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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 007 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 29 mars 2010

[Enregistrement électronique]

  (1340)  

[Traduction]

    La séance est ouverte.
    Il s'agit de la septième séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Aujourd'hui, en ce 29 mars 2010, nous poursuivons notre étude sur le crime organisé.
    Nous avons le privilège d'accueillir parmi nous l'honorable Allan Wachowich, ancien juge en chef de l'Alberta.
    Est-ce exact?
    Merci de cette précision.
    Ainsi qu'on vous l'a dit, je pense, vous aurez l'occasion de prononcer une allocution. Ensuite, nous passerons aux questions. Certains membres ne sont pas encore arrivés, mais nous avons certainement le quorum.
    Veuillez commencer.
    Merci, monsieur le président.
    J'ignore si ma présence ici cet après-midi constitue un honneur ou non. Aujourd'hui, cela fait trois semaines que j'ai quitté mes fonctions de juge en chef de la Cour du Banc de la Reine. L'âge de la retraite obligatoire est fixé à 75 ans; j'ai obéi à la loi, et je suis parti à la retraite. Jusque-là, bien entendu, je ne pouvais comparaître devant un organe tel que le vôtre pour faire part de mes opinions, quelles qu'elles soient, au sujet du crime organisé, particulièrement du point de vue de la magistrature à Edmonton et en Alberta.
    On m'a invité tardivement jeudi dernier à comparaître ici, et j'ai dit que je pourrais être là. J'ai effectué un petit travail avec l'aide d'une de nos étudiantes. J'ai distribué un court document que vous avez devant les yeux, et qui décrit où l'on se situe à Edmonton par rapport au crime organisé, selon nous.
    Je pense que nous devons faire un bref retour en arrière. Il ne faut pas oublier que nous sommes un tribunal de droit commun. Donc, il était de mon ressort non seulement de m'occuper des procédures civiles, mais aussi des procédures pénales et de la désignation des juges. Le seul pouvoir dont je disposais était de dire aux juges où et quand siéger. Lorsque nous étions saisis de ces cas complexes liés au crime organisé, nous nous efforcions de désigner un juge possédant une expérience considérable dans le domaine.
    La grande cause soumise aux tribunaux de l'Alberta a été l'affaire Regina c. Chan, il y a cinq ou six ans, pour laquelle on a procédé à 30 arrestations. Nous ne savions pas vraiment comment nous y prendre car la salle d'audience n'avait pas la capacité d'accueil requise. C'est ainsi que, pour environ 2,3 millions de dollars, nous avons construit une salle d'audience entièrement équipée et dotée de cellules adjacentes dans le sous-sol du palais de justice d'Edmonton. Nous avions étudié ce qui s'était fait à Winnipeg, où une affaire très semblable à la nôtre avait déjà commencé. La ville de Winnipeg avait déménagé son palais de justice dans une ancienne usine, je crois, qui était située trois ou quatre milles plus loin. Nous étions contents de nous occuper d'un mégaprocès de ce genre, expérience que nous n'avions jamais vécue auparavant en Alberta. Nous devions essayer de voir s'il était possible de le tenir dans l'enceinte du palais de justice pour des raisons notamment d'ordre sécuritaire.
    Ce procès est devenu très compliqué; il y avait un grand nombre d'avocats. Il a finalement été disjoint. La plupart des accusés ont plaidé non coupable, et quelques-uns ont plaidé coupable. La procédure a alors été engagée, mais elle s'est effondrée sous son propre poids car elle avait été intentée en vertu de l'article concernant le crime organisé. Hélas, les procureurs n'étaient pas véritablement formés pour gérer un tel cas, qui était nouveau pour eux. Il y avait demande après demande, y compris toutes sortes de demandes de précisions et de renseignements plus approfondis. Finalement, ces accusations ont été suspendues. À ce moment-là, il s'était probablement écoulé trois ans, et les personnes ayant plaidé coupable étaient déjà remises en liberté, alors que d'autres subissaient encore leur procès. Lorsqu'on a scindé les deux procès et qu'on les a suspendus, la Couronne n'a jamais interjeté appel. On a bien appris la leçon en ce qui concerne les procès et procédures en lien avec les gangs.
    Le résultat, c'est que depuis, à Edmonton, nous avons probablement eu trois poursuites engagées en vertu de cet article visant le crime organisé. L'une de ces affaires s'appelait Park et concernait une fraude hypothécaire d'envergure. L'accusé a été acquitté des accusations relatives à la fraude et à la perception d'avantages accordés par des organisations criminelles.
    Un procès en cours porte le nom de R. c. Alcantara, qui est une organisation criminelle. Toutefois, la procédure ne porte pas sur le même article relatif au crime organisé, car les procureurs estiment pouvoir mieux traiter ces cas sans faire appel à cet article.
    Nous avons une cause appelée « procès Caines », Caines étant le coaccusé d'Alcantara. Il plaidera probablement coupable en raison d'une entente qui, je crois, sera conclue.
    Voilà donc l'étendue de notre expérience dans le cadre des procès liés au crime organisé dont nous avons été saisis.

  (1345)  

    Dans le document que j'ai distribué, vous verrez des remarques provenant d'un certain M. Finlayson. C'est intéressant; il y donne quelques raisons de ne pas engager des procédures en vertu des paragraphes concernant le crime organisé. Il nous recommande de tenir des procès distincts, dans la mesure du possible, et de porter des accusations précises parce qu'elles peuvent être traitées bien plus rapidement, surtout quand vient le moment des demandes de précisions et de divulgation complète.
    Je sais que les procureurs seraient réticents à comparaître devant ce comité à ce stade-ci, car ils jouent des rôles actifs dans ces affaires. Mais au moins, vous pourrez profiter de ce qu'un procureur avait à me dire. Ces commentaires proviennent du ministère de la Justice de l'Alberta. D'autres remarques figurant dans ce document pourraient aussi vous être utiles.
    Le crime organisé existe sous une forme ou une autre depuis bien longtemps. Quand j'étais jeune, il y avait les criminels en costume, dont les activités consistaient davantage à perpétrer des méfaits qu'à chercher à réaliser des profits grâce au crime organisé. Ainsi que je le constate dans cette ville — et je crois que c'est le sentiment qu'ont également un grand nombre de mes anciens collègues — le crime organisé n'y est pas de taille importante, car il n'a pas pris naissance ici, mais probablement à Vancouver. En Ontario, il tire probablement ses origines de Toronto. Toutefois, les criminels organisés ici enrichissent d'autres personnes. Nous devons lire entre les lignes et tirer des conclusions, mais c'est ce que nous constatons au cours des procès que nous menons. Comparativement à d'autres endroits, nous ne voyons pas beaucoup d'activités de cette nature.
    Nous avons un problème particulier à Wetaskiwin, car ce comté englobe Hobbema, où le crime organisé est présent au sein des gangs autochtones. C'est peut-être l'une des régions où les activités du crime organisé sont les plus intenses; l'autre endroit serait Fort McMurray. Encore une fois, il s'agit habituellement d'un groupe identifiable. Beaucoup sont des immigrants. Un grand nombre de ces immigrants arrivent ici avec de nombreuses compétences et ajoutent à notre culture, mais en même temps, ils apportent un bagage avec eux. Parfois, ce bagage est leur participation à une quelconque activité liée au crime organisé dans leur pays d'origine.
    Globalement parlant, en Alberta et à Edmonton en particulier, nous n'avons actuellement aucun problème sur le plan de notre capacité à gérer ces cas. Nous reconnaissons que les procureurs continuent d'éprouver des difficultés considérables pour ce qui est de fournir l'information qu'ils sont tenus de fournir aux termes de l'arrêt Stinchcombe. Il s'agit de cas difficiles, qui font habituellement l'objet d'un ajournement. À plusieurs reprises, l'ajournement a servi à s'assurer de la divulgation de l'ensemble des précisions. Beaucoup de ces procureurs sont jeunes; ils sont encore en train d'apprendre leur métier, et ce n'est pas une tâche facile pour eux.
    La Loi a changé depuis l'arrêt Stinchombe. Elle a changé depuis la Charte. J'ai été juge pendant 36 ans, et avant la Charte, il était facile de trancher des affaires criminelles. Si le policier n'avait pas tabassé sauvagement quelqu'un, ni le lui avait promis mer et monde, la preuve était admissible. Mais avec la Charte et les droits qu'elle garantit dorénavant, les choses sont devenues très compliquées pour les juges. Ils ont beaucoup de mal à composer avec la Charte.
    Nous nous améliorons. Lorsque j'allais à l'école de droit, la Charte se résumait aux articles 96 et 97 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Puis, de 1982 à 1985, nous avons commencé à en apprendre au sujet de la Charte. J'ai rendu un jugement historique dans l'affaire Bridges; j'ai dû appliquer la Charte, et le cas Bridges a eu l'effet de modifier les avertissements que la police devait donner partout au Canada. Nous devions aviser les gens de la disponibilité d'une aide juridique.

  (1350)  

    Pour être bien franc avec vous, j'ai détesté faire cela. Je savais que ce type n'était peut-être pas coupable, mais bon sang, il était impliqué. Il s'en est tiré impunément. À ce moment-là, les policiers n'étaient pas non plus habitués à traiter avec les individus en appliquant la Charte, car ils appartenaient encore à l'ancienne école.
    Pour moi, cela a été un excellent exemple d'un moment où, en tant que juge, je me suis soudainement retrouvé, après avoir siégé pendant une quinzaine d'années... Ça ne vous plaît pas de changer, mais vous changez; vous vous dites que la Charte est la Charte, et qu'elle a maintenant force de loi.
    Nous nous améliorons sur le plan de l'application de la Charte, et je crois que les procureurs s'améliorent sur celui de la divulgation. Les procédures se déroulent assez bien. Ces causes prennent un peu plus de temps, et nous les ajournons souvent, mais en même temps, à Edmonton et à Calgary, nous pouvons régler un procès en six ou sept mois après que l'enquête préliminaire ait été menée et la personne convoquée devant le tribunal. Nous sommes très fiers de ce bilan. Peut-être est-ce en partie attribuable au fait que la Couronne procède désormais comme je l'ai indiqué.
    Merci beaucoup.
    Merci. Passons maintenant aux questions.
    Nous allons commencer par M. Murphy. Monsieur, vous avez sept minutes.
    Merci, juge en chef. J'ai lu au sujet de votre carrière, de votre sens de l'humour et de vos accomplissements dans le domaine juridique. Je suis très impressionné.
    Je viens du Nouveau-Brunswick. Dans l'Est du Canada, on trouve certainement un autre type de mentalité criminelle, et ce que nous découvrons dans le cadre de cette tournée du pays, c'est que les problèmes diffèrent selon les endroits. Mais on trouve quelques constantes, et parmi les choses qui nous donnent du fil à retordre et qui nous divisent parfois, il y a l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Certains législateurs proposent des solutions qui consistent à légiférer et à imposer des peines minimales obligatoires ou des directives très strictes aux juges de première instance, dans le but de remédier aux cas de trop grande indulgence de la part du tribunal, d'augmenter les mesures de dissuasion et de faire en sorte que, généralement, les éléments criminels soient davantage réglementés.
    J'aimerais savoir si vous pensez qu'il y a eu trop de pouvoir judiciaire discrétionnaire. Ce matin, nous avons reçu des témoins provenant des services policiers, et ils ont avancé que si le système ne fonctionnait pas, c'était en partie parce que les juges ne tenaient pas suffisamment compte de la preuve dans le cadre des enquêtes sur le cautionnement et des audiences de justification. Je sais qu'en tant que juge en chef, vous n'avez peut-être pas beaucoup oeuvré au sein des tribunaux provinciaux de première instance, mais les erreurs qu'on y commet se rendent généralement au niveau où vous vous êtes trouvé pendant de nombreuses années.
    Il s'agit d'une question d'ordre général. Comme je l'ai dit, je crois beaucoup au pouvoir judiciaire discrétionnaire, mais comme dans l'exemple des pommes pourries, il y a certains juges qui font erreur. On peut présumer que les cours d'appel et les audiences du Conseil canadien de la magistrature sont utiles à cet égard.
    L'autre aspect au sujet duquel je vais vous interroger se situe dans la même veine. Au sein de ce comité, auquel je siège depuis quatre ans, on a laissé entendre que les juges n'avaient aucun compte à rendre. On ne peut interroger nombre d'entre eux. L'idée, c'est qu'il existe le Conseil canadien de la magistrature et les tribunaux pénaux pour traiter les cas des juges, mais que la magistrature n'est pas tenue de rendre des comptes autant que nous, disons, car de temps en temps, nous devons frapper aux portes et être rejetés ou pas. Dans certains cas, on s'en portera mieux si on s'abstient de faire du porte-à-porte, mais...
    Croyez-vous que les juges ont suffisamment de comptes à rendre, et à votre avis, l'usage du pouvoir judiciaire discrétionnaire dépasse-t-il les bornes?

  (1355)  

    Nous sommes un système humain. Nous avons créé un système humain au sein de notre système judiciaire canadien. À ce titre, il y aura des forces, mais aussi des faiblesses.
    Il serait facile de se débarrasser du pouvoir judiciaire discrétionnaire en établissant une grille comme celle qu'on applique Californie, en déclarant: « au bout de trois fautes, vous êtes sorti du jeu » — la troisième fois que vous êtes pris à voler un pain, vous écopez de 21 ans d'emprisonnement.
    Le pouvoir judiciaire discrétionnaire, à mon avis, fait partie intégrante de l'indépendance judiciaire. On peut commettre des erreurs au niveau de la première instance, puis se consoler en se disant que les gens pourront s'adresser à la Cour d'appel pour un redressement. Mais je trouve que les juges, en général, se montrent très prudents dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire. S'ils y recourent, ils le font pour une bonne raison. Ce pouvoir est exercé non seulement lorsqu'on envisage des mesures punitives, mais aussi quand on considère que la personne a certaines qualités qui rachètent ses torts, et qu'elle pourrait peut-être, avec le temps, corriger ses agissements.
    On nous critique constamment au motif que nous ne sommes pas assez durs. Nous pourrions l'être; c'est facile. Mais à ce moment-là, nous avons affaire à un autre programme, qui consiste à bâtir des prisons. Actuellement, nous avons une population carcérale... En Alberta, la population compte 3,8 millions de personnes, je crois, alors qu'en Hollande, la population s'élève à 14 millions, et nous avons deux fois plus de gens en prison. Il est facile de se montrer dur, mais difficile d'user de son pouvoir discrétionnaire.
    Le pouvoir discrétionnaire utilisé par des individus dûment nommés — et habituellement, les personnes nommées sont les meilleurs éléments de leur profession et usent avec grand soin de leur pouvoir discrétionnaire... Dans les faits, en tant que juges, nous devons rendre des comptes. Nous devons tout d'abord répondre de nos actes face à notre propre conscience, et c'est le plus important. Les gens qui occupent ces fonctions ont une conscience. Encore une fois, on peut se consoler en se disant que si l'on erre dans les décisions que l'on prend, la Cour d'appel est là pour redresser nos jugements, et la Couronne, normalement, interjettera appel à leur sujet.
    À mon avis, la responsabilisation est une chose que nous avons au Canada; en tant que juges, nous sommes tenus de rendre des comptes. Le Conseil canadien de la magistrature reçoit des plaintes, probablement 150 à 175 par année. Au Canada, nous n'avons jamais vu quiconque être jeté hors du tribunal par le Parlement. Il s'en est fallu de peu à quelques reprises. Dans le système judiciaire fédéral, nous avons plus ou moins 1 200 juges, et environ 120 à 170 plaintes. La Californie, qui a une population de la même taille que le Canada, reçoit plus de 3 800 plaintes chaque année. Il existe là-bas des conseils de la magistrature et des sous-conseils qui siègent pour entendre les plaintes. Quelle est l'origine des plaintes? Habituellement, elles concernent les juges élus. Nous avons vraiment fait de l'excellent travail pour ce qui est de nommer les juges au Canada. C'est le cas de votre gouvernement et des précédents.
    De temps en temps, quelque chose se produit. Vous direz à votre juge en chef Smith, au Nouveau-Brunswick, qu'il était une erreur. Rapportez-lui simplement mes propos.
    Des voix: Oh, oh!
    En 10 secondes, pourriez-vous me dire si, à votre avis, il y a une place pour un mélange, avec un juge élu au niveau de la première instance, au moins? Parfois, ces gens sont des girouettes qui vont dans le sens de ce que veut la population en matière de loi et d'ordre, et s'ils font erreur dans l'application de la Charte, dans les voir-dires et autres choses du genre, cela pourra être résolu par un juge nommé en vertu de l'article 96, ou un juge de la Cour d'appel.

  (1400)  

    Ce que j'entends dire le plus souvent au sujet de toute forme d'élection de juges, c'est que, dès qu'on entre dans le processus électoral, on est redevable à quelqu'un. Or, on ne saurait devoir quoi que ce soit à quiconque, peu importe le niveau d'instance. Le procureur général de la province, lorsqu'il procède aux nominations, doit le faire avec la plus grande précaution. Maintenant, on a des comités qui passent les noms en revue, et j'oserais dire que le processus de sélection qu'on applique a été grandement amélioré par rapport à ce qu'il était il y a quelques années.
    Merci.
    Nous allons maintenant entendre monsieur Ménard.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Nous sommes ici parce que nous continuons une enquête sur le crime organisé en général. Je voudrais connaître votre opinion: que pensez-vous des sentences minimum? Est-ce un bon moyen de lutter contre le crime organisé, comme certains le pensent, ou au contraire, les juges sont-ils parfaitement capables de faire la différence entre les différents degrés de complicité, de responsabilité dans les organisations de crime organisé?

[Traduction]

    Dans le cas de graves infractions, les peines minimales ne me posent aucun problème. À mon avis, il y a grave infraction si une personne est reconnue coupable de participation à une organisation criminelle. Ces activités minent toute notre structure sociale, notre société; c'est un mal qui doit être éradiqué. On ne peut tout simplement pas laisser ces organisations nous contrôler. Nous avons un système démocratique, et le crime organisé est complètement à l'opposé d'un régime démocratique.
    Personnellement, je peux vivre avec des peines minimales obligatoires dans le cas d'infractions liées au crime organisé. C'est une décision qui émane de l'Assemblée législative. Je ne crois pas que les juges diraient: « Je devrais avoir le pouvoir discrétionnaire sur ce plan ». Je ne crois pas du tout qu'ils s'y opposeraient. J'estime que lorsqu'il s'agit de crime organisé, si le Parlement, dans sa sagesse, décide de mettre en place des peines minimales, les juges diront qu'ils l'acceptent.

[Français]

    La définition du mot « complice » dans le Code criminel est extrêmement large, ce qui fait que des gens peuvent en effet être condamnés pour la même infraction avec des degrés de responsabilité totalement différents.
    Je me souviens d'une sentence suspendue — ce serait une longue histoire à raconter. Il s'agissait de trois trafics d'héroïne, et pour le principal, la peine a été de 12 ans de prison. Les deux sentences étaient justifiées.
    En matière de crime organisé aussi, je sais que les organisations criminelles ont l'habitude d'utiliser des parents ou des amis pour faire de petites commissions pour des choses qui, en elles-mêmes, ne sont pas illégales mais qui aident, comme louer des automobiles pour qu'on puisse s'en servir ailleurs. Partagez-vous le même raisonnement ou aimeriez-vous, dans ces cas, avoir une discrétion?

[Traduction]

    Il existe des degrés de participation dans tous les cas. On avait coutume de dire que si l'on dévalisait une banque, le conducteur du véhicule de fuite ne devait pas recevoir la même peine que celui qui avait tenu l'arme à feu. Mais il fait partie intégrante du crime et, par conséquent, si quelqu'un se voit imposer une peine d'emprisonnement à perpétuité, le type ayant conduit la voiture pour prendre la fuite sera probablement condamné à une peine d'emprisonnement à vie lui aussi. Je conviens qu'il existe des degrés de complicité, et que certaines personnes peuvent être mises à contribution. Mais je serais porté à croire que vous pourrez prendre la mesure de cette participation mineure par rapport à ce que je qualifie de participation majeure à ces crimes. Cela vous permettra d'exercer un pouvoir discrétionnaire dans le cas d'un garçon de 18 ans ayant fait quelque chose pour aider son grand frère profondément impliqué dans le crime organisé.
    Je ne veux vraiment pas vous donner l'impression d'être hésitant, mais ce que je dis, c'est que je reconnais qu'il y a des participations mineures, tout comme des participations majeures. Dans le cas de ces dernières, je ne crois pas qu'un juge s'opposerait aux peines minimales. C'est dans le cas des participations mineures que le pouvoir discrétionnaire serait susceptible d'entrer en jeu, en raison de la jeunesse et d'autres facteurs atténuants.

  (1405)  

[Français]

    Dans les autres pays du Commonwealth, lorsque des sentences minimum sont appliquées, il y a ce qu'on appelle des « saving clauses ». Elles permettent en effet à un juge qui estime qu'une sentence minimum n'est pas justifiée dans ces cas particuliers de ne pas l'appliquer, mais à la condition d'expliquer, parfois par écrit, parfois oralement — mais sur le banc de façon à ce que ça fasse partie du dossier —, la raison pour laquelle il n'appliquerait pas la sentence minimum dans ce cas.
    Si on décide de faire des sentences minimum à répétition, croyez-vous que ce serait une bonne mesure?

[Traduction]

    Si un juge s'écarte de la peine minimale, il a l'obligation, à cette étape-là — et les juges ont effectivement cette obligation en ce moment — de préciser pourquoi il dévie de la peine minimale, de la même manière que dans le cas où la Couronne et l'avocat de la défense s'entendent au sujet d'une peine au moyen d'une proposition conjointe, et où le juge répond qu'il ne l'appliquera pas, et qu'à son avis, la peine devrait être plus sévère. Ou encore, plus clémente.
    Dans ces cas-là, les juges sont obligés de préciser les motifs. La même chose s'appliquerait en ce qui a trait à la participation mineure d'individus à des activités du crime organisé.

[Français]

    Croyez-vous que ce serait une bonne disposition à mettre dans la loi?

[Traduction]

    Oui.
    Merci.
    Je cède maintenant la parole à monsieur Comartin, pour sept minutes.
    J'aimerais revenir aux mégaprocès. D'après ce que je vous ai entendu dire, la probabilité que l'un d'eux ait lieu en Alberta, du moins dans un avenir prévisible, est pratiquement nulle.
    Vous ai-je bien compris?
    Non, je ne dirais pas que les probabilités sont nulles. Ce que la Couronne a fait, en raison d'un manque de ressources et du fait que ces cas sont devenus si compliqués, je crois... On a tiré des leçons de ce mégaprocès qui, en quelque sorte, a été fichu en l'air. Le résultat, à mon avis, c'est qu'on choisira maintenant avec lesquels on ira de l'avant.
    Je ne crois pas qu'on ait fermé la porte à ce type de procès. Certaines procédures intentées depuis l'ont été en vertu de ce paragraphe, bien que le nombre d'accusés ait été beaucoup moins élevé.
    J'ose croire, si nous nous retrouvons avec un autre procès mettant en cause 30 accusés, que j'ignore ce qu'on ferait. Je l'ignore vraiment, simplement en raison de l'expérience de la dernière fois. En ce qui concerne la manière dont on s'y prendrait cette fois-ci, les représentants de la Couronne auraient réellement à se consulter entre eux pour déterminer ce qui est la meilleure procédure à leur avis.
    Peut-être pourriez-vous nous éclairer là-dessus. Plus tôt, aujourd'hui, nous avons reçu un procureur; je suis resté avec l'impression, d'après ce qu'il nous disait, qu'en optant pour un plus petit nombre d'accusés — 4 ou 5, plutôt que 20 ou 30 — on était alors plus limité dans sa capacité de convaincre le juge et le jury de l'ampleur des crimes commis.
    Seriez-vous également de cet avis, c'est-à-dire qu'en optant pour un mini-mégaprocès, si je puis m'exprimer ainsi, nous ne serions pas capables de combattre aussi efficacement le crime organisé, faute de pouvoir démontrer l'ampleur de l'infraction hors de tout doute raisonnable?
    À vue de nez, je serais d'accord là-dessus. La Couronne a l'obligation de décider comment procéder. Les juges n'ont pas de rôle à jouer sur ce plan, si ce n'est que parfois, nous pourrions émettre un commentaire en demandant par exemple pourquoi on procède à l'instruction d'une affaire, et pourquoi on ne divise pas les accusations. Vous savez, nous pouvons poser ces questions, mais la décision finale n'en revient pas moins à la Couronne quant à la façon de procéder.
    Dans ces mégaprocès, l'un des plus gros problèmes, c'est qu'on peut avoir neuf ou dix avocats qui ont tous des points de vue différents quant à la défense à mener en l'espèce. En résulte une frustration due au fait que les procédures n'avancent jamais. Ce qu'on tente de faire, c'est d'agir rapidement, de réduire les procès à trois ou quatre individus; ainsi, les requêtes qui seront présentées seront probablement d'ordre général, comme elles concerneront ces trois ou quatre individus. Il n'y a pas d'approche éparpillée sur ce plan. Cela étant, on pourra faire entendre la cause, et finalement la trancher.
    Mais lorsqu'il s'agit de 30 ou 40 personnes, on n'en voit pas la fin. On ne voit tout simplement jamais la lumière au bout du tunnel.

  (1410)  

    Du point de vue d'un juge, en présumant encore une fois qu'il n'y a pas de jury, est-il possible d'éviter une telle frustration? Si vous tentez d'établir un équilibre entre 10 défenses, de manière à ce qu'elles soient traitées équitablement devant vous, est-ce vraiment réalisable? Je parle du point de vue de la magistrature, et non de la poursuite.
    Eh bien, j'imagine que tout est possible, mais bonté divine que ce serait ardu. D'après moi, ce serait très difficile.
    Merci.
    Nous allons entendre M. Rathgeber, pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup de votre comparution ici aujourd'hui. C'est certainement un honneur pour notre comité d'entendre le témoignage d'un juriste ayant votre expérience et votre expertise.
    Ce matin, nous avons entendu le chef de police d'Edmonton...
    Soit dit en passant, monsieur le président, il n'a jamais comparu devant moi; il a toujours eu trop peur.
    Des voix: Oh, oh!
    C'est probablement pour cela que nous nous aimons à ce point.
    Le chef Boyd nous a parlé ce matin — et les médias locaux en ont parlé de temps à autre — d'individus en liberté provisoire, ce qu'on appelle communément une mise en liberté sous caution, et qui avaient commis des crimes. Le chef Boyd a fait état de statistiques assez alarmantes quant au nombre d'infractions pour lesquelles ces individus étaient en instance de procès, et quant à la fréquence où cela se produisait.
    L'une de ses observations était que les rapports préparés soit par la police, soit par les procureurs de la Couronne étaient essentiellement ignorés par les juges de la paix — qui, je le reconnais, ne travaillaient pas pour vous lorsque vous étiez juge en chef — mais ces questions sont toutes fréquemment examinées, comme vous le savez, par les juges de la Cour du Banc de la Reine.
    Pourriez-vous nous donner des éclaircissements ou nous faire part de vos observations au sujet de l'idée selon laquelle les conditions de libération sous caution ne sont pas assez strictes, et qu'il est trop facile d'être mis en liberté sous caution dans cette province?
    Je ne peux répondre pour les juges de paix, comme vous l'avez reconnu. C'est une procédure relativement nouvelle suivie par les juges de paix ces trois ou quatre dernières années quant à la manière de traiter le processus de cautionnement.
    Les appels qui sont soumis à notre Cour, et qui sont des révisions des ordonnances de détention, ont considérablement augmenté au fil du temps, et ils durent plus longtemps. Le procureur de la Couronne a l'obligation de produire les rapports. S'il omet de présenter les renseignements, la police ou le public en subira les conséquences car la personne visée sera probablement mise en liberté alors qu'elle n'aurait pas dû l'être.
    Un bon exemple de cela est un cas qu'il y a eu ici, à Edmonton, le cas Martin, qui concernait un individu ayant tué sa femme alors qu'elle était enceinte. Il a été mis en liberté par un juge de Calgary à l'occasion d'une révision de l'ordonnance de détention. En lisant ce jugement, vous pouviez arriver à comprendre pourquoi on le mettait en liberté, car à cette étape-là, tous les rapports n'avaient pas été transmis. Il a été mis en liberté, ce qui a soulevé un tollé, mais on ne pouvait rendre publiques les raisons pour lesquelles il était relâché, ni donner d'information à ce sujet. Mais en lisant ensuite le jugement, vous pouviez vous demander ce qui aurait justifié de garder ce type en prison, compte tenu de l'information dont disposait le juge à ce moment-là. La Cour d'appel a renversé cette décision, mais entre-temps, nous avions reçu davantage de renseignements.
    L'impression que j'ai, c'est que le grand public aimerait voir ces personnes incarcérées en attendant de passer en jugement, mais nous avons des problèmes d'ordre très pratique concernant la capacité des centres de détention provisoire. À mon époque, j'ai procédé à un grand nombre de révisions d'ordonnance de détention. En fait, l'une de mes décisions a véritablement fixé les lignes directrices concernant les révisions d'ordonnance de détention. C'était lors de l'affaire Lysiak. Lysiak avait volé seulement 17 millions de dollars à la Banque de Montréal — ce n'était pas de la petite bière — mais je l'ai libéré sous caution. Cependant, je lui ai imposé des contraintes, si bien qu'il a dû vivre auprès de ses frères à Mundare en plus de rendre son passeport. Je lui ai permis d'aller à l'église le dimanche. Je lui ai demandé quelle église il fréquentait. Je savais, d'après mes connaissances pratiques, que cette église était ouverte une fois par année seulement — alors il y est allé une fois l'an.
    Vous pouvez vraiment entraver quelqu'un. On dépense 13 $ par jour, je crois, pour qu'un individu soit surveillé par un agent de libération conditionnelle, alors qu'on dépensera 130 $ pour le maintenir en prison. Il faut faire preuve d'esprit pratique. En cette époque où nous vivons, grâce à la surveillance au moyen de bracelets et d'autres mécanismes, on peut économiser beaucoup d'argent. À moins d'avoir une très bonne raison de mettre quelqu'un derrière les barreaux — habituellement, c'est le cas pour les crimes violents — je crois fermement que nous pouvons mettre en liberté un grand nombre de ces individus et économiser beaucoup d'argent. Nous éviterons également les problèmes de surpopulation que nous éprouvons dans les centres de détention provisoire, en faisant quand même en sorte que ces personnes se présentent.

  (1415)  

    Je vais vous poser une brève question supplémentaire. S'il est vrai que les juges de paix ou les juges ignorent ces rapports, le fait d'exiger d'eux qu'ils fournissent par écrit les motifs de leurs décisions concernant la mise en liberté les oblige-t-il, selon vous, à se livrer à une gymnastique mentale pour se référer à ces rapports?
    Dans le cas de motifs écrits, on doit préciser en fonction de quoi on a pris sa décision et faire référence aux rapports.
    Vous avez une minute.
    Nous parlions de divulgation. En droit civil, il semble qu'on remédie à ces questions au moyen des demandes interlocutoires. Pourquoi, à votre avis, est-ce à ce point compliqué en droit criminel, avec ces requêtes qui traînent en longueur et ces différends prolongés qui causent des retards dans les procès?
    Nous surmontons en partie cette difficulté, car nous avons un tribunal d'audience pénal tous les vendredis, et c'est à ce moment-là qu'on doit présenter ces demandes. Si les précisions dont vous disposez ne vous paraissent pas satisfaisantes, vous ferez une demande de renseignements plus complets.
    Ce tribunal d'audience pénal est devenu un véritable cas de réussite. Il a été institué à Edmonton il y a environ 3 ans, et il est actuellement mis sur pied à Calgary. Cette réforme réalisée sous ma supervision a réellement donné aux avocats de la défense la possibilité d'obtenir les précisions pertinentes au procès bien avant que celui-ci ne commence, afin qu'ils n'aient pas, le matin même du procès, la surprise de voir que des détails supplémentaires qui n'avaient pas été divulgués, avaient été perdus ou autre se sont soudainement ajoutés.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Nous allons revenir à monsieur Murphy, pour cinq minutes.
    Pour faire suite à la remarque de M. Rathgeber concernant les mesures interlocutoires, permettez-moi d'aborder la question des mesures préalables au procès.
    Comme vous le savez, dans le domaine civil, il y a habituellement un juge qui préside la conférence préparatoire et qui n'entendra pas la véritable audience afin de pouvoir donner un avis impartial à son sujet; en outre, sa décision concernera seulement la requête elle-même. Recommanderiez-vous qu'il y ait davantage de procédures de ce genre?
    Par ailleurs, dans le cadre d'une poursuite criminelle, c'est le rôle global du procureur, de l'avocat de la défense, du juge, peut-être, et des policiers... On a discuté ce matin, et on parle même depuis des années du fait que tous sont des intervenants dans le processus.
    Maintenant, je peux vous dire que d'après mon expérience au cours des quatre années que j'ai passées ici, nous entendons rarement les témoignages des procureurs. Premièrement, ils travaillent pour le gouvernement, alors ils sont un peu réticents; deuxièmement, ils ne gagnent sans doute pas autant d'argent que les avocats de la défense, de sorte qu'ils n'ont pas vraiment les moyens de prendre l'avion pour Ottawa afin de venir papoter; et troisièmement, ils sont peut-être occupés. Je pense aussi qu'on est globalement réticent à se prononcer sur la procédure. Donc, nous n'entendons pas ce qu'ils ont à dire.
    Comme je l'ai dit, nous n'entendons jamais les témoignages de juges — c'est arrivé deux fois en quatre ans. Le dernier est décédé un an ou deux après sa comparution, alors soyez prudent en retournant chez vous aujourd'hui.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Brian Murphy: Je blague.
    Mais nous entendons continuellement des avocats de la défense. M. Rathgeber et moi sommes d'avis qu'en tant que membres de l'Association du Barreau canadien — et j'en ai discuté avec cette association — le seul filtre que nous semblons avoir...
    Il s'agit d'excellents avocats. Ce sont des avocats de la défense en droit criminel. Mais ils sont les empêcheurs de tourner en rond, et ils amènent les autres à croire que tous les avocats ont cette seule idée en tête.
    Ma question est celle-ci. D'après votre expérience, à quel point l'opinion des procureurs diffère-t-elle vraiment de celle des avocats de la défense quant au fait que ces procédures préalables au procès et ces requêtes interlocutoires limitent la portée de l'enquête préalable? À quel point leurs positions seraient-elles éloignées, selon vous, si vous pouviez les réunir dans une pièce?

