant des autres gaz à effet de serre.
L'autre problème d'adaptation concerne le transport maritime. Cet été, nous avons constaté une fonte record de la glace marine de l'Arctique. Il y a six ou sept ans, lorsque je disais que nous risquions de voir des eaux libres de glace dans le passage du Nord-Ouest, bien des gens, dont certains scientifiques de renom, me taxaient d'exagération et disaient que nous ne verrions pas de fonte notable de la banquise arctique avant au moins 2050, et probablement même pas avant 2100. Aujourd'hui, les meilleurs scientifiques disent que nous risquons de constater la fonte totale de la banquise de l’Arctique dès la fin de l'été de 2015 à 2020, ce qui est tout simplement stupéfiant, non seulement à cause de ce que cela révèle sur le rythme du changement climatique mais aussi à cause des conséquences. Nous risquons de voir passer des centaines, si ce n'est des milliers, de transports maritimes internationaux dans le passage du Nord-Ouest d'ici une vingtaine d'années, et nous devons absolument nous y préparer.
Si cela vous intéresse, j'aimerais parler pendant la période des questions des possibilités de diplomatie avec les États-Unis et la Russie sur la problématique du passage du Nord-Ouest et de son lien avec la route maritime du Nord. J'aimerais aussi avoir la possibilité de parler des préoccupations américaines en matière de précédents. Frédéric Lasserre, de l'Université Laval, et Suzanne Lalonde, de l'Université de Montréal, viennent tout juste de publier un article important dans lequel ils affirment qu'il n'y a que deux détroits susceptibles d'être affectés de manière notable par un éventuel précédent établi dans le passage du Nord-Ouest, le premier se situant entre l'île de Hainan et la Chine continentale, et le deuxième étant la route maritime du Nord. Sur le plan pratique, personne ne va se mettre à contester les revendications de la Chine ou de la Russie.
Une autre question d'adaptation concerne l'exploitation du pétrole et du gaz naturel de l'Arctique, qui suscite de nombreuses convoitises. On ne semble cependant pas mesurer à leur juste valeur les défis et les risques à cet égard. Shell vient juste de dépenser 4 milliards de dollars sans réussir à forer des puits au nord de l'Alaska. Cairn Energy vient juste de radier 1,4 milliard de dollars dépensés pour forer des puits secs à l'ouest du Groenland. Ces chiffres sont élevés notamment à cause de l'éloignement, de la présence des glaces et du fait que la saison de forage est courte. Il y a aussi le fait que le pétrole se dissipe et se disperse très lentement en eau froide. Les mesures de sécurité doivent donc être plusieurs fois plus étoffées que celles applicables dans d'autres régions. J'aimerais parler de cette problématique durant la période des questions. J'aimerais aussi parler de ce que fait le Conseil de l’Arctique à ce sujet. Il va y avoir un nouveau traité sur la préparation et la réaction aux déversements de pétrole. Nous avons besoin d'un nouveau traité. Le Canada pourrait être le chef de file de l'élaboration d'un nouveau traité de prévention des déversements pétroliers.
Je serais également ravi qu'on m'interroge sur la gestion et la protection des pêches dans l'océan Arctique central. Les États-Unis viennent de prendre une initiative très forte sur la création d'une organisation régionale de la pêche pour l'océan Arctique central. Le Canada sait tout ce qu'il y a à savoir sur la protection régionale de la pêche du fait de son expérience avec l'Espagne au large des Grands Bancs de Terre-Neuve dans les années 1990. Les États-Unis cherchent un leader à ce sujet et je pense que le Canada pourrait parfaitement se proposer pour jouer ce rôle, afin d'aider les Américains à protéger la pêche dans l'océan Arctique dans l'intérêt de tout le monde.
Merci beaucoup.
Merci aussi à nos deux invités, qui se complètent très bien. Vous avez aussi renforcé certains des témoignages que nous avons déjà recueillis.
Monsieur McRae, l'idée qu'il faut bien comprendre ce qui est en jeu sur le plan juridique et ce qui ne l'est pas est importante. C'est ce que nous ont dit des représentants ministériels: il ne faut pas créer de conflit là où il n'y en a pas, position que nous approuvons.
Monsieur Byers, les agents du ministère étaient ici lors de la dernière réunion. Ils nous ont parlé des quatre piliers de la politique étrangère du Canada dans le contexte de l'Arctique. Il s'agit d'exercer notre souveraineté — chose dont nous avons déjà un peu parlé —, de promouvoir le développement économique et social de la région, de protéger l'environnement de l’Arctique, et d'améliorer la gouvernance dans le Nord par la dévolution et le transfert de pouvoir aux populations locales. Rien de tout cela n'est très controversé.
Je vais donc me concentrer sur le changement climatique. J'ai interrogé les représentants du ministère à ce sujet, et vous en avez parlé aussi. Il me semble qu'il n'y a plus aucune controverse sur la science du changement climatique. Même les sceptiques ont admis récemment qu'ils s'étaient trompés. Les preuves sont là. La question est maintenant de savoir ce que nous allons faire.
En ce qui concerne nos objectifs pour le Conseil de l'Arctique, qui est… Au fait, nous devrions mentionner ceci à tous nos invités: ce rapport de comité sera destiné à donner notre avis, voire des instructions les meilleures possible, à notre président et au gouvernement lorsque nous assumerons la présidence au mois de mai.
Pouvez-vous me dire quelle serait à votre avis la meilleure manière de faire comprendre non seulement que le changement climatique a déjà commencé mais aussi que nous sommes en retard à ce sujet, et comment le Conseil de l’Arctique, oeuvrant de manière multilatérale comme vous l'avez indiqué, pourrait le mieux réagir au changement climatique en partenariat?
La première chose à faire est de s'attaquer à l'idée fausse qui fonde souvent la question que vous venez de soulever. D'aucuns pensent que le changement climatique dans l'Arctique engendrera de nouvelles opportunités, notamment du point de vue de l'accès aux ressources et à de nouvelles voies maritimes. On fait grand cas aussi de tout le pétrole et gaz naturel inexploité dans la région.
Comme je passe beaucoup de temps dans l'Arctique et que je discute souvent avec des scientifiques de l'Arctique, je peux vous dire que les risques et les coûts associés au changement climatique dans l'Arctique sont largement supérieurs aux bienfaits éventuels.
Parlons simplement pour le moment de l'incidence du changement climatique sur la fonte du pergélisol et de son incidence absolument massive sur l'infrastructure, les routes, les pipelines et les collectivités. Nous pourrions parler aussi de l'érosion des côtes, notamment le long de l'océan Arctique, et des conséquences que cette érosion aura sur les collectivités côtières du fait de la fonte des glaces maritimes, qui permettra aux vents et aux vagues d'entamer les côtes. Il y a aussi, bien sûr, l'accroissement du nombre d'événements climatiques extrêmes qui est relié au changement climatique. Il y a eu l'été dernier un cyclone gigantesque dans l'Arctique, événement climatique sans précédent. Cela a accéléré la fonte des glaces et peut même avoir eu une incidence sur les systèmes climatiques du sud.
Les coûts dépassent largement les bienfaits, et il importe que les pays du Nord s'en rendent compte.
Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas saisir les opportunités qui se présenteront. Certes, nous devrions le faire, mais nous devrions aussi éviter d'être naïfs sur ce qui se passe là-bas et sur la nécessité de faire quelque chose.
En ce qui concerne la réaction des pays de l'Arctique au changement climatique, j'ai déjà mentionné l'Évaluation de l'impact du changement climatique dans l'Arctique, de 2004. C'est une étude massive qui avait été lancée par le Conseil de l’Arctique en mettant à contribution les climatologues de l'Arctique les plus réputés au monde, ainsi que le savoir autochtone, de manière à produire un rapport scientifique donnant une image très claire de ce qui se passait. On pensait alors que les pays du Conseil de l'Arctique se réuniraient pour dresser un plan d'action réel contre le changement climatique. Hélas, cette étape suivante d'action concrète a été à toutes fins utiles bloquée par l'administration Bush.
Mon message à ce sujet est que le Conseil de l'Arctique était prêt à agir de concert. Il en a été empêché il y a huit ans par une administration qui ne réalisait pas l'incidence profonde et les conséquences potentielles du changement climatique. Nous comprenons mieux aujourd'hui, dans tous les partis politiques, que ce problème est très réel et que le Conseil de l'Arctique est l'instance qui doit agir.
En ce qui concerne l'incidence régionale, j'ai mentionné le carbone noir et la brume de l'Arctique, deux questions sur lesquelles nous pourrions clairement jouer le rôle de chef de file au Conseil de l’Arctique. Il ne faut pas s'imaginer que ces choses-là peuvent se faire de manière informelle. Nous savons tous que, quand il s'agit des questions les plus importantes au monde, les pays négocient des traités exécutoires parce qu'ils peuvent être exécutés. Ces questions sont tellement importantes que nous devons maintenant nous mettre à légiférer.
Monsieur McRae, en ce qui concerne les aspects juridiques dont nous devons tenir compte, vous avez dit que certains pays auront la possibilité de faire certaines revendications. J'hésite à employer le mot « revendications » parce qu'on nous a dit lors d'une séance antérieure qu'on ne doit pas revendiquer quelque chose qu'on possède déjà.
En ce qui concerne la question de la Chine, quelle est votre position? D'aucuns affirment qu'il serait préférable de l'accepter à la table — évidemment pas à la table de décision — au moins pour lui reconnaître un rôle. Y a-t-il des risques, du point de vue légal, à la faire entrer sous la tente, pour ainsi dire?
Je n'y vois pas de risques d'ordre légal. Si « la tente » veut dire être membre du Conseil de l’Arctique, et tant et aussi longtemps que le Conseil de l’Arctique n'est pas considéré comme un organisme légiférant sur des questions qui relèvent de la compétence des États côtiers mais s'occupant de questions que ces derniers veulent lui soumettre dans un esprit de collaboration, cela me semblerait en valoir la peine.
S'il y a le type de navigation que M. Byers nous dit être très probable, cela intéressera la Chine. Nous voudrons donc que la Chine soit là pour traiter des questions de navigation. Le changement climatique et la pollution atmosphérique sont des problèmes qui affectent beaucoup de pays. La Chine est concernée. Le problème sera de savoir quand une question devra être traitée par les cinq pays de l’Arctique seulement ou par le Conseil de l'Arctique.
On a exprimé en Europe l'idée que nous avons besoin d'un nouveau régime pour régler des questions qui relèvent essentiellement de la compétence intérieure des États côtiers de l'Arctique. Je pense que laisser se propager cette idée ne serait pas une bonne chose.
Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs, d'être venus partager vos connaissances avec nous.
J'aimerais d'abord poser quelques questions à M. McRae.
