:
Monsieur le président, merci beaucoup. Je vais présenter un exposé, et le colonel MacDonald m'aidera à répondre aux questions à la fin des déclarations.
[Français]
Monsieur le président, je vous remercie de l'invitation faite à la Conférence des associations de la défense à parler de l'engagement militaire du Canada en Afghanistan.
[Traduction]
L'exposé de la CAD portera sur cinq sujets : les critères servant à évaluer l'efficacité de la mission de la FIAS, la force internationale, sujet sur lequel nous avons inclus un document dans le dossier que nous avons remis au comité; le concept d'opération de la FIAS; quelques mots sur l'évaluation du succès des opérations de la FIAS jusqu'à présent; quelques commentaires sur la relation entre les opérations de combat de la mission canadienne et les efforts de reconstruction; et, pour terminer, un commentaire sur l'état du personnel et de l'équipement des Forces canadiennes en Afghanistan.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, la CAD croit que la mission de la FIAS — et l'importante participation du Canada dans cette mission — est une entreprise louable que dirigent les Forces canadiennes avec le plus grand professionnalisme et qu'elle aura été efficace seulement lorsque la campagne de terreur menée par les talibans et leurs alliés extrémistes aura échoué; lorsque la sécurité aura été restaurée au point où les citoyens afghans ordinaires se sentiront libres et libérés de la peur; lorsque l'armée et la police afghanes pourront assurer la sécurité efficacement; lorsque l'économie de marché du pays commencera à prospérer; lorsque le contrôle du gouvernement afghan central s'étendra sur l'ensemble du pays; lorsque les droits de la personne seront respectés; lorsque d'importants programmes de développement de l'infrastructure auront été mis sur pied; et lorsque les éléments d'un système de gouvernement démocratique conçu en Afghanistan se seront répandus dans toutes les régions du pays.
Il est clair que l'atteinte de ces objectifs est une entreprise extrêmement complexe et difficile. Néanmoins, la CAD croit que l'absence d'un seul de ces critères ferait douter de la réussite finale de la mission de la FIAS.
[Français]
La Force internationale d'assistance à la sécurité en Afghanistan, la FIAS, a pour mission d'aider le gouvernement afghan et la communauté internationale à maintenir la sécurité dans sa zone d'opération. La FIAS aide le gouvernement afghan à étendre son autorité au reste du pays et à instaurer un environnement sûr, propice à la tenue d'élections libres et équitables, au respect de la primauté du droit et à la reconstruction du pays, et ce, avec le concours de l'armée afghane et de la police nationale.
Dès le début, la mission de la FIAS comprenait cinq phases. La première, qui était une phase d'évolution et de préparatifs incluant les opérations menées à Kaboul, est actuellement terminée. Le déploiement sur l'ensemble du territoire constitue la deuxième phase. Il faut préciser qu'en octobre 2003, le Conseil de sécurité de l'ONU autorisa le déploiement de l'OTAN au-delà des limites de la capitale afghane, Kaboul. En octobre 2004, l'OTAN se déploya dans les provinces du Nord et, en septembre 2005, dans les provinces de l'Ouest. Il est également à noter que le déploiement vers les provinces du Sud, incluant Kandahar, fut complété le 31 juillet 2006, il y a de cela à peine six semaines. La troisième phase des opérations, dans le cadre de laquelle opèrent et oeuvrent actuellement les Forces canadiennes, est une phase de stabilisation. Les deux dernières phases, la quatrième et la cinquième, sont des phases de transition et de redéploiement.
Les Forces canadiennes sont déployées depuis peu dans la province de Kandahar, ce qui constitue le début de la troisième phase, celle de la stabilisation. En revanche, la FIAS est dans les secteurs du Nord et de l'Ouest depuis beaucoup plus longtemps que dans la province de Kandahar, et on y a atteint un niveau de stabilisation relativement élevé. Cela justifie un certain degré d'optimisme.
