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CHPC Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 032 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 27 octobre 2009

[Enregistrement électronique]

(1110)

[Traduction]

    Je vous souhaite la bienvenue à la 32e séance du Comité permanent du patrimoine canadien. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous nous penchons sur la question du Canada à l'ère numérique.
    Nous accueillons aujourd'hui des témoins du Conseil de recherches en sciences humaines, en l'occurrence M. Chad Gaffield, président; Mme Gisèle Yasmeen, vice-présidente, Partenariats; Mme Murielle Gagnon, directrice, Subventions stratégiques et Initiatives conjointes, Partenariats.
    Nous parlons de la présente séance depuis un certain temps et nous attendions avec impatience votre comparution.
     Nous disposons de la déclaration préliminaire de M. Gaffield et des notes d'information de nos analystes sur les nouveaux médias. Ces notes d'information ont été préparées par Michael, je pense, et elles font partie de votre documentation.
    Monsieur Gaffield, vous avez la parole. Merci.

[Français]

    Mes collègues, Mmes Yasmeen et Gagnon, et moi-même sommes ravis d'être présents et d'avoir la chance d'échanger avec vous aujourd'hui. Nous ferons de notre mieux pour contribuer à vos réflexions et à vos discussions.

[Traduction]

    Je voudrais vous faire part aujourd'hui d'une conviction qui se dessine:  les compétences et les connaissances fondamentales dans le domaine des idées et du comportement — pour les gens, la société et la culture — sont essentielles à l'ère numérique du XXIe siècle. Toujours selon cette conviction, les concepts et les comportements évoluent. En saisissant mieux cette évolution, nous pouvons contribuer à faire du Canada une société épanouie dans cette nouvelle ère numérique du XXIe siècle en mutation rapide.
    Plus précisément, je mettrai l'accent sur trois conclusions clés dégagées de récents travaux de recherche. Premièrement, les nouveaux médias sont très importants parce qu'ils favorisent et accélèrent les changements conceptuels profonds et interagissent avec eux. Ces changements définissent le XXIe siècle comme une toute nouvelle ère.
    Je dois préciser que nous, les historiens, nous répugnons toujours à mettre l'accent sur le changement. Nous préférons le mettre sur la continuité. Cependant, je suis convaincu que les XIXe et XXe siècles ont finalement cédé la place au XXIe siècle et à une ère nouvelle. Ces changements expliquent pourquoi le développement de l'ère numérique se caractérise par des transformations économiques, sociales, culturelles et technologiques.
    Deuxièmement, les chercheurs, les étudiants et les autres intervenants en sciences humaines et sociales sont maintenant au coeur de la recherche et de l'innovation à mesure que le contenu numérique et l'utilisation des médias numériques revêtent une importance primordiale. Tant en littérature qu'en philosophie, en sociologie qu'en science politique, en communication qu'en design, en droit qu'en gestion et en éducation, les chercheurs canadiens sont à la tête des réseaux mondiaux, en collaboration avec leurs collègues universitaires et leurs partenaires des secteurs privé et public. Cette réalité traduit la nouvelle conviction selon laquelle notre capacité d'innovation dépend d'un ensemble de technologies numériques, de contenu numérique et de savoir numérique.
    Troisièmement, notre passé et notre présent placent le Canada dans une position idéale pour jouer un rôle prépondérant lui permettant d'être le premier pays numérique du XXIe siècle, le premier à maîtriser le pouvoir des médias numériques de créer une économie prospère et durable, de favoriser la cohésion sociale en servant de pont entre les diverses cultures, de mettre en place des institutions démocratiques solides et de contribuer à l'avènement d'une société civile sûre et juste.
    Je vais vous donner des explications sur ces conclusions et des exemples précis montrant que mettre les gens à contribution, comme je me plais à le dire, constitue la seule solution pour passer efficacement à l'ère du XXIe siècle en mutation rapide.
     Commençons par reconnaître que l'avenir nous réserve toujours des surprises. Parfois, l'avenir n'est perçu que comme le prolongement du présent. Parfois, les changements spectaculaires imaginés ne tiennent pas bien compte des forces de la continuité.
    Qu'est-ce qui nous a désappointés? Ce sont certes les espoirs parfois assez exagérés, parfois simplement téméraires au sujet des nouvelles technologies. Quelques prédictions sur la fréquence d'utilisation des radios, des enregistrements, des téléviseurs ou de téléphone ont fait mouche. En fait, à la naissance de la télévision, presque tous ont convenu que cette découverte annonçait la mort de la radio, et personne n'avait prévu que les téléviseurs seraient accrochés un jour aux murs comme des tableaux du XVIIIe siècle.
    Nous constatons que 41 p. 100 des Canadiens regardent la télévision sur Internet. Qui pouvait savoir que nous pourrions un jour utiliser nos téléphones portables pour recevoir des messages, écouter de la musique, lire des livres et regarder des films d'une façon, semble-t-il, illimitée, quand bon nous semble, seuls ou avec d'autres, au bureau ou à la maison?
    D'après une étude récente, 76 p. 100 des Canadiens en général et 91 p. 100 des 18 à 29 ans font plusieurs choses à la fois sur Internet. Qui pouvait savoir que la distinction entre travail et loisirs deviendrait si floue? L'histoire nous a appris notamment que les technologies deviennent importantes au contact d'idées et de comportements en pleine mutation, lorsqu'elles donnent naissance à des ambitions et à des aspirations nouvelles.
    Au fil des siècles, les sociétés prospères ont fait preuve de souplesse, de vivacité et d'adaptabilité, apportant les changements qui tablaient sur leurs forces pour leur permettre de s'attaquer aux nouveaux problèmes et tirer profit des nouvelles possibilités.
(1115)
    Aujourd'hui, de telles caractéristiques sont plus importantes que jamais, puisque trois changements conceptuels profonds définissent le XXIe siècle comme ère tout à fait nouvelle: premièrement, une nouvelle reconnaissance de la complexité; deuxièmement un nouvel engagement à l'égard de la diversité; troisièmement, un nouvel accent mis sur la créativité.
    Si les médias numériques sont si importants, c'est parce qu'ils facilitent, accélèrent et redéfinissent l'importance de ces changements clés.
    Commençons par la nouvelle reconnaissance de la complexité. On entend tout le temps que le monde est un lieu de plus en plus complexe, et c'est vrai. La crise financière mondiale, qui a commencé l'an dernier, illustre la complexité de plus en plus grande du monde, alors que les décideurs continuent de s'efforcer de comprendre et de modifier les processus qui représentent, en s'entremêlant, nos valeurs, nos technologies, nos ambitions, nos structures, nos psychologies et nos politiques.
    Tout aussi importante et d'une signification plus tenace, dans notre ère, est la reconnaissance croissante de la réalité de la complexité. La nouvelle reconnaissance de la complexité redéfinit notre façon de penser sur les individus et sur leurs interactions avec les autres individus, y compris, désormais, leurs interactions numériques.
    D'une part, les nouveaux médias nous aident à affronter la complexité des interactions humaines grâce à des stratégies d'analyse telles que l'exploration de données, l'exploration de textes, etc. D'autre part, les nouveaux médias se complexifient de plus en plus, à mesure que les distinctions héritées du XXe siècle s'estompent, comme celles entre producteurs et consommateurs, entre auteurs et lecteurs, et que sont remises en question les définitions héritées de l'ère industrielle. Qui est spécialiste? Qu'est-ce qui est authentique? Qui est le propriétaire?
    Dans la reconnaissance de la complexité, nous savons maintenant que, pour construire le futur que nous voulons, les solutions technologiques, les médicaments miracles et les solutions faciles, tant stratégiques que tactiques, ne suffisent pas. Nous constatons plutôt que, plus souvent qu'autrement, l'importance de toute action ou de toute technologie dépend des relations à l'intérieur desquelles elle se situe.
    C'est dans ce sens que notre capacité d'innovation dépend de plus en plus d'une constellation de technologies numériques, de contenus numérisés et de compétences numériques qui se matérialisent chez des personnes talentueuses, possédant une compréhension approfondie de la complexité sociale, économique et culturelle.
    Constitue une particularité du contexte canadien la position centrale qu'occupent les universités ainsi que la recherche et l'innovation, qui mettent en présence les connaissances et les personnes talentueuses qui possèdent un savoir codifié, intégré et tacite leur permettant d'utiliser convenablement les technologies, qui sont en mesure de faire des améliorations cruciales à petite échelle dans la conception de produits, les processus de fabrication, la gestion du savoir, les types de services et les modalités de prestation de ces services et de gestion des organisations — de fait, dans tous les aspects de l'innovation, y compris l'innovation sociale et culturelle pour le XXIe siècle. C'est pourquoi les nouveaux médias sont au coeur de la nouvelle reconnaissance de la complexité.
    Au-delà de la nouvelle reconnaissance de la complexité, nous embrassons désormais la diversité de diverses manières originales. Il n'y a pas longtemps, l'image dominante de la société était celle d'un moule. Pour réussir, un pays devait avoir une population homogène. Les politiques publiques essayaient d'imposer une norme unique pour les idées, les comportements et l'identité. Il y a quelques décennies à peine, encore, la diversité se définissait comme un problème à résoudre. En revanche, l'avènement de l'ère actuelle a fait comprendre que toutes les sociétés ont des origines multiples, des identités multiples, qui dépendent de l'identité de celui qui les définit et des critères qu'il utilise. Nous reconnaissons désormais que toutes les réponses ne peuvent pas venir d'un point de vue unique.
    Non seulement la recherche de l'uniformité n'est-elle pas réaliste et erronée, mais nous avons constaté que l'uniformité peut souvent mener à la vulnérabilité. Autant nous estimons maintenant la diversité génétique, autant nous sommes parvenus à apprécier la force et la résistance de la diversité sociale, économique et culturelle. Au Canada tout particulièrement, nous vivons dans des cultures, des langues, des histoires et des perspectives multiples, qui se présentent tous les jours de ce point de vue diversifié.
    Autrement dit, l'espoir de la mondialisation à l'ère numérique n'est pas basé sur l'imposition d'un seul modèle au reste du monde. Le futur souhaitable ne sera pas déterminé par un concours sur la supériorité entre les cultures et les sociétés dans un jeu à somme nulle, mais il suivra plutôt une démarche selon laquelle tout le monde gagne, visant à améliorer toutes les sociétés en puisant de plus en plus, grâce aux médias numériques, dans les idées, les faits et les expériences, peu importe leurs origines géographiques.
    En ce sens, les nouveaux médias approfondissent et enrichissent les vigoureuses conversations qui se déroulent à l'échelle mondiale et qui reflètent l'internationalisation accrue de la vie des collectivités de partout dans le monde.
(1120)
    Cependant, de façon imprévue, les nouveaux médias renforcent aussi l'importance du lieu, du contexte. Tout en ouvrant une porte virtuelle sur n'importe où, les connexions numériques permettent d'élargir et d'approfondir les connexions établies dans l'espace matériel. Il suffit de penser au contact que nous maintenons avec les membres de la famille éloignée et qui sont aujourd'hui plus étroits qu'ils ne l'étaient il y a quelques décennies.
    À l'Université de Toronto, le politologue David Wolfe, le géographe Meric Gertler et d'autres entreprennent une étude internationale du rôle des grappes géographiques. Il s'agit de régions où les entreprises et les institutions ainsi que les collectivités oeuvrant dans le même secteur tendent à se grouper. Mentionnons, par exemple, l'industrie du sans fil, à Calgary; la grappe biomédicale de Toronto; la grappe logicielle et numérique de Kitchener-Waterloo-Stratford. Cette recherche a montré que ces grappes géographiques sont indispensables à la réussite de l'économie globale. L'endroit, dans l'ère numérique, a de l'importance, peut-être même plus que jamais. Autrement dit, les nouveaux médias permettent et accélèrent les différences de même que les similitudes, dans le monde entier et ils influent sur elles. Ils promettent un monde plus résistant, plus adaptable, plus résilient.