Monsieur, vous avez dit que le navire Ob River serait apparemment en train de passer là-haut en ce moment même. Il s'agit d'un navire norvégien transportant du gaz russe, je pense, entre la Norvège et le Japon en passant par le passage arctique russe. Selon un article que je lisais hier, il semble que ce trajet fera économiser 20 jours de voyage entre l'Europe et l'Asie. Ce navire serait apparemment escorté par un brise-glace russe.
Pensez-vous que le transport de ce genre de marchandises par des navires empruntant cette voie risque de devenir fréquent? Vous avez dit que la Russie assure la protection de sa garde côtière pour ce passage. Si le passage du Nord-Ouest canadien était ouvert au même genre de transport maritime, par exemple, quels seraient les coûts et les bénéfices de la prestation de ce genre de soutien de la garde côtière dans l'Arctique canadien, et serait-ce faisable? À votre avis, y aurait-il des avantages à faciliter ainsi le développement du Nord canadien, si le gouvernement du Canada décidait d'ouvrir cette route? Pouvez-vous comparer la route russe à la route canadienne?
C'est une question à laquelle le professeur Byers voudra peut-être répondre aussi, car il en sait beaucoup plus que moi sur les aspects pratiques de ce genre de chose.
L'avantage immédiat est celui que vous avez mentionné, bien sûr, c'est-à-dire le gain de temps. Par rapport au canal de Panama — ou au canal de Suez, en passant de l'autre côté —, le gain de temps est substantiel. C'est donc manifestement attrayant pour quiconque fait du transport maritime.
Les Russes ont sensiblement renforcé leur aptitude à protéger leur transport maritime. L'un des problèmes que pose le passage des navires dans des régions inconnues est de savoir quoi faire quand une difficulté se présente. Si vous passez par le canal de Panama et que vous avez un problème, vous pouvez aller mouiller dans tous les ports de la côte ouest des États-Unis, ou de la côte est de l'autre côté, pour réparer. Le problème dans l’Arctique est qu'il n'y a peut-être rien, et c'est pourquoi les Russes ont agi pour avoir des ports et assurer de la protection, ce qui rend cette forme de transport très attrayante.
Je ne sais pas quelle est la situation actuelle mais la Russie demandait à une certaine époque des droits très élevés pour fournir ce genre de service. Cela soulève des questions de droit difficiles: dans quelle mesure pouvez-vous faire payer un navire qui emprunte vos eaux intérieures, et dans quelle mesure pouvez-vous faire payer un service que vous dispensez? Évidemment, s'il s'agit d'un détroit international, comme le soutiennent les États-Unis, vous ne pourrez pas exiger ce genre de droit des navires. En outre, bien sûr, cela augmenterait le coût.
Du côté canadien, il semble pour le moment que la route maritime du Nord soit une voie plus facile. Elle ne pose pas les difficultés de navigation des chenaux étroits qu'on trouve dans le passage du Nord-Ouest. Très franchement, je ne pense pas que nous ayons l'infrastructure nécessaire pour dispenser ce genre de soutien que les Russes fournissent actuellement à leurs navires. Je pense qu'ils ont essayé de rendre ce transport maritime attrayant mais, s'ils font payer des droits trop élevés, cela le rendra moins attrayant.
Il y a aussi d'autres questions à régler. Les navires empruntant actuellement ce trajet le font essentiellement à titre d'essai mais, si ce genre de transport doit devenir régulier, quelles primes d'assurance exigera-t-on? C'est un facteur dont on devra tenir compte et, à cause des inconnues… Il peut ne pas y avoir de glace en surface mais y en avoir sous l’eau, ce qui constitue un danger dont on devra tenir compte. Ces choses-là devront être réglées pour évaluer la viabilité de la proposition mais, pour le moment, je pense que ce serait pour un navire…
Tout dépendra de la destination. Si vous partez de la Norvège, comme c'était le cas de ce navire, la route maritime du Nord est plus attrayante. Si vous partez d'un point situé plus au sud, le passage du Nord-Ouest pourrait être une solution plus attrayante du point de vue de la distance.
Oui.
Je pense qu'il faut envisager la prestation d'une infrastructure et de services dans le passage du Nord-Ouest du point de vue de plusieurs bienfaits possibles. L'un d'entre eux est évidemment relié au fait d'avoir une présence pour assurer une protection environnementale et une protection contre les menaces ne touchant pas la sécurité. Songez par exemple à la contrebande ou à l'immigration illégale.
L’autre chose est que, du point de vue de notre souveraineté et de notre affirmation que le passage du Nord-Ouest fait partie de nos eaux intérieures, plus nous pourrons obtenir que les transporteurs étrangers acceptent notre compétence juridique, mieux cela vaudra pour nous. La meilleure manière d'obtenir que les transporteurs étrangers l'acceptent est de leur fournir les services dont ils ont besoin: des ports de refuge, des cartes de qualité mondiale, des prévisions météorologiques de qualité mondiale, des prévisions de qualité mondiale sur les glaces, des services de qualité mondiale en recherche et sauvetage. Autrement dit, de faire en sorte que le Canada soit un élément absolument essentiel de leurs plans de transport maritime.
J'ai participé à des conférences où j'ai rencontré des cadres de grandes sociétés de transport maritime asiatiques qui souhaitent presque désespérément établir un partenariat avec le gouvernement canadien pour bâtir ce genre d'infrastructure. Ils ne veulent pas travailler contre nous, car ils savent que leurs navires et leurs équipages auront besoin de faire appel à nous dans certaines situations, et j'aimerais nous voir aller de l'avant à ce sujet.
Par ailleurs, comme vous avez parlé de la Russie et de la route maritime du Nord, notre position juridique sur le passage du Nord-Ouest est identique à la position russe sur la route maritime du Nord. Dans le cadre de notre diplomatie de l’Arctique, de manière plus générale, je pense que nous devrions essayer de cerner nos points communs avec le gouvernement russe, tout en faisant évidemment preuve de prudence à l'égard de ce gouvernement dans d'autres domaines. Un président américain avait dit un jour que sa règle était de « faire confiance mais en vérifiant ». Je pense que cela pourrait s'appliquer à notre relation avec la Russie dans l'Arctique.
Merci de cette réponse.
Professeur McRae, vous avez parlé des populations autochtones de la région. Je crois comprendre qu'il y a six organisations différentes de peuples autochtones qui participent de manière permanente au Conseil de l'Arctique. Quelle est l'importance de la participation des peuples autochtones de la région au Conseil de l'Arctique, pour la présidence du Conseil de l'Arctique par le Canada, et quels sont les bienfaits pour les peuples autochtones du développement dans la région? Que devrions-nous faire en termes d'approche du gouvernement canadien et d'approche internationale au Conseil de l'Arctique pour veiller à ce que tout développement économique dans la région soit bénéfique aux habitants de la région?
Je serai bref.
J'ai eu l'avantage d'assister récemment à deux des réunions du Conseil circumpolaire inuit, la première lorsqu'il a formulé une déclaration sur la souveraineté dans l'Arctique, et la deuxième, lorsqu'il a développé un plan de ressources naturelles…
La préoccupation des Inuits est en partie celle que j'ai exprimée : participer au Conseil de l'Arctique, c'est bien mais, si le Conseil de l'Arctique n'a pas son mot à dire sur l'exploitation des ressources naturelles et que l'exploitation des ressources naturelles est quelque chose qui les touche directement, cette participation n'est pas très fructueuse. Si les décisions doivent être prises par les états côtiers de l'Arctique agissant indépendamment du Conseil de l’Arctique, je pense que ces États se doivent d'assurer une participation réelle des populations autochtones.
Cela peut se faire de plusieurs manières différentes. C'est bien beau de dire que ça se fait dans le Conseil de l'Arctique mais, si les cinq pays limitrophes se réunissent pour prendre des décisions ensemble et les présenter ensuite comme un fait accompli au Conseil de l’Arctique, ça n'a vraiment rien à voir avec une participation réelle des peuples autochtones.
La question de savoir comment ils peuvent participer aux décisions concernant les ressources et touchant leur mode de vie plus directement comme étant des participants permanents au Conseil de l'Arctique est une question très sérieuse.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, messieurs, des informations manifestement très intéressantes que vous nous donnez aujourd'hui.
Professeur Byers, je vais mordre à l'hameçon, pour ainsi dire. Mon père était ministre des Pêches quand la limite de pêche de 200 milles a été proclamée dans les années 1970. Je me demande ce que vous diriez si quelqu'un vous interrogeait au sujet de la compétence juridique du Canada en matière de gestion des pêches dans l’Arctique.
La réponse est que nous possédons manifestement une compétence exclusive dans la zone de 200 milles nautiques à partir de la côte. Il y a le problème du secteur contesté dans la mer de Beaufort, sur 6 250 milles nautiques carrés, mais le litige juridique signifie essentiellement qu'un moratoire de fait est en vigueur dans ce secteur. Dans la zone de 200 milles nautiques à partir de la côte, ça ne pose pas problème.
Le problème est que, lorsque la glace marine fond, les eaux situées plus au nord deviennent accessibles. De fait, il y a un secteur au-delà de 200 milles nautiques — au nord du détroit de Béring, au nord de l'Alaska et à l'extrême orient de la Russie — qui est déjà libre de glace en été. Il est plus proche de la Corée-du-Sud, du Japon et de la Chine que certaines de leurs zones de pêche dans l'Antarctique. On peut donc s'attendre à voir arriver bientôt dans l'océan Arctique des chalutiers pratiquant la pêche à long rayon d'action.
Cela posera un vrai défi aux pays côtiers de l'Arctique parce que nous avons des problèmes de stocks chevauchants, tout comme nous en avons eu au large de la côte Est du Canada. Nous voudrons peut-être mettre sur pied une pêche responsable dans la mer de Beaufort dans la zone des 200 milles nautiques mais, si les Sud-Coréens ou les Chinois siphonnent le poisson juste à l'extérieur de cette zone, ce ne sera pas possible.
Les États-Unis ont pris la tête du mouvement à ce sujet avec une résolution au Congrès proposée par les deux sénateurs de l'Alaska, qui a été signée par le président Bush puis a été reprise par le président Obama. Ils font des efforts pour la mise sur pied d'une organisation régionale de la pêche dans l'océan Arctique central.
Oui, exactement comme l’OPANO.
L'avantage de tels arrangements est que les quotas sont établis sur une base scientifique, en appliquant le principe de précaution, et au moyen de négociations, évidemment. Par ailleurs, de telles organisations sont ouvertes à des États extérieurs à la région. Ainsi, la Chine participe à plusieurs organisations régionales de la pêche, ce qui permet de faire face dans ce contexte aux problèmes de la pêche à longue distance, dans une certaine mesure. Cette pratique exemplaire que nous avons apprise ailleurs dans le monde peut facilement être transférée dans l'Arctique.
Si j'ai bien compris, les Américains cherchaient des partenaires pour cette initiative et ont collaboré étroitement avec la Russie mais, pour une raison que j'ignore, le Canada n'est pas dans le coup. Je ne pense pas que nous nous opposerions à une telle chose mais, si l'on parle de faire preuve de leadership, c'est précisément là qu'il faut le faire.
