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Je déclare la séance ouverte.
Bonjour, mesdames et messieurs.
Je suis heureux de vous accueillir à notre première séance publique officielle de l'année. Bien entendu, nous allons examiner un sujet très intéressant, celui des concentrés de protéines, qui est sur le tapis depuis presque 10 ans maintenant, je pense.
Nous recevons aujourd'hui Don Jarvis, président-directeur général de l'Association des transformateurs laitiers du Canada; Kempton Matte, vice-président principal, Relations avec l'industrie et le gouvernement; Yves Leroux, vice-président, Relations gouvernementales — je vois que vous aimez vraiment le gouvernement; et Pierre Nadeau, président-directeur général, Conseil des industriels laitiers du Québec.
Bienvenue, messieurs. Nous sommes heureux de vous accueillir.
Nous vous donnons 10 minutes pour faire une déclaration liminaire. Si vous pouvez respecter le délai prévu, nous aurons plus de temps pour poser des questions. Cette première partie de notre réunion va durer à peu près une heure.
Monsieur Easter, je m'attendais à ce que vous vous manifestiez.
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Monsieur le président, merci beaucoup. Nous sommes heureux de pouvoir comparaître devant vous aujourd'hui. Notre président, Andy MacGillivray, n'a pas pu nous accompagner. Il est parti en Amérique centrale travailler avec des groupes de producteurs pour sa coopérative, et il s'excuse de ne pas pouvoir être ici. Une autre de nos importantes sociétés membres, Agropur, n'a pas pu se libérer non plus. Elle avait déjà organisé trois journées de réflexion à l'intention de ses cadres à partir d'hier soir. Si l'invitation avait été lancée plus tôt, elle aurait pu se joindre à nous. Les collègues qui m'accompagnent vont toutefois être en mesure de bien représenter notre industrie et je vais leur demander de formuler quelques brèves observations.
L'ATLC et les transformateurs laitiers se préoccupent beaucoup de l'ensemble des producteurs laitiers. Nous voulons dire d'entrée de jeu que les membres de notre association comprennent pourquoi les Producteurs laitiers du Canada sont inquiets de la situation de l'industrie laitière au Canada et pourquoi la question des concentrés protéiques du lait, les isolats de protéines de lait, a pris autant d'importance.
Les quotas des producteurs laitiers ont été réduits quatre fois depuis un an, et pourraient l'être encore étant donné que les prix du lait continuent de monter. Notre association est consciente que les augmentations de prix ne compensent pas l'impact financier de ces réductions qui se répercutent directement sur les avoirs propres des producteurs. Sans compter que l'ESB a causé des difficultés financières considérables à beaucoup de producteurs.
La consommation de produits laitiers conventionnels baisse avec l'évolution des marchés. Le vieillissement et la modification de la composition ethnique de la population canadienne amènent l'arrivée de nouveaux produits sur le marché. Le fait que Santé Canada modifie en profondeur le guide alimentaire en est un bon exemple. La catégorie lait et produits laitiers sera remplacée par la catégorie lait et substituts. Voilà qui montre bien comment les appellations et les aliments changent sur le marché. Évidemment, ce phénomène se produit chez nous, mais aussi ailleurs dans le monde.
Notre association ne nie pas le fait que les concentrés protéiques du lait ou les isolats de protéines de lait puissent remplacer d'une certaine façon la poudre de lait écrémé. Il reste que leur impact est bien moindre que ce que les Producteurs laitiers du Canada prétendent. En fait, c'est seulement un symptôme qui met en évidence un problème beaucoup plus sérieux au sein de l'industrie laitière canadienne.
Nous voulons souligner que les importations de CPL/IPL depuis trois ans sont restées stables et ne sont donc pas responsables des autres problèmes de production des dernières années. Autrement dit, monsieur le président, interdire l'importation ou l'utilisation des CPL/IPL n'aurait pas pour effet de régler les problèmes de l'industrie laitière, mais plutôt de les accentuer probablement davantage.
Avant d'examiner la question à l'étude plus en détail, j'aimerais expliquer aux membres du comité la situation de l'industrie laitière au Canada telle que les transformateurs laitiers la perçoivent.
D'abord, vous avez tous, dans le dossier bleu, des informations sur notre association et l'industrie. Nos membres achètent, transforment, commercialisent et distribuent plus de 90 p. 100 de tout le lait produit au Canada. L'industrie laitière représente un secteur très important de l'économie canadienne. L'an dernier, les transformateurs laitiers ont réalisé des ventes de 12 milliards de dollars, ce qui représente plus de 15 p. 100 de tous les produits alimentaires vendus par l'industrie des aliments et boissons. Environ 27 000 personnes travaillent dans le domaine de la transformation des produits laitiers. Au Canada, le marché du lait et de la crème de consommation représente un peu moins de 40 p. 100 de la production laitière, tandis que le marché du lait de transformation constitue 60 p. 100 de la production.
Il y a un aspect qui nous préoccupe vraiment. Notre président, M. MacGillivray, a présenté, ici à Ottawa il y a à peine quelques mois, des données sur lesquelles j'estime utile de revenir. Ce qui nous préoccupe, c'est la croissance, ou l'absence de croissance, et ses répercussions à long terme sur notre industrie. D'ailleurs, les faits parlent d'eux-mêmes.
Depuis neuf mois, il y a eu quatre réductions des quotas de mise en marché, ce qui est révélateur de l'état de la demande de produits laitiers au Canada.
Au cours des 12 derniers mois, comme l'a confirmé ACNielsen, il y a eu une diminution des achats ou de la demande de produits clés. La demande de lait de consommation, notamment de laits de spécialité, a connu un recul de 1 p. 100. La catégorie du beurre a accusé une baisse de 4 p. 100. La catégorie du fromage a affiché une croissance nulle, allant même jusqu'à enregistrer une baisse de 4 p. 100 plus récemment. Même le yogourt, l'étoile de la catégorie depuis une décennie, a réalisé une performance modeste à l'échelle nationale, si on la compare aux augmentations annuelles passées qui se situaient presque toujours dans les deux chiffres. Quant à la crème glacée, la tendance à la baisse s'est maintenue.
Par ailleurs, la situation est tout autre pour les catégories de produits concurrents. Par exemple, la catégorie des boissons de soya et de riz affiche une augmentation de volume annuelle de 5 p. 100, allant même jusqu'à 8 p. 100. De leur côté, les jus réfrigérés ont connu une croissance annuelle de plus de 10 p. 100. Les données fournies par ACNielsen brossent un tableau très réaliste des ventes dans les supermarchés de l'ensemble des villes, municipalités et régions canadiennes.
