Mesdames et messieurs, la 22e réunion du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie est ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous continuons d’étudier les défis que doit relever le secteur manufacturier canadien. Nous accueillons aujourd’hui quatre représentants syndicaux qui sont d’un peu partout au Canada.
Nous accueillons tout d’abord Mme Lina Aristeo, directrice régionale, région du Québec, de UNITE HERE Canada. Bienvenue madame Aristeo.
Nous comptons aussi parmi nous M. François Vaudreuil, président de la Centrale des syndicats du Québec. Bonjour monsieur Vaudreuil.
M. Jorge Garcia-Orgales est chercheur pour le compte des Métallurgistes Unis d’Amérique. Bonjour monsieur Garcia-Orgales.
Finalement, nous avons M. Ken Georgetti, président du Congrès du travail du Canada. Bienvenue monsieur Georgetti.
Bienvenue et merci d’être parmi nous aujourd’hui.
Chacun d’entre vous dispose d’une période maximum de dix minutes pour faire une déclaration préliminaire. Il n’y a pas de durée minimum, mais nous espérons que vous serez aussi brefs que possible pour accorder le maximum de temps aux questions des membres. Nous procéderons dans l’ordre des présentations.
Je cède la parole à Mme Aristeo. Vous disposez de dix minutes.
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Bonjour à vous tous. Je vous remercie de me permettre de m’adresser à vous aujourd’hui.
Même si je suis convaincue que certains d’entre vous aborderont la crise générale qui sévit dans le secteur manufacturier — j’emploie le mot « crise » parce qu’il s’agit bel et bien d’une crise — les pertes d’emplois et la fermeture d’usines partout au pays, j’aimerais profiter de l’occasion pour parler brièvement de celle qui frappe l’industrie du vêtement au Canada.
L’industrie du vêtement est la dixième en importance au Canada, et elle occupe un rang supérieur au Québec.
Permettez-moi de décrire brièvement UNITE HERE Canada: UNITE HERE Canada est un syndicat qui regroupe 50 000 membres, dont 10 000 au Québec. Bien que je me porte à la défense des intérêts de l’industrie du vêtement à l’échelle nationale, il faut savoir que la situation est particulièrement grave au Québec, étant donné que 55 p. 100 des emplois s’y trouvent.
Notre syndicat est né de plusieurs fusions. En 1995, l’ancienne International Ladies' Garment Workers' Union et l’Amalgamated Clothing and Textile Workers Union sont devenues UNITE, laquelle a fusionné à son tour avec l’Hotel Employees and Restaurant Employees Union en 2004, pour former UNITE HERE.
Notre organisation s’est transformée pour répondre aux besoins des membres qu’elle représente, soit les travailleuses et travailleurs du vêtement et du textile ainsi que ceux de l’hôtellerie et de la restauration.
Que se passe-t-il dans l’industrie du vêtement?
Je suis certaine que vous rencontrerez nombre de personnes qui représentent également l’industrie. J’aimerais plutôt vous présenter un point négligé, soit l’aspect humain de l’industrie et les gens qu’elle représente.
L’industrie se trouve principalement à Montréal, et elle emploie une main-d’œuvre surtout immigrante, surtout des femmes, et surtout des femmes âgées.
Prenons l’exemple de Lucia Sousa, immigrante portugaise installée à Montréal depuis plus de 30 ans. Environ un an après son arrivée au pays, elle a commencé à travailler chez Cardinal Clothes. Lucia y travaille depuis, mais elle perdra son emploi le 27, lorsque l’entreprise fermera ses portes. Cardinal fabrique des vestes et des paletots pour hommes.
Prenons également Carlos Costa, immigrant chilien qui a obtenu son premier emploi dans l’industrie du vêtement. Il a travaillé toute sa vie pour Jack Victor Ltd., mercerie pour hommes haut de gamme. Jack Victor est une entreprise prospère, et Carlos, sa femme, ses deux filles et son gendre y travaillent. On comprend bien que la fermeture du magasin serait une catastrophe pour la famille entière.
Quand on pense à l’industrie du vêtement, ce sont les tee-shirts, chaussettes, soutiens-gorge et sous-vêtements qui viennent d’abord à l’esprit. Mais l’industrie ne se limite pas à cela. Jetons un coup d’œil au reste de l’industrie.
Je ne veux pas que nos yeux se tournent vers le passé, mais vers l’avenir. Comment se porte l’industrie canadienne du vêtement actuellement et quelle sera la situation dans cinq, dix ou vingt ans?
Ce sont les complets sur mesure haute de gamme pour hommes. Nous avons la réputation d’être la troisième ville en importance en Amérique du Nord, devancée par New York et Los Angeles seulement, et je crois qu’il ne faut pas que nous perdions notre place. Nous fabriquons de grandes marques comme Tommy Hilfiger, Brooks Brothers, Nordstrum, Saks Fifth Avenue, Barneys New York, J. Crew, Paul Stuart et Harry Rosen. La liste n’a pas de fin.
Un certain nombre de célébrités portent des complets fabriqués au Canada, à Montréal plus particulièrement, comme David Letterman, Neil Armstrong et des commentateurs sportifs de la chaîne CBS. Certains refusent de porter des complets fabriqués dans des ateliers clandestins en raison de leur rôle au sein de la société et parce qu’ils font figures de modèles.
Pourquoi le Canada perdrait-il ce renom? On porte nos vêtements et il faut que cela continue. Si l’on ne porte pas nos produits, on portera alors des vêtements confectionnés aux États-Unis ou en Europe.
Cela m’amène à la raison de ma présence ici aujourd’hui. Les États-Unis et l’Union européenne sont les marchés concurrentiels de l’industrie canadienne du vêtement. Examinons les mesures qu’ils ont prises pour protéger leur industrie.
Les mesures de sauvegarde qu’ils ont instaurées sont des dispositions des accords de l’Organisation mondiale du commerce. Le mois dernier, les États-Unis, l’Union européenne, certains pays de l’Amérique du Sud et l’Afrique du Sud ont pris une mesure destinée à limiter l’importation de vêtements fabriqués en Chine, néanmoins importés au Canada. Pourquoi le gouvernement canadien hésite-t-il à emboîter le pas?
C’est pourquoi nous avons demandé au gouvernement, et que je demande au comité, d’examiner la possibilité d’adopter les mêmes mesures.
Je crois que la plupart d’entre vous savent de quoi il s’agit. En deux mots, la mesure permettrait de limiter la croissance des importations chinoises de vêtements. Si, par exemple, la croissance des importations se chiffre à 10 p. 100, ce serait alors 10 p. 100 plus 7,5 p. 100. Nous pourrions limiter la croissance de cette manière.
Ces mesures ne peuvent cependant s’appliquer que pendant trois ans. À cause de divers facteurs, nous avons perdu une année, mais il reste encore deux ans. Je n’adopte pas de point de vue protectionniste, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. D’autres pays pratiquant le libre-échange ont pris des mesures semblables.
Les entreprises du secteur ont besoin de cette mesure au cours des deux prochaines années. Je connais les vues d’entreprises de renom comme Jack Victor, Samuelsohn, Confection de Beauce. Même si elles fabriquent des produits différents, toutes désirent conserver les emplois ici et continuer d’exercer leurs activités. Elles ont besoin de ces garanties et les exigent. N’écoutons pas que les entreprises qui importent plus qu’elles produisent, mais aussi celles qui désirent assurer la viabilité de l’industrie au Canada. Elles ont besoin de ces mesures.
Pendant ces deux années, elles pourront élargir leur marché et se spécialiser. En effet, si l’industrie du vêtement continue d’exister au Canada, ce sera grâce aux entreprises et aux fabricants qui ont décidé d’occuper un créneau. Ceux qui se contenteront de tenir le coup le plus longtemps possible cesseront d’exister à court et à moyen terme.
C’est une première solution. Ce que nous demandons également, et je vais conclure là dessus, c’est qu’après deux ans, ou dans le cas de Lucia Sousa par exemple, qui a perdu son emploi et de bien d’autres travailleuses et travailleurs âgés, nous avons besoin d’un programme d’adaptation des travailleurs âgés, comme dans le passé. On a annoncé récemment un tel programme, mais celui-ci est totalement inefficace. Les fonds sont insuffisants, le programme exclut Montréal et le vêtement — et c’est dans ce secteur que se trouvent les emplois. Il faut un véritable programme d’adaptation pour aider ces travailleurs qui ont tous plus de 55 ans, ou près de 65 ans dans bien des cas, et leur permettre de prendre leur retraite avec dignité.
En dernier lieu, nous devrions promouvoir les vêtements confectionnés au Canada et disposer de programmes d’approvisionnement, le cas échéant. Il ne faut pas penser qu’aux tee-shirts et aux uniformes, mais aussi aux complets. La police de Montréal et la GRC portent des vêtements faits au Canada. Dans la mesure du possible, il faudrait en faire des commodités usuelles.
Finalement, et j’ai entendu ce commentaire de la part de plus d’une personne au sein de l’industrie, la vigueur du dollar canadien a considérablement réduit notre capacité de concurrencer étant donné que la vaste majorité de nos produits — je dirais plus de 80 p. 100 — vont aux États-Unis. Un assouplissement de la politique sur les taux d’intérêt afin de diminuer la pression à la hausse du dollar canadien serait très utile.
Permettez-moi de vous fournir une brève statistique concernant l’effet de la Chine sur l’industrie du vêtement: en ce qui concerne les complets pour hommes, on a observé, de 2004 à 2005, une augmentation de 134 p. 100 des importations chinoises, et une baisse de 1 p. 100 dans tous les autres pays du monde rassemblés.
On ne peut pas dire qu’il s’agit uniquement d’un problème commercial. Actuellement c’est un problème chinois. On peut endiguer le flot, et je crois qu’il faut prendre les mesures proposées.
Je vous remercie et suis prête à répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Je représente la Centrale des syndicats démocratiques, qui est une centrale syndicale du Québec composée de près de 70 000 membres, qui sont pour la plupart des PME et des entreprises du secteur manufacturier de toutes les régions du Québec. Le sujet traité aujourd'hui nous préoccupe grandement et nous sommes très heureux d'avoir été invités à comparaître devant ce comité.
Depuis l'adoption de la Zone de libre-échange des Amériques, en fait, de 1993 à 2000, le secteur manufacturier du Québec a créé 108 000 emplois. Ce secteur a atteint un sommet de 667 000 emplois en 2002. En 2006, quatre ans plus tard, le nombre d'emplois dans ce secteur a chuté à 488 000.
Évidemment, certains secteurs ont écopé plus que d'autres. Les secteurs exposés à la concurrence internationale, notamment celui du vêtement, ont davantage écopé. Il importe de se rappeler, quand on parle de pertes d'emplois dans le secteur manufacturier au Québec, que plus de 200 municipalités sont mono-industrielles. Par conséquent, la fermeture de l'usine dans ces municipalités a un impact négatif non seulement sur les travailleurs de l'entreprise, mais sur l'ensemble de la communauté.
La situation actuelle est très inquiétante. De plus, la crise que vit l'industrie québécoise de la fabrication du bois et de l'exploitation forestière affecte près de la moitié de ces villes mono-industrielles. La concurrence asiatique, la hausse du dollar et le ralentissement de l'économie américaine sont d'autres facteurs qui ont des répercussions considérables sur les emplois.
L'analyse globale du secteur manufacturier présente certains dangers, car les réalités sont nombreuses. C'est une question complexe et multidimensionnelle. Les problèmes diffèrent grandement d'un secteur d'activité à un autre.
Une grande entreprise qui emploie plusieurs milliers de travailleuses et de travailleurs vit une réalité différente de celle d'une petite ou moyenne entreprise qui compte de 15 à 20 salariés. De même, la situation géographique et la réalité démographique sont d'autres facteurs à prendre en compte dans notre analyse du secteur manufacturier.
Néanmoins, ce qui est sûr, c'est que le secteur manufacturier crée beaucoup d'emplois directs et indirects. Le coefficient d'emplois indirects de ce secteur est très élevé. Il faut donc tenir compte de ce secteur, d'autant plus que traditionnellement, il a toujours créé des emplois de qualité et bien rémunérés. J'emploie le mot « traditionnellement » parce que cette tendance semble vouloir changer.
Malgré les différentes caractéristiques que je viens d'exposer, nous tenterons tout de même aujourd'hui de vous apporter certaines pistes de solution qui nous semblent universelles. Je tire ces réalités d'une expérience qu'on a vécue au Québec. Plusieurs d'entre vous savez sûrement que le gouvernement Charest a organisé, à l'automne 2004, un Forum des générations, auquel il avait invité différents organismes de la société civile à participer.
Deux centrales syndicales du Québec avaient participé à ce forum: la CSD et la Fédération des travailleurs du Québec, la FTQ. Lors de ce Forum des générations, nous avons demandé la mise sur pied d'un comité de travail qui se pencherait sur l'avenir du secteur manufacturier, parce que nous étions inquiets de la situation.
Le comité a été créé et présidé par Gaétan Lussier. Les travaux de ce comité se sont échelonnés sur plusieurs mois. Un rapport a été produit, qui est un consensus des quatre centrales syndicales — la CSD, la CSN, la CSQ et la FTQ — et des organisations patronales du Québec. J'enverrai un exemplaire de ce rapport au secrétariat du comité. Ce rapport propose 70 pistes de mesures tant économiques que sociales et qui tiennent compte des compétences du Québec et d'Ottawa, afin de pouvoir soutenir le secteur manufacturier dans ses efforts.