Finalement, certains disent que le Conseil de l'Arctique n'est pas la bonne organisation pour faire cela car la Suède et la Finlande sont au Conseil de l'Arctique et sont liées par la politique de pêche commune de l'Union européenne. Autrement dit, le Conseil de l'Arctique n'est pas la bonne organisation à cause de ce lien avec l’UE.
Ma réponse est que nous avons besoin que l'Union européenne soit de notre côté dans toute organisation régionale de la pêche, tout comme nous avons besoin de la Chine, du Japon et de la Corée-du-Sud. Si les chalutiers espagnols ne sont pas assujettis à ce type d'accord, nous aurons un problème dès le départ.
Agissons donc dans le cadre du Conseil de l'Arctique, ou essayons au moins de le faire. C'est une occasion exceptionnelle pour le Canada de faire preuve de leadership. Nous savons comment faire ces choses-là. Nous en avons fait l'expérience dans l'Atlantique. Montrons aux autres pays comment travailler ensemble dans le nord.
Je pense que le Canada pourrait avoir là une possibilité de faire pour la pêche dans l'Arctique l'équivalent de l’OPANO. C'est une idée intéressante. Merci.
Professeur Byers, vous avez publié en 2011 dans Options politiques un article qui, du fait de la réélection du président Obama, est peut-être encore plus pertinent aujourd'hui puisque vous y parliez d'une volonté assez générale de régler des questions comme la recherche et le sauvetage ou la gestion environnementale parmi les nations de l'Arctique sous forme d'efforts coopératifs de politique étrangère. Et je pense que le professeur McRae a dit la même chose.
Il n'y a pas eu beaucoup de confrontation ou de discorde dramatique. Si l'administration Obama a montré dans le passé qu'elle était prête à négocier ou à discuter avec la Russie et le Canada sur des questions comme la recherche et le sauvetage, l'accès, la police — toute une série de ces questions potentiellement chevauchantes —, le Canada pourrait-il profiter de sa présidence du Conseil de l'Arctique pour essayer de faire avancer un programme multilatéral en tirant parti de la bonne volonté de l'administration américaine afin de ne pas perdre l'impulsion acquise? Sinon, risquons-nous de buter sur ce que le professeur McRae a correctement identifié, je pense, c'est-à-dire qu'il ne faut pas trop chercher de solutions dans des tribunes internationales car on risque de ne pas aimer leurs conclusions? Il est peut-être préférable d'occuper simplement soi-même l'espace correctement, fonctionnellement.
Vous avez dit la même chose au sujet des sociétés de transport maritime asiatiques.
Je n'ai peut-être pas tout à fait le même avis que mon ami et collègue à ce sujet. Les changements sont tellement rapides dans l’Arctique qu'adopter une politique attentiste en espérant que le temps jouera en notre faveur risque de nous faire passer à côté de certaines occasions et de faire naître des crises.
Prenons le passage du Nord-Ouest. À toutes fins utiles, le litige du passage du Nord-Ouest a été réglé par le premier ministre Brian Mulroney en 1988. Ce fut un accomplissement diplomatique incroyable. Lui-même cite l'accord de coopération de l'Arctique avec le président Reagan comme l'un de ses plus grands succès.
S'il n'y avait pas eu ensuite les changements causés par le changement climatique, nous ne parlerions pas aujourd'hui du passage du Nord-Ouest. Le problème est que des navires de commerce y entrent en nombre croissant et que cet accord, qui s'appliquait aux navires du gouvernement américain, ne s'applique pas à cette nouvelle situation. Nous avons donc besoin d'un accord de coopération actualisé pour l'Arctique. Nous avons besoin de mettre à jour le travail de M. Mulroney pour le XXIe siècle.
Je sais qu'il y a des diplomates américains qui apprécieraient une telle conversation car ils réalisent qu'avoir la plus longue côte d'Amérique du Nord saisonnièrement libre de glace n'est pas dans leur intérêt si ça devient un Far-West placé uniquement sous juridiction internationale au lieu d'être placé sous la juridiction appliquée aux eaux intérieures des États d'Amérique du Nord. Ils souhaitent avoir cette conversation. La négociation sera difficile et il faudra faire des compromis.
En 2008, j'ai participé à une négociation modèle avec Paul Cellucci, qui était alors l'ambassadeur des États-Unis au Canada, précisément sur cette question. Une journée et demie ne nous a pas permis de régler la question de la souveraineté mais nous avons quand même pu produire neuf recommandations concrètes sur la manière dont les deux pays pourraient travailler ensemble. La période actuelle est précisément celle où nous devrions parler à notre allié.
Comme je l'ai dit, nous devrions aussi parler à la Russie et aux autres pays de l'Arctique, mais ce litige du passage du Nord-Ouest ne sera réglé que lorsque M. Obama et M. Harper décideront de s'asseoir à la même table, tout comme M. Reagan et M. Mulroney l'avaient fait. Ils devraient se parler à ce sujet et trouver sans tarder un nouvel arrangement.
Merci beaucoup.
Nous entamons maintenant le deuxième tour de questions, avec des périodes de cinq minutes.
Mme Brown.
Merci beaucoup.
Monsieur Byers, je vais vous laisser continuer sur ce sujet pendant un petit moment. Vous avez dit que vous aimeriez qu'on vous pose une question sur la diplomatie. J'ai regardé votre vidéo sur YouTube, votre entrevue à TVO. J'ai pris deux pages de notes et de questions et nous allons donc continuer à parler de diplomatie.
Dans cette bande vidéo, vous parlez de la manière dont les États-Unis se sont sentis menacés par le terrorisme après le 11 septembre, et du fait que le flanc Nord est exposé — c'est l'expression que vous avez employée, je crois. Ensuite, vous avez parlé de cette discussion avec M. Cellucci et vous avez dit qu'il y avait neuf mesures concrètes pour améliorer la coopération au sujet du passage du Nord-Ouest. Pourriez-vous nous parler un peu de ces mesures? Pourriez-vous nous donner une idée de ce qu'elles sont?
Oui, merci.
J'ai été très satisfait de cette entrevue, en grande mesure parce que l'intervieweur était tellement bon. Allan Gregg est tout à fait exceptionnel et j'ai donc pu exposer quelques idées que je n'avais pas encore clairement formulées auparavant.
Personnellement, je ne pense pas que la menace terroriste dans l’Arctique soit particulièrement grave. Entre autres choses, les étrangers sont très faciles à repérer dans les petites collectivités du Nord, comme M. Bevington le sait bien. Il suffit de trois secondes dans un village pour que tout le monde sache qu'un étranger est arrivé. Ajoutez à cela que cet étranger aura peut-être un accent et, d'un seul coup, c'est l'agent local de la GRC qui sera mis au courant. La menace terroriste n'est donc peut-être pas particulièrement préoccupante.
Par contre, en ce qui concerne les défis que pose une voie de transport maritime internationale, en termes de contrebande ou d'immigration illégale, ou de transbordement de marchandises illégales, pouvant éventuellement comprendre des armes de destruction massive ou d'autres choses que nous essayons de réglementer dans les ports et dans les couloirs maritimes du monde entier, il peut effectivement y avoir des problèmes. M. Cellucci avait repris la balle au bond en 2004 et 2005 en disant que la menace terroriste est très importante pour les Américains. Même si nous, au Canada, ne pensons pas qu'elle soit aussi pressante dans l'Arctique, c'est une raison suffisante pour s'asseoir à la même table que les Américains. Si notre objectif est de protéger nos citoyens et notre environnement et que le leur est de se protéger contre le terrorisme, et si cela débouche sur le même résultat et un accord négocié, tant mieux.
Pour ce qui est de recommandations issues de notre négociation modèle, la plus importante était peut-être que nous devrions encourager les deux pays à s'intéresser de plus près à l'Arctique. Nous devrions encourager les États-Unis à adopter un régime d'enregistrement obligatoire des navires, comme NORDREG, pour les eaux situées au nord de l'Alaska. Il leur serait impossible de nous reprocher de faire la même chose qu'eux. Cela signalerait aussi clairement que cette mesure est appropriée pour les deux pays.
De manière similaire, le Canada et les États-Unis avaient modifié l'accord du NORAD en 2006, l'accord de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, pour y inclure le partage de la surveillance maritime. Le ministre de la défense de l'époque, Gordon O'Connor, avait alors précisé que cela englobait le passage du Nord-Ouest.
D'aucuns pensent que je m'opposerais au partage de la surveillance maritime avec les Américains dans le passage du Nord-Ouest, ce qui n'est vraiment pas le cas. Nous partageons le même continent. Le NORAD sert à protéger le continent contre une menace externe. Tout comme la surveillance aérienne, la surveillance maritime est un élément important de cette activité. L'une des recommandations de notre négociation modèle était qu'on mette cela pleinement en oeuvre de façon à assurer un partage réel de la surveillance maritime et de la réaction dans des régions comme le Grand Nord, et qu'on fasse ce travail essentiel sans tarder, ce qui rehausserait la confiance des Américains.
Si nous voulons un accord de coopération dans l’Arctique actualisé avec les États-Unis, nous devons bien comprendre que leur crainte est que, s'ils signent un accord et reconnaissent notre revendication légale — les eaux intérieures —, le risque est que nous ne faisions ensuite plus rien, c'est-à-dire que nous obtenions la compétence juridique mais sans prendre ensuite les mesures qui s'imposent en matière de police, d'infrastructures et de surveillance. Leur crainte est que nous laissions tomber la balle après qu'ils s'en soient remis à nous en ayant pris cet engagement légal. Notre devoir est donc de leur montrer que nous sommes sérieux à ce sujet, que nous voulons relever nos normes, et que nous voulons qu'ils relèvent également les leurs. Nous sommes prêts à passer à l'action. À eux de nous montrer qu'ils y sont prêts aussi. Il est grand temps d'être sérieux dans cette région, d'une manière qui soit cohérente pour les deux pays.
Voici la dernière recommandation que je mentionnerai. Nous avons conclu qu'il faudrait créer une commission bilatérale sur le transport maritime dans le nord, inspirée de la Commission mixte internationale qui gère les eaux transfrontalières entre le Canada et les États-Unis, ou inspirée de la Voie maritime du Saint-Laurent, où les deux pays utilisent ensemble leur compétence juridique nationale pour créer une voie internationale de transport maritime fonctionnant dans leur intérêt commun. Voilà ce dont nous avons besoin dans le passage du Nord-Ouest, c'est-à-dire ce genre de vision où il ne s'agira plus du Canada contre les États-Unis mais du Canada avec les États-Unis, en utilisant le statut du Canada comme État côtier dans l'intérêt des deux parties.