L'étude des chiffres de ventes dans nos deux grands marchés régionaux ne contribue en rien à améliorer cette vue d'ensemble. Par exemple, les ventes de beurre au Québec ont baissé de 6 p. 100. Les ventes de yogourt dans cette province ont affiché une croissance quasi nulle. En Ontario, la catégorie du fromage a accusé une baisse de 16 p. 100. Par contre, au Québec, les ventes de boissons de soya et de riz ont augmenté de 21 p. 100, entraînant une hausse de volume de plus de 25 p. 100 l'an dernier. D'autres données nous permettent de constater une tendance similaire dans l'industrie de la restauration, soit une légère baisse de croissance ou une croissance nulle pour les 12 derniers mois.
En ce qui a trait au lait nature maintenant, nous savons que la consommation individuelle a diminué de 14 p. 100 au cours des 10 dernières années. Il s'agit pourtant du produit d'épicerie le plus important, tant sur le plan du roulement que de la demande et, toutefois, on assiste à un glissement continu de la demande vers des produits concurrents, c'est-à-dire les boissons de soya, les boissons gazeuses et les jus de fruits. Tous ces produits avec lesquels nous rivalisons sur le marché aujourd'hui font appel à l'innovation, mettent l'accent sur le consommateur et ont des stratégies de croissance.
Maintenant, notre association consacre beaucoup de temps depuis deux ans à essayer, avec les Producteurs laitiers du Canada, de comprendre le problème et de trouver des moyens de le régler. Nous approuvons le processus que nous a présenté le ministre il y a un mois. Nous voulons faire partie d'un groupe de travail pour examiner les causes profondes du problème. Tous les processus et toutes les discussions engagés jusqu'ici ne vont rien donner.
Il y a un mois, le ministre Strahl a invité notre président, M. MacGillivray, à faire partie d'un groupe de travail sur la question, avec des représentants des Producteurs laitiers du Canada. Le ministre nous a indiqué qu'il avait un certain nombre d'objectifs. Pour lui, l'industrie laitière canadienne subit de graves pressions : les transformateurs sont inquiets du fait que les marchés de produits laitiers stagnent ou rétrécissent, et ils se posent des questions sur la capacité de développer de nouveaux produits et la technologie permettant d'élargir le marché; les producteurs sont préoccupés par les récentes réductions de quotas, la taille et le coût des surplus de lait écrémé, l'affaiblissement des marchés intérieurs en raison des importations de certains produits laitiers et, bien sûr, l'incertitude entourant les négociations actuelles et futures de l'OMC. Autant les producteurs que les transformateurs se soucient de la baisse de la consommation de produits laitiers ainsi que des questions liées à l'établissement des prix et à la rentabilité.
Il y a un mois, le ministre nous a présenté un processus et un échéancier raisonnables pour le groupe de travail. En fait, il espérait que nous pourrions nous entendre sur les grands principes et un cadre stratégique d'ici le début de la semaine prochaine, et que des travaux et des accords détaillés entre les producteurs et les transformateurs seraient en chantier d'ici la fin juin pour qu'un rapport complet accompagné de recommandations soit prêt à l'automne.
M. MacGillivray ainsi que notre association et nos membres ont rapidement accepté le processus, mais les Producteurs laitiers du Canada ne l'ont pas encore fait.
Avant de demander à mes collègues de vous parler des CPL et des IPL, je crois qu'il est important d'expliquer clairement quels sont les vrais enjeux auxquels notre industrie est confrontée.
Le marché des produits laitiers n'est pas en expansion. Le marché des produits courants conventionnels stagne. La consommation baisse. Les prix ont augmenté considérablement depuis trois ans, ce qui a eu de très graves conséquences sur le marché. Les produits laitiers perdent du terrain au profit de leurs concurrents, surtout les produits substituts, et plus rien n'encourage les nouveaux investissements pour le développement de nouveaux produits. Le régime de réglementation nuit à l'innovation.
Nous devons nous préparer à l'avenir, qu'il y ait le cycle de Doha, un accord de l'OMC, une nouvelle entente ou non.
Nous savons que la technologie va continuer d'évoluer. La démographie au Canada ne va pas favoriser l'accroissement de la consommation de produits laitiers riches en matière grasse ou conventionnels. Le Canada va devoir améliorer l'accès au marché pour les produits laitiers d'ici 2013. D'après le président de la Commission canadienne du lait, une autre réduction de 5 ou 6 p. 100 des quotas de mise en marché a déjà été approuvée, et nous ne sommes pas prêts pour cela.
Nous devons conserver ce qui fonctionne. Notre association et ses membres veulent sauvegarder la gestion de l'offre pour les produits laitiers. La stabilité de l'industrie est et a été un avantage. Elle a permis aux producteurs laitiers d'offrir un produit de grande qualité pendant des décennies, mais il faut examiner l'industrie et peut-être envisager une réforme.
L'industrie laitière est le premier secteur qui a été soumis à la gestion de l'offre au Canada il y a de cela maintenant plus de 40 ans. Les régimes actuels d'établissement des prix et d'attribution de quotas ne sont plus efficaces au Canada et dans le contexte mondial. Le régime de réglementation des produits laitiers, autant au niveau provincial qu'au niveau fédéral, est archaïque et plus néfaste que bénéfique pour le marché. Enfin, il ne tient pas compte des innovations dans le domaine ailleurs dans le monde et ne s'adapte pas aux réalités économiques du Canada.
Là-dessus, je vais laisser mes collègues vous parler des concentrés protéiques du lait.
M. Nadeau va d'abord bien vous expliquer ce que sont les CPL et les IPL.
Monsieur Nadeau.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je vais prendre deux minutes pour attirer votre attention sur un document, un tableau en particulier, qui est dans le dossier bleu que vous avez reçu. Le tableau est en anglais d'un côté, en français de l'autre. C'est une description du lait et de ses composants. Vous verrez dans ce tableau que le lait entier est composé de plusieurs ingrédients, dont le plus important est l'eau. Viennent ensuite le lactose, la matière grasse et finalement les protéines, ce qui nous intéresse.
Il y a 3,2 p. 100 de protéines dans le lait. Il y en a deux sortes: 80 p. 100 des protéines sont des protéines de lait dites « fromageables », l'autre 20 p. 100 étant des protéines de lactosérum, soit le petit-lait qui reste quand on fait du fromage.
Au bas de la page, vous verrez que dans la poudre de lait écrémée, il y a du lait à l'état solide, sans gras, sans eau, qui contient 35 p. 100 de protéines. C'est à l'état naturel. On appelle protéines concentrées tout ce qui a plus de 35 p. 100 de protéines. Lorsqu'on atteint 85 p. 100 de protéines, on appelle cela des isolats de protéines. C'est ce dont il est question aujourd'hui.
Les isolats de protéines, de même que d'autres formes de protéines, sont utilisés en dehors de l'industrie laitière. Ils sont utilisés dans les hôpitaux, par les gens qui veulent augmenter leur musculation, pour les breuvages santé et les tablettes santé, à titre d'exemples. On les retrouve aussi dans d'autres aliments pour des fonctionnalités bien particulières, entre autres dans certaines viandes, comme liants.
Je termine mes remarques ici.
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Merci, monsieur le président.
