SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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CANADA
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 7 mai 2009
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte.
Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous tenons aujourd'hui notre 17e séance de la deuxième session de la 40e législature, et avons l'honneur d'avoir comme invité M. Alan Dershowitz. On dit parfois qu'une personne n'a pas besoin de présentations, et c'est effectivement le cas de M. Dershowitz. Qui plus est, je ne lui rendrais pas service si j'essayais de le présenter convenablement, compte tenu de son extraordinaire curriculum vitae.
Sans plus tarder, je vais céder la parole à M. Dershowitz, mais avant, je dois lui préciser que, selon nos règles, nous donnons au témoin le temps de parler, après quoi nous avons une série de questions de la part des membres du comité, soit une question pour chacun des quatre partis. Si le temps le permet comme nous l'espérons, ce qui ne sera peut-être pas le cas aujourd'hui, il y a une deuxième série de questions pour deux des partis. En tout, il s'agit donc de quatre à six questions.
Sans plus tarder, nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire, monsieur Dershowitz.
Merci beaucoup. C'est un honneur tout particulier que d'avoir été invité à témoigner à l'occasion de cette importante séance. Je regrette de ne pas pouvoir être présent en personne et je vous remercie de m'avoir permis de participer par vidéoconférence.
J'ai lu une partie des témoignages que vous avez entendus, dont, bien sûr, l'excellente pétition pour la protection préparée avec l'assistance de l'honorable Irwin Cotler. Je ne répéterai pas ce qui a été dit précédemment, ni ce qui figure dans la pétition, bien que j'incorpore par renvoi une bonne part de la documentation qui vous a déjà été présentée.
J'ai consacré toute ma vie professionnelle à la défense de la liberté d'expression, même pour des personnes comme les nazis, ceux qui nient l'Holocauste, les antisémites virulents et autres bigots, que je méprise profondément. J'ai une acception maximaliste de la liberté d'expression, ce qui a été source de conflits, même avec mes amis les plus proches et mes associés. Par exemple, j'ai débattu avec l'honorable Irwin Cotler à plusieurs occasions les crimes haineux, la diffamation collective, la falsification de l'histoire, le déni de l'Holocauste et l'encouragement à commettre des crimes. J'estime que toutes ces formes d'expression, pour méprisables et dangereuses qu'elles soient, doivent être protégées.
Dans mon dernier livre, Finding Jefferson, je fais valoir que les lois de censure sont généralement plus dangereuses que la parole qu'elles cherchent à censurer. Et pourtant, me voici aujourd'hui qui réclame la criminalisation de l'incitation au génocide que pratiquent le régime iranien en générale et le président Mahmoud Ahmadinejad en particulier. N'y a-t-il pas un conflit entre le fait que j'ai toujours défendu la liberté d'expression et mon soutien au mouvement visant à traiter Ahmadinejad comme un criminel international? Non, et laissez-moi vous expliquer pourquoi. Mon point de vue maximaliste de la liberté d'expression fournit en fait une justification majeure à la mise en accusation d'Ahmadinejad et de son gouvernement pour incitation au génocide.
Le paradigme de la liberté d'expression, c'est le contestataire individuel qui proteste contre les actions du gouvernement. La censure est l'un des outils que les gouvernements utilisent contre les contestataires. Il en est ainsi depuis que le monde est monde. Les arguments de défense de la liberté de parole présupposent traditionnellement un particulier qui affronte le pouvoir du gouvernement. Le contestataire se dresse seul et, souvent, fait l'objet du mépris du pouvoir, mais aussi de celui de ses concitoyens. Le contestataire ou la contestataire défend un point de vue extrêmement minoritaire que n'apprécie pas la population en général. Les terribles pouvoirs des sanctions gouvernementales et de la condamnation des masses font obstacle au contestataire individuel. Parfois, le contestataire est vertueux; parfois, acerbe. Parfois, il prône la paix; parfois, la violence.
Or, il est impossible d'élaborer des lois qui ne protègent que les personnes vertueuses. Par conséquent, si l'on veut que le marché des idées reste ouvert, il est impératif d'accorder la liberté d'expression à ceux que nous méprisons. Pour reprendre la constatation haute en couleur de H. L. Mencken, le problème, quand on lutte pour la liberté humaine, c'est qu'on doit consacrer une bonne part de son temps à défendre des fumiers, car ce sont toujours eux que visent au départ les lois oppressives et c'est dans l'oeuf qu'il faut tuer l'oppression.
L'expérience montre qu'il faut laisser son prochain parler comme soi-même. Ainsi, parce que je voulais une liberté d'expression qui permette à Martin Luther King de faire une manifestation à Birmingham, en Alabama, je devais appuyer la liberté d'expression des néo-nazis qui voulaient tenir une manifestation à Skokie, en Illinois. Parce que j'appuie le droit de Robert Mapplethorpe à exposer de belles oeuvres artistiques, j'ai dû appuyer le droit de Larry Flynt à publier de la pornographie de la pire espèce.
Pourquoi alors ne suis-je pas en faveur du droit d'Ahmadinejad à inciter au génocide de l'État hébreux, de ses citoyens et du peuple juif? Pour plusieurs raisons. La première, la plus importante, c'est qu'il n'est pas un particulier qui conteste son gouvernement. Il est le gouvernement de l'Iran qui exprime sa volonté de brimer les droits des particuliers. Les gouvernements en tant que tel n'ont pas de droits; ce sont les particuliers qui ont des droits aux vues du pouvoir du gouvernement. Quand Ahmadinejad incite au génocide, il le fait avec le plein pouvoir du gouvernement iranien derrière lui. C'est particulièrement dangereux dans un régime qui ne permet pas la contestation.
Récemment, lors de la conférence Durban II, à Genève, je me suis trouvé en présence d'Ahmadinejad et de plusieurs douzaines de ses sujets iraniens. J'en ai profité pour discuter avec de nombreux citoyens iraniens d'âges différents. J'ai commencé à discuter avec eux des opinions d'Ahmadinejad. Il était manifeste qu'ils étaient terrifiés d'exprimer une opinion qui puisse être considérée comme un désaccord avec Ahmadinejad. J'ai demandé à plusieurs jeunes gens si, selon eux, l'Holocauste était un mythe, comme Ahmadinejad le leur avait dit, ou si Israël était un cancer qu'il fallait éradiquer de la carte. Ils se sont hâtés de tomber d'accord avec les opinions d'Ahmadinejad. Je leur ai demandé s'ils connaissaient des gens qui n'étaient pas d'accord. Ils m'ont répondu que non.
Il n'y a pas de marché des idées, ou du moins pas officiellement, dans l'Iran d'Ahmadinejad. Ainsi, l'incitation au génocide d'Ahmadinejad n'est pas proposée comme une idée dont on peut débattre; c'est un ordre, une directive. C'est vraiment analogue aux incitations au génocide punies au Rwanda par les tribunaux internationaux. C'est équivalent à l'ordre militaire donné par un commandant à ses troupes, par un parrain de la mafia à ses soldats ou par un chef religieux à ses fidèles. Il faut le respecter sans question ni contestation. De ce fait, c'est l'antithèse de la liberté d'expression, l'opposé d'un marché des idées. Cela clôt la discussion, le débat et la contestation.