    La troisième cause de changement profond qui aide à expliquer l'importance croissante des nouveaux médias est l'accent mis sur la créativité. La notion de créativité est souvent liée aux produits et services du domaine artistique. En effet, l'ère numérique accroît et renouvelle, en profondeur, l'importance de ces secteurs.
     En outre, la notion de créativité englobe désormais une large gamme d'autres activités — en recherche et en innovation, dans les produits, les services, les processus — dans les secteurs privé, public et sans but lucratif. Les politiques qui appuient et stimulent la créativité de façon à accroître la productivité, la concurrence et la durabilité économique sont désormais perçues comme l'une des clés de la prospérité des sociétés et des cultures dans le monde entier.
    Gerri Sinclair, l'une des pionnières mondiales des médias numériques, a mis sur pied un programme de maîtrise en médias numériques au Centre for Digital Media de Vancouver, qui adhère totalement à l'approche du XXIe siècle. Elle dit que le programme d'études insiste sur la créativité, l'innovation et l'improvisation interdisciplinaire, pour que la formation permette aux étudiants de s'adapter rapidement aux idées et aux situations nouvelles.
    La créativité est également le moteur de la commercialisation et de l'innovation sociale dans des démarches interactives. En effet, les clients (c'est-à-dire les utilisateurs, qu'il s'agisse de particuliers ou de sociétés), sont maintenant perçus comme les moteurs de la commercialisation et de l'innovation sociale dans l'ère numérique. Leurs idées, leurs goûts et leurs préférences font et refont le marché ainsi que nos institutions.
    Cette réalité fait ressortir clairement la nécessité de comprendre la société, le changement des goûts et les préférences qui peuvent tous durer ou changer de façon attendue et inattendue. Dans ce contexte, le défi particulier que doit relever le Canada consiste à rester en contact avec les utilisateurs finaux réels de tant de ses exportations.
    Pour bien saisir l'ère numérique nos chercheurs nous disent que les technologies nouvelles permettent les changements conceptuels fondamentaux, qu'elles les accélèrent et qu'elles les refaçonnent. Elles engendrent une reconnaissance nouvelle de la complexité, elles font adopter la diversité et elles mettent l'accent sur la créativité.
    Ces changements conceptuels sont déjà évidents au Canada et changent rapidement les structures de nos économies, de nos cultures et de notre organisation sociale.
    Tom Jenkins, chef de direction d'Open Text, et membre de notre conseil, utilise une métaphore historique et puissante pour mettre en relief et expliquer la transformation profonde qui est en train de s'opérer:
    L'économie Internet a, jusqu'ici, appartenu en grande partie aux outilleurs (certains étaient Canadiens) qui ont construit l'infrastructure ayant rendu possible l'ère numérique. Mais le flambeau est en train de changer de mains. L'avenir appartient désormais, du moins en proportions égales, aux utilisateurs d'outils, aux individus créateurs, aux fournisseurs de contenus, aux fournisseurs de services, qui ont appris comment prendre images, sons, idées et concepts et se les échanger numériquement.
    Il convient d'insister sur la nature de cette mutation, qui opère un changement de modèle, car nous sommes à un tournant de l'histoire, où nous assistons à la convergence de la science, de la technologie, de l'art, de la littérature et de la culture.
    Permettez-moi d'illustrer rapidement, à l'aide de quelques exemples, comment les chercheurs qui se situent à la confluence des sciences sociales et des humanités tentent non seulement de répondre aux questions clés de notre ère, mais, également, comment ils utilisent et créent des médias numériques pour aider le Canada à s'engager avec succès dans le XXIe siècle mûrissant.
(1125)
    Le professeur d'histoire à l'Université Concordia, Steven High, collectionne les comptes rendus oraux des événements sociaux transformateurs qui influent en profondeur sur les collectivités de Montréal. Les comptes rendus sont enregistrés numériquement et conservés au Centre d'histoire orale et de récits numérisés de l'université. Travaillant avec 15 partenaires qui représentent les diverses collectivités d'immigrants de Montréal, de même qu'avec toute une gamme d'organismes du domaine du patrimoine, des droits de la personne et de l'éducation, le centre donne une formation technique et une formation en recherche sur le campus et dans la collectivité.
    Le professeur d'anglais à l'Université de Victoria, Ray Siemens, travaille avec des collègues à la construction de nouveaux environnements du savoir. Son équipe et lui étudient comment la technologie numérique nous permet de modifier de façon fondamentale notre façon d'écrire, de lire et d'enregistrer l'humanité elle-même. Sa recherche montre comment le rythme de ce changement a creusé un fossé entre nos pratiques culturelles et sociales, qui dépendent d'environnements de lecture et d'écriture stables, par exemple de l'imprimé, et de nouveaux types d'objets numériques — le livre électronique n'en étant qu'un exemple parmi de nombreux autres — qui doivent être le support de ces pratiques dans l'avenir.
    Pour promouvoir ce type de recherche innovante, notre équipe au Conseil de recherches en sciences humaines a récemment lancé, en collaboration avec des partenaires des États-Unis et de Grande-Bretagne, le défi « Digging into Data Challenge » aux chercheurs pour qu'ils imaginent de nouvelles façons de profiter des dépôts de données numériques dispersés dans le monde entier afin de susciter les occasions et de promouvoir l'établissement de liens internationaux.
    Une autre caractéristique des nouvelles initiatives de recherche est la redéfinition des programmes d'études dans nos établissements du savoir à tous les niveaux. John Bonnett de l'Université Brock est en train de mettre au point un projet de constructions virtuelles à trois dimensions, dans lesquelles des étudiants construisent des modèles d'établissements historiques à l'aide de logiciels de modélisation en trois dimensions.
    Au Canadian Centre of Arts and Technology de l'Université de Waterloo, Jill Goodwin examine comment le transfert de connaissances ainsi que les techniques de commercialisation et d'affichage numérique peuvent être appliqués au théâtre et aux arts du spectacle.
    Ces efforts nous rappellent que l'histoire du Canada, l'une des sociétés ayant le mieux réussi dans le monde, se fonde sur une conviction distinctement canadienne selon laquelle la construction d'une société qui réussira dépend des investissements publics dans l'avancement des connaissances et de la science et dans le développement des talents considérés comme des biens publics.
    Je souligne ce qui précède, parce que, souvent, quand nous pensons à la réussite du Canada, on l'explique par sa richesse en ressources naturelles ou, peut-être, par la chance d'avoir été contigu aux États-Unis. Je le concède, ce sont des facteurs qui ont été importants, mais alors, que dire de l'Argentine, également nantie de ressources naturelles ou du Mexique, également contigu aux États-Unis? De fait, je dirais que le fait de réfléchir à nouveau sur la réussite du Canada au cours des XIX et XXe siècles fournit le contexte nécessaire qui permet d'affronter l'ère numérique du XXIe siècle dans le cas du Canada.
    Permettez-moi de raconter cette histoire très rapidement avant de conclure: je pense que le chapitre premier de l'histoire du Canada, en tant que société ayant réussi, raconte la mise sur pied d'un système commun d'écoles au XIXe siècle, dans toutes les provinces qui ont formé le Canada. Le Canada, dans son ensemble, est devenu l'une des sociétés les plus alphabétisées du monde au cours du XIXe siècle, malgré de longues périodes d'incertitude économique, d'instabilité politique, de fortes migrations et de pressions centripètes et centrifuges opposées. Le résultat, à l'époque, a été de permettre au Canada de se doter d'une économie agricole et commerciale remarquablement prospère, appuyée par une société civile résiliente.
    Le chapitre deux, suite de cette histoire du Canada, société qui a réussi, met en relief la création d'universités publiques à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle. Ces universités sont restées petites, mais elles ont formé des professionnels qui ont permis la croissance des institutions, des services et des industries caractéristiques de la modernité. Dès le milieu du XXe siècle, le Canada se présentait, après deux guerres mondiales et la Grande Dépression comme un pays politiquement souverain, occupant une position bien visible sur la scène internationale. Les ressources intellectuelles du Canada et son capital humain ont joué un rôle central dans cette expérience.
    Le chapitre trois décrit ensuite comment le système supérieur d'instruction au Canada s'est rapidement développé après les années 1960, comme le montre le nombre croissant de diplômes décernés à la fin du XXe siècle. Le taux d'étudiants du premier cycle par rapport à la population générale a augmenté. Dans le même temps, l'augmentation relative d'étudiants des deuxième et troisième cycles a également été notable, bien que plus lente.
     Un événement important survenu pendant la période visée par le chapitre trois a été la création d'une communauté de chercheurs nés et formés au Canada. Dans la reconstruction qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, les universités canadiennes étaient surtout peuplées de professeurs qui étaient diplômés d'établissements étrangers et qui, en conséquence, donnaient des cours en majorité basés sur des manuels importés. Autrement dit, le Canada, à de nombreux titres, était une colonie intellectuelle.
    Au cours des 30 dernières années, en revanche, les initiatives fédérales en matière de recherche et le leadership fédéral ont aidé à doter les universités de programmes dynamiques pour les étudiants du premier cycle et les autres ainsi que d'activités de recherche robustes. Les investissements en ce sens se sont révélés d'une importance cruciale, puisque d'autres pays ont augmenté leur propre soutien public à la recherche.
(1130)
    Maintenant arrivés dans l'ère numérique, nous écrivons le quatrième chapitre de l'histoire du Canada, comme société ayant réussi, grâce à l'appui public visant à former des citoyens et des chefs talentueux dans les secteurs privé, public et sans but lucratif. Dans ce contexte, il est de plus en plus essentiel de se doter d'une culture numérique, avec accès facile à un contenu canadien — historique, contemporain, économique, social et culturel. Apprendre comment utiliser, évaluer et gérer les contenus numériques est désormais à la base de la réussite des Canadiens.
    C'est pourquoi, il faut rassembler, préserver et rendre accessibles aux entreprises, aux établissements d'éducation, aux administrations publiques et à la société en général les contenus canadiens. Il est d'autant plus urgent d'agir que la recherche montre l'élargissement de la fracture numérique, particulièrement depuis la fin des années 1990. Cette fracture reflète les différences mondiales, manifestes à l'échelle des continents dans les photographies satellitaires. Mais la fracture numérique est également manifeste, ici même au pays, même à l'intérieur des collectivités. Pour certains, les médias numériques ouvrent beaucoup de portes. Pour d'autres, notamment les habitants de petites villes et de régions rurales du Canada ainsi que pour les groupes défavorisés de toutes les communautés, les nouveaux médias ne suscitent pas toujours l'optimisme et ne laissent pas toujours entrevoir de nouvelles occasions à saisir.
    Les complexités de la fracture numérique, qui divisent les sexes, les races, les classes de revenu, les Autochtones et les non-Autochtones, les collectivités, intéressent particulièrement la chercheuse Dianne Looker, de l'Université Mount Saint Vincent. Cette sociologue et anthropologue sociale réunit des chercheurs du Canada, de l'Australie et de l'Afrique du Sud, afin de rétrécir cette fracture numérique.
    Il faut souligner que le principal sujet de préoccupation, relativement à la fracture numérique, n'est pas simplement la connectivité. C'est, je crois, et de façon plus importante, le contenu numérisé et la culture numérique.