Je crois qu'il est très important de se demander pourquoi nous utilisons les CPL et les IPL. Les transformateurs laitiers achètent leur lait selon le régime de la gestion de l'offre. Nous l'achetons dans chaque province auprès d'un fournisseur monopoliste, c'est-à-dire la commission laitière dirigée par les producteurs. Toutes nos autres activités se font sur le marché libre et nous pouvons adopter toutes sortes de mesures axées sur le marché pour améliorer l'efficacité de nos usines et appliquer la plus récente technologie.
Par le passé, quand nous fabriquions du fromage, par exemple, le petit-lait dont Pierre vient de parler, le lactosérum, était simplement évacué des usines pour être déversé dans les champs, les fossés, les étangs et les cours d'eau, ce qui était acceptable à l'époque mais, comme l'écologie a pris de l'importance, c'est devenu un grave problème environnemental que l'industrie devait régler. C'est ce qu'elle a fait grâce à la technologie, sachant que le produit contenait des protéines laitières, des matières grasses et d'autres substances. On a ainsi développé la technologie pour récupérer les matières grasses et les protéines afin de s'en servir pour la fabrication du fromage.
Il faut se rappeler que c'est un sous-produit qui vient du lait utilisé pour la fabrication du fromage. C'est un produit fabriqué ici. En très grande partie, les concentrés de protéines laitières sont produits au Canada, dans une proportion de probablement 95 p. 100 ou plus. Grâce à la technologie, nous avons donc réussi à réutiliser les concentrés protéiques du lait pour fabriquer du fromage, dans l'intérêt de l'industrie. Cette opération réduit les coûts et améliore l'efficacité, notamment.
L'autre aspect de la question, qui semble avoir retenu l'attention et qui a provoqué beaucoup de confusion à mon avis, est celui des isolats importés sur le marché. D'après les chiffres les plus précis recueillis par Agriculture Canada et Statistique Canada, l'industrie laitière utilise entre 3 000 et 5 000 tonnes de ces produits parce qu'ils assurent aux transformateurs un rendement que ne permettent pas les protéines de petit-lait fabriquées au pays. Le Canada n'a pas la technologie pour les fabriquer, si bien qu'ils sont achetés sur le marché mondial aux prix du marché international.
Ils servent à différents usages dans l'industrie laitière, mais ils sont aussi utilisés par les transformateurs d'autres aliments, l'industrie chimique, l'industrie des nutraceutiques et l'industrie pharmaceutique, par exemple.
On fait souvent valoir qu'on achète à rabais ces produits importés subventionnés pour les utiliser ici. Je crois qu'on a tort de penser qu'ils sont subventionnés. Si je ne m'abuse, ces produits viennent surtout de Nouvelle-Zélande sans bénéficier de subventions. Si vous posiez la question pour l'Union européenne, on vous répondrait que les produits en provenance de l'Europe ne sont pratiquement pas subventionnés — je crois qu'il ne le sont pas du tout, mais il est possible qu'ils le soient un peu.
Ce qui est aussi intéressant à propos de ces produits, c'est qu'ils sont de grande qualité, contrairement à ce qu'on pense souvent. L'entreprise pour laquelle je travaille, Saputo, oeuvre surtout dans le domaine de la restauration, c'est-à-dire qu'elle fabrique un fromage qui respecte toutes les normes et les réglementations canadiennes, mais qui répond vraiment aux besoins des consommateurs. C'est donc dire qu'il doit brunir dans un four à pizza à une certaine température et dans un certain laps de temps, qu'il doit s'étirer d'une certaine façon, et le reste. On peut obtenir certaines de ces caractéristiques seulement en mélangeant des isolats importés avec la matière première produite au pays. Il ne s'agit pas seulement d'acheter à rabais pour revendre plus cher; il faut appliquer la meilleure technologie possible pour produire le meilleur produit possible, et le vendre à un prix concurrentiel. C'est souvent un aspect qui est négligé dans la discussion.
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D'accord. Je serai bref.
J'aimerais d'abord dire que je suis fromager de métier depuis 45 ans. Concernant les IPL dont M. Matte vous a parlé, et que nous importons à raison de 4 000 à 5 000 tonnes, il est avantageux pour les transformateurs de les utiliser, et je vais vous expliquer pourquoi.
Je dirais que, dans l'industrie laitière, la vaste majorité des IPL servent, par exemple, à la fabrication de la mozzarella. On en utilise peut-être 70 à 75 p. 100 pour fabriquer la mozzarella qui garnit les pizzas dans le secteur de la restauration. Les IPL, qui sont composés à plus de 85 p. 100 de protéines dénaturées ne contiennent pas de lactose. C'est ce qui permet au fromage de conserver une certaine quantité d'humidité. Cette protéine améliore l'élasticité du fromage qui convient tout à fait pour les pizzas.
Le fromage qu'on utilisait il y a cinq ou dix ans formait des bulles et brûlait sur les pizzas. Ce n'est plus le cas aujourd'hui parce que le produit que nous utilisons ne contient pas de lactose. Le lactose est un sucre et c'est l'ingrédient qui faisait brûler la pizza.
Nous utilisons ce produit pour des raisons pratiques. Il est vrai qu'il est importé. D'après ce que nous savons, il n'est pas subventionné, dans la majorité des cas du moins. C'est ce qui nous permet de maintenir nos prix et d'être concurrentiels dans la restauration.
Si nous ne l'utilisons pas, nous serons forcés de fabriquer du fromage d'imitation. Nous ferons un produit qui va remplacer les produits laitiers sur la pizza. C'est ce qui va se passer bientôt. Cela ne se fait pas encore au Canada mais, pour une raison ou une autre, si nous ne pouvons pas utiliser ce produit, nous pourrions perdre, je le crains, une bonne partie de notre marché de la mozzarella.
Merci, monsieur le président.
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Monsieur Jarvis, je tiens à vous remercier d'être venu nous rencontrer parce que c'est un sujet important.
L'industrie laitière est en difficulté aujourd'hui et elle se tourne évidemment vers les transformateurs qui utilisent ces produits. C'est probablement une des raisons pour lesquelles le secteur de la crème glacée est touché et affiche une forte baisse. Mais vous dites que c'est l'ensemble du marché qui stagne.
Vous avez tenu, ce matin, des propos assez cinglants et condescendants à propos de notre gestion de l'offre. Je crois que c'est ce que les producteurs agricoles et laitiers vont en conclure. Remarquez que nous savons maintenant ce que les transformateurs pensent. Si c'est le point de vue des transformateurs, il est assez clair qu'il est bien différent de celui des producteurs primaires. Je crois que c'est inquiétant, et cela me pose vraiment un problème.
Je me suis rendu compte ce matin que nous discutons d'une question qui n'est peut-être pas aussi bien comprise qu'elle le devrait par bien des gens.