La deuxième raison pour laquelle je suis en faveur de la mise en accusation d'Ahmadinejad, c'est que cette incitation au génocide, alliée à la création d'armes nucléaires, constitue un danger clair et constant de génocide dans les faits, pour le monde en général et pour Israël et le peuple juif en particulier.
Certains avancent que l'invitation d'Ahmadinejad à rayer Israël de la carte se veut une métaphore, a été mal traduite ou est simplement une déclaration politique. Là n'est pas la question.
Ahmadinejad sait pertinemment que les gens seront nombreux à le comprendre comme un appel au génocide. Quand le leader d'une nation qui aura bientôt des armes nucléaires déshumanise un groupe entier, comme Ahmadinejad et le régime iranien ont déshumanisé les citoyens d'Israël et le peuple juif — tout ça est exprimé clairement dans la pétition dont j'ai parlé plus tôt —, si ce leader demande à ce qu'Israël soit rayé de la carte, c'est plus qu'une incitation au génocide: c'est une directive, des instructions précises à recourir aux armes nucléaires pour créer la tempête de feu que réclame Ahmadinejad. Point n'est besoin d'utiliser des lance-roquettes ou des bombardiers. Il suffit que des bombes sales soient introduites en contrebande dans un pays par des individus qui obéissent à ce qu'ils considèrent comme des ordres venus d'en haut ou des obligations religieuses.
Et Ahmadinejad n'est pas seul en cause. Selon un journaliste américain, Hashemi Rafsanjani se serait vanté de ce qu'une attaque nucléaire de l'Iran tuerait jusqu'à cinq millions de juifs.
Rafsanjani estimait que, même si Israël larguait ses propres bombes nucléaires en représailles, l'Iran perdrait probablement seulement 15 millions de personnes, un petit « sacrifice », selon lui, sur le milliard de musulmans dans le monde.
Les leaders d'une nation dotée de l'arme nucléaire qui expriment ainsi des calculs génocidaires et suicidaires donnent en fait des instructions à leurs citoyens. Ils sont coupables d'incitation au génocide et pire. Il faut les arrêter avant qu'il y ait génocide. Les mots importent. Les instructions importent. Il conviendrait d'intenter des poursuites contre ces gens, non seulement pour ce qu'ils ont dit, mais pour ce qu'ils ont fait et ce qu'ils en ont exhorté d'autres à faire. Il faudrait les mettre sur des listes de surveillance. Il faudrait les refuser aux frontières des nations soucieuses de paix qui veulent éviter un génocide.
Le monde ne peut pas se permettre une fois de plus de faire une rétrospective sur un génocide et de regretter de ne pas avoir pris au sérieux les incitations au génocide ayant précédé ce terrible événement. Notre histoire le montre: cela fait trop longtemps, avec deux épisodes coup sur coup, que nous repensons à des génocides qui auraient pu être évités et pour lesquels nous aurions voulu être intervenus plus tôt.
C'est le moment où jamais de respecter notre obligation internationale d'empêcher les génocides avant qu'ils se produisent. Comme l'a dit Edmund Burke il y a bien longtemps, tout ce qu'il faut pour que le mal triomphe, c'est le silence des hommes de bien — et j'ai ajouterais celui des femmes de bien. Je sais que vous ne garderez pas le silence devant ce mal avéré.
Merci beaucoup.
Voici ma première question à M. Dershowitz, qui est effectivement le plus ardent défenseur de la doctrine du premier amendement aux États-Unis. Selon vous, serait-il juste de dire que l'incitation d'Ahmadinejad, si elle avait lieu aux États-Unis, ne serait pas non plus un droit de parole protégé, même au titre du premier amendement — en plus d'être une incitation clairement interdite et criminelle, pour toutes les autres raisons que vous avez indiquées, au titre de la loi internationale et de l'interdiction par la convention contre le génocide d'incitations directes et publiques au génocide? Ce serait ma première question.
La seconde question n'est pas sans rapport avec la première. Vous avez parlé du recours possible à la poursuite au criminel. Tout d'abord, ce recours est-il vraiment possible? Comme nous le savons, l'Iran n'est pas partie au traité portant sur la Cour pénale internationale, si bien qu'il faudrait un renvoi du Conseil de sécurité des Nations Unies. Est-ce possible? Devrions-nous tâcher de l'obtenir, même si ce n'est pas possible, pour prouver la validité en soi de la cause? Ensuite, quels sont les autres recours qui permettraient de demander des comptes à l'Iran d'Ahmadinejad, en tant que pays, et les recours visant la responsabilité individuelle?
Pour répondre à votre première question, je suis absolument convaincu que, même au titre de la loi américaine, qui, comme vous le savez tous, adopte la position la plus radicale en matière de liberté d'expression, cela constituerait un comportement passible de sanctions pénales au titre de notre premier amendement.
Tout d'abord, une incitation à la violence répondant aux critères d'un danger clair et présent n'est pas protégée par le droit de parole. De plus, selon mes arguments, c'est plus qu'une incitation, comme si cela ne suffisait pas. Il s'agit plutôt d'instructions. Cela relève du principe suivant: si vous dites à quelqu'un de faire quelque chose et que vous êtes le PDG d'une société, si vous donnez à quelqu'un l'instruction même indirecte de commettre un crime, ce comportement, cette déclaration que vous faites, ce n'est pas protégé par le droit de parole, pas s'il s'agit d'instructions dans une situation hiérarchique.
De plus, aux États-Unis, la liberté d'expression est un droit individuel — pas un droit du gouvernement. Il y a d'ailleurs des restrictions à ce qu'un gouvernement peut faire, selon la State Action Doctrine. Par exemple, bien qu'un particulier puisse faire certaines déclarations de nature peut-être raciste ou sexiste, le fait pour un représentant du gouvernement ou pour le président des États-Unis de faire ce type de déclaration dans le cadre d'une action d'État est susceptible de constituer une contravention passible de sanctions.
Je pense donc qu'il existe de nombreuses raisons, selon les interprétations habituelles de la Constitution américaine, selon ce qu'on appelle le critère de Brandengurg, de conclure que certaines incitations à la violence sont passibles de sanctions. Quant aux célèbres formules d'Oliver Wendell Holmes, même s'il a dit que toute idée était une incitation, elle n'engloberaient pas ce type d'idée hiérarchique.
À ma connaissance, il n'existe pas de jurisprudence qui donne au gouvernement le droit d'engager ses sujets à perpétrer ce type de génocide au titre d'un quelconque premier amendement ou d'une doctrine analogue. Je suis donc convaincu que le droit américain ne constituerait pas une entrave pour mener à bien une poursuite fondée sur les déclarations d'Ahmadinejad.