[Traduction]
Le rapport de l'enquête sur la production d'opium en Afghanistan en date du 12 septembre 2006, que l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime publie chaque année, est la source la plus fiable au monde sur le commerce de l'opium et de l'héroïne en Afghanistan; en outre, il s'agit d'une source indépendante et empiriquement vérifiable par laquelle on peut mesurer les progrès et la réussite des opérations de la FIAS. Elle comporte également de solides indices quant aux changements qui s'opèrent dans la production de l'opium et quant au niveau de sécurité, ce qui témoigne en retour du niveau de réussite, sur une échelle régionale, des opérations de stabilisation de la FIAS. Le rapport montre que la plupart des provinces et des districts du nord et de l'ouest sont à faible risque sur le plan de la sécurité, tandis que le sud, où la FIAS est en place depuis seulement six semaines, comporte une proportion beaucoup plus grande de provinces et de districts à risque élevé ou extrême.
Le changement observé entre 2005 et 2006 dans la superficie totale des cultures de pavot est une autre mesure que l'on trouve dans le rapport de l'ONUDC. Bien que les limites géographiques des diverses régions utilisées dans le rapport ne correspondent pas exactement aux limites régionales de la FIAS, elles sont suffisamment rapprochées pour permettre de tirer des conclusions significatives. Nous constatons que dans le nord, la superficie cultivée a chuté de 20 p. 100 sur une base annuelle, tandis que dans le sud, elle a fait un bond alarmant de 121 p. 100 bien que, chose intéressante, elle ait régressé de 3 p. 100 dans la province de Kandahar, qui relève de la responsabilité des Canadiens.
[Français]
Si nous nous fions aux deux indices signalés dans le récent rapport de l'ONU sur l'opium en Afghanistan, le pourcentage du territoire servant à la culture du pavot et le niveau de sécurité dans chacune des provinces, force est de constater que les opérations de la FIAS dans les secteurs du Nord et de l'Ouest ont connu un certain succès. Nous croyons raisonnable d'en espérer autant dans le secteur du Sud.
[Traduction]
Le gouvernement afghan est aux prises avec un grave problème, soit l'écart énorme entre ses sources de revenu et celles dont disposent les narco-trafiquants.
Le rapport sommaire de l'ONUDC sur les tendances liées à l'opium en Afghanistan de 2005 montre que la valeur totale des exportations d'opium vers les pays voisins s'est chiffrée à 2,7 milliards de dollars. De cette somme, les agriculteurs ont reçu 560 millions de dollars, tandis que les narco-trafiquants ont conservé 2,14 milliards de dollars, environ 80 p. 100 de la valeur totale des exportations. Puisque le PIB de l'Afghanistan était de 5,2 milliards de dollars cette année-là, les exportations d'opium correspondaient à environ 52 p. 100 du PIB.
À l'opposé se trouve la base de revenu du gouvernement afghan. Les principaux indices des pays en développement de l'Asie et du Pacifique pour 2004, utilisés par la Banque asiatique de développement, montrent que le revenu total du gouvernement afghan de cette année-là s'élevait à 652 millions de dollars, soit environ 5,2 p. 100 du PIB.
En 2005, la production d'opium dans la région du sud constituait 43 p. 100 de la production afghane totale et aurait rapporté aux narco-trafiquants du sud un revenu annuel de quelque 900 millions de dollars. En 2006, l'ONUDC signale que 61 p. 100 de la production totale viendra du sud. Si les prix à l'exportation restent les mêmes, ce sont environ 1,9 milliard de dollars qui se retrouveront dans les mains des narco-trafiquants.
Selon nous, il est évident que l'immense écart entre les ressources financières des narco-trafiquants et celles du gouvernement national afghan assurerait la défaite totale des forces du gouvernement national afghan dans le sud.
Si la FIAS devait se retirer, le pays replongerait rapidement dans une guerre civile qui, au mieux, entraînerait un déclin du contrôle des seigneurs de la guerre dans les régions et, au pire, permettrait l'arrivée au pouvoir d'une structure néo-talibane financée par les narco-trafiquants. L'Afghanistan serait passé d'une narco-économie à un narco-État. Ceux qui recommandent que nous pliions bagage doivent comprendre qu'ils favorisent le retour d'un régime terroriste taliban-al-Qaïda au lieu de la naissance, certes difficile, d'une démocratie fragile.