  (1420)  

    Il y a des conférences préalables à tous les procès criminels qui durent trois jours ou plus. En général, il y a collaboration entre les deux responsables, ou cela peut être entre les trois avocats de la défense et la partie poursuivante. Parfois, s'il y a un avocat de la défense de plus, les choses se compliquent.
    C'est beaucoup mieux maintenant que ce ne l'a été dans le passé. La plupart du temps, les avocats estiment qu'ils ont l'obligation de régler ces questions aussi vite que possible et dans un délai raisonnable.
    Ainsi, on accomplit beaucoup de choses dans les conférences qui précèdent les procès: on convient, par exemple, qu'on ne fera pas comparaître tel témoin, qu'on lira simplement sa déclaration, parce qu'on ne va pas le contre-interroger.
    Ces conférences sont très efficaces. Par contre, la Couronne n'a pas les ressources nécessaires pour en tenir une avant chaque procès. De plus, on envoie à l'occasion quelqu'un qui ne sera pas chargé du procès. Dans ces cas-là, les conférences sont inefficaces. Il manque du personnel, mais on essaie de se débrouiller. « Pouvons-nous régler cette affaire? Il a été accusé de voies de fait causant des lésions corporelles; le poursuivant a eu l'oeil tuméfié. Pouvons-nous réduire les procédures au minimum et raccourcir le procès de deux ou trois jours?
    À Edmonton, on planifie trois procès en même temps. Certains sont ajournés, dans d'autres, les accusés plaident coupables et, pourtant, nous avons assez de juges et tous les procès ont lieu. Nous avons huit juges et nous planifions tous les jours 24 causes. Nous allégeons la charge au moyen des conférences préalables à l'instruction. Il est très rare qu'un procès soit remis à plus tard. Je crois que c'est arrivé deux fois l'an dernier. Les procès ont été remis à la semaine suivante ou à la date qui convenait aux personnes concernées.
    Nous réussissons très bien grâce à nos initiatives: les conférences préalables à l'instruction, les tribunaux des actes criminels et ce que nous appelons les mini-procès. Les mini-procès concernent surtout les affaires civiles, mais également, dans de rares cas, les affaires criminelles.
    Je crois que, désormais, les membres du barreau collaborent. Il fut un temps où les avocats adoptaient une position de confrontation, de sorte qu'ils ne se parlaient même pas avant de se présenter en cour. Les juges commençaient alors l'audience un peu plus tôt et demandaient aux avocats s'ils avaient discuté de l'affaire. Évidemment, la réponse était négative.
    Nous vivons à une époque plus civilisée qu'auparavant. Le système adversatif demande aussi qu'on collabore.
    Je vous remercie.
    Passons à M. Ménard.

[Français]

    Comme vous dites vrai!
    J'ai commencé à pratiquer le droit criminel en 1966 et je suis toujours resté, au fond, à peu près dans la même ligne, d'abord à la Couronne, ensuite à la défense, puis comme ministre de la Sécurité publique, comme ministre de la Justice et maintenant comme porte-parole en matière de justice.
    Je voudrais justement vous parler de communication de la preuve. J'ai pratiqué le droit criminel à une époque où il n'y avait pas de communication de la preuve obligatoire. J'ai vu arriver ça par l'arrêt Stinchcombe, mais ça provenait d'Angleterre, d'un scandale épouvantable: the Guildford Four. Dans cette cause, les policiers n'avaient pas révélé qu'ils avaient interrogé un témoin qui confirmait l'alibi des accusés. Il y a eu une commission d'enquête, des recommandations.
    Là on a un système duquel une partie de la défense se sert pour connaître les méthodes d'enquête des policiers. Le système coûte une fortune, il a multiplié par plus de deux ou trois les coûts d'enquête des grands dossiers. Je me demande quelle solution trouver. J'ai pratiqué davantage en défense qu'en poursuite, mais je reconnais qu'on en arrive aux limites. Pourtant, au fond, ce qu'on voulait, c'était une règle d'éthique, qui était à peu près respectée. Quand une preuve est en faveur d'un défenseur... En tout cas, j'ai observé que chaque fois qu'un policier avait une preuve de l'innocence de quelqu'un, il l'a communiquée. C'étaient des preuves ambiguës.
     Ne pourrait-on pas remplacer cela par des obligations liées à l'éthique de la profession : quand on poursuit, on a une obligation de dévoiler les preuves qui peuvent être favorables? Même chez les policiers, ce serait aussi une obligation. Si on ne respectait pas ces règles et qu'on le découvrait par la suite, il pourrait y avoir des sanctions. Cela remplacerait peut-être cette règle formaliste actuelle qui oblige à tout donner. Cette règle coûte une fortune et permet au crime organisé de préparer sa façon de commettre des crimes à l'avenir. Qu'en pensez-vous?

  (1425)  

[Traduction]

    Dans toutes les organisations ou les professions, il y aura toujours des gens sans scrupules. Il y aura toujours des avocats de la défense et, parfois, des procureurs récalcitrants, qui refuseront de se conformer aux règles. Ces pommes pourries entravent le bon fonctionnement de tout le système.
    Le procureur n'a pas l'obligation d'obtenir une condamnation, mais celle de faire connaître la vérité au juge. Cela peut signifier la divulgation de tous les éléments de preuve. Il ne faut jamais l'oublier. Certains procureurs disent: « Je vais tout faire pour que cette personne soit reconnue coupable ». On voit cela tout le temps à la télévision américaine. Cela dit, le système au Canada est différent. On dresse un bilan de la situation, on révèle la vérité et on laisse le juge trancher.
    Ainsi, lorsque des organisations comme le barreau de la défense sont bien structurées et bien dirigées, on rappellera à l'ordre les jeunes qui tombent parfois dans le piège de l'ambition, et qui essaient de se faire un nom, de nuire aux processus d'une quelconque façon et de se battre à tout prix pour leurs clients. L'avocat a une obligation à l'égard de son client, mais il a un devoir primordial — à l'égard de la cour et du système judiciaire. Il faut rappeler cela aux avocats qui peuvent parfois s'emporter. Il n'y a pas grand-chose qu'on peut faire contre les rares avocats qui dépassent les bornes, sauf, si cela est nécessaire, en appeler au Barreau, s'il y a lieu de les faire réprimander, et en appeler également aux juges. Dans certains cas, nous avons demandé aux juges de sévir contre les avocats dont le comportement répréhensible persistait. Lorsque les cas sont particulièrement sérieux, nous enclenchons une démarche de gestion de cas pour tenter de les éliminer.

[Français]

    C'est ce que disent Lesage et Code, n'est-ce pas?

[Traduction]

    En fait, nous n'avons plus de temps. Passons au prochain député.
    C'est ainsi que j'ai été formé à titre de procureur général de la Couronne — comme vous l'avez dit.
    L'hon. Allan Wachowich: C'est bien.
    Je vous remercie.
    Monsieur Woodworth.
    Je vous remercie beaucoup.
    Je vous remercie, monsieur le juge Wachowich, d'être ici aujourd'hui. C'est sans contredit une bonne chose que nous ayons un point de vue judiciaire.
    J'aimerais revenir à certains points concernant les peines qui ont été soulevés plus tôt. Vous avez dit en commençant n'avoir aucune objection relativement aux peines minimales pour les crimes graves, comme ceux du crime organisé. Cela a piqué ma curiosité, parce que je me suis parfois demandé comment équilibrer, d'une part, les facteurs de détermination de la peine, si vous voulez, et, d'autre part, la nécessité d'imposer une peine appropriée à la situation personnelle de l'individu qui soit, en même temps, proportionnelle à la gravité du crime. Vous sembliez dire que la proportionnalité a toujours un rôle à jouer et qu'il est encore approprié de considérer la gravité du crime dans la détermination de la peine.
    Ai-je raison de penser cela?

  (1430)  

    Oui, je suis tout à fait d'accord avec vous.
    Très bien.
    Alors, serait-il approprié pour des législateurs de dire que, si un crime est extrêmement grave — par exemple, le trafic de jeunes femmes —, même ce qui pourrait être considéré comme une complicité mineure pourrait justifier une peine sévère?
    Êtes-vous favorable à cette idée?
    Oui.
    Je vous remercie.
    Dans ce cas, je veux aussi discuter avec vous de ces questions de divulgation, parce qu'elles sont plutôt complexes. J'ai entendu dire que les juges demandent parfois plus d'éléments de preuve que ce qui est nécessaire et que les avocats de la défense cherchent parfois des éléments de preuve où il n'y en a pas. Je suis sûr que vous avez entendu cela plusieurs fois lorsque vous étiez juge.
    L'arrêt Stinchcombe semble être très exigeant pour ce qui est de la preuve. Je n'en sais pas autant que je le devrais, mais j'ai entendu dire que... à moins que l'élément d'information ne soit pas pertinent — disons-le ainsi —, il faut le présenter.
    Je me demande si vous avez des observations à faire sur la légitimité et la possibilité d'un léger resserrement des règles afin de réduire le fardeau de la preuve qui incombe à la Couronne.
    Ce qui est pertinent aux yeux d'une personne peut ne pas l'être aux yeux d'une autre. À certains égards, il est très difficile de départager les éléments de preuve selon leur validité.
    À la suite de l'arrêt Stinchcombe, les procédures ont changé du tout au tout. Je suis d'accord avec vous pour dire que beaucoup d'éléments de preuve sont demandés. À mesure qu'on avance dans le processus, on ajoute, encore et encore, semble-t-il, d'autres éléments de preuve. Néanmoins, il n'est pas nécessaire de présenter toutes les preuves aux avocats, comme le demande la formule actuelle. On peut faire le plaidoyer de la défense en ayant seulement l'information pertinente pour l'affaire. L'important est qu'aucun élément de preuve valable ne soit caché.
    Je ne pourrais pas dire aux juges comment ils doivent s'occuper des applications relatives au jugement Stinchcombe. L'indépendance du système judiciaire m'en empêche. Par contre, lors de nos discussions autour d'un café, nous pourrions dire que les choses vont trop loin, que nous perdons notre temps et qu'on peut révéler la vérité sans avoir tous les éléments de preuve à portée de la main.
    Une grande partie du problème est que certains avocats s'estiment d'abord et avant tout redevables à leurs clients. Ces avocats essaient d'obtenir de l'information qui n'est pas reliée à l'affaire dont ils s'occupent — comment l'écoute électronique a été effectuée, qui d'autre était impliqué — pour régler des comptes avec des gens. Ce genre de comportement sournois se produit. Selon moi, nous devrions resserrer les règles issues de l'arrêt Stinchcombe.

  (1435)  

    Je vous remercie.
    C'est au tour des libéraux. Je vous accorde trois questions. Une pour ce côté-ci et deux autres pour ce côté-là.
    Voulez-vous poser une question?
    Oui.
    Une des choses qui contrarient aussi les procureurs généraux — de temps à autre, nous les recevons ici, ou leurs homologues ou je ne sais qui — est l'établissement du calendrier des audiences et l'utilisation des ressources. Il est curieux que les juges fédéraux soient nommés par le gouvernement fédéral, alors que la plupart de leurs besoins en dotation...
    À propos du juge en chef Smith, dont vous avez parlé, il fait construire un beau et grand palais de justice à Moncton. L'édifice est magnifique, mais il doit coûter très cher.
    Vous savez que je l'appelle « Kowalski », n'est-ce pas?
    Non.
    Cela signifie « Smith » en polonais, voyez-vous; je lui ai donné un nouveau nom.
    Des voix: Ah, ah!
    Ah, je vois.
    Revenons à nos moutons. À l'heure actuelle, il y a un conflit qui est assez évident entre les procureurs généraux des provinces et les législateurs fédéraux, parce que nous avons édicté beaucoup de lois — c'était à la une du Globe and Mail de ce matin, alors ce doit être vrai — concernant une augmentation des dépenses dans les services correctionnels. On aura sans doute besoin de plus de policiers et, tôt ou tard, de plus de juges. Cette augmentation des effectifs est demandée par le gouvernement fédéral, mais elle a une incidence assez importante sur les provinces.
    Ensuite, on dit aux procureurs généraux et aux gens comme vous — et « Kowalski » — qu'ils doivent donner leur plein potentiel.
    Selon vous, fait-on appel aux juges fédéraux — je ne parle pas des juges de la Cour fédérale, mais des juges nommés en vertu de l'article 96, comme c'était votre cas — de manière adéquate? Les juges ont-ils une charge de travail assez importante? Les procureurs généraux s'en plaignent quand ils discutent avec le gouvernement fédéral.
    Lorsque j'ai commencé comme juge, en 1974, c'était un travail sans surprise. Or, la profession a complètement changé depuis, vu les ordinateurs, les modifications de la loi, les changements concernant les affaires internes et l'augmentation du nombre de longs procès. De nos jours, si on va au palais de justice, le stationnement est plein dès 8 heures. Il y a 30 ans, il y avait peut-être deux voitures à cette heure du jour. Les juges commençaient à s'occuper des affaires à 10 heures et ils ne faisaient rien de plus.
    Il y a maintenant beaucoup de va-et-vient dans les couloirs en raison des conférences préalables à l'instruction, de la gestion de cas et des demandes préliminaires. Le palais de justice d'Edmonton est plein à craquer; il n'y a pas de place pour personne d'autre. Aux alentours de 1993, il y avait, en Alberta, un juge pour environ 43 000 citoyens; nous étions au cinquième rang au Canada à cette époque pour ce ratio. À l'heure actuelle, il y a un juge pour 54 000 citoyens. Nous sommes au premier rang, devant l'Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique. Nos juges ne peuvent pas en faire plus.
    Pour ma part, je n'ai pas eu de vacances depuis longtemps, parce que le contremaître sur le chantier... Vous avez besoin d'un contremaître qu'il y ait six ou 60 personnes qui pellettent. Je n'ai pas eu plus de 10 jours de vacances consécutifs depuis plus de 20 ans. C'est en partie à cause du « délai d'exécution » raisonnable que nous essayons de respecter. Nous avons réussi à le faire en étant créatifs. Par exemple, nous travaillons le samedi, s'il le faut.
    Les juges sont maintenant très occupés. Sans l'aide d'étudiants en droit et de conseillers juridiques, ils ne sauraient vraiment pas comment s'en sortir. Au moment où je suis parti d'Edmonton, aucun jugement n'avait été différé depuis plus de quatre mois. À Calgary, la situation est un peu différente.
    Une voix: Il y a toujours une rivalité.
    L'hon. Allan Wachowich: Je suis justement en train de vous dire que la profession de juge a changé.
    Je vous remercie.
    Monsieur Petit.

[Français]

    Bonjour, monsieur le juge. Je suis avocat au Québec depuis environ 37 ans. J'ai donc eu devant moi un bon nombre de juges au cours de ma longue carrière, aussi bien en matière civile que criminelle.
    Dans le domaine de la justice, les gens ne savent pas nécessairement si les procureurs de la Couronne ou les avocats de la défense ont bien ou mal fait leur travail. Ce qui est jugé par le public, c'est la décision du juge. C'est ce qui est rapporté dans les journaux. C'est donc ce dont les gens ont connaissance. En règle générale, les gens perçoivent positivement les jugements de la Cour provinciale, de juridiction criminelle, comme au Québec, de la Cour supérieure, de la Cour d'appel.
    Le problème commence à la Cour suprême, quand le jugement devient politique. En général, les décisions des juges sont de nature juridique plutôt que politique. Il y a de bons et de mauvais jugements. Quoi qu'il en soit, en matière de crime organisé, on n'ose pratiquement plus faire de méga-procès parce que la Cour suprême s'est prononcée, par exemple parce que la preuve n'avait pas été divulguée. Les droits des criminels sont si puissants que la Cour suprême a rendu un jugement presque anti-gouvernemental. Pour cette raison, c'est le crime organisé qui m'intéresse.
    Vous avez dû étudier ces décisions, j'en suis certain. Elles finissent par atteindre toutes les autres cours et par nous faire du tort. Les directives de la Cour suprême partent du haut pour aller vers le bas. Un jugement de la Cour suprême est comme une loi, en réalité. Le public a l'impression qu'on ne rend pas de jugement alors qu'on suit les règles, tout simplement. Il reste que je suis d'accord avec vous pour dire que dans certains cas, ce n'est pas facile.
    J'aimerais que vous me disiez si, à votre avis, la Cour suprême — et je ne parle pas ici des cours d'appel — rend parfois des jugements d'ordre politique. Ce phénomène est un peu fatigant.

  (1440)  

[Traduction]

    Je ne vais pas accuser la Cour suprême du Canada de prendre des décisions politiques. Je crois que la décision de la Cour suprême est basée en fait sur la constatation réaliste que la tenue de ces méga-procès est impossible. En Alberta, on s'en est rendu compte de première main.
    Il y a sûrement une autre façon de faire. Je ne suis pas certain de la manière dont on devrait s'y prendre, mais je pense qu'on affaiblit tout le système judiciaire si on l'engorge avec des méga-procès au Québec, en Alberta et en Ontario. D'une façon ou d'une autre, on doit trouver un dénouement à ce genre de procès. Je crois que l'Alberta est parvenue en partie à faire cela.
    Pour ce faire, nous avons tenu des conférences. J'ai représenté le ministère de la Justice au comité sur la réforme. Ce comité était constitué de trois membres du Conseil canadien de la magistrature et de procureurs généraux du Canada. Un des aspects importants de notre examen était les méga-procès. Nous avons produit un bon rapport à cet égard. Je crois que le comité se réunit toujours, mais je n'en fais plus partie, après y avoir siégé pendant environ cinq ans. À l'époque, il y avait le juge Kennedy, de la Nouvelle-Écosse, moi et le juge en chef adjoint Pidgeon, du Québec.
    Maintenant, on étudie aussi la chose du point de vue des juges. On se penche également sur la gestion de cas, ce qui devrait régler bien des problèmes. De plus, on envisage de réformer le système de jury, qui n'a pas fait l'objet d'un examen depuis des années.
    La réforme de la justice s'effectue en même temps que votre comité en étudie un aspect. Je suis heureux que, depuis peu, un comité parlementaire se penche sur la question, parce que si on avait le genre de crime organisé qu'on retrouve dans d'autres pays, on ne saurait pas du tout comment s'y prendre.
    Je suis fier d'être canadien. Mes grands-parents ont quitté leur pays pour venir ici. À ce que je sache, nous vivons dans le meilleur pays au monde. J'ai enseigné en Russie et en Ukraine, et je peux vous dire que nous sommes bien en avance sur eux. Qu'on fait les juges de l'Ukraine après la chute du Rideau de fer? Ils auraient pu aller ailleurs, mais ils ont choisi de venir dans notre pays, parce que, selon leurs dires, ils voulaient adopter un système semblable à celui du Canada. Ces 30 juges sont allés à Hamilton, à Winnipeg et à Edmonton. Après être passés à Ottawa pour faire le bilan de ce qu'ils avaient appris, ils sont revenus en Alberta deux ans plus tard en disant que le système y fonctionnait très bien. D'une certaine manière, ils nous ont adoptés.
    En réalité, les difficultés que connaît le système judiciaire indiquent qu'il n'est pas parfait — seule une dictature lui permettrait de l'être. Cependant, nous pouvons être très fiers de notre bilan concernant la gestion de cas. Nous devrions être prêts à nous adapter et à adopter les changements nécessaires dans le domaine. Je suis donc très heureux qu'on travaille là-dessus.