La deuxième question est de savoir si la Cour pénale internationale est compétente en la matière. Bien sûr, comme l'a suggéré à raison M. Cotler, étant donné que l'Iran n'est pas signataire, il faut passer par des mécanismes beaucoup plus compliqués, dont le droit de véto. Personnellement, j'aimerais que la Cour pénale internationale soit reconnue universellement. Son excellent procureur en chef a indiqué qu'il se pencherait de très près sur toute tentative d'incitation ou de déclenchement de génocide, mais je doute que le Conseil de sécurité réussisse à donner à la Cour pénale internationale le mandat d'aller de l'avant pour ce type de poursuite.
Rien ne nous empêche, pour autant, d'amorcer une enquête, de formuler une mise en accusation et d'attaquer Ahmadinejad et le régime iranien devant le tribunal de l'opinion publique. Il y a aussi d'autres sanctions, de gouvernement à gouvernement, que l'on pourrait proposer. J'ai parlé de liste de surveillance, dans ma déclaration liminaire. Nous avons vu hier seulement que le gouvernement britannique avait dressé la liste des personnes qui ne sont pas les bienvenues en Grande-Bretagne. Ahmadinejad devrait figurer sur toute liste de ce type. Oui, il faut l'inviter aux Nations Unies, mais le pays n'est pas obligé de lui souhaiter la bienvenue.
J'estime que le président de la Suisse a eu tort d'offrir la poignée de main de l'amitié à Ahmadinejad au nom du gouvernement suisse et peut-être même des États-Unis, qui se charge des efforts diplomatiques en ce qui concerne l'Iran, quand Ahmadinejad a prononcé ses horribles discours racistes et génocidaires à l'Assemblée des Nations Unies. Il y a une distinction entre le fait de tolérer une intervention de ce type, parce qu'il est le chef d'un état membre des Nations Unies, et celui de lui offrir la poignée de main de l'amitié.
Je pense qu'il y a toute une série de sanctions. On peut aussi envisager des poursuites au civil de la part des victimes potentielles. Il y a bien sûr l'immunité de la souveraineté, qui constitue un obstacle. Mais il faut tout essayer. La question est beaucoup trop grave pour qu'on s'abstienne d'essayer, simplement en l'absence de garantie de succès. Nous devrions avoir recours à toutes les options légales possibles dont le monde civilisé dispose pour empêcher ce type d'incitation barbare et la possibilité d'une conduite aussi horrible.
J'ai une brève question.
Le gouvernement d'Obama a indiqué son intention d'engager un dialogue avec l'Iran. Selon vous, y a-t-il contradiction entre ceci et les efforts pour amener l'Iran à rendre des comptes?
Je suis en faveur des efforts d'ouverture en toutes directions du gouvernement d'Obama. Il faut négocier avec tout le monde. C'est avec ses ennemis qu'on fait la paix, pas avec ses amis. Ouvrir des négociations ne signifie pas du tout qu'on renonce à la possibilité de demander des comptes, au contraire; cela augmente le besoin de rendre des comptes. Si on fait des efforts d'ouverture, on doit demander des comptes à ceux qui en bénéficient.
La grande erreur des années 1930 n'a pas été d'avoir négocié avec le régime nazi, avec Hitler, avec Mussolini ou avec le Japon, mais de ne pas leur avoir demandé des comptes, particulièrement au gouvernement allemand, pour les promesses et les menaces qu'il avait faites. Il n'y a pas eu assez de reddition de comptes. Les autres gouvernements ont accordé au régime nazi une trop grande légitimité. C'est pourquoi, selon moi, rien n'empêche le gouvernement d'Obama de faire des efforts d'ouverture, tout en tenant un bâton.
Le comportement du gouvernement d'Obama envers les pirates somaliens qui avaient capturé un citoyen américain constitue peut-être une métaphore de ce qui risque de se passer. Le gouvernement a négocié, il a parlé, mais, quand il est devenu manifeste qu'un ressortissant américain risquait d'être tué, le gouvernement est passé à l'action. Il faut donc tendre la branche d'olivier, négocier, discuter, mais toujours garder l'option d'agir et de tenir les gouvernements responsables de ce qu'ils disent. Après tout, s'il y a discussion, c'est parce que nous prenons les mots au sérieux. Si nous prenons les mots au sérieux, nous devons prendre au sérieux ceux des gens avec qui nous négocions, à qui nous tendons la main, et leur demander des comptes pour les mots qu'ils utilisent.
Bonjour, monsieur le professeur. Je vous remercie de votre exposé.
J'ai quelques petites questions. Vous avez parlé de condamnations d'individus au Rwanda, mais ce sont des condamnations qui, à mon sens, sont intervenues après les faits. Vous avez également dit qu'on devrait faire condamner des gens pour un génocide dont ils font la promotion. Comment pourrions-nous mettre en oeuvre ces condamnations avant le fait?
[Traduction]
Excellente question. Elle est primordiale.
Toutes les personnes présentes dans la salle et, indubitablement, un grand nombre des citoyens du monde souhaitent avoir pu éviter le génocide rwandais. La véritable tragédie est l'inaction des Nations Unies et des États-Unis pendant que se déroulait le génocide. Je pense que c'est un des échecs les plus cuisants du gouvernement américain durant cette période. La Cour criminelle internationale a entre autres été créée pour s'acquitter du mandat d'intenter des poursuites contre les crimes génocidaires, mais aussi d'essayer de les empêcher. Après tout, Oliver Wendell Holmes a déclaré un jour que toute loi était préventive. Elle a pour but d'empêcher d'horribles crimes de se produire.
L'un des grands défis — même pour moi qui creuse la question depuis une quarantaine d'années —, c'est de savoir quand il convient de prendre des mesures préventives. J'ai écrit un livre intitulé Preemption: A Knife That Cuts Both Ways, où j'aborde plusieurs de ces questions. Là, le cas est tranché; il est facile, comme l'aurait été le cas d'Adolf Hitler pendant les années 1920 et les années 1930. Ahmadinejad indique clairement quelles sont ses intentions et ses buts. Rafsanjani indique clairement son calcul sur le nombre de décès qu'il faudrait pour détruire le peuple juif et sa conclusion que cela en vaudrait la peine. Il y aura des cas limites, des cas difficiles, mais pas en l'occurrence. Que fait Ahmadinejad? Il met le monde libre, le monde civilisé au défi de réagir. Il ne cache pas ses opinions. Il les clame à qui veut entendre.