Je serai très bref. Je veux simplement souligner un élément qui est ressorti des rencontres informelles que nous avons eues avec nos amis d'Islande, monsieur le président. Vous vous souvenez de leur témoignage. Je veux simplement m’assurer qu'on ne l’oublie pas.
Dans leur témoignage informel — ce serait peut-être une bonne idée de leur demander qu'ils nous le communiquent formellement, et nous trouverons le moyen de le faire —, ils avaient mentionné les changements concernant la pêche dans leur pays. Vous vous souviendrez qu'ils avaient dit avoir été d'un seul coup confrontés à une abondance de maquereau, je crois. J'aimerais qu'ils nous disent ce qu'ils ont fait en matière de surveillance des eaux et d'études scientifiques, car cela pourrait peut-être nous aider à la lumière de ce que nous avons entendu aujourd'hui.
Je cède le reste de mon tour à M. Bevington.
Je ne voulais pas vraiment consacrer beaucoup de temps au passage du Nord-Ouest, car je suis assez d'accord avec M. McRae sur le fait que, si l'on en croit certaines des informations qui commencent à nous parvenir — notamment avec le passage du brise-glace Snow Dragon par le pôle Nord cet été —, la probabilité d'une activité de transport maritime massive dans le passage du Nord-Ouest diminue peu à peu parce que les glaces sont très dangereuses sur ce trajet. Quiconque a travaillé dans le Nord sur des navires ces dernières années sait que le mouvement des glaces est crucial en matière de transport maritime, et que, plus il y a d'eau libre, plus il y a de mouvement. Nous l'avons vu cette année avec le blocage du port d’Iqaluit, avec le blocage d'un des détroits du passage du Nord-Ouest. Dans le Haut-Arctique, ce qu'on voit, c'est qu'il y a très peu de glace pluriannuelle. C'est l'information qu'avait communiquée Shelagh Grant lors d'un forum auquel j'ai assisté plus tôt cette année, c'est-à-dire que la glace pluriannuelle est très limitée dans le Haut-Arctique, dans la région du pôle Nord. La distance par le pôle Nord est de 12 000 km — de l'Europe à l'Asie — contre 15 000 km par la route maritime du Nord. Voilà les options qui s'offrent aujourd'hui pour le transport maritime, en tenant compte de la probabilité que la fonte des glaces continuera dans l'Arctique.
Devrions-nous nous concentrer sur… Les navires supplémentaires qui empruntent le passage du Nord-Ouest sont essentiellement des navires de tourisme. Nous voyons de plus en plus de navires de croisière et de navires privés emprunter le passage du Nord-Ouest.
Je veux remettre cela en contexte. Vous en avez parlé un peu. Pourriez-vous développer votre pensée à ce sujet?
Là où je suis d'accord avec le professeur Byers, c'est quand il dit qu'on ne peut rien exclure et qu'il serait donc dangereux de postuler que nous nous retrouverons tous dans la route maritime du Nord ou dans l'océan Arctique et pas dans le passage du Nord-Ouest. En contrepartie, dans un contexte de planification, il me semble assez probable actuellement que le transport maritime se fera au départ plus dans la partie nord, dans l'océan Arctique.
Même si ce sont des navires de croisière qui passent par là, il me semble que cela appelle le même genre de planification intérieure pour pouvoir gérer cette voie d'eau que s'il s'agissait de plus gros navires ou de transporteurs commerciaux de GNL. Voilà pourquoi j'ai dit que nous devrions simplement aller de l'avant et gérer le secteur comme s'il s'agissait de nos eaux intérieures. Si ce que suggère le professeur Byers se réalise, parfait. Ayant été le négociateur du Canada avec les États-Unis sur le saumon du Pacifique pendant deux ans, je ne suis pas si sûr que les Américains voient nécessairement leur meilleur intérêt de la même manière que nous. Ce sont des gens avec qui il est très difficile de traiter, comme nous l'avons constaté pendant les négociations sur le saumon du Pacifique durant plusieurs années. Comme vous l'avez dit, la négociation serait difficile.
Quoi qu'il en soit, je pense que notre priorité ne devrait pas être d'essayer d'obtenir l'accord des Américains. Elle devrait être de mettre sur pied l'infrastructure nécessaire pour gérer le passage du Nord-Ouest en vue de n'importe quel type de navires susceptibles de l'emprunter, et de traiter ce passage comme faisant partie de nos eaux intérieures et non pas comme si nous avions à demander à qui que ce soit l'autorisation de le faire.
Dans ce cas, notre priorité ne devrait-elle pas être de négocier des accords internationaux sur le transport maritime, sur le type de navires susceptibles de passer dans l'Arctique? Ces accords internationaux s'appliqueraient aux eaux internationales. Si nous nous concentrons sur nos eaux intérieures comme objet primordial de transport maritime, nous parlons alors de quelque chose qui est différent de la négociation de grands accords internationaux avec des pays comme la Chine, ou Singapour, qui possède une vaste flotte marchande, et tous les pays qui pourraient être intéressés à transporter leurs marchandises par l'Arctique.
La priorité n'est-elle pas d'obtenir le grand accord plutôt que le petit?
Ils sont parallèles. Je ne pense pas qu'on puisse dire l'un plutôt que l'autre. Je pense qu'il faut viser les deux. Le forum permettant de négocier l'autre est la tentative de dresser un code polaire exécutoire, par le truchement de l’OMI, puisque c'est là que se réunissent tous les pays qui s'intéressent au transport maritime, et on s'efforcerait idéalement d'obtenir que ce code polaire fixe les normes, le même genre de normes que nous essayons d'appliquer dans le passage du Nord-Ouest, afin qu'il n'y ait pas de divergences entre les règles nationales et internationales.
Merci, monsieur le président.
Je m'adresse au professeur McRae, car je souhaite revenir sur la question de M. Dechert, mais dans le contexte très précis de la Russie.
La semaine dernière, nous avons entendu des représentants du ministère des Affaires étrangères nous dire que la priorité dominante du Canada, comme président du Conseil de l'Arctique, sera le développement économique pour les populations du Nord. Toutefois, la Russie a récemment suspendu l'Association russe des populations autochtones du Nord, une organisation autochtone représentant plus de 250 000 habitants des régions septentrionales. Comme le Canada a déclaré que les peuples du Nord seront sa priorité sous sa présidence, quelle sera selon vous l’incidence de cette décision de la Russie sur notre objectif?
Ma première réponse est que le gouvernement canadien peut bien dire que son objectif primordial est le développement économique pour les peuples autochtones, mais il me semble qu'on pourrait peut-être d'abord demander à ces derniers ce qu'ils en pensent et s'ils croient que cela serait dans leur intérêt.
En ce qui concerne la Russie, je pense que le problème qu'elle pose à l'heure actuelle est son imprévisibilité. J'ai dit avoir assisté aux conférences du Conseil circumpolaire inuit. Les représentants des peuples autochtones russes ont pu participer à l'une mais pas à l'autre. Il y a eu un problème de visa à la dernière minute. On ne peut donc jamais savoir si les représentants russes seront là ou non. Il y a peut-être de graves problèmes au sujet de la manière dont la Russie traite ses peuples autochtones. Il y a de toute façon un problème avec la manière dont de nombreux pays traitent leurs peuples autochtones. Je ne veux pas prendre la Russie à partie.
Je ne pense pas que le problème était que le gouvernement russe avait décidé de les empêcher de venir à la conférence. Il y a eu une sorte de problème particulier à un moment particulier qui a causé cette réaction. Je pense que la difficulté avec la représentation autochtone de la Fédération russe est qu'on ne peut jamais savoir exactement si elle sera présente, si elle pourra venir s'exprimer. Quand elle est venue, il était clair qu'elle agissait avec le gouvernement russe, contre le gouvernement russe, avec l'industrie nationale, contre l'industrie nationale. Ses membres étaient dynamiques et actifs dans leur souci de défendre les intérêts et objectifs de la Russie, mais la situation politique globale est suffisamment instable pour rendre cela très compliqué.
J'ai une autre question pour le professeur Byers.
Professeur, vous avez expliqué dans votre rapport sur les défis circumpolaires que le Conseil de l’Arctique procède actuellement à l'adoption d'un nouveau traité sur la prévention et la réaction aux déversements pétroliers. Ce traité ressemble de près à la Convention internationale sur la préparation, la lutte et la coopération en matière de pollution par les hydrocarbures, de 1990. Elle dispose que les signataires doivent coopérer en cas de déversement, sur des choses telles que l'offre d'équipements et l'aménagement d'installation plus propres. Vous dites cependant dans le rapport que cela n'est pas adéquat et qu'il faut aller au-delà de la préparation, c'est-à-dire passer à la prévention. Ce dont nous avons réellement besoin, dites-vous, c'est d'un traité panArctique sur la prévention des déversements de pétrole.
Pourriez-vous nous dire comment le Canada pourrait essayer d'obtenir un tel accord de prévention, et quelles obligations en découleraient pour le Conseil de l'Arctique?
Permettez-moi de reprendre d'abord une phrase de la question que vous avez posée à mon collègue sur la suspension de RAIPON par le ministère russe de la Justice. Je pense qu'il s'agissait probablement là d'un cas parfait de deux ministères russes incapables de se parler.
Il vaut la peine de souligner que le haut représentant russe pour l'Arctique, l'ambassadeur Anton Vasiliev, avait participé à l'expression des préoccupations du Conseil de l’Arctique au sujet de la mesure prise par le ministère russe de la Justice. Donc, tout comme à Ottawa, quand des ministères n'ont pas suffisamment de contacts entre eux, il y a une explication très bénigne à ce qui a pu se passer. Certes, il peut y avoir aussi des explications moins bénignes mais nous ne devrions pas sauter aux conclusions.
En ce qui concerne la négociation d'un nouveau traité sur la prévention des déversements de pétrole, j'aimerais dire plusieurs choses. Si un déversement de pétrole se produit dans l'Arctique, ses effets risquent fort d'être transnationaux. Prenons l'exemple de la mer de Beaufort. Un gros déversement de pétrole là-bas aurait des conséquences pour le Canada et pour les États-Unis. Dans la baie de Baffin? Même chose, pour le Groenland et le Canada. Dans l'Arctique, un déversement massif aurait des conséquences transnationales, ce qui signifie qu'il faut envisager le problème sous un angle transnational.
En matière de prévention des déversements de pétrole, je pense qu'il est également important que tous les pays soient sur un pied d'égalité du point de vue de la sécurité et de la réglementation, afin qu'il n'y ait pas de course vers le plus bas dénominateur commun, c'est-à-dire qu'on n'essaye pas de ne pas avoir de réglementation, parce que l'Arctique est une zone tellement risquée pour une telle activité. Le Canada devrait endosser les efforts d'adoption de normes plus élevées. Nous savons tous ce qui est arrivé dans le golfe du Mexique. Nous savons tous que les conséquences ultimes pour les sociétés pétrolières autant que les gouvernements sont extrêmes si cela n'est pas fait.
Un dernier exemple. On parle beaucoup actuellement de la question de savoir si les pays devraient conserver une capacité de forage de puits de secours au cours d'une même saison en ce qui concerne l'Arctique. Comme les forages se font en eau de plus en plus profonde, cela devient une question assez pressante. D'autres pays, comme la Norvège, le Groenland et le Danemark, maintiennent cette exigence. Je pense que nous devrions faire la même chose ici, au Canada.
Ce qui peut nous consoler, c'est qu'il existe des preuves croissantes, notamment dans l'Arctique, que les grandes compagnies pétrolières souhaitent avoir un degré élevé de réglementation et de sécurité car elles ont vu ce qui est arrivé à BP. Elles ont vu les conséquences pour cette société, et nous avons vu ce qui est arrivé l'été dernier au Canada. Nous avons ouvert jusqu'à cinq nouveaux blocs à bail dans la mer de Beaufort et aucune des grandes compagnies n'a fait d'offre. Ces dernières années, les majeures ont tourné leur attention vers des pays comme la Russie, la Norvège et le Groenland, peut-être parce que le Canada a pris du retard sur l'adoption de normes rigoureuses.
Faisons donc preuve d'initiative et de leadership en rehaussant collectivement nos normes avec les autres États de l'Arctique.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je m'adresse à nouveau au professeur McRae. Si vous deviez recommander les trois ou cinq questions dont le Conseil de l’Arctique devrait s'occuper en priorité au cours des deux prochaines années, lesquelles recommanderiez-vous au gouvernement?
Je recommanderais certainement la protection des peuples autochtones et la prise en compte de leurs intérêts en développement économique. Je mentionnerais aussi certainement tout ce qui concerne la protection de l'environnement, et chacun pourra interpréter cela comme il l'entend en englobant aussi bien le changement climatique que des questions de portée plus limitée comme la pollution pétrolière ou la pollution des navires. Globalement, il s'agirait de tout ce qui concerne l'environnement de l’Arctique.
L'une des questions que je sais que les Autochtones tiennent absolument à mettre à l'ordre du jour, mais pour laquelle ils essuient toujours un refus, est la sécurité dans l'Arctique. Je sais que c'est une question au sujet de laquelle ils tiennent particulièrement à pouvoir s'exprimer.
Je pense que, dans ce contexte, on peut aussi mentionner le transport maritime, c'est-à-dire la possibilité pour le Canada de le surveiller à l'échelle régionale, sous l'égide du Conseil de l'Arctique, afin que tout ne soit pas systématiquement décidé au niveau de l’OMI, l'Organisation maritime internationale.
M. Bob Dechert: Professeur Byers?
Sur la même question?
M. Bob Dechert: Oui.
M. Michael Byers: J'en ai quatre. La première est la prévention des déversements de pétrole, en plus de la préparation et des réactions aux déversements de pétrole.
La deuxième serait les agents de courte durée forçant le climat. J'ai déjà mentionné le carbone noir et la brume de l'Arctique. Si le Canada faisait preuve de leadership à cet égard, je pense qu'on pourrait faire un progrès réel à ce sujet.
Troisièmement, j'ai mentionné la création d'une organisation régionale de la pêche pour l'océan Arctique central. Les États-Unis sont prêts, et la Russie aussi. Le Canada se voit offrir une occasion énorme d'obtenir une victoire diplomatique dont il pourrait revendiquer la responsabilité totale en tirant parti de son expérience.
Quatrièmement, et ceci sera controversé, je pense que nous devrions tenter de faire admettre l'Union européenne et la Chine comme observateurs permanents au Conseil de l'Arctique. Pas comme membres à part entière, pas comme membres ayant le droit de voter, pas comme membres pouvant assister aux réunions à huis clos, mais comme observateurs permanents. La raison pour laquelle je dis cela est qu'une organisation internationale, quelle qu'elle soit, n'a d'importance qu'en fonction de ceux qui sont présents à ses délibérations. Nous souhaitons que le Conseil de l'Arctique soit au centre de la diplomatie de l'Arctique, de la gouvernance de l'Arctique, et nous devrions nous réjouir que l'Union européenne et la Chine demandent à être présentes.
À part cela, il y a certaines questions dont on ne peut traiter sans la coopération de ces acteurs importants. Si nous voulons régler le problème du carbone noir, il faut que la Chine soit présente dans la salle. Si nous voulons régler la question de la gestion régionale des pêches, il faut que l'Union européenne soit présente dans la salle.
Je sais que certains groupes autochtones s'opposent vivement à cette suggestion, et ils ont leurs raisons, notamment l'interdiction de l'importation des produits du phoque par l'Union européenne. Toutefois, nous avons là une occasion d'action diplomatique, l'occasion de dire à l'Union européenne: « Nous souhaitons votre présence dans la salle pour toutes ces bonnes raisons, mais vous allez devoir nous aider. Comment allez-vous compenser les Inuits du Canada pour l'incidence qu'a eue sur leur économie votre politique sur la chasse aux phoques? » Au lieu de s'agiter et d'aller devant les tribunaux, voici l'occasion de faire de la diplomatie. Ils veulent entrer au Conseil de l'Arctique, mais ils causent des problèmes à certains de nos citoyens. Essayons de trouver une solution.
Sur toutes ces questions concernant l'Arctique, le premier principe à appliquer est bien connu: parlons-nous. S'il y a une chose que nous n'avons pas suffisamment faite au cours des années — pas seulement pendant les six ou sept dernières années mais pendant les deux ou trois dernières décennies au sujet de l'Arctique —, c'est bien de parler à nos voisins.
Merci beaucoup. Votre temps de parole est écoulé.
Nous passons maintenant à Mme Laverdière pour cinq minutes.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Tout d'abord, je remercie les témoins de leurs présentations et des commentaires qu'lis ont formulés. Ils sont très intéressants.
Pour parfaire mon éducation, comme on disait un peu plus tôt, j'aurais une question très brève à poser. Il y a quelque chose que je ne comprends pas vraiment.
[Traduction]
C'est quoi un puits de secours de même saison?
S'il y a une accumulation de pression dans un puits, ou une explosion dans un puits résultant d'un accident, comme cela est arrivé à BP dans le Golfe du Mexique, l'une des principales méthodes pour essayer de maîtriser la situation est de forer un puits parallèle pour extraire le pétrole et réduire la pression. Il faut pouvoir forer un tel puits aussi rapidement que possible.
En Norvège, y compris dans l’Arctique norvégien, les compagnies doivent démontrer qu'elles peuvent commencer à forer un puits de secours dans les 12 jours suivant un accident. Au Canada, nous avons été des pionniers en matière d'exploitation du pétrole et du gaz naturel dans l'Arctique, dans les années 1970 et 1980, et nous avions alors adopté un règlement pionnier au niveau mondial en exigeant que les entreprises aient la capacité de forer un puits de secours pendant la même saison. Dans l’Arctique, on ne peut forer que pendant 2, 3 ou 4 mois par an. Cette période ne cesse de s'allonger avec la fonte des glaces, mais c'est toujours du même ordre. On doit donc être capable de forer ce puits de secours à temps pour mettre fin à l'éruption de pétrole avant l'arrivée de l'hiver et la reconstitution des glaces, car, sinon, on ne peut plus rien faire pendant 10 ou 11 mois et le déversement de pétrole continue pendant tout l'hiver. Telle était notre politique.
Ces dernières années, sous l"effet de certaines pressions, nous nous sommes un peu écartés de cette politique, à tort, selon moi. Je pense que nous devrions être très fermes avec les sociétés pétrolières. Certes, cela signifie qu'elles devront garder un deuxième navire de forage à proximité, mais voyez ce que font les États-Unis. La saison dernière, en Alaska, il y avait deux navires de forage précisément pour cette raison.
Nous ne devrions pas faire marche arrière à ce sujet au Canada. Le fait est que le pétrole et le gaz de l'Arctique seront attrayants à mesure que les prix augmentent, mais nous ne pouvons pas abaisser nos normes au détriment de notre environnement et de nos peuples autochtones. Maintenir la norme que nous avons mise en place dans les années 1970 devrait être le minimum absolu.
Sur une autre question, peut-être pourriez-vous tous les deux nous donner des précisions sur cette question de pêche régionale qui a été mentionnée à plusieurs reprises ce matin.
Je conviens avec mon collègue que la pêche est et sera une préoccupation importante dans la région. Comme il a dit, nous pouvons la gérer à l'intérieur des 200 milles nautiques, et c'est peut-être la zone sur laquelle nous devrons nous concentrer dans l'avenir proche, car on ne pourra peut-être pas aller beaucoup plus loin. Après cela, on entre dans la zone de haute mer. Or, la haute mer signifie que n'importe quel pays au monde peut y pêcher. Quelle que soit la longueur du plateau continental, la haute mer commence à 200 milles nautiques de la côte. La haute mer dans n'importe quelle autre région du monde est totalement ouverte à la pêche, même si tout le monde n'est pas nécessairement d'accord.
Une organisation régionale de gestion de la pêche essaiera d'obtenir la coopération des pays qui pratiquent la pêche dans la région, ou qui pourraient être intéressés à la pratiquer. Nous avons eu une mauvaise expérience avec l’OPANO. Très franchement, l’OPANO n'est pas une organisation atypique de gestion régionale de la pêche. L'un des gros problèmes des organisations régionales de la pêche est que la plupart n'ont pas de système exécutoire pour fixer des totaux autorisés de capture ou attribuer des quotas. À l’OPANO, il y a un système d'objection grâce auquel l'Union européenne, pendant de nombreuses années, a simplement déclaré qu'elle n'approuvait pas les quotas établis scientifiquement et qu'elle fixerait ses propres quotas. Cela a causé certaines difficultés. Maintenant, on a peut-être la possibilité de contester son droit d'agir de cette manière, mais il n'en reste pas moins que le fait de ne pas avoir de régime exécutoire est un problème.
Je pense que, si nous voulons mettre sur pied un régime de pêche dans l'Arctique, nous devons être très prudents et veiller à ne pas simplement reproduire les régimes existants de gestion de la pêche qui ne permettent pas de garantir que chacun respecte les quotas. Il n'existe pas de très bon système pour gérer ce qu'on appelle les nouveaux entrants, quand un pays extérieur à la région désire venir y pêcher. Comme l'Arctique sera une zone ouverte, il se peut fort bien qu'on y voie apparaître des pays qui n'ont jamais pêché auparavant dans les régions du Nord, parce que les stocks de poisson s'épuisent dans le reste du monde. Il existe une capacité de pêche substantielle dans le sud de l'océan Atlantique — une très forte surcapacité de pêche. Si une nouvelle région devient accessible, des navires de pêche très puissants seront enregistrés sous pavillon de complaisance et seront pilotés par des anciens capitaines de la marine russe extrêmement compétents et sachant très bien pratiquer la pêche dans le Grand Nord.
Il sera alors très difficile d'exercer une bonne gestion. C'est un gros problème, mais il est essentiel de bien le résoudre si l'on ne veut pas voir réapparaître ce qui s'est fait dans d'autres régions du monde.
Je veux simplement faire une brève remarque: si nous voulons créer une organisation régionale de la pêche, faisons-le avant que commence la pêche commerciale. Faisons-le avant que des pays obtiennent des droits acquis. Je partage totalement l'avis du professeur McRae quand il dit que c'est le bon moment. Si nous laissons passer cette occasion, il se peut fort bien que des chalutiers à grand rayon d'action soient déjà sur place dans les deux prochaines années. À ce moment-là, ce projet fera l'objet d'une très forte opposition.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Byers, dans cette entrevue avec M. Gregg, vous parliez de 100 000 personnes environ volant au-dessus de l'Arctique chaque jour. Puis, j'ai lu un article du Globe and Mail du 15 août 2012 intitulé — je traduis — « Le Canada n'est pas prêt à accueillir le monde dans l'Arctique », le monde étant dans le cas présent le plus grand yacht privé de la planète, baptisé World. Dans cet article, vous parliez du nombre de navires passant par l'Arctique, des problèmes auxquels ils sont confrontés, et de l'expansion du tourisme dans le Nord. Vous disiez que le climat risquait de poser de graves problèmes et de placer les gens dans des situations précaires, ou même mettre leur vie en danger. Vous terminiez cet article en disant ceci:
Il est clair que le Canada doit rehausser d’urgence ses capacités de recherche et de sauvetage.
L'une des autres choses dont vous parliez avec M. Gregg était la nécessité de prévoir plus de brise-glaces. Pourriez-vous nous dire à quoi devrait ressembler notre capacité de recherche et de sauvetage d'urgence dans ce contexte? Comme vous le savez, nous achetons de nouveaux brise-glaces. Notre gouvernement a pris cet engagement.
Merci, et je vous félicite d'avoir bien fait vos recherches. Je suis heureux que vous suiviez attentivement mon travail.
Oui, les problèmes de recherche et de sauvetage augmentent de manière quasi exponentielle. Oui, plus de 100 000 personnes volent chaque jour au-dessus de l'Arctique canadien dans des avions allant de Los Angeles à Londres ou de New York à Beijing. Or, il existe malheureusement un risque statistique qu'un accident se produise. Si l'un de ces avions devait atterrir d'urgence dans un secteur éloigné de toute collectivité humaine en plein milieu de l'hiver, ce ne serait pas seulement un grave problème pour les personnes à bord — il est évident que leur situation serait terrible —, ce serait aussi une source énorme d'embarras pour le Canada qui tenterait désespérément d'envoyer des hélicoptères de sauvetage basés sur l'île de Vancouver et en Nouvelle-Écosse pour faire face à une situation survenue pratiquement à l'autre bout du monde, à des milliers de kilomètres de là.
C'est exactement la même chose pour le transport maritime. J'ai emprunté plusieurs fois le passage du Nord-Ouest à bord de navires d’écocroisières appartenant à la Russie et dotés d'équipages russes, naviguant dans les eaux canadiennes avec la permission du Canada et ayant plus de 100 écotouristes à bord dans certains secteurs très isolés et difficiles. Comme l'a dit le professeur McRae, ces navigateurs sont très compétents, mais il y aura inévitablement un problème un jour ou l'autre. En 2010, nous avons vu trois navires s'échouer dans l'Arctique canadien.
Oui, nous devons nous préparer à ce genre de situation. Cette activité ne fait qu'augmenter. Et il faut ajouter à cela toutes les activités de prospection minière ou autres. L'aéroport d’Iqaluit est l'un des aéroports les plus occupés du Canada durant les mois d'été.
Comment peut-on faire face à cette situation? En comprenant bien que cela doit être une priorité, même s'il y a relativement peu de Canadiens qui vivent là-haut. Le fait qu'on n'y trouve aucun grand centre urbain ne saurait excuser l'absence de services de qualité mondiale de recherche et de sauvetage. Devrions-nous positionner un hélicoptère de recherche et de sauvetage dans l'Arctique durant les mois d'été? Oui, je le souhaite. Devrions-nous accorder la priorité à l'achat de nouveaux appareils de recherche et de sauvetage à voilure fixe pour les Forces canadiennes? Absolument. Devrions-nous assurer en priorité la reconstitution de notre flotte de l'Arctique, qui se compose actuellement de brise-glaces aussi ou plus vieux que moi? Absolument.
Malgré tout le respect dû au gouvernement, beaucoup de vraiment bonnes promesses ont été faites, mais elles n'ont pas toujours été suivies d'effet. Les contrats d'acquisition de navires de patrouille en haute mer pour l'Arctique ne sont pas encore signés, sept ans après la première annonce du premier ministre. En ce qui concerne les appareils à voilure fixe de recherche et de sauvetage, le processus d'approvisionnement est en cours depuis près d'une décennie mais, encore une fois, aucun contrat n’a encore été signé.
Mon message au gouvernement est le suivant: vous prononcez de belles paroles, depuis pas mal de temps, mais vous ne livrez pas la marchandise. Si cet accident tragique que je viens d'évoquer se produit et que nous ne sommes pas prêts, cela n'aura certes aucun impact sur notre souveraineté, mais en aura beaucoup sur notre crédibilité comme nation arctique.
C'est tout le temps dont vous disposiez, mais il y aura encore un tour et vous pourrez vous battre pour savoir qui en bénéficie.
Monsieur Bevington, vous avez cinq minutes.
Merci, monsieur le président.
Je voudrais changer un peu de sujet. M. McRae a parlé de la nécessité de régler des questions d'ordre national au Conseil de l’Arctique: développement économique et développement social. Il y a eu il y a deux semaines une grande conférence à Winnipeg avec l'Université de l'Arctique, qui a attiré beaucoup de monde. C'est la meilleure que l'on ait jamais organisée à ce sujet. On a de plus en plus le sentiment qu'il faut communiquer…
Est-ce qu'une organisation internationale serait le meilleur outil — je vous pose la question à tous les deux —pour répandre la bonne parole sur le développement national, le développement économique et le développement social? Ne devrions-nous pas collaborer plus avec UArctic, qui est une organisation internationale partageant de l'information sur toutes ces questions? Il y a deux ans, le gouvernement a cessé de fournir des fonds à cette université. Ne devrait-il pas revenir sur cette décision de façon à participer à ce partage d'information, étant donné qu'il est absolument crucial que l'on comprenne bien…
Au fond, ce que je veux dire aussi, c'est que le Conseil de l'Arctique est une organisation internationale conçue pour s'occuper de questions internationales. Aurons-nous des problèmes avec d'autres États si nous commençons à l'utiliser pour traiter de questions nationales? Vous pouvez répondre tous les deux à la question.
Merci de cette question.
Cela me ramène au début de mon exposé. Le Conseil de l'Arctique est une tribune de politique étrangère pour les relations internationales. Il réunit d'anciens adversaires de la Guerre froide. Vous y trouvez les États-Unis et la Russie autour de la même table, avec une administration américaine qui a explicitement reconnu l’Arctique comme étant l'occasion d'amener la Russie dans une relation de coopération. Il s'agit là d'enjeux très élevés. Ce qui se passe au Conseil de l'Arctique se situe au pinacle des relations internationales. Il s'agit des relations nucléaires entre les anciens adversaires de la Guerre froide. Il s'agit de s'attaquer à la crise du changement climatique. Il s'agit de gérer l'intérêt de la Chine à l'égard des ressources du monde entier. Ce sont là de gros enjeux.
Comme le Canada assumera la présidence pendant deux ans, nous devrions fixer nos priorités en comprenant bien qu'il s'agit là de relations internationales au niveau le plus élevé possible. Nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons faire en coopération avec les autres pays, c'est-à-dire des choses que nous ne pourrions pas accomplir tout seuls. Autant j'appuie l'idée de diffuser le savoir sur l’Arctique canadien et les citoyens canadiens dans l'Arctique, et sur ce que nous y faisons, autant je ne voudrais pas que cela chasse ces autres priorités, ou des choses qui devraient être des priorités. Comme je l'ai dit, nous devons nous focaliser sur cette question de gestion de la pêche, cette question de prévention des déversements de pétrole, cette question des forces climatiques de courte durée. Nous avons là beaucoup de pain sur la planche.
Vous avez raison, il y a d'autres tribunes pour faire un travail d'éducation et pour diffuser les connaissances sur ce que nous faisons ici chez nous.
L'autre chose que je tiens à ajouter, et ceci me paraît indispensable, c'est que l'Arctique change tellement vite qu'il est impératif d'obtenir les meilleures données scientifiques sur toutes ces questions, et que ces données scientifiques soient appliquées et utilisées conformément aux recommandations et en tenant compte des conséquences de concert avec les autres pays. Si j'ai un reproche sérieux à adresser au gouvernement canadien au sujet de l'Arctique, c'est d'avoir cessé de financer la station atmosphérique PEARL de Eureka, dans l'Arctique. Il y a des questions d'une importance tellement écrasante — comprendre le changement climatique, comprendre les changements dans l'Arctique — que les autres pays nous regardent avec effarement quand nous réduisons notre possibilité de contribuer à leur résolution.
L’Arctique a bénéficié de crédits élevés du gouvernement, et j'en ai bénéficié moi-même par le truchement de ArcticNet, mais il faut bien comprendre que, si nous voulons une politique étrangère sérieuse au sujet de l'Arctique, si nous voulons être pris au sérieux dans des instances telles que le Conseil de l'Arctique, nous devons rehausser nos efforts au lieu de les restreindre.
Permettez-moi de répéter cela d'une autre manière. J'entends parfois des fonctionnaires exprimer des préoccupations sur ce que coûte l'Arctique au Canada. Ils parlent de milliards de dollars transférés au Nunavut. Ils parlent du coût de la prestation de services de recherche et de sauvetage dans cette vaste région. Cela vous semblera peut-être désinvolte, mais ce n'est pas du tout mon intention. Je leur réponds qu'ils n'ont qu'à mettre l’Arctique canadien en vente sur eBay, car beaucoup d'autres pays seraient prêts à payer des milliers de milliards de dollars pour bénéficier des opportunités que nous avons dans l'Arctique.
Ce n'est pas le moment de faire des économies de bouts de chandelle. C'est plutôt le moment de profiter de la chance que nous avons d'être une nation de l’Arctique, et d'être le deuxième pays le plus vaste de la planète, pour faire les choses correctement en matière de recherche et de sauvetage, en matière de recherche sur le changement climatique, en matière de soutien des peuples autochtones, en matière de présidence du Conseil de l'Arctique. Le premier ministre, et c'est tout à son énorme crédit, est le premier depuis des décennies à prendre l’Arctique au sérieux. À lui maintenant d'agir concrètement.
Merci beaucoup.