J'aimerais vous parler de cette étude en abordant deux aspects. Tout d'abord, si on veut conserver des emplois de qualité dans le secteur manufacturier, il faut s'assurer que nos entreprises sont compétitives. Pour y parvenir, il faut y consacrer des efforts. Le problème, c'est qu'on dit beaucoup de choses sur la productivité; en fait, on dit n'importe quoi. Pourtant, il existe de la littérature universitaire à ce sujet, que ce soit celle émanant de l'Université Laval, du HEC ou d'ailleurs. M. Anthony Giles, qui est le directeur général des Affaires internationales et intergouvernementales du travail au ministère des Ressources humaines et du Développement social, a fait d'excellentes présentations sur la productivité.
Selon M. Giles, il existe trois principales façons d'augmenter la productivité. La première consiste à intensifier le travail, qui est la plus mauvaise solution. La deuxième est d'investir massivement dans la technologie; en effet, nos entreprises n'ont guère investi dans ce domaine au cours des dernières années. La troisième réside dans la réorganisation du travail; c'est celle qui donne les plus importants gains de productivité. Toutefois, la réorganisation du travail doit se faire en partenariat avec le syndicat et les salariés.
Premier constat: favoriser le plus possible la mise en place d'une gestion participative dans les milieux de travail et appuyer de telles innovations sociales pour permettre un véritable accroissement de la productivité.
Le deuxième élément que je voudrais aborder a trait à une étude menée par l'Université Laval. Cette étude a démontré que les entreprises les plus performantes sur les plans économique et social sont celles qui utilisent un modèle de gestion participative développé reposant sur le partenariat entre le syndicat et l'employeur, de même que sur la participation des salariés.
Ce modèle de gestion participative a besoin d'un coup de main pour être diffusé. De meilleures pratiques, notamment en matière de ressources humaines, sont nécessaires pour assurer la productivité des entreprises. Une PME qui emploie de 10 à 15 salariés, de même que la plupart des entreprises qui se développent, n'ont malheureusement pas les ressources nécessaires pour développer les meilleures pratiques de gestion des ressources humaines. Il faudra donc soutenir, au moyen de politiques, les efforts d'innovation en ce sens. Il faudra innover pour appuyer les entreprises.
Il faut aussi s'occuper de la question de la gouvernance des entreprises, plus particulièrement de l'abolition de la taxe sur le capital. Si vous décidez d'abolir cette taxe, il faudra exiger des chefs d'entreprise qu'ils investissent, en contrepartie, massivement dans leur entreprise. Autrement, tout le monde y perdra.
Dans la foulée du Forum des générations, la CSD et la FTQ se sont penchées sur la question de la retraite progressive et ont déposé un mémoire au gouvernement fédéral, qui se trouve maintenant au ministère des Finances. L'examen de ce mémoire est important, car un bon programme de retraite progressive, vu nos enjeux démographiques, permettrait aux gens de travailler en moyenne une, deux ou trois années de plus. Un tel programme revêt une certaine importance, dans un contexte de vieillissement de la population et de la main-d'oeuvre.
Nous devons également intensifier nos investissements en formation de la main-d'oeuvre, afin de développer une plus grande employabilité.
Je m'excuse d'avoir dépassé mon temps.
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Je vous remercie de cette occasion.
Je diviserai mon exposé en deux parties: d’une part, le contexte général, puis les défis que le syndicat a recensés dans le secteur manufacturier ainsi que des solutions et des idées sur la façon de les relever.
J’aimerais tout d’abord dire que j’abonde dans le même sens que Lina. Nous croyons que le secteur manufacturier traverse une crise. Il ne s’agit plus de quelques problèmes et défis. La crise affecte l’économie dans son ensemble de même que la vie d’un grand nombre de personnes. Depuis 2004, quelque 250 000 travailleurs ont perdu leur emploi dans le secteur. Durant la même période, 10 p. 100 de ces diminutions ont été observées en Ontario et 14 p. 100, au Québec. Ces chiffres sont alarmants lorsqu’on pense que le secteur manufacturier emploie environ deux millions de travailleurs au Canada.
L’association canadienne des fabricants indique que le syndicat n’y est pour rien. Elle ajoute que les salaires payés dans le secteur manufacturier sont 28 p. 100 plus élevés que le salaire moyen. Cela veut dire que non seulement nous perdons des emplois, mais que nous perdons de bons emplois qui rapportent de l’impôt et qui aident au développement des collectivités. L’association estime que chaque dollar investi dans le secteur crée un mouvement économique de 3 $. Cela signifie que nous perdons beaucoup d’argent à chaque fermeture d’usine; et pas seulement nous, les travailleurs de la collectivité, mais le pays entier également.
Comme on l’a dit, la crise récente a non seulement occasionné la perte d’emplois, mais elle affecte également l’économie en général. Pour la première fois au Canada, le PIB de l’Ontario, le cœur industriel du Canada, sera inférieur à celui du pays. Cela illustre clairement que les pertes du secteur manufacturier affectent l’économie canadienne.
Il y a ce que j’appellerais des mythes au sujet du secteur manufacturier. Certains se plaisent à dire que le secteur n’est plus viable pour des pays comme le Canada, que nous devons passer à la société du savoir et commencer à développer les nouvelles industries de haute technologie.
J’aimerais vous faire part de mon expérience personnelle. J’appelle le Canada mon pays ces jours-ci, mais j’ai grandi dans un autre pays. Mon accent m’a probablement déjà trahi. J’ai grandi en Argentine, pays qui a ressemblé au Canada pendant de très nombreuses années en matière de ressources naturelles, de courants d’immigration et de développement industriel.
Un important mouvement a pris naissance dans les années 70, durant lequel le régime militaire en place a pris forme et a fait les premiers pas vers la démocratie. La politique économique du pays ressemblait à la politique actuelle du Canada. Le gouvernement a décidé d’axer l’économie sur les ressources, plutôt que sur l’industrie.
Je ne m’attarderai pas à la nature de ces ressources, je suis certain que vous vous rappelez tous les événements de décembre 2001, les foules dans les rues et cinq présidents en moins d’un mois. On cherchait un emploi, et la stabilité. La population voulait retrouver le pays d’antan, mais celui-ci n’existait plus.
Je suis ici pour dire que si nous ne portons pas attention au secteur manufacturier au Canada, nous pourrions voir une réaction similaire, peut-être pas à l’échelle du pays, mais dans des régions où la population s’est habituée à des emplois stables et à de bons débouchés pour leurs enfants.
J’habite Toronto et je ne suis pas étonné d’observer une hausse de la violence dans les rues et la formation de gangs. Cela est entièrement attribuable à un manque de débouchés et d’espoir. Retenez ce mot, car nous nourrissons tous l’espoir d’améliorer notre sort et celui de notre famille.
Lorsqu’on élimine des emplois bien rémunérés et prometteurs, lorsqu’on assiste à la fermeture d’usines et qu’on se rend compte que ses enfants n’auront pas accès à ces bons emplois, lorsque chaque jour des collectivités comme celles du nord de l’Ontario deviennent des villes fantômes en raison de la fermeture d’usines de pâtes et papiers, cet espoir se dissipe et l’on voit l’apparition de troubles sociaux.
J’aimerais aborder brièvement ce que nous considérons comme les défis que doit relever le secteur manufacturier.
J’en ai cerné cinq: la valeur élevée du dollar canadien, les prix de l’énergie et les possibilités, l’absence d’une politique industrielle gouvernementale, les accords commerciaux et le manque de représentation des travailleurs au sein des collectivités. Et à l’instar de M. Vaudreuil, j’aimerais parler de perfectionnement et d’adaptation des travailleurs du secteur manufacturier.
En ce qui concerne le dollar canadien, il est inutile de vous dire que l’accroissement de sa valeur nuit au secteur manufacturier. Lorsque le dollar canadien prend de la valeur, les produits que le Canada vend à l’étranger augmentent, mais la hausse des prix ne se traduit pas par des bénéfices supplémentaires ou des débouchés pour les employeurs de ce secteur.
Actuellement, le dollar vaut environ 0,90 $, et les raisons sont nombreuses pour expliquer la situation, en particulier la faiblesse du dollar américain. Si nous sommes impuissants dans certains cas, nous pouvons certainement influer sur la valeur de notre monnaie, notamment grâce au taux d’intérêt fixé par la Banque du Canada. Celle-ci fixe les taux d’intérêt afin de lutter efficacement contre l’inflation, mais ces taux exercent des pressions à la hausse sur le dollar canadien et nuisent au secteur manufacturier.
Selon nous, la lutte que la Banque mène contre l’inflation n’est pas la bonne. Nous ne voyons pas d’inflation poindre à l’horizon et affecter l’économie du Canada, mais ce que nous voyons, ce sont les répercussions importantes sur le secteur manufacturier à cause de la valeur du dollar canadien. Nous estimons que le gouvernement canadien doit influer sur la Banque du Canada le plus possible pour sinon réduire le taux d’intérêt, au moins ne pas l’augmenter afin d’appuyer et d’assurer la viabilité et l’essor du secteur manufacturier au pays.
Deuxièmement, j’aimerais aborder la question de l’énergie. Les prix de l’énergie nuisent non seulement au secteur manufacturier, mais aussi aux nouvelles technologies. L’énergie recèle un énorme potentiel pour le secteur manufacturier. Nous croyons qu’une stratégie industrielle verte est la façon de procéder non seulement pour régler la crise énergétique et les prix de l’énergie, mais aussi pour favoriser l’essor du secteur manufacturier au Canada.
J’ignore si vous le savez, mais la production d’éoliennes en Allemagne est le secteur qui, immédiatement après la construction automobile, consomme le plus d’acier. Ce simple fait suffit à donner une idée de ce qu’une stratégie industrielle verte peut faire pour le secteur manufacturier au Canada. En Allemagne, la construction d’éoliennes consomme presque autant d’acier que la construction automobile.
La nouvelle politique du gouvernement fédéral nous déplaît beaucoup, et nous suggérons que les technologies énergétiques existantes et nouvelles soient considérées comme un débouché pour le secteur manufacturier.
Lina a déjà parlé du perfectionnement des compétences. Si vous avez des questions, j’y répondrai plus tard.
Je conclurai en parlant de la nécessité d’une stratégie industrielle. Nous estimons que les stratégies industrielles sectorielles représentent la voie à suivre, et ne croyons pas que les baisses d’impôt à elles seules favorisent l’économie. Pourquoi les baisses d’impôt ne serviraient-elles pas à la recherche et au développement ainsi qu’à l’investissement dans de nouvelles usines et du nouvel équipement, secteur par secteur? Mentionnons par exemple le partenariat canadien de l’automobile et le nouveau partenariat canadien de l’acier.
Je vais poursuivre en répondant à vos questions.
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Je vous remercie de m’avoir invité. Je crois qu’il est tout à fait indiqué qu’une affiche « Humanité d’abord » du NPD se trouve au-dessus de mon épaule gauche tandis que je livre mon exposé.
J’aimerais débuter en disant que je regarde la période des questions depuis quelque temps. C’est une bonne façon de savoir ce que les membres du Parlement considèrent comme les questions de l’heure. Pour vous dire franchement, cela me dégoûte. Les travailleurs doivent bien se demander ce que contient l’eau de la colline du Parlement ces jours-ci, et qui pourra le leur reprocher?
Moins d’un an après une campagne électorale où l’on ne parlait que d’améliorer la vie des travailleurs et des familles qu’ils soutiennent à l’aide de leur salaire, moins d’une semaine après que vous êtes revenus de vos comtés où vos électeurs vous ont fait part de leurs observations, la Chambre est plongée dans une querelle au sujet d’injures. La Tribune de la presse ne peut rapporter que des sentiments blessés, des insultes et des projets d’un parti qui n’a pas de siège aux communes. Les travailleurs méritent mieux. Il y a tellement de gens qui se soucient de leur emploi ou qui vont bientôt perdre le leur que je crois que les députés feraient mieux de ne pas tenir leur propre emploi pour acquis.
Le secteur manufacturier canadien traverse une crise majeure. Au cours des quatre dernières années, nous avons perdu un emploi sur sept, soit 15 p. 100 des deux millions d’emplois de l’industrie. Presque 300 000 sont disparus à jamais, et laissez-moi vous dire qu’il y aura bien d’autres mises à pied et fermetures d’usines.
Nous avons donc perdu 300 000 bons emplois, et nombre d’entre eux étaient des postes hautement spécialisés. Près de la moitié étaient des emplois syndiqués, et le salaire se situait autour de 21 $ l’heure. Ce type d’emploi permettait à leurs titulaires d’avoir un niveau de vie décent pour eux et leurs familles, et favorisait l’essor de collectivités dont nous sommes tous issus.
J’aimerais vous rappeler qu’il faut remonter à la période entre 1989 et 1992 pour voir des pertes d’emplois aussi nombreuses, tandis que l’économie était en pleine récession. Mais si l’on croit les banques, les groupes de réflexion de droite et les magiciens millionnaires du Conseil canadien des chefs d’entreprises, notre économie est vigoureuse.
Je suppose que si vous êtes capitaliste, que vous faites de l’argent en investissant ou en jouant avec l’argent des autres, il se peut que les choses tournent rondement actuellement. Mais si vous êtes salarié, il y a peu de chances que votre avenir soit aussi reluisant qu’il y a quelques années, parce qu’il y a pire encore.
Les emplois dans le secteur manufacturier sont la source d’emplois dans d’autres secteurs. Lorsqu’ils disparaissent, nous perdons de bons emplois dans des secteurs qui approvisionnent les entreprises manufacturières en entrants spécialisés — comme le transport et les services aux entreprises pour ne nommer que ces deux-là. Cela crée une réaction en chaîne qui affecte le reste de l’économie.
De nos jours, nous entendons beaucoup parler du besoin de bâtir une économie du savoir très productive et innovatrice. On a souvent l’impression que les bons emplois ne se trouvent plus dans les vieux secteurs de la fabrication. En fait, les deux tiers de la recherche et du développement au Canada sont réalisés par le secteur manufacturier.
Il est vrai que la croissance dans le secteur de l’énergie crée des emplois, et j’ajouterais que ce sont de bons emplois, surtout dans l’ouest du Canada. Mais en ce qui concerne les emplois directs, l’industrie pétrolière et gazière n’a remplacé qu’un emploi sur six dans le secteur manufacturier depuis 2002.
On entend aussi beaucoup parler du besoin d’améliorer le rendement et la productivité au Canada. Un des pires moyens d’y arriver consiste à remplacer les emplois de secteurs à forte productivité et à salaires élevés par d’autres de secteurs à faible productivité et à salaires peu élevés, mais c’est précisément ce qui se passe au pays de nos jours.
La proportion de tous les emplois occupés par des travailleurs adultes dont le salaire est inférieur au salaire du seuil de pauvreté de 10 $ l’heure a augmenté, et était d’un adulte sur huit en 2005. La plupart des travailleurs du secteur manufacturier qui perdent leur emploi subissent une baisse de salaire importante, et s’ils ont la chance de trouver un autre emploi, ils finissent par gagner beaucoup moins.
Le point à retenir, c’est qu’il faut maintenir et bâtir notre secteur manufacturier comme source majeure de bons emplois pour l’avenir. Au bout du compte, le Canada a besoin d’une stratégie de l’emploi à long terme. Il est essentiel que cette stratégie favorise la croissance d’un secteur manufacturier innovateur et hautement productif, capable d’offrir des emplois bien rémunérés et des conditions de travail décentes. C’est ce qu’ont fait d’autres pays — leur économie est vigoureuse, les collectivités sont prospères et les citoyens récoltent les bénéfices.
Dans le monde actuel, le Canada doit être un fournisseur de produits et de services qu’il peut commercialiser parce qu’ils sont inédits ou de grande qualité. Pour cela, il faut investir dans la recherche et le développement, le perfectionnement des compétences ainsi que la construction de nouvelles usines et l’acquisition de matériel et d’équipement de pointe. Pour cela, il faut un plan, un programme. Et soyons franc, une grande partie du secteur manufacturier tel qu’il existe n’est pas à la hauteur du défi.
Il faut malheureusement ajouter le mantra incessant de l’élite du secteur privé, que répètent la plupart des politiciens, selon lequel les accords de libre-échange, les faibles taux d’imposition des sociétés et une taxe sur le niveau de vie des travailleurs accroîtront la compétitivité du pays à l’échelle internationale. Je me suis fait rabattre les oreilles avec ce type de discours durant toute ma vie de travailleur. Il est clair que cette stratégie a échoué. Les accords de libre-échange calqués sur l’accord canado-américain ont causé des pertes d’emplois, des déséquilibres commerciaux et une pression à la baisse des salaires, des avantages sociaux et des conditions de travail. Mêmes les travailleurs syndiqués du secteur manufacturier ont obtenu peu de hausses de salaire et d’avantages sociaux, malgré la hausse de l’offre d’emplois et de la productivité. Le Canada est devenu dépendant de ses exportations de matières premières. C’est dommage. Les entreprises n’ont pas réinvesti leurs profits dans de nouveaux projets importants et, permettez-moi d’ajouter, leurs coffres sont garnis à craquer.
Le CTC a présenté un plan préliminaire de création d’emplois et de richesse. Le plan repose sur une meilleure politique monétaire, un commerce équilibré, la protection des droits des travailleurs, l’aide à l’investissement dans de nouveaux plants, équipements, outils et cours de formation et de perfectionnement des travailleurs — les travailleurs canadiens — et une véritable stratégie industrielle capable de rassembler tous ces éléments. Le marché ne nous procurera pas la prospérité que peut fournir une économie verte à valeur ajoutée durable et productive à moins que nous investissions en premier.
Le plan vous a été acheminé la semaine dernière. Je ne m’y attarderai donc pas. Je suis prêt à répondre à vos questions. Merci de m’avoir fourni cette occasion.
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Vous adressiez-vous à moi en particulier?
Je n’ai pas tellement traité ce sujet. Toutefois, en ce qui a trait à la formation professionnelle, on peut constater que les gens qui travaillent à l’heure actuelle dans le secteur manufacturier sont peu instruits, qu’ils n’ont aucune formation, aucune formation particulière ou spécialisée. Et ils sont nombreux à ne pas avoir de diplôme d’études secondaires. Beaucoup ne parle ni anglais, ni français. Je fais allusion au secteur de la fabrication de base, et à des gens originaires de pays étrangers, et qui dépendent de ce travail. Va-t-on demander à une femme de 55 ou 56 ans, le plus souvent célibataire, et qui élève trois enfants, de retourner à l’école pour se recycler afin de pouvoir entrer dans le tertiaire, tout simplement parce qu’il s’agit du secteur que nous disons vouloir privilégier?
Je suis sûre que nous pouvons en faire beaucoup plus, et que les choses bougent déjà dans plusieurs industries en vue d’améliorer les compétences. Mais, ce n’est pas la seule solution. Ça l’est, probablement, pour certaines industries, mais pas pour l’industrie du vêtement. C’est un peu le cas dans l’industrie textile. J’aimerais d’ailleurs vous donner des précisions à propos de la différence entre l’industrie du vêtement et l’industrie textile. On ne parle pas du tout de la même chose, et je vais prendre quelques minutes pour vous en parler parce que, quand je dis cela, les gens ouvrent de grands yeux.
La production textile est le tissage du fil qui sert à fabriquer le tissu, alors que la confection de vêtements commence à partir du moment où l’on coupe le tissu. Dès que les ciseaux touchent le tissu, il devient vêtement. Il existe donc une nette différence entre l'industrie du vêtement et l'industrie textile. L'industrie textile demande plus d’apprentissage. Le travail est effectué le plus souvent par des hommes. Je me réfère là encore à la situation au Québec, vu qu’un grand nombre d’emplois de ce genre se trouvent au Québec; il s’agit donc de Québécois qui vivent en régions. Dans l'industrie du vêtement, on trouve surtout des femmes, des immigrantes, qui vivent à Montréal. La situation est totalement différente.
Je n’en suis pas certaine, mais j’ai l’impression que je ne réponds sans doute pas vraiment à votre question. Quelqu’un d’autre pourrait peut-être mieux vous renseigner.
Je peux vous parler de mon syndicat et de notre expérience d’il y a une vingtaine d’années, lors de la dernière crise de la sidérurgie. À l’époque, le syndicat et l'industrie avaient mis en place une instance bipartite, le CCCES, pour faire l’inventaire des besoins en matière de reconversion professionnelle des chômeurs et des travailleurs. Nous avions à cet égard bénéficié du soutien du gouvernement fédéral, et l’expérience s’était avérée un franc succès.
Aujourd’hui, le gouvernement fédéral a transféré aux provinces une grande partie des compétences en matière de formation, et les gens pensent qu’il ne peut plus faire grand-chose dans le domaine de la formation ou de la reconversion.
Nous sommes d’avis, pour commencer, que le gouvernement fédéral doit se réengager dans la formation. Il s’agit d’une affaire trop importante pour se contenter de dire « ce n’est pas ma responsabilité ». Ensuite, nous aimerions faire quelques suggestions sur la façon dont on pourrait procéder.
Premièrement, nous considérons que le régime d’assurance-emploi pourrait être réformé et utilisé pour permettre aux chômeurs et aux actifs de toucher des prestations pendant la durée d’une formation. C’est une question importante. Nous avons déjà une certaine expérience à cet égard, par exemple dans le modèle d’apprentissage en vertu duquel les gens peuvent toucher un salaire payé par l’assurance-emploi pendant qu’ils fréquentent un établissement scolaire. Nous vous suggérons d’appliquer le même modèle à la formation et à la reconversion professionnelles.
Deuxièmement, nous pensons que le modèle québécois de taxe de formation, cette taxe de 1 p. 100 qui est imposée aux sociétés qui ne dispensent pas de formation, serait un excellent modèle à envisager et à généraliser dans tout le pays. Là encore, il ne s’agit pas d’une punition; il s’agit de veiller à fournir une bonne formation. Et l’on ne parle pas de beaucoup d’argent; on ne parle que de 1 p. 100.
Enfin, nous approuvons le programme du conseil sectoriel que le gouvernement fédéral a établi. Nous pensons, toutefois, que faute d’un soutien monétaire à travers l’assurance-emploi ou d’une forme de prélèvement fiscal, les conseils sectoriels en place ne peuvent pas faire grand-chose, car ils ont peu de liberté de manœuvre sur le plan financier. On peut faire des recherches, étudier, discuter, mais tant que l’on n’a pas les dollars permettant de concrétiser les choses sur le terrain, il n’est pas possible de beaucoup avancer.
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La CSD compte quelques millions de personnes qui travaillent dans les secteurs du vêtement et du textile. On connaît donc très bien ces deux réalités. Lina vous a expliqué tout à l'heure les différences entre ces deux secteurs, et je suis d'accord avec elle.
Le gouvernement fédéral doit augmenter les sommes consenties à même le compte d'assurance-emploi, dans le cadre de l'entente Québec-Canada, pour la formation de la main-d'oeuvre. Au Québec, la Commission des partenaires du marché du travail gère actuellement 600 millions de dollars par année. Au cours de la dernière décennie, le Québec a fait des bonds de géant dans ce dossier.
L'autre élément qu'on doit examiner — Jorge en a parlé plus tôt — est celui des comités sectoriels. Ceux-ci donnent des résultats très concrets grâce à des approches très pragmatiques et contrôlées par les gens du milieu.
Lina vous a parlé des travailleuses immigrantes à Montréal. C'est une réalité, mais il y a aussi des travailleuses qui proviennent des régions. Par exemple, dans le centre du Québec, en Beauce, ces personnes sont très vulnérables lorsqu'elles perdent leur emploi à la suite de la fermeture d'une usine. En tant que président d'une centrale qui compte près de 400 syndicats affiliés, il m'arrive d'assister, au cours d'assemblées générales, à des moments de vérité syndicale et de constater la souffrance de ces femmes.
Les politiques sociales font partie du problème. En tant que président d'une centrale syndicale, que puis-je répondre à une femme de 60 ans qui se lève et qui explique qu'en tant qu'aînée de la famille, elle a dû aller travailler lorsque son père est décédé et remettre son chèque de paie à toutes les semaines à sa mère, et qu'aujourd'hui, quelque 40 ans plus tard, elle doit demander de l'aide sociale? Elle ne peut plus vivre dans la dignité. Pourquoi? Parce que le gouvernement fédéral se déleste de sa responsabilité de mettre sur pied un programme de soutien du revenu pour les travailleurs âgés depuis le mois de mai 1997. Il s'agit d'un exemple, mais je pourrais vous en donner d'autres.
La formation est importante, et le programme de soutien du revenu pour les travailleurs âgés l'est tout autant.
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Merci, monsieur le président.
J’aimerais tout d’abord clarifier deux ou trois points.
Pour commencer, le sud de l’Ontario, que je représente, a l’un des taux de chômage les plus élevés de la région, et du pays, même par comparaison aux États-Unis. En fait, nos emplois manufacturiers se sont littéralement évaporés. La seule raison pour laquelle la production automobile a été plus élevée en Ontario qu’au Michigan, pour la première fois dans l’histoire, c’est parce que les usines du Michigan ont été rééquipées de nouvelles machines. Elles ont arrêté de fonctionner.
La compagnie Ford du Canada, pour donner un exemple récent, ferme ses usines à Windsor et dans d’autres localités ontariennes, et implante la fabrication d’un nouveau produit au Michigan. Ainsi, lorsque le nouveau produit arrive sur le marché, cela va élargir l’écart entre les deux régions de production, sans parler des questions transfrontalières... et du fait que ce dossier n’avance pas. D’importantes décisions, qui ont déjà été prises, vont encore davantage paralyser l’industrie.
Je voudrais parler par ailleurs d’une situation que je juge inadmissible, et obtenir une réponse précise. L’actuel ministre du Commerce international, et ancien ministre de l’Industrie, m’a promis à deux reprises une politique nationale de l’automobile, une politique qui serait déposée à la Chambre des communes. Et il a fait marche arrière à ce sujet. En fait, je considère qu’il a induit le comité en erreur, tout comme moi, à la Chambre des communes, quand on lui a posé des questions à ce sujet, et il négocie maintenant une entente avec la Corée sur la base d’un libre-échange.
De quelle manière croyez-vous que cela va affecter nos industries? Je suis renversé que nous puissions envisager de continuer dans cette voie, compte tenu de la situation actuelle.
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Pour ce qui est de la politique industrielle, il devrait en principe y en avoir une dans quelques secteurs, notamment dans le domaine aérospatial. Il y a des politiques industrielles globales ou sectorielles. Or, aujourd'hui encore, 485 mises à pied ont été annoncées chez Bombardier, 200 autres sont à venir, et ainsi de suite.
On parle d'un plan. Monsieur Goergetti, j'entends des discours sur les politiques industrielles depuis nombre d'années. On a réussi à en inventer quelques unes, dont une, juste avant les élections, qui porte sur l'aérospatiale. On l'a déposée, mais elle est maintenant dans les limbes.
Lorsque vous parlez de plan, parlez-vous d'un plan sectoriel? On a l'impression que dans le secteur manufacturier, les réalités sont totalement différentes les unes des autres. Un seul plan ne peut pas tout couvrir. Pour déterminer les mesures d'aide à adopter, il faudrait procéder secteur par secteur. Le Québec a fait une tentative quand Claude Béchard a publié son document. C'était du verbiage et ça n'a servi à rien.
Est-ce qu'il y a un modèle, que ce soit dans un secteur ou dans un pays, dont on pourrait s'inspirer? Je m'intéresse à la politique depuis 25 ans au moins, et on n'a jamais abouti à quoi que ce soit dans ce domaine.
Une voix: De quoi est-il question, ici?
Jean Lapierre: De sa fameuse politique économique, qui était très volumineuse.
Une voix: L'Avantage québécois?
Jean Lapierre: Oui. Cette affaire-là a duré une journée seulement.
Une voix: Mais elle a circulé plus longtemps.
Jean Lapierre: Oui, mais la pâte n'a pas levé.
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Vous savez, je ne suis pas ici pour être déprimante.
Je ne suis devenue membre de ce syndicat qu’il y a deux ans environ. Alors que la plupart de ces personnes s'occupaient d'organisation, je fréquentais encore l’école secondaire. Lorsque les travailleurs que j’affirme représenter sont arrivés au pays, je n’étais pas née. Alors pourquoi suis-je ici à défendre une industrie que la plupart des gens ont complètement oubliée?
Je ne suis pas en train d’essayer de vous déprimer. Ce que j’essaie de dire, c’est que cette industrie est encore intéressante. C’est encore une industrie qu’il vaut la peine de sauver.
Montréal arrive au troisième rang en Amérique du Nord pour ce qui est de la production de vêtements. Samuelsohn fabrique les meilleurs complets haut de gamme en Amérique du Nord. Jack Victor a une réputation. C’est également le cas de Coppley. Je pense que c’est une industrie remarquable, intéressante. Je pense qu’il y a des travailleurs qui comptent sur cette industrie.
Si nous faisons état de statistiques déprimantes, c’est parce que les commentaires que nous recevons sont parfois déprimants. Frapper à des portes tous les jours, appeler les gens à agir, parler, envoyer des lettres et ne recevoir aucune réponse, c’est déprimant. Alors, si parfois nous donnons l’impression de ne plus savoir que faire, c’est parce que nous ne savons pas comment revenir devant ces travailleurs et quoi leur dire.
Ces artisans fabriquent de superbes produits. Ils fabriquent des choses splendides qui procurent au Canada une excellente image en Amérique du Nord et sur le plan mondial. Mais ils ont l’impression que personne ne se préoccupe d’eux. Alors nous éprouvons parfois un sentiment d’exaspération. Je ne suis que la voix des gens qui ne savent tout simplement plus que faire.
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Merci. Permettez-moi de dire pour commencer que j’ai trouvé votre présentation intéressante et que votre souci pour les travailleurs canadiens et leurs emplois me touche.
Je suis entièrement d’accord avec Ken: nous devons discuter de ces questions importantes à la Chambre des communes et attirer l’attention de tous sur elles, parce qu’elles passent inaperçues. C’est notre devoir envers les Canadiens, et en particulier envers les travailleurs canadiens, de parler de la compétitivité sur le plan mondial et de mettre au point une stratégie pour faire en sorte que les emplois demeurent au Canada.
Aussi, je pourrais difficilement être davantage d’accord — et je suis ravie de vous entendre en parler, monsieur Garcia-Orgales — lorsque vous dites que nous avons besoin d’une stratégie industrielle sectorielle, d’une stratégie secteur par secteur. Je parle de cette nécessité depuis un certain temps et je suis très heureuse de vous entendre en parler.
D’une certaine manière, on a répondu en partie à cette question, mais j’aimerais demander quelles mesures incitatives devraient être mises en place pour établir un plus grand nombre d’activités de fabrication au Canada.
J’ai une autre question qui se rapporte plutôt à la recherche-développement. Les brevets sont une bonne mesure de la recherche-développement; ils sont la véritable voie vers la commercialisation. Le Canada ne se classe même pas parmi les 15 premiers au monde en matière de mise au point de nouveaux brevets. En fait, nous sommes actuellement au 30e rang pour ce qui est du nombre de brevets déposés par résident du Canada pour chaque million de dollars en dépenses de R et D. Nous accusons un retard sur le Japon, les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, la Suède et le Brésil, et lorsqu’on voit à quel rythme remarquable la Chine et la Corée progressent, ce retard menace le secteur de la fabrication et les autres industries de ce pays.
Alors, quelles mesures incitatives devraient être en place? Et, comme question plus large: en matière de recherche-développement, que nous manque-t-il? Que pouvons-nous faire pour stimuler ou réduire les délais pour voir apparaître de nouveaux brevets, pour voir ces produits ou ces connaissances exclusifs être commercialisés?
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Merci d'être venus ici aujourd'hui.
C'était très intéressant. C'est une situation difficile, et je pense que vous avez tous exprimé, dans vos propres mots, l'ampleur des problèmes. Il s'agit de quelque chose de très sérieux, surtout pour nous, députés de l'Ontario.
[Traduction]
Laissez-moi vous poser une ou deux questions, et je vais peut-être le faire très rapidement.
On a parlé ici plus tôt de l’impact de la Chine et, bien entendu, le Canada a une relation commerciale importante avec ce pays, tout dépendant de l’endroit où vous vous trouvez au Canada. Pour ce qui est du problème des produits contrefaits qui arrivent au Canada, est-ce que certains de vos organismes ont analysé ce problème comme une possibilité de s’assurer que les produits qui arrivent au Canada sont légitimes? Nous remarquons une proportion plus élevée et le Canada semble avoir du travail à faire en ce qui touche les lois sur les produits qui sont ici, en particulier en ce qui touche les lois qui protégeraient certaines industries au Canada.
Je vous laisse à tous le soin de me répondre si vous le souhaitez.
La deuxième question porte, monsieur Georgetti, sur vos commentaires concernant la formation. J’ai parlé à un certain nombre de dirigeants du monde des affaires — pas de l’organisme que vous avez mentionné, du Conseil canadien des chefs d'entreprises, si c’est bien le nom qu’ils emploient actuellement — qui m’ont dit que s’ils pouvaient utiliser le système de l’assurance-emploi différemment, de manière telle qu’il y ait un incitatif à donner de la formation et à embaucher à long terme, on pourrait aboutir à une situation dans laquelle, au lieu d’envoyer cet argent au gouvernement pour former quelqu'un ailleurs, ils prendraient en fait le risque eux-mêmes. Il arrive souvent qu'une entreprise forme quelqu'un, disons dans le secteur des produits électriques, avec un emploi correspondant à des engagements de 20 ou 30 ans, et que cette personne peut fort bien se retrouver en poste dans une autre entreprise. Il semble qu’on ne parle pas ici de partage du risque. J’aimerais avoir vos commentaires sur ce point, compte tenu du problème avec lequel je suis aux prises en Ontario pour ce qui est du maintien des emplois, mais aussi de la pénurie de postulants à des emplois dans la circonscription du président, dans les régions à Edmonton, où les entreprises ont du mal à recruter des travailleurs.
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Je parle du délai fixé que l’on nous a octroyé. Ici, monsieur le président, il s’agit d’un rapport. Il remonte à l’ancien gouvernement qui l’a initié en 2005. Nous avons eu un groupe d’étude composé d’experts qui ont fait l’examen intégral de l’industrie des télécommunications. Ce processus d’examen intégral a pris dix mois et le groupe d’étude a proposé 127 recommandations.
Ces conclusions sont disponibles pour qui veut les consulter et ce, depuis le mois de mars de cette année, ce qui signifie depuis sept mois. Or, ce comité ne nous a jamais rien dit jusqu’à la semaine dernière où l’on nous a reproché de ne pas avoir entendu assez de témoins. Les membres du groupe d’étude ont passé dix mois à s’entretenir avec des témoins; c’était leur travail et ce n’est pas une tâche qu’ils ont pris à la légère. En l’espace de dix mois, ils se sont entretenus avec la quasi totalité des acteurs de l’industrie. Leur objectif était de parvenir à des recommandations destinées au gouvernement. C’était les Libéraux qui étaient à l’origine de ce projet. Ce que nous faisons à ce sujet... nous ne désirons qu’aller de l’avant relativement à ce que l’ancien gouvernement a commencé concernant cette orientation politique.
Depuis le début de ce processus..., nous avons eu la possibilité de repartir à zéro lorsque nous avons mis sur pied notre comité. Nous avons, en fait, fait la recommandation d’initier le processus avec les télécommunications. À ce moment là, nous avons alors plutôt choisi de travailler avec le secteur manufacturier. Il s’agit d’une étude fort intéressante et je pense que tout le monde se sent concerné et stimulé. Nous aimerions terminer l’examen en temps opportun, d’ici le mois de décembre, afin d’être prêt avant le prochain budget.
Jusqu’à la semaine dernière, ce comité ne nous a rien fait dire, et nous n’avons pas eu de rapport. Combien de recommandations les membres ici présents ont ils, dans les faits, apportées au CRTC? Nous avons eu jusqu’au 13 juin pour faire des recommandations. J’aimerais savoir pourquoi il est maintenant si important de repousser encore la date d’échéance pour proposer des recommandations.
Je ne crois pas qu’un seul membre de ce comité ait proposé une seule recommandation au CRTC. Je ne pense pas non plus qu’un sénateur l’aie fait.
Nous avons eu des commentaires émanant de diverses entreprises, de groupes de consommateurs et de particuliers. Si quelqu’un ici présent veut s’informer à ce sujet, il peut aller consulter le site Web à l’adresse suivante : strategis.gc.ca.
La semaine dernière, lors de la réunion du comité, nous avons entendu nous-mêmes tous les témoins concernés. Nous avons eu un aperçu de la question et il n’est pas nécessaire de repousser plus avant le délai. Le groupe d’experts nous a fourni une orientation politique. Cette orientation politique est conforme aux recommandations indiquées dans le rapport du Groupe d’étude sur les télécommunications, lequel a été choisi par l’ancien gouvernement qui lui a donné les pleins pouvoirs. Ce que nous avons fait... ce gouvernement s’est servi des recommandations de façon objective afin de mettre sur pied une recommandation principale comprise dans une proposition de directive en matière d’orientation.
Je pose la question suivante. Les membres du Parti libéral s’opposeraient ils à cette proposition aujourd’hui si elle avait été déposée l’année dernière? Je ne parviens vraiment pas à comprendre les objections de l’opposition ainsi que leur demande de surseoir plus avant au projet. Nous avons eu jusqu’au mois d’avril, jusqu’au mois de juin pour proposer les recommandations, et jusqu’à la semaine dernière, l’opposition n’a rien proposé. Maintenant, ils veulent nous faire attendre et repousser encore le délai de quatre ou cinq mois.
Si vous prenez connaissance...
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J’ai pris connaissance des inquiétudes de l’opposition à propos du droit traditionnel du ministre de donner des orientations au CRTC. Nous avons fait des travaux de recherche lesquels, nous l’espérons, tiennent compte des objections de l’opposition.
Nous nous sommes informés afin de savoir dans quels domaines le ministre de l’Industrie a le pouvoir de donner une orientation politique à la Loi sur les télécommunications, et de quelle manière, dans le cas précis qui nous préoccupe, cette orientation a été mise en œuvre. Voici la réponse que nous avons obtenue. L’article 8 de la Loi sur les télécommunications donne au gouverneur en conseil, le pouvoir de donner des directives au CRTC sur les vastes enjeux en matière de politique, relativement à la politique canadienne de télécommunication. L’article 8 de la Loi trace les grandes lignes de ce processus.
Pour résumer l’idée générale des quarante jours de séance, que ces quarante jours représentent le délai fixé maximal ou minimal alloué à la Chambre pour prendre connaissance des directives, le paragraphe 10(6) de la loi stipule qu’après les quarante jours de séance au Parlement, le gouverneur en conseil peut rendre l’ordonnance, telle que proposée ou assortie de modifications.
Si vous voulez bien prendre connaissance de l’énoncé actuel de l’orientation politique proposée par le Groupe d’étude sur les télécommunications, vous constaterez que ce que nous avons proposé est, dans les faits, très semblable; c’est presque identique à ce que les experts ont mis de l’avant.
Les personnes œuvrant au CRTC ont indiqué que la dernière fois qu’elles avaient obtenu une quelconque orientation émanant du gouvernement remontait à 1993, il y a de cela treize ans. Ce ministre désire soutenir le CRTC en lui procurant une orientation politique et des directives. En 1993, il n’y avait pas de voix sur IP, pas de BlackBerrys et aucun numérique. Aucune de ces technologies n’existait. Nous nous sommes fait dire qu’il y avait un besoin en matière de modernisation.