J'étais présent quand Ahmadinejad a prononcé son discours tristement célèbre aux Nations Unies, il y une ou deux semaines. Ce qui m'a le plus troublé, ce n'est pas le discours lui-même, mais les applaudissements débridés, enthousiastes avec lesquels l'ont accueilli de nombreux représentants de nations de par le monde. Je suis sorti avec les délégations qui ont quitté les lieux en signe de protestation. En sortant, je regardais les représentants de ces nations et, je vous le répète, il ne s'agissait pas d'applaudissements polis. Je sais à quoi ressemblent des applaudissements polis durant les réunions des Nations Unies. Dans ce cas, c'était des applaudissements enthousiastes, débridés, indiquant on ne peut plus clairement: « On est d'accord avec vous. » C'est pour cela que le danger est si grave, pour cela que le monde a non seulement le droit, mais le devoir d'intervenir et de faire tout ce qu'il peut pour empêcher que cela ait lieu.
Cela ne sera pas facile. L'accusation sera difficile à monter. Il est toujours plus difficile de monter une accusation avant que n'ait lieu un génocide ou une attaque terroriste. C'est pour cela que nous avons des lois contre les conspirations et les tentatives. Mais c'est possible. Si nous avons la volonté de le faire, il est possible d'arrêter ce génocide avant qu'il se produise.
[Français]
[Traduction]
Très bonne question. La réponse est que cela ne s'est jamais fait au titre du droit international, autant que je le sache, bien que le droit international...
Si je citais le cas du Rwanda, c'est qu'il bat en brèche l'idée selon laquelle il n'est jamais possible d'intenter des poursuites envers quelqu'un pour ce qu'il a dit. Au Rwanda, les médias et les membres du gouvernement ont fait l'objet de poursuites pour les instructions données — les recommandations, l'emplacement des gens, il y a aussi, bien sûr, le cas de l'éditeur du magazine Der Stürmer, qui, à Nuremberg, a fait l'objet de poursuites et a été exécuté simplement pour ce qu'il avait dit. C'est pour cela que j'ai cité le cas du Rwanda.
Il y a, bien sûr, dans le monde, des pays respectueux des droits de la personne qui ont puni des gens avant qu'ils commettent les crimes qu'ils préparaient, dans des cas de conspiration, de tentative et de sollicitation. Prenez, par exemple, un cas de sollicitation où une première personne offre de l'argent à une deuxième personne pour tuer un personnage public important. Manifestement, il n'est pas nécessaire d'attendre que ce terrible assassinat se produise. Nous intentons des poursuites contre des gens pour ce qu'ils ont dit, pour les instructions données, si nous avons la chance de les attraper avant que soient commis les crimes. Nous avons de la chance, parce que les instructions d'Ahmadinejad sont de notoriété publique et qu'il s'agit d'une assise solide pour une condamnation anticipée, sans que soient compromis les libertés civiles et les droits de la personne.
[Français]
Lors de votre exposé, vous avez également parlé de tolérance, d'une part, et du fait que certains pays ou délégations cautionnent le président de l'Iran, d'autre part. Selon vous, quelles exigences seraient acceptables, si on parle de stricte tolérance?
Finalement, vous avez parlé de criminalisation de personnes qui incitent au génocide. Puisque qu'on n'a encore jamais condamné quelqu'un pour génocide avant le fait, comment départager le droit de l'individu et le droit du gouvernement, dans le cas du président de l'Iran?
[Traduction]
Le droit international indique clairement que l'incitation au génocide est une infraction punissable. Autrement dit, la collectivité internationale est parvenue à un consensus selon lequel il est possible, dans certains cas, d'intenter des poursuites avant qu'un génocide se produise. En fait, cela ne s'est généralement pas produit. Nous avons généralement attendu beaucoup trop longtemps, jusqu'à ce qu'il soit trop tard et que nous ayons hélas sous les yeux un paysage jonché des corps des victimes que nous n'avons pas su sauver du génocide. Personne n'y voit une situation souhaitable et c'est pour cela qu'il est important de créer une jurisprudence.
Je m'efforce d'élaborer dans mes publications une jurisprudence de l'action anticipée, de l'action préventive. Je travaille à un nouveau recueil intitulé The Preventive State, qui traite de la jurisprudence de la prévention des méfaits en s'attachant, bien sûr, au pire des méfaits: le génocide. Je pense que nous sommes capables d'établir une jurisprudence de cet ordre. Le droit international nous fournit déjà le cadre statutaire de prévention des génocides et l'obligation de les prévenir. Il reste à remplir ce cadre.
Une bonne part du droit ayant trait à ce qui se passe après coup — l'ex-tribunal pour la Yougoslavie, l'ex-tribunal pour le Rwanda, la Cour pénale internationale — explore des domaines nouveaux et élabore de nouveaux principes de jurisprudence. Aussi longtemps que ces principes sont compatibles avec un avertissement formel et avec le cours normal de la loi, ce qui est nécessaire selon moi, nous devons aller de l'avant.
Quand j'ai parlé du « fait de tolérer », j'avais à l'esprit un cas spécifique: celui d'une personne qui se présente dans une fonction diplomatique, d'une personne jouissant d'immunité, si bien qu'on ne peut pas l'arrêter quand elle se présente aux Nations Unies. Mais ce que j'évoquais, c'est qu'il y a une différence entre le fait de tolérer un régime de ce type, et celui de l'honorer, de le légitimer, et de prendre des mesures qui laissent à entendre que leurs propos et leurs gestes sont acceptables.
Il faut notamment que nous cessions de légitimer et d'honorer de tels comportements, comme nous l'avons fait pour l'Allemagne nazie, comme l'a fait ma propre université dans les années 1930 en acceptant des doctorats honorifiques, en octroyant des diplômes honorifiques et en maintenant des rapports inchangés avec le régime nazi et des universités nazies qui excluaient certaines personnes pour des raisons de race. Ce type de légitimation, nous l'avons appris, je crois, entraîne seulement de dangereuses conséquences.
Merci monsieur. Je suis heureux que vous comparaissiez devant le comité.
Certains considèrent Ahmadinejad comme étant le problème, probablement parce qu'il démontre clairement sa haine, mais selon moi et selon les témoignages que nous avons entendus ici, le guide suprême a une opinion très semblable; cela va plus loin que simplement montrer une personne du doigt. Je crois comprendre que d'après le processus, nous accuserions cette personne, la déclarerions coupable et avertirions le pays. Je me demande à quel point l'Iran agit ainsi pour se désigner lui-même comme étant le chef visible du Moyen-Orient. Naturellement, cela s'accompagne de préoccupations majeures pour Israël.
Seriez-vous d'accord, du moins en partie, pour dire que ces affirmations dégoûtantes visent à centrer l'attention de ses citoyens et de ceux des autres pays moyen-orientaux — peut-être s'agit-il des pays que l'on a vu applaudir — sur un ennemi commun? Ce faisant, l'Iran agirait encore comme leader, et renforcerait cette position au Moyen-Orient en ayant l'intention d'utiliser les armes nucléaires.
Nous nous retrouvons avec un problème considérable. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Je pense que vous avez soulevé un excellent argument.