Vous avez dit que l'industrie n'est pas en expansion, contrairement à celle des boissons de soya et autres produits du genre. Que se passe-t-il? Avons-nous perdu la capacité de convaincre les Canadiens? Le marché nous échappe-t-il parce que notre produit n'est pas aussi bon pour la santé qu'un autre? Je crois qu'il y a beaucoup de facteurs, mais qui a échoué dans ce dossier?
De toute évidence, les producteurs de soya vont dire qu'ils ne font pas d'argent. Mais est-ce que les transformateurs font plus d'argent en vendant des boissons de soya plutôt qu'autre chose parce que le produit qu'ils achètent est régi par la gestion de l'offre?
Soyons clairs, parce que si c'est l'argent et non la santé qui est l'enjeu dans ce dossier, je pense qu'il faut le dire.
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Je pense que je voulais particulièrement mettre l'accent sur notre désir de sauver le système pour qu'il ne s'effondre pas devant les pressions concurrentielles que nous sentons sur le marché. En réponse à vos observations sur la concurrence, je crois que le marché est beaucoup plus concurrentiel qu'avant. Je pense notamment aux différentes demandes des consommateurs, à la demande de produits santé.
En fait, pas plus tard qu'hier dans le Globe and Mail, monsieur Steckle, il y avait un excellent exemple de la rapidité à laquelle le marché évolue dans le monde. Hier, on lisait dans le Globe and Mail que les magasins Wal-Mart en Grande-Bretagne mettent en marché un produit appelé Heartfelt Plus Natural Cheese, fabriqué par un fromager britannique. Ce fromage comprend un ingrédient, un produit novateur, produit ici au Canada, par Forbes Medi-Tech, un phytostérol. Il a pour effet de réduire le cholestérol. En Angleterre actuellement, dans un marché dont la taille équivaut à deux fois celle du marché canadien, on met en marché un produit appelé fromage. Ce produit ne contient que 12 p. 100 de matières grasses, alors qu'un fromage cheddar classique en contient habituellement de 30 p. 100 à 40 p. 100. Ce fromage goûte le vrai fromage, contrairement aux autres produits légers offerts, qui sont habituellement faits à partir d'huile végétale. C'est certainement une excellente alternative aux fromages à faible teneur en gras habituels, dont le goût et la texture laissent à désirer.
C'est ce vers quoi le marché évolue. Le problème dans notre pays, c'est que nous ne permettons pas à notre régime de réglementation de s'adapter; les producteurs font face à une demande constante exclusivement de produits à haute teneur en gras. Ce produit ne serait pas autorisé sur le marché canadien; c'est un fromage fonctionnel, un aliment fonctionnel. Nous, les transformateurs, sommes contraints dans nos efforts pour répondre à ces nouvelles demandes sur le marché. Nous souhaitons une plus grande souplesse. Le consommateur demande ces produits. Nos consommateurs demandent ces produits. C'est Wal-Mart. Nos clients sont les grands supermarchés et les entreprises de restauration.
M. Leroux a fait allusion au fait qu'il rivalisait, dans la restauration, avec des ingrédients non laitiers pour faire des « garnitures au fromage ». C'est là où s'exerce la concurrence.
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Je suis heureux que le comité ait accepté d'entendre très rapidement des témoins sur ce dossier, qui constitue une priorité pour le Bloc québécois. Il y a 7 400 fermes laitières au Québec. Je viens de la région où il y a le plus de producteurs laitiers au Québec, la MRC d'Arthabaska. Il s'agit donc d'un dossier très important pour moi.
Monsieur Jarvis, vous avez mentionné que l'industrie éprouvait certaines difficultés. Or, lors de son assemblée annuelle, Agropur franchissait pour la première fois le cap des 2 milliards de dollars de profit. Je crois que les choses ne vont pas si mal, et je m'en réjouis. De fait, cette coopérative faisait justement partie des signataires, des 63 transformateurs laitiers, qui se sont joints aux producteurs de lait pour demander à Ottawa de freiner ses importations. Il est important de spécifier qu'il est question de limitation des importations.
Dans votre introduction, vous avez parlé d'interdiction des importations, mais je ne crois pas qu'il ait jamais été question de cela chez les producteurs. Si on invoque l'article 28 du GATT, il faut savoir qu'il y aura même une augmentation de 10 p. 100 des importations. Il n'est pas question d'interdire totalement l'importation des protéines laitières. Cependant, il faut s'apercevoir que si l'un de ses piliers s'effrite, soit la limitation des importations, nous mettrons en péril le système de gestion de l'offre. Avec la décision récente de la Cour fédérale, on vient d'ouvrir toute grande la porte aux importations de protéines laitières et de mettre en péril le système de gestion de l'offre.
Pourtant, il y a presque unanimité à ce sujet. Je parlais des 63 transformateurs laitiers, soit des membres de votre industrie, qui se sont joints aux producteurs laitiers. Même le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, M. Yvon Vallières, a dit qu'il n'y avait pas de raison pour que le fédéral n'intervienne pas vigoureusement afin de régler cette situation.
Le 6 avril dernier, le ministre fédéral de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, M. Strahl, participait au débat exploratoire qu'avait demandé le Bloc québécois au sujet de la crise des revenus agricoles. Dans son discours, il disait, en parlant des protéines laitières:
Je suis aussi intéressé que les producteurs laitiers à ce que l'on trouve des façons d'assurer que le Canada ne soit pas inondé de produits importés. Par ailleurs, si nous invoquions l'article 28, et nous envisageons cette possibilité, [...]
Il faisait alors allusion à certaines difficultés, mais il a bien dit qu'il envisageait cette possibilité.
Bref, il me semble que plusieurs personnes s'entendent sur le fait qu'il y a un problème. J'aimerais savoir si vous n'êtes pas un peu isolés dans cette situation, surtout lorsque vous indiquez qu'il est question d'interdire totalement l'importation de protéines laitières, ce qui, selon moi, est inexact. Vous devez convenir, il me semble, qu'il faut faire quelque chose si voulez protéger la gestion de l'offre, comme vous l'avez affirmé un peu plus tôt. Autrement, ce système, qui a bien servi l'industrie laitière au Québec et au Canada, risque de s'effondrer.
Je pense que vous avez raison. Il y a beaucoup de raisons et je dirais qu'elles sont toutes valables. Il y a le prix, la qualité, l'accessibilité — ce sont les trois principales — et la technologie. L'industrie laitière du Canada ne serait pas là où elle en est aujourd'hui sans la gestion de l'offre et sans l'utilisation de la technologie.
J'ai expliqué l'évolution qui nous a permis d'utiliser des concentrés protéiques du lactosérum pour fabriquer du fromage, par exemple. La même technologie s'applique dans toute l'industrie à toutes les catégories de produits, donc ce n'est une surprise ni pour moi ni pour les membres de l'industrie qu'on fasse tout ce qu'on peut pour produire des produits de qualité supérieure au prix le plus bas possible.
