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Je suis Dominique Peschard, président de la Ligue des droits et libertés. Avant de présenter la ligue, je voudrais vous faire part des regrets de Me Denis Barrette qui devait témoigner avec moi, mais il a appris trop tard le report de notre comparution pour pouvoir remettre ses engagements devant la cour.
La ligue est une organisation de défense des droits humains fondée en 1963 et vouée à la défense de l'ensemble des droits et libertés reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. La ligue est intervenue publiquement très rapidement après les attentats du 11 septembre pour s'opposer aux mesures antiterroristes qui mettaient de côté les principes de justice fondamentale au nom de la guerre au terrorisme et qui s'appuient sur l'idée selon laquelle on doit sacrifier nos libertés si on veut plus de sécurité. L'étude des rapports O'Connor et Iacobucci démontre, au contraire, que la mise au rancart de ces principes menace la sécurité des Canadiens.
L'histoire de Maher Arar est celle d'un homme innocent, broyé par les appareils de sécurité du Canada, des États-Unis et de la Syrie. Cette histoire montre ce qui arrive lorsque la société laisse tomber, au nom de la sécurité, les garde-fous d'un système de justice fondé sur le respect des droits fondamentaux.
En particulier, le rapport O'Connor révèle ce qui suit: une enquête de la GRC qui trace un portrait de M. Arar fondé sur des faits inexacts ou carrément erronés et qui le décrit sans fondement comme un islamiste extrémiste lié à Al-Qaïda; une pratique d'échange d'information sans restriction avec les autorités américaines qui ne respecte même pas les propres règles de la GRC; un aveuglement volontaire face à la torture subie par M. Arar lors de sa détention en Syrie et le fait « d'accepter et d'exploiter de l'information qui pouvait avoir été obtenue sous la torture »; finalement, des comportements de la part des autorités policières qui nuisent aux efforts pour ramener M. Arar au Canada et une pratique de fuites visant à le discréditer dans l'opinion publique et à justifier l'action des forces policières à son égard.
Malheureusement, le cas de Maher Arar n'est pas un cas isolé. La commission d'enquête Iacobucci a révélé que les mêmes pratiques des services de sécurité avaient contribué à la détention et à la torture de MM. Almalki, Abou-Elmaati et Nureddin.
Encore aujourd'hui, plus de deux ans après le dépôt du rapport Arar, un cinquième Canadien qui a subi le même sort, Abousfian Abdelrazik, croupit au Soudan, et le gouvernement du Canada dresse des obstacles à son rapatriement, malgré le fait qu'il ait été blanchi par la GRC et le SCRS des soupçons qui pesaient contre lui. La situation de M. Abousfian démontre que les correctifs demandés par le juge O'Connor se font toujours attendre.
L'enquête sur les faits entourant la déportation de Maher Arar vers la torture révèle que 24 agences ou ministères du gouvernement fédéral étaient impliqués dans des questions de sécurité nationale. Des services de police provinciaux et municipaux, de même que des services du renseignement provinciaux, sont aussi susceptibles de travailler en collaboration avec d'autres agences ou services de police gouvernementaux ou encore de participer à des équipes intégrées d'enquête. Ainsi, le Projet A-O Canada intégrait la participation de diverses agences canadiennes et des États-Unis, dont le FBI et probablement la CIA. On apprenait par ailleurs que 247 ententes régissaient le partage de renseignements entre le Canada et d'autres pays.
Depuis le 11 septembre, les mesures sécuritaires à travers le monde et les développements technologiques ont provoqué l'accumulation ainsi que le partage de renseignements sur les citoyens à une allure qui donne le vertige. Le partage continu de renseignements entre diverses agences d'un même État ainsi qu'entre agences d'États étrangers permet l'insertion des informations dans diverses bases de données de plusieurs États. Par exemple, des renseignements fournis par la GRC se retrouvent dans une des plus importantes bases de données des États-Unis, le Treasury Enforcement Communication System. Cette base de données constitue un mégafichier puisqu'elle intègre au moins 19 autres bases de données qui, à elles seules, possèdent une somme impressionnante d'informations. Un des résultats de ce processus complexe sera qu'une information erronée risque de susciter des conséquences en cascade, multipliant autant les dommages que les victimes et laissant celles-ci sans recours efficace.
Pour des personnes n'ayant rien à se reprocher autre qu'être victimes d'une erreur, certains dommages sont déjà clairement identifiables: inclusion d'innocents sur des listes noires, perte de leur emploi, refus de leur statut de citoyenneté, d'immigrant ou de réfugié, déplacements limités, détention indéfinie ou refoulement vers un pays où les attendent détentions, traitements dégradants et torture.
Qu'advient-il des principes que nous estimons essentiels dans une société démocratique: imputabilité, correction des renseignements personnels erronés, droit à la réparation des atteintes à la réputation, protection de la vie privée, intégrité physique et psychologique des individus, protection contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, libertés fondamentales, droit à l'égalité et prohibition du profilage illégal?
Pour prévenir la répétition de violation de droits et pour protéger les Canadiens, la Commission O'Connor propose une série de mesures touchant la formation des policiers, les pratiques policières ainsi que le mécanisme de plainte et de surveillance des activités de sécurité nationale.
Dans son premier rapport, le juge O'Connor formule 23 recommandations. Deux de ces recommandations sont particulièrement importantes. D'abord, c'est que les pratiques et ententes de la GRC en matière de partage d'information devraient être assujetties à un examen par un organisme indépendant. Ensuite, on ne devrait jamais communiquer d'information à un pays où il y a un risque crédible d'entraîner un recours à la torture ou d'y contribuer.
Le second rapport du juge O'Connor fait ressortir les lacunes criantes dans les mécanismes de surveillance des nombreuses agences impliquées en matière de sécurité nationale. Certaines, comme la Commission des plaintes de la GRC, ont des pouvoirs et moyens limités — des commissaires en ont fait déjà état publiquement et devant ce comité — et d'autres, comme l'Agence des services frontaliers, n'ont aucun organisme de surveillance. De toute façon, une multitude d'agences de surveillance n'auraient pas la vision d'ensemble requise pour évaluer les pratiques des multiples corps de police et agences qui travaillent de manière intégrée.
Pour faire face à cette situation, la ligue, à l'instar d'autres organisations de défense des droits, recommandait à la Commission O'Connor une seule agence de surveillance habilitée à surveiller l'ensemble des activités de sécurité nationale pouvant recevoir des plaintes et dotée de vastes pouvoirs d'enquête. Le juge propose une structure de forme différente, mais qui vise les mêmes objectifs.
En résumé, le commissaire propose de remplacer l'ancienne Commission des plaintes du public contre la GRC par un organisme indépendant d'examen doté de pouvoirs renforcés, la Commission indépendante d'examen des plaintes contre la GRC et des activités en matière de sécurité nationale, qui examinerait également les activités relatives à la sécurité nationale de l'Agence des services frontaliers.
Par ailleurs, le mandat de l'actuel mécanisme de surveillance du SCRS devrait être élargi afin de recevoir les plaintes et d'examiner les activités des différents ministères et agences impliqués dans les activités du renseignement relatives à la sécurité nationale, c'est-à-dire le Centre de la sécurité des télécommunications Canada, Citoyenneté et Immigration Canada, Transports Canada, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Enfin, le commissaire recommande au gouvernement de mettre en place un nouveau mécanisme qu'il désigne comme le comité de coordination pour l'examen intégré des questions de sécurité nationale, qui aurait pour mandat d'offrir un mécanisme de réception centralisé des plaintes concernant les activités relatives à la sécurité nationale d'organisations fédérales et de faire rapport sur la reddition de comptes concernant les pratiques et tendances dans le domaine de la sécurité nationale au Canada, notamment les effets de ces pratiques et tendances sur les droits et libertés individuels.
Le nouveau mécanisme ne doit pas devenir une coquille vide, et des ressources financières appropriées devront lui être attribuées. Ainsi, son budget annuel devrait faire l'objet d'un examen par le Parlement et recevoir son approbation. Selon la ligue, il est inacceptable que des institutions gouvernementales dédiées à la protection des droits humains n'arrivent que difficilement à remplir leur mandat faute de budget. Ce genre de situation mine la confiance du public envers l'exercice et la réalisation des droits fondamentaux et envers le fonctionnement des institutions gouvernementales.
Bien sûr, un changement significatif des méthodes d'enquête et de surveillance des agences de l'État doit aussi être accompagné d'un changement de culture, de coutume, et d'un réel respect des droits fondamentaux, particulièrement à la GRC, mais pas uniquement. Toutefois, les changements de mentalité ne s'inscrivent que dans des modifications à long terme et ne sont possibles que lorsque l'État envoie un message sans équivoque à ses commettants.
À l'accroissement stupéfiant des capacités et pouvoirs de contrôle, de surveillance et d'enquête de l'État doit correspondre un mécanisme d'examen approprié et efficace. C'est la condition obligée, ainsi que le prix à payer, pour le maintien du caractère libre et démocratique de notre société. C'est par suite d'une étude rigoureuse de la question, tant sur le plan national qu'international, que le juge O'Connor a recommandé la création d'un nouveau mécanisme d'examen qui se rapproche d'ailleurs de modèles existant dans d'autres pays démocratiques comme la Belgique, la Norvège et la Suède.
Il est grand temps de mettre en oeuvre toutes ces recommandations.
Nous souhaitons que ce comité adresse des recommandations en ce sens au gouvernement. Nous aimerions également, puisque ce n'était pas dans le mandat de la commission Iacobucci, que ce comité fasse des recommandations, à savoir que le gouvernement offre ses excuses à MM. Almalki, Abou-Elmaati et Nureddin, ainsi que des compensations, qu'il prenne toutes les mesures nécessaires aussi pour que les informations erronées sur ces personnes et leur famille, qui peuvent subsister dans des fichiers des services canadiens ou d'autres pays étrangers, soient rectifiées, et qu'une plainte soit adressée aux gouvernements de la Syrie et de l'Égypte pour le traitement subi par ces citoyens canadiens.