[Français]

    Est-ce que le XXIe siècle sera celui qui appartiendra vraiment au Canada? Ou, dans l'ère numérique, le Canada risque-t-il de devenir une colonie de nouveau, cette fois une colonie numérique? Pouvons-nous assurer une présence globale du contenu canadien sur la scène numérique mondiale? Pouvons-nous faire du Canada un pays numérique robuste, engagé mondialement, contribuant au succès international au XXIe siècle?
(1135)

[Traduction]

    L'histoire répond par l'affirmative. En saisissant les occasions qu'offre le numérique, nous pouvons montrer au monde les contenus canadiens, dont une si grande partie est saluée à l'échelle internationale, que ce soit dans les domaines de la littérature et de l'expression artistique que dans celui des politiques publiques du multiculturalisme.
    Le Canada possède des avantages déterminants. Grâce à la pénétration de la large bande, les Canadiens talentueux ne cherchent pas seulement de l'information, ils l'utilisent et la réutilisent. Ils interagissent avec elle et avec d'autres. Ils cherchent à manipuler cette information, à la commenter, à la remanier et à créer de nouveaux contenus. De fait, le monde commence à reconnaître une façon distinctement canadienne de comprendre les communications et l'importance des techniques de communication.
    Permettez-moi de conclure en soulignant la nécessité, pour nous, d'admettre que, malgré des signes avant-coureurs prometteurs et la réalité de nos possibilités, les Canadiens ne tirent pas tout le parti possible des occasions qu'offre le numérique, que ce soit dans nos universités, nos entreprises, nos collectivités ou partout ailleurs. Nous pouvons et nous devons faire davantage, mais, sur la piste qui mène à l'avenir que nous désirons, nous devons d'abord franchir le seuil de l'imaginable. Autrement dit, nous devons d'abord reconnaître le défi et l'occasion de construire un pays dans le XXIe siècle.
    Le Canada peut-il devenir le chef de file mondial du numérique et, en conséquence, être une société du XXIe siècle qui a vraiment réussi? Qui est mieux placé que nous? Nous possédons la technologie, le savoir-faire, le talent. Mais avons-nous l'ambition ou le courage? Avons-nous le pouvoir de rêver?
    L'histoire du Canada répond par l'affirmative. De fait, la construction des chemins de fer, qui devait servir à former la nation, au XIXe siècle, offre une métaphore qui décrit très bien les défis et les occasions que pose l'ère numérique. Certes, la création du Canada à la fin du XIXe et au début du XXIe siècle a comporté la construction de chemins de fer pour unir le nouveau pays. Mais la pose du dernier crampon constituait le début de l'histoire. De fait, ce n'est pas le chemin de fer ni même le train qui a construit le Canada. C'est plutôt le contenu des trains, les personnes qu'ils transportaient, les constructeurs d'écoles, les entreprises, les institutions et les collectivités de partout au pays.
    De même, l'infrastructure numérique du XXIe siècle ne comprend pas seulement des pistes numériques mais également des locomotives numériques. Elle transporte de l'information, des idées, des biens, des identités, des liens qui nous unissent et des capacités nouvelles et profondes.
    Pouvons-nous faire du Canada le pays le plus riche en information, celui qui a la plus grande culture numérique du monde entier? Pouvons-nous parvenir à estimer la valeur de la préservation de nos atouts dans le numérique? Pouvons-nous utiliser ces atouts pour éduquer nos jeunes, favoriser l'éclosion d'une identité culturelle commune et nous enorgueillir de nos réalisations; créer des connaissances nouvelles et des produits nouveaux, qui propulsent notre économie? Pouvons-nous fournir partout et de façon démocratique un accès à l'information pour tous les Canadiens à l'appui de notre objectif commun de vivre dans une société progressiste et qui ne fait pas de discrimination?
    Oui, l'histoire du Canada répond par l'affirmative. Nous avions coutume de dire que l'avenir est entre nos mains, mais maintenant, nous disons que l'avenir est dans notre esprit. L'avenir est tel que nous l'imaginons et tel que nous le créons. Nous pouvons faire du Canada, au XXIe siècle, un pays numérisé qui aura réussi.

[Français]

    Je vous remercie grandement de nous avoir invités.

[Traduction]

    Merci beaucoup de votre exposé.
    Nous allons donner la parole au premier intervenant.
    Monsieur Simms, s'il vous plaît.
    Merci d'être ici, monsieur Gaffield. Je tiens aussi à vous remercier de nous avoir remis votre mémoire à l'avance. Je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt.
    J'aimerais m'éloigner un peu de la notion des grappes géographiques et de la façon dont nous abordons, du point de vue des ressources humaines, la question des emplois et de l'industrie. Je veux me concentrer sur l'aspect culturel.
    Nous avons un organisme, le CRTC, qui nous a permis de protéger le plus possible la culture canadienne.
    Permettez-moi d'établir une analogie, mais ne m'en veuillez pas si elle n'est pas parfaite.
    Prenons l'exemple du point de contrôle Checkpoint Charlie, à Berlin: tout le monde là-bas le connaissait et le craignait. Il était bien connu pour ce qu'il représentait, soit le gardien du point de passage. Après la chute du mur de Berlin, il est devenu inutile.
    C'est mon analogie en ce qui a trait au CRTC. Avec l'arrivée de la technologie numérique, le rôle de notre CRTC est beaucoup réduit. Je suis très inquiet à propos de notre rôle, en tant que législateurs, de protéger la culture canadienne, d'abord et avant tout. Je crois qu'elle va se perdre, dans une certaine mesure, avec l'arrivée de ces technologies.
    Mon fils de 15 ans me sert toujours d'épreuve décisive. J'observe de près non seulement ce qu'il regarde, mais aussi comment il le regarde et ce qu'il utilise pour le faire. Quand nous établissons des règles qui l'autorisent à regarder uniquement du contenu canadien ou quand le contenu international est écarté, il s'en va à son ordinateur et les contourne sans problème. C'est un citoyen du monde. Il joue à des jeux vidéo avec ses amis qui vivent dans d'autres provinces.
    Ma question est vaste: comment pouvons-nous établir une politique qui protège ce qui constitue, selon nous, du contenu canadien?
(1140)
    Je crois que vous touchez à ce qui est au coeur de notre nouvelle ère.
    Je le résumerais ainsi. Durant plusieurs siècles, nous avons construit une société organisée et des pays organisés en fonction de ce que l'on pourrait considérer comme des structures verticales, c'est-à-dire des compétences ou des institutions géopolitiques, une école plutôt qu'un hôpital, par exemple. Nous pensions que ces structures verticales seraient un moyen efficace d'organiser nos vies, notre société, etc.
    Le problème à résoudre, ou la possibilité à exploiter, c'est que les murs de ces structures verticales deviennent très difficiles à maintenir en place. En fait, dans certains cas, c'est devenu impossible.
    Une bonne façon de voir les choses est de nous demander, d'un point de vue négatif, comment nous pouvons maintenir l'intégrité de ces structures verticales, que nous les considérions comme des structures géopolitiques ou institutionnelles. Nous pouvons aussi nous demander, d'un point de vue positif — et je crois que c'est ce que nous tentons de faire actuellement — comment nous pouvons conserver la force de ces structures verticales tout en établissant efficacement un lien horizontal entre elles? Autrement dit, d'une part, nous voulons qu'il demeure utile que les gens vivent dans des collectivités, de grandes sociétés, mais d'autre part, nous voulons qu'ils puissent être liés de façon horizontale aux autres peuples dans le monde.
    Comment devons-nous nous y prendre? Selon moi, il faut utiliser et la protection, et l'encouragement. C'est positif.
    C'est comme cela que nous essayons de trouver un nouvel équilibre.
    Voilà le coeur de la question. Il me semble que les discussions s'orientent peut-être moins vers les règlements — je ne dis pas que c'est ce que nous devrions faire — et plus vers la promotion de notre contenu, de ce que nous estimons être un bon contenu canadien.
    Je suis heureux de vivre à Terre-Neuve, puisque je peux entendre, lire et voir librement d'autres aspects de ce pays, sans être submergé par toutes sortes d'émissions policières étrangères. Je crois que vous savez où je veux en venir.
    Mais certaines des choses...
    Soyez bref, s'il vous plaît, monsieur Simms. Nous en sommes à cinq minutes.
    D'accord.
    Vous avez parlé d'un changement de paradigme. En ce qui a trait aux droits d'auteur, les artistes doivent être payés pour le travail qu'ils font afin qu'ils puissent le poursuivre. Je crois que vous savez où je veux en venir. Nous sommes aussi confrontés au problème de la rémunération des personnes qui fournissent le contenu de nos émissions. Or, actuellement, il est tout simplement très difficile de créer un paradigme pour créer des revenus.
    C'est le défi de notre époque.
    Il y a une différence, par exemple, entre l'auteur et le lecteur. Nous savons maintenant que dans l'ère numérique, par exemple, on encourage les lecteurs à devenir auteurs. La distinction entre les auteurs et les lecteurs commence à disparaître, et c'est ce que vous laissez entendre quand vous demandez qui est propriétaire du contenu. Nous en avons beaucoup d'exemples.
    Par exemple, avec les nouveaux livres électroniques, les nouveaux supports de connaissance, on peut acheter un livre et devenir ensuite un personnage du roman. Le logiciel le permet. La situation devient complexe ici. Qui a écrit le livre, alors?
    Nous commençons tout juste à saisir toute la profondeur de beaucoup de nos hypothèses. En fait, je dirais que depuis le siècle des Lumières, il y a 300 ou 400 ans, nous avons travaillé au modèle qui a été adopté au XXe siècle et qui, tout d'un coup, a commencé à s'écrouler quand le lien horizontal est devenu plus important. Nous tentons donc de trouver un équilibre dans notre société entre...
    Dans une certaine mesure, la protection sera toujours là. Nous allons vouloir protéger. D'un autre côté, nous allons aussi vouloir promouvoir, et le défi est de le faire de façon efficace.
(1145)
    Merci.
    Madame Lavallée.