L'ironie, c'est que l'industrie n'en retire aucun crédit. Le fait est que selon les propres publications des PLC, les prix des produits laitiers pour les consommateurs du Canada sont une meilleure affaire que les prix des produits laitiers pour les consommateurs des États-Unis.
N'oublions pas que jusqu'à 90 p. 100 du coût total du produit fini est le prix du lait cru. La différence entre ces 85 p. 100 ou 90 p. 100 et 100 p. 100 se répartit donc dans tout le reste de la chaîne de distribution alimentaire, qui comprend les transformateurs laitiers, les détaillants, les distributeurs au détail et tous les autres. Compte tenu que le prix du lait cru au Canada est environ le troisième plus élevé au monde — selon l'année, il est de 25 à 40 p. 100 plus élevé qu'aux États-Unis et actuellement plus cher qu'en Europe en général —, le consommateur fait évidemment une bonne affaire. L'effort nécessaire dans la chaîne est déployé dans le secteur de la transformation.
Je ne me veux pas désobligeant; je dis seulement que nous utilisons la meilleure technologie de transformation possible pour offrir le produit au prix le plus concurrentiel aux consommateurs, et c'est ce qui se passe.
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Il y a toujours un marché à un certain prix. Le Canada peut probablement développer des créneaux à prix très élevés, mais il ne pourrait jamais exporter de grands volumes de produits laitiers canadiens; ses prix sont tout simplement trop loin de ceux du marché mondial.
Notre société voulait établir une entreprise d'exportation canadienne. Après notre défaite devant le tribunal en 2002, nous nous sommes adressés à tous les gouvernements provinciaux du pays pour voir s'il y avait un intérêt pour l'établissement d'un stock de lait exportable, conforme aux règles de l'OMC, dans chaque province. Notre offre a été repoussée par toutes les provinces. Par conséquent, nous sommes restés dans le domaine de l'exportation et exportons actuellement du capital et des emplois.
Depuis, nous investissons en Argentine, où nous employons 1 000 personnes et sommes le transformateur laitier le troisième plus important. La raison pour laquelle nous sommes allés en Argentine, c'est qu'en Argentine, comme en Nouvelle-Zélande, on produit du lait à un prix concurrentiel à l'échelle internationale, ce qui nous permet d'offrir nos services sur les marchés d'exportation. Nous avons récemment investi en Europe, où le prix du lait est inférieur à celui d'ici, ce qui nous donne accès aux marchés européens. Bref, s'il est possible d'envisager des créneaux de spécialité pour les produits du Canada, il serait impensable de les exporter en grandes quantités.
L'autre problème qui se pose, c'est qu'avant décembre 2002, le Canada, avec son système de gestion de l'offre, pouvait envoyer à l'étranger sa production excédentaire, soit ses excédents structurels et autres. Cette porte s'est fermée et honnêtement, c'est l'un des plus grands défis auquel est confronté l'industrie laitière canadienne. Si nous continuons de créer, de former ou d'administrer un système de gestion de l'offre en fonction de la demande nationale d'huile de beurre, nous aurons toujours un excédent structurel qui coûtera cher aux producteurs, à l'industrie ou aux contribuables si nous voulons libérer le marché et maintenir les niveaux de prix actuels. Nous ne sommes pas contre les niveaux de prix nationaux; un agriculteur en faillite est absolument inutile pour un transformateur laitier.
Le but n'est pas d'essayer de quêter le voisin; le but est de trouver des façons de stimuler la croissance pour que tout le monde puisse prospérer et qu'on maintienne les prix. Nous venons de vivre une grave escalade de prix qui se répercute sur le marché 12 mois plus tard et engendre d'autres problèmes. Tout est lié à cette confusion entourant les CPL. Je pense que c'est un bouc émissaire qui nous détourne du problème réel ou fondamental.
C'est un bon système; il est bon pour tout le monde, mais il doit s'adapter aux réalités du marché. Des changements se sont opérés, mais à mon avis, pour ce qu'il vaut, ils ne sont pas suffisants pour maintenir l'essor de l'industrie, pour que les transformateurs puissent continuer de réinvestir ou en fait... Je suis toujours surpris de voir que les producteurs laitiers eux-mêmes risquent leur argent en achetant des contingents supplémentaires; je ne peux le comprendre dans les circonstances.
Merci, monsieur le président.
Ma première partie se fera en anglais et en anglais. Je ferai l'introduction, puis Richard nous donnera toute une série de faits et de chiffres sur la situation actuelle.
[Français]
Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. Nous devons avoir un débat sur ce sujet très important, et des décisions doivent être prises rapidement. On ne peut plus se permettre d'attendre six mois ou neuf mois.
C'est un peu étrange d'être ici aujourd'hui. Il me semble que l'on répète les mêmes choses que l'an passé. J'espère que vous serez patients. On va refaire le même exercice.
Premièrement, j'aimerais vous décrire l'image du producteur laitier à l'heure actuelle. Nous sommes très inquiets de l'impact des négociations de l'OMC dans le futur. Présentement, nous en sommes au point où nous nous posons des questions au sujet du contrôle des importations. Après neuf ans d'importations de mélanges d’huile de beurre et de sucre et, depuis 1999, de concentrés protéiques, ou isolats — appelez-les comme vous voulez —, la protéine laitière entre au pays sans qu'il n'y ait aucun contrôle. On le sait maintenant depuis le mois de janvier. La porte est ouverte aux importations en vertu de la ligne tarifaire 35.04.
Nous sommes aussi convaincus que tout cela est une question de prix. Ce n'est pas une question de fonctionnalité. On aurait pu faire des concentrés protéiques au Canada depuis bien longtemps, mais quelqu'un a trouvé une source de protéines à très bas prix, subventionnée ou non, selon qu'elle vient de la Nouvelle-Zélande ou d'ailleurs, et on essaie de se justifier pour pouvoir l'importer, parce qu'elle est fonctionnelle, etc.
L'industrie laitière ne reçoit pas de subventions. Notre revenu vient du marché, des consommateurs. À l'heure actuelle, la plus grosse préoccupation des producteurs laitiers réside dans l'image de l'industrie laitière. Tout ce qui est à risque repose sur les épaules des producteurs. Nous rachetons les surplus des solides non gras qui se retrouvent à la CCL. Nous les rachetons des mêmes transformateurs qui importent les concentrés protéiques. Ça n'a aucun sens. On déplace des kilos de protéines qui nous rapportaient 12 $ le kilo dans la production de fromage, pour les vendre 1 $ le kilo à l'industrie de la production animale.
[Traduction]
Je dois dire que ce processus ne peut plus durer si nous voulons un système de gestion de l'offre viable. Nous sommes convaincus que les transformateurs sont viables. Regardez leurs chiffres depuis 1999. Ils sont viables. Nous n'en sommes pas jaloux; ce n'est que s'ils sont viables, nous ne voulons pas que ce soit à nos dépens. Il y a une forme de gestion de l'offre pour les transformateurs.
Le contrôle des importations de produits laitiers finis protège les transformateurs laitiers du pays. Ils ont des tarifs douaniers élevés et évoluent dans un environnement fermé. Ils se livrent concurrence entre eux et s'ils achètent leurs matières premières au même prix, ils ne sont pas mal traités. Les droits hors contingent qui s'appliquent à leurs produits les protègent autant que nous le faisons.
Pour revenir à la situation des concentrés protéiques du lait, je ne veux pas faire trop de politique. Si je regarde la situation depuis deux ans, l'ancien ministre qui a créé un groupe de travail (auquel nous participions) avait indéniablement le luxe d'interjeter appel de la décision du TCCE. Ainsi, il a acheté du temps, ce qui a partiellement gelé le dossier. Mais depuis le 31 janvier, le nouveau ministre a eu toute une courbe d'apprentissage pour se faire une idée à ce sujet et prendre sa propre décision. La situation et la confusion qui règne concernant la technologie et tout ce qui l'entoure font qu'il a beaucoup de choses à apprendre pour prendre la bonne décision.
Il ne peut pas se permettre le luxe d'attendre. Une décision doit être prise à court terme et des mesures, adoptées très bientôt. Je sais que Richard va vous en parler, mais cette question doit être réglée, et il faut trouver des solutions d'ici un mois, un mois et demi, et non dans 12 mois.
Nous avons entendu les transformateurs. Je pense que nous pourrions entrer dans toutes sortes de débats techniques sur ce qui est bien ou mal. La question est la suivante : avons-nous toujours un système de gestion de l'offre du lait au Canada? Il y a une motion à la Chambre qui prescrit en gros que tous les partis appuient la gestion de l'offre, et je pense que cette motion est assez forte. Nous attendons maintenant des mesures concrètes sur le contrôle des importations.
Le dossier de l'OMC sera traité à part, mais si nous ne pouvons pas prendre des mesures pour contrôler les importations, compte tenu de tous les problèmes que nous avons... Nos producteurs se demandent ce qui se passe et ce que nous faisons.
Je vais maintenant céder la parole à Richard, qui abordera tous les aspects techniques nécessaires.
:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Merci aux membres du comité.
Avant de commencer, j'aimerais attirer votre attention sur la trousse qui vous a été remise, et plus particulièrement sur les annexes de cet exposé. Ces annexes incluent une chronologie des faits importants depuis les années 1990 et le Cycle Uruguay. On y présente également la réaction en chaîne qui explique l'impact économique résultant du non-contrôle des importations de concentrés protéiques du lait. Vous y trouverez aussi une explication des deux lignes tarifaires et des quantités d'importations dans des termes plus techniques.
Dans mon texte, je parle des arguments juridiques relatifs au GATT et à l'ALENA. Malheureusement, nous n'avons pas pu tout vous présenter dans les deux langues, mais nous vous ferons parvenir l'annexe manquante un peu plus tard aujourd'hui.
Mon temps étant limité, je vais signaler seulement les faits nouveaux importants qui ont amené les PLC, les Producteurs laitiers du Canada, a demander au gouvernement d'intervenir pour rétablir les mesures de contrôle des importations de concentrés protéiques du lait.
Au cours du Cycle Uruguay et des négociations de l'OMC, le gouvernement du Canada a négocié des plafonds d'importation de produits laitiers, y compris les concentrés protéiques du lait, les CPL. Les CPL étaient déjà visés clairement par la ligne tarifaire 04.04 qui est dans le chapitre sur produits laitiers. Il s'agissait de produits faits de composants naturels du lait. Un contingent tarifaire a été négocié pour que l'importation de ces produits soit plafonnée à 4 345 tonnes.
Les États-Unis ont contesté l'application de ces contingents tarifaires dans le cadre d'un processus de règlement de différends de l'ALENA, en 1996. Le Canada a eu gain de cause dans cette affaire, et les contingents tarifaires, y compris celui de la ligne tarifaire 04.04, ont toujours été appliqués à tous les pays, y compris les État-Unis.
Dans un avis transmis aux importateurs le 19 octobre 1999 par le ministère des Affaires étrangères et du commerce international, le MAECI, il était indiqué clairement que les concentrés protéiques du lait et les mélanges de composants naturels du lait sont les principaux produits visés par le numéro tarifaire 04.04.
À peu près au même moment, malgré cet avis exprimé par le ministère chargé des négociations de l'OMC, l'Agence des services frontaliers du Canada a décidé de classer un concentré protéique du lait, le PROMILK 872, qui venait de la Suisse, au numéro tarifaire 35.02, qui vise les autres matières protéiques et leurs dérivés non dénommés ailleurs et qui ne sont pas assujettis à un tarif. En fait, si je me souviens bien, le numéro tarifaire 35.02 vise les protéines albumines.
En 2002, les Producteurs laitiers du Canada ont constaté une hausse rapide des importations de concentrés protéiques classés au chapitre 35 et ont demandé à l'Agence des services frontaliers du Canada d'expliquer cette situation. En avril 2003, l'agence a révisé sa classification et a reclassé le PROMILK 872 B, un concentré protéique du lait avec une teneur en protéine de 87.5 p. 100, au numéro tarifaire 04.04.
Advidia, la compagnie qui importe le produit, a contesté cette reclassification devant le Tribunal canadien du commerce extérieur, et le 8 mars 2005, le tribunal a décidé que PROMILK était bien classifié, non pas au numéro 35.02, mais au numéro 35.04, qui regroupe les concentrés de substances et autres matières protéiques et leurs dérivés non dénommés ailleurs, et qui décrit mieux, selon eux, les concentrés protéiques du lait que les composants naturels du lait.
Malgré le fait que cette décision ne correspondait manifestement pas à l'intention du gouvernement du Canada, la Cour d'appel fédérale a jugé que la décision du tribunal du 31 janvier de cette année n'était pas déraisonnable.
[Traduction]
Cette décision retire au gouvernement du Canada un droit qu'il a obtenu et négocié devant l'OMC en 1994. Il est de la responsabilité du gouvernement du Canada de corriger la situation.
À l'heure actuelle, les concentrés protéiques du lait dont la concentration est inférieure à 85 p. cent demeurent assujettis au tarif 0404, alors que ceux dont la concentration est supérieure à 85 p. cent sont assujettis à la ligne tarifaire 3504 et entrent au pays sans tarif douanier. Il faut comprendre que ce seuil de 85 p. cent ne constitue pas une solution. Ce n'est qu'une question de temps avant que l'industrie n'adopte une forme de concentré protéique du lait plus pure dans ses procédés de fabrication.
Du point de vue des producteurs, chaque kilogramme de concentré protéique importé prend la place d'un peu plus de deux kilogrammes et demi de solides non gras canadiens. Grâce à la technologie existante, jusqu'à 25 p. 100 des protéines laitières qu'on trouve dans le lait industriel canadien pourraient être remplacées par des importations.