Souvenez-vous, dans les années 1930, l'Allemagne nazie souhaitait consolider sa position de leader de l'Europe aryenne. Son objectif était de convaincre l'Autriche de se joindre à elle, tout comme la Grande-Bretagne, la Scandinavie, les autres pays aryens et l'Italie. Pour établir cette coalition, elle a eu recours à l'incitation au génocide. Les moyens utilisés — ici, l'incitation au génocide — l'étaient à des fins politiques, mais ça ne signifie pas qu'ils sont protégés de quelque façon que ce soit.
Je pense que les principales craintes et menaces posées par l'Iran et ses menaces nucléaires ne sont pas nécessairement dirigées seulement vers Israël. Israël a une capacité militaire de son côté et avec l'aide de ses alliés, le pays peut, à tout le moins, réagir — nous espérons que la situation n'en arrivera jamais là — et, au besoin, agir de façon préventive. Nous espérons que la situation n'en viendra jamais là non plus. Mais la principale menace vise les autres pays. Imaginez si l'Irak avait pu créer des armes nucléaires avant d'envahir le Koweit. Ils y seraient toujours aujourd'hui, parce qu'on ne peut pas interrompre l'attaque d'un pays qui dispose d'armes nucléaires et qui est en mesure de s'en servir.
L'autre grande menace réside dans le fait que cela déclenchera une course à l'armement. L'Arabie saoudite a la capacité d'acheter des armes nucléaires. L'Égypte et la Jordanie, et peut-être même certains des Émirats, se sentiraient probablement vulnérables et exposés; rappelez-vous la semaine dernière, aux Nations Unies à Genève, qu'Ahmadinejad a porté son attention non seulement sur Israël, mais également sur « toutes les autres démocraties libérales dans le monde » — le Canada, les États-Unis, l'Europe occidentale. Son but est de mettre fin à la démocratie. Il pense que la démocratie est un dinosaure et la remplacerait par une sorte de fondamentalisme religieux, appuyé par des armes nucléaire.
Je suis d'accord avec vous pour dire qu'Ahmadinejad est le symbole et le symptôme. C'est différent de l'Allemagne nazie, puisqu'Adolf Hitler était le guide suprême, le chancelier, la manifestation visible et le führer, dans tous les sens du terme. En Iran, c'est plus compliqué. Il y aura des élections en Iran en juin, et nous ne connaissons pas les résultats de ces élections. Mais dans une société fondée sur des paroles et des agissements évidents, Ahmadinejad s'est présenté comme la personne qui énonce les orientations et les instructions, et il devrait donc être la première personne à être poursuivie.
En outre, si nous prenons les Nations Unies et le devoir de protéger, il s'agit en quelque sorte de ce que nous disons ici en proposant d'accuser cet individu.
Ces jours-ci, je suis un peu préoccupé quand j'entends parler des intentions de l'administration Obama de réchauffer les relations avec l'Iran. Juste avant les élections qui auront lieu... et je pense qu'il pourrait y avoir un changement de gouvernement, simplement pour calmer les gens dans une certaine mesure, à court terme. Ce pays cherche à obtenir des armes nucléaires depuis 20 ans. Ce n'est pas nouveau et il ne s'agit pas seulement de cet individu, même s'il est tout à fait répugnant de par ce qu'il a fait et dit. Mais il n'est que le symptôme de quelque chose qui dure depuis longtemps.
Je suis donc très préoccupé par l'administration Obama et par sa gestion de la situation. Peut-être pourriez-vous commenter.
Eh bien, je garde l'esprit ouvert quant à la façon dont mon gouvernement va mener ces négociations. C'est très, très difficile et mon gouvernement ne peut pas mettre de côté l'option militaire. La communauté internationale ne peut tout simplement pas accepter l'idée selon laquelle l'Iran aurait des armes nucléaires et pourrait utiliser des lance-roquettes ou filtrer les matériaux nucléaires pour en faire des bombes sales et ainsi toucher Montréal, Toronto, Ottawa, Paris, Londres et New York.
Je suis d'accord avec vous pour dire qu'une question très difficile se poserait si un leader plus « modéré » était élu en juin, après que le guide suprême eut dit essentiellement qu'il fallait présenter un nouveau visage. Souvenez-vous que c'est Rafsanjani, le membre soi-disant modéré de leur administration, qui a fait le calcul suicide-génocide, disant essentiellement qu'il vaudrait la peine de tuer cinq millions de juifs en échange de la mort de 15 millions de musulmans parce qu'il y a plus de musulmans que de juifs. Ce type de calcul suicide-génocide ne vient pas d'Ahmadinejad, mais de l'une des options plus modérées. Ainsi, même si un nouveau chef est élu aux élections, ça ne voudra pas dire que nous avons réussi.
Il faut accepter les réussites, peu importe d'où elles viennent. Prenons la Libye. Les États-Unis, avec l'aide de nombreux alliés, ont convaincu le gouvernement libyen d'abandonner ses ambitions nucléaires et d'apporter des changements. Est-ce que ça signifie que les dirigeants libyens ont changé en tant que personnes, qu'ils ont changé leurs opinions entièrement? Je n'en suis pas du tout convaincu, mais ils ont changé leurs agissements et leurs paroles. C'est un pas important dans la bonne direction.
Donc, si l'administration Obama réussit à leur faire changer leur discours, ce serait une première étape satisfaisante, mais il faudrait tout de même demeurer prudent.
Il y a quelques instants, vous avez parlé des pays, dont l'Arabie saoudite, et de la possibilité qu'ils acquièrent des armes nucléaires.
J'ai passé six mois en Arabie saoudite — bien que c'était il y a 30 ans aujourd'hui. Même à l'époque, dans l'esprit des gens, la famille royale avait très peu de pouvoir au pays. Il y a là-bas une population chiite. Il existe de nombreuses préoccupations selon lesquelles certaines des personnes impliquées dans les attentats du 11 septembre venaient de là-bas. En fait, de nombreux kamikazes étaient saoudiens. On s'inquiète donc de ce que la famille royale saoudienne acquiert des armes nucléaires pour défendre le pays contre l'Iran, mais que ces armes soient détournées et utilisées de façon inappropriée par d'autres.
Pour répondre à une telle question, on n'a qu'à regarder ce qui se passe au Pakistan aujourd'hui. Pendant un certain temps, le Pakistan était une démocratie stable et a développé des armes nucléaires sans que la communauté internationale ne s'y oppose beaucoup, espérant que, peut-être, l'Inde et le Pakistan se retrouvent dans une impasse. Mais aujourd'hui, l'avenir du Pakistan est loin d'être certain. Je suis d'accord avec vous pour dire que si l'Arabie saoudite — qui est, après tout, un dictature non appuyée par la population, nécessairement — devait créer ou acquérir des armes nucléaires, personne ne pourrait prédire de façon fiable qui aurait le contrôle de ces armes dans 10, 15 ou 20 ans.
Le monde change très rapidement. Il y a 30 ou 40 ans, personne n'aurait pu prédire que l'Iran serait le pire ennemi des démocraties occidentales et d'Israël, ni que le gouvernement saoudien serait devenu un allié d'Israël et des démocraties occidentales dans leurs efforts pour établir la paix. L'intérêt personnel est un étrange facteur de motivation.
L'importance d'un grand leadership n'est pas de prévoir le prévisible, mais plutôt de prévoir l'imprévisible. Votre gouvernement et le mien doivent tous deux faire face à un monde très imprévisible. Ce que l'on peut prévoir entièrement, c'est que si l'Iran obtient des armes nucléaires, cela mettra fin aux restrictions touchant la prolifération des armes nucléaires. La course à l'armement s'intensifiera et le monde sera un endroit beaucoup moins sûr.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Dershowitz, merci pour vos commentaires. J'ai tout particulièrement apprécié vos remarques sur l'importance de la liberté d'expression. J'espère que notre comité aura à un moment donné la possibilité d'examiner également cette question.
J'ai quelques questions. Pensez-vous qu'Israël aurait raison, en vertu des lois internationales, de procéder à une attaquer préventive s'il estime qu'une menace nucléaire de l'Iran est imminente? Dans quelles circonstances une telle attaque serait-elle justifiée?
La réponse à cette question est oui, si les circonstances sont appropriées. Les Nations Unies ont récemment créé une commission dirigée par l'ancien ministre des Affaires étrangers australien, dont le mandat est d'interpréter l'article 51 de la Charte des Nations Unies, qui donne à toutes les nations le droit inhérent de légitime défense dans le contexte de terrorisme ou d'attaques nucléaires. Les membres de la commission ont conclu à l'unanimité que le droit de légitime défense englobe le droit de légitime défense préventive.
Ils ont établi une distinction entre préemption et prévention. La préemption est la capacité d'attaquer, d'empêcher quelque chose de relativement imminent ou devant se produire à court terme. Ils ont dit que dans ce cas, il n'est pas nécessaire d'obtenir l'approbation du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ils ont établi une distinction entre cela et la prévention, à plus long terme. Ils ont dit qu'on peut également parler de prévention à l'ère nucléaire. Il n'est pas nécessaire d'attendre les menaces des ennemis, et on peut prendre des mesures préventives, mais pour ce faire, il faut franchir certaines étapes. Il faut tenter de convaincre les Nations Unies d'agir. Si ça ne fonctionne pas, il faut tenter de convaincre des organisations multilatérales d'agir — l'OTAN, par exemple. Les mesures préventives individuelles devraient constituer un dernier recours.
Je pense que c'est ce qu'Israël a fait en 1981 avec le réacteur Osirak. Il a envoyé son représentant, qui est aujourd'hui président d'Israël, en France pour tenter de persuader le gouvernement français de cesser d'aider l'Irak dans sa course au nucléaire. Il n'a pas réussi. Israël s'est adressé aux Nations Unies et a échoué. Il existait un créneau très étroit avant que le réacteur nucléaire ne se réchauffe, et c'est pendant cette courte période qu'Israël a pris des mesures et détruit le réacteur nucléaire, retardant ainsi le programme d'au moins dix ans. Il y a malheureusement eu une victime, quelqu'un qui était là alors qu'il ne devait y avoir personne le dimanche, en fin d'après-midi.
Israël a été condamné à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies, appuyé par les États-Unis. Neuf ans plus tard, les États-Unis ont essentiellement présenté leurs excuses et remercié Israël d'avoir pris ces mesures, parce que si Israël n'avait pas pris ces mesures, l'Irak serait toujours au Koweit aujourd'hui. Saddam Hussein serait toujours dictateur en Irak aujourd'hui. Le monde a tiré un avantage énorme des mesures préemptives d'Israël contre l'Irak.
J'espère que nous n'en viendrons pas là. Les mesures militaires seront beaucoup plus dures. Et j'espère qu'il y aura des sanctions qui pourront arrêter l'Irak et l'Iran, tout comme on a pu arrêter la Libye. On ne peut pas mettre de côté l'option militaire; si on devait y avoir recours, elle serait justifiée sur le plan juridique.
Vous et d'autres témoins ont recommandé que les pays cherchent à poursuivre l'Iran devant la Cour internationale de justice. Je crois que l'Iran est membre de la Convention sur le génocide. Peut-être pourriez-vous me fournir des éclaircissements. Selon vous, pourquoi aucun pays n'a encore tenté de poursuivre l'Iran devant la Cour internationale de justice en vertu de la Convention sur le génocide?
Naturellement, la politique internationale a un rôle majeur à jouer. L'Iran est pays riche en pétrole. C'est également un consommateur majeur. Il a des relations étroites avec la Chine, la Russie et, à certains égards, avec la France, même. Les applaudissements aux Nations Unies dont j'ai parlé indiquent qu'il bénéficie d'un soutien généralisé parmi les pays africains, de même que certains pays sud-africains et moyen-orientaux. En passant, il bénéficie d'un moins grand soutien des pays du Moyen-Orient, je pense, que des pays africains, qui sont plus loin. J'ai l'impression que plus on est loin de l'Iran, plus on est disposé à l'appuyer et à l'applaudir. Plus on est près, plus on le considère comme dangereux, je pense. En général, les pays ne sont pas réputés pour leur volonté à confronter d'autres nations puissantes et étendues. Je pense que le fait qu'il n'y ait aucune poursuite est une tragédie.
Israël fournit une raison très intéressante au monde. Pendant que le Rwanda se mourait, les Nations Unies débattaient, à répétition, les condamnations d'Israël et la condamnation, par la Commission des Nations Unies sur les droits de l'homme à l'encontre d'Israël. Pendant ce temps, un réel génocide se déroulait. C'est la même chose aujourd'hui. On discute beaucoup de savoir si les Israéliens devraient être poursuivis par le gouvernement espagnol, peut-être par le gouvernement italien, peut-être par les Nations Unies. Cette enquête est... Il est facile de changer de sujet. Aujourd'hui, dans le monde, le danger réel est l'Iran. Comme vous l'avez dit, personne ne prend au sérieux la loi internationale qui permet et qui, selon moi, pourrait exiger le devoir de prévenir, dans ce cas-ci.
Il y a environ une semaine, un témoin nous a mentionné que les États-Unis ont une loi sur l'immunité des autorités étrangères souveraines. Je ne sais pas si vous connaissez la loi, mais elle prévoit quatre exceptions: la Syrie, l'Iran, Cuba et le Soudan. Cette loi permet, semble-t-il, aux particuliers américains de poursuivre l'Iran au civil pour des actes de violence, par exemple. Savez-vous si des Américains ont saisi cette occasion? Ne s'agirait-il pas d'une autre façon de poursuivre l'Iran?