[Français]

    Monsieur le président, mon premier commentaire s'adresse à vous.
    On nous a remis les notes d'allocution de M. Gaffield, mais il n'y a pas une version française et anglaise respectivement, il n'y a qu'une version combinant les deux. Or, selon les règles de notre comité, c'est inacceptable.

[Traduction]

    Je comprends. Toutefois, j'ai probablement perfectionné mon français ce matin en suivant le texte.
    J'en ai parlé au greffier. Il n'y a pas de texte rédigé uniquement en anglais, alors j'ai suivi le texte en français. Je l'accepte. Comme je l'ai dit, je crois que j'ai appris plus de mots français ce matin que je ne l'ai fait depuis longtemps.
    Nous pouvons donc nous accommoder de ce que nous avons. Si vous ne voulez pas vous en servir, c'est votre droit.
    Je pensais que le...
    Là n'est pas la question.

[Français]

    Vous avez entendu plus de français que d'anglais. Vous êtes donc meilleur que moi. Pour ma part, j'ai entendu plus d'anglais que de français.
    Quoi qu'il en soit, là n'est pas la question. Le principe veut que les documents soient remis aux membres du comité dans les deux langues officielles, c'est-à-dire qu'il y ait non pas un document qui combine le français et l'anglais mais deux documents: un en anglais et un en français.

[Traduction]

    Nous le comprenons. Je prends cela au sérieux, mais d'un autre côté, j'espère que ce ne sera pas notre principal sujet de discussion et que nous allons poser des questions à M. Gaffield.

[Français]

    En effet.

[Traduction]

    Si tout le monde veut remettre ses...

[Français]

    Pour moi, cette question de principe est immensément importante.

[Traduction]

    Je comprends.

[Français]

    D'autant plus qu'il y a un mois, comme vous le savez, on a reçu une motion d'un collègue, autour de cette table, rédigée dans un français minable. Je ne voudrais pas que nous nous dirigions vers ça. C'est un chemin que nous ne voulons pas emprunter. Je m'excuse pour ce commentaire, mais vous comprendrez que pour nous, c'est une question d'une extrême importance.
    Monsieur Gaffield, je vous ai écouté attentivement. J'ai lu les documents que les gens de la recherche, à la Bibliothèque du Parlement, ont préparés. Ils ont fait du bon travail et nous ont envoyé ces documents dans les deux langues officielles. Pendant ma lecture, je me disais que même si le mot « numérique » était retiré de tous les documents, ceux-ci auraient encore du sens.
    On dit, par exemple, que « L'ère numérique se caractérise par des transformations économiques, sociales, culturelles et technologiques. » On pourrait tout aussi bien dire « L'ère des médias de masse...  » Le mot « numérique » pourrait être remplacé partout par l'expression « médias de masse ». On dit aussi que « L'innovation dépend d'un mixte de technologies, de contenus et de cultures numériques. » Encore là, on pourrait remplacer le mot « numérique » par « médias de masse », et ça ne changerait rien.
    En quoi les médias numériques diffèrent-ils des médias traditionnels?
    C'est une excellente question. Pour répondre à votre commentaire, nous avons une version française et une version anglaise intégrales du texte; nous allons vous les fournir immédiatement. Elles existent.
    En fait, il y a deux composantes. À l'heure actuelle, on peut procéder plus rapidement que par le passé. En ce sens, les nouveaux médias accélèrent les processus de communication, que l'on tente de joindre quelqu'un d'ou envoyer un message. C'est une question de vitesse. La deuxième chose, et c'est plus intéressant, c'est que cela ouvre la porte à des possibilités que nous n'avons pas avec les technologies, les médias traditionnels. C'est intéressant et cela change la dynamique de la chose. J'ai donné plus tôt l'exemple d'un lecteur qui peut devenir un acteur dans un roman. C'est sans précédent. Il y a les activités...
    Je m'excuse de vous interrompre, mais mon temps est compté, vous le savez. Devenir acteur dans un roman, ça a déjà été fait. Il y a eu toute une série de livres dans la série Le livre dont vous êtes le héros, qui n'étaient pas sous forme numérique non plus.
    Vous avez parlé, plus tôt, de droits d'auteur. Je compare toujours cela à la situation de quelqu'un qui construit un ensemble de logements. Il a beau les prêter, les louer, mais l'édifice lui appartient toujours. Ce n'est pas parce qu'un locataire décide de repeindre un mur d'une autre couleur que ce mur, soudainement, lui appartient. C'est facile de retrouver l'auteur d'un roman dont on est le héros, que ce soit sous sa forme traditionnelle ou numérique. Il faut respecter ses droits d'auteur.
    En ce qui concerne le roman virtuel, il y a une différence en ce sens que dans les nouveaux médias, c'est dynamique par rapport au bouquin. J'en ai fait l'expérience avec mes enfants. En fait, l'enfant pouvait choisir comment l'histoire allait se dérouler. Je pense que maintenant, avec les nouveaux médias, c'est vraiment dynamique. Cela va devenir individuel, dans un sens. Cela ouvre des portes d'une façon sans précédent. C'est la dynamique de la chose et c'est bien différent.
    Voici un autre exemple. Je suis historien. Quand j'ai commencé ma carrière, il était impossible, avec un crayon et du papier, de faire des analyses de la manière dont on les fait aujourd'hui, avec la capacité de créer des bases de données, d'analyser les tendances démographiques, culturelles et tout cela. Je pense que les deux méthodes se côtoient. Il n'y a pas de doute qu'il y a une continuité, mais en même temps, il y a les nouvelles dimensions aussi qui compliquent pas mal le contexte des nouveaux médias et expliquent un peu pourquoi ceux-ci deviennent de plus en plus populaires.
(1150)
    Est-ce que j'ai encore du temps?

[Traduction]

    Veuillez être très bref.

[Français]