[Français]
La reconstruction de l'Afghanistan ne peut se poursuivre sans que paix et sécurité ne règnent sur le territoire, permettant alors aux agences d'aide et de développement du Canada, des autres pays de l'OTAN et de nombreux pays à travers le monde de s'engager fermement à réparer ou remplacer les éléments d'infrastructures nécessaires à la floraison d'une économie de marché. Or, depuis le début de l'engagement des Forces canadiennes en Afghanistan et compte tenu de la nature changeante des opérations militaires contre les talibans et leurs alliés, la Conférence des associations de la défense reconnaît et admire le professionnalisme des militaires canadiens et de leurs commandants à adapter leurs méthodes et à modifier leur inventaire de matériel militaire selon les besoins du moment. Ceci permet aux militaires canadiens d'atteindre les nombreux objectifs de leur mission, la réussite de laquelle est une condition sine qua non de la reconstruction de l'Afghanistan.
[Traduction]
Il faut se rappeler, toutefois, que la situation des Forces canadiennes en Afghanistan et leur capacité d'accomplir la mission qui leur est confiée au sein de la FIAS doivent être considérées dans le contexte plus vaste des autres obligations internationales du Canada, et de ses obligations nord-américaines, tant au pays qu'ailleurs sur le continent, obligations qu'elles doivent pouvoir remplir.
C'est pourquoi la CAD continue d'encourager tous les décideurs à reconnaître que nous vivons aujourd'hui dans un monde incertain, où la préparation à la défense et à la sécurité, visant à offrir un environnement sûr aux citoyens, constitue la plus importante responsabilité du gouvernement.
Il est donc essentiel que le gouvernement continue de respecter ses obligations envers les hommes et les femmes des Forces canadiennes en leur assurant un effectif suffisant et dûment formé ainsi que l'équipement dont ils ont besoin pour poursuivre et mener à bien les missions qui leur sont confiées.
En conséquence, la CAD considère que l'ajout récent, à la mission de la FIAS, d'un escadron de chars, d'une compagnie d'infanterie, de spécialistes du génie de combat et d'autres éléments est une réponse prudente et louable aux besoins de la mission qu'a formulés le commandant responsable des opérations, qui évalue constamment la situation changeante de son secteur.
Pareilles décisions permettront d'améliorer sensiblement la capacité du Canada de remplir son mandat actuel en Afghanistan.
[Français]
Dans la même veine et pour les mêmes motifs, la CAD se réjouit de l'intention du gouvernement du Canada d'entreprendre de façon significative la recapitalisation des éléments de matériel militaire dédiés au transport stratégique étatique sous la forme de nouveaux aéronefs et de navires.
En conclusion, monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de votre gentille attention. Le colonel à la retraite Brian MacDonald, analyste à la CAD, et moi-même nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Merci, monsieur le président.
:
Monsieur le président, pour répondre à cette question, ce sont entre quatre et quinze chars de combat principaux qui ont été ajoutés à la force. Concernant les tactiques, l'armée enseigne depuis des années, à la lumière de sa vaste expérience, que vous devez avoir une équipe de combat interarmes, réunissant l'infanterie, l'artillerie et les blindés. L'interaction entre ces trois composantes est essentielle au succès de toute bataille tactique parce que chacune apporte des caractéristiques particulières au champ de bataille.
Si vous tentez de vous engager dans des opérations conventionnelles, par exemple en attaquant une position fixe enfouie, le processus sera très long si vous utilisez seulement l'artillerie et l'infanterie, en particulier au point d'attaque. En pareil cas, l'infanterie, qui s'approche de l'objectif, est appuyée par l'artillerie, qui fait feu sur l'objectif, empêchant ainsi les soldats de l'autre côté de tirer directement sur l'infanterie.