L'importation illimitée de protéines pourrait faire augmenter les excédents de solides non gras à plus de 100 millions de kilogrammes. C'est plus que ce que le système peut supporter, et cela mènera à l'effondrement de la structure des prix nationale des solides non gras, mettant du même coup très rapidement un terme à la gestion de l'offre dans la production laitière canadienne.
Nous estimons que la perte de revenus à relativement court terme pour les producteurs serait de l'ordre de 500 millions de dollars. C'est pourquoi les Producteurs laitiers du Canada demandent au gouvernement d'agir immédiatement. Ce n'est pas que le gouvernement n'a pas les outils pour régler le problème. Diverses options législatives s'offrent au gouvernement pour corriger la situation.
J'aimerais revenir à un point soulevé par Jacques. Ni les producteurs ni les transformateurs ne sont responsables de l'application adéquate des contrôles des importations. Cette responsabilité incombe au gouvernement, qui possède les outils et les pouvoirs nécessaires pour rétablir la prévisibilité de importations de concentrés protéiques du lait. Si ce droit n'est pas rétabli, le pilier du contrôle des importations disparaîtra et tout le système de gestion de l'offre s'effondrera.
Je reconnais que toute solution mise en oeuvre par le gouvernement fédéral aura des conséquences, soit pour nos partenaires commerciaux, qui s'en plaindront, soit pour nos propres transformateurs, qui en feront tout autant. Nous vous prions toutefois d'évaluer, en tant que parlementaires, le poids de ces conséquences par rapport à celles dont souffrira le secteur de la production de notre industrie si rien n'est fait.
Les PLC pourraient recourir à l'article 28 du GATT pour que le gouvernement limite le plus rapidement possible les importations de protéines du lait en vertu de la disposition 35.04. Le gouvernement amorcerait immédiatement des consultations avec ses partenaires commerciaux et modifierait sa liste tarifaire nationale par l'adoption d'une loi au Parlement. Cette stratégie permettrait de compenser nos partenaires commerciaux, ce qui limiterait le risque d'une poursuite internationale.
Le gouvernement fédéral a exprimé son inquiétude qu'une telle intervention en vertu de l'article 28 ne s'applique pas aux États-Unis en vertu de l'ALENA, même si nous lui avons fourni un avis juridique contraire. Nous n'arrivons toujours pas à comprendre cet argument.
Les PLC estiment aussi que si le gouvernement n'est pas prêt à prendre des mesures en vertu de l'article 28, il pourrait harmoniser la classification du Canada à celle des États-Unis. Les États-Unis considèrent que tous les CPL dont la teneur est de 40 p. 100 à 90 p. 100 doivent être assujettis à la ligne tarifaire 0404. Nous trouvons inacceptable que dans les circonstances actuelles, un produit soit classé différemment selon qu'il entre au Canada ou aux États-Unis.
Plus tôt cette semaine, le conseil d'administration des PLC s'est réuni à Ottawa pour discuter de la proposition actuelle du ministre Strahl de créer un groupe de travail pour se pencher sur les problèmes de l'industrie. Pour les producteurs laitiers, il est très clair qu'effectivement, nous devons nous pencher sur les normes de composition. La confusion est totale : la réglementation est interprétée de toutes sortes de façons et appliquée avec laxisme, sans compter qu'il y a deux règlements opposés qui s'appuient sur des définitions différentes de ce qui constitue un produit laitier.
Bref, nous devons effectivement nous pencher sur les normes de composition. Cependant, il faut tout de même veiller à ce que les importations se limitent à ce qui a été négocié dans les accords commerciaux internationaux. Nous avons toujours besoin de contrôles des importations efficaces.
Mardi dernier, les Producteurs laitiers du Canada ont envoyé une lettre au ministre Strahl pour accepter de participer au groupe de travail, à condition que le processus soit accéléré et que le principal objectif de la discussion soit de déterminer comment les producteurs, les transformateurs et le gouvernement travailleront ensemble pour veiller à ce que les importations de produits et d'ingrédients laitiers, maintenant et à l'avenir, ne minent pas le maintien d'un système de gestion de l'offre fort et efficace. Nous espérons que tous les participants partagent cet objectif principal.
Sur cette note, monsieur le président, je vais conclure notre exposé. Nous sommes tous disposés à répondre à vos questions. Merci.
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Je commencerai avec la première partie de la question, M. le président.
En ce qui concerne l'harmonisation, actuellement, les États-Unis ont des concentrés protéiques du lait classés sous le numéro 0404 — enfin c'est 9010, mais pour simplifier les choses, je parlerai de 0404 — et a défini les concentrés protéiques du lait comme étant tous ceux qui ont une teneur protéique de 40 à 90 p. 100. Le TCCE, fait curieux, avait affaire à un produit qui avait une teneur protéique de 87,5 p. 100. Ils ne l'appelaient pas isolat protéique du lait, IPL ou un CPL, comme nous l'avons entendu auparavant. Ils disent qu'il n'y a pas de distinction nette dans la classification ou la définition des concentrés protéiques du lait et, par conséquent, ils n'ont pas déterminé un niveau à partir duquel, disons 85 %, c'est un IPL ou en dessous de 85 %, c'est... Ils ont clairement dit qu'ils n'étaient pas en mesure de le faire.
Alors c'est ce que font les États-Unis. Ce que nous suggérons, très simplement, c'est que si l'article 28 n'est pas la solution, alors, en fait, la solution pour le Canada serait d'adopter des mesures législatives pour intégrer une note à la ligne tarifaire, au chapitre 4, pour expliquer que ce chapitre et la ligne tarifaire 0404 viseraient les concentré protéiques du lait dont la teneur protéique maximale est 90 p. 100. Ainsi, ce serait harmonisé avec les États-Unis.
Pourquoi 90 %? Peut-être pourrais-je expliquer cela. Quand on concentre des protéines, il reste encore de l'humidité. D'un point de vue technologique, comme on nous l'a dit, ce pourrait être jusqu'à 5 %, et il resterait encore des minéraux. Alors il est très difficile d'atteindre un niveau de concentration supérieur à 90 %. C'est sûr qu'on pourrait ajouter quelque chose, avoir des mélanges et combinaisons, mais du point de vue purement de l'ultra-filtration du lait, on a une limite technique de 90 %. C'est pourquoi c'est la solution.
Permettez-moi d'expliquer très rapidement ce que fait cette solution, parce que nous sommes conscients des conséquences. Les États-Unis se joindraient à vous. En ce qui concerne l'ALENA, que l'accord s'applique ou non, les États-Unis seraient bien mal placés pour s'opposer au fait que le Canada harmonise son système pour qu'il soit exactement pareil au leur.
Les Néo-Zélandais, qui sont les exportateurs, si on veut, et qui auraient perdu le droit qui a été confirmé par notre propre tribunal canadien, pourraient s'opposer à cette démarche du Canada devant l'OMC. Vous pourriez vous retrouver avec un article 28, d'une façon ou d'une autre, du point de vue de l'OMC. Je ne voudrais pas faire d'hypothèses, mais c'est une situation potentielle. C'est pourquoi nous avons pensé que l'article 28 serait une solution plus saine dans l'ensemble.