    Remettez-vous en question les droits d'auteur?
    Absolument pas, en ce sens qu'on sait qu'il faut trouver un équilibre entre les droits d'auteur et les gens qui ont vraiment créé quelque chose. À présent, c'est plus complexe. Comme je l'ai dit, les divisions entre les créateurs et les consommateurs sont beaucoup plus complexes qu'aux XIXe et XXe siècles.
    Merci.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Angus.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Toutes les questions d'aujourd'hui montrent vraiment qu'il est difficile pour nous, en tant que législateurs, de déterminer quelle est notre place dans l'univers.
    Quand j'ai été élu pour la première fois au Parlement, il y avait presque un sentiment de panique sur la Colline à propos de la culture numérique. C'était une grande menace qui allait détruire tout ce que nous connaissions et tout ce qui était bon.
    C'est à cette époque que le rapport de Laurier LaPierre, Une charte canadienne des citoyens branchés sur la culture, a été publié. Je pense que c'est l'un des documents les plus profonds que j'ai lus sur ce que nous pouvions accomplir en tant que pays pour favoriser... Il voulait détourner les discussions de la question des consommateurs en ligne pour les faire porter sur nous, en tant que citoyens branchés sur la culture dans un monde numérique démocratique.
    Rien ne semble s'être produit à la suite de ce rapport. Je suppose que c'est dû au fait qu'il s'agit d'un « grand projet visionnaire », qui présente la situation d'une façon complètement différente, une chose avec laquelle nous ne sommes pas très à l'aise dans le domaine parlementaire. Il a donc été laissé de côté.
    L'autre analyse, à l'époque, a été faite par le célèbre lobbyiste — je ne le nommerai pas, mais je suis certain que vous l'avez tous rencontré —, qui m'a demandé si je savais ce qu'était Internet. Quand un lobbyiste me pose ce genre de question ouverte, je ne réponds jamais; je veux toujours entendre d'abord ce qu'il a à dire. Pour moi, Internet était peut-être la plus grande ressource depuis la Bibliothèque d'Alexandrie, mais il m'a dit qu'en fait, c'est une autoroute pour le trafic de biens volés et la pornographie juvénile qui entre dans la chambre à coucher de tous les enfants canadiens, et il m'a demandé ce que j'avais l'intention de faire à cet égard.
    Je crois que c'est la question à laquelle nous sommes appelés à répondre en tant que parlementaires. Nous sommes passés maîtres dans l'art d'être réactifs, de voir une menace, de dire que quelque chose doit être fait. Voici ce qui me préoccupe, et puisque vous êtes historien, j'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.
    On a affirmé que le piano mécanique constituait une menace pour les musiciens et qu'il devait disparaître; que le tourne-disque était une menace pour les éditeurs de musique et qu'il devait disparaître; que la radio AM représentait une menace pour l'industrie phonographique qui fabriquait les tourne-disques et qu'elle devait disparaître. On a dit que la radio FM menaçait la radio AM et on l'a interrompue durant 40 ans. Sony était une menace pour Hollywood — d'après Jack Valenti, Sony était l'étrangleur de Boston de l'innovation — et maintenant, Sony poursuit des adolescents pour qu'ils cessent de représenter une menace pour la musique.
    Aujourd'hui, nous avons Google, qui a enfreint les lois sur le droit d'auteur. YouTube était un havre pour les pirates. Puis, cette semaine, les producteurs de films et de télévision ont affirmé que nous ne pouvons pas arrêter le développement de BitTorrent, parce qu'il s'agit possiblement d'une nouvelle source de distribution de films. Tout le monde sait qu'il y a deux semaines à peine, BitTorrent était considéré comme la pire menace au monde en matière de piratage.
    Quelle est notre position, en tant que législateurs, sur la protection et l'innovation? On nous demande toujours d'arrêter quelque chose. Il semble que nous n'ayons ni cadre ni orientation en ce qui concerne, par exemple, la question de savoir comment nous pouvons veiller au développement numérique sans freiner les technologies qui pourraient profiter à nos artistes.
    C'est la question que nous nous posons, et je pense que la plupart d'entre nous ne savent trop quoi répondre.
(1155)
    Vous faites ressortir deux éléments clés.
    Le premier est le fait que les technologies sont souvent qualifiées soit de menace, soit de panacée. Le message qu'il est important de passer aujourd'hui, c'est qu'elles ne sont ni l'une ni l'autre. C'est sur la façon dont elles sont utilisées et ce à quoi elles servent que nous devons mettre l'accent.
    À mon avis, comme tout le reste, elles peuvent être utilisées de façon à nous aider ou à ne pas nous aider du tout. Selon moi, les prédictions sinistres ne tiennent pas compte du fait que ce ne sont pas les technologies en soi qui posent problème, mais l'utilisation qu'on en fait. Je pense que c'est ce que montrent vos exemples.
    Je crois que vous parlez également de la position des économistes à l'égard de l'offre et de la demande. La demande repose sur des idées et des comportements: les gens demandent. Si la demande est là, du côté de l'offre, on commence à réagir. Il s'agit d'essayer d'y réfléchir en fonction des nouveaux médias et des exemples d'aujourd'hui.
    Selon moi, le nouveau défi auquel nous sommes confrontés, c'est d'établir facilement des liens horizontaux et de trouver comment y parvenir. Toutes les questions dont vous avez parlé ont été soulevées dans le passé, au XIXe siècle, dans les débats sur la façon dont les médias s'éclipseraient les uns les autres. Il s'avère qu'aujourd'hui, nous lisons les journaux. Ils sont menacés, mais ils sont encore là. Ils sont devenus populaires au XVIIIe siècle. Quand la télévision et la radio sont arrivées, tout le monde était censé arrêter de lire les journaux.
    Il me semble qu'en fait, la question est encore une fois de savoir comment les différentes technologies peuvent s'intégrer dans la vie des gens, pourquoi ils les veulent et à quoi elles leur servent. Tout dépend du contenu, de la façon dont les gens l'utilisent, et ainsi de suite. Voilà le fond de la question.
    Les possibilités d'utilisation des technologies sont au coeur de beaucoup de problèmes législatifs. Les technologies actuelles changent si rapidement que cet enjeu, il me semble, est en un sens moins important que la façon dont les gens utilisent ces appareils de communications et la raison pour laquelle ils le font.
    Sur le plan économique, Clay Shirky, auteur de Here Comes Everybody, affirme qu'il n'y a pas de révolution quand la technologie fascine; il y a révolution quand la technologie devient ennuyante, courante, et c'est ce que nous constatons avec le mouvement Web 2.0. L'auteur considère que c'est une question de surplus cognitif.
    Par exemple, 10 millions de personnes mettent leurs photos de bébés sur Facebook, et c'est très banal. Or, si 5 p. 100 de ce surplus cognitif crée quelque chose, cela a un impact révolutionnaire; c'est le cas pour Wikipédia, par exemple. Flickr a complètement changé l'industrie de la photographie simplement parce qu'il y a 10 millions de photos sur Flickr; de ce nombre, il y en a peut-être neuf millions qui sont mauvaises, mais tout de même un million qui sont formidables. Il y a aussi les archives généalogiques.
    Shirky affirme que c'est le début de l'aménagement d'une immense collection de wikis, mise au point par tous. Le concept de « grand homme » ou de « grand penseur » n'existe plus. Il dit que ce sera le modèle industriel pour le développement et la recherche; que nous nous dirigeons vers ce genre de participation en ligne de tout le monde, dans l'utilisation des technologies. Nous n'aurions pas pu voir cela il y a cinq ans.
    Encore une fois, quel rôle devons-nous jouer en tant que parlementaires afin de faciliter ce qui pourrait devenir une révolution novatrice très complexe, mais phénoménale?
(1200)
    C'est un phénomène passionnant. Vous parlez du nouveau type de liens horizontaux entre les personnes.
    Plutôt que d'imaginer une contribution ou un projet particulier créé par une personne de façon indépendante, nous voyons de plus en plus un effort collectif à divers niveaux et nous constatons que nous évoluons non pas en comptant sur un seul cerveau, mais en essayant de rassembler et de lier les informations de plusieurs personnes, une sagesse collective, ce que le phénomène des wikis exploite vraiment.
    Sur le plan de la créativité et de l'innovation, entre autres, beaucoup d'entreprises — y compris notre conseil de recherches — considèrent de moins en moins que le président et le vice-président sont les grands experts en matière d'orientation; maintenant, elles consultent plutôt l'ensemble de l'organisation, ainsi que leurs partenaires à l'extérieur.
    C'est un changement profond. Durant deux ou trois siècles, nous avons développé le concept de l'expert qui avait de grandes idées et les communiquait à tout le monde. De même, sur le plan de l'économie, il fallait créer un grand produit, puis faire de la publicité pour convaincre les gens de l'acheter. Il y a maintenant ce que l'on appelle un marché axé sur le client, où les gens ne sont pas des experts qui tentent de décider de quoi a besoin la société, mais des personnes qui examinent attentivement les tendances d'aujourd'hui, la façon dont les gens utilisent tel outil, etc. Ils sont activement engagés, de sorte que maintenant, ce sont les consommateurs et les clients qui dirigent, ce qui ne s'était jamais vu. Il n'est plus tant question d'utiliser la publicité pour convaincre les gens que de tenter de comprendre ce qu'ils préfèrent et la façon dont on peut répondre à leurs besoins.
    C'est donc une dynamique tout à fait différente. C'est pourquoi on parle maintenant de structures hiérarchiques linéaires qui visent à utiliser le talent, le potentiel, les connaissances et les perspectives, de cette notion de diversité selon laquelle on choisit à partir du plus grand bassin possible.
    Merci. Nous avons quelque peu excéder le temps qui nous était alloué.
    Monsieur Del Mastro.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Gaffield, pour votre présentation.
    J'aimerais qu'on puisse diviser la question en deux volets, l'un d'eux étant les droits de propriété intellectuelle et les droits d'auteur. Le gouvernement s'est penché sur la question. Nous avons tenu de vastes consultations, et je crois que les membres de l'opposition ont aussi étudié le dossier. On a aussi bien sûr tenté de déterminer de quelle façon on allait s'attaquer aux défis entourant les droits de propriété intellectuelle ainsi que les droits d'auteur en général. Mais j'aimerais qu'on y revienne.
    Je veux d'abord parler des possibilités qu'offrent les nouveaux médias, car je crois que c’est dans cette voie que vous vous êtes engagés, et je souhaite que c'est aussi la direction que prendra cette étude. Certaines personnes ont peur du changement, et je pense honnêtement qu'elles parlent souvent plus fort que les autres. Il est vrai que les nouveaux médias vont entraîner d'importants changements, et vous y avez fait référence à différentes occasions. On nous dit qu'ils vont révolutionner bien des choses.
    Pour reprendre une réplique de mon émission préférée, Star Trek, je veux hardiment aller de l'avant et évaluer les possibilités qui s'offrent à nous. Je crois que nous vivons dans une époque incroyable, car tout le monde peut s'improviser diffuseur ou chanteur et distribuer son produit aux quatre coins de la planète. Nous ne sommes pas limités par des antennes, ni par des fréquences, ni par des frontières. C'est une occasion incroyable à mon avis.
    Dans cette optique, il serait approprié que ce comité entreprenne une étude qui nous permettrait d'analyser à fond les occasions qui s'offrent à nous et de déterminer comment nous pouvons faire avancer le Canada grâce à cette nouvelle technologie, grâce à ces nouveaux médias — si c'est encore nouveau à ce moment-là. Je crois qu'il est question de médias numériques, et cette technologie n'est déjà plus si nouvelle.
    Pour en revenir au point soulevé par Charlie, nous sommes plusieurs ici présents à avoir pris de l'âge, alors nous n'avons peut-être pas la même notion de nouveauté. Quand j'apprends que quelque chose de nouveau est arrivé, quelqu'un d'autre a déjà eu le temps de s'en faire un spécialiste.
    Selon vous, sur quoi devrait-on s'appuyer si on veut permettre au Canada de profiter pleinement des possibilités que nous offrent les médias numériques? Je ne m'inquiète pas tellement de savoir si on peut ou non protéger l'identité du Canada; je suis plutôt enthousiaste à l'idée de pouvoir exporter nos talents dans le monde entier.
(1205)
    C'est très important, car les mots que vous utilisez — possibilité, promotion, encouragement, et cetera — sont au coeur de la question.
    Pour moi, les choses se divisent en trois volets. Il y a bien entendu l'infrastructure technologique à mettre en place, mais il faut aussi songer au contenu numérique et à la culture numérique. Autrement dit, il est important que le Canada contribue au contenu numérique mondial, qu'il s'assure une place sur la scène internationale. Je crois que le Canada a tout un monde à offrir à ce niveau.
    Parallèlement, il faut favoriser la culture numérique, c'est-à-dire comment nous accédons, utilisons et réutilisons les médias numériques, et comment nous pouvons devenir activement de vrais leaders. Pour moi, la seule façon de se détacher de la vieille mentalité selon laquelle tout doit être arrêté dans le temps, contenu et homogénéisé, c'est de saisir les occasions qui se présentent, de promouvoir et d'encourager l'enrichissement du contenu et de la culture numérique. C'est une question de complexité, de diversité et de créativité. Comment pouvons-nous favoriser ces valeurs en ce qui a trait au contenu et à la culture numériques? Je crois que la clé se situe à ce niveau.
    Il est bien évident que nous avons besoin de la connectivité et de l'infrastructure technologique, mais je crois qu'il s'agit surtout de saisir une occasion qui permettra aux Canadiens de prendre part activement à ce nouvel univers mondial des médias numériques.
    D'accord.
    Permettez-moi de faire le point rapidement, parce que j'aimerais être certain de ce que j'avance. Je crois que la population canadienne n'a aucune inquiétude à se faire quant à son identité. La culture canadienne ne se limite pas à jouer au hockey et à boire son café Tim Hortons avant d'aller travailler. Nous savons bien ce qui nous définit culturellement.
    Je crois que nous apportons beaucoup de choses sur la scène internationale. Le Canada est un chef de file dans bien des industries, peu importe le genre. Dans le monde musical, par exemple, des chanteuses et des chanteurs canadiens occupent le sommet des palmarès des deux côtés de la frontière, et vendent des albums par millions. Des actrices et des acteurs de chez nous brillent sous les feux de Hollywood, mais aussi ailleurs dans le monde.
    Notre identité est donc assez solide pour que nous puissions passer à la prochaine étape. Je ne suis pas certain que vous ayez vraiment répondu à ma question, alors j'aimerais, si c'est possible, que vous m'expliquiez en termes simples quelles pourraient être les prochaines étapes. Par quoi devrait-on commencer? Et quelle serait la suite des choses pour arriver au résultat final?
    À ce stade-ci, le comité tente de déterminer quels sont les paramètres de son étude. Que tentons-nous d'accomplir exactement? Si nous voulons faire du Canada un leader dans le domaine des médias numériques, ou à tout le moins lui permettre de surfer sur la vague, que doit faire le comité pour y arriver?
    J'aimerais que notre comité puisse présenter des recommandations solides au ministère et au gouvernement sur la manière dont nous allons positionner le Canada, de façon à ce qu'il puisse tirer le plein potentiel de cette transition vers les technologies numériques, pour que l'économie et la population du Canada en profitent pleinement.
(1210)
    Je vais céder la parole à ma collègue, qui pourra vous donner un bref aperçu de la qualité de la contribution du Canada, comme l'indiquent les résultats d'un concours international de recherche.
    Mais juste avant, permettez-moi de commenter votre intéressante question. L'essentiel de mon message est que nous devons tenir pour acquis que l'évolution technologique — la vitesse, la capacité, etc. — va se poursuivre. Disons donc que cet aspect est donné d'avance, que la technologie permettra des communications plus rapides et plus intenses.
    Il faut alors se demander ce que les Canadiens veulent en faire. Vers quoi voulons-nous nous diriger? Et comment pouvons-nous aider les Canadiens à y arriver selon des valeurs qui définissent ce qu'est pour nous une société juste, une société inclusive, selon l'identité que nous nous sommes donnée en tant que Canadiens? C'est ce à quoi fait référence la culture numérique.
    À mon avis, la technologie va continuer à évoluer, il y aura toujours quelque chose de nouveau, mais chaque nouveauté aura pour but d'accroître la vitesse et la capacité. Ce qu'il importe donc de savoir, c'est comment utiliser cette technologie de façon à ce que les Canadiens s'y reconnaissent.
    Gisèle, pouvez-vous nous parler de la qualité de la contribution du Canada?
    M. Gaffield fait allusion à notre concours Digging into Data, que nous avons lancé à l'échelle internationale en collaboration avec des partenaires des États-Unis, soit la Fondation nationale des sciences et la National Endowment for the Humanities, ainsi qu'avec une très intéressante organisation du Royaume-Uni, qui pourrait intéresser votre comité, le Joint Information Systems Committee. Cette organisation regroupe différents ministères du Royaume-Uni, la BBC, les organismes subventionnaires et d'autres intervenants intéressés à lancer de nouveaux médias, à rendre du contenu disponible et à s'attaquer aux enjeux concernant la culture numérique dont le président vous a parlé.
    Étant donné le tournant qu'a pris la discussion, je vous encourage à étudier le travail du JISC, le Joint Information Systems Committee, ainsi que les initiatives qu'il a mises en place. Je crois que notre collaboration avec les Américains et les Britanniques nous a montré que le Canada a tout ce qu'il faut pour obtenir un vif succès sur la scène internationale dans ce secteur. Il s'agissait d'un projet de petite envergure, et les Canadiens, grâce à de modestes investissements de la part du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, se sont placés en tête du peloton, malgré le fait que seulement 2 p. 100 du contenu canadien se trouvent en ligne actuellement.
    C'est vraiment là où se situe le potentiel, pas seulement dans les bourses d'études, mais dans l'interface entre les universités, les établissements d'enseignement supérieur, les médias et les partenaires des secteurs public, privé et sans but lucratif. C'est ce que nous souhaitons voir arriver. Il y a bien entendu différentes zones propices à la croissance dans ce secteur à l'échelle du Canada.
    Merci.
    Nous avons quelque peu excédé le temps qui nous était alloué dans cette première ronde de questions. Je vais tenter d'équilibrer les choses. Tâchons de nous limiter à cinq minutes pour les questions et les réponses.
    Monsieur Valeriote, je vous prie.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Gaffield, pour votre présentation. Il y a là matière à réflexion.
    J'ai déjà travaillé dans le milieu de l'éducation. J'ai en effet fait partie du conseil scolaire de Guelph pendant 18 ans. J'ai donc le réflexe de craindre qu'on ne crée des disparités entre les gens. Je veux notamment que les choses soient abordables et accessibles pour tous.
    Je me rappelle lorsque nous avons acheté notre premier système de traitement de texte pour mon cabinet d'avocats. Il m'a coûté 12 000 $. C'était un AEG, et l'imprimante était tellement bruyante qu'il avait fallu la placer dans un boîtier de verre.
    Je crains que cela ne crée des disparités. On tient pour acquis que tout le monde se balade avec ce genre d'appareil sous le bras. Ce n'est pas le cas. On suppose que tout le monde a accès à un ordinateur portable. Quand j'étais au conseil scolaire, il fallait décider si l'argent allait être investi dans les instruments de musique, l'éducation physique ou les ordinateurs.
    Comme la culture est tellement importante dans cette ère numérique, pensez-vous que l'écart entre les mieux nantis et les plus désavantagés va se creuser davantage si certains n'ont pas accès aux choses que l'on présume accessibles et abordables?
(1215)
    C'est une question extrêmement importante.
    Durant les années 1990, il était question du fossé numérique, qui s'était manifesté d'un coup, mais qui avait fini par s'amenuiser. Les gens ont par la suite commencé à voir la situation sous un autre angle, c'est-à-dire comme un moteur de la démocratie qui permet à tous d'être sur un pied d'égalité. Tout le monde pouvait accéder à cette énorme bibliothèque, qui n'était plus réservée aux résidants des grandes villes.
    La situation a changé. Depuis une dizaine d'années, le débat n'est plus le même. On s'aperçoit que ceux qui ont les compétences et les connaissances nécessaires, et qui ont accès aux technologies, sont avantagés par rapport à ceux qui ne les ont pas. On recommence à parler du fossé numérique. On laisse entendre que l'écart est encore plus important qu'il ne l'était, ce qui soulève de très intéressantes questions quant à la cohésion sociale et culturelle, notamment.
    À mon avis, il faut suivre la situation de beaucoup plus près. On craint que le rêve de démocratiser et d'égaliser l'accès à l'information va permettre en fait à ceux qui y accèdent de prendre une énorme longueur d'avance sur les autres.
    C'est donc un enjeu important.
    Vous nous dites que c'est un problème, et donc qu'un fossé doit bel et bien exister. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Comment faire pour éliminer ce fossé?
    Aussi, croyez-vous que l'accès à des services à large bande soit un droit?
    C'est intéressant. Nous discutions justement des services sans fil, et je sais que certaines villes ont décidé de rendre ces services accessibles à leurs citoyens en vue de remédier au problème.
    Pour ma part, je crois que c'est devenu une question d'intégrité sociale, économique et culturelle au pays aujourd'hui. Je ne suis pas certain de savoir où on doit tirer la ligne, mais il ne fait aucun doute que ceux qui ont accès aux nouveaux médias et qui ont la capacité de les utiliser sont très avantagés par rapport aux autres, et on le constate d'ailleurs entre autres dans les universités. Je crois que c'est un problème de taille pour nos écoles et pour notre société.
    Je reviens aux services à large bande. J'ai cru comprendre que la Finlande venait tout juste d'adopter une loi faisant de l'accès au service à large bande un droit. Je ne suis pas certain si c'est réellement le cas. Êtes-vous au courant de ce dossier?
    Et selon vous, est-ce que l'accès à des services à large bande est un droit?
    Je crois que les sociétés adhèrent de plus en plus à l'idée que la connectivité est essentielle. Pour ce qui est du contenu, comme Mme Yasmeen le disait... Vous savez, 1 p. 100 du contenu canadien se trouve sur le Web. Des pays comme la Finlande, par exemple, accordent beaucoup d'importance à la question.
    Nous devons aussi nous soucier de la culture numérique. Je crois que nous devons adopter une approche intégrée axée, bien sûr, sur la connectivité, mais aussi sur la capacité de créer du contenu et d'y accéder, de même que sur les aptitudes requises pour l'utiliser efficacement.
    Est-ce qu'il me reste du temps?
    Assez pour une très brève question et une courte réponse, je vous prie.
    Très bien.
    Voici quelques-unes des questions que vous avez vous-même suggérées: « Que fait le gouvernement fédéral pour aider les créateurs et les distributeurs de contenus numériques canadiens? » et « Que pourrait faire d'autre le gouvernement? »
    Pouvez-vous répondre à ces questions?
    Si on regarde l'histoire du Canada, on peut voir que le gouvernement fédéral a vraiment joué un rôle de premier plan, je dirais après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, pour faire entrer le Canada dans cette culture de la société du savoir et investir dans une infrastructure de recherche nationale.
    Quand j'étais étudiant à McGill à la fin des années 1960, presque tous mes professeurs avaient obtenu leurs diplômes à l'étranger. Presque tout le matériel que nous utilisions était d'ailleurs importé. Sur les 22 historiens de la faculté, deux enseignaient l'histoire du Canada.
    C'est donc relativement récent que le gouvernement fédéral fasse réellement preuve de leadership, en soutenant que pour que ce pays s'épanouisse et prospère, il faut créer du contenu et acquérir ce qu'il faut pour le comprendre.
    Cela rejoint ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est-à-dire que tout ceci est encore plus important aujourd'hui, étonnamment, à l'ère du numérique.
    Au début des années 1990, on a publié un livre intitulé The Death of Distance; l'auteur soutenait que l'endroit où l'on se trouvait importait peu, et on s'est mis à adhérer à cette philosophie. On s'aperçoit pourtant maintenant que le contact physique est crucial, et on utilise les nouveaux médias et la technologie numérique, entre autres, pour améliorer, enrichir et accroître nos liens physiques. Si on ne voit pas quelqu'un en personne assez régulièrement, on arrête de communiquer avec lui par les nouveaux médias, et les liens personnels tendent à se briser.
    Il est très intéressant de voir comment on perçoit les collectivités à l'échelle du pays, ce qu'on pense des sociétés, etc. On entre dans une ère à la fois locale et mondiale. C'est fascinant.
    Honnêtement, ce tournant était inattendu. Nous croyions que les nouveaux médias allaient faire en sorte que notre présence allait être secondaire. Au contraire, elle est devenue encore plus importante.
(1220)
    Merci.
    Monsieur Pomerleau, je vous en prie.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Gaffield, je vous remercie de votre présentation, qui était très bien faite. Nos attachés de recherche nous disent que vous êtes un spécialiste des répercussions des changements démographiques, économiques et culturels sur l'histoire institutionnelle et politique. C'est merveilleux.
     Ma question sera d'ordre politique et elle viendra d'un souverainiste. Vous souhaitez, à la fin de votre présentation, que nous utilisions tous les actifs que vous avez décrits pour augmenter ou pour nourrir notre identité culturelle commune canadienne. Vous donnez comme exemple, un peu plus haut dans votre texte, ce qu'on avait déjà fait avec les chemins de fer canadiens, qui ont contribué à la naissance du Canada. Ma question découlera de ce que je vais vous dire. Les grandes décisions politiques prises au Canada, comme celle de construire le chemin de fer canadien, devaient être prises. Je suis complètement d'accord sur ces décisions. Les Canadiens ne pouvaient pas faire autrement, sinon, ils seraient restés un petit peuple dans un petit coin, alors qu'il y avait un pays immense à peupler. Cette décision, même si elle ne visait pas cet objectif, a eu comme conséquence de diminuer la culture et l'identité québécoises. En construisant le Canada, le Québec devient de plus en plus minoritaire. On le voit, par exemple, dans le fait qu'on va maintenant donner à l'Ouest canadien de nouveaux représentants élus au Parlement d'Ottawa, qui en a plus parce qu'il y a plus d'habitants dans l'Ouest. Ainsi, une décision pro-Canada a eu comme effet de diminuer quelque chose au Québec.
    C'est la même chose pour la Voie maritime du Saint-Laurent. Quand on l'a construite, on a tué Montréal, qui était alors la capitale économique du Canada. Mordecaï Richler a écrit un livre là-dessus. Il a écrit et je cite: « Once the St. Lawrence Seaway was in place, diminishing the importance of Montreal, Montreal's slippage was inevitable. » C'est parfaitement vrai. Je ne suis pas anticanadien, je suis procanadien. Toutes les décisions qui ont été prises au Canada sont des décisions intelligentes que le Canada devait prendre, mais les conséquences sont toujours une diminution des pouvoirs politique, économique et culturel du Québec.
     Ma question est donc politique. Vous demandez qu'on renforce encore l'identité canadienne, qui en a besoin énormément. Quand M. Del Mastro dit que nous sommes plus que des parties de hockey et du sirop d'érable, il a parfaitement raison.
    Non, il a parlé de Tim Hortons.
    Tim Hortons, c'est encore pire.
    Le sirop d'érable, ils ne le connaissent pas.
    Le Canada a parfaitement raison de faire cela et il doit le faire. En tant que Canadien, si je vous demandais quelles mesures le Canada devrait prendre pour garantir que ce qui se donnera en augmentation culturelle n'amènera pas une diminution de la culture du Québec, quelles seraient-elles?
    C'est une grande question.
    L'identité canadienne a beaucoup évolué depuis le XIXe siècle. À chaque époque, elle était définie au sein de la société agricole ou urbaine. Elle reflète évidemment les changements démographiques, économiques et culturels; ça va de soi. Un pays reste viable dans la mesure où il change avec le temps; c'est ce que démontre l'histoire canadienne.
    La question clé, pour toutes les juridictions à tous les niveaux, est de savoir comment composer avec la réalité très locale, régionale et, à la limite, globale. Maintenant, l'identité se joue à tous les niveaux. Je suis un résidant de la ville d'Ottawa, et cela monte. C'est la complexité de la chose.
    Au XIXe siècle, on insistait sur l'usage d'une seule langue, par exemple dans les écoles. La France et les États-Unis ont fait la même chose. C'était une façon de renforcer la société. Maintenant, on dit que la diversité fait la force d'une société et qu'il faut cultiver cette diversité. Nous sommes en train de redéfinir la pratique voulant qu'on n'insiste pas pour que chaque communauté ou chaque personne ait un comportement particulier, ce que j'appelle en anglais la « cookie-cutter approach », qui était associée au XIXe et au XXe siècles. Nous voulons établir des notions de cohésion qui ne soient pas basées uniquement sur l'uniformité, mais plutôt sur la force de la diversité. Comment avoir une cohésion qui profite de toutes ces perspectives et cette diversité à toutes les échelles? C'est une question qui se pose pour le Canada, les États-Unis, la France et d'autres pays du monde. C'est la dynamique qu'on observe. Au XXIe siècle, on est en train de créer des sociétés qui ne sont pas basées sur l'homogénéité, mais sur la diversité. Comment peut-on le faire? C'est un défi intéressant.
(1225)

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Monsieur Uppal, nous vous écoutons.
    Merci, monsieur le président.
    Merci pour vos présentations. C'est un sujet absolument fascinant qui comporte une multitude de facettes.
    Vous avez parlé de la diversité et de l'identité canadienne. Vous nous avez aussi dit que grâce au faible coût des nouveaux médias, différentes communautés culturelles du pays ont pu établir un contact entre elles et faire entrer au Canada du contenu de leur pays d'origine, ayant ainsi l'occasion d'aller au-delà de nos médias traditionnels que sont la télévision, la radio et les journaux imprimés. Cela a permis de rapprocher les Canadiens.
    Il est intéressant de constater que les enfants issus d'un autre horizon ethnique, mais qui sont nés au Canada, ont pu en apprendre davantage sur leur culture grâce aux nouveaux médias. Il est maintenant possible de recevoir des textes religieux traduits sur son BlackBerry ou son iPhone; auparavant, il fallait probablement aller fouiller quelque part pour trouver ces textes, puis demander à quelqu'un de les traduire. Les nouveaux médias touchent la vie des nouveaux Canadiens de différentes façons.
    Je sais que M. Del Mastro nous disait que notre culture ne se limitait pas au hockey, mais ce sport est encore un élément fort de la culture canadienne, si bien que les usagers de Bell, je crois, peuvent écouter les matchs de la LNH en panjabi et en mandarin. C'est donc une partie importante de la culture du Canada qui se vit en différentes langues.
    Selon vous, comment les nouveaux médias vont-ils façonner l'identité canadienne? Aussi, les gouvernements canadiens ont toujours investi dans le multiculturalisme. Entrevoyez-vous un changement à ce chapitre, maintenant que les nouveaux médias rejoignent les différentes communautés culturelles du pays?
    C'est une question très intéressante.
    C'est un phénomène plutôt récent qui remonte aux années 1960. Jusqu'à cette époque, la théorie de la modernisation était le moteur de l'idée de changement. On croyait que, lentement mais sûrement, tous les citoyens de la planète en viendraient de plus en plus à avoir une apparence semblable et à agir de la même manière.
    Autrement dit, l'anglais allait prendre le pas sur toutes les autres langues, on verrait les mêmes chaînes de restauration rapide dans tous les pays, et nous aurions tous environ le même nombre d'enfants. On croyait qu'il y avait une façon idéale d'organiser la société et que celle-ci allait, lentement mais sûrement, faire son chemin sur toute la planète. C'était pour nous la seule façon véritable de progresser: il fallait que tous adoptent ces pratiques exemplaires. C'était vraiment l'idéal visé.
    Très rapidement, nous sommes passés au nouveau paradigme actuel suivant lequel cette avenue allait nous mener tout droit vers la destruction en nous rendant extrêmement vulnérables si jamais il s'avérait que nous avons fait fausse route quant à cet idéal envisagé.
    Par exemple, les langues menacées soulèvent maintenant beaucoup d'inquiétude. C'est une situation préoccupante parce que ces langues enrichissent notre compréhension du monde. Les différentes langues ont chacune leur façon d'imaginer et d'articuler des perceptions du monde qui nous permettent vraiment de mieux le comprendre. Nous ne voulons pas penser à un monde où il n'y aurait qu'une seule langue, un seul ceci ou un seul cela, car cela nous rendrait trop fragiles et incapables de nous adapter aux changements qui se produisent. Nous avons besoin de cette diversité. Comme dans l'exemple que je vous donnais tout à l'heure, nous recherchons la diversité économique pour les mêmes raisons que nous souhaitons la diversité génétique: nous ne voulons pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.
    Du point de vue identitaire, nous sommes passés d'un concept préconisant l'identité unique à un autre fondé sur l'identité multiple. Pour reprendre votre exemple du hockey, pourquoi ne pourrions-nous pas écouter les reportages dans différentes langues? Cela ne pourrait-il pas nous permettre de mieux comprendre les différentes nuances de notre sport national? Ce serait assurément à l'origine d'une meilleure compréhension fondée notamment sur des bases plus solides.
    C'est une façon totalement différente de voir les choses que de considérer la diversité comme une force et un gage de protection qui nous aidera à mieux composer avec les changements à venir.
    Il va de soi que ce concept est assorti de certaines limites. Nous ne voulons pas que les choses deviennent fragmentées à un point tel que nous ne pourrions plus fonctionner collectivement en tant que société, ce qui nous ramène à la nécessité d'un équilibre entre ce que je me plais à appeler les liens verticaux et horizontaux. Il nous faut trouver ce juste équilibre entre cette similitude qui donne à notre société toute sa cohésion et cette diversité qui enrichit et assure son dynamisme continu.
    À mon avis, nous devons cerner la façon d'utiliser les nouveaux médias de manière optimale afin de renforcer sans cesse les positions canadiennes sur la scène internationale au XXIe siècle.
(1230)
    Merci.
    Comme nous avons commencé avec 10 minutes de retard, nous en sommes maintenant au dernier tour de questions. Il y aura une intervention pour le Parti libéral, une pour les conservateurs et une pour les néo-démocrates.
    Monsieur Dhaliwal, voulez-vous commencer?
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais poursuivre la discussion entreprise par M. Uppal.
    Vous avez dit que l'avenir nous appartient, cela ne fait aucun doute. Le rôle de leader mondial joué par le Canada est d'autant plus probant aujourd'hui lorsqu'on considère le multiculturalisme et la diversité de notre nation. Le XXIe siècle est vraiment celui du Canada.
    Comment le gouvernement peut-il contribuer, de concert avec le secteur privé, à faire en sorte que nous demeurions des chefs de file et que nous puissions soutenir la concurrence de pays gigantesques comme la Chine et l'Inde lorsqu'il s'agit de médias numériques, de nouvelles technologies et de connaissances?
    Je crois que la réponse se trouve dans votre question. Vous avez fait allusion aux nombreux intervenants: les collectivités, les entreprises, et les différents gouvernements, notamment. En reconnaissant la complexité de ce nouvel ordre des choses, nous constatons que, contrairement à ce qui se passait au XIXe ou au XXe siècle, aucun ordre de gouvernement quel qu'en soit le niveau ne peut à lui seul régler les problèmes ou faire une grande différence. Il faudra travailler en collaboration et tisser des liens avec les autres composantes importantes. Pour chacun d'entre nous, au sein de nos organisations respectives, le défi consiste maintenant à adopter des modes de fonctionnement permettant une coordination profitable et constructive avec les actions des autres.
    Par exemple, notre conseil considère que son travail est étroitement lié à celui des universités de tout le Canada, des partenaires privés de ces universités, et ainsi de suite. Nous vivons vraiment dans un monde où les intervenants se multiplient et nous sommes très conscients du fait que toutes nos actions doivent être menées dans une perspective logique permettant de les emboîter avec les autres pièces du puzzle. C'est un tout nouveau rôle. Dans une certaine mesure, il me semble que notre conseil est parti au départ du principe qu'il nous était possible de concevoir des programmes et d'en appuyer l'application de façon plus ou moins isolée. Nous constatons désormais de plus en plus que nos programmes et nos réflexions doivent tenir compte du contexte des autres institutions, des collectivités et de différents autres éléments. C'est le nouveau défi.
    Il me semble que le rôle fédéral intervient maintenant dans un cadre beaucoup plus diversifié et complexe, ce qui donne toute son importance à la possibilité pour moi d'intervenir sur cette tribune et aux autres types d'échanges qui ont cours.
(1235)
    Vous avez également soulevé un autre point très intéressant, celui des langues menacées. Outre nos deux langues officielles, il y a au Canada plus de 6 500 langues en usage, y compris les langues signées. Bon nombre d'entre elles, y compris les langues autochtones, sont en danger au moment où l'on se parle.
    Pouvez-vous m'indiquer de quelle manière notre société peut contribuer à la protection de ces langues?
    L'une des différences principales, ce qui nous ramène à une question posée antérieurement, c'est que l'on considérait auparavant dans une certaine mesure que ce serait une bonne chose de sauvegarder ces langues menacées. On ferait ainsi montre de générosité. Nous estimons désormais davantage que nous nous devons de les sauvegarder; nous devons envisager cette perspective sous l'angle de notre enrichissement collectif et de l'élargissement du bassin de talents disponibles.
    Nous avons appuyé les projets de recherche d'universitaires comme Karen Rice qui s'efforcent de documenter et de comprendre une partie de la richesse que peuvent nous procurer ces langues menacées, de telle sorte que chacun puisse continuer à en tirer parti dans sa vie personnelle.
    C'est un changement très intéressant par rapport à l'époque où nos inquiétudes à cet égard relevaient plutôt de préoccupations morales. On part plutôt maintenant de l'idée que nous devons tirer avantage de ces langues, car c'est ainsi que nous serons en mesure d'aller de l'avant au XXIe siècle; elles vont contribuer à améliorer nos chances de réussite. Il s'agit là d'une évolution très intéressante, et nos chercheurs s'efforcent d'harnacher cette richesse de manière à mieux nous équiper et à élargir nos perspectives pour l'avenir.
    Merci.
    Madame Grewal.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai deux brèves questions.
    La première concerne la montée des médias numériques, de l'utilisation d'Internet pour la mise en commun de musique, de photos et de vidéos. Quels sont les impacts pour nos décideurs publics?
    Deuxièmement, comment les décideurs des autres pays ont-ils composé avec cet essor des médias numériques?
    Je vais commencer par répondre à votre deuxième question. Comme vous le savez, c'est bien évidemment un sujet qui soulève les passions sur les tribunes internationales.
    Mais permettez-moi d'insister un instant sur ce qu'on appelle le mouvement de l'accès libre, l'une des pistes intéressantes de ce débat. C'est un aspect qui est devenu très important, car il transforme totalement la dynamique. Qu'il suffise par exemple de s'intéresser aux considérations économiques pour constater que le libre accès aux travaux de recherche, toutes les fois que cela est possible, peut vraiment aider les chercheurs qui en sont responsables. Pour quelle raison? Parce que cela contribue à les faire connaître.