À un moment donné, l'infanterie sera si près de l'artillerie que celle-ci doit arrêter ses tirs, parce que les fragments qui s'en dégagent menacent alors la vie de nos fantassins. À ce moment-là, à une distance d'environ 300 mètres, l'ennemi peut sortir de ses tranchés et tirer directement sur notre infanterie. C'est alors que l'infanterie subit la plupart de ses pertes.
Pour éviter cela, les chars de combat principaux avancent avec l'infanterie, équipés de mitrailleuses et de leur armement principal, pour fournir l'appui-feu rapproché lorsque l'artillerie doit se retirer et pour continuer de supprimer le tir défensif de l'ennemi afin de permettre à notre infanterie d'atteindre l'objectif.
Récemment, les forces néo-talibanes ont changé leur tactique en adoptant des positions fixes enfouies alors qu'elles procédaient auparavant par raids éclairs. Le commandant, le général Fraser, a donc jugé que si les néo-talibans adoptaient cette tactique à l'avenir, il lui fallait des chars de combat principaux pour faire face à la situation.
J'aimerais faire remarquer également qu'en plus de cet escadron de chars, les troupes additionnelles fournies au général Fraser comprennent un certain nombre de membres du génie, en particulier des officiers d'expérience qui peuvent effectuer des tâches de génie de combat, mais aussi superviser des travaux de construction. Ces officiers serviront d'agents de projet et s'occuperont des petits projets de développement et de reconstruction mis en branle, puisque les gens du pays ont indiqué qu'ils en avaient besoin. L'arrivée de ces officiers du génie et le financement supplémentaire versé par l'ACDI, par l'intermédiaire de l'équipe provinciale de reconstruction, leur permettent de s'occuper de petits projets de reconstruction; il peut s'agir de la construction de puits, du nettoyage des fossés d'irrigation, de la réparation de routes, etc. En outre, quelques véhicules blindés du génie ont aussi été déployés. Ce sont des véhicules chenillés comportant une lame de bouteur sur le devant et un bras qui ressemble beaucoup à celui d'une rétrocaveuse ordinaire, ce qui permet d'effectuer ce genre de travaux.
Ce déploiement supplémentaire comporte une composante destinée à améliorer l'équilibre tactique des Forces canadiennes sous le commandement du général Fraser; une compagnie additionnelle pour renforcer la sécurité des équipes provinciales civiles-militaires de reconstruction; et des officiers du génie capables d'entreprendre et de superviser ces projets de reconstruction, y compris d'engager de la main-d'oeuvre locale qui participera à ces projets.
Je tiens à souligner qu'il s'agit d'un ensemble supplémentaire de ressources, certains éléments étant affectés aux scénarios de combat tandis que d'autres sont affectés à des scénarios concrets de développement à petite échelle.
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L'un des problèmes que nous avons dans le débat public sur ce que nous faisons en Afghanistan vient de la distinction artificielle entre les opérations de combat et l'aide au développement et le lien qui existe entre les deux.
Sur le terrain, l'ennemi — et ce ne sont pas seulement les talibans, il y a un certain nombre d'ennemis qui travaillent ensemble — utilise diverses techniques pour atteindre ses objectifs. Je pourrais les énumérer, mais vous les connaissez déjà: attentats suicides, mobilisation politique et intimidation politique — ce que nous appelons des opérations de guérilla. Il utilise une quantité de techniques, pas seulement une.
Un outil différent doit être utilisé pour composer avec chacune de ces techniques. Il n'est pas utile de privilégier un outil au détriment d'un autre à un moment particulier. Vous devez avoir une quantité de techniques à votre disposition, et nous les avons. Dans ce cas-ci, nous avons simplement décidé d'en ajouter quelques-unes. Les techniques que nous avons dans le théâtre sont très bonnes. L'ennemi a eu de la difficulté à essayer de percer notre système. Toutefois, personnellement, je ne considère pas que l'ajout d'une puissance de feu nuise à une « campagne visant à gagner les coeurs et les esprits », pour utiliser une expression de l'époque du Vietnam. Je n'utiliserais pas ce terme. J'hésiterais même à parler d'une campagne de reconstruction.