Nous allons terminer avec le dernier interrogateur, et nous commençons avec Mme Brown pour passer ensuite à M. Van Kesteren.
Merci.
J'ai une très brève question à vous poser, monsieur Byers, dans le sillage de ma dernière question sur la recherche et le sauvetage. De quoi avons-nous vraiment besoin là-haut? Vous venez de parler d'un vaste territoire. Certes, il est immense. Comment pouvons-nous nous assurer que nous avons le bon équipement au bon endroit pour réagir au genre de problèmes que vous avez identifiés dans votre article? Des problèmes pourraient apparaître n'importe où sur ce très vaste territoire. Nous pourrions nous trouver à des milliers de kilomètres de distance d'un accident, même en ayant de multiples installations de recherche et de sauvetage à notre disposition.
Nous faisons un peu de rattrapage en ce moment, après une décennie de non-investissement dans nos forces militaires et dans nos services de recherche et de sauvetage. En fait, il y a un contrat qui a été annulé et nous devons donc faire des investissements de rattrapage. Comment pouvons-nous cependant nous assurer que nous aurons assez là où il faut?
Permettez-moi de vous donner quelques exemples.
Nous avons actuellement une excellente capacité de surveillance de l’Arctique à partir de l'espace. La surveillance est une composante des activités de recherche et de sauvetage en termes de suivi des navires et de possibilité d'obtenir une imagerie de grande qualité en situation d'urgence.
J'aimerais beaucoup que le gouvernement s'engage totalement envers la série Constellation de RADARSAT. Selon mes informations, le gouvernement a bloqué la vente de MacDonald, Dettwiler en partie parce qu'il considérait que RADARSAT-2 avait une importance capitale pour sa politique de l'Arctique. Voila donc une composante centrale: la Constellation RADARSAT.
Nous devons comprendre aussi que c'est parce que l'Arctique change qu'il importe de changer nos idées préconçues sur les lieux où l'équipement de recherche et de sauvetage devrait être basé.
Je vous donne un exemple. Il y a quelques années, je me trouvais à Inuvik où j'ai eu l'occasion de discuter avec un pilote d'hélicoptère de Cougar Helicopters qui travaillait à contrat avec l'une des grandes compagnies pétrolières — je crois que c'était BP — qui faisait des études géosismiques dans la mer de Beaufort. L'entreprise ne voulait pas se fier à l'hélicoptère de recherche et de sauvetage des Forces canadiennes basé à Comox, sur l'île de Vancouver. Elle avait donc passé un contrat avec Cougar pour obtenir son propre service privé de recherche et de sauvetage.
Certes, d'aucuns diront que cela offre une opportunité et une responsabilité importantes aux acteurs privés, mais cela met aussi en relief l'éloignement de notre appareil par rapport à cette région. Si nous voulons encourager le développement dans l'Arctique, et si nous voulons appuyer les collectivités de l’Arctique, il conviendrait peut-être de revoir sérieusement comment nous nous y prenons.
L'autre chose à dire en matière de recherche et de sauvetage est qu'il est grand temps d'être sérieux, par exemple sur la manière dont nous envisageons la recherche et le sauvetage à l'échelle du pays du point de vue des délais de réaction que nous attendons des Forces canadiennes et de leur personnel. Il est à mon avis inacceptable qu'il y ait un délai d’une demi-heure pour être sur le pied de guerre pendant les heures de travail et de deux heures la nuit et en fin de semaine. Ce n'est pas seulement une question de matériel, c'est aussi la question de savoir si nous avons assez de techniciens et de pilotes pour pouvoir intervenir rapidement — être sur le pied de guerre à très brève échéance — dans tout le pays.
On peut bien acheter pour des milliards de dollars d'avions de recherche et de sauvetage, ça ne servira à rien si l'on n'a pas assez de pilotes et d'ingénieurs pour les mettre en vol. C'est donc aussi une question de personnel. En outre, où se trouvent les bases? Avons-nous des bases avancées? Avons-nous le personnel nécessaire pour pouvoir être sur le pied de guerre à très brève échéance 24 heures sur 24, pas seulement dans l'Arctique, mais partout au pays?
J'allais aborder un autre sujet, mais je vais continuer sur celui-ci, monsieur Byers.
Qu'est-ce qui ne va pas à ce sujet? Est-ce vraiment la politique que nous voulons adopter? Si les gens veulent aller explorer l'Arctique, s'ils veulent aller voyager dans l’Arctique, n'est-il pas normal qu'ils engagent des services privés de recherche et de sauvetage? Ce pays est immense, ne l'oublions pas.
M. Michael Byers: Certes.
M. Dave Van Kesteren: N'est-ce pas aussi une option envisageable? C'est peut-être cela que nous devrions faire?
L'une de mes sociétés canadiennes préférées est Viking Air de Victoria, en Colombie-Britannique. Elle fabrique des Twin Otters tout nouveaux, l'un des meilleurs avions jamais construits au monde. Elles en fabriquent et en vendent dans le monde entier. Je crois savoir quelle a répondu à un appel d'offres pour fournir de nouveaux DHC-5 Buffalos pour de la recherche et du sauvetage à voilure fixe. Après avoir analysé les besoins du Canada, elle a proposé de baser ses avions un peu partout dans le Nord, des avions qui seraient donc possédés et exploités par une société privée.
Avant de continuer, je dois vous dire que je suis assez agnostique à ce sujet. Ce qui m'intéresse, c'est que nous ayons des services fiables pour bien faire le travail. La manière dont ils sont rendus m'importe peu. D'autres pays ont adopté d'autres méthodes pour dispenser ce genre de service de manière efficiente et nous aurions donc tort d'exclure d'office certaines options. Par contre, convenons que la tâche est urgente. Ce que je ne voudrais pas — ceci dit avec tout le respect que je vous dois —, c'est que l'affaire soit renvoyée devant un autre comité pour une étude interminable. Le ministre de la Défense possède toutes les informations nécessaires. Ça traîne depuis près de dix ans. Il est temps maintenant de créer ce service de recherche et de sauvetage à voilure fixe.
En ce qui concerne les hélicoptères, c'est une décision que les Forces canadiennes peuvent prendre au niveau le plus élevé. Avons-nous besoin de baser un Cormorant à Rankin Inlet, à Iqaluit ou à Inuvik pendant les mois d'été? Je pense que oui, mais ces experts en savent plus que moi à ce sujet. Ce sont eux qui sont chargés de positionner les avions et de gérer le personnel.
Merci beaucoup.
Cela met fin aux divers tours de questions. Quelqu'un d'autre a-t-il encore des questions à poser? Je ne pense pas que nous aurons besoin d'une demi-heure pour discuter des travaux futurs du comité, et nous pourrions donc peut-être donner encore un peu de temps au NPD, aux Libéraux ou aux conservateurs.
Monsieur Dechert.
Merci, monsieur le président. J'apprécie cette possibilité.
Professeur Byers, vous avez dit dans votre déclaration liminaire que vous aviez conseillé le ministre Cannon sur sa déclaration de politique de l’Arctique il y a quelques années. Pourriez-vous nous dire quels conseils vous lui avez donnés, et quels éléments il y avait dans cette déclaration qui vous avait fait plaisir, comme vous avez dit?
J'encourage les membres du comité à lire attentivement la déclaration de politique étrangère de l'Arctique, car c'est évidemment la dernière prise de position exhaustive officielle du gouvernement à ce sujet.
Permettez-moi d'attirer votre attention sur certains éléments de cette politique. On y indiquait avec force que la coopération est le fondement actuel des relations internationales touchant l'Arctique et qu'il était à l'évidence dans l'intérêt du Canada de continuer dans cette voie. Nous parlons ici d'une région où les États-Unis et la Russie sont également présents, n'est-ce pas? Nous sommes peut-être des nationalistes canadiens, mais force est bien de reconnaître que la diplomatie est essentielle dans ce contexte parce que nous sommes le petit État du groupe.
Évidemment, la dynamique a changé depuis la fin de la Guerre froide. La Russie vient tout juste d'être admise à l'Organisation mondiale du commerce. Comment pouvons-nous tirer parti de cet engagement de la Russie dans le système international sans abaisser notre garde au sujet de ses tendances autoritaires, par exemple? C'est une question difficile, mais c'est pour cela que nous avons des diplomates et des ministres des Affaires étrangères. M. Cannon avait clairement compris et entériné ce principe, et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il avait déployé beaucoup d'efforts au sujet de sa relation personnelle avec le ministre russe des Affaires étrangères. Cet aspect est très important.
L'autre chose que M. Cannon avait comprise est qu’il y a encore des choses à régler en matière de frontières maritimes dans l’Arctique. Je songe notamment à la mer de Beaufort et à la mer de Lincoln. Sa position, et c'est à mettre totalement à son crédit, était que c'est quand il n'y a pas de crise qu'il faut régler ce genre de problème. C'est la même chose pour la pêche dans l'océan Arctique central. On règle ces questions-là quand tout est calme, quand on peut mener une diplomatie réfléchie, négocier dans un esprit d'amitié et trouver des compromis satisfaisants. Il avait entamé des discussions avec les Américains sur la mer de Beaufort. Dans un discours qu'il avait prononcé à Washington, il avait fait publiquement l'offre d'engager des discussions sur cette question, et elle avait été acceptée.
Des discussions sont en cours avec le Danemark et j'espère vivement qu'elles déboucheront bientôt sur une annonce. Les problèmes avec le Danemark sont tellement minuscules que c'en est risible, à la fois au sujet de l'île Hans et de la mer de Lincoln, mais leur résolution donnerait l'occasion de lancer un mouvement positif en montrant qu'on est capable de s'entendre. Nous négocions actuellement un accord de libre-échange exhaustif avec l'Union européenne, dont le Danemark est un membre important. Quoi de mieux pour rehausser un tout petit peu la bonne volonté des deux parties que de résoudre les litiges que nous avons sur les frontières dans l'Arctique avec le pays membre de l'Union européenne qui est présent dans l'Arctique?
Vous disiez tout à l'heure que vous aviez conçu une entente ou un traité modèle avec l'ambassadeur Cellucci il y a quelques années. Pourriez-vous le déposer devant le comité?
Oui, il y avait neuf mesures concrètes. Pour établir le contexte, nous avions délibérément décidé qu'il y aurait une équipe de négociateurs américains, une équipe de négociateurs canadiens, et que tous seraient des personnes extérieures aux gouvernements ou ne faisant plus partie des gouvernements.
M. Cellucci était le négociateur américain en chef et la première chose qu'il a déclarée a été qu'il allait mettre de côté son opinion personnelle sur le plateau continental et agir comme s'il négociait vraiment au nom des États-Unis. Dans le passé, il avait exprimé l'avis que les États-Unis devraient accepter la position du Canada sur le passage du Nord-Ouest. Ce ne fut pas sa position durant la négociation. Il avait décidé de négocier à la dure.