Oui, ce serait une très bonne occasion. En fait, on discute actuellement de certaines poursuites, particulièrement chez les victimes du Hezbollah et du Hamas, que l'Iran dirige. Souvenez-vous également que l'Iran n'en a pas seulement parlé. Tout le monde sait que l'Iran était impliqué dans les attaques terroristes contre l'Argentine, il y a plusieurs années. Cela ne fait absolument aucun doute. Il y a eu des aveux, des conclusions. Ils ont fait exploser des entreprises civiles et diplomatiques, tuant plusieurs dizaines de personnes. Ainsi, en plus de parler de génocide, l'Iran a tenté d'aller de l'avant par étape. Les victimes, et plus particulièrement les victimes américaines, peuvent intenter des poursuites devant les tribunaux américains, et certaines l'ont déjà fait. Je dirais que les résultats ont été variables à l'échelle du pays, mais des poursuites fructueuses ont été intentées par mon collègue Nathan Lewin, sa fille et d'autres avocats américains. Ces poursuites ont été intentées par des victimes d'actes terroristes dont l'Iran est responsable.
Je ne suis au courant d'aucune poursuite civile intentée contre l'Iran ou Ahmadinejad pour menaces de génocide. C'est beaucoup plus difficile à faire. Pour intenter une poursuite au civil, il faut démontrer de réels dommages, et il est difficile d'intenter des poursuites civiles préventives. Pourtant, elles existent. Par exemple, on peut intenter une poursuite contre un conjoint qui nous menace et obtenir une ordonnance préventive ou une injonction.
Il est donc possible d'obtenir des redressements équitables auprès des tribunaux. Mais il s'agit réellement d'un nouveau domaine, et il faut une nouvelle jurisprudence. Je suis prêt à travailler avec d'autres personnes, des pays et des ONG, et j'ai offert mes services pour tenter de contribuer à la création de cette nouvelle jurisprudence de prévention qui pourrait être utilisée pour prévenir les génocides plutôt que d'y réagir simplement après coup.
Merci, monsieur.
Mes questions portent sur deux sujets. Tout d'abord, si on voulait constituer un dossier de preuves contre l'Iran et sa violation de la convention sur le génocide, quelles seraient les étapes à franchir? Quels seraient les éléments essentiels de la poursuite qui s'appuieraient sur une évolution au fil du temps?
Nous avons beaucoup de chance, car une grosse partie de ce travail a été accomplie par l'honorable Irwin Cotler et son équipe. Ils ont préparé une pétition brillante que j'ai eu l'honneur de signer et que Louise Arbour, Elie Wiesel et des dizaines d'autres personnes de par le monde ont signée également. Nous l'avons tous lue très attentivement. Cette pétition cite des propos très précis. Elle contient des bandes vidéo et audio. Les arguments sont très percutants.
On pourrait ajouter à cela le dossier qui porte sur la complicité de l'Iran dans les actes de terrorisme perpétrés en Argentine. On peut faire une analogie avec les lois sur la conspiration ou la loi RICO sur les organisations corrompues aux États-Unis, qui remontent à de nombreuses années. Nous serions peut-être en mesure de démontrer, selon le contexte dans lequel l'incitation au génocide s'est produite, qu'il y a une configuration d'ensemble, notamment, l'appui au terrorisme, l'incitation, d'autres activités génocidaires et des crimes qui ont été effectivement commis.
Si on faisait appel à quelqu'un comme Richard Goldstone, à qui on a demandé de faire enquête sur ce qui s'est passé à Gaza, ou à quelqu'un de sa stature, et si on lui demandait de réunir des preuves en ce qui concerne l'Iran, on obtiendrait là une importante mesure de prévention. Le fait même de réunir des preuves et de présenter l'affaire devant le tribunal de l'opinion publique serait extrêmement utile.
Si je ne m'abuse, en vertu de la Convention sur le génocide — et vous avez parlé abondamment de l'inculpation du chef de l'État, des activités d'Ahmadinejad lui-même —, il serait possible qu'un pays signataire intente des poursuites contre un autre pays à la Cour internationale de justice, ou à plus forte raison à la Cour pénale internationale. Mais laissons de côté la Cour pénale internationale pour l'instant.
Il nous faut trouver le moyen de faire en sorte que ce dossier ne demeure pas qu'un sujet de discussion entre politologues, si vous me permettez de m'exprimer ainsi. Comment encourager un État à prendre cette question assez au sérieux, à déborder le cadre des discussions entre experts et à l'élever au rang des affaires d'État, de la diplomatie, afin que les discussions que le président Obama et d'autres tiennent avec les représentants du gouvernement de l'Iran prennent un caractère hors de l'ordinaire et afin que le gouvernement de l'Iran sache à quoi s'en tenir?
Je suis tout à fait d'accord avec cette analyse. Je pense que l'on peut négocier en s'appuyant sur une position beaucoup plus ferme quand, à la clé, il y a des sanctions auxquelles s'expose le chef d'un gouvernement comme celui de l'Iran.
Je pense que porter une affaire devant la Cour internationale de justice en s'appuyant sur le traité serait intéressant. Bien entendu, contrairement à la Cour pénale internationale, la Cour internationale de justice est un organe des Nations Unies. La nomination des juges s'y fait différemment, et leur indépendance est moins totale. Pour cette raison, sa jurisprudence est de qualité inégale.
Mais la Cour a rendu de très bonnes décisions. Sa décision sur le recours aux armes nucléaires a retenu l'attention de M. Cotler, et il y a porté des affaires qui étaient devant les tribunaux canadiens.
Malheureusement, en fin de compte, la Cour internationale de justice n'a pas rendu de décision — en raison d'une impasse sur certaines de ces questions — mais au moins, le geste constitue un précédent et prouve que l'on peut y présenter des affaires.
Je ne pense pas qu'un tribunal international puisse demeurer silencieux si on lui présente la preuve qu'il existe en l'occurence une incitation au génocide. Le moins qu'il puisse faire, c'est de la condamner comme les secrétaires généraux des Nations Unies l'ont fait. Mais si la condamnation était prononcée par un tribunal, même un tribunal dénué de tout pouvoir d'exécution à l'encontre d'autres nations, je pense que cela aurait un grand retentissement. Ainsi, la discussion ne serait plus confinée aux amphithéâtres de science politique, comme vous l'avez rappelé, mais elle se poursuivrait du moins dans les salles d'audience. Cela lui conférerait un certain statut.
Merci beaucoup.
Merci, monsieur Dershowitz.
Ma question va dans le même sens que celle de M. Rae. Vous avez mentionné que la jurisprudence de la CIJ est de qualité variable. Cela m'amène à poser la question suivante: une décision déficiente — à défaut de trouver un meilleur mot — peut-elle avoir des répercussions négatives sur une affaire qui sera ultérieurement entendue par la CPI ou par une autre organisation internationale?
C'est une très bonne question. Elle présente le problème sans ambages: lorsqu'on a deux systèmes judiciaires, dont un est neutre et objectif, et composé de juges et de procureurs entièrement professionnels, comme c'est le cas pour la Cour pénale internationale, et l'autre a été entaché de jeux politiques — jusqu'à maintenant, du moins —, amener une affaire devant le premier tribunal pourrait avoir des répercussions négatives sur le second.