Puis nous devons comprendre ce qui se passe dans la tête des parties concernées sur le terrain, et nous avons des problèmes de paramètre dans ce domaine.
Alors, la simple présence de certaines pièces d'équipement de tir ou autre sur le terrain n'aura pas nécessairement un effet négatif sur nos autres efforts. Nous avons affaire à une société qui est en guerre depuis 1979. Elle est habituée à certains niveaux de violence. Elle est habituée à la présence d'équipement. Elle est même habituée à compter des morts civils. Encore une fois, la présence de cette force particulière ne nuira pas nécessairement à ce que nous essayons d'accomplir à l'égard de la population. En fait, ce pourrait être le contraire. Si nous n'employons pas nos forces efficacement, nous pourrions en fait perdre le respect de certaines parties de la population.
Je vous demande donc de garder ces choses à l'esprit lorsque vous examinez les enjeux que comporte l'Afghanistan et de ne pas cibler une pièce d'équipement en particulier, parce qu'elle fait partie d'un ensemble.
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Monsieur le président, je mentionne souvent que la guerre du Vietnam a été perdue non pas au Vietnam mais aux États-Unis, à cause de la perception que les gens avaient de ce qui se passait là-bas.
Actuellement, les Canadiens et les Québécois ont la perception qu'il s'agit d'une mission axée à 95 p. 100 sur la chasse aux talibans plutôt que sur la sécurité. Ils sont d'accord pour que l'on fasse la chasse aux talibans, mais pas exclusivement.
Il faut également se mettre dans la peau des Afghans. Comme vous êtes historien militaire, vous savez qu'il s'agit d'un peuple qui a toujours résisté aux envahisseurs. Par là, je ne veux pas dire que les pays de l'OTAN sont des envahisseurs. Au contraire, je pense que ce sont des libérateurs. Toutefois, le danger, en Afghanistan, est que les Afghans considèrent qu'il ne s'agit plus d'une armée de libération mais d'occupation. En effet, ils n'ont pas constaté d'amélioration dans leur vie quotidienne depuis que les Forces armées sont arrivées.
Pour ma part, j'éprouve un certain problème face à cette mission. Je me rappelle qu'au mois de juin, lorsque nous avions entrepris un débat à la Chambre des communes, le discours de presque tous les partis politiques était axé sur l'importance de la reconstruction: bâtir des hôpitaux, rétablir les infrastructures, construire des écoles.
Aujourd'hui, les Canadiens et les Québécois ont l'impression que ce n'est pas ce qu'on fait. D'ailleurs, vous décrivez très bien les instruments militaires en votre possession. De plus en plus de gens, dont moi-même, ont des doutes sur le fait qu'on parviendra à établir une démocratie et reconstruire un pays uniquement en se servant des armes.
J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet. Je pense que ce que j'affirme est le reflet de ce que pensent beaucoup de Québécois dans nos circonscriptions respectives. Certaines personnes disent qu'il faut un retrait, d'autres disent qu'il faut rester sur place. Toutefois, nous ne gagnerons pas le coeur et l'esprit de la population en tuant le plus de talibans possible et en les poursuivant jusqu'au Pakistan s'il le faut. Je pense que cela exige autre chose et je ne suis pas certain qu'on en est rendu à cette étape.
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Je commencerai par parler des origines des talibans. Je serai bref, mais, essentiellement, les talibans plongent leurs racines dans la classe marchande de Quetta, qui se souciait des voies commerciales menant de Quetta à Spin Boldak et à Kandahar. En même temps, l'Afghanistan était prise dans ce que nous appelons une guerre civile ou la guerre des commandants, de sorte que ce sont essentiellement les seigneurs de la guerre qui y régnaient.
Les services de renseignements pakistanais et les forces armées pakistanaises sont ensuite venus s'ajouter aux talibans et, essentiellement, sont devenus l'instrument dont se sert le Pakistan pour exercer sa domination en Afghanistan, dans une situation jugée chaotique. Puis il y a l'élément d'islamisme radical qui s'insère dans tout cela.
Quand ils ont réussi à prendre le contrôle d'une partie de l'Afghanistan- -n'oubliez pas, la résistance provenait surtout des populations de Tadjiks, de Hazaras et d'Ouzbeks, et les talibans sont d'abord et avant tout des Pachtouns, qui comptent pour 38 p. 100 de la population -- , c'est essentiellement par l'épée qu'ils ont pris le contrôle de grands segments de l'Afghanistan. À ce moment-là, ils ont invité Al Qaïda à aménager une série de secteurs, et cette organisation a parasité les talibans.
En 2001, l'Opération Enduring Freedom fait tomber le bouclier taliban, si bien que nous sommes en mesure de nous attaquer directement à Al Qaïda. Les talibans en tant qu'institution se dispersent et prennent la fuite vers le sud, et Al Qaïda a tendance à fuir vers l'est, puis à gagner le Pakistan.
Qui sont les talibans? Essentiellement, il en existe différents types. Premièrement, il y a les purs et durs de la période en question qui sont revenus se fondre dans leurs villages ou leurs villes, dans le Sud. Ils peuvent avoir été des combattants. Il y a aussi une sorte de caste dirigeante, qui a décampé du Pakistan. Ses membres proviennent surtout de Quetta et du Baloujistan. Par-dessus cela, il y a les djihadistes purs et durs. Ils entrent en Afghanistan grâce aux faveurs des cellules talibanes. Habituellement, ils sont entraînés par Al Qaïda ou une organisation affiliée. Ils peuvent être Tchétchènes, ils peuvent être des Panjabis, ou encore des Canadiens. Il y a toutes sortes de gens dont l'entrée au pays est facilitée et qui sont chargés de missions particulières. Puis les talibans possèdent une sorte de milice. Ils essaient de se faire du capital auprès des adolescents en leur proposant des armes, des motocyclettes et de l'argent, pour leur demander de se rallier à eux. Il y a donc ces différentes couches.
En ce moment, le débat porte sur ce qu'ils veulent au juste. Nous ne pouvons que déduire ce qu'ils veulent d'après leurs actions. D'après ce que nous pouvons voir, ils s'intéressent à la partie sud de l'Afghanistan. Ils ne semblent pas s'intéresser aux régions non-pachtounes de l'Afghanistan en ce moment; ce sera peut-être le cas plus tard, mais il est très évident à mes yeux qu'ils essaient de créer une sorte d'enclave. Ils essaient de nous sortir de la partie sud et de créer ce que j'appellerais pour rire le Pachtounistan, sous une sorte de structure de califat islamiste, de créer cette enclave que ne pourrait attaquer la communauté internationale.
Cela sert un certain nombre de fins. Les talibans ont pour but d'acquérir une forme de contrôle ou de domination sur les groupements tribaux dans le Sud, de part et d'autre de la frontière. Cela sert à Al Qaïda, car c'est une défaite psychologique pour l'Occident.
Le fait que nous soyons présents en Afghanistan et que nous ayons expulsé les talibans et Al Qaïda du pays au cours des premiers stades de la guerre représente notre première victoire sur le mouvement Al Qaïda, à l'échelle mondiale. C'est énorme, et vous pouvez le constater en lisant la documentation d'Al Qaïda. On y pleure la perte de l'Afghanistan. Qu'il soit question d'ennemis différents et d'objectifs différents, c'est tout de même dans le même sens.
Si nous devons donc cibler ces populations, nous voulons le faire au moyen de différentes ressources. Nous allons peut-être pouvoir convaincre le garçon qui s'est vu offrir un AK-47 et une moto de délaisser ce mode de vie particulier. Nous n'allons pas pouvoir convaincre les djihadistes; nous allons devoir les tuer. Nous allons devoir tuer aussi la caste dirigeante. C'est de cette façon que je vois les choses en ce moment. Je ne dis pas que c'est la seule façon de voir les choses, mais, vu les informations dont nous disposons en ce moment, c'est la meilleure façon d'appréhender les objectifs des insurgés. Ils semblent confinés dans le secteur sud en ce moment, mais ils voudront peut-être étendre leur territoire plus tard.
J'espère avoir bien répondu à votre question.
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Bien entendu, le débat sur les ressources fournies par les pays membres de l'OTAN en Afghanistan est toujours actuel. Nous admettons que les pays ne se sont pas bousculés aux portes pour proposer plus de matériel et d'autres soldats.
Je devrais souligner que si nous retraçons l'historique de l'OTAN depuis sa naissance en 1951, nous ne serons pas étonnés de constater qu'il y a aujourd'hui une crise en réaction à ce à quoi les gens s'attendent de la part des pays membres. Si vous voulez mon avis, les crises émaillent l'histoire de l'OTAN depuis les tout débuts et, fait intéressant, l'alliance est parvenue à traverser des périodes très difficiles -- pendant la guerre froide et depuis lors avec les modifications apportées à son mandat -- , à survivre, et plutôt bien. En ex-Yougoslavie, pour la première fois de son histoire, elle a entrepris des opérations offensives, ce qu'elle continue de faire aujourd'hui en Afghanistan.
Oui, nous admettons que la réaction est lente. À ma connaissance, la seule manifestation jusqu'à maintenant est l'annonce de la Pologne, qui propose d'ajouter à sa contribution, et on ne saurait qu'espérer que, à la suite de la série de réunions ministérielles à venir, d'autres encore se manifesteront.
Je devrais souligner que, malgré le nombre accru de pays membres de l'OTAN, certains des nouveaux ne se trouvent pas forcément dans une situation idéale pour prêter assistance au genre d'opérations qui se déroulent en Afghanistan. Bien entendu, si vous voulez invoquer le cas contraire, il y a la contribution à la fois réjouissante et incroyable de la Roumanie, très petit pays, faut-il le dire, et du point de vue de la capacité militaire... nous nous réjouissons au plus haut point de sa présence. Tout de même, je crois que nous sommes probablement un peu plus déçus, au Canada, de la réaction des membres de l'alliance. Je ne peux que répéter ce que j'ai dit il y a un instant: les difficultés du genre qui touchent l'alliance en ce moment sont presque une caractéristique type des discussions qui ont eu lieu, et ces discussions vont se poursuivre, sans aucun doute, l'idée étant expressément d'inciter ceux qui n'ont pas encore réagi à accroître leur contribution.
Je signalerais aussi que la plus grande proportion -- la majorité même -- des pays membres de l'OTAN apportent une contribution sous une forme ou une autre. À l'inverse, pourrait-on dire, c'est un très faible nombre de pays membres qui s'occupent de la plupart des tâches lourdes. Je dirais presque que c'est à notre tour, car au fil des ans, pendant la guerre froide, certes, où nous avons présenté au début une très bonne contribution pour la réduire sensiblement par la suite, ce sont d'autres qui ont pris en charge les tâches lourdes. Non seulement c'est à notre tour de le faire, mais, certes, à mon avis, les gens admettront assez rapidement que pour que cette mission de l'OTAN porte fruit -- et je suis sûr que c'est ce à quoi s'attend l'alliance -- , d'autres se manifesteront.
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La première fois où j'ai entendu parler de mise en garde, c'était en rapport avec la FIAS à Kaboul. Je sais que le concept existait auparavant, et particulièrement au Kosovo, et probablement sous forme de prototype dans le cas de la SFOR. Tout de même, la première fois où j'ai vraiment entendu parler de ça et des restrictions imposées à divers contingents nationaux, c'était dans le cas de la FIAS, à l'époque où j'y étais, en 2004, et c'était tout un problème. Cela traduit le contrôle qu'exercent les pays sur leur force nationale, ce qui est tout à fait légitime, étant donné la nature de l'alliance. Il appartenait alors au commandement de la force d'appliquer ses ressources, compte tenu des limites existant à ce moment-là. Cela a été à l'origine de plusieurs problèmes.
Si je comprends bien, une fois que nous avons cédé la responsabilité de l'opération Enduring Freedom à la FIAS dans le Sud, ce n'était plus tout à fait le cas. Les pays qui ne veulent pas s'engager là sont engagés ailleurs, particulièrement avec le RC Ouest de Herat et le RC Nord. Les gens qui veulent pouvoir apporter une contribution solide à l'exercice se dirigeront vers le sud.