Merci.
Ce qui est près préoccupant dans le cas Abou-Elmaati en particulier, ce sont les informations qui sont sorties: elles établissent non seulement que l'étiquetage erroné de M. Elmaati a contribué à sa détention initiale et à sa torture, mais que la confession obtenue sous la torture a ensuite été utilisée par les services du renseignement pour obtenir un mandat de perquisition ici. Ainsi, on a nié ou ignoré le fait que M. Abou-Elmaati avait probablement fait sa confession sous la torture et que, ensuite, les résultats de ces perquisitions ont été utilisés pour acheminer d'autres informations à la Syrie.
Il est également préoccupant qu'un responsable du SCRS, qui a témoigné devant la commission Iacobucci, donc après la publication du rapport O'Connor, a avoué ou a dit que le SCRS, à l'occasion, utilisait des caractérisations qu'il envoyait aux services étrangers, de manière à susciter une réponse qui corrobore ou réfute la caractérisation. Autrement dit, il s'agit d'une sorte de partie de pêche, si on veut, où une caractérisation non vérifiée est envoyée à un service étranger pour que ce dernier la corrobore ou la réfute.
Évidemment, comme l'a souligné le juge Iacobucci, cela est susceptible d'entraîner d'autres traitements inhumains et de la torture envers la personne détenue par les services en question. C'est une pratique très préoccupante, qui va à l'encontre du respect des droits fondamentaux et qui pose un problème sérieux, de l'avis de la ligue. Cela suscite toute la question de la position du Canada face à la torture, et de la pratique des services de sécurité.
Le Canada a été critiqué par des organismes comme le Comité des droits de l'homme et le Comité contre la torture de l'ONU, pour ne pas prendre une position claire et non équivoque sur la question de la torture. Les cas de MM. Arar, Abou-Elmaati et Almalki sont des exemples, mais il y a aussi maintenant le cas de M. Abousfian Abdelrazik qui a subi le même traitement. Il y a le cas de M. Omar Khadr au sujet duquel le jugement de la cour, la semaine dernière, a montré que des agents du gouvernement canadien étaient complices.
Toute la problématique de la torture reste à être réglée à la fois sur le plan politique, à mon avis, au Canada, et aussi de la part des agences de sécurité.
Maître Peschard, si on veut en arriver à un rapport unanime, à un moment donné, il est vrai qu'il faudra s'entendre sur certaines données de base.
Voici une des données de base dans les éléments que nous avons examinés: les gens n'ont constaté que plusieurs années plus tard que leurs droits avaient été enfreints par des autorités canadiennes et, généralement, sans que le gouvernement en ait connaissance. On peut le dire avec d'autant plus de facilité, du côté du Bloc québécois, que nous n'avons aucune ambition d'être au pouvoir à Ottawa et que nous ne l'avons jamais été.
Voici l'idée fondamentale que nous voulons examiner ici: après que ces événements ont été examinés par des commissions d'enquête, ces dernières ont fait des recommandations de sorte que ces événements ne se reproduisent plus, et ne se reproduisent plus, généralement, sans même que le ministre et le gouvernement le sachent.
Je crois que certaines personnes s'adresseront à vous, à votre organisme des droits et libertés, pour savoir comment elles pourraient effectivement rétablir des droits qu'elles sentent enfreints.
Je vous donne un exemple: quelqu'un vient vous dire qu'il est perçu comme un terroriste, mais à tort. Cet homme vient d'apprendre qu'il ne peut plus voyager en avion au Canada, qu'il est dangereux qu'il aille aux États-Unis ou même dans d'autres pays. La GRC lui dit qu'elle croit qu'il est terroriste, qu'il a des contacts avec les terroristes et qu'elle voudrait l'engager comme agent double. Il répond qu'il n'est pas terroriste, qu'il ne connaît pas de terroristes, qu'il ne veut pas devenir agent double. Il dit qu'il a une femme et des enfants et que, même s'il connaissait des terroristes, c'est quelque chose de dangereux qu'il ne veut pas faire. Il a beau expliquer que, quand il est allé au Pakistan, il n'a visité que sa famille et, que s'il a rencontré des terroristes, il ne savait pas qu'ils l'étaient. Il aimerait bien pouvoir maintenant bénéficier des mêmes droits que tous les Canadiens.
À quel organisme pourrait-il s'adresser pour faire corriger cette situation? De plus, si les recommandations des juges O'Connor et Iacobucci étaient appliquées, y aurait-il des organismes auxquels il pourrait s'adresser pour exposer le fait qu'il est injustement traité parce qu'on le croit terroriste, à tort, alors qu'il ne l'est pas et [Note de la rédaction: inaudible] ?