    Il est intéressant de noter que, dans notre domaine, un chercheur visant vraiment l'avancement professionnel se devait autrefois de faire publier ses travaux dans des revues scientifiques ou des collections de monographies, notamment. Mais voilà que de nos jours, sans le recours actif à des outils comme Twitter et la baladodiffusion, c'est sa réputation, la reconnaissance de son travail et, en fait, l'ensemble de sa carrière qui risquent d'en souffrir. Voilà donc un exemple fascinant de la façon dont les nouveaux médias peuvent transformer les choses.
    On constate un peu le même phénomène chez les musiciens. Ainsi, ces artistes savent désormais que si leur musique n'est pas diffusée et entendue, personne ne se déplacera pour les voir en spectacle. Le côté spectacle contribue de plus en plus à la génération de recettes, alors que le volet numérique est utilisé pour la promotion.
    Nous nous retrouvons donc avec une dynamique très intéressante où les hypothèses stratégiques du passé n'interviennent plus de la même manière. Notre conseil essaie d'en tenir compte. Nous avons déjà, par exemple, fourni des fonds à des universitaires pour permettre la publication de leurs travaux de recherche, et il nous faut maintenant de nouveaux moyens de véritablement permettre l'accès libre à ces travaux en mettant à contribution les nouveaux médias pour la diffusion et l'échange d'information.
    En considérant notamment le secteur de la musique, j'ai l'impression qu'il ne fait aucun doute que la croissance rapide de ces industries fondées sur la créativité est en partie attribuable au fait que les gens sont de plus en plus nombreux à pouvoir y participer facilement. Lorsque les photocopieuses ont fait leur apparition dans les années 1960, Marshall McLuhan a déclaré que maintenant n'importe qui pourrait devenir auteur. Il est bien évident que ce qui était vrai pour les photocopieuses, l'est tout autant pour les nouvelles technologies mais l'essentiel, à mon avis, c'est que les gens veulent maintenant être auteurs.
    C'est un phénomène tout à fait fascinant. Les gens ne se contentent plus de consommer; ils veulent aussi créer. Ils ne veulent plus être de simples spectateurs; ils souhaitent participer.
    C'est ce que permettent vraiment les nouvelles technologies. Elles rendent possible ce volet de participation active. Nous nous efforçons d'en tenir compte dans nos écoles, dans le développement de nos collectivités, dans nos avancées économiques et sous bien d'autres aspects.
    C'est une compréhension très différente des notions de consommateur, de produit et de service. On s'est rendu compte que les gens voulaient être des créateurs. Et cela ne se limite pas à un petit groupe sélect.
    J'y vois une transformation radicale de notre définition d'artiste, de consommateur ou de spectateur.
(1240)
    Monsieur le président, me reste-t-il encore un peu de temps?
    Pour une très courte question et une réponse très brève.
    Je vais laisser le reste de mon temps à M. Del Mastro.
    D'accord, mais ce sera très bref, à peine une minute.
    Pas de problème.
    Vous avez soulevé un point intéressant. Vous venez de dire que les nouvelles technologies permettent en fait à tous d'apporter leur contribution. Elles ont en quelque sorte pour effet d'offrir cette possibilité à chacun d'entre nous. Pour revenir à ce que je disais tout à l'heure, je pense que tout le monde peut maintenant être un diffuseur. N'importe qui peut enregistrer une chanson.
    Dans ce contexte, j'estime que, tout au moins du point de vue de la musique, il serait plus important pour nous d'investir dans la technologie numérique que dans l'industrie du disque. Si on peut permettre aux gens d'avoir accès à des possibilités de création numérique, cela m'apparaît plus intéressant que de leur ouvrir l'accès à des formes plus conventionnelles de création.
    Partagez-vous mon avis?
    Je crois que c'est toujours une question d'équilibre, mais il ne fait aucun doute que l'aspect création nous a pris par surprise. À l'aube de l'ère numérique, je ne pense pas que l'on s'attendait à ce que les gens passent ainsi du rôle de spectateurs passifs à celui de contributeurs actifs qui montent sur la scène. Nous essayons simplement de nous ajuster à la situation.
    Il ressort clairement que cette volonté marquée de devenir un créateur actif dans sa propre existence est l'un des moteurs de l'ère numérique. Ce phénomène aura selon moi comme avantage de nous permettre désormais d'exploiter le véritable potentiel de chaque personne.
(1245)
    Merci.
    Monsieur Angus.
    La question de la protection des langues est selon moi fort révélatrice. Auparavant, nous aurions eu tendance à croire que la sauvegarde d'une langue allait exiger une politique nationale, un engagement de tout le pays, des enseignants et ainsi de suite. De nombreuses langues autochtones sont en voie de disparition et vont effectivement s'éteindre si nous n'adoptons pas une telle approche du haut vers le bas. Mais d'après ce que je puis constater, ce processus de sauvegarde semble plutôt s'enclencher du bas vers le haut.
    Par exemple, tous les soirs... Je ne vais pas vous raconter ma vie, mais il m'arrive d'aller sur YouTube en rentrant à la maison. Je tape « Junior Walker » et quelqu'un m'apprend des riffs à jouer sur ma guitare. Je tape « B.B. King » et quelqu'un m'apprend à jouer du B.B. King.
    Il y a des millions de personnes qui offrent ainsi de nous faire profiter de leurs compétences. Dans certains cas, c'est vraiment mauvais, mais ce qu'il y a de bien avec YouTube, c'est qu'on peut simplement passer au suivant. D'autres nous font bénéficier de leurs compétences linguistiques. Des gens partagent ainsi des compétences qui n'intéressaient personne auparavant, parce que personne ne pouvait y avoir accès.
    Cela nous ramène donc à la question posée tout à l'heure par mon collègue au sujet de l'accès. La fonction démocratique et la possibilité pour les citoyens de participer seront dictées par la capacité d'accès qui leur permettra de relater eux-mêmes leurs histoires et de parfois préserver ainsi une langue obscure qui agonise.
    Il y a quatre ans, j'ai travaillé pour une première nation à 300 kilomètres au nord d'Ottawa. Il n'y avait qu'un seul téléphone pour toute la collectivité, ce qui était loin de me faciliter la tâche. Ces gens ont maintenant des pages sur Facebook.
    Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils sont entrés de plein pied dans l'ère numérique. Comme vous le disiez, le fossé technologique va se transformer considérablement; il va désormais séparer ceux qui profitent d'un plein accès et ceux qui, dans le meilleur des cas, peuvent avoir une page sur Facebook, mais rien d'autre.
    Je crois que cela revient à une question de politiques. Nous pouvons favoriser le processus créatif sous différentes formes, mais nous avons besoin d'une vision pour le développement numérique de notre pays. Il faut notamment une politique sur l'accès à large bande et le soutien gouvernemental pour ce vaste programme misant sur la créativité. Je ne sais pas trop si nous avons vraiment une idée de la contribution que nous pouvons apporter dans notre rôle de législateurs.
    Concernant la métaphore des processus descendants et ascendants, et le nouveau paradigme, l'approche adoptée au XIXe et au XXe siècles était généralement du haut vers le bas. Vous avez bien cerné la nouvelle dynamique où il est possible d'aller dans les deux sens. Il arrive souvent que l'on puisse générer une force considérable à partir de la base. Cela nous ramène à ce que l'on disait tout à l'heure au sujet du marché dirigé par les consommateurs, notamment. Il y a de nombreux aspects à considérer, dont celui de la participation citoyenne. J'estime vraiment important de garder cette image à l'esprit.
    L'autre point important que vous avez soulevé est celui de la contribution des gens. Ils vous aident à vous exercer à la guitare simplement parce qu'ils veulent le faire. Il faut se rappeler que lorsqu'Internet a vu le jour, on se disait qu'en l'absence d'un modèle d'affaires permettant de faire de l'argent, on ne pourrait inciter personne à contribuer. On constate maintenant que des gens créent bénévolement des encyclopédies simplement pour le plaisir et la satisfaction d'apporter leur contribution. Tout cet aspect lié à la motivation est donc fort intéressant.
    Pour en revenir à mon idée d'exploiter le potentiel humain, on se rend compte que les gens veulent contribuer. Si vous avez un besoin, je suis prêt à vous aider à le combler; vous n'avez pas nécessairement à me payer. Je crois que c'est l'une des dynamiques très intéressantes de l'ère numérique.
    Le troisième élément à considérer serait le triangle formé par l'accès, le contenu et la culture numérique. Il faut absolument s'efforcer de conserver l'équilibre de ce triangle de façon intégrée.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    En ma qualité de président, j'ai le dernier mot, mais je n'ai pas vraiment de question à vous poser. Je crois simplement — et peut-être pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez — qu'il nous faut considérer les nouveaux médias comme un actif, et non comme un passif. Vous nous avez dit aujourd'hui qu'il fallait favoriser l'ouverture et l'accès. C'est un nouvel actif qui est pour ainsi dire sans limite. J'estime que dans la poursuite de ses travaux, notre comité devrait étudier les nouveaux médias en se demandant comment ils peuvent être un actif pour nous, plutôt qu'en les considérant comme un passif.
    Êtes-vous d'accord?
(1250)
    Je pense que c'est exactement l'idée. Compte tenu de tout l'intérêt que vous portez aux questions liées au contenu et à la culture numériques dans le contexte de ce triangle intégré qui va nous permettre d'aller de l'avant, votre comité se retrouve dans une position idéale pour accomplir un travail utile pour les Canadiens et, en toute franchise, pour toute la planète. J'estime en effet que notre pays est idéalement positionné pour apporter une contribution valable quant à la façon de nous assurer un XXIe siècle misant à la fois sur la complexité, la diversité et la créativité, ainsi que sur les liens horizontaux et verticaux, et les approches descendantes et ascendantes. Le Canada pourrait être l'un des chefs de file mondiaux en la matière.
    Je vous souhaite donc la meilleure des chances dans la poursuite de vos travaux. Je tiens à vous dire que mes collègues et moi-même avons énormément apprécié la possibilité qui nous a été donnée de comparaître devant vous pour discuter de ces questions. Si jamais nous pouvons encore vous être utiles de quelque manière que ce soit, si nos chercheurs peuvent apporter une contribution, vous pouvez vraiment compter sur nous.
    Merci beaucoup. Votre contribution nous a été très profitable.
    La séance est levée.
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