Cela devient une affaire de diplomatie, d'une part, et de motivation des troupes, d'autre part, dans les divers pays en question. Sans avoir accès à l'information, je me dis qu'il serait intéressant de voir, du point de vue des divers membres de l'OTAN, comment on a évalué le degré de motivation des diverses forces dans le contexte, ou dans n'importe quel contexte. De fait, si vous procédez à une analyse historique, vous constaterez que les tâches lourdes en question ont été l'affaire des pays ABCA, puis, habituellement, des Pays-Bas. C'est donc les État-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, et les Pays-Bas; et, parfois, l'Allemagne.
Vous constaterez que le groupe ABCA et la Nouvelle-Zélande sont toujours là. Vous pouvez les retrouver dans presque chacune des opérations. Je crois avoir fait un article là-dessus à un moment donné. Puis, il y en a qui se manifestent, et d'autres, pas. Je suis obligé de me dire que c'est comme ça. Ce sont ces éléments qui vont constituer le coeur de toute force appelée à intervenir. Il en va de même de toutes sortes d'autres éléments qui s'y rattachent.
Avant de conclure, permettez-moi de vous dire que c'est un grand inconvénient pour le président que de ne pouvoir participer à la discussion. Au moins, il a le privilège de pouvoir ajouter ses commentaires à la fin.
J'aimerais poser une question brièvement. Monsieur Maloney, vous avez dit, et je vous cite, que les Canadiens voulaient que cela fonctionne, et tout de suite. Je regrette de ne pas partager votre avis sur ce point. Je crois que les Canadiens ont le sens des réalités, pour commencer, et qu'ils sont intelligents. Lorsque nos troupes s'engagent dans un théâtre comme celui-ci ou une mission semblable, ou encore dans un conflit de ce type, les gens veulent des faits et non des ouï-dire. Il se pourrait que les médias, parfois, ne donnent pas une image fidèle de la situation.
Autant que je me souvienne, je ne crois pas qu'il y ait jamais eu de mission, de conflit ou quelqu'autre engagement militaire où une nation, ou même l'OTAN, ait dit précisément quand cela commencerait et se terminerait. Si quelqu'un peut me dire qu'il y a eu... Même si on envoyait 300 soldats au combat, ceux-ci ne sauraient pas quand ils commenceraient ni quand ils partiraient. Ce sont des conflits qui sont en train de se produire, aujourd'hui.
Voici ce qui sème la confusion: vous faites référence aux trois missions dans lesquelles les militaires canadiens se sont engagés. Vous avez parlé de Chypre, de la Bosnie et de l'Afghanistan. La mission à Chypre était totalement différente — si vous n'êtes pas d'accord, dites-le moi. En Bosnie, c'était aussi une mission très différente comparée à l'Afghanistan. Aujourd'hui, nous parlons d'une mission dans laquelle l'OTAN a une obligation à respecter. Par le passé, lorsque nous nous engagions dans des missions sous la bannière de l'OTAN, il y avait toujours un plan; les choses ne se décidaient pas du jour au lendemain ou d'une semaine à l'autre.
Voici donc ma question. Nous avons envoyé des hommes et des femmes en mission en Afghanistan. Nous savions, parce que nous étions à Bruxelles avec ce comité il y a quelque temps et que avons parlé avec nos représentants sur place... Lorsque le gouvernement canadien a décidé de s'engager dans cette mission, il est certain que l'OTAN avait un plan pour deux ans. J'aimerais que vous me donniez des précisions à ce sujet car je voudrais savoir ce qui se passe. Dans les missions précédentes, nous devions remplir une obligation dans le cadre de l'OTAN, disons pendant une année ou deux, puis les autres membres de l'OTAN prenaient la relève et ainsi de suite. N'est-ce pas ce qui devrait se produire dans ce cas-ci, ou est-ce que le mandat de l'OTAN a changé?