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Je veux partager un peu du temps qui m'est imparti avec Claude.
On a parlé de la nécessité de limiter les importations. Malgré le fait que j'ai dit tout à l'heure qu'il y avait plusieurs transformateurs au Québec qui étaient d'accord avec les producteurs laitiers — même une grande majorité d'entre eux —, les représentants de l'industrie qui sont venus ici aujourd'hui nous ont dit que ce qui était demandé, c'était une interdiction des importations. Cependant, avant la décision de la Cour fédérale du Canada, des importations de protéines laitières étaient permises. Maintenant que la porte est ouverte, ils voient probablement les signes de piastre se profiler. Mais pour les producteurs laitiers, cette situation...
Je n'ai pas obtenu de réponse à ce sujet, mais je disais tout à l'heure que cela mettait en péril la gestion de l'offre, puisqu'un des piliers de la gestion de l'offre est la limitation des importations.
On a parlé d'une possibilité de pertes de l'ordre de 500 millions de dollars par année pour les producteurs laitiers. En termes d'argent, c'est dramatique; en termes de vie familiale ou même de survie de l'industrie laitière, c'est dramatique; en termes de survie de la gestion de l'offre, ça l'est aussi.
J'aimerais que vous nous disiez quelles sont, du point de vue des producteurs laitiers, les conséquences de cette décision, alors qu'on sait très bien qu'auparavant, il y avait des importations de protéines laitières et qu'on réussissait quand même à fonctionner, même si ce n'était pas un monde parfait.
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Merci, monsieur Bellavance. On a inclus dans votre trousse une analyse juridique portant sur cette question. Elle a été réalisée par nos avocats. Pour ce qui est de l'article 28, la distinction à faire dans le cas présent, c'est que le Canada, avant que notre tribunal en décide autrement, assurait déjà une protection et un contrôle dans le cadre de l'OMC en vertu du numéro tarifaire 04.04. Dans le cadre des négociations relatives à nos activités, les protéines concentrées se trouvaient dans la ligne tarifaire 0404.90.
En 1996, les États-Unis ne voulaient pas qu'on inclue nos nouveaux contingents tarifaires négociés à l'OMC ou dans le cadre du Cycle Uruguay, mais ils n'ont pas eu gain de cause. Il avait été question, plus particulièrement, de la ligne tarifaire 0404.90. À l'époque, le tribunal avait dit — et j'en fais un résumé, étant donné qu'il s'agit quand même d'un cas complexe — que le Canada, avant que la tarification résultant du Cycle Uruguay ne soit établie, contrôlait ces protéines au moyen d'une liste de produits contrôlés. Selon lui, le fait d'avoir créé des contingents tarifaires pour imiter ce système faisait que les droits acquis du Canada et ceux précisés dans l'ALENA étaient maintenus. Nous ne perdions pas nos droits relatifs à l'OMC et au GATT.
Un contingent tarifaire comporte deux tarifs: celui qui est appliqué lorsqu'on se situe à l'intérieur d'un quota et celui qui prévaut lorsqu'un volume donné est dépassé. Ainsi, les contingents tarifaires, particulièrement ceux de la deuxième catégorie, faisaient partie de cette conversion et s'appliquaient dans le cadre de l'ALENA.
S'il existe une cause juridique autre que celle du gouvernement ou que certains faits contredisent l'avis juridique qu'on lui a soumis, qu'on nous le dise. Nous trouvons cette situation frustrante. La discussion se déroule en vase clos. Ces gens ont reçu des conseils de nature juridique. Nous savons qu'il y a eu une réunion de spécialistes. Nous y étions, en 1996, et nous savons très bien ce qui s'est dit et ce qui s'est fait. Or, on nous dit que cela ne s'applique pas.
Je crois qu'un dialogue extensif serait préférable à un simple non.
:
Je vais essayer de le répondre, et peut-être Richard aura-t-il quelque chose à ajouter.
L'article 28 est logique aujourd'hui, mais si nous attendons encore trois ans, quand il y aura désescalade, cela ne vaudra plus rien, parce que la désescalade sera enclenchée et que la compensation de 10 p. 100 fera la même chose que les mélanges l'huile de beurre et de sucre.
Le calendrier est tel qu'une fois que ce groupe de travail aura terminé, et quand le ministre saura ce que nous faisons au sujet des normes de compensation, etc., je suis assez convaincu qu'il prendra une décision sur certains aspects de cette situation, parce qu'il pourrait falloir des mesures législatives pour les normes de compensation, etc.
Au sujet des mesures de contrôle des importations, il saura ce sur quoi nous nous sommes entendus comme vision à long terme, et il saura quel genre de mesures de contrôle des importations sont les plus valables, une fois qu'il aura reçu ces conclusions. Vous pourriez avoir une norme de compensation dont vous accepteriez certains éléments aujourd'hui, mais elle pourrait ne pas être très utile dans le futur si nous ne sommes pas tous d'accord. Je pense que c'est la situation.
Mais n'oubliez pas que pour parvenir à ce genre de chose, il faut des lois. À moins que vous me disiez que des mesures législatives peuvent être adoptées en une semaine, nous devons régler les autres problèmes à long terme, et à court terme, nous devons achever le plan et commencer par là.
:
Je parlerai en premier, et peut-être Jacques voudra-t-il ajouter quelque chose.
C'est le dilemme dans cette affaire, parce qu'il y a quatre ministères distincts, sous quatre différents ministres. Il y a aussi des organismes qui sont touchés, etc.
Le Canada est un pays exportateur, je ne le nie pas. Et les exportations ont beaucoup de valeur. Dans notre cas particulier, nous avons démontré qu'en agriculture, avec un produit périssable, le système que nous avons, avec certaines mesures de contrôle des importations — nous contrôlons certaines importations, et faisons qu'elles sont prévisibles — fonctionne. Cela limite l'intervention du gouvernement, et cela limite la contribution financière des contribuables, etc.
Le problème, c'est que nous avons un appareil bureaucratique qui ne compose pas nécessairement au quotidien avec le secteur agricole ou laitier. Quand les bureaucrates font affaire avec le commerce et les finances, mais pas avec l'agriculture, ils se retrouvent dans une situation de « Oh, qu'est-ce que c'est que cela? C'est tout à fait contraire à l'orientation générale et à la philosophie qu'a adoptée le pays, ou ce ministère ». Nous avons déjà essayé dans le passé, parce que nous avons vu cela arriver pendant trop d'années, mais ce n'est pas notre travail.
Je pense que vous posez la bonne question. Le gouvernement doit émettre une directive et, sans jamais fléchir, forcer l'appareil bureaucratique à fournir des réponses — pas des réponses sans risque, parce qu'il n'y en aura pas, mais en six ans, cet appareil n'a proposé aucune solution au problème. Je pense que c'est une partie du problème.