  (1445)  

    Merci.
    Je constate que nous avons presque écoulé tout le temps imparti, mais j'ai une dernière question à poser. Il y a un sujet dont le comité s'occupe qui n'a pas été abordé. Je parle de la désignation des organisations criminelles. Depuis quelque temps, la désignation d'un gang ou d'un groupe criminel comme étant une organisation criminelle pose des problèmes aux procureurs généraux. On a laissé entendre que les choses seraient plus simples si le gouvernement créait une liste désignant, par exemple, les Hells Angels comme étant une organisation criminelle; il ne serait plus nécessaire alors de le prouver en cour. Toutefois, bien des gens pensent que cette solution ne fonctionnerait pas, ou qu'il serait très difficile, voire impossible, de la mettre en pratique. Par ailleurs, le comité a aussi discuté de la connaissance d'office des jugements préalables.
    Savez-vous comment on pourrait simplifier le processus afin que les procès de ce genre ne traînent pas en longueur?
    Je ne suis pas spécialiste de l'organisation de ces groupes criminels ni de leurs éventuels affiliés ni de leur désignation comme organisations criminelles, mais tout le monde reconnaît que les Hells Angels, par exemple, se livrent à des activités criminelles.
    Il faudrait cependant le prouver chaque fois devant les tribunaux, ce qui exigerait beaucoup de temps et de ressources. Y a-t-il moyen d'alléger cette charge?
    On peut charger une commission de déterminer si telle organisation doit être désignée comme criminelle en tant que telle. On n'aurait plus à le prouver au cours d'une instance criminelle.
    Le problème, c'est que ces organisations changent à un certain moment. Parfois, quelqu'un comprend et décide, par exemple, de faire dire la messe dominicale dans le quartier général des Hells Angels.
    Des voix: Oh, oh!
    L'hon. Allan Wachowich: Tout change, et c'est là que réside la difficulté.
    Il faut faire très attention quand on essaie d'être expéditif, mais je pense que la charge de la preuve pourrait se réduire à une preuve prima facie, à une preuve suffisante à première vue, qui permettrait d'affirmer que, effectivement, dans tel cas particulier, à tel moment, lors de tel événement, telle organisation était criminelle.
    Je pense que c'est à peu près le champ de manoeuvre dont nous disposons.
    Merci.
    Merci de votre témoignage. Il est inutile et il figurera dans le compte rendu. Nous espérons publier un rapport d'ici quelques mois. Merci encore.
    J'ai bien hâte de le lire.
    Nous faisons une pause. Nous reprendrons dans quelques minutes avec nos prochains témoins.

  (1455)  

    Reprenons les travaux.
    Ceci est une réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous poursuivons notre étude sur le crime organisé.
    Nous accueillons maintenant un certain nombre de témoins qui font partie du dernier groupe que nous entendrons aujourd'hui. En gros, nous vous accordons plus d'une heure et demie de notre temps. Chacun de vous peut donc présenter un exposé de 10 minutes. Ensuite, les membres du comité vous questionneront.
    Monsieur Accord, veuillez commencer.
    Je vous remercie de m'avoir invité à venir témoigner.
    Je sais que votre comité se concentre sur les questions de justice et sur les droits de la personne. Dans notre communauté, quand il est question de justice, nous tenons toujours compte de l'aspect social.
    Aujourd'hui, je représente les Somaliens de l'Alberta. Je viens parler de notre vécu et du cauchemar qui continue de nous assaillir.
    Chaque membre de la collectivité somalienne a quitté sa patrie par peur de la persécution, par crainte pour sa vie et pour celle des siens. Aujourd'hui, il revit cette angoisse, il a l'impression d'être revenu à la case départ — au cauchemar de la terreur, de la peur et de la défiance. Il se sent de retour en Somalie.
    La collectivité somalienne de l'Alberta ressent les inconvénients rattachés à son arrivée récente dans cette province. Beaucoup d'obstacles empêchent l'intégration complète de la plupart de ses membres. Cependant, la mort de jeunes hommes de culture somalienne en Alberta, au cours des trois dernières années, a changé sa vie telle que nous la connaissons en tant que Canadiens. Nous ne pleurons pas seulement avec beaucoup de douleur ces morts; nous pleurons également la perte d'un sentiment de sécurité que nous éprouvions en tant que citoyens canadiens, la perte du sentiment d'être, d'une manière ou d'une autre, à l'abri de ces terribles attaques. À bien des égards, le choc a été ressenti encore plus profondément par beaucoup de Somaliens que l'on a dénigrés, alors que la protection de nos droits, en tant qu'êtres humains, pourtant un droit fondamental au Canada, se dégradait.
    Nous subissons la violence juvénile, et nos jeunes sont recrutés par des organisations criminelles. Au plus profond de nous-mêmes, nous recherchons la paix et la sécurité, comme toutes les autres collectivités. Certains des nôtres en ont assez — ils en ont assez de la victimisation, de l'injustice.
    D'une manière ou d'une autre, nous nous sentons étrangers dans notre pays. Nous sommes Albertains. Nous sommes Canadiens. Nous sentons que nous sommes ici pour les mêmes raisons que celles qui ont attiré nos pères ici, la crainte de la persécution, la liberté de religion, etc. Pourtant, nous ne vivons pas la valeur fondamentale d'être Canadiens, c'est-à-dire la liberté et la justice pour tous. J'espère que le comité, au bout du compte, prendra des mesures en ce sens.
    Voici quelques faits et quelques chiffres sur la collectivité somalienne de l'Alberta. Nous sommes 30 000 à 35 0000. Nous sommes concentrés à Calgary, à Edmonton, à Fort McMurray et à Grande Prairie. La moitié de nos membres sont des immigrants de première génération, et l'autre moitié sont nés au Canada; 84 p. 100 ont moins de 35 ans et 97 p. 100 sont musulmans.
    Soixante-dix pour cent des Somaliens de l'Alberta sont arrivés dans cette province entre 2003 et 2005; 18 p. 100 sont arrivés entre 2006 et 2009. Nous sommes en majorité des immigrants de deuxième génération d'autres provinces, principalement de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique. D'autres sont arrivés ici en tant que réfugiés ou par d'autres voies.
    La plus grande des difficultés auxquelles se heurte notre collectivité, actuellement, c'est l'accueil tiède, parfois hostile, qu'elle reçoit en Alberta. Même si, à l'origine, nous avons été invités à venir nous installer au Canada, nous avons l'impression que les autres portes qui mèneraient à une participation entière à la vie du pays se sont fermées.
    D'après un proverbe somalien, nous entrons quelque part non pas par une porte ouverte, mais parce qu'un visage ouvert nous reçoit. Notre collectivité ne se voit pas offrir ce visage. Après avoir franchi la première porte, nous avons cessé d'être les bienvenus. Depuis, notre vie est un combat.

  (1500)  

     Certains de nos membres prétendent qu'après 30 années de vie au Canada, dont 10 en Alberta, la difficulté consiste à savoir négocier les obstacles systémiques qui s'érigent pour priver de possibilités d'emploi non seulement la première génération, celle qui a été formée en Somalie, mais également la suivante, qui a fréquenté des universités canadiennes et qui, elle non plus, ne trouve pas d'occasions d'emploi en Alberta.
    C'est alors que commencent les difficultés. Par exemple, dans une famille, les enfants pourraient s'intégrer plus rapidement que les parents, grâce à la connaissance de la langue, etc. Les parents veulent enseigner aux enfants la culture et les aider à s'ajuster aux conditions nouvelles, mais s'ils travaillent de longues heures, sans bénéficier d'aucun appui, leur tâche est difficile.
    En outre, lorsque les espérances des parents sont frustrées par le chômage ou le sous-emploi, les enfants s'en ressentent. S'ils constatent que leur père, qui est ingénieur, travaille à peine, ils se demandent probablement pourquoi se donner la peine de faire des études universitaires, si ces études n'ont pas aidé leur père ni leur grand frère. Voilà donc un facteur.
    Si 80 p. 100 de nos membres ont moins de 35 ans, il est impérieux de se concentrer sur les jeunes. Les jeunes sont désillusionnés par le chômage de leurs pères, leur sous-emploi, malgré plusieurs diplômes, alors que beaucoup de gens qui appartiennent à la majorité sont en excellente situation financière. Désappointés, les jeunes hommes abandonnent leurs études, les jugeant inutiles.
    Pis encore, ils ont des ennuis avec la justice. Il arrive notamment que, en raison de la violence au foyer, qui influe sur les jeunes, les garçons particulièrement, des parents envoient leurs fils en Somalie. Il est intéressant de constater que des parents envoient leurs fils dans le milieu dangereux qu'ils ont eux-même fui. Ils croient que, dans ce milieu, au moins, leurs enfants n'auront pas affaire au système de justice pénale ni aux bandes organisées. On pourrait très bien se demander ce que cela révèle du Canada.
    Voici ce que ces jeunes hommes m'ont répondu quand je les ai questionnés: « Le mot “somalien“ ne veut pas dire grand-chose pour moi. J'ai grandi dans la culture somalienne, où j’étais connu, de sorte que mon identité est intacte. Je ne crois pas, cependant, que cette épithète me décrive bien. Elle éveille chez moi indifférence ou mépris. Toutefois, je m'inquiète pour mes enfants. Dans la société où ils grandissent je crains qu'ils n'intériorisent la connotation négative du mot “somalien“, et non du mot “canadien“, et que, sans que je sache vraiment comment, cette intériorisation ne les entrave ».
    Selon certains théoriciens, il est très important, pendant la socialisation des enfants, qu'ils connaissent leurs antécédents, pour avoir un sentiment d'appartenance, parce qu'ils ne trouveront pas de reflet d'eux-mêmes dans la culture sociale dans laquelle ils baignent actuellement, ailleurs dans la société, Mais, lorsque des jeunes s'identifient davantage à la patrie de leurs parents qu'au pays où ils sont nés, cela montre qu'ils ne se sentent pas acceptés dans ce pays. Autrement dit, ce n'est pas que les jeunes Somaliens ne veulent pas être Canadiens; ils ne se sentent pas acceptés en tant que Canadiens par leur gouvernement et par leurs camarades.
    Actuellement, on ne considère pas que l'attitude à l'égard de la police soit... l'attitude à l'égard des jeunes, l'attitude à l'égard de la police ne sont pas considérées comme ayant des effets universellement positifs. Beaucoup de Somaliens de l'Alberta sont inquiets, particulièrement du nombre excessif de jeunes Somaliens en prison. On avance trois explications pour ce phénomène: le profilage racial, l'absence de programmes et le peu d'occasions d'avancement économique. À Edmonton, cependant, on a obtenu de bons résultats grâce à la collaboration avec la police et la Gendarmerie royale du Canada. À Edmonton, la police essaie de rejoindre la collectivité.
    Nous essayons de réduire la violence juvénile dans notre collectivité en essayant de nous fondre dans la société en général. Cependant, nous essayons de mieux aider les individus, les familles et la collectivité à résoudre leurs problèmes sociaux, pour qu'ils fassent tous l'expérience de l'acceptation, qu'ils accèdent davantage aux ressources et qu'ils profitent davantage des chances offertes — créer un milieu où ils trouveront des appuis et des relations, un milieu où ils seront acceptés.

  (1505)  

    Nous essayons aussi de les éduquer et de leur donner de l'autonomie en nous concentrant sur les diverses tribunes qui animent le système de justice pénale — le système scolaire, le système social et le système juridique.
    Par ailleurs, nous essayons d'augmenter l'appui qui permet d'améliorer d'abord l'accès, puis d'augmenter les ressources qui permettront de saisir les occasions qui se présentent — par l'élaboration de stratégies pour les jeunes visant à accroître les chances pour les Somaliens de l'Alberta, donner aux jeunes un meilleur accès aux programmes de la collectivité et accorder plus de place aux composantes culturelles de la santé.
    Pourtant, nous sommes en train de nous construire un avenir meilleur au Canada. En dépit de toutes les épreuves et de toute l'agitation que nous affrontons en Alberta, aujourd'hui'hui, que nous avons affrontées dans le passé — et l'avenir nous en réserve probablement d'autres — c'est ce constat optimiste qui s'impose, tout comme notre capacité de donner à la société elle-même, et non pas uniquement à notre collectivité, entre nous.
    Les Somaliens de l'Alberta regardent vers l'avenir. Ils attachent beaucoup d'importance à la réussite des enfants et des jeunes dans la collectivité. Un avenir meilleur, voilà ce en quoi ils espèrent: grâce au travail acharné, à la mise en commun des ressources, à la constitution d'un patrimoine collectif, au mentorat et, aussi, à une meilleure sécurité financière.
    Vous pouvez constater tout le travail que les Somaliens effectuent sans aide de l'extérieur. Notre collectivité progresse. Nous nous faisons à l'idée que nous sommes ici pour y rester, que nous devons travailler plus fort pour faire de l'Alberta et du Canada notre foyer et établir une institution qui appuiera notre collectivité.
    Après 30 ans, nos gens disent enfin qu'ils doivent défaire leur baluchon, s'acheter des maisons et tracer des plans permanents pour leur avenir en Alberta et au Canada.
    Merci.
    Merci.
    La parole est maintenant à madame Aulakh.
    Merci de votre invitation. Aujourd'hui, mon exposé portera sur l'évolution des bandes de jeunes en organisations criminelles.
    Le niveau d'organisation des bandes de jeunes varie d'une bande à l'autre. En conséquence, leur étude devrait être axée sur une démarche régionale et, plus important encore, une démarche qui tient compte de l'âge des membres de ces bandes. Cette conclusion, je la tire des travaux de recherche que j'ai menés, à titre de doctorante, auprès des bandes de jeunes à Saskatoon et ici, à Edmonton, des bandes qui étaient principalement constituées de jeunes Autochtones. Elle découle aussi de l'étude de scénarios d'évolution des bandes de Calgary au cours des deux dernières années.
    Les bandes de jeunes continuent d'être un problème envahissant. Elles augmentent le taux de crimes violents, elles font peur et elles se livrent à des comportements qui font problèmes et dont la gamme va du griffonnage de tags au trafic de stupéfiants.
    Les bandes ou gangs existent depuis longtemps. Il se peut que certaines d'entre elles évoluent et deviennent des organisations criminelles. Du point de vue de la police, les bandes de jeunes évoluent dans diverses directions qui font problème. Au début, beaucoup de bandes étaient largement qualifiées de groupes désorganisés. Cependant, quand les conditions deviennent optimales, des groupes peu organisés peuvent naturellement évoluer vers une certaine maturité.
    La recherche sur l'évolution des organisations portent à croire que celles qui réussissent augmentent en taille et s'organisent davantage. Mais ce constat peut-il s'appliquer également aux bandes de jeunes? Très peu de recherches ont porté sur les bandes selon un point de vue canadien et, même dans ce cas, elles ont très peu porté attention au mécanisme de leur évolution.
    La recherche classique s'est à peine arrêtée au phénomène. D'après elle, des bandes de rue se sont intégrées dans des organisations criminelles, mais cela ne semble pas une forme d'évolution prédominante. Un exemple de cette sorte de transformation est celle des bandes Fresh Off the Boat et Fresh Off the Boat Killers, à Calgary. Ces groupes sont des exemples d'évolution d'ensembles relativement moins organisés d'écoliers qui participent à des opérations de livraison de drogues, après contact téléphonique, en organisations criminelles structurées. D'après la police et les médias, ces groupes sont considérés comme des menaces du crime organisé parce qu'ils sont fortement impliqués dans les drogues et qu'ils recourent à la violence dans la poursuite de leurs objectifs. Leurs activités ont toujours abouti à la formation de réseaux criminels interrégionaux et internationaux. Dans leurs opérations, ils utilisent des moyens de communication et des armes modernes ainsi que des moyens de transport blindés et sophistiqués.
    Au contraire, la plupart des gangs de rue formés de jeunes Autochtones à Saskatoon et à Edmonton ont très peu de cohésion. Leur cohésion leur vient de l'engagement des membres pour leur quartier et de la résistance aux étrangers. L'autorité est surtout moins centralisée, moins radicale et même, parfois, elle dépend de la situation. Elle se fonde sur l'âge, et les aînés servent de modèles.
    Les signes de la possible transformation des bandes en organisations criminelles sont en grande partie subjectifs. Cette évolution a même été avancée par les reportages des médias ou suggérée par la répression policière. Des affaires qui ont fait beaucoup de bruit, comme l'affaire Jackie Tran, ici, à Calgary, les fusillades du jour de l'An, l'année dernière, à Calgary, et l'application, par l'Alberta, de sa Loi sur l'indemnisation des victimes ont contribué à intensifier ces craintes.
    Les médias et les réactions politiques contribuent à la perception selon laquelle les problèmes causés par les gangs s'aggravent de plus en plus et que ces gangs sont de plus en plus organisés. Les bandes de jeunes ne sont pas des comités, des équipes ou des groupes de missions spéciales. Les membres, de jeunes hommes, s'assistent pour satisfaire leurs besoins individuels, dont beaucoup sont collectifs et certains contradictoires. Ils ne se réunissent pas pour atteindre un objectif ou partager... [Note de la rédaction: Inaudible] antérieurs. Les récompenses du grégarisme comme le statut, l'émotion, le jeu et la protection sont des motifs impérieux pour se joindre à un gang. Les gangs offrent, outre l'argent, du plaisir et de l'émotion, à la faveur de sorties ou de fêtes, ainsi que des occasions d'être en contact avec des individus populaires. Durant l'adolescence, les activités et les contacts sont très prisés.
    En outre, la rareté des loisirs dans les quartiers pauvres des centres-villes laisse peu d'autres choix aux jeunes que d'être amis avec des membres de gangs.
    La violence, dans le contexte des gangs, favorise beaucoup plus que le respect de la loi l'atteinte d'un statut et l'obtention du respect social. Pour les membres des bandes de jeunes, ce genre de milieu offre un service social exceptionnel. La répression policière ne tient pas compte de ce facteur.

  (1510)  

    Pour la loi, les gangs sont tous assimilables au crime organisé. On ne trouve pas de définition de gang dans le Code criminel. On n'y trouve que celle d'organisation criminelle.
    D'après la définition d'organisation criminelle, au moins trois jeunes qui, de façon concertée, planifient une entrée par effraction, un vol d'auto ou l'achat de drogues en vue de les vendre à des amis, pendant une fête ou pour y apporter des joints sont probablement mêlés à des organisations criminelles. Pour rester en affaires, les groupes du crime organisé tels que les alliances de trafiquants de drogues doivent être dotés de chefs forts, de systèmes récompensant la loyauté ou sanctionnant la désobéissance, et avoir des aptitudes pour les affaires. Au contraire, beaucoup de bandes de jeunes sont instables, leur direction est éphémère, leur composition provisoire, et les membres ne sont assujettis à aucune règle comme telle.
    Le fait de se concentrer sur l'avenir criminel des bandes de jeunes porte à croire que la répression de comportements criminels particuliers sera principalement efficace contre les bandes spécialisées. Cependant, la plupart des bandes de jeunes ne sont pas spécialisées. L'intensification des poursuites contre les membres de bandes de jeunes, du fait, directement ou non, d'une plus grande rigueur, risque de ne convenir que pour un petit nombre de cas.
    Au contraire, à cause d'une définition imprécise de la notion de « gangs », qui les assimile, aux yeux de la police et du public, à des organisations criminelles, nous finirons, encore une fois, par jeter en prison plus de jeunes et pour plus longtemps...

  (1515)  

    Madame Aulakh, je vous demande de ralentir un peu votre débit. Nos interprètes ont de la difficulté à vous suivre.
    D'accord.
    Il est évident qu'il faut investir davantage dans une solution au problème des gangs de jeunes qui s'appuie sur la prévention, selon une démarche élargie et holistique, plutôt que sur la réaction, parce que, pour un jeune, un gang diffère beaucoup du gang d'après la loi.
    En fin de compte, je dirais que nous avons besoin de plus de connaissances factuelles pour comprendre le phénomène de l'évolution des bandes de jeunes en groupes criminels organisés et pour déterminer lesquelles de ces bandes évoluent effectivement en ce sens.
    Merci.
    Merci.
    C'est maintenant au tour de Prostitution Awareness and Action Foundation, d'Edmonton.
    Vous êtes deux, et, en tout, vous disposez de 10 minutes.
    Madame Quinn, je crois que c'est vous qui faites l'exposé.
    Oui, c'est moi. Merci. Ma collègue Norma interviendra pendant le temps qui nous est accordé.
    Nous vous remercions beaucoup de l'occasion que vous nous donnez d'apporter notre témoignage. J'aimerais saluer les deux personnes qui nous ont précédées et prendre acte des problèmes fondamentaux qu'ils ont soulevés concernant certaines des raisons pourquoi les jeunes deviennent membres de gangs. Nous reconnaissons assurément ces raisons.
    Notre mandat touche la prostitution, que nous définissons comme étant l'exploitation sexuelle de personnes vulnérables, hommes ou femmes, qui se trouvent en situation de vulnérabilité. Nous sommes vraiment préoccupées par les parasites qui vivent aux crochets des personnes vulnérables, qui profitent d'elles et qui les exploitent.
    Notre connaissance du rôle des différents niveaux d'organisations criminelles est davantage anecdotique qu'étayée par des statistiques précises. Quand j'ai consulté mon confrère de l'escouade de la moralité du Service de police d'Edmonton, il m'a dit que lui non plus ne possédait pas de statistiques. En dépit des anecdotes que nous connaissons tous, ce serait un terrain où il faudrait faire plus de recherche et recueillir ces faits.
    Pendant que je m'initiais à ce domaine, au milieu des années 1990, j'ai rencontré une jeune femme qui avait été amenée dans l'île de Macao par la Triade. Sa mère a été obligée de réunir une importante somme d'argent pour la racheter et la ramener à Edmonton.
    Nous savons également qu'il existe différents niveaux de participation, même chez les gangs de rue non organisés et formés de jeunes. Il est facile, pour ces jeunes, d'être utilisés par des groupes criminels mieux organisés.
    À Edmonton, des règlements municipaux portent sur les services de massage et d'escorte ainsi que sur les danses exotiques. Notre ville a adopté ces règlements, expressément pour permettre à la police et aux fonctionnaires chargés de l'application des règlements de surveiller la participation du crime organisé, pour s'assurer que les jeunes, ceux qui ont moins de 18 ans, ne sont attirés dans aucune de ces activités et aussi pour éloigner le proxénétisme et l'exploitation.
    Nous savons que, dans la rue, également, il y a différents types de participation du crime organisé, mais personne n'a une idée de ce qui se passe sur Internet.
    Je cède maintenant la parole à Norma, qui est membre du conseil. Son témoignage s'inspirera de son vécu personnel.
    Merci.
    Mon point de vue est très différent. Je viens du crime organisé. Quand j'étais jeune, je me suis retrouvée dans une bande de motards, où je faisais de la prostitution, je recrutais des filles, ce genre de choses.
    Nous parlons de crime organisé. Kate m'a demandé si je voulais venir témoigner. Je suis sortie de la rue depuis maintenant 10 ans. J'en suis fière. Mais j'ai une connaissance directe de ce genre de vie parce que je l'ai moi-même vécu — je suis passée par là, j'ai été recrutée, j'en suis sortie.
    Les filles dont on parle sont l'objet d'un trafic. Même si elles sont recrutées à Edmonton, on les envoie ailleurs, parce que si elles séjournent trop longtemps dans la même ville, elles finissent par être des biftecks trop bien connues. Dans une autre ville, où elles sont des étrangères, elles demeurent inconnues de la police.
    Il y a la drogue. Il y a toute une hiérarchie dans le crime organisé. On commence au bas de l'échelle.
    Les témoins qui nous ont précédées ont parlé de la façon dont on se joignait au crime organisé. La pauvreté est un facteur important — le fait d'être exclu. Un enfant qu'on repousse toujours est fortement attiré par ces bandes, parce qu'il y trouve désormais une famille. Il y est accepté. On a besoin de lui. Que ce soit pour tuer ou blesser quelqu'un, acheter ou vendre des drogues, aussi bizarre que cela paraisse, on a besoin de lui et on l'accepte. Il est accepté par la bande. C'est ce qui rend difficile la cessation de ces activités.
    J'entends les propositions que l'on a faites pour améliorer les choses. J'ai entendu le juge. La longueur des procès s'explique par la volonté des accusés de savoir qui les a donnés, comme ils disent.
    Je me pose des questions. Oui, on verse tout cet argent aux avocats de la défense, etc. Mais cet argent, il vient de personnes comme moi, qui ont fait la rue pour ces criminels. Mon argent a servi à payer leur défense.
    J'en aurais tant à dire sur tant de choses. Je ne sais pas exactement ce que je suis autorisée à dire. Je sais qu'on m'enregistre, que mon nom sera noté. On m'a demandé si cela m'inquiétait parce que, là d'où je viens, c'est quelque chose que l'on réprouve. Je ne suis pas ici pour parler de quelqu'un d'autre, mais de moi-même. C'est pourquoi je suis heureuse d'être ici.
    Je serai plus utile en répondant à vos questions, parce que je ne sais pas vraiment quoi dire.
    Voilà. Merci.

  (1520)  

    Merci à vous deux.
    Nous allons vous donner l'occasion de répondre à quelques questions. Commençons avec Mme Mendes, qui dispose de sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à vous tous d'avoir pris le temps de venir et de témoigner. Je suis convaincue que cela n'a été facile pour aucun de vous.
    J'aimerais commencer avec Mme Chamut, si vous le permettez.
    Comment êtes-vous parvenue à vous sortir de ce milieu? Comment vous y êtes-vous prise?
    J'en avais assez. J'ai fait la rue pendant 28 ans. Je n'avais pas de fonds de pension ni même 5 cents quand je suis partie. J'en avais simplement ras le bol.
    Comment avez-vous fait? Avez-vous eu de l'aide?
    Non, J'en avais simplement assez. C'est vraiment difficile de tout laisser tomber, particulièrement quand on a fait cela aussi longtemps que je l'ai fait. Tout le monde pense que ce n'est que temporaire. J'ai beaucoup d'amis qui sont encore mêlés au crime organisé. Je continue de leur parler régulièrement, mais ils connaissent mes opinions. L'un d'eux m'a dit: « Ça fait drôle que tu ailles témoigner. Ça ne t'inquiète pas? Tu n'as pas peur? » Non.
    Mais, quant à la manière dont j'ai laissé tomber, c'était un genre de vie dont je ne voulais plus.
    Nous parlons, ce matin, de tout le processus de désaffiliation. Nous disons que c'est un processus.
    Oh! absolument.
    Cela ne se fait pas du jour au lendemain; ça prend le temps qu'il faudra.
    Des personnes ou des organismes auraient-ils pu vous aider à le faire plus tôt?
    Maintenant que je fais partie de Prostitution Awareness and Action Foundation d'Edmonton ou PAAFE, je comprends cela. Nous allons voir les femmes et les jeunes hommes qui essaient de se sortir de l'exploitation sexuelle et nous travaillons directement avec eux. Je suis très impliquée avec beaucoup d'entre eux. Beaucoup d'entre eux, d'après moi, ne passeront par aucun programme, à cause des conséquences judiciaires.
    Là d'où je viens, si vous avez accès à ces programmes, on vous étiquette, on vous déconsidère. Comprenez-vous ce que je veux dire? C'est difficile pour beaucoup d'avouer qu'ils veulent s'en sortir.
    Si vous le permettez, madame Quinn, votre organisation n'est pas à but lucratif c'est une organisation non gouvernementale, une ONG.
    C'est ce que nous sommes, effectivement.
    Je sais que votre organisation s'occupe principalement de prostitution. Mais, pour les jeunes qui commencent à être impliqués dans le crime organisé, si vous les approchez avec le point de vue d'une ONG, est-ce plus efficace? Est-ce plus efficace que le point de vue juridique?
    Si une école ou quelqu'un qui ne serait ni de la police ni du tribunal les approchait, je pense qu'ils seraient plus disposés à envisager cette issue plutôt que de faire affaire avec le tribunal ou la police, ce qui les expose à être étiquetés, comme je l'ai dit. Les étiquettes ont beaucoup d'importance pour les jeunes. On le voit, à tous leurs vêtements. Les étiquettes symbolisent leur personne, leur être. Les programmes financés par la police et les programmes éducatifs sont très différents à leurs yeux.
    Seriez-vous d'accord avec cela, madame Aulakh, en ce qui concerne un programme davantage orienté vers la recherche?
    Oui, je suis d'accord avec Norma. J'ai rencontré deux ou trois personnes comme elle à Edmonton, qui avaient fait partie des Hells Angels et qui faisaient la rue pour des gangs libanais. Ces filles avaient réussi, pendant un moment, à se désaffilier des gangs, et elles disaient notamment qu'elles avaient eu ce genre de vie assez longtemps et qu'elles voulaient s'en sortir. Il faut donc, pour commencer, une approche individuelle au phénomène. Les filles et les jeunes hommes à qui j'ai parlé m'ont dit que la motivation individuelle était une condition essentielle. Je suis d'accord pour dire que cela n'a rien à voir avec la police.

  (1525)  

    Pour ce qui est de la prévention, peut-être que M. Accord pourrait nous aider. Pour essayer d'aider les jeunes avant qu'ils ne soient mêlés au crime organisé, vous dites que les écoles seraient le meilleur point de départ à cette fin.
    L'âge d'entrée est habituellement de 12 ou 13 ans.
    Oui, cela confirme tout ce que j'ai entendu ce matin au sujet des programmes scolaires.
    Diriez-vous, monsieur Accord, qu'il serait utile, dans votre collectivité, de dépouiller la vie de truand de son éclat ou de faire savoir qu'elle a peu de chance d'aider, peu importe comment, ceux qui l'embrassent?
    Oui, nous nous concentrons principalement sur la prévention. Pour nous, en Alberta, ce qui complique notre travail c'est l'aggravation du problème au fil des années, celles où nous avons été là-bas.
    À notre arrivée au Canada, nous avons commencé par nous établir, puis nous avons obtenu notre certificat de citoyenneté, puis nous étions censés, ensuite, nous intégrer. Ce n'est pas ce qui arrive. Nos familles sont habituellement très nombreuses, de sorte qu'il y a beaucoup de jeunes désoeuvrés. Il n'y a rien d'autre pour eux, parce qu'il n'y a rien dans leur collectivité et que personne, à l'extérieur, ne les attend, si ce n'est les criminels. Devant ce constat, nous avons voulu rechercher les causes.
    Nous nous sommes demandé comment nous pouvions prévenir... ne pas prévenir l'arrivée des nouveaux venus. De nouveau, la collectivité axe son effort sur la prévention, mais, en même temps, beaucoup de gens ont été piégés, et il est plus difficile que nous ne le pensions de les délivrer. Nous ne savons même pas comment les dépêtrer. C'est la réalité.
    Nous apprenons de temps à autre que l'un d'eux se fait tuer pour cette raison. Certains essaient de s'en sortir. Nous en avons connu deux qui sont devenus des victimes, parce qu'ils en savaient trop et que leurs complices ne voulaient pas qu'ils s'en sortent. Nous en avons connu deux qui s'étaient procuré des billets d'autocar et qui voulaient retourner dans leur famille, mais qui ont été liquidés.
    Merci.
    Je cède la parole à Mme Guay.

[Français]

     Madame Chamut, à quel âge avez-vous été recrutée?

[Traduction]

    J'avais 12 ans, quand j'ai commencé... Comprenez bien, je n'ai pas été recrutée à 12 ans; j'ai commencé à faire partie d'un groupe de motards à 15 ans et demi.

[Français]

    Une fois que vous avez fait partie de ce gang, vous a-t-on forcée à recruter d'autres jeunes filles?

[Traduction]

    Oui, c'était le travail qu'on m'avait confié. Quand j'étais avec des filles, quand je faisais le trottoir, j'en trouvais d'autres pour faire comme moi.

[Français]

    Est-ce qu'ils vous forçaient à vendre de la drogue et à en prendre? Cela devient un cercle vicieux.

[Traduction]

    Ils ne voulaient vraiment pas que nous nous droguions. Ils voulaient que nous ayons toute notre tête.
    Il est vraiment difficile de séparer les deux, de vendre son corps en ayant toute sa tête. J'ai donc pris l'habitude de me droguer en cachette et de m'éclater, mais j'utilisais des drogues injectables. Chez les motards, c'est interdit. Se droguer est interdit. Un point, c'est tout.

[Français]

    Vous êtes sortie de ce milieu, je vous félicite de l'avoir fait. Y a-t-il toujours du danger? Vous sentez-vous en danger?

[Traduction]

    Oui, je me sens en sécurité. Je n'ai pas peur.

[Français]

    Vous vous sentez en sécurité. Vous avez de l'aide d'associations, j'imagine, qui vous appuient, comme celle de Mme Quinn.

[Traduction]

    De fait, je me suis adressée à l'association de Mme Quinn pour aider les autres. Je suis une femme entêtée, très forte de caractère et je n'ai pas froid aux yeux. Je n'ai jamais vraiment eu peur des hommes. Dans ma famille, nous étions neuf enfants. Je suis très différente de beaucoup d'autres femmes et je comprends cela. Désormais, mon point fort est d'aider ceux qui veulent s'en sortir.

  (1530)  

[Français]

    C'est excellent, vous faites un bon travail, continuez. J'espère que vous sauverez des jeunes filles, et des jeunes hommes aussi. En effet, il n'y a pas que des jeunes filles, il y a aussi des jeunes hommes qui sont dans cette situation.

[Traduction]

    Oui, merci beaucoup.

[Français]

    Il n'y a pas de quoi.
    Monsieur Accord, combien y a-t-il de Somaliens en Alberta, à Edmonton et dans la région?

[Traduction]

    En Alberta, nous sommes 30 000 à 35 000, mais nous vivons principalement dans les deux grandes villes d'Edmonton et Calgary. En outre, un nombre assez important des nôtres travaille dans le nord à Fort McMurray.

[Français]

    J'ai écouté votre intervention, un peu plus tôt. On dirait que votre communauté est victime de beaucoup de racisme. C'est ce que je comprends de votre discours. Je ne comprends pas pourquoi.
    Est-ce parce qu'on considère que certaines personnes de votre groupe sont des criminels ou font partie de gangs? Vous n'avez pas donné beaucoup d'explications là-dessus.

[Traduction]

    Je ne peux pas vraiment dire que nos jeunes hommes meurent à cause du racisme, mais, quand il s'agit de s'attaquer à la racine du problème, nous avons l'impression que le fait de qualifier le problème de somalien ou les victimes de somaliennes devient un problème de racialisation pour les Somaliens, parce qu'on les discrédite dans ce pays. Quand on les qualifie de Somaliens, on se trouve à dire que le problème n'est plus canadien, mais somalien. Or, la majorité de ces hommes sont nés ici ou sont arrivés ici quand ils étaient jeunes.
    Donc, en s'attaquant d'urgence au problème en appliquant la loi ou en faisant appel au gouvernement, parce que, selon les gros titres, des Somaliens sont impliqués, on complique le problème. Ce n'est pas parce que nous sommes victimes de racisme. Bien sûr, certains membres de la collectivité prétendront le contraire, mais, d'après moi, les dirigeants imputent non pas au racisme, mais à un éclairage négatif, à un diagnostic erroné du problème le sentiment de se sentir racialisé.

[Français]

    Madame Aulakh, vous êtes professeure à l'université et vous voyez tout cela. J'aimerais connaître votre opinion. Que peut-on faire pour les aider? Ce n'est pas évident. On a entendu dire à Toronto qu'il y avait des gangs. Que peut-on faire pour éviter que ces jeunes Somaliens ne vivent cette situation? À Toronto, on nous a beaucoup dit qu'il y avait des gangs de rue, des gangs ethniques. Il ne faut pas se le cacher, il existe des gangs qui viennent de l'Asie et d'autres pays.
    Considère-t-on cela ici? Que peut-on faire pour améliorer leur sort, pour les aider à faire en sorte que cette perception soit changée?

[Traduction]

    Oui, j'entends beaucoup d'opinions. Durant mes recherches, j'ai entendu beaucoup de jeunes.
    Je suis moi-même immigrante, immigrante de première génération et étudiante internationale. Je suis mère d'enfants qui vont à l'école. Je vis beaucoup de choses dont nous ont parlé les autres témoins.
    L'une d'elles est l'étiquetage des Somaliens. C'est un problème. Alors les bandes d'Indo-Canadiens, de Chinois sont un problème; ma question est la suivante: ce sont des immigrants de seconde génération. Pourquoi? Ne sont-ils pas citoyens canadiens?
    Alors, voilà le problème. Beaucoup d'enfants, Canadiens de seconde génération comme mes enfants, nés ici, se font dire: « Bon, tu es de l'Inde, c'est parfait ». Mais quand commencera-t-on à les appeler Canadiens?
    J'ai parlé des gangs qui constituent un gros problème pour la police à Calgary, des Fresh Off the Boat Killers et des Fresh Off the Boat. Les FOB. Mais les médias les appellent également « Forever Our Brother ». Ce n'est jamais le nom qui est utilisé ou qui est publié.
    J'en déduis que ces gens appartiennent à un groupe qui a été victime de discrimination à l'école secondaire — effectivement, « fresh off the boat », ils sont frais débarqués, on les exclut. C'est donc eux. Mais entre eux, c'était Forever Our Brother, notre frère pour toujours. Ils se sont unis et se sont tenus ensemble. Peu importe ce qui est arrivé — trafic de drogues ayant mal tourné — l'un est devenu l'ennemi de l'autre, et ils sont devenus les Fresh Off the Boat Killers, les Tueurs frais débarqués. Nous en sommes là.
    Mais oui, l'étiquette doit être... Ils sont tous nés au Canada. Pourquoi ne sont-ils pas citoyens canadiens?

  (1535)  

    Merci.
    Monsieur Comartin.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Merci à tout le monde d'être ici.
    Monsieur Accord, j'ai simplement une ou deux petites questions à vous poser. J'essaie de comprendre la situation de mon mieux. Je n'ai pas bien saisi si, à Edmonton en particulier et peut-être même à Calgary, il existe un gang de rue distinct dont les membres sont d'origine somalienne. D'après la police, existe-t-il un ou plusieurs gangs de rue composés exclusivement de Somaliens? 
    Nous avons appris qu'il n'existe pas pour l'instant de gang somalien en tant que tel. Du moins, aucun n'a été identifié. Toutefois, il y a différents gangs qui recrutent des Somaliens et qui les invitent à joindre leurs rangs.
    Pouvez-vous me parler du recrutement? D'après votre travail auprès des jeunes somaliens, pensez-vous que ce sont d'autres personnes d'origine somalienne qui les recrutent? Ou bien sont-ils plutôt recrutés par n'importe quel gang indépendamment de sa composition ethnique?
    Nos recherches montrent que ce sont de jeunes canadiens d'origine somalienne déjà membres de gangs qui recrutent les nouveaux de leur origine ethnique. Toutefois, puisque la majorité des Somaliens qui font partie de gangs sont de nouvelles recrues, ils deviennent habituellement des membres de bas niveau particulièrement vulnérables. Lorsque quelqu'un doit payer, ils sont choisis en premier.
    Ils sont les premières victimes.
    Oui, les premières victimes. C'est pourquoi notre tâche est difficile.
    Madame Aulakh, avez-vous étudié les gangs de rue des États-Unis, qui existent depuis plus longtemps que celles du Canada, et savez-vous ce qui s'y passe? Les jeunes font-ils partie des gangs jusqu'à la mi-vingtaine? Ensuite, que leur arrive-t-il? Avez-vous une idée?
    D'après mon expérience avec ces enfants... Mes recherches portaient essentiellement sur d'anciens membres de gangs de rue. Ces jeunes en question ne faisaient donc plus partie des gangs. Ceux qui joignent les rangs d'un gang à un jeune âge, soit vers 10 ou 11 ans, en sortent vers 15 ou 16 ans. Cependant, ceux qui y entrent tardivement peuvent y rester jusqu'à la mi-vingtaine, ou même plus longtemps.
    Au fil de mes recherches, j'ai remarqué un phénomène que j'ai appelé le « parcours de vie ». Les jeunes franchissent les étapes de leur parcours de vie au fur et à mesure qu'ils grandissent et deviennent matures, à la fois parce qu'ils vieillissent et que leur vie évolue au sein du gang. Le premier stade, l'attrait, comprend le plaisir, les activités, les fêtes et tout le reste. Par la suite, la situation s'envenime. C'est à ce moment qu'ils pensent quitter le gang parce que ce n'est pas la raison pour laquelle ils voulaient s'y joindre au départ. C'est le stade de la maturité.
    Le comité a du mal à classifier les gangs de rue... Avant, il n'était question que des familles traditionnelles du crime organisé et des motards, mais maintenant, on parle aussi des gangs de rue. Si j'ai bien compris, vous croyez que nous ne devrions pas les traiter de la même façon que les deux premiers groupes.
    En fait, seriez-vous d'accord pour qu'on modifie la définition, qu'on définisse précisément ce qu'est un gang de rue? On ne peut nier qu'ils sont assez organisés. Vous êtes-vous penché sur cet élément?

  (1540)  

    Lorsque j'ai commencé à travailler sur la question des gangs de rue, j'ai associé le phénomène aux jeunes âgés de moins de 18 ans. Toutefois, j'ai été surprise de constater qu'aucune définition d'un « gang » ne se trouve dans le Code criminel. En faire partie n'est pas un crime. Les gangs sont plutôt considérés comme des organisations criminelles, et c'est surprenant.
    Si nous mettons les gangs de rue dans le même panier que le crime organisé, nous les assimilons aux Hells Angels, aux motards ou aux groupes de ce genre. Selon moi, c'est un problème, car de nombreux gangs de rue ne sont pas organisés et le gain financier n'est pas leur objectif. Bien sûr, l'argent est important à leurs yeux puisqu'il leur permet d'acheter tous les biens de consommation qu'ils veulent posséder. Toutefois, ils se joignent aussi aux gangs pour le plaisir, l'excitation, l'esprit de famille et le sentiment d'appartenance.
    Je crois que c'est d'abord au tour de Mme Chamut, si elle le veut. Ensuite, la parole sera à M. Accord.
    Je ne veux pas vous remplacer, monsieur le président.
    Pas de problème.
    Selon moi, ils devraient tous être considérés de la même façon. Les jeunes qui font partie des gangs de rue s'adonnent à des activités criminelles. Ils sont recrutés plus jeunes parce que s'ils commettent des crimes, ils écopent d'une peine moins sévère.
    Je crois qu'ils sont tous... et l'âge n'a pas d'importance parce qu'un groupe de 10 adolescents de 15 ans peut faire la même chose que, disons, 10 membres des Hells Angels. Bien sûr, la loi permet aux Hells Angels de se réunir à certains endroits. Toutefois, ces enfants commettent les mêmes actes qu'eux, mais ils sont incarcérés moins longtemps en raison de leur âge.
    Je crois donc qu'ils font partie du crime organisé. Ils correspondent à la définition d'une organisation criminelle. Le fait que les gangs soient composés de jeunes ne suffit pas à les différencier d'un groupe d'hommes de 30 ans. Oui, ce sont des enfants. Ils ont 15 ans et font de mauvais choix, mais ils savent quand même ce qu'ils font. Quand un jeune se fait recruter et qu'il porte le symbole ou le tatouage du groupe auquel il appartient, on parle de crime organisé. Selon moi, c'est du pareil au même.
    Monsieur Accord.
    Nous avons affaire à des groupes organisés. La plupart des gens qui ont commis des meurtres ici proviennent de l'Ontario, en particulier de Toronto, je crois. Ils font partie de groupes organisés issus de notre communauté.
    En Alberta, on n'est pas encore aux prises avec une telle situation, mais cela ne signifie pas qu'on n'y sera jamais confronté. Les villes qui accueillent de grandes communautés comme la nôtre, telles que Toronto, Ottawa ou Minneapolis, ont déjà vu ce phénomène apparaître. Nous essayons donc d'éviter que la situation se reproduise ici aussi. À l'heure actuelle, nous avons un problème avec les personnes qui sont recrutées à Toronto et à Hamilton.
    De toute façon, ce sont des gangs organisés, qu'on reconnaisse qu'ils forment un groupe ou non.
    En ce qui concerne l'intimidation, madame Chamut, vous dites vous sentir à l'aise et en sécurité, mais qu'en est-il des personnes auxquelles vous apportez votre aide pour qu'elles s'en sortent? L'intimidation est-elle monnaie courante pour essayer d'obliger les jeunes à rester dans le gang?
    Bien sûr, car il s'agit de leur gagne-pain. Si quatre filles travaillent pour eux et leur rapportent de l'argent, et qu'un organisme cherche à les libérer de leur emprise, il est certain qu'ils essaieront de les intimider pour qu'elles restent. Ils vont menacer leur famille ou leurs enfants, ou bien ils vont s'en prendre à une chose qui leur tient à coeur. Oui, il y a de l'intimidation.
    Avez-vous une idée — madame Quinn, vous avez peut-être aussi effectué quelques travaux sur le sujet — des mesures législatives qu'on pourrait instaurer pour contrer ce genre d'intimidation?
    Mme Norma Chamut: Comment pourrions-nous le faire?
    M. Joe Comartin: Auriez-vous des mesures pratiques à proposer?
    J'ai bien peur de n'avoir aucune proposition de nature législative à faire. Nous devons vraiment fournir un encadrement social adapté à la situation de ces jeunes ou de ces adultes qui essaient de s'en sortir. Quant aux lois, je ne sais pas. J'aimerais entendre... mais c'est d'abord ce qui me vient à l'esprit.
    Êtes-vous en faveur de la légalisation de la prostitution?
    Non, absolument pas.
    D'accord.
    Je vais maintenant laisser la parole à M. Petit.

[Français]

    Ma question va s'adresser à Mme Norma Chamut.
    Je vais tenter de vous expliquer ce qu'on recherche. On fait une étude sur le crime organisé pour trouver des solutions — soit pour l'encadrer ou le diminuer. Enfin, on ne sait pas encore vers quoi on se dirige. Vous avez parlé de prostitution; moi, je vais utiliser le terme « trafic humain », tout simplement. Ce sont des gangs de rue — organisées ou pas — qui font travailler dans la rue des jeunes filles ou des jeunes garçons grâce à qui ils font de l'argent. Cela leur coûte moins cher que d'acheter de la drogue... Tous les jours, le travailleur ou la travailleuse du sexe, le garçon ou la fille, travaille et rapporte de l'argent aux gangs de rue et à tous les bandits qui sont au sommet de la hiérarchie.
    Il y a donc à la fois un problème humain et un problème de drogues. En effet, comme vous l'avez dit, on ne peut pas faire ce travail « à froid », or on tombe dans la drogue. C'est donc un cercle vicieux. Les jeunes filles ou les jeunes hommes sont recrutés lorsqu'ils ont aux alentours de 12 ou 13 ans, ne nous le cachons pas. On dit qu'ils sont considérés par certains comme de la chair fraîche, et on veut s'assurer qu'ils se prostituent et qu'ils rapportent beaucoup d'argent.
    Je viens de la région de Québec. Dans cette région, il y a déjà eu un scandale lié à la prostitution. Les clients qui ont plaidé coupable ont écopé de 60 jours de prison. Pour sa part, la jeune fille mineure doit vivre avec les séquelles de la drogue pendant toute sa vie. Elle n'a plus d'estime d'elle-même. Sa vie est vraiment détruite. Le client, lui, écope de 60 jours.
    Personnellement, j'appelle cela du trafic humain. On vous prend d'une ville pour vous vendre à Niagara Falls. On vous envoie aux États-Unis. On vous renvoie à Vancouver etc., mais on n'est jamais capable de vous suivre. Combien y en a-t-il dans ce cas? Il y en a plusieurs milliers. Si l'on imposait une peine plus sévère aux clients dans ce domaine — je parle des clients, parce que c'est comme cela qu'on va...

  (1545)  

[Traduction]

    Absolument.

[Français]

    Cela pourrait-il aider?

[Traduction]

    Tout à fait. Je partage entièrement votre avis lorsque vous dites que le client devrait recevoir une peine plus sévère que la personne qui travaille dans la rue.
    Je ne dis pas que la fille ne devrait pas subir de conséquences. Celles qu'elle supporte sont déjà très lourdes. Si elle travaille pour un proxénète et qu'elle revient sans avoir atteint son quota, elle se fait battre. Il arrive même qu'elle coure demander de l'aide aux policiers ou à n'importe qui d'autre où, mais qu'elle finisse par passer plus de temps en prison que l'homme qui s'en est pris à elle.
    Moi-même, j'ai été sévèrement battue et défigurée. On m'a mise en prison. Quant à lui, il n'a même pas été soumis à un interrogatoire. J'ai subi cinq chirurgies. Mais puisque j'étais la prostituée, c'est moi qu'on a jetée en prison. Pas lui.
    Les clients devraient-ils recevoir des peines plus sévères? Absolument. Devrait-il exister un site Web où on dévoilerait leur identité lorsqu'ils se font arrêter? Tout à fait. Tant que ces hommes ne seront pas tenus responsables, ils vont continuer. Mais s'ils doivent répondre de leurs actes, ils vont agir autrement.
    La responsabilité est primordiale.
    De fait, notre organisation a été fondée par des habitants d'Edmonton, qui signifiaient ainsi à notre ville, à notre maire et à notre ministre de la Justice qu'il faut intervenir pour lutter contre la demande à l'origine de la prostitution et de l'exploitation.
    Dans ma communauté, la prostitution de rue et le trafic de drogue avaient envahi nos vies, et nous sommes intervenus en notre qualité de citoyens. Treize ans plus tard, nous affirmons toujours qu'il faut faire quelque chose pour contrer la demande, qui incite à l'exploitation sexuelle d'êtres vulnérables et au trafic de personnes.
    En 2005, lorsque le sous-comité parlementaire sur la sollicitation était en place, nous nous sommes permis de rêver à une loi différente de celle actuellement en vigueur au pays. Nous nous sommes demandé ce qui se passerait si la population canadienne avait le courage d'affirmer qu'elle ne tolérerait pas l'exploitation des personnes vulnérables ou de celles qui se trouvent dans une situation vulnérable et qu'elle ciblerait ceux qui en profitent, s'en prennent à elles et les exploitent. Voilà une déclaration visionnaire.
    Vous vous demandez s'il convient de légaliser la prostitution. Nous disons toutes les deux que non. Nous voudrions en fait que notre pays adopte une position différente, qui s'appuierait sur une vision du pays où nous voulons vivre.
    En outre, j'ai eu l'occasion de me rendre aux Pays-Bas, qui sont souvent cités en exemple, et d'y rencontrer un détective adjoint. Ce dernier m'a indiqué que le gouvernement avait pensé être pragmatique, en rendant la prostitution plus sécuritaire, par exemple, mais qu'en fait, il avait créé un havre pour la mafia russe et le trafic de personnes. Il a également fait remarquer que lorsque l'État légalise et réglemente la prostitution de cette manière, il laisse à d'autres le soin de s'occuper du problème, de poser des questions, de mobiliser les intervenants et d'agir pour s'attaquer aux racines de l'injustice sociale et de l'exploitation.
    Ainsi, nous demandons encore et toujours que l'on adopte une attitude différente afin de faire comprendre aux garçons qu'il est inacceptable d'utiliser les jeunes filles en grandissant. Notre organisation a commencé à décerner chaque année ce que nous appelons un prix d'« hommes d'honneur », car nous voulons récompenser ceux qui agissent comme des citoyens honorables au sein des communautés ethnoculturelles. Actuellement, les seuls dont on entend parler dans les médias sont les violeurs, les meurtriers, les trafiquants et les exploiteurs. Nous voulons contribuer à l'éducation des jeunes afin de leur présenter une vision différente de ce que cela signifie d'être une personne et un membre d'une communauté.

  (1550)  

    Dans le cadre d'activités de sensibilisation, je m'adresse aux jeunes, et je crois que ce sont les enfants que nous devons cibler. Nous devons nous rendre dans les écoles et leur enseigner que ce n'est pas une façon de vivre. Entrer dans un gang et se prostituer, ce n'est pas une vie.
    J'ai pris la parole récemment devant 100 élèves de 8e année, et la vaste majorité m'a acceptée. Ils sont heureux que j'ai réussi à m'en sortir. Ils s'en réjouissent, parce que les enfants ont besoin de croire. Ils croient en ce qui est bon, parce qu'ils n'ont pas encore été confrontés à la dure réalité de la vie et n'en portent pas encore les cicatrices.
    Je crois que nous devons commencer à vraiment nous occuper des jeunes enfants de notre pays, qu'importe qu'ils soient Somaliens ou Asiatiques. Notre dieu ne se préoccupe pas de la couleur, et nous devrions faire de même. Seuls les enfants devraient nous tenir à coeur.
    Merci.
    Nous revenons à Mme Mendes pour cinq minutes.
    Je ne crois pas que je prendrai les cinq minutes.
    J'ai été quelque peu intriguée, madame Aulakh, par vos recherches sur la différence entre les définitions de « gang » et de « crime organisé ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus à cet égard? Vous n'avez fait qu'effleurer le sujet; mais est-ce que vos recherches ont révélé quelque chose sur ces termes?
    J'ai examiné la question parce que si le problème vient des gangs, il faudrait savoir ce qu'ils sont. Plutôt que de m'adresser à l'autre côté de la table, j'ai demandé aux jeunes ce que le mot « gang » signifiait à leurs yeux. Ils m'ont notamment répondu que c'est une famille, un groupe inspirant un sentiment d'appartenance, vers lequel se tourner lorsqu'il n'y a pas de nourriture à la maison.
    Mais lorsque j'observe ce qu'il en est de l'autre côté de la table, la manière dont le domaine du droit et de l'application de la loi définit les gangs, tout tourne autour des activités criminelles.
    Comment régler le problème alors que nous sommes confrontés à deux opinions divergentes? Voilà où le bât blesse. Dans mes recherches, j'ai constaté des disparités énormes concernant la définition d'un gang et le degré d'organisation entre les divers gangs ou groupes organisés.
    Lorsque j'écoutais le témoin précédent, assise à l'arrière, il a été proposé de dresser une liste des définitions que l'on peut donner d'une organisation criminelle. Or, je crois que le témoin a eu raison de dire que c'est dynamique. L'organisation est dynamique et change de temps en temps. Le groupe, dont la composition évolue, a un objectif commun, une direction ferme, des règles strictes et des sanctions imposées à ceux qui ne les respectent pas. Cependant, chaque fois qu'un chef se retrouve derrière les barreaux, son subalterne prend la relève et la direction est différente.
    Nous parlons de la définition de gangs — par exemple, les jeunes qui ont besoin d'avoir l'impression de faire partie d'une famille —, mais la situation est-elle la même pour les jeunes adultes ou les adultes? Avez-vous observé les mêmes différences?
    Mes recherches se sont limitées aux adultes qui font partie des gangs, mais j'ai constaté qu'ils se sont joints aux groupes lorsqu'ils étaient jeunes et qu'ils y sont restés à l'âge adulte. Ce n'est pas le cas pour tous, et certains quittent le gang lorsqu'ils en ont assez. Je ne crois pas que... Eh bien, peut-être que ceux qui sont restés longtemps le font pour l'argent.

  (1555)  

    Lorsque vous parlez des gangs qui se définissent par leur ethnie, comme Fresh Off the Boat, je présume qu'il s'agit de l'épithète qui était attribuée aux membres à cause de leur origine ethnique, pas nécessairement parce qu'il s'agit de nouveaux immigrants. Mais ils se sont eux-même définis comme un gang ethnique et sont entrés dans un cercle vicieux.
    Comment distinguer l'identification ethnique de l'identification sociale?
    J'ignore si je réussirai à répondre à votre question, mais les jeunes adoptent très facilement les étiquettes que nous leurs accordons. Et il ne leur faut pas bien longtemps pour les transformer en de nouvelles dénominations, prenant par exemple Fresh Off the Boat pour en faire Forever Our Brother.
    Lorsque j'ai effectué mes recherches à Saskatoon et à Edmonton, j'ai constaté que même dans le cas du gang Fresh Off the Boat, la plupart des membres étaient des immigrants ethniques. Mais le Calgary Herald a publié une pleine page de noms de membres des Fresh Off the Boat et Fresh Off the Boat Killers qui sont morts ces quatre dernières années, et de nombreux Blancs figurent dans la liste. Je me suis principalement intéressée aux gangs autochtones lorsque j'ai étudié la région d'Edmonton et de Saskatoon, mais il y a des Chinois et des Noirs là-bas.
    À mon avis, lorsque nous allons sur le terrain, on constate que les gangs sont beaucoup plus hétérogènes qu'on ne le laisse entendre ici.
    Ce n'est donc pas vraiment un problème ethnique. Cela n'a rien à voir avec l'ethnicité ou l'immigration récente.
    Non, en effet. Ces gangs comprennent peut-être plus de membres issus d'une minorité ethnique, mais ils ne forment pas la majorité; il y a également des Blancs.
    Avez-vous quelque chose à ajouter?
    Mes jeunes fréquentent tous plusieurs membres de gang, et ils sont de toutes les races. Je crois que tous les jeunes qui se sentent rejetés vont agir de la sorte. Ils veulent avoir l'impression d'appartenir à un groupe, s'impliquer et faire partie de quelque chose, comme nous tous. Peu importe qu'ils aient 15 ou 30 ans. Vous parliez des clubs de motards; sachez que la plupart de ceux qui en font partie n'ont jamais réussi à se tailler une place ailleurs. Alors ils achètent une Harley, s'habillent en rocker et voilà que du jour au lendemain, ils font partie d'une famille comme jamais auparavant. Je crois que c'est la même chose pour les gangs de jeunes. N'importe quel jeune qui a été rejeté ou qui s'est trop souvent fait dire de se taire veut simplement se sentir accepté quelque part.
    Je vous remercie.
    Nous laissons la parole à madame Guay.

[Français]

    Je reconnais que ce sont souvent des jeunes très fragiles qu'on recrute, parce qu'ils sont délaissés et mal aimés. Ce sont ces jeunes qu'on recrute et implique dans des gangs de rue.
    Je peux parler du Québec. On constate que les leaders des gangs de rue ne sont pas des jeunes; ce sont souvent des personnes beaucoup plus vieilles. Celles-ci vont recruter des jeunes pour faire le dirty work, c'est-à-dire vendre de la drogue dans la rue. Ainsi, les jeunes se font un peu d'argent de poche, parce qu'il n'ont pas d'argent à la maison, parce qu'ils vivent dans des familles monoparentales, parce que la pauvreté existe et pour mille et une autres raisons. Si nécessaire, ceux-ci vont recruter d'autres jeunes, ce qui est vraiment un problème.
    Il faut trouver une façon d'aborder ce problème, une manière de le contourner. Au Québec, on a développé une stratégie. Des groupes de jeunes travailleurs de rue, qui travaillent 24 heures par jour, sont formés exprès pour aller voir des jeunes qui sont recrutés par des gangs de rue. Ainsi, ils essaient de les récupérer pour qu'ils se sortent de ce milieu et aient des vies beaucoup plus normales. Ils les aident à trouver les services dont ils ont besoin pour une réinsertion sociale.
     Je ne sais pas si cela existe ici ou si vous avez déjà vécu cette expérience, mais j'aimerais vous entendre là-dessus.

  (1600)  

[Traduction]

    À Edmonton, nous avons adopté ce que nous appelons une solution communautaire à la violence des gangs. Nous faisons participer toute la communauté à cette initiative, qui couvre la ville entière. En outre, les différents quartiers mettent en oeuvre des initiatives afin d'essayer de mobiliser et d'aider les jeunes.
    Je sais que c'est une grande priorité pour la communauté autochtone d'Edmonton, car bien des jeunes Autochtones courent des risques lorsqu'ils emménagent en ville. Nous mettons donc en oeuvre des initiatives positives, mais avons également des défis à relever.
    La pauvreté constitue un problème de taille. Tant qu'il y aura de la pauvreté et du désespoir, ces problèmes persisteront. Comment s'en débarrasser? Voilà une bonne question. Il y aura toujours de la pauvreté, et la plupart des jeunes qui aboutissent dans les gangs sont issus de familles pauvres. C'est un fait indéniable.
    Je connais personnellement de nombreux jeunes qui font partie de gangs. Ils viennent à moi et je leur offre à manger. Ils peuvent prendre une douche chez moi. Ils viennent me parler quand les choses vont mal.
    Je connais un jeune de 18 ans qui a déjà tué trois personnes. Comment réussira-t-il un jour à changer? Je l'amène à l'église avec moi et je prie pour lui. Je l'aime, parce que bien des gens ne l'aiment pas. Il vient d'une famille extrêmement pauvre.
    C'est le premier endroit où il s'est senti accepté et où il a pu gagner de l'argent. Maintenant âgé de 26 ans, il ne fait plus partie du gang depuis quatre ans et il est père. Espérons que cette nouvelle situation l'aidera à changer. Mais c'était un enfant, puis un jeune homme qui n'avait jamais rien, qui allait, sale et le ventre creux... Je l'ai vu grandir, car je vivais sur sa rue. C'est maintenant un homme différent. Mais ce qu'il cherchait en grande partie, c'est cette acceptation, ce sentiment d'appartenance. Ce dernier aspect compte beaucoup. Alors oui, la pauvreté est un problème. Mais comment le résoudre?
    Dans le cadre de nos recherches sur les gangs, nous avons discuté des raisons qui poussent les jeunes à entrer dans ces groupes. Tout est une question d'incitation et d'attirance. L'attirance est une force d'attraction, alors que l'incitation vise à faire abstraction de tout ce qui manque à leur vie. Nous avons toujours tendance à chercher à réduire l'attraction, que ce soit en appliquant la loi ou en ne glorifiant pas l'appartenance aux gangs. Nous nous attaquons principalement à l'attraction. C'est l'aspect dont il faut s'occuper.

[Français]

    Ai-je encore du temps, monsieur le président?

[Traduction]

    Non, nous devons passer à M. Dechert.
    Vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Mesdames et messieurs, je suis très sensible aux commentaires que vous avez formulés cet après-midi. Vous nous êtes d'une aide inestimable. En particulier, madame Chamut, je tiens à vous remercier pour les observations que vous avez faites, car elles nous aident beaucoup. Je crois que votre présence ici aujourd'hui et les efforts que vous déployez pour aider les autres exigent beaucoup de courage. Je vous remercie donc de tout coeur.
    J'aimerais éclaircir certains de vos propos. Je crois que vous avez indiqué que lorsque l'on met la main au collet des hommes qui s'en prennent aux femmes, qui en font le trafic et qui en abusent, nous devrions être plus sévères que par le passé. Est-ce votre point de vue?
    Certainement. Un homme qui viole et bat une femme reçoit une sentence de deux ans d'emprisonnement. La femme, elle, est marquée à vie. Dans bien des cas, le coupable ne va pas en prison; il obtient une probation.
    Vous croyez qu'en durcissant certaines sentences, on préviendra l'abus d'autres femmes.
    Je le crois. De nos jours, nous n'avons pas le droit de donner la fessée à nos enfants, ce qu'il fait qu'ils n'ont pas à subir les conséquences de leurs actes. Je ne prétends pas que ce soit bien de battre ses enfants. Mais je suis convaincue qu'il faut faire preuve de discipline, car on ne commettra pas un geste si on l'on sait quelles conséquences nous attendent. Mon petit-fils est en train d'apprendre à marcher et il touche à tout. Je lui donne alors une tape sur la main en lui disant de ne pas agir ainsi; il sait donc à quelles conséquences il s'expose si il touche à mes effets.
    Dans notre système judiciaire, je crois que nous avons fait disparaître nombre de conséquences. Bien des choses se sont produites parce que plus personne n'a à subir les conséquences de ses actes.
    Vous avez dit quelque chose plus tôt au sujet de la manière dont nous traitons les jeunes contrevenants.
    Un jeune qui commet un meurtre est passible d'une peine de trois ans d'emprisonnement.
    Croyez-vous qu'un jeune — disons un jeune homme âgé de 16 ou 17 ans — sait que s'il commet un crime, il obtiendra une sentence allégée à cause de son âge?

  (1605)  

    Oui.
    Les gangs en profitent-ils? Utilisent-ils des jeunes pour commettre ces crimes?
    Oui. C'est pourquoi ils envoient les jeunes commettre les crimes graves, comme des meurtres, par exemple. Ils obtiennent des peines moins longues. On ne leur imposera pas une sentence à perpétuité.
    Bien. D'autres témoins nous ont dit que les membres de gangs plus âgés demanderont aux jeunes de commettre les crimes en raison de la manière dont notre système fonctionne.
    Exactement, car ces jeunes recevront une sentence moins longue.
    Notre gouvernement a annoncé récemment la modification de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Croyez-vous que ce soit la chose à faire?
    Oui.
    Je vous remercie beaucoup de votre témoignage.
    Monsieur Accord, je veux vous poser quelques questions.
    D'où vient la drogue que les jeunes membres de gang, d'origine somalienne ou autre, vendent, trafiquent et consomment peut-être eux-mêmes? Qui l'importe au Canada? Quelles organisations font entrer cette drogue au pays? Que faut-il faire en priorité pour couper l'approvisionnement en stupéfiants?
    Notre communauté est arrivée récemment et nous n'avons pas les moyens de... Nous avons découvert que ce ne sont pas les hauts dirigeants, mais habituellement des criminels de bas étage qui commettent ces crimes. Nous ignorons donc qui intervient. Mais en Alberta, ce sont surtout les Hells Angels qui recrutent les jeunes. Ils viennent de l'Ontario.
    Cependant, il n'est pas seulement question de crimes, mais également de terrorisme. Dans notre cas, ce n'est pas par désoeuvrement, parce qu'ils ont décroché ou parce qu'ils sont attirés par le prestige de l'argent que les jeunes sont recrutés. Le terrorisme leur confère aussi un certain prestige. Plusieurs de nos jeunes ont quitté l'Ontario pour se rendre à l'étranger. Nous sommes allés en Somalie à leur recherche. L'un d'eux a été tué là-bas récemment.
    Ainsi, dans notre cas, les jeunes ne sont pas attirés que par le crime organisé, mais également par le terrorisme. Dans notre cas, l'attrait du terrorisme est encore plus grand. S'il s'agit de trafic de stupéfiants, les jeunes se feront tuer ou arrêter. Mais présentement, nous craignons que nos jeunes se radicalisent parce qu'ils sont frustrés du système.
    Qui radicalise les jeunes? De qui s'agit-il?
    C'est al-Qaïda et d'autres groupes. Nous subissons actuellement la menace d'al-Shabaab.
    Comment cette organisation recrute-t-elle des membres au Canada?
    Oh, ils ont Internet et des vidéos sur YouTube. Présentement, un homme, qui a quitté l'Amérique pour la Somalie dans le cadre d'une initiative de radicalisation, fait une vraie campagne de séduction, qu'il s'agisse du trafic de stupéfiants ou d'autre chose. Eh bien, je suis ici, je suis jeune, et vous restez les bras croisés.
    Savez-vous qui se rend là-bas? Des ingénieurs. Le dernier qui s'est fait tuer était ingénieur.
    Nous ne pouvons donc pas nous occuper que des décrocheurs. Le problème touche également ceux qui réussissent.
    Merci.
    Madame Mendes.
    Je crois qu'à vous quatre, vous nous avez donné énormément de matière à réflexion.
    Monsieur Accord, vous avez indiqué que bon nombre des enfants recrutés par ces gangs sont désillusionnés par le fait que leurs parents n'ont pu s'intégrer socialement, professionnellement ou économiquement autant que leurs études universitaires auraient dû leur permettre.
    Ces jeunes ont-ils eux-mêmes été encouragés à effectuer des études supérieures? Êtes-vous en train de nous dire qu'ils n'éprouvent pas le besoin de faire des études universitaires parce que leurs parents ne trouvent pas d'emploi?
    C'est ce que nous ont indiqué les jeunes membres de gangs. Lorsque nous leur demandons pourquoi ils ne quittent pas les gangs, ils observent ce que serait leur situation s'ils n'étaient pas membres de gang ou regardent leurs aînés, et ne font rien. Pour nous, le problème vient d'un manque d'intégration de notre communauté.
    Il faut également considérer l'affectation des ressources. Auparavant, on prévoyait des ressources pour l'établissement, mais rien pour l'intégration. Actuellement, nous concentrons nos énergies sur 0,01 p. 100 de notre communauté en en oubliant 99,99 p. 100, ce qui favorise le manque d'intégration pour la majorité de ma communauté. Même moi, je suis frustré par le manque d'occasions qui s'offrent à moi, même si j'ai passé la moitié de ma vie ici et que je détiens deux diplômes. Le problème vient donc du manque d'intégration.

  (1610)  

    Vous parlez d'intégration économique.
    En effet. Actuellement, si l'on est établi, les organismes qui s'occupent de cet aspect obtiennent plus d'argent et de ressources que ceux qui s'occupent de l'intégration. Les ressources sont donc mal affectées.
    En outre, on connaît mal les jeunes. Qui sont-ils? De toute évidence, ce ne sont pas des Somaliens, car ils ne savent rien à ce sujet. Cependant, ils ne sont pas considérés comme des Canadiens. Ainsi, lorsqu'ils se font tuer, nous croyons qu'ils sont Somaliens.
    La méconnaissance constitue donc un problème. Tout à coup, la communauté devient elle aussi une victime.
    Je vous pose cette question parce que nous avons longuement discuté du fait qu'un grand nombre de membres de gang — et c'est un point que Mme Chamut a très clairement souligné — sont recrutés parce qu'ils ne se sentent pas acceptés ou parce que la négligence dont ils sont victimes à la maison les incite à se tourner vers les gangs. De façon générale, je ne crois pas que ce soit le problème pour la communauté somalienne, parce que l'unité familiale est très forte, très importante et s'appuie sur de solides valeurs. En fait, c'est le cas pour de nombreuses communautés ethniques.
    Vous considérez donc que l'intégration socio-professionnelle et socio-économique de ces communautés est le facteur dont nous devrions nous préoccuper pour éviter que les jeunes prennent le chemin des gangs? Est-ce bien ce que vous voulez nous dire?
    Oui. C'est exactement cela. Pour nos jeunes, le problème ne vient pas du fait qu'ils n'appartiennent pas à une communauté. Comme vous l'avez fait remarquer, notre communauté est forte. La raison vient du fait qu'ils sont frustrés par le système, car il n'y a aucune autre solution qui s'offre à eux. Dans notre communauté, nous n'avons rien à leur offrir, et à l'extérieur, les seuls qui les attendent sont ceux qui ont des intentions douteuses, que ce soit al-Qaïda ou le crime organisé.
    Merci.
    Je sais que Mme Chamut voulait réagir à vos propos.
    Je sais que vous avez dit « non, non ».
    Je ne crois pas que ce soit le problème, parce que je viens d'une famille de neuf enfants. Or, je suis la seule qui se soit retrouvée dans la rue ou qui ait commis des actes répréhensibles. Alors, je ne me soucie pas de savoir si votre communauté familiale est forte; s'il s'y trouve un enfant qui se sent rejeté, il cherchera ailleurs son sentiments d'appartenance. C'est ainsi que les jeunes sont recrutés, selon moi.
    J'ai longtemps vécu dans la rue. Je peux aller dans une école et vous dire quel enfant va se retrouver dans un gang, parce que ces jeunes ont si peu d'estime de soi et tant de problèmes qu'ils cherchent une sorte de famille dans laquelle ils peuvent se sentir acceptés. Votre grand-mère aura beau vous prendre dans ses bras tous les jours, si vous avez l'impression que vous ne valez rien, vous allez vous tourner vers d'autres personnes pour trouver ce qui vous manque.
    Bien. Mais c'est là l'aspect interne du problème. Cela n'a rien à voir avec les facteurs extérieurs.
    Je crois que tout dépend des enfants. Je parle à de nombreux jeunes, issus de divers groupes ethniques. Il y a même des Somaliens. J'ai parlé à bien des jeunes Somaliens. Ils aiment leur mère et leur père, mais ils n'ont toujours pas l'impression d'appartenir à un groupe quelconque. Ils veulent donc se faire recruter pour se sentir utiles et acceptés. Voilà pourquoi les jeunes se tiennent avec les gangs. C'est ce que j'ai fait, tout comme ceux que je fréquentais. Ils voulaient appartenir à un groupe. Ils n'étaient acceptés nulle part ailleurs, mais dans le gang, ils l'étaient.
    Merci.
    Monsieur Rathgeber.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie également tous les témoins, pas seulement pour leur témoignage de cet après-midi, mais pour l'excellent travail qu'ils accomplissent à Edmonton et ailleurs.
    Madame Quinn, je suis ravi de vous revoir.
    Je sais que vous avez indiqué que vous ne tenez pas de statistiques fiables sur ces questions; je comprends donc que votre réponse sera probablement le fruit de vos observations. Je présume que dans cette ville, l'industrie de la prostitution ne fait pas cavalier seul et que ceux qui en font partie s'adonnent également à la distribution et au trafic de drogue.
    Est-ce exact?
    C'est assez juste, car ces deux industries sont liées.
    Est-ce que c'est le cas partout, que ce soit dans la rue, dans les salons de massage ou les agences d'escortes?
    Il y aurait effectivement des liens. Ici encore, je crois que notre service de police veut mettre davantage l'accent sur cet aspect. Le chef de police mise davantage sur la collecte de renseignements et a accordé la priorité à l'embauche d'un criminologue pour nous aider à recueillir ce genre d'information et pour voir à quel point le racolage dans la rue et les formes plus structurées de prostitution sont intégrées.

  (1615)  

    La prochaine question s'adresse à l'une ou l'autre d'entre vous.
    Nous avons parlé du trafic de drogue, et je crois que c'est une corrélation assez normale. Mais ces individus s'occupent-ils d'autres aspects du crime organisé: la prostitution, les stupéfiants? Je comprends que l'information reste empirique, mais s'adonnent-ils au blanchiment d'argent ou au vol d'identité?
    Pouvez-vous m'aider?
    J'ignore ce qu'il en est du blanchiment d'argent, mais selon moi, le vol d'identité entre certainement en jeu. Souvent, ceux qui s'occupent de prostitution sont également impliqués dans d'autres activités criminelles, comme le vol d'identité.
    J'ai travaillé avec certains des jeunes qui participent aux tribunaux de traitement de la toxicomanie. Ils ont évoqué la fraude et le vol d'identité, ainsi que les activités de prostitution et de trafic de drogue auxquelles ils ont participé. Quand il est question de survie — affirmer sa position et rester en vie —, on est prêt à tout.
    Sachez de plus qu'à Edmonton, plus de 32 jeunes femmes ont été assassinées ces dernières années, et toutes les grandes villes ont une liste de malheurs ou de victimes de meurtre. Les gens se demandent si c'est l'oeuvre d'un meurtrier en série, comme Robert Pickton. Il se peut qu'un seul homme ait tué plus d'une femme. Cependant, nous savons que certaines de ces morts ont un lien avec le trafic de stupéfiants et n'ont rien à voir avec un meurtrier en série. Le monde de la drogue est devenu plus cruel et plus dur. De nombreux jeunes hommes ont été tués à Edmonton. Nous avons également constaté que certaines jeunes femmes ont été tuées par mesure de représailles en raison du trafic de drogue.
    Merci.
    Sur ce point précis — monsieur Accord, je suis également heureux de vous voir aujourd'hui —, je vous ai entendu dire à quelques reprises aujourd'hui et dans les médias récemment que les problèmes qu'éprouve votre communauté sont les conséquences du manque d'intégration ou de la marginalisation.
    Je suis fier de représenter le Nord-Ouest d'Edmonton, en Alberta. Comme vous le savez, cette région au paysage ethnique très diversifié comprend d'importantes populations ethniques. Ainsi, je représente une grande communauté libanaise, une importante population asiatique, ainsi que votre communauté.
    Pourquoi, selon vous, la communauté somalienne a-t-elle moins bien réussi à s'intégrer à la société canadienne que, disons, les communautés asiatique ou libanaise du Nord-Ouest d'Edmonton?
    Si vous posez la question à notre communauté, vous obtiendrez toutes sortes de raisons. Selon moi, il se peut que les communautés qui nous ont précédés aient eu un point commun qui leur a permis de mieux s'intégrer à la population en général. Peut-être les Vietnamiens étaient-ils unis par une identité commune fondée sur la foi ou un autre aspect acceptable. Les Libanais adhéraient peut-être à une foi commune, mais la question de la couleur est entrée en jeu.
    Lorsque je demande à ma communauté quelles sont les raisons du manque d'intégration, deux aspects ressortent. Tout d'abord, nous sommes majoritairement musulmans — à 97 ou 98 p. 100; en outre, nous sommes Africains. Ces deux facteurs, la couleur et la foi, deviennent des problèmes. Ainsi, pour la majorité de ceux qui sont ici — nous sommes la diaspora africaine la plus importante au Canada —, rien n'a été fait pour résoudre certains des problèmes qui nous empêchent de devenir des Canadiens.
    De façon générale, lorsque nous sommes arrivés au Canada, que ce soit en Ontario, au Québec ou en Colombie-Britannique, on nous a offert des services en fonction de notre culture. Or, ces services n'étaient valables que pour cinq ans. C'est après que la situation dérape, car rien n'a été prévu par la suite. Après 20 ans, comment les Somaliens, même s'ils sont Canadiens, remplacent-ils ces services lorsqu'ils quittent l'Ontario et s'aventurent en terrain inconnu, hors des grandes villes multiethniques? De quelles ressources disposent-ils? Ils sont toujours Somaliens, même s'ils sont ici depuis 20 ans. Et ils ont peur de ne pas être acceptés par les Canadiens, parce que ces derniers sont principalement de cultures d'inspiration judéo-chrétienne. Pour ma part, je considère que je ne peux me prétendre musulman à moins que je ne sois pratiquant. Je dois prier cinq fois par jour, sinon je ne suis pas musulman.
    Mon alimentation présente également un défi. C'est un problème socio-économique, parce que dans les commerces où je m'approvisionne, les prix sont 25 p. 100 plus élevés que dans les épiceries. Alors pour ce qui est de s'intégrer...
    En outre, la plupart des personnes issues d'autres communautés ethniques qui s'adonnent au trafic de stupéfiants cherchent un groupe auquel appartenir. Or, ce n'est pas le cas dans notre communauté. Ce n'est pas non plus une question de statut social. Certains des membres de notre communauté ont fort bien réussi et appartiennent à une classe sociale que je qualifierais de supérieure à la moyenne. Leurs enfants n'en risquent pas moins de tomber entre les griffes de personnes qui pourraient être des recruteurs d'al-Shabaab. Si cela arrive, je crois que c'est en raison d'un manque d'intégration.

  (1620)  

    Je vous remercie beaucoup.
    Nous laissons maintenant la parole à M. Norlock. Je vous demanderais de rester bref.
    Je vous remercie beaucoup de témoigner aujourd'hui. Je me contenterai de poser quelques brèves questions.
    Lorsqu'il est question des gangs, le film Les gangs de New York me vient immédiatement à l'esprit. Les membres de ces groupes étaient Irlandais. Est-ce que leur situation était différente, si l'on fait abstraction de leur origine irlandaise?
    Je crois que la situation est assez semblable.
    Ils provenaient de la classe inférieure de la société. Les Irlandais d'alors ne pouvaient pas trouver d'emploi ou avaient d'autres difficultés.
    Voilà qui m'amène à une autre question, que je poserai à M. Accord. Selon vous, devrions-nous prendre des mesures énergiques? Autrement dit, si vous dites que vous ne trouvez pas d'emploi parce que vous êtes Somalien, devriez-vous en obtenir un en raison même de votre origine ethnique?
    Est-ce que c'est ce que nous devrions faire? L'expérience a déjà été tentée ailleurs.
    Je crois que non. À mon avis, ce n'est pas la chose à faire, car ces mesures font parfois plus de mal que de bien.
    Nous nous demandons toutefois comment aider ces personnes à se qualifier. Par exemple, lorsque nous nous sommes adressés à la police, on nous a dit qu'il n'y avait personne de qualifié et on nous a demandé s'il fallait assouplir la norme. Nous avons répondu que non, mais nous leur avons demandé de comprendre pourquoi il n'y a personne de qualifié. Nous avons remarqué que les jeunes de 18 ou 20 ans ne sont pas familiers avec le milieu de l'application de la loi. Ils tiennent leur mentalité de leurs parents.
    De plus, les parents ne transmettent pas le bagage culturel que possèdent les Canadiens. Ce bagage leur fait défaut, car ils sont issus d'une culture différente. Cet aspect devient également un obstacle. Ce que nous cherchons, ce n'est pas un coup de pouce, mais un coup de main. Ainsi, ceux qui cherchent vraiment à acquérir ces qualifications... Si l'on conçoit une machine pour fabriquer un produit et que ce dernier ne répond pas aux attentes, on examine alors la machine pour savoir pourquoi elle ne fabrique pas le produit attendu.
    Je ne crois donc pas que les mesures énergiques soient de mise dans le cas présent.
    Si vous êtes en affaires et que vous voulez vendre vos services, vous ne vous attendez pas à ce que les clients viennent à vous. C'est vous qui devez aller vers eux. Voilà pourquoi j'ai parlé de démarches énergiques. Que pouvez-vous faire au sein de la communauté?
    L'un des hommes que nous avons rencontrés à Toronto s'occupait de familles où il n'y a pas de père. Je crois que Mme Mendes a mentionné les familles sans père. L'unité sociale était absente. Mais vous en avez une. Vous avez une mère et un père à la maison et vous bénéficiez d'une très forte... Voilà ce que je voulais demander rapidement à Mme Quinn ou Mme Chamut. Votre foi n'encourage pas le manquement aux règles; en fait, c'est tout le contraire.
    Pourriez-vous me répondre brièvement, je vous prie, pour que je puisse passer à Mme Quinn ou Mme Chamut?
    L'ennui, c'est que le système n'est pas adapté à notre communauté. Nous nous impliquons, mais le système n'est pas assez souple pour nous inclure. Le système auquel nous sommes assujettis a été mis en place avant notre arrivée. Les idées que nous proposons pour améliorer la situation des membres de notre foi au Canada se heurtent à de la résistance. Voilà le problème. C'est un défi différent de ceux que doivent relever les autres communautés.
    Monsieur Woodworth, il vous reste trois minutes et demie.
    Merci, monsieur le président. Je vous remercie de m'en aviser.
    Je remercie les témoins de comparaître aujourd'hui. Je tiens également à leur exprimer mon admiration pour le travail qu'ils font au sein de la communauté. Je sais qu'on a l'impression de déplacer une montagne avec une petite cuillère, mais c'est ainsi que l'on réussit à faire bouger les choses.
    Monsieur Accord, j'aimerais comprendre l'ampleur du problème de la communauté somalienne. Vous avez indiqué qu'en Alberta, la population somalienne totalisait 30 000 à 35 000 personnes. J'estime donc qu'il y a environ 3 000 à 4 000 jeunes entre 15 et 30 ans. Parmi eux, il y a des garçons et des filles. Combien de ces 3 000 à 4 000 jeunes sont devenus membres de gangs?

  (1625)  

    Un nombre infime — 0,009 p. 100 —, mais ils finissent par se faire tuer. Voilà la différence.
    Bien. Voilà qui m'amène à ma prochaine question. J'ai devant moi un article du Toronto Star, qui porte sur un jeune Somalien de 16 ans étudiant dans une école secondaire d'Edmonton, à qui on a proposé de vendre de la drogue. Selon cet article, Yusuf est resté muet pendant un instant, puis il a souri et refusé.
    Il fait partie des autres jeunes, pas du petit pourcentage qui se laisse tenter, mais de la vaste majorité qui a l'intelligence et la présence d'esprit de ne pas entrer dans un gang. Il est pourtant confronté aux mêmes difficultés que tout le monde au chapitre de l'intégration, de la religion et de la couleur.
    Où est la différence, alors? Tous ces jeunes font face aux mêmes problèmes, mais ce n'est qu'une petite minorité qui tombe dans l'univers de la drogue. Pourquoi croyez-vous que la majorité réussit à résister aux gangs, alors que d'autres n'y parviennent pas?
    Selon nous, même si cela ne touche qu'une petite minorité, la mort d'un jeune est une mort de trop.
    Oh, je sais, mais quelle est la cause?
    Ce que j'essaie de dire, c'est que la mort de ces jeunes hommes retient notre attention et nous fait réfléchir ensuite à la cause du problème.
    Nous avons découvert qu'il existe un bassin propice à la criminalité qui attire beaucoup de poissons. Alors, à moins de l'assécher en utilisant tous les moyens disponibles...
    Par ailleurs, nous avons suivi l'évolution de nos communautés vivant ailleurs, comme en Angleterre. Nous avons remarqué que ce problème y était très présent. Nos communautés sont établies en Angleterre depuis trois générations, depuis 200 ans, mais elles sont encore confrontées aux mêmes problèmes que nous ici, même si nous sommes en Alberta depuis peu. Alors, ce que nous observons est plus gros qu'il n'y paraît.
    De plus, la seule ville qui s'attaque au problème, selon nous, c'est Toronto, car le gouvernement fédéral a appuyé un programme par l'intermédiaire duquel la communauté juive nous offre de la formation... À ceux qui obtiennent un diplôme. Nous manquons de mentors. Vous pouvez décrocher un diplôme puis vous retrouver à travailler chez Tim Hortons. C'est un problème.
    Il y a des gens qui s'en sortent, et cela atténue les aspects négatifs. C'est là-dessus que nous nous concentrons.
    Je trouve que c'est une excellente initiative, mais je ne suis cependant pas tout à fait convaincu que la source du problème ait à voir avec la couleur de la peau ou la religion.
    Nous avons ici, à cette table, l'exemple d'une jeune femme, Mme Chamut, qui est blanche, dont j'ignore la religion, mais qui s'est quand même enrôlée dans des gangs par nécessité d'appartenir à un groupe. Nous avons aussi entendu parler des gangs irlandais à New York.
    Je crois qu'une meilleure façon d'aborder la situation serait de chercher à savoir comment établir le contact avec les gens ou, comme l'a dit Mme Mendes, comment s'attaquer à ces problèmes qui viennent de l'intérieur, plutôt que d'insinuer qu'il s'agit de problèmes qui frappent l'ensemble du système. C'est du moins mon sentiment.
    Monsieur Woodworth, je vais devoir vous couper la parole, car nous avons largement dépassé le temps prévu.
    Je voudrais seulement poser une dernière question à Mme Chamut.
    J'ai été sensible à votre témoignage et à celui de chacun d'entre vous.
    Avez-vous une idée de l'ampleur de la traite des enfants actuellement?
    Oh, c'est une question difficile, parce que comment faites-vous pour pénétrer dans les maisons où cela se pratique? Il peut y avoir des mères qui, à l'occasion, à cause de leur très forte dépendance aux drogues, vendront leur enfant âgé de deux, trois, quatre ou cinq ans. Je ne sais même pas comment on peut quantifier cela.
    Avez-vous fait partie du crime organisé? Avez-vous appartenu à une bande de motards ou à un autre groupe?
    L'homme avec lequel j'étais à l'époque faisait partie d'un club de motards et est mort, brûlé vif, en 1985. Depuis, j'ai perdu tout le monde de vue. Mais effectivement, j'ai fait partie d'un club de motards organisé, les Grim Reapers. Je crois qu'ils n'ont plus leurs propres signes distinctifs. Ils font maintenant tous partie des Hells Angels d'Alberta.

  (1630)  

    J'ai une dernière question pour vous deux.
    Plus tôt, nous avons entendu le témoignage d'un travailleur social des quartiers défavorisés qui nous a dit que parmi tous les membres de gangs qu'il connaissait, un seul venait d'une famille nucléaire. Tous les autres étaient issus de familles monoparentales.
    Cela reflète-t-il adéquatement la situation au sein de la communauté somalienne ou correspond-il à votre expérience?
    Je connais beaucoup de gens qui avaient leur mère et leur père et étaient bien nantis. Je ne crois pas qu'il y ait un ensemble de critères pour définir une personne qui se retrouve dans un gang ou finit dans la rue.
    Je crois que cela touche indifféremment toutes les races, tous les groupes ethniques, toutes les couches de la société, les pauvres, la classe moyenne et les plus riches. J'en ai vu de tous les milieux, de toutes les sortes.
    Monsieur Accord.
    Dans notre cas, je crois que pour la majorité des personnes concernées, l'unité familiale a été brisée. Mais c'est aussi vrai que cela touche des gens dont le père et la mère étaient présents.
    Alors, nous ne pouvons pas dire que ce soit le cas, mais en même temps, nous voyons que même les familles qui sont restées unies ont éprouvé des difficultés qui ont contribué au fait que ces jeunes soient devenus toxicomanes, à cause du manque d'avenir dans la communauté et du fait que les pères aient dû travailler de longues heures.
    C'est toujours pareil: le problème tourne autour de l'unité familiale.
    D'accord.
    Merci à tous. Vos témoignages nous ont été fort utiles. Ils seront rendus publics.
    La séance est levée.
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