Selon moi, et bien entendu, on pourrait ré-examiner cette question en fonction de nouvelles preuves, la réponse est non; dans un tel cas, l'enjeu est si clair que je pense que la Cour internationale de justice devrait condamner l'individu et conclure de manière à rendre justice et à agir de façon préventive en l'occurence.
Il ne s'agit pas d'une affaire difficile à trancher en raison des faits. Par conséquent, je fais plus confiance à la Cour internationale de justice dans ce cas que dans un cas plus controversé ou plus difficile à déterminer en fonction des faits. En fait, Ahmadinejad constitue une honte pour le monde entier. Même lorsqu'il s'est exprimé devant les Nations Unies, personne ne voulait qu'il le fasse. Il a fallu lui permettre de s'exprimer. Les Nations Unies ne voulaient pas qu'il le fasse. Les autres pays ont tenté de se distancier, mais ils n'ont pas été en mesure de le faire.
Je pense donc que la Cour internationale de justice ferait la bonne chose, comme on dit, dans une affaire de ce genre.
J'ai été surpris d'entendre votre observation selon laquelle à Durban, les représentants de nombreux pays ont applaudi vigoureusement pour montrer leur appui. C'est très troublant. Manifestement, ces personnes ne cherchaient pas à se distancier.
Mon autre préoccupation touche les preuves que nous entendons au sujet des violations des droits de la personne en Iran; honnêtement, je parle des assassinats internationaux en Iran, et bien entendu, du développement d'armes nucléaires. Nous avons déjà vu un génocide dans notre histoire, mais je pense que c'est la première fois que nous faisons face à un dictateur de cette ampleur, ou du moins au représentant d'un conseil dictatorial de cette ampleur, qui pourrait peut-être disposer d'un stock d'armes nucléaires. Jusqu'à maintenant, les génocides ont été réalisés par des moyens conventionnels, ou du moins, des armes conventionnelles. Bien entendu, il y a eu les agissements atroces de l'Allemagne nazie, avec les fours. Mais aujourd'hui, le danger, c'est que cette personne ait accès à des armes nucléaires.
Je suis d'accord avec vous, et en fait je pense que c'est pire que ce que vous dites. C'est la première fois que les trois, peut-être quatre facteurs suivants sont réunis. Premièrement, une nation génocidaire est résolue à inciter le génocide. Deuxièmement, cette nation sera bientôt armée d'engins nucléaires. Troisièmement, il existe une culture du suicide qu'il est difficile d'éradiquer. Au moins, dans le cas de l'Allemagne nazie, des stalinistes, de l'Union soviétique et de Saddam en Irak, personne ne souhaitait mourir. Les chefs voulaient vivre. On ne leur promettait pas qu'ils iraient au paradis s'ils tuaient un certain nombre de gens.
Quand on conjugue l'incitation au génocide, la capacité d'y parvenir grâce à des armes nucléaires et l'indifférence devant la perspective de perdre 15 millions de personnes — qui iraient toutes immédiatement au paradis et seraient traitées en martyrs, du moins c'est ce que ces personnes croient —, il s'agit d'une combinaison triple... En plus, tout cela vient des chefs religieux avec qui on n'a pas le droit d'être en désaccord. Cette combinaison de quatre facteurs est sans précédent dans l'histoire humaine et représente la plus grande menace de génocide jamais vue sur la planète, je pense.
Je suis tout à fait d'accord. Merci.
Ici, en comité, le temps est toujours notre ennemi. Je devrai choisir ma dernière question avec soin.
J'aimerais revenir à quelque chose qui a déjà été dit, l'idée de faire passer le processus de quelque chose d'académique à quelque chose de pragmatique. Passer à une diplomatie axée sur l'art de gouverner et, plus tard, à la justice, je dirais... Parce que c'est exactement ce qu'il faut à l'heure actuelle, avec les menaces qui ont été formulées. Certains témoins nous ont parlé de stratégies visant à enrayer cette menace grâce à des sanctions économiques, la CIJ, la CPI, ou une liste de surveillance des voyageurs. Y a-t-il d'autres stratégies?
Notre objectif ultime est de formuler des recommandations sur la façon de mettre fin à ces violations des droits de la personne, ainsi qu'à la menace nucléaire posée par l'Iran. Pourriez-vous nous donner d'autres initiatives que nous pourrions prendre en considération dans notre rapport en vue de mettre fin à la démence du régime iranien?
Voilà vraiment la question à 64 000 $. Que peut-on faire pour réellement mettre fin à cette démence?
J'hésite à le dire, il n'y a ni solution unique et élégante, ni solution magique. Je pense qu'une vaste gamme de facteurs, comme dans le cas de la Libye, sera probablement utile. Premièrement, isoler le pays; deuxièmement, imposer des sanctions économiques significatives. Dans le cas de la Libye, les États-Unis ont dû démontrer que des mesures militaires seraient prises. Souvenez-vous que le président Clinton avait autorisé le bombardement, un tout petit bombardement d'une toute petite région, mais cela a permis de démontrer à Khadafi de façon aussi claire que possible qu'il n'était pas en sécurité. Toutefois, la différence, c'est que Khadafi voulait vivre et n'avait pas de complexe de martyre; il a vu à quel point ses propres enfants avaient failli être tués par les bombes. Il faut donc une combinaison de sanctions et de récompenses.
L'autre question consiste à se demander si les États-Unis, le Canada et les autres pays adeptes de la liberté peuvent avoir une influence sur les Iraniens, dont la plupart sont des gens remarquables qui adorent la liberté. Souvenez-vous que l'Iran a longtemps été la nation musulmane moyenne orientale la plus ouverte et libre — sans être particulièrement ouvert et libre —, une nation qui reconnaissait les droits des femmes. Il existe aussi une culture séculaire dans ce pays, une culture selon laquelle on préfère la vie à la mort. Et s'il est possible de faire quoi que ce soit pour faire la promotion de cette culture de l'intérieur en attendant que certaines considérations démocratiques puissent finir par l'emporter...
Je crains que ça ne fonctionnera pas seul. Ce problème est extraordinairement compliqué, parce que même des mesures militaires pourraient avoir des résultats négatifs. Cela pourrait renforcer le régime. Il n'existe donc pas de solution unique.
Je pense tout simplement que le silence et l'inaction ne sont pas des options. Je sais que le comité formulera des suggestions positives, créatives, novatrices et brillantes, et qu'elles devraient toutes être tentées. Je pense que l'approche multiple est nécessaire ici; il ne faut pas dépendre d'une seule solution magique, que nous n'avons pas.
Monsieur Dershowitz, nous sommes heureux que vous ayez pris le temps de comparaître. Nous avons vécu toute une aventure en tentant de vous suivre et de vous convaincre de comparaître devant le comité, mais je peux vous dire qu'il existait un réel enthousiasme à l'idée de votre témoignage. Je constate que notre enthousiasme était justifié, d'après le témoignage que vous nous avez donné aujourd'hui. Merci beaucoup.
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