Les Américains sont de rudes négociateurs, vous savez, mais nous avons quand même réussi à formuler certaines recommandations mutuellement acceptables. Si nous avons pu le faire en une journée et demie, imaginez ce que Gary Doer et ses collaborateurs, avec l'équipe des Affaires étrangères, pourraient faire en six mois.
C'est excellent.
Si nous pouvions jeter un coup d'oeil à ce document, nous vous en serions très reconnaissants. Merci.
Monsieur le président, tant qu'il n'émettait pas son opinion personnelle sur le plateau continental…
Merci, monsieur le président.
Je tiens à préciser, quand on parle de tribunes multilatérales et d’inviter d’autres parties, que nous avons déjà un modèle: l'OTAN. Le groupe parlementaire vient tout juste de tenir des réunions à Prague. Les Russes étaient présents. Ils votaient sur les motions qui étaient présentées. Il y avait un partage d'information. Certes, ils ne font pas partie de l'OTAN, comme nous le savons tous, mais il y avait là une confluence et on avait créé un espace.
Je crois par conséquent qu'il est important de souligner que ceci n'aurait rien de révolutionnaire, et que d'autres témoins ont dit que nous devrions envisager d'accepter l'UE et la Chine comme observateurs permanents.
Abordons maintenant une question dont nous n'avons pas encore discuté, mais que vous avez évoquée en passant, monsieur Byers, la prolifération des armes nucléaires. On a déjà proposé, et je pense que notre comité se penchera là-dessus un peu plus tard, d'adopter une politique qui est déjà acceptée dans d'autres parties du monde, c'est-à-dire de négocier un accord pour garantir — la négociation sera difficile mais importante — que l'Arctique reste une zone libre d'armes nucléaires. Comme vous l'avez dit, il faut faire les choses quand le calme règne. Actuellement, tout est calme. Obtenir ce résultat serait dans l'intérêt mutuel des parties, notamment les États-Unis et de la Russie.
J'aimerais savoir ce que vous pensez d'adopter cet objectif comme élément de notre politique étrangère.
Très brièvement, je pense que la seule manière d'avancer vers l'établissement de zones libres d'armes nucléaires dans l'Arctique est d'y aller pas à pas. Il est essentiel d'admettre que l'océan Arctique est l'une des régions les plus lourdement nucléarisées de la planète, à cause de la flotte septentrionale de la Russie et de la présence de la marine américaine pour surveiller et pister les sous-marins nucléaires russes. Mourmansk se trouve au nord du cercle arctique.
Donc, en réalité, amener les Russes et les Américains à accepter l'établissement d'une zone libre d'armes nucléaires dans l’Arctique sera probablement la dernière chose que nous ferons avant de dénucléariser totalement la planète.
Il y a cependant des étapes intermédiaires importantes. La chose qui pourrait être le plus facilement réalisée est une recommandation qui avait été formulée par notre collègue Franklyn Griffith, de l'Université de Toronto, il y a trois décennies. Son idée était de profiter du fait que la surface de l'océan Arctique est actuellement démilitarisée. À cause de la couverture glaciaire, du mouvement des glaces, des conditions climatiques fort peu clémentes et de la noirceur totale, il n'y a pas de navires de guerre de surface dans l'océan Arctique central. L'occasion nous est donc offerte d'agir avant la fonte des glaces en disant: « Passons simplement une entente pour maintenir la surface de l'océan Arctique central démilitarisée ». Ce serait la première étape.
La clé pour négocier des zones libres d'armes nucléaires et d'autres questions de cette nature est toujours de commencer par les choses les plus faciles à faire. Dans le cas présent, cet objectif est le plus facile à atteindre, mais ça ne durera pas longtemps, car, à mesure que la glace fond et que tous ces chalutiers entrent dans la zone, il y aura des navires de guerre dans leur sillage. Or, nous pouvons fort bien gérer cette pêche sans demander à des destroyers à propulsion nucléaire de faire la chasse aux chalutiers. Faisons-le avant qu'il soit trop tard.
Merci.
Nous avons encore le temps pour deux ou trois courtes questions et je vais donc donner la parole à M. Schellenberger puis à M. Van Kesteren.
Je serai très bref.
Je sais que les définitions sont très importantes dans n'importe quel accord ou n'importe quelle loi.
Monsieur Byers, vous avez parlé de carbone noir et de brume de l'Arctique. Je me trouvais il n'y a pas très longtemps en Allemagne avec une délégation où l'on a parlé de nuages de carbone dans le ciel. Je croyais que le carbone est plus lourd que l'air. Est-ce que je me trompe?
Pourriez-vous nous expliquer ce que sont le carbone noir et la brume de l'Arctique?
Oui, mais en précisant tout de suite que je ne suis pas un scientifique et que je ne suis donc pas un expert en la matière.
Le carbone noir et la brume de l'Arctique sont des particules extrêmement fines produites par la combustion de combustibles fossiles. On trouve le carbone noir particulièrement dans les pays développés à cause des génératrices et des moteurs au diesel. Il peut causer des problèmes respiratoires. Le gouvernement du Canada a réglé la question dans les régions du Sud.
Comme ces particules sont plus lourdes que l'air, elles tombent sur la neige et sur la glace. Elles ne restent pas dans l'atmosphère, comme le bioxyde de carbone. En outre, comme elles sont noires, elles absorbent la majeure partie de l'énergie solaire qui les touche. La glace et la neige reflètent 90 p. 100 de l'énergie solaire, alors que les particules noires l'absorbent à 90 p. 100. Par conséquent, elles contribuent au réchauffement et à la fonte des glaces et de la neige. Certains scientifiques affirment que ces particules peuvent être à l'origine de 40 à 50 p. 100 de la fonte des glaces et de la neige dans l'Arctique. Elles renforcent donc le changement climatique causé par le réchauffement de la température de l’air.
La solution serait tout simplement d'adopter des technologies modernes dont on dispose déjà pour réduire la production de particules, par exemple en installant des épurateurs sur les génératrices au diesel. On n'a pas à inventer de nouvelles technologies, il s'agit simplement d'admettre que, par exemple, dans bon nombre de ces collectivités du Nord — et M. Bevington le sait bien — on utilise parfois des génératrices au diesel très vieilles pour produire de l'électricité. Cela produit du carbone noir qui a des effets sur la neige et sur la glace à des dizaines ou des centaines de kilomètres à la ronde.
C'est la même chose pour le transport maritime dans l'Arctique. Selon mes informations, on envisage d'installer une technologie d'épuration de première classe sur le brise-glace de la garde côtière Diefenbaker que le gouvernement a l'intention de faire construire, à cause de ce problème. Si vous voulez qu'un brise-glace lourd sillonne l’Arctique, il ne devrait pas contribuer au problème du carbone noir.
M. Gary Schellenberger: Merci.
Le président: Monsieur Van Kesteren, avez-vous une autre question?
Je n'ai pas beaucoup de temps, n'est-ce pas.
Le président: Non.
M. Dave Van Kesteren: Je dois dire que ce sera difficile à faire accepter. Vraiment. Je ne veux pas me faire l'avocat du diable et je ne veux pas dire que ce que vous dites n'est pas valide, mais ce sera difficile à accepter. Il faudrait qu'on voie le carbone. Je sais que c'est un nouveau défi. C'est une chose dont je viens juste d'entendre parler, moi aussi. Vous pouvez comprendre pourquoi les Canadiens et les gens de manière générale sont assez sceptiques à ce sujet.
Je sais que vous n'êtes pas climatologue, mais, si l'Arctique devait fondre, pouvez-vous nous dire… Évidemment, la noirceur dont vous parlez absorberait la majeure partie de la lumière au lieu que la neige la renvoie dans l'atmosphère. Quel genre de changement climatique… Quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur les précipitations et les chutes de neige dans les pays de l'hémisphère Nord? A-t-on réfléchi à cela? Y a-t-il des modèles climatiques?
Je ne vais pas essayer de répondre à votre question sur le climat, car je ne voudrais pas vous induire en erreur. Vous devriez convoquer un scientifique de l'Arctique, comme Louis Fortier, d'ArcticNet, pour obtenir des précisions.
En ce qui concerne votre remarque sur le fait que ce sera difficile à faire accepter, on avait constaté les mêmes réticences dans les années 1980 quand il s'agissait de prendre des mesures sur les pluies acides. À son énorme crédit, M. Mulroney a négocié avec les États-Unis une entente sur les pluies acides qui a débouché sur l'installation d’épurateurs de l'acide sulfurique dans les centrales électriques américaines, ce qui est la raison pour laquelle nous avons encore du poisson dans les lacs de l'Outaouais.
Ce sont là de nouveaux développements qui appellent de nouvelles réponses. En outre, comme je l'ai déjà dit, cela n'a rien à voir avec l'idéologie politique. Je mentionne M. Mulroney parce que j'admire ce qu'il a réussi à faire sur ces questions et qu'il est pour moi un modèle à cet égard. En oeuvrant avec des alliés comme les États-Unis, en saisissant l'occasion de relever ces nouveaux défis, notamment par la science et la technologie, nous pouvons être des gestionnaires responsables de l'Arctique canadien.
C'est tout le temps dont nous disposions parce que nous avons plusieurs questions d'ordre interne à régler. Je remercie nos témoins d'être venus éclairer notre lanterne.
Merci beaucoup.
La séance est suspendue deux minutes.
Voici ce que nous allons faire maintenant. Il nous faut d'abord le consentement unanime du comité pour permettre à M. Dewar de retirer sa motion. Êtes-vous tous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Nous avons donc le consentement unanime. Merci beaucoup.
Il y a maintenant une nouvelle motion.
Monsieur Dechert, vous avez la parole.
Monsieur le président, je vais lire ma motion. Elle a été légèrement modifiée par rapport à celle qui avait déjà été présentée aux membres du comité.
Je la lis depuis le début:
Que, compte tenu de la crise humanitaire croissante en Syrie, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international salue les efforts substantiels du gouvernement fédéral face à la crise humanitaire en Syrie et dans la région;
— c'est ici qu'il y a un changement —
exprime son appui aux efforts déployés par l'envoyé spécial conjoint de la Ligue Arabe et des Nations Unies Lakhdar Brahimi et à tous les efforts raisonnables déployés pour obtenir une résolution négociée de la crise;
C'est la partie qui est ajoutée. Je la communiquerai aux analystes s'ils ne l'ont pas encore. Ensuite, je reprends le texte d'origine:
encourage le gouvernement à continuer d'envisager de faire d'autres contributions financières...
— j'ajoute le mot « providing » en anglais, mais il n'y a rien à ajouter en français —
qui permettraient d'apporter une aide concrète à ceux qui en ont le plus besoin; appuie les efforts du gouvernement pour accélérer la réunification familiale des Syriens qui sont parrainés par des Canadiens syriens et qui courent un risque personnel individualisé; et que, après l'adoption de la présente motion, le Comité en fasse rapport à la Chambre.
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