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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION

Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 23 mars 2004




Á 1105
V         Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.))
V         M. Robert Lanctôt (Châteauguay, Lib.)
V         Le président

Á 1110
V         M. Vic Toews (Provencher, PCC)
V         Le président
V         M. Vic Toews
V         Le président
V         M. Vic Toews
V         M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ)
V         Le président
V         Le président
V         M. Jacob Ziegel (professeur émérite de droit, Faculté de droit, Université de Toronto, À titre individuel)

Á 1120
V         Le président
V         M. Christopher Manfredi (professeur titulaire, Département des sciences politiques, Université McGill, À titre individuel)

Á 1125

Á 1130
V         Le président
V         M. Peter Russell (professeur, Science politique, Université de Toronto, À titre individuel)

Á 1135

Á 1140

Á 1145

Á 1150
V         Le président
V         Mme Lorraine Weinrib (professeure, Faculté de droit, Université de Toronto, À titre individuel)

Á 1155

 1200
V         Le président
V         M. Vic Toews

 1205
V         M. Jacob Ziegel
V         M. Vic Toews
V         M. Peter Russell

 1210
V         M. Vic Toews
V         Le président
V         Mme Lorraine Weinrib
V         Le président
V         M. Jacob Ziegel

 1215
V         Le président
V         M. Richard Marceau

 1220
V         M. Peter Russell
V         M. Richard Marceau
V         M. Peter Russell
V         M. Richard Marceau
V         M. Peter Russell

 1225
V         M. Richard Marceau
V         M. Jacob Ziegel
V         Le président
V         L'hon. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD)

 1230
V         M. Christopher Manfredi
V         M. Peter Russell
V         L'hon. Lorne Nystrom

 1235
V         M. Vic Toews
V         L'hon. Lorne Nystrom
V         M. Christopher Manfredi
V         Mme Lorraine Weinrib

 1240
V         Le président
V         M. Jacob Ziegel

 1245
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt
V         Mme Lorraine Weinrib

 1250
V         Le président

 1255
V         M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PCC)
V         M. Peter Russell

· 1300
V         M. Peter MacKay
V         M. Peter Russell
V         M. Jacob Ziegel
V         Mme Lorraine Weinrib
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.)

· 1305
V         Mme Lorraine Weinrib
V         Le président
V         M. Peter Russell

· 1310
V         La présidente suppléante (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.))
V         Mme Lorraine Weinrib
V         La présidente suppléante (Mme Paddy Torsney)
V         M. Jacob Ziegel

· 1315
V         Le président
V         Mme Paddy Torsney
V         Le président
V         Mme Paddy Torsney
V         Le président
V         M. Richard Marceau
V         Mme Lorraine Weinrib

· 1320
V         M. Richard Marceau
V         Le président
V         M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)
V         Le président
V         M. Jacob Ziegel
V         M. Peter Russell

· 1325
V         Le président
V         M. Peter Russell
V         Le président
V         L'hon. Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)
V         M. Christopher Manfredi
V         M. Peter Russell

· 1330
V         Mme Lorraine Weinrib
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion
V         M. Peter Russell

· 1335
V         L'hon. Stéphane Dion
V         M. Peter Russell
V         Mme Lorraine Weinrib
V         Le président
V         M. Jacob Ziegel
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 004 
l
3e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 23 mars 2004

[Enregistrement électronique]

Á  +(1105)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)): Chers collègues, la séance est ouverte.

    Avant de céder la parole à nos témoins, je voudrais savoir s'il y a consensus parmi nous pour examiner et adopter sans débat le premier rapport du Sous-comité du programme et de la procédure de notre comité. Sommes-nous d'accord pour que soit déposé et adopté sans débat le rapport du sous-comité? Vous l'avez sous les yeux. S'il n'y a pas consensus, nous passerons sans plus tarder à l'audition des témoins.

    Monsieur Lanctôt, allez-y.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt (Châteauguay, Lib.): Monsieur le président, comme je vous l'ai dit la dernière fois, une séance de 9 heures à 11 heures ne me convient pas. Serait-il possible que la séance ait lieu de 11 heures à 13 heures? Je suis vice-président du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, qui siège de 9 heures à 11 heures. C'est pourquoi je vous avais demandé de ne pas nous réunir durant cette période. Serait-il possible que cette séance ait lieu de 11 heures à 13 heures? On m'avait dit que c'était possible.

[Traduction]

+-

    Le président: Bon, nous ne commencerons pas à discuter de tels détails maintenant. S'il n'y a pas consensus pour que le rapport soit adopté tel quel dès maintenant, passons aux témoins.

    Je comprends, monsieur Lanctôt, que vous vous inquiétiez de l'heure de nos réunions. Nous pouvons toujours changer l'heure en fonction des besoins des membres du comité.

    Alors, voulez-vous que nous en traitions maintenant? D'accord, nous y reviendrons à la fin de la séance. Merci.

    Passons maintenant au point principal à notre ordre du jour. Chers collègues, nous amorçons nos travaux sur le processus de nomination des juges à la Cour suprême.

    Vous vous souvenez sans doute que, par suite d'une motion déposée par M. Marceau, la Chambre nous avait confié la tâche d'examiner le processus de nomination de tous les juges. Par la suite, le premier ministre s'est exprimé sur la question et, après une discussion entre les membres du comité, il a été entendu que nous étudierions le processus de nomination des juges à la Cour suprême.

    Je vais tenter de me faire le porte-parole de mes collègues. Tous les députés, de tous les partis, ont insisté sur la prudence. Nous sommes tous pleinement conscients de l'importance que pourrait avoir notre étude, et notre but est de faire en sorte que, si le Parlement propose des modifications à ce processus, il le fera avec le plus grand soin.

    Dans leur déclaration sur les nominations à la Cour suprême, les députés ont bien indiqué qu'il fallait protéger les intérêts du Parlement, qui se doit de faire cette étude convenablement, l'intégrité du Parlement, si je peux m'exprimer ainsi, l'importance pour nous de bien représenter l'électorat canadien, ce pourquoi nous avons été élus, l'intégrité des tribunaux dans ce processus de nomination et, enfin, l'intérêt des candidats et des personnes nommées juge.

    Cela dit, nous sommes ravis de vous accueillir aujourd'hui...

    Monsieur Toews, vous voulez intervenir?

Á  +-(1110)  

+-

    M. Vic Toews (Provencher, PCC): Je sais que je peux vous comprendre en anglais, parce que je ne vous entend pas dans mon écouteur. L'interprétation est-elle disponible?

+-

    Le président: Oui, j'ai écouté l'interprétation un peu plus tôt.

+-

    M. Vic Toews: Mon écouteur ne semble pas vouloir s'insérer dans la prise, peut-être est-il brisé.

+-

    Le président: Monsieur Toews, pouvons-nous permettre à nos témoins de commencer pendant qu'on s'emploie à vous rééquiper?

+-

    M. Vic Toews: Oui, à condition que leurs témoignages soient en anglais. Je ne voudrais pas priver mon collègue bloquiste de l'interprétation...

+-

    M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ): Ne vous inquiétez pas, vous n'aurez qu'à me donner en échange deux minutes de votre temps d'intervention.

+-

    Le président: Nous accueillons aujourd'hui—et nous les remercions d'être venus—les professeurs de droit et de science politique que sont, par ordre alphabétique, Christopher Manfredi, Peter Russell, Lorraine Weinrib et Jacob Ziegel. Ce sont tous des experts reconnus de leurs domaines.

    Nous vous remercions d'être venus aujourd'hui pour nous guider dans notre étude.

    J'inviterai chaque témoin à faire des remarques liminaires. Normalement, nous prévoyons environ sept minutes à cette fin. S'il vous faut un peu plus de temps, n'hésitez pas à me l'indiquer. Après vos exposés, il y aura une période de questions.

    Il semble que notre système de sonorisation, dans ce magnifique mais vieil édifice du Sénat, ait des défaillances techniques. Je suspends les travaux pendant qu'on règle les problèmes.

Á  +-(1112)  


Á  +-(1116)  

+-

    Le président: Nous reprenons nos travaux. Le problème technique a été corrigé. Nous souhaitons de nouveau la bienvenue aux témoins. Nous pourrions peut-être nous en tenir à l'ordre alphabétique pour les remarques liminaires, à moins que vous ne vous soyez entendus entre vous sur celui ou celle qui prendra la parole en premier. Est-ce que l'un d'entre vous voudrait commencer?

    Monsieur Ziegel, vous avez la parole.

+-

    M. Jacob Ziegel (professeur émérite de droit, Faculté de droit, Université de Toronto, À titre individuel): Merci, monsieur le président.

    J'accepte d'être le cobaye, car il semble que je sois le seul qui ait rédigé un texte. J'en ai envoyé un exemplaire hier à la greffière, mais elle m'a indiqué aujourd'hui qu'elle n'avait pas pu le faire traduire à temps. Alors, si vous me le permettez, puisque j'ai rédigé ce texte, je vais maintenant le lire.

    Mr. Chairman, je suis heureux d'avoir été invité à témoigner devant le Comité de la justice pour faire connaître mon opinion sur le processus de sélection des membres de la Cour suprême du Canada. J'ai déjà énoncé mon point de vue dans un article que j'ai rédigé en juin 1999 pour l'Institut de recherche en politique publique, situé à Montréal. Sauf erreur, les membres du comité ont obtenu un exemplaire de cet article. Ma position est restée essentiellement la même mais, sur certains aspects, j'ai précisé ma pensée.

    À mon sens, le comité doit se poser deux questions fondamentales. Premièrement, le comité estime-t-il que le système actuel présidant à la sélection des membres de la Cour suprême est à ce point boiteux qu'il doit être entièrement remanié? Deuxièmement, qu'est-ce qui doit remplacer le système actuel si le comité juge que le statu quo est inacceptable.

    Le processus de sélection existant suscite une telle insatisfaction que l'idée de le remplacer par un processus plus démocratique n'est plus controversé. Toutefois, le statu quo bénéficiant d'un appui dans quelques milieux influents, permettez-moi de réitérer que le système est irrémédiablement défectueux par son manque complet de transparence et de responsabilisation, ce qui est inacceptable dans une société régie par la primauté du droit et, comme la Cour suprême l'a elle-même si souvent répété, les exigences de l'application régulière de la loi.

    Ces objections suffisent à justifier la nécessité d'une révision, même si nous croyons, ce qui n'est pas mon cas, que le présent système secret et paternaliste est acceptable parce qu'il a donné lieu à d'excellentes nominations.

    Autre objection fondamentale au mécanisme en place, sur laquelle on n'a pas suffisamment insisté dans les débats : le premier ministre est en conflit lorsqu'il comble une vacance à la Cour suprême. C'est que le gouvernement fédéral est la partie qui plaide le plus souvent devant la Cour et que le premier ministre est le premier représentant de ce gouvernement impliqué dans le litige.

    Dans le renvoi relatif à l'Île-du-Prince-Édouard, la Cour suprême a décrété que les autorités fédérales et provinciales devaient établir des commissions ou comités chargés de la rémunération des juges nommés par le fédéral ou par le provincial. Selon la Cour, les juges ne peuvent directement négocier les questions de rémunération avec les gouvernements fédéral et provinciaux sans paraître porter atteinte à leur indépendance lorsqu'ils tranchent des affaires criminelles et civiles auxquelles l'État est partie. Le même cheminement s'applique, selon moi, au fait que le premier ministre nomme des juges à la Cour suprême, alors qu'il est aussi un plaideur devant cette instance, et au manque d'impartialité apparent lorsqu'il exerce ce rôle de nomination.

    L'an dernier, le gouvernement britannique a tenu un raisonnement semblable pour conclure qu'il fallait abolir le Lord Chancellor's Office, parce que le lord chancelier ne pouvait en même temps diriger la magistrature anglaise, faire partie du Cabinet britannique et présider la Chambre des lords et qu'une nouvelle procédure de sélection devait être établie pour la nomination des membres de la future Cour suprême du Royaume-Uni ainsi que des tribunaux inférieurs.

    À la lumière de ce qui précède, j'estime que l'attention du comité devrait surtout porter sur le nouveau système de nomination à la Cour suprême qui devrait remplacer le système actuel. Comme je l'explique dans mon article, on a recours à différentes méthodes dans l'hémisphère occidental pour nommer les juges des plus hauts tribunaux constitutionnels et civils d'un pays et on fait de même au niveau international pour nommer les membres de tribunaux internationaux comme la Cour internationale de Justice.

    Au Canada, je crois que la vaste majorité des gens sont maintenant d'avis que, pour combler un poste vacant à la Cour suprême, il faudrait demander à un comité consultatif d'établir une liste restreinte des candidats qu'il juge les mieux qualifiés, parmi lesquels le premier ministre serait obligé de faire un choix. Il va de soi que la composition du comité devrait être définie avec soin. Il faudrait également déterminer après mûre réflexion si le comité serait tenu d'interviewer les candidats en personne et de produire un rapport après avoir fait parvenir sa liste restreinte au premier ministre.

    Une question tout aussi importante concerne le rôle que le Parlement même devrait jouer dans les nominations à la Cour suprême. Dans les années 80, lorsque je siégeais au Comité sur la nomination des juges de l'ACPD, je pensais, comme mes collègues, que l'intervention du Parlement n'était pas nécessaire. J'ai changé d'avis depuis. Je crois maintenant qu'un certain rôle de la part du Parlement est véritablement souhaitable.

Á  +-(1120)  

    Je le crois pour deux raisons. D'abord, parce que la Cour suprême joue un rôle crucial dans la tâche qui consiste à déterminer la validité des lois du Parlement; ensuite, parce que la participation du Parlement au choix ou à la confirmation des nouveaux juges à la Cour suprême permettrait aux parlementaires de mieux comprendre le rôle de la Cour et de la Charte canadienne dans l'évaluation de la constitutionnalité des lois.

    Certains s'inquiètent, et je comprends tout à fait leur point de vue, de ce que l'intervention du Parlement dans la nomination des juges de la Cour suprême pourrait donner lieu à des séances acrimonieuses comme les audiences de confirmation qui se tiennent au Comité judiciaire du sénat américain. À mon avis, la comparaison ne tient pas. La plupart des débats conflictuels qui se déroulent au comité sénatorial américain depuis 20 ans sont dus à de profondes divisions idéologiques entre les membres du comité et au choix partisan des candidats par le président américain. Selon moi, dans le modèle canadien proposé, la composition diversifiée du comité consultatif et le rôle du comité dans l'établissement d'une liste restreinte de candidats devraient éviter qu'il y ait des débats acrimonieux de type américain lorsque le premier ministre soumet le candidat de son choix à l'approbation du Parlement.

    Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que la perspective d'un débat animé au sein du comité parlementaire formé pour confirmer une nomination soit une raison suffisante de refuser au Parlement un rôle dans le processus. Pour paraphraser les paroles prononcées par un juge anglais dans un contexte différent, la justice n'est pas une vertu à l'abri des regards. Je ne pense pas non plus que les futurs juges de la Cour suprême du Canada doivent craindre d'avoir à comparaître en public devant un comité parlementaire, car je tiens pour acquis que les membres du comité les interrogeront dans un souci de civilité et de décorum et en faisant preuve de responsabilité.

    Il pourrait y avoir une période de tâtonnement avant que le Canada fixe son choix sur la méthode la plus indiquée pour remplacer le système monarchique actuel de nomination à la Cour suprême. Mon grand regret est de voir que les gouvernements fédéraux qui se sont succédé au cours des 25 dernières années n'ont pas réussi à se ranger du côté de l'opinion publique, qui est de plus en plus en faveur du remplacement du mode actuel de nomination à la Cour suprême par un système plus conforme aux valeurs démocratiques canadiennes et aux valeurs prônées par la Charte.

    Permettez-moi de conclure sur une note importante. Le mouvement de réforme du processus actuel de nomination des juges à la Cour suprême vise à renforcer et non pas à affaiblir le rôle de la cour comme institution essentielle à la structure constitutionnelle du Canada. En ajoutant la transparence et la reddition de comptes au processus de sélection, on rehaussera la stature des juges de cette cour. J'espère que cela permettra aussi aux Canadiens ordinaires de mieux comprendre le travail de la Cour suprême qui est appelée presque quotidiennement à trancher des questions très difficiles.

    Merci beaucoup.

+-

    Le président: Merci à vous.

    Est-ce qu'un autre témoin a des remarques liminaires à faire?

    Professeur Christopher Manfredi, vous avez la parole.

+-

    M. Christopher Manfredi (professeur titulaire, Département des sciences politiques, Université McGill, À titre individuel): Merci beaucoup, monsieur le président. Merci beaucoup de m'avoir invité à m'adresser à votre comité.

    Dans le temps que vous m'accordez, j'aimerais aborder trois points. L'un d'eux s'inscrit bien, je crois, dans le sillage des remarques du professeur Ziegel: quels sont les arguments avancés contre tout changement au processus—y compris celui selon lequel le processus s'en trouverait américanisé. J'aimerais aussi aborder les raisons qui devraient nous motiver à changer le mode de sélection actuel et, enfin, je vous toucherai quelques mots de ce qui pourrait remplacer le système actuel.

    L'argument qu'on entend le plus souvent contre tout changement au processus actuel, et le professeur Ziegel l'a mentionné, c'est celui qui veut qu'on américaniserait ainsi le processus. On fait valoir qu'une plus grande participation du Parlement nous donnera un processus très partisan et conflictuel.

    À mon sens, cette préoccupation se fonde sur l'image un peu fausse qu'on a du processus de nomination des juges à la Cour suprême des États-Unis. En fait, elle se fonde sur deux séries d'audiences particulières et plutôt spectaculaires des derniers temps soit, bien sûr, celles qui portaient sur Robert Bork et Clarence Thomas.

    En réalité, quand on examine le processus américain, du moins en ce qui a trait à la Cour suprême, on constate qu'il n'a pas été très conflictuel pendant les temps modernes. J'ai jugé bon de faire commencer ces temps modernes en 1937, et vous pourrez me demander pourquoi j'ai choisi cette année-là. De 1937 à 1994, année où la dernière nomination a été faite, le Sénat des États-Unis a été saisi de 39 nominations à la Cour suprême. Sur ces 39, seules trois personnes ont été rejetées et l'on a retiré la candidature d'un juge qu'on proposait de nommer juge n chef,

    Quinze des 39 nominations ont été confirmées par un simple vote oral au Sénat américain. Il est vrai que le dernier scrutin de ce genre s'est tenu en 1965, mais cela laisse néanmoins croire qu'il est relativement facile d'obtenir un consensus au Sénat sur ces nominations.

    Dans le cas des 24 autres nominations, pour lesquelles on a tenu un vote par appel nominal, le résultat a été en moyenne de 75 pour et 16 contre. Ce ne sont pas des résultats indiquant une situation particulièrement conflictuelle. Cela comprend le résultat du vote sur la nomination de Robert Bork, qui a été, je crois, de 42 pour et de 58 contre, celui sur la nomination de Clarence Thomas. qui a été de 52 pour et de 48 contre, ainsi que le vote sur la nomination du juge en chef Rehnquist, qui a été de 65 pour et de 33 contre, si ma mémoire est bonne.

    Quand on passe en revue la liste des nominations qui ont été faites pendant cette période approximative de 60 ans, on constate une absence de conflit et un consensus remarquable. Même après Clarence Thomas, les candidats proposés ont été approuvés par une assez importante majorité. D'ailleurs, je crois que le plus grand nombre de votes contre a été depuis de 11 seulement.

    Voilà pourquoi j'estime que nous devons mieux comprendre la méthode américaine et cesser d'invoquer constamment les cas Bork et Thomas, aussi spectaculaires et difficiles furent-ils.

    On fait aussi valoir, pour s'opposer à tout changement au processus de sélection, qu'il politisera tout simplement la cour et, de façon plus générale, le processus de nomination.

    Cet argument se fonde sur la présomption erronée selon laquelle le processus n'est pas déjà politisé. Je prétends qu'il l'est déjà. Le processus est déjà politique en ce sens que des facteurs autres que les compétences de juriste sont pris en compte.

    Nous tenons toujours compte de la représentation des diverses régions comme le veut la tradition ou la loi, qui prévoit, par exemple, que la cour doit compter trois juges formés en droit civil. Mais si nous tenions simplement compte des compétences de juriste, les six autres juges pourraient très bien être tous de l'Île-du-Prince-Édouard, de l'Ontario ou de l'Alberta. Mais nous avons toujours pris en compte d'autres facteurs.

    Récemment, nous avons inclus des facteurs de nature plus démographique qui ne sont pas à strictement parler des considérations juridiques. Il serait difficile de justifier une cour suprême composée uniquement d'hommes, par exemple. Cela ne passerait pas.

Á  +-(1125)  

    Oui, on s'inquiète que le processus de nomination à la magistrature fédérale soit entaché de partisanerie. Je dirais que les professeurs Ziegel et Russell sont ceux qui ont fait l'étude la plus approfondie de l'influence générale de l'affiliation partisane sur ces nominations.

    Le processus est déjà politisé, il ne faut pas seulement se demander s'il y aura ou non politisation, mais plutôt s'il y aura ou non transparence. Je crois que c'est l'élément clé.

    Au sujet de la politisation, le deuxième argument qu'on entend, c'est bien sûr celui de la politisation de l'institution qu'est la Cour suprême. J'y répondrai que la Cour suprême au XXIe siècle est déjà plus une institution politique qu'une institution juridique. C'est le résultat d'une série de changements qui ont façonné son évolution, depuis 1949. La Cour a probablement cessé d'être une institution juridique en 1975, lorsqu'elle a obtenu le pouvoir de décider des dossiers qu'elle acceptait.

    Les politologues qui étudient le processus décisionnel judiciaire s'accordent pour dire que depuis près de 60 ans, les juges sont des intervenants qui ont en général un objectif et dont l'attitude et les croyances personnelles influencent leur interprétation des lois. Ils agissent de manière stratégique pour augmenter la probabilité que leurs préférences se traduisent en règles exécutoires; c'est ce que nous dit la sociologie.

    La Cour suprême élabore des politiques n'ont pas de manière fortuite, dans le cadre de ses fonctions judiciaires, mais parce que la majorité des juges croient que certaines règles seront avantageuses pour la société. Dans le domaine des politiques pénales, on en voit un exemple : chaque juge a son idée de ce que doit être un système de justice pénale qui fonctionne bien. Quand des questions de droit pénal ou de conduite officielle sont soumises à un juge, celui-ci y compare sa vision des choses et décide de la constitutionnalité de la chose à partir de là, je dirais.

    Alors pourquoi changer? Je crois que c'est parce que les tribunaux exercent des fonctions gouvernementales—non pas de manière exclusive, mais de manière importante—et qu'il n'est plus possible de justifier que leur composition soit laissée uniquement entre les mains de l'exécutif. Je dirais que les législateurs ont un rôle légitime à jouer, et que la démocratie exige une forme de participation publique.

    Quel genre de processus faudrait-il adopter? En fait, je n'ai pas d'objection à ce que le premier ministre continue à choisir la personne nommée, qu'il présente au comité. On pourrait vouloir créer un comité permanent sur les nominations judiciaires fédérales et exiger que le candidat retenu par le premier ministre, ainsi qu'un dossier justifiant ce choix, soient présentés pour examen au comité. Le comité pourrait étudier la candidature et se prononcer à son sujet. Des audiences publiques pourraient être possibles mais je ne crois pas qu'elles seraient nécessaires. Il ne serait certainement pas nécessaire que le candidat retenu comparaisse en séance publique. Le comité, comme tout comité permanent, présenterait sa recommandation à la Chambre, qui voterait pour ratifier ou rejeter la proposition.

    Il n'y a pas de raison de croire que ce processus serait plus politisé que celui que nous avons maintenant. Il le serait peut-être d'une manière différente, mais il serait certainement transparent, et je crois que c'est ce que doit viser le comité.

    Merci beaucoup.

Á  +-(1130)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Russell, c'est à vous.

+-

    M. Peter Russell (professeur, Science politique, Université de Toronto, À titre individuel): Merci, monsieur le président.

    Merci de nous avoir invités ici aujourd'hui. Je ne saurais trop insister sur l'importance de votre travail. Vous entreprenez une tâche extraordinaire. Vous traitez de l'une des dimensions fondamentales de notre démocratie constitutionnelle: la façon de choisir les juges de plus haut rang, qui interprètent la Constitution définissant les pouvoirs du gouvernement et les droits des citoyens.

    Vous vous êtes attelés à une tâche colossale. Je suis vraiment ravi qu'un comité parlementaire le fasse, mais vous devez bien le faire. C'est là-dessus que je veux insister.

    Je sais que deux postes seront vacants en juin, et on doit faire pression sur vous pour que vous agissiez, parce que c'est ce que souhaiterait le premier ministre. Je félicite le premier ministre d'avoir lancé le processus et d'en stimuler la progression. Comme mes collègues l'ont dit, il est grand temps que les Canadiens se penchent sur la question, mais ne le faites pas à la légère. Écoutez les diverses représentations qui vous seront faites, parlez-en entre vous; vous parlez d'un problème qui ne touche pas que le Canada.

    À la fin janvier, j'ai coprésidé à Londres une conférence de 19 pays sur l'interprétation constitutionnelle par les tribunaux supérieurs. Dix-neuf pays représentatifs du monde démocratique ont présenté des mémoires sur la façon de faire. Comme M. Ziegel vous l'a rappelé, cette rencontre s'est tenue à Londres parce qu'on y trouve un comité parallèle au vôtre, un comité parlementaire, malheureusement, c'est un comité de lords, mais cela pourrait aussi intéresser la Chambre, qui se penche sur le même problème, la même question.

    Au risque de paraître arrogant, je vous exhorte à prendre votre travail très au sérieux et à user de diligence s'il le faut, mais si vous ne pouvez le terminer avant la nomination des deux juges à la Cour suprême, tant pis.

    La procédure actuelle n'est pas la pire qui soit. Elle nous a donné de très bons juges. Il n'y a pas d'urgence. Si vous n'avez pas de propositions avant juin, cela ne signifie pas que deux candidats minables deviendront juges. De tout ce que je puis vous dire aujourd'hui, je serai heureux si vous retenez au moins cela.

    Je dois dire que le Canada est la seule démocratie constitutionnelle au monde où le chef du gouvernement a tout pouvoir pour choisir qui siégera au plus haut tribunal du pays pour interpréter la constitution qui y a force exécutoire. La situation de la Nouvelle-Zélande est proche de la nôtre, mais là-bas, au moins, le solliciteur général et premier ministre ont l'aide d'un comité consultatif interne composé de juges de haut rang.

    Jusqu'ici, nous nous sommes assez bien débrouillés avec notre système, mais ce pourrait être mieux encore. Dans une démocratie constitutionnelle, il est impensable qu'une personne, si extraordinaire et populaire soit-elle, ait le pouvoir discrétionnaire de choisir, sans freins ni contrepoids. C'est aussi simple que cela.

    Le Parlement a-t-il un rôle a jouer? Je crois que oui. Je suis vraiment content que le premier ministre Martin ait entrepris la réforme du système au Parlement, et surtout, en donnant au Parlement un rôle important dans les délibérations sur le sujet, sur ce que doit être le nouveau système.

    Mon collègue, Chris Manfredi, vous a présenté le modèle américain. Comme beaucoup de Canadiens, c'est sans doute à ce modèle que songeait le premier ministre. Ce n'est pas un mauvais modèle, je suis d'accord avec Chris là-dessus, mais les États-Unis sont le seul pays du monde qui fonctionne ainsi. C'est un modèle vraiment exceptionnel. Il est prévu par la Constitution des États-Unis, il n'y a pas d'autres choix.

Á  +-(1135)  

    Et le rôle du Sénat n'est pas simplement de confirmer les noms qui lui sont présentés par le président, mais de participer vraiment à la nomination : le Sénat consent ou non à la nomination. Il ne dit pas simplement: «Nous aimons le candidat» ou «Nous n'aimons pas le candidat», le Sénat a un rôle constitutionnel. Tout ce que je tenais à vous dire, c'est que c'est un modèle, mais qu'il y en a de nombreux autres et que le modèle américain n'est peut-être pas celui qui nous convient le mieux.

    Les régimes parlementaires, dans le Commonwealth et en Europe occidentale, ont travaillé sur la question et mis sur pied des services judiciaires ou des commissions de nomination comme principal moyen de garantir la reddition de comptes et la protection—je pèse mes mots—contre un contrôle gouvernemental indu dans le choix des juges des plus hauts tribunaux. C'est ce qu'on craint toujours : les manoeuvres politiques visant à former un tribunal qui corresponde à des desseins politiques particuliers. Les commissions, y compris celle dont on parle actuellement en Grande-Bretagne, ne prévoient pas de rôle direct pour les parlementaires.

    Je vais vous donner un aperçu de la proposition dont est saisi actuellement le Parlement britannique, et ce, depuis le début du mois. On vise deux choses, vous savez. La plus importante, c'est la création d'un nouveau tribunal, la Cour suprême du Royaume-Uni. La Chambre des lords est le plus haut tribunal judiciaire d'Angleterre, et disparaîtra. Le lord chancelier, soit le juge en chef du Royaume-Uni, disparaîtra aussi. On créera une nouvelle cour suprême du Royaume-Uni.

    Voici comment les juges y seront nommés. Ils seront choisis par une commission composée de cinq personnes, qui remettra une liste au ministre responsable. Dans le régime actuel, il s'agit d'un nouveau ministre, lord Faulkner, qui est secrétaire d'État pour les Affaires constitutionnelles. Il n'est ni ministre de la Justice, ni secrétaire de l'Intérieur. Cette commission de cinq personnes donnera donc au ministre responsable une liste de deux à cinq noms, dont l'un sera proposé au premier ministre, pour fins de nomination par la Reine.

    Vous voulez sans doute savoir qui sont les cinq personnes membres de la commission? C'est un aspect crucial, n'est-ce pas? Eh bien deux d'entre elles sont des juges de haut rang qui siégeront déjà à la cour suprême elle-même. Il s'agit de ce qu'ils appellent maintenant le président, soit le juge en chef de la nouvelle cour suprême, et le juge en chef adjoint. Ils seront tous mutés de la Chambre des lords actuelle. Ces postes seront donc comblés au départ. Le président du plus haut tribunal d'Angleterre et le président adjoint sont les deux membres qui choisiront les candidats. Les trois autres membres proviendront d'autres commissions de nomination à la magistrature, qui seront créées. L'une d'entre elles existe déjà, et les deux autres seront nouvelles. En effet, l'Écosse a déjà une commission de nomination à la magistrature et l'un de ses membres se joindra aux deux juges dont j'ai parlé. Un autre viendra de la commission consultative de nomination à la magistrature d'Irlande du Nord et l'autre, d'une commission de nomination à la magistrature qui sera créée pour l'Angleterre et le pays de Galles.

    Comme vous le voyez, il se passe beaucoup de choses en Angleterre pour la réorganisation de la nomination des juges.

    Il y aura là une commission de cinq personnes. Les trois membres qui viendront d'autres commissions pourraient être eux-mêmes des juges, ou des avocats éminents de Grande-Bretagne, ou des profanes. Pour l'instant, il ne s'agit que d'un projet de loi qui pourrait ne pas être adopté au Parlement...

    Je m'arrête ici pour dire que je reçois des tas d'appels et de courriels. L'autre jour, on m'a appelé pour me dire que cela risquait de prendre dix ans. J'espère que vous ne prendrez pas dix ans.

    Bon, voilà pour le système britannique. Je pense qu'il ne fonctionnerait pas ici. Certains éléments, toutefois, pourraient... je pense que le Parlement doit jouer un rôle plus important.

Á  +-(1140)  

    Je ne sais pas si mon collègue de l'Université de Toronto, David Beatty, vous présentera un mémoire, mais si vous voulez que le Parlement joue un rôle dans la nomination des juges, parmi les 19 pays qui ont mis au point de nouveaux modes de nomination aux plus hauts tribunaux, je pense que c'est le modèle ouest-allemand qui vous intéressera le plus. Il y a là une cour constitutionnelle très importante et je dirais que c'est l'une des meilleures du monde. Elle a une excellente feuille de route. Ses juges sont nommés par les deux chambres du Parlement fédéral, où le vote doit récolter les deux tiers des voix, par suite d'un travail en comités.

    Mais au fil des ans, après plus de 40 ans, en fait, une pratique a été adoptée, selon laquelle il doit y avoir tant de juges de la gauche et tant de juges de la droite. Cela ne fait que souligner le fait, et c'est un fait, et non une opinion, que l'interprétation des constitutions est un acte politique, au sens large. Des philosophies existent sur l'orientation que doivent prendre les tribunaux et le droit.

    En Allemagne de l'Ouest, de manière très systématique, on met en balance les démocrates chrétiens et les socio-démocrates. J'insiste là-dessus, puisqu'à mon avis, il faut un équilibre au plus haut tribunal du pays, entre les diverses orientations se rapportant au droit.

    Je sais, on entend beaucoup de gens, de nos jours, qui pensent que les juges devraient affaiblir le sens de la Charte des droits, la minimiser ou l'interpréter littéralement. On ne m'explique jamais la façon de procéder. D'autres voudraient une interprétation plus libérale. Ce sont des différences importantes et en nommant les juges du plus haut tribunal, il est essentiel de ne pas laisser une de ces philosophies de l'interprétation constitutionnelle dominer, particulièrement pendant une longue période.

    Il ne faut pas non plus oublier que quand on nomme quelqu'un à la Cour suprême, c'est pour bien longtemps. Il faut vraiment garder cela en tête.

    Je vais terminer là où j'ai commencé. Je crois vraiment qu'il vous faudra un modèle typiquement canadien. Je ne peux imaginer qu'on importe le modèle américain, du moins dans sa version actuelle, avec son pouvoir, son pouvoir constitutionnel, dans un modèle typique du congrès, où l'une des chambres partage le pouvoir de nomination.

    Il faut être pragmatique, aussi, c'est pourquoi ce que vous choisirez à cette étape-ci ne devrait pas nécessiter la modification officielle de la Constitution. Je n'insisterai pas davantage, je crois que nous sommes tous des adultes ici et nous savons tous pourquoi il faut éviter le bourbier constitutionnel.

    J'ai noté quelques éléments de modèles étrangers, que vous pourriez prendre en considération. Les voici.

    Le Parlement doit jouer un rôle dans la création d'un comité de sélection de candidats à la magistrature, et les parlementaires qui en font partie doivent eux-mêmes représenter les diverses formations politiques au Parlement; le comité ne doit pas être dominé par l'une ou l'autre.

    Ce comité de sélection ne pas être composé uniquement de responsables élus. Et il s'agit bien d'un comité de sélection, alors qu'aux États-Unis, le comité judiciaire du Sénat ne joue pas de rôle dans la sélection, comme nous le rappelait Christopher Manfredi. Je pense que la sélection est cruciale. Qui sont les personnes clés à considérer?

    La commission doit aussi à mon avis comprendre des juristes éminents et des personnes qui connaissent bien les affaires judiciaires, sans être des parlementaires.

    Je crois aussi que dans une fédération où la Constitution est interprétée par la Cour suprême, de manière à définir les pouvoirs des provinces et des peuples autochtones, ainsi que leurs droits, le Conseil de la fédération, représentant les gouvernements provinciaux et territoriaux et les organisations autochtones, doit jouer un rôle dans les nominations au comité de sélection. Je pense que ce comité de sélection doit jouer le rôle principal dans le choix des candidats prometteurs pour toutes, je répète, toutes les nominations à la magistrature fédérale, et non seulement à la Cour suprême du Canada. En disant cela, je crois répondre à ce que demandait Richard Marceau, en donnant le coup d'envoi au travail de votre comité.

Á  +-(1145)  

    Pour les nominations à la Cour suprême du Canada, je crois vraiment que vous devriez songer à la pratique adoptée en 1995, en Afrique du Sud, pour la nouvelle Cour constitutionnelle. Les audiences publiques ne sont pas menées par un comité de parlementaires, mais par la Commission des services judiciaires, qui dans notre cas pourrait comprendre des parlementaires. Ce n'est pas un contexte parlementaire. Le président de la commission est un juriste. Les questions ne sont pas posées pour mettre les candidats dans l'embarras, mais l'entrevue se fait en public, en présence des médias. Les questions sont rapportées dans les médias et il y a des échanges entre la commission, qui pose des questions, et le candidat. Le système est bien conçu. Il a donné lieu à des nominations. Nous connaissons ses résultats. Ce processus existe depuis presque dix ans. Étudiez-le. Je pense que c'est un concept très intéressant.

    Enfin, le pouvoir de nomination doit rester entre les mains du gouverneur en conseil, pour éviter d'avoir à modifier la Constitution. Même sans modification de la Constitution, je peux imaginer, et il y a des précédents pour cela, que le gouvernement sera tenu de motiver son refus d'un candidat proposé par le comité de sélection. Il faudrait alors recevoir de nouvelles recommandations.

    C'est certainement le choix qu'ont fait les Britanniques. Dans le système britannique, le premier ministre—et ceci ne changera pas, même s'ils modifient leur projet de loi—est responsable de la nomination finale, si l'on peut dire, ou de la proposition du nom à la Reine, mais s'il n'aime pas le nom retenu par la nouvelle commission qu'on est en train de créer, il doit lui en demander d'autres. Il ne peut pas simplement dire: «Je n'aime pas votre suggestion, je vais plutôt nommer un de mes bons amis».

    Encore une fois, usez de diligence... beaucoup d'entre nous, y compris moi-même, réfléchissent vraiment à cette question pour la première fois. Prenez votre temps, travaillez bien. Bonne chance.

Á  +-(1150)  

+-

    Le président: Merci.

    Si elle veut bien, Mme Weinrib aura le dernier mot.

+-

    Mme Lorraine Weinrib (professeure, Faculté de droit, Université de Toronto, À titre individuel): Merci beaucoup. C'est pour moi un grand honneur que cette invitation à vous aider au début de vos délibérations sur cette très importante question de valeur constitutionnelle pour notre pays.

    Nous avons le bonheur, ou le malheur, d'avoir un système constitutionnel très compliqué. Nous avions au début un cadre constitutionnel quasi colonial que nous avons fait évoluer par écrit et autrement pour en faire une Constitution de structure fédérale complexe, à laquelle s'est ajoutée la Charte et, plus récemment, des considérations supplémentaires sur la justice envers les peuples autochtones. Les relations entre le législatif, le judiciaire et l'exécutif ont changé. Plus particulièrement, la Cour suprême du Canada a évolué, à partir de l'héritage de la structure judiciaire du Royaume-Uni, en fonction aussi, et c'est très important, des réactions que nous avons eues au fur et à mesure pour répondre aux besoins de notre pays si complexe.

    La méthode par laquelle nous choisissons les juges de notre haut tribunal doit nécessairement tenir compte non seulement de l'important travail de cette cour, mais aussi du rôle important que joue cette institution canadienne très particulière. Il nous faut garder à l'esprit que son indépendance, son intégrité, le calibre de ses membres du point de vue juridique, leurs compétences et expérience de vie ainsi que leurs connaissances du droit public et privé sur lesquelles portent ses délibérations sont d'une importance fondamentale. En outre, ce tribunal doit fonctionner dans la collégialité, pour une société diversifiée, pluraliste et égalitaire.

    Notre cour a une excellente réputation à l'étranger, principalement pour ses plus récents travaux. Jusqu'à récemment, on ne nous voyait pas vraiment sur la scène mondiale. Les membres de la Cour suprême et leur travail ont non seulement une excellente réputation à l'étranger, ils sont imités quand c'est possible, et quand c'est impossible, ils suscitent des aspirations et une grande envie.

    Avec tout le respect que je vous dois, je tiens à dire que j'espère que le résultat des travaux du comité ne nuira pas à la grande institution que nous avons créée.

    Les études et les propositions visant à modifier le processus de nomination, jusqu'ici, ont fait l'objet de délibérations animées, et il y a eu des études approfondies de cette structure constitutionnelle complexe dont nous avons hérité et que nous avons aussi créée, qui est inachevée et qui doit toujours être l'objet de nos attentions pour continuer de s'épanouir. Quand on pense au pouvoir de nomination, il faut tenir compte à la fois des processus formels et informels et des points forts et des points faibles du processus actuel. Dans une certaine mesure, l'absence de transparence peut avoir donné lieu à la nomination de juges de plus haut calibre. Aucune des caractéristiques du pouvoir de nomination ne peut être vue tout en noir ou tout en blanc. C'est très nuancé.

    L'étude comparative est aussi extrêmement importante et a déjà été menée. À mon avis, les parlementaires doivent s'acquitter ce cette responsabilité aux vues de la complexité moderne de la fonction démocratique libérale de ce tribunal.

    Je déplore que cette réflexion sur la nomination des juges découle de la préoccupation du nouveau gouvernement au sujet du déficit démocratique. Le déficit démocratique se rapporte principalement à l'interrelation entre les législateurs et l'exécutif et certainement à bon nombre de nominations qui pourraient avantageusement se faire avec la participation des parlementaires. La Cour suprême, de même que d'autres tribunaux, mais plus particulièrement la Cour suprême, est un type d'institution bien particulier. Il faut se garder d'analyser le pouvoir de nomination principalement ou uniquement dans le contexte du déficit démocratique.

Á  +-(1155)  

    Je crains que des décisions controversées de la Cour suprême dans d'importants dossiers tels que l'avortement, la pornographie et le mariage homosexuel n'entrent en ligne de compte dans le choix des prochains juges et dans le processus de sélection en général.

    Je regrette que l'on tienne pour acquis la suprématie parlementaire, le droit exclusif du Parlement de légiférer et d'établir les politiques, présomptions qui ne reflètent pas le cadre théorique, politique et juridique moderne de notre système politique et qui, sauf votre respect, ne décrivent pas notre système constitutionnel évolué.

    Troisièmement, certains députés ont voulu critiquer la Cour suprême et la juge en chef, comme lorsqu'on a insisté pour que la Cour suprême du Canada soit saisie en appel de la décision sur le mariage homosexuel, contrairement à ce que souhaitait le procureur général du Canada. Cette intervention se réclame à la fois du débat sur le déficit démocratique et de celui sur le processus de nomination qu'il nous faudrait à l'avenir. Ce n'est certainement pas dans ce cadre conceptuel qu'il faut évoluer et examiner la meilleure façon d'améliorer les modalités déficientes de sélection des juges de la Cour suprême.

    Qu'est-ce que j'entends par la nécessité de ne pas nuire à l'institution qu'est la Cour suprême dans ce contexte? Premièrement, nous devons nous assurer que les députés qui se penchent sur le processus de nomination n'essaient pas de faire de façon détournée ce qu'ils ne peuvent faire de façon délibérée. Permettez-moi de vous expliquer ce que je veux dire par là.

    À l'heure actuelle, on n'a pas suffisamment d'appuis politiques pour invoquer l'article de dérogation afin de se soustraire aux jugements les plus durs ou les plus controversés de la Cour suprême du Canada. On n'a pas non plus suffisamment d'appuis pour recourir à la formule de modification de la Constitution afin d'affaiblir les garanties conférées par la Charte ou de repousser les limites dont peuvent faire l'objet ces garanties. Il serait donc malvenu d'exercer des pressions pour que la méthode de sélection des juges serve à ces fins. Il serait malvenu de modifier à la fois le fond et la forme.

    Personne ne veut politiser la cour, mais je crois que nous ne définissons pas tous de la même façon le terme «politiser». Je suis donc particulièrement heureuse que le professeur Manfredi en ait traité. À mon sens, la meilleure façon de politiser la Cour suprême est de politiser le processus de nomination, et la meilleure façon de politiser le processus de nomination est de politiser la façon dont on modifie ce processus. Si nous réduisons l'indépendance ou la compétence de la cour, personne ne pourra être tenu responsable.

    Voici mes recommandations.

    Je vous exhorte de vous dissocier de la question du déficit démocratique et de revenir à la façon dont on envisageait de traiter du processus de nomination dans le passé lorsqu'on envisageait un changement constitutionnel important, car c'est de cela qu'il s'agit. Nous devons aussi faire connaître le fonctionnement du processus actuel. Même parmi ceux qui sont étroitement associés à la cour, ce processus reste mystérieux.

    Deuxièmement, comme l'a dit le professeur Russell, nous devons faire une étude comparative. Mais les études comparatives peuvent nous jouer des tours. La cour d'Allemagne de l'Ouest, par exemple, n'a compétence qu'en matière de constitution; ce n'est pas un tribunal général d'appel. Les nominations se font pour un mandat d'une durée limitée, de 12 ans. En outre, la préparation menant à la fonction de juge est très différente dans le régime de droit civil qu'elle ne l'est dans le régime de common law. Ceux qui sont nommés à la cour constitutionnelle de l'Allemagne de l'Ouest sont soit des juges de carrière, soit professeurs. Le modèle est donc très différent. Il se peut que nous puissions adopter certaines de ses caractéristiques, mais il faudra se pencher sur les détails.

  +-(1200)  

    Il en va de même pour l'Afrique du Sud où la cour n'a compétence qu'en matière constitutionnelle et où le mandat est d'une durée limitée. Cette cour a été créée pour éliminer certaines des terribles mesures qui avaient été prises par le tribunal qui existait pendant l'apartheid et qui avait presque complètement perdu sa crédibilité.

    Nous devons donc faire toute la lumière sur notre propre processus.

    Deuxièmement, nous devons faire une étude comparative, mais la faire soigneusement.

    Troisièmement, et cela s'ajoute à ce que j'ai dit plus tôt sur la théorie constitutionnelle, nous devons examiner la théorie du processus constitutionnel et déterminer quel est le rôle de la Cour suprême du Canada en vertu de cette théorie, et cela va au-delà de nos frontières.

    Puis, nous devrons mettre à contribution tous les intervenants—la profession, les universitaires, la magistrature et, bien sûr, la structure fédérale de notre pays, qui a été jusqu'ici trop absente du débat.

    À cette fin, la faculté de droit de l'Université de Toronto, où je suis professeur de droit et de sciences politiques, tiendra une conférence d'une journée, le 19 avril, où des experts étrangers et canadiens des domaines juridiques et politiques, ainsi que des experts interdisciplinaires, examineront la procédure actuelle, dans la mesure où on peut vraiment la disséquer, l'aspect comparatif et la théorie constitutionnelle pertinente.

    Deux postes à la Cour suprême seront vacants sous peu, et proportionnellement, c'est beaucoup, mais je vous prie instamment d'agir avec toute la diligence voulue, comme l'a dit le professeur Russell. En ce domaine, aucune erreur n'est permise. Nous ne voulons pas établir de dangereux précédents.

    Il faudra, par exemple, étudier le système américain pour découvrir ses forces et ses faiblesses. On a déjà discuté des questions personnelles qui sont posées aux nouveaux juges, de la partisanerie et des aspects politiques et constitutionnels qui prennent une grande importance dans le processus de nomination américain, mais cela ne nous dit pas en quoi notre processus serait amélioré si le Parlement y participait, participation que j'appuie dans le cadre des commissions de sélection.

    Je vous encourage à procéder de façon à tenir compte de toute la complexité du système constitutionnel canadien, à ne pas nuire à la cour, à ne pas établir de précédent que nous pourrions regretter et à saisir cette occasion qui s'offre à vous de contribuer à l'un des plus importants processus dans la vie publique canadienne, la maturation continue de notre système constitutionnel.

    Merci.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Ces exposés étaient excellents et constituent pour nous un excellent point de départ.

    Je cède la parole à monsieur Toews, pour sept minutes.

+-

    M. Vic Toews: Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je voudrais, moi aussi, remercier les témoins. Ils nous ont certainement donné matière à réflexion.

    J'aimerais d'abord apporter une précision. M. Russell, dans ses remarques, a félicité le premier ministre de cette initiative. Je signale que cette initiative a été lancée par mon collègue bloquiste, M. Richard Marceau, et que notre comité s'est intéressé à cette question bien avant que le premier ministre actuel n'accède à ses fonctions. Si le premier ministre a des idées sur le sujet, nous aimerions bien les entendre. Jusqu'à présent, nous ne l'avons pas entendu dire quoi que ce soit de bien substantiel.

    Les remarques liminaires des professeurs Ziegel, Manfredi et Russell ont été une véritable bouffée d'air frais.

    Devrais-je vous appeler monsieur ou professeur Ziegel.

  +-(1205)  

+-

    M. Jacob Ziegel: Comme vous voulez.

+-

    M. Vic Toews: Je m'en voudrais d'être familier avec le témoin. Monsieur Ziegel, vous avez parlé de l'absence de transparence, de la façon paternaliste dont les nominations sont faites et, surtout, du fait que le premier ministre est en conflit, du point de vue juridique, quand il fait ses nominations.

    Je crois que mon collègue du Bloc sera d'accord avec moi pour dire que, quand il s'agit de partage des pouvoirs, quand on demande aux juges de la Cour suprême de trancher... Il suffit de ne choisir que des juges fédéralistes et la nature politique de la vision du monde de ces personnes fera le reste dans la plupart des cas liés à la Charte. C'est vraiment rafraîchissant d'entendre quelqu'un nous dire que nous traitons ici de la nature politique de la cour.

    J'ai une inquiétude quant aux propositions qui ont été faites de créer des comités qui comprendraient des juges; à l'heure actuelle, c'est le premier ministre qui choisit les juges et il est en conflit en raison de son appartenance à un parti politique et de la nature de notre système fédéral. De même, si des juges siègent à ce comité et que ces comités formulent des recommandations à l'exécutif, ces juges s'ingèrent dans la fonction de l'exécutif et détruisent la séparation qui existe entre le judiciaire et l'exécutif. Cela a été bien mis en évidence par l'affaire que j'appelle celle des juges qui paient les juges, et où l'on voulait permettre à des juges d'établir une loi leur permettant de déterminer indépendamment leur rémunération. Il s'agissait clairement d'une question politique.

    Au Manitoba, ma province, nous avons un comité de sélection qui compte des juges, des membres de l'Association du Barreau du Canada, des membres du Barreau de la province et trois profanes. Ils tiennent leurs audiences en privé, car bon nombre des membres du Barreau qui posent leur candidature ne veulent pas nécessairement que leurs associés sachent qu'ils postulent un poste ailleurs. Mais quand il s'agit de la Cour suprême du Canada, c'est bien différent.

    J'aimerais savoir ce que vous en pensez, si vous connaissez la situation manitobaine, et ce que vous pensez de mon inquiétude quant à la possibilité de conflits d'intérêts pour les juges qui recommandent des candidats à l'exécutif.

    Avez-vous des observations à faire sur ces deux questions?

+-

    M. Peter Russell: Je peux faire quelques remarques sur les comités consultatifs qui existent dans les provinces pour le choix des juges. Comme vous l'avez dit, j'ai contribué à la création du comité ontarien et je l'ai présidé pendant trois ans. Il était composé en majorité de profanes; il comptait 13 personnes dont sept profanes et six juristes.

    Vous avez raison, nous avons toujours fait les entrevues en privée, pour la raison que vous avez donnée. Sinon, personne ne se présenterait pour la cour provinciale et encore moins pour la Cour suprême. Si vous créez un tel système—j'espère sincèrement que vous le recommanderez pour le processus fédéral de nomination des juges aux tribunaux supérieurs des provinces, les cours provinciales et supérieures des provinces—il faudrait que les entrevues se fassent à huis clos.

    Je suis aussi entièrement d'accord avec vous pour dire que, s'agissant de la Cour suprême du Canada, c'est bien différent. Ces postes comptent parmi les plus importants au Canada. Je dirais même que le poste de juge à la Cour suprême, que certains occupent une quinzaine d'années, est moins important que seulement quelques postes, celui du premier ministre, du ministre des Affaires étrangères et du ministre des Finances. C'est un poste de niveau très élevé.

    Et les fonctions sont considérables. Il faut être réaliste. Il faut comprendre que ceux qui sont choisis doivent être en mesure d'assumer cette énorme responsabilité, et nous devons examiner leur candidature attentivement avant qu'ils n'accèdent à leur fonction de juge.

    Dès qu'ils accèdent à ces fonctions, nous les scrutons à la loupe. Nous constatons alors peut-être que leurs points de vue et leurs styles sont différents. Je ne vois rien de mal à faire cela en public.

    Pour ce qui est de la participation des juges au processus de sélection, monsieur Toews, je n'y vois pas d'objections. Il ne faudrait toutefois pas que la commission consultative soit composée uniquement de juges. Selon le mode de sélection actuel, je sais que le ministère de la Justice et le premier ministre consulteront nécessairement les juges qui siègent actuellement à la Cour suprême.

    Si vous lisez la biographie de feu le juge en chef Brian Dickson, qui est parue récemment, vous verrez qu'on consulte systématiquement les juges.

    Il ne me plairait pas que seuls les juges soient consultés. Ma conception du partage des pouvoirs n'est peut-être pas aussi fondamentaliste que la vôtre. Je ne crois pas que cela fasse partie de notre système constitutionnel.

    Notre premier ministre, Dieu merci, siège au Parlement, et ses ministres aussi. Ils doivent garder la confiance de la Chambre. L'organe législatif et l'organe exécutif sont intimement liés. Nous avons aussi fait appel à la magistrature de différentes façons, en dehors des tribunaux, dans des commissions royales, par exemple.

    Je ne verrais donc pas d'objections à ce que des juristes très chevronnés jouent un rôle dans le processus de sélection des juges.

  +-(1210)  

+-

    M. Vic Toews: Comme j'ai très peu de temps...

+-

    Le président: En fait, monsieur Toews, vous n'avez plus de temps. Vos sept minutes sont écoulées.

    Est-ce que d'autres témoins voudraient répondre à la série de questions de M. Toews?

    Oui, madame Weinrib.

+-

    Mme Lorraine Weinrib: Oui, merci.

    Pour ce qui est de la dimension publique, il ne fait aucun doute que cela changerait le bassin de candidats. Cela m'apparaît inévitable. Peut-être sommes-nous prêts à payer ce prix, mais il faudrait déterminer quels genres de questions pourraient être posées et l'effet dissuasif que cela pourrait créer.

    Pour ce qui est des connaissances d'expert des juges, les juges en poste sont, à bien des égards, les mieux en mesure d'analyser le talent judiciaire des candidats. Si vous cherchez un neurochirurgien, c'est une bonne idée de consulter d'autres médecins et non pas votre plombier.

    Une voix: À moins que votre plombier n'ait subi une intervention chirurgicale au cerveau.

    Mme Lorraine Weinrib: Oui, une telle personne aurait probablement son opinion, mais quand on cherche un ensemble complexe de compétences, des connaissances en droit, la capacité d'écrire clairement, de penser clairement et d'interagir avec les autres huit juges de façon collégiale dans le cours de délibérations, les autres juges peuvent nous aider à comprendre et à évaluer ces caractéristiques, ces talents et ces qualités.

    Un système contrôlé par les juges, comme celui d'Israël, ferait l'objet de critiques, je crois, mais il vaudrait la peine d'examiner ce modèle pour en faire ressortir les points forts te les points faibles. Exclure les juges sous prétexte que cela va à l'encontre de la séparation des pouvoirs nous amènerait, à mon avis, à nous priver de certaines des observations les plus lucides que nous pourrions avoir au sujet des candidats.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Ziegel, vous avez la parole.

+-

    M. Jacob Ziegel: Là-dessus, je ne suis pas tout à fait d'accord avec Mme Weinrib. Je ne m'oppose certainement pas à ce qu'il y ait des juges au comité de sélection, mais comme Peter Russell, je crois, je suis certainement contre sa domination par les juges. En fait, quand le comité dont je faisais partie en a discuté dans les années 80, ce qu'on craignait, si le comité comprenait un membre de la Cour suprême du Canada, c'est que cela intimide les autres membres du comité, au point où ils ne voudraient pas exercer leur jugement de manière indépendante ou, au contraire, que le représentant de la Cour suprême soit vexé parce que son point de vue n'est pas pris en compte.

    J'aimerais soulever une question plus large. Ma collègue semble dire que les juges sont les mieux placés pour juger de la valeur des candidats. Je ne suis pas d'accord. Ce serait vrai, si on traitait uniquement de questions de droit, ou uniquement de l'aspect collégial, et encore, c'est discutable. Indubitablement, il reste beaucoup de questions de droit purement techniques qui doivent être réglées par la Cour suprême. On n'a pas suffisamment insisté sur le fait que la Cour suprême, contrairement à bien d'autres cours d'appel ultimes, continue de se pencher sur bon nombre de questions de droit privé, y compris des questions relevant du droit civil du Québec. Ne l'oublions pas.

    Mais outre ce rôle relatif au droit privé, je crois que dans les domaines constitutionnels, et je suis d'accord là-dessus avec mon collègue Manfredi, la fonction politique de la Cour suprême est d'une importance primordiale; je me sers du mot politique dans son vrai sens, et non de manière péjorative. La longue expérience des États-Unis nous montre que souvent, en matière constitutionnelle, les meilleurs juges ne sont pas ceux qui ont eu une expérience préalable dans la magistrature, mais ceux qui ont le plus réfléchi à la nature des exigences constitutionnelles d'un régime constitutionnel. Rappelons les noms célèbres de Louis Brandeis, Frankfurter, le juge en chef Hughes. Ils ont tous été élevés à la cour sans avoir d'expérience judiciaire préalable, si je ne m'abuse, mais ont laissé leur marque.

    Je m'attends à un savant mélange, chez les membres de la Cour suprême. L'expérience préalable de la magistrature peut être vraiment précieuse, surtout sur des questions de droit privé, mais aussi parce qu'elle permet d'établir une feuille de route. En revanche, cela peut être insuffisant et il faut rechercher une bonne combinaison. J'ai même appris que des auteurs britanniques estiment qu'étant donné la fonction constitutionnelle probable de la nouvelle cour suprême britannique, on pourrait envisager la nomination de profanes. Je trouve cette idée très enthousiasmante.

    Je ne suis pas de ceux qui croient que les avocats de formation ont le monopole de la sagesse, en matière constitutionnelle. Je crois qu'une personne bien instruite et intelligente, par exemple, un politologue, peut évaluer et traiter aussi efficacement qu'un avocat des questions constitutionnelles. En fait, à les écouter, j'apprends souvent bien davantage de mes collègues en science politique que de mes collègues en droit.

    Je crois donc qu'il y a un rôle particulier relatif aux questions constitutionnelles, particulièrement les plus délicates et les plus controversées, pour lesquelles il est plus utile d'avoir de bons antécédents et une grande appréciation des multiples facettes de la vie que de l'expérience en matière judiciaire.

  +-(1215)  

+-

    Le président: Merci. C'est maintenant le tour de M. Marceau, qui aura sept minutes.

    J'espère que les membres du comité n'ont pas d'objection au sujet des longues réponses. Ces propos sont très précieux; je serai strict pour les députés, au sujet des sept minutes, et les témoins pourront faire de leur mieux.

    Monsieur Marceau, vous avez la parole.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je remercie les témoins. Il est fort agréable de recommencer l'examen de la motion qui avait été adoptée à l'unanimité par la Chambre des communes et de voir que, dès le départ, les débats sont d'un niveau si élevé et si sérieux. Je voulais vous en remercier.

    En guise d'introduction, j'aimerais revenir un peu sur la raison pour laquelle la motion avait été présentée. Cela a été mentionné, d'ailleurs, par le professeur Manfredi. Les gens ont l'impression que les cours sont politiques, en particulier la Cour suprême, puisque ses décisions ont un effet tellement grand sur la société. Elle joue un rôle que l'on peut qualifier de politique si on considère que le mot «politique» vient du mot «polis», ce qui signifie «organisation de la cité» en grec ancien. La Cour suprême a donc un rôle important à jouer. Les gens qui nous rencontraient disaient souvent qu'ils aimeraient au moins savoir ce qui se passe puisqu'en tant que citoyens de la cité, ils en ont le droit. De plus, ils aimeraient avoir quelque chose à dire à un moment ou l'autre du processus qui touche ces gens qui ont tant de pouvoir. La motion vient de là. L'analogie avec le neurochirurgien qui se choisit lui-même n'est pas pertinente. Un neurochirurgien n'a de l'influence que sur la vie d'une personne tandis qu'un juge a de l'influence sur l'ensemble de la société. C'est totalement différent.

    Cela étant dit, professeur Russell, vous avez dans votre très intéressante présentation vanté le modèle allemand. Ce dernier prévoit, bien entendu, un rôle pour le Bundestag, où on retrouve les députés, mais il prévoit aussi un rôle pour le Bundesrat, la chambre basse où sont représentés les États, les Länder. Pourriez-vous me dire quel rôle vous envisagez pour les provinces? Il y a une quinzaine d'années, il y avait beaucoup de débats sur des accords constitutionnels. L'Accord du lac Meech accordait un rôle direct aux provinces. Le Comité Beaudoin-Dobbie, si je me souviens bien, suggérait la même chose.

    La Cour suprême est souvent amenée à se prononcer sur des questions de séparation de pouvoirs, non pas entre l'exécutif et le législatif mais entre des paliers de gouvernement. Le gouvernement fédéral est présentement le seul à choisir les membres de l'organisme qui arbitrera les conflits entre les provinces et le fédéral. Cela me semble constituer une forme de conflit d'intérêts. Nous avons bien vu le rôle que les parlementaires pourraient jouer. J'aimerais maintenant savoir quel rôle les provinces, qui représentent un palier de gouvernement fort important, pourraient jouer selon vous.

  +-(1220)  

[Traduction]

+-

    M. Peter Russell: Puis-je répondre en anglais?

+-

    M. Richard Marceau: Non.

    Des voix : Oh, oh!

+-

    M. Peter Russell: Tant mieux, vous n'aimeriez pas du tout mon français.

    Je vous déconseille le système allemand. Je suis tout à fait d'accord avec ma collègue Mme Weinrib: on ne pourrait pas l'implanter ici, même s'il a très bien servi l'Allemagne, pour sa cour constitutionnelle. Dans mon mémoire, ce que je vous ai proposé, c'est une commission ou un comité de sélection judiciaire, que vous nommerez comme vous voudrez, dont feraient partie des parlementaires, des juristes et d'autres spécialistes ainsi que quelqu'un du Conseil de la Fédération, un nouvel élément de notre contexte constitutionnel. Je sais que ce n'est pas dans la Constitution, mais c'est une création du régime fédéral des 18 derniers mois. Donnez-lui un rôle dans cette commission qui choisira les juges, soit par la délégation d'un représentant ou par le choix d'un de ses membres, ou quelque chose de ce genre. Il n'est pas nécessaire que ce soit une représentation directe. Je crois que c'est ce qu'il faut envisager maintenant.

    Je crois qu'il est important de faire jouer un rôle aux provinces. Nous sommes dans un pays fédéral et cette cour interprète la Constitution fédérale, ce qui a une incidence marquée pour les provinces, tout comme la Charte des droits. Ce sont souvent les lois provinciales qui sont contestées devant les tribunaux, abrogées ou invalidées par la Cour suprême.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Donc, si je comprends bien ce que vous nous dites, il faut absolument que les provinces jouent un rôle, et pour cela, vous nous suggérez, entre autres, la création du Conseil de la fédération.

    Évidemment, nous sommes dans une situation où il y a deux systèmes de droit: la common law et le droit civil. Souvent, il y a des débats au Québec sur la question de savoir s'il s'agit vraiment de droit civil pur ou si nous sommes trop influencés par la common law. Je ne veux pas entrer dans ce débat, mais comment peut-on s'assurer que le processus tienne bien compte de l'aspect civiliste ou purement québécois, parce qu'il n'y a qu'au Québec qu'on a le droit civil?

[Traduction]

+-

    M. Peter Russell: Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de faire quoi que ce soit de nouveau. La Loi sur la Cour suprême, sans être la Constitution, en est très proche, aux yeux de la plupart des constitutionnalistes comme moi. Or, une de ses dispositions prévoit que trois des juges de la Cour suprême, au moins trois, ce pourrait être plus, doivent venir du Québec. Si un juriste ou un avocat a pratiqué au Québec, il connaît le droit civil.

    Cela existe déjà. Il y a déjà cette garantie. Si un juge du Québec prend sa retraite, quitte la Cour suprême, soyez assurés qu'on le remplacera par quelqu'un qui connaît le droit civil. C'est déjà prévu.

  +-(1225)  

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: D'accord.

    Je voudrais entendre les professeurs Ziegel et Manfredi sur le rôle potentiel des provinces. Êtes-vous d'accord avec le professeur Russell, qui dit qu'étant donné que les provinces ont un rôle important à jouer et que ce sont souvent des lois provinciales qui sont contestées, les provinces devraient avoir un rôle à jouer quelque part dans le processus?

+-

    M. Jacob Ziegel: Je vais répondre en anglais.

[Traduction]

    Oui, je suis tout à fait d'accord. D'ailleurs, dans l'article que j'ai écrit pour l'Institut de recherche en politiques publiques, j'ai dit très clairement qu'il devait y avoir une représentation provinciale au comité de sélection.

    J'aimerais parler d'une autre question à mon avis importante, dont on n'a pas du tout parlé ici dans les récentes discussions constitutionnelles : Est-il temps de scinder la Cour suprême, en ayant d'un côté les questions de droit privé et, de l'autre, les questions constitutionnelles.

    Je connais surtout le droit privé, plus que le droit public, mais j'ai souvent l'impression, en lisant les arrêts de la Cour suprême dans le domaine du droit privé, qu'on n'a pas eu suffisamment de temps pour envisager toutes les ramifications des litiges. La Cour suprême est trop occupée par les questions pénales et constitutionnelles, et il ne lui reste que peu de temps pour les questions de droit privé.

    J'aimerais qu'au moment qui conviendra, votre comité, ou un autre, se penche sur cette question. Je sais qu'elle a fait l'objet d'un débat dans les années 70, puisqu'un de mes anciens collègues de l'École de droit de McGill y a participé. En fait, au Canada, la tradition de la common law fusionne les appels en droit privé et les questions constitutionnelles. C'était peut-être tout à fait valable à l'époque où les questions constitutionnelles avaient moins d'importance, mais cette époque est révolue. De nos jours, au Canada, les questions les plus controversées et de loin les plus complexes sont dans le domaine constitutionnel.

    Je crois qu'il y aurait beaucoup de bons arguments pour la séparation de la Cour suprême en deux cours, qui traiteraient d'une part, des questions constitutionnelles et de l'autre, du droit privé. Si nous avions une Cour suprême pour les questions de droit privé, elle pourrait jouer un rôle plus important dans les questions soulevées par M. Marceau, soit la protection et la promotion du code civil ainsi que les domaines qui sont si importants pour le Québec et le reste du pays.

    Bien honnêtement, je vous avoue que la Cour suprême ne peut pas bien s'acquitter de tous ces rôles, dans sa formule actuelle, et avec toutes les difficultés et les exigences de notre époque.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Je vais maintenant céder la parole à M. Nystrom, qui a sept minutes.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Je tiens à souhaiter la bienvenue aux témoins, et je vous remercie de vos commentaires.

    Je suis heureux d'accueillir à nouveau le professeur Russell, qui a comparu ici à de nombreuses reprises lors des débats constitutionnels que nous avons tenus dans les années 90.

    Je crois que l'un d'entre vous a dit que nous sommes la seule démocratie constitutionnelle où le Premier ministre a le pouvoir de nommer les juges de la Cour suprême, et j'aimerais revenir à une observation faite par le professeur Manfredi qui a dit—je l'ai noté ici—que le processus est déjà politique.

    Êtes-vous d'accord avec ce qu'a laissé entendre, par exemple, Stephen Harper, qui est le chef de l'opposition, il y a quelques mois lorsqu'il a parlé d'un complot libéral visant à installer des juges libéraux à la cour pour servir certains intérêts comme le mouvement en faveur des droits des homosexuels?

    À votre avis, existe-t-il des indications politiques quelconques selon lesquelles d'anciens premiers ministres auraient comploté pour politiser la cour de cette façon? C'est ce qu'a déclaré le chef de l'opposition, qu'il existe un complot pour promouvoir certains projets politiques comme celui concernant les droits des homosexuels. Si ce processus existe, comment se manifeste-t-il?

  +-(1230)  

+-

    M. Christopher Manfredi: Lorsque j'ai dit que le processus était politique, je voulais dire que des facteurs autres que la simple compétence juridique entrent en ligne de compte dans le processus de nomination. Traditionnellement, il s'agissait de préoccupations régionales, de préoccupations démographiques, et il peut s'agir effectivement de préoccupations partisanes.

    Le terme «complot» n'est peut-être pas exact, mais je crois que c'est probablement le cas. Les professeurs Ziegel et Russell ont fait d'excellentes études sur ce sujet, et je crois que tous les sociologues qui ont étudié cette question ont montré qu'il s'agisse d'un président américain ou d'un premier ministre canadien, il nomme des personnes dont le point de vue se rapproche le plus du leur, que ce soit au sujet du fédéralisme...

    Si on examine un cas comme le renvoi relatif au rapatriement de la Constitution canadienne, par exemple, tous les juges nommés par Trudeau qui viennent du centre du Canada ont donné au gouvernement fédéral le droit légal et conventionnel de rapatrier la Constitution unilatéralement. Les juges toujours en poste qui avaient été nommés par Diefenbaker et provenaient des provinces périphériques ont répondu non aux deux questions, et la réponse de ceux qui se trouvaient au milieu a été plutôt mitigée.

    Donc, je crois qu'il serait inhabituel de penser que le premier ministre ne prend pas ce facteur en considération, dans la mesure ou il ou elle le peut, dans la mesure où les opinions du candidat éventuel et du premier ministre sont parallèles, que ce soit au sujet des relations fédérales-provinciales ou au sujet de questions de droits.

    En fait, lorsque les sociologues étudient le comportement de la magistrature, ils utilisent le parti du président ou du premier ministre qui procède aux nominations—selon le sujet qu'ils étudient—pour déterminer les opinions politiques de la personne en question, et cela fonctionne.

+-

    M. Peter Russell: Au Canada, cela ne fonctionne pas—c'est-à-dire que nous savons désormais que dans le cas des nominations à la Cour suprême, il est impossible de prévoir dans quel sens se prononcera un juge de la Cour suprême en sachant s'il est nommé par les libéraux, c'est-à-dire qu'il sera de gauche, ou par les conservateurs, c'est-à-dire qu'il sera de droite. Ce type de sélection en fonction d'une idéologie, qui est caractéristique du processus en vigueur aux États-Unis, n'a pas caractérisé le processus en vigueur au Canada au niveau de la Cour suprême.

    Cette influence politique néfaste s'est manifestée dans le cadre de nominations à des cours de niveau inférieur, soit la Cour de première instance et la Cour d'appel. Dans ce cas-là, il s'agit simplement de népotisme et cela ne se produit que dans certaines provinces où des ministres usent de leur influence politique.

    Pour Jacob Ziegel et moi-même, ce ne sont pas des potins. Nous en avons bel et bien établi l'existence et nous avons écrit un article à ce sujet. Les ministres interviennent, et malgré le travail acharné du ministre de la Justice qui cherche à trouver des gens possédant d'excellentes compétences, ils insistent pour que soit engagée une personne qui ne possède pas forcément d'excellentes compétences mais est un ami du ministre en question de cette province. C'est une situation qui se produit beaucoup trop souvent dans le cadre de ce type de nomination, et je crois vraiment que le Canada doit faire mieux. Les provinces ont mis de l'ordre dans leurs affaires—presque toutes—mais pas le gouvernement fédéral.

    Jacob Ziegel et moi-même avons fait des démarches auprès des ministres de la Justice, libéraux et conservateurs, à ce sujet depuis presque 20 ans, et nous continuons d'exercer des pressions. Mais ce n'est pas au niveau de la Cour suprême qu'intervient cette forme de népotisme.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: Mon conseiller juridique, M. Vic Toews, dit que M. Harper s'était trompé; que ce n'était pas un complot, mais du vil favoritisme. Mais cela ne se produit pas au niveau de la Cour suprême.

  +-(1235)  

+-

    M. Vic Toews: J'ai dit un complot de vil favoritisme.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: Je voulais poser une question dans la même veine, puisque c'est un débat qui fait rage aux États-Unis. Prenons l'exemple de l'avortement. Y a-t-il un courant idéologique à respecter, pour la composition de la Cour suprême? Je pense que c'était là où voulait en venir le chef de l'opposition, parce qu'il a un point de vue très conservateur sur nombre de ces questions.

    Je voulais vous demander si c'est à votre avis une violation de l'indépendance de la magistrature, que de demander à un candidat à la magistrature, dans le cadre d'une audience publique d'un comité parlementaire ou d'une commission de sélection, le genre de décisions qu'il prendrait dans un dossier éventuel? Pourrait-on choisir un juge en fonction de ses idées personnelles et des textes qu'il a écrits par le passé, par exemple, sur les droits des homosexuels ou sur l'avortement?

    C'est un suivi à ma première question. Qu'il y ait eu ou non complot, comme l'allègue le chef de l'opposition, au sujet des droits des homosexuels, peu nous importe pour l'instant. Je pense que cette allégation montre bien son opinion. Conviendrait-il de demander à des candidats éventuels comparaissant devant un comité ou une commission, en séance publique ou à huis clos, quelles sont leurs convictions idéologiques et comment ils pourraient interpréter la loi, dans un dossier éventuel? Beaucoup de gens m'ont posé la question.

    Je présume que mon temps est presqu'épuisé. J'avais une autre petite question que personne n'avait soulevée encore. Serait-ce une bonne idée de fixer un mandat d'une durée déterminée aux juges de la Cour suprême? Nous avons besoin de vos lumières là-dessus. Actuellement, la limite, c'est celle de l'âge, à 75 ans. Mais on peut imaginer que quelqu'un soit juge pendant 40 ans, ou même 50 ans, dans le cas d'un grand sage comme M. Russell.

    Je voudrais avoir votre réponse là-dessus aussi. Mais je tiens à ce que vous répondiez d'abord à ma première question, puisqu'elle fait suite à la précédente.

+-

    M. Christopher Manfredi: Je crois que vous pourriez poser cette question, mais il serait aussi parfaitement acceptable pour le candidat de refuser de répondre à des questions sur des dossiers dont il pourrait être saisi un jour, à la cour. Si c'est une question purement hypothétique—«Prenez tel problème, quelle décision prendriez-vous?»—il serait à mon avis tout à fait raisonnable pour le candidat de refuser de répondre à une question directe de ce genre.

    Je crois qu'il est raisonnable de demander aux candidats les motifs qui les ont fait agir dans des dossiers passés ou, s'ils ont rédigé des opinions, de leur demander, de justifier la position qu'ils ont prise, afin de savoir sur quoi se fonderont leurs décisions à l'avenir et quelle est leur idéologie sur le plan judiciaire. Je crois qu'il n'y a rien de mal à cela. La politique crée parfois des divisions et des conflits. Il y a des questions controversées dont on parlera sûrement, que ce soit dans le cadre du processus de nomination des juges ou de tout autre audience de comité sur des projets de loi. Je pense que c'est inévitable.

+-

    Mme Lorraine Weinrib:

    J'ajouterais, si vous me le permettez, qu'il s'agit là, à mon sens, d'une très importante question. Certaines des déclarations faites ici affirment expressément ou indirectement que le travail judiciaire constitutionnel est moins juridique que les autres, qu'il s'agisse des questions de droit privé ou de fédéralisme.

    Je me suis occupée de conflits constitutionnels pendant 15 ans pour le gouvernement de l'Ontario avant de devenir professeure de droit. J'ai défendu des dossiers devant la Cour suprême du Canada sur la structure du gouvernement —j'ai participé à l'affaire du rapatriement, par exemple—sur le fédéralisme, et dans les premières affaires où on invoquait la Charte.

    Pour un spécialiste en sciences politiques qui observe la situation de l'extérieur, les juges peuvent donner l'impression qu'ils en viennent à leurs conclusions après avoir passé en revue tout un fatras juridique, mais en réalité, leurs préférences personnelles, politiques et partisanes sont des éléments moteurs de leur analyse.

    De nombreux exemples a contrario contredisent cette interprétation. M. Russell a parlé des nombreux juges qu'on a nommés dans l'intention de les voir adopter une certaine attitude, qu'ils n'ont pas adoptée. Mais nous connaissons aussi de très nombreux arrêts de la Cour suprême du Canada dans lesquels les points de vue personnels et les conceptions politiques sur les questions abordées, qu'il s'agisse de savoir si l'avortement est une bonne chose ou non ou s'il faudrait autoriser l'avortement dans telle ou telle condition, sont totalement absents de l'analyse juridique et de la conclusion à laquelle parviennent les juges car ils se conforment à une structure juridique d'analyse.

    Ils suivent par ailleurs une méthodologie juridique. La Charte définit des limites, à l'intérieur desquelles des pouvoirs discrétionnaires existent, mais ce n'est pas pour autant la foire d'empoigne. Il est très important de savoir que dès que l'on pénètre le système et qu'on l'observe de près—j'enseigne le contentieux constitutionnel—il est possible d'avoir un point de vue qui ne soit pas strictement politique.

    En ce qui concerne les premiers ministres qui nomment des juges dont les opinions sont semblables aux leurs, nous parlons tous d'imputabilité. L'imputabilité est également présente ici. Le premier ministre élu, qui est imputable, a un certain point de vue sur ce que devrait être un solide talent judiciaire et sur quelqu'un qui a fait la preuve de ce talent et de cette expertise. le premier ministre serait bien sot d'aller nommer quelqu'un qui, à son sens, ne fera pas un bon juge.

    C'est pourquoi je pense qu'il devrait y avoir des juristes-consultes dans tous les comités d'évaluation que vous allez constituer. Je ne dis pas que les juges et les professeurs de droit doivent être majoritaires dans ces comités, mais leur contribution est très importante. Nous ne voulons pas de juges de la Cour suprême qui seraient incapables de rédiger une argumentation juridique solide et convaincante.

    J'aimerais aussi me prononcer sur les questions à poser. Quand on demande: «Que pensez-vous du mariage gai?» ou «Que pensez-vous de l'avortement?» ou «Que pensez-vous de la pornographie juvénile?», on pose une question politique. Je lis le hansard. Je vois comment les députés abordent ces questions. je lis leurs déclarations publiques dans les journaux. Les juges n'abordent pas les questions de la même manière.

    Le renvoi sur le mariage entre personnes de même sexe va arriver à la Cour suprême avec une cinquantaine, voire une centaine de caisses de documents d'experts et d'arguments juridiques. Il serait ridicule de s'imaginer que tout cela ne compte pas. L'argumentation sera fondée sur l'article de la Charte qui traite de l'égalité et qui interdit la discrimination fondée sur des caractéristiques personnelles non choisies et impossibles à modifier, sinon à un coût personnel inacceptable. L'histoire de la discrimination, l'histoire des préjugés, l'histoire des stéréotypes, l'histoire des persécutions religieuses, voilà autant de questions qui sont soumises aux tribunaux.

    Je pourrais en dire autant de toutes les autres questions d'actualité. Les paramètres juridiques de l'analyse à laquelle se livrent les tribunaux sont bien différents des questions politiques.

  +-(1240)  

    Il est absurde de demander à un juge comment il va trancher une question, car il ne connaît pas encore les arguments ni les preuves que réserve l'avenir. Il ne convient pas de penser que vous puissiez faire une évaluation à ce sujet. Vous devez évaluer l'aptitude du juge à trancher une question en dépit de ses préférences personnelles et des revendications partisanes, et à assumer ses fonctions juridiques avec expertise et sensibilité, en faisant preuve d'empathie envers les arguments soumis au tribunal.

    Voilà ce qui rend les nominations de juge si importantes, car chacun souhaite que sa cause soit bien comprise et fasse l'objet d'une analyse juridique. Le plaideur veut obtenir gain de cause, mais il veut aussi que l'affaire soit adjugée en fonction des mêmes règles pertinentes applicables dans tous les cas.

+-

    Le président: Monsieur Ziegel, voulez-vous ajouter quelque chose?

+-

    M. Jacob Ziegel: Oui, j'ajouterais ma modeste obole sur les questions à poser aux candidats, car c'est apparemment un thème récurrent. J'ai moi aussi de solides réserves quant au fait de demander aux candidats d'indiquer comment ils répondraient à d'hypothétiques questions dont la Cour suprême pourrait être saisie. L'expérience américaine montre que la plupart des candidats refusent légitimement de répondre à une telle question, affirmant qu'ils ne sauraient préjuger d'une décision à moins d'être eux-mêmes nommés à la Cour suprême et d'être saisis de la question.

    Je respecte tout à fait les préoccupations de ma collègue et son engagement à se renseigner sur les antécédents du candidat, mais je pense que l'idéologie est importante. Si elle ne l'était pas, on perdrait beaucoup de temps aux États-Unis à débattre des nominations à la Cour suprême. Au contraire, depuis des décennies, les Américains se demandent si les antécédents et l'idéologie sont des facteurs importants dans la nomination des juges de la Cour suprême des États-Unis. Je crois que c'est le juge Frankfurter qui a dit qu'on ne pouvait prévoir comment un candidat se comporterait une fois nommé à la Cour suprême, mais de nombreux constitutionnalistes affichent un point de vue bien différent. Ils considèrent généralement que les antécédents donnent souvent une bonne indication de ce qui pourrait se passer à l'avenir, mais évidemment, leur approche n'est pas scientifique.

    L'idée selon laquelle nos anciens premiers ministres ont soigneusement soupesé le comportement prévisible de chaque candidat... J'espère du moins que c'est ce qu'ils ont fait. Quant à moi, je suis très sceptique. Je me suis intéressé à certaines nominations et d'autres s'y sont intéressés aussi. Souvent, les observateurs de l'actualité de la Cour suprême s'étonnaient que telle ou telle personne ait été choisie. Qu'avait-elle de si particulier et de si prometteur qui fasse qu'elle convenait si bien pour être nommée à la Cour suprême? Il faut être tout à fait réaliste sur ce qui s'est passé jusqu'à maintenant.

    Comme je l'ai dit dans mon exposé, le système est fortement caractérisé par le secret. Les premiers ministres et leurs partisans peuvent bien dire qu'ils sont très minutieux, qu'ils sélectionnent, qu'ils posent des questions et qu'ils se renseignent, mais nous n'en savons rien, puisque rien n'est consigné par écrit. Je ne prétends nullement que des documents écrits constitueraient une justification satisfaisante. Mais j'insiste, je suis personnellement très sceptique quand j'entends parler de toutes les belles valeurs prises en compte jusqu'à maintenant par les premiers ministres dans la recherche des meilleurs candidats.

  +-(1245)  

+-

    Le président: Je me tourne du côté ministériel pour un tour de sept minutes.

    À vous, monsieur Lanctôt.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: Je pense qu'on touche à quelque chose d'important quand on parle d'une institution comme la Cour suprême et qu'on se demande où on en est rendu par rapport à tous les autres pays qui essaient de rendre cet aspect des nominations beaucoup plus démocratique. Une phrase de la déclaration de Mme Weinrib a beaucoup attiré mon attention: c'est lorsqu'elle a demandé quel était l'avantage de faire participer les parlementaires à ce processus.

    On sait très bien que toutes ces nominations ainsi que la Cour suprême sont très politisées. On ne peut pas dire que la Cour suprême ne l'est pas. Comment pouvez-vous affirmer cela? Je demande aux autres panélistes de me dire quels seraient les avantages de la participation des parlementaires à une telle commission. Je demande aussi à Mme Weinrib de me dire quels seraient, à l'inverse, les désavantages de la participation des parlementaires à une telle commission.

[Traduction]

+-

    Mme Lorraine Weinrib: Voilà précisément les questions qu'il faut poser, car le processus est très délicat.

    Il me semble essentiel que des parlementaires y participent de façon à mieux le connaître et pour que l'action des tribunaux ne leur soit plus aussi étrangère. Après tout, la Cour suprême du Canada révoque des lois pour des motifs fondés sur le fédéralisme ou sur la Charte. Elle donne aussi des interprétations et maintenant, évidemment, comme on peut le voir avec les renvois sur les juges et sur la sécession, elle comble des lacunes.

    C'est pourquoi j'ai insisté à la fin de mon exposé sur le fait que notre constitution est en quelque sorte une oeuvre en évolution, dont la Cour suprême du Canada assure la garde et l'épanouissement. Contrairement à ce que certains pensent de la constitution des États-Unis, notre constitution n'est pas un document pétrifié qui contiendrait en lui-même toute sa signification et que les juges aborderaient comme des archéologues. C'est au contraire quelque chose de vivant.

    Il est donc très important d'aider les parlementaires à voir ce que font les juges; les députés ont trop souvent tendance à croire que la cour a usurpé leur rôle historique car elle est habilitée à annuler des lois. Je pense qu'en participant à l'évaluation des candidats à cette haute fonction, les députés se rapprocheront de la dimension juridique de l'action des juges et l'observeront au plus haut niveau.

    Je ne saurais nier que leur action a une importance politique considérable, mais la Charte canadienne des droits, qui a bénéficié d'un niveau extraordinaire de participation et d'approbation de l'ensemble des Canadiens—c'est le seul engagement véritablement national que nous ayons jamais eu—confère expressément ce mandat aux juges. Il faut mettre un terme à cette situation dans laquelle les parlementaires canadiens croient à l'existence d'une complot de la part de la cour et au déplacement de l'autorité du Parlement.

    Je suis convaincue qu'un comité multidimensionnel de très haut niveau au sein duquel les parlementaires pourront étudier les dossiers, les cv, les écrits des candidats et le genre de vie qu'ils ont mené présente un avantage considérable. Quand la cour est saisie d'un si grand nombre de questions fondées sur la Charte et concernant les droits des minorités, peut-on être certain que tel ou tel candidat connaît effectivement la situation des minorités au Canada et qu'il a une bonne idée de la complexité de notre situation démographique ou de la réalité de nos régions?

    La qualité de vie des Canadiennes s'est améliorée sensiblement à partir du moment où l'on a nommé dans les tribunaux des femmes qui comprenaient la condition féminine. M. Manfredi a dit que cette évolution était à la fois politique et démographique. Elle n'est pas uniquement politique. On a beaucoup écrit sur le fait que la qualité de l'analyse juridique s'en était trouvée améliorée parce qu'il y a maintenant tout là-haut, à la cour, des personnes qui peuvent faire preuve d'imagination et d'empathie pour les revendications que les gens ordinaires soumettent à la justice.

    Il me semble souhaitable que les parlementaires aient l'occasion de participer à la sélection des juges. Les candidats qualifiés sont très nombreux, mais lesquels sont les meilleurs? Quel est le meilleur équilibre à respecter? Quels aspects de l'expertise juridique ou de l'expérience de vie manquent peut-être actuellement à la Cour suprême dans les domaines du droit privé, du droit public et du droit civil? Quels talents particuliers faut-il remplacer lorsqu'un juge démissionne? Voilà les éléments à prendre en compte dans la création d'un processus qui va atténuer l'exercice du pouvoir sans partage dont le premier ministre est actuellement investi.

    Quels sont les inconvénients de cette participation? Je pense qu'elle va donner aux parlementaires l'occasion de cibler certains candidats, ce qui pourrait avoir une incidence sur la qualité des candidatures.

  +-(1250)  

    Dans la société où nous vivons, où l'on a accès à tellement de renseignements personnels, je crains que, si nous avions un processus auquel ne participeraient que les parlementaires et la presse, etc., l'on pourrait avoir tendance, comme aux États-Unis, à s'ingérer dans la vie privée des candidats, à tel point que cela dissuaderait des gens de qualité de se présenter.

    Il y aurait aussi un autre inconvénient du fait que, et si les parlementaires sont les seuls appelés à se prononcer, il suffira qu'ils s'entendent sur tel ou tel candidat.

    C'est ce qui fait, à mon avis, que le processus est tellement problématique aux États-Unis: la consécration politique a en fait détourné le processus du principe du mérite et de la reconnaissance des réalisations ou des talents exceptionnels. La possibilité que, pour des raisons partisanes, on réussisse à faire approuver par un comité la nomination d'une personne qui, aux yeux de bien des juristes, ne serait tout simplement pas qualifiée, comporte un danger bien réel.

    À mon avis, nous avons beaucoup à apprendre du modèle américain, mais il faudrait que nous fassions venir des experts américains pour nous dire quelles sont ces leçons. Puis, il nous faudrait déterminer quels mécanismes nous pourrions établir pour tenir compte de nos besoins ici, et qui nous permettraient de tirer le meilleur parti possible de la participation des parlementaires.

    Il me semble que vous avez beaucoup de travail à faire pour ce qui est de déterminer quel serait la meilleure façon de procéder. Je crois effectivement qu'il faut prévoir la participation des parlementaires, mais j'estime qu'il ne faut pas politiser le processus de manière à modifier le bassin de candidats talentueux ni le politiser à tel point que ce qui fait la valeur et la force de la cour s'en trouverait diminué.

+-

    Le président: Très bien. Je vais maintenant donner la parole à M. MacKay pour trois minutes, puis à M. Dion pour trois minutes. J'ai bien dit trois minutes, alors au bout d'une minute et demie, je m'attends à ce que l'intervenant soit déjà en train de conclure sa question.

    Monsieur MacKay.

  +-(1255)  

+-

    M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PCC): Je remercie tous les témoins.

    Vous pouvez imaginer la difficulté de poser en trois minutes une question qui synthétisera toutes les idées qui se bousculent dans notre esprit après avoir entendu des témoignages aussi brillants. Nous vous sommes vraiment très reconnaissants de votre présence ici aujourd'hui et de votre témoignage.

    Je veux m'attarder plus précisément sur le point que la professeure Weinrib cherchait à démontrer, à savoir l'aspect pratique de la participation d'un comité parlementaire à cet exercice. Je crois que vous en avez parlé comme d'un processus en voie de maturation ou d'un rôle qui se dégage de l'évolution historique où nous nous dirigeons sur le plan constitutionnel, s'agissant notamment d'assurer la participation des provinces et de tenir compte de la compétence des candidats.

    Aussi convient-il de demander à un comité parlementaire de tenir compte de considérations comme le courant idéologique auquel souscrivent les candidats, le bien-fondé de leurs décisions ou jugements antérieurs, afin de chercher à extirper les moindres traces du vil favoritisme dont il a été question? Prenons par exemple le cas d'un juge—et les exemples ne manquent pas—qui aurait été très actif en politique avant d'être nommé à une cour provinciale ou même à la cour supérieure d'une province et qui devrait peut-être être automatiquement déclaré inéligible à la Cour suprême du Canada parce qu'il aurait géré la campagne de quelqu'un 20 ans plus tôt.

    En fin de compte, il faut trouver un juste milieu. Il arrive souvent que des juges aient été très actifs en politique dans leur vie antérieure, mais cela ne devrait pas les empêcher d'être nommés au plus haut tribunal du Canada.

    En cherchant à rajuster le tir en ce qui concerne la nomination des juges, nous hâtons-nous trop en donnant à un comité parlementaire un rôle exagéré dans le processus, plutôt que de dire simplement que nous avons un système en place qui permet aux procureurs généraux des provinces de présenter une liste de candidats—en consultation avec le Barreau et les juges de la province et compte tenu des influences politiques qui pourraient s'exercer à ce niveau là? On pourrait simplement prévoir la participation d'un comité parlementaire, qui n'aurait pas de droit de veto, mais qui pourrait s'entendre sur une liste abrégée et formuler des recommandations.

    En conclusion et en résumé, monsieur le président, jusqu'où faut-il aller pour ce qui est d'examiner la composition actuelle de la cour et d'en tenir compte dans les nominations? Autrement dit, si la représentation des régions ou des deux sexes est un facteur, la présence de tel ou tel critère philosophique devrait-elle l'être aussi? Faudrait-il se fixer comme critère, par exemple, d'avoir au moins un magistrat qui est un vrai libertaire ou quelqu'un qui a une connaissance particulière des questions autochtones? Est-ce là un facteur dont le comité parlementaire devrait aussi tenir compte?

    Merci.

+-

    M. Peter Russell: Je suis plutôt de ceux qui pensent que l'examen par un comité parlementaire ou par les parlementaires devrait faire partie d'un autre processus. Je ne suis guère en faveur de l'idée que les parlementaires soient les seuls à examiner les candidats. Je préfère un processus où il y aurait interaction entre parlementaires, juristes, avocats, juges et profanes. J'ai réfléchi à la question. Ce genre d'interaction, il me semble, permettrait aux divers groupes d'apprendre beaucoup les uns des autres et, comme l'a dit la professeure Weinrib, ce serait très positif.

    Je n'aime guère l'idée que le Parlement fasse son travail ici et puis que les procureurs généraux des provinces présentent chacun leur liste. Cela ne s'est jamais fait ainsi, à ma connaissance, et ce n'est pas une formule que j'encouragerais. Je préférerais plutôt que les provinces aient leur mot à dire au comité en tant que tel.

    Tout cela ne devrait pas se faire en catimini. Les provinces sont-elles consultées, oui ou non? Pour l'instant, tout n'est que conjectures. J'estime qu'il faudrait que nous nous comportions comme des adultes et que nous agissions de façon transparente. Quel est le processus? Qui sont ceux qui examinent les candidatures possibles? Cela ne devrait pas se faire de façon aussi subtile. Le processus devrait être plus clair et plus transparent.

·  +-(1300)  

+-

    M. Peter MacKay: Plus transparent et plus prévisible, fixé par une formule?

+-

    M. Peter Russell: En effet. Le processus a évolué quelque peu avec les comités sur les nominations à la magistrature qui ont été instaurés par M. Hnatyshyn dans les années 80. Vous vous trouvez à ajouter un élément de plus au processus. Ces comités-là ne donnent pas de bons résultats en ce sens qu'ils n'ont pas vraiment pour rôle de proposer ou d'approuver des candidats; ils n'ont qu'un rôle d'examen. Vous pourriez toutefois mettre au point un processus auquel participeraient les diverses parties intéressées, puis l'essayer et voir ce qu'il en adviendrait—j'estime pour ma part qu'un processus comme celui-là devrait exister, je crois que vous êtes aussi de cet avis.

+-

    M. Jacob Ziegel: Monsieur le président, avec tout le respect que je lui dois, je crois que M. MacKay confond la question du mode de nomination le plus approprié pour les juges de la Cour suprême avec elle de la nomination des juges des tribunaux inférieurs.

    Les propos qu'a tenus Peter Russell tout à l'heure au sujet du rôle du favoritisme visait uniquement, d'après ce que je sais de son point de vue, le système actuellement en place pour nommer certains juges des tribunaux provinciaux. Ni lui ni moi ne faisions le moindrement allusion à la question des nominations à la Cour suprême. Il s'agit, selon moi, de deux questions tout à fait différentes. Je tiens à dire que je souscris entièrement au plaidoyer de Peter Russell en faveur de l'examen du système fédéral de nomination des juges des tribunaux inférieurs, mais ce n'est pas là la question à l'étude aujourd'hui.

    M. MacKay demandait si nous nous opposerions à la nomination d'une personne qui aurait été très actif sur la scène politique. Bien sûr que non. La Cour suprême des États-Unis compte d'éminents juges, éminents en ce sens qu'ils ont joué un rôle vraiment marquant, qui ont été très actifs sur la scène politique, comme le juge en chef Warren. C'est sous sa direction que la Cour suprême a rendu son célèbre jugement dans l'affaire Brown v. Board of Education

    Alors, bien sûr que non. Le fait que'une personne ait des distingués antécédents politiques ne devrait pas militer contre sa nomination. Ce que Peter Russell et moi avons dit à maintes reprises dans nos écrits, cependant, c'est que le fait qu'une personne ait été membre du parti qui est susceptible de la nommer ne devrait pas être le motif principal de sa nomination, pas plus que le fait d,avoir été ami avec un membre du conseil des ministres.

    Je tiens toutefois à bien réitérer que ces questions-là sont très éloignées à mon avis du sujet dont nous discutons aujourd'hui, et pour ma part, je me suis concentrée exclusivement dans les remarques préliminaires sur le mode de nomination le plus approprié pour les juges de la Cour suprême du Canada.

+-

    Mme Lorraine Weinrib: J'aimerais intervenir très brièvement.

    Nous n'avons pas besoin de réinventer la roue ici. D'autres pays ont beaucoup réfléchi à la question et ont des modèles que nous pourrions examiner.

    Nous pourrions faire venir des experts. C'est d'ailleurs ce que nous allons faire à l'Université de Toronto le 19 avril. Nous allons faire venir des experts d'autres pays pour nous dire comment leurs systèmes de nomination ont été mis au point et comment ils fonctionnent. Le plus important, c'est que ces experts étrangers pourront nous renseigner, non pas seulement sur la structure formelle, mais aussi sur la structure informelle, sur les activités informelles qui entourent la structure.

    Le seul ennui, c'est que cela prend du temps. Je sais que nous sommes très conscients, depuis hier, du fait qu'il y a deux nominations qui devront être faites. Aussi l'échéancier pourra faire en sorte qu'il soit impossible de s'attaquer à la tâche complexe de mettre au point un processus.

    Mais toutes les questions que vous avez soulevées sont des questions auxquelles d'autres pays se sont attaqués et pour lesquelles ils ont mis sur pied des systèmes très complexes. D'une certaine façon, nous pouvons profiter du fait que nous nous apprêtons à établir une procédure après que tous ces autres pays qui ont des aspirations démocratiques libérales très semblables aux nôtres ont déjà fait le travail, ont déjà beaucoup réfléchi à la chose et sont maintenant en mesure de nous conseiller.

    Toutes les questions que vous soulevez ont donc été soulevées dans d'autres pays, et il y a de bonnes réponses pour justifier le choix qui a été fait de procéder de telle ou telle façon et pour en expliquer le fonctionnement.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Dion, pour trois minutes, puis nous déciderons de la répartition du temps après.

[Français]

+-

    L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Madame Weinrib, je vais citer vos propos. Vous avez dit que notre Cour suprême a fait son entrée sur la «scène mondiale... très récemment», que «on cherche à l'émuler» et qu'elle suscite «beaucoup d'envie».

    M. Ziegel a des réserves à ce sujet. J'aimerais donc savoir si votre affirmation tient de l'intuition ou si elle s'appuie sur des études solides? Quels sont les critères qui permettent de décider si une magistrature est de bonne ou de mauvaise qualité?

    Supposons que vous ayez raison. N'est-il pas possible alors que la qualité de notre Cour suprême tienne au processus existant? Dans l'affirmative, pour améliorer le processus existant, ne seriez-vous pas tous d'avis qu'il vaudrait mieux commencer par examiner le processus existant? Vous n'en avez rien dit, si ce n'est que c'est le premier ministre qui décide. Il le fait après de longues consultations. Ne pensez-vous donc pas qu'il faudrait peut-être officialisé un peu plus le processus existant, vérifier s'il y a des lacunes et, s'il y en a pas, ne rien y changer?

·  +-(1305)  

+-

    Mme Lorraine Weinrib: Voilà une belle série de questions. Excellent.

    Tout à fait, la première chose à faire serait de se pencher sur le processus existant pour essayer de découvrir comment il se fait qu'il nous a donné une magistrature d'aussi grande qualité à notre époque moderne? Il serait très important de le faire. Mais le fait est que tout ce qu'on a à l'heure actuelle, c'est le pouvoir décisionnel du premier ministre. Et, il n'existe pas dans les faits de processus officiel. Il faut donc officialiser le processus. Il faut y apporter autant de transparence et de participation que possible.

    La question de savoir ce qui fonctionne bien doit être évaluée en fonction de la compréhension que nous avons de ce qui fait la force de la magistrature au Canada et à l'étranger. Les Canadiens sont très souvent tellement obnubilés par les particularités de notre Cour suprême pour se rendre compte à quel point elle est respectée.

    Ma vie professionnelle tient en grande partie à la qualité du travail de la Cour suprême du Canada, car on m'invite à venir discuter d'autres systèmes juridiques qui ont été mis en place par des pays qui ont adopté ce que l'on considère comme le modèle canadien de protection des droits, notamment l'Israël et l'Afrique du Sud. Il s'agit d'un système qui existe dans des pays en proie à de graves troubles, où les complexités et les défis dépassent de beaucoup ce à quoi nous avons à faire face, et ces pays croient énormément aux vertus de l'analyse comparative. Ce sont deux pays parmi les plus portés sur l'analyse comparative qui ont regardé ce qui se faisait partout ailleurs et qui ont choisi comme modèle la Charte canadienne et où l'on cite constamment la Cour suprême du Canada. Impossible de présenter un plaidoyer en Afrique du Sud ou en Israël sans se référer au modèle canadien, de manière générale ou de manière plus précise, et s'il y a une décision qui a été rendue dans une affaire semblable.

    Je peux donc vous dire qu'on a le plus grand respect pour la Cour suprême, car le fait de copier ou d'émuler le système canadien ou encore de s'en inspirer ou d'aspirer à s'en inspirer montre à quel point on le tient en haute estime. Ce n'est pas seulement ce qu'on dit mais ce qu'on fait qui le montre.

    Je pense que vous avez raison de dire qu'il y a des éléments de procédure informelle, et qui entrent en ligne de compte avant que le premier ministre ne fasse une nomination, que nous devrions préserver. Il faudra que nous nous demandions à un moment donné si une trop grande transparence ne risque pas de nuire au système; une trop grande participation des parlementaires à un stade donné où les considérations partisanes auraient trop d'influence et risqueraient de nuire au système.

    J'estime donc que les points que vous avez soulevés méritent d'être pris en compte, et j'espère que le comité va poursuivre sa tâche, malgré cette complexité pour le moins intimidante.

+-

    Le président: Monsieur Russell.

+-

    M. Peter Russell: La principale raison qui nous incite à vouloir modifier le système, c'est le désir que nous avons de continuer notre croissance en tant que démocratie constitutionnelle. Ce n'est pas à cause des mauvaises nominations qui auraient été faites, et je l'ai bien dit dans mon document. C'est que, à mon avis, le fait de laisser un pouvoir aussi important que celui de nommer les juges, sans aucun moyens de contrôle témoigne d'un manque de maturité en tant que démocratie constitutionnelle. Je dis dans mon document que le pouvoir n'a pas été abusé, mais j'apporterais une nuance au sujet des nominations qui ont été faites. Certaines sont médiocres d'après moi. Voici quel est le problème, et vous allez vous en rendre compte. Et si vous exerciez la profession d'avocat, vous ne tiendriez jamais le genre de propos que je suis en train de tenir. Mon collègue, Jacob  Ziegel, est un héros à mes yeux parce qu'il est franc. La plupart des avocats diront invariablement que les juges sont des personnes de grande qualité, car ils auront à plaider devant eux et, s'ils déblatèrent contre un juge, ils vont perdre leur cause.

    Il est parfois arrivé qu'une nomination soit faite et que les gens de la province concernée disent: «Je n'arrive pas à comprendre pourquoi on a choisi cette personne là... enfin, il y en a tant d'autres qui sont bien meilleures.» Il me semble que nous devrions essayer de nommer les meilleures personnes possible. Bien souvent, nous les obtenons, mais ce n'est pas toujours le cas. Il faudrait toujours essayer d'avoir les meilleures personnes possible, mais le système actuel n'aboutit pas à ce résultat. Il arrive que les personnes les plus compétentes soient écartées. Cela se produit, d'après ce que je peux voir, pour des raisons qui ne devraient pas entrer en ligne de compte. C'est pour cela qu'il faut changer le système.

    Mais je suis d'accord avec vous pour dire, qu'il ne faut pas aller trop vite. Il faudrait modifier, et non pas changer complètement, le système existant.

·  +-(1310)  

+-

    La présidente suppléante (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Madame Weinrib, avez-vous quelque chose à ajouter en réponse?

+-

    Mme Lorraine Weinrib: Mon travail consiste maintenant à enseigner aux étudiants à réfléchir au droit constitutionnel et au fonctionnement du processus de résolution de litiges. J'ai fait une étude très longue et détaillée de la Cour suprême du Canada, en grand partie parce que j'ai comparu très souvent devant la cour au début de ma carrière.

    Je ne dirais pas que chaque nomination est une excellente nomination. Je conviens avec le professeur Russell que notre système, au mieux, a donné de remarquables nominations, mais ce n'est pas uniforme. Nous devons cerner les éléments du processus qui sont désormais informels et qui ont réussi à constituer un tribunal qui fonctionne de façon collégiale à un niveau aussi élevé. Bien sûr il y a des maillons faibles. Cela est clair, et personne ne le nie.

    La création du plus haut tribunal du Canada est une tâche extrêmement complexe en raison de la complexité du pays, parce qu'il s'agit d'une cour générale d'appel, en raison du droit civil et du common law, en raison des questions de fédéralisme, des questions linguistiques, des questions autochtones et maintenant des questions prévues par la Charte. Ces neuf personnes doivent posséder des connaissances et des compétences très poussées, et bien entendu elles savent que parfois l'avenir du pays est en jeu. La responsabilité que les tribunaux ont dû assumer dans le renvoi sur la sécession est tout à fait stupéfiante. L'avenir du pays repose entre leurs mains. Qui aurait imaginé au moment où un grand nombre de ces juges ont été nommés qu'un tel cas se produirait?

    La conception de notre processus de nomination représente un énorme défi. Contrairement aux sud-africains, nous n'avons pas affaire à une situation catastrophique et vouée à l'échec. Nous devons concrétiser les initiatives positives que nous avons prises par le passé, discipliner le processus afin que les facteurs dépourvus de pertinence ne prédominent pas dans le cadre des nominations et que ces comités soient suffisamment qualifiés et tiennent des délibérations sérieuses pour nous permettre de nommer neuf juges qui seront en mesure de relever les défis que leur présente notre pays.

+-

    La présidente suppléante (Mme Paddy Torsney): Professeur Ziegel.

+-

    M. Jacob Ziegel: Je ne suis pas en mesure d'accepter l'hypothèse de départ de M. Dion qui m'apparaît comme un argument en faveur du paternalisme. Nous connaissons très bien au Canada les conséquences du paternalisme. Lorsque j'ai commencé ma carrière d'enseignant, les professeurs étaient toujours nommés selon le bon vouloir du recteur ou du président de l'université et le reste du corps professoral n'avait pas son mot à dire.

    Je tiens à rappeler à M. Dion la propre histoire politique du Canada. Il n'y a pas si longtemps que cela, le Canada n'avait pas de gouvernement élu. Les membres du gouvernement, ou les représentants, étaient nommés par le gouverneur général ou le lieutenant-gouverneur, et il a fallu se battre pendant un demi siècle pour que le Canada devienne un pays démocratique. Par conséquent, je ne suis absolument pas en mesure d'accepter cette hypothèse de départ parce que, comme je l'ai dit dans mes déclarations liminaires, je considère qu'elle est viciée.

    Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la Cour suprême du Canada s'acquitte de ses fonctions extrêmement importantes sur le plan constitutionnel, avec tous les mécanismes de protection qu'offre l'application régulière de la loi et la règle de droit, tout en respectant les valeurs prévues par la Charte, et du même souffle plaider en faveur d'un processus de sélection qui est incompatible avec les valeurs même que la cour doit faire respecter. C'est pourquoi je considère que la transparence et l'obligation de rendre des comptes dans le cadre du processus de sélection sont en soi d'une importance primordiale en tant que mécanisme procédural, et j'espère qu'il produira de meilleurs candidats que ceux susceptibles d'être choisis dans le cadre du système secret utilisé actuellement.

    Même si je me trompais, même si vous arriviez à me prouver qu'il existe une méthode scientifique quelconque qui permettrait d'établir qu'un mode secret de nomination produit systématiquement ou efficacement de meilleurs candidats qu'un système très transparent, même là je devrais plaider fermement en faveur de l'adoption d'un système démocratique pour la même raison que nous avons un système parlementaire. Je me rappelle de la célèbre observation faites par Churchill qui a dit que le démocratie était le pire système possible de gouvernement à l'exception de tout autre. Je serais porté à dire qu'il en va pratiquement de même du système que j'ai préconisé pour la sélection des membres de la Cour suprême.

·  +-(1315)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Ces trois minutes ont été longues, et ces questions étaient excellentes, monsieur Dion, de même que les réponses.

    Je suppose que nous aimerions tous avoir plus de temps, mais ce n'est pas le cas. messieurs Marceau et  DeVillers m'indiquent qu'ils veulent poser une question.

    Je vous demanderais, si vous me permettez le jeu de mots, d'utiliser vos trois minutes judicieusement.

+-

    Mme Paddy Torsney: À quelle heure se termine la séance?

+-

    Le président: Nous avons 15 minutes de retard.

+-

    Mme Paddy Torsney: Pouvons-nous prolonger la séance jusqu'à 13 h 30 si nous conservons le quorum?

+-

    Le président: Nous n'avons absolument pas de problème de quorum.

    Je vais insister pour que nos deux intervenants soient brefs.

    Madame Barnes, vous êtes aussi sur la liste. Nous verrons jusqu'où nous irons avec les deux premiers intervenants.

    Monsieur Marceau, monsieur DeVillers, puis madame Barnes.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Ma question s'adresse au professeur Weinrib.

    Vous avez dit que le modèle canadien était bon, vanté partout dans le monde, etc. S'il est aussi bon que vous le dites, comment expliquez-vous, pour reprendre les mots du professeur Russell, que le Canada soit la seule démocratie constitutionnelle dans laquelle le leader du gouvernement possède un pouvoir discrétionnaire absolu lorsqu'il s'agit de décider qui siégera au plus haut tribunal du pays? C'est complètement contradictoire. S'il est aussi bon que vous le dites, pourquoi sommes-nous les seuls à avoir ce système?

[Traduction]

+-

    Mme Lorraine Weinrib: M. Dion a contribué de façon remarquable à cette discussion en faisant remarquer que le premier ministre ne se lève pas un matin en décidant qui il va nommer à la Cour suprême du Canada. Nous avons effectivement des processus bien établis. La plupart des juges nommés à la Cour suprême du Canada sont choisis parmi les juges des cours d'appel de diverses provinces. Et il existe effectivement un système informel—qui n'est pas prévu par la Constitution ni par les lois—pour la nomination des juges de la Cour d'appel, qui est beaucoup plus rigoureux que celui qui existe pour les juges de la Cour suprême.

    Il existe donc un système. Le problème, c'est que nous ne savons pas vraiment en quoi il consiste, ni s'il est appliqué de façon uniforme. Je conviens que certaines des nominations ont été étonnantes par le passé, et certaines d'entre elles n'étaient pas de la qualité que l'on aurait souhaité. Cela est tout à fait vrai.

    Lorsque je parle du prestige de la cour dans le reste du monde, je fais allusion à deux éléments. Tout d'abord, le processus relatif à la Charte canadienne a été un processus remarquable axé sur la délibération et la comparaison, auquel le public a participé, et est devenu le processus le plus avancé pour ce qui est de traiter les revendications de droit dans des démocraties libérales très complexes qui sont pluralistes, diverses, sécularisées et égalitaires. La Charte devient donc le modèle des autres systèmes de protection des droits.

    Quel est le rôle de la Cour suprême à cet égard? La Cour suprême a créé les règles juridiques qui régissent les poursuites intentées en vertu de la Charte. Les juges de la Cour suprême ont comparé comment les autres systèmes protègent les droits. Ils ont examiné le système international de protection des droits de la personne, les systèmes nationaux de protection des droits en vertu de la loi et les systèmes en vigueur dans les pays étrangers. Ils ont évidemment examiné les systèmes qui s'apparentent à ceux en vigueur au Canada selon le modèle de Westminster mais aussi les systèmes en vigueur selon le droit civil en Europe. Notre cour a mis au point une méthodologie juridique pour donner suite à ce qui semblait être des préférences politiques flagrantes. Il s'agit d'une méthode qui a été reprise partout ailleurs.

    Vous êtes sans doute au courant de l'affaire Marbury and Madison aux États-Unis. Les arrêts de notre Cour suprême ont désormais remplacé l'affaire Marbury and Madison.

·  +-(1320)  

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: D'accord, mais si je comprends bien ce que vous nous dites, ce qui a été imité, ce sont les décisions de la cour qui concernent la Charte et non pas le processus de nomination des juges. Votre truc n'était pas clair au départ. J'avais mal compris et je m'en excuse.

[Traduction]

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Monsieur DeVillers, puis madame Barnes.

+-

    M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Dans le cadre de son étude de la méthode de nomination des juges de la Cour suprême du Canada, la première chose que je demande, que j'ai appris de mon petit-fils de deux ans, c'est: pourquoi?

    Je pars du principe que nous voulons des changements parce qu'il y a un problème. Le système ne fonctionne pas. Je pense que le professeur Russell a expliqué en partie «pourquoi», et c'est-à-dire pour que notre régime soit plus démocratique. Toutefois, afin de situer la question dans son contexte, j'aimerais faire un tour de table, si vous le permettez.

    Madame et messieurs les professeurs, vous vous y connaissez en classement et donc je me demande si vous pouvez noter, de un à dix, la performance de la Cour suprême en vertu de notre régime actuel de nomination des juges.

+-

    Le président: Ce sera un vote nominal.

    Des voix : Oh , oh!

    Le président : Je vous en prie.

+-

    M. Jacob Ziegel: Il est impossible de répondre à cette question parce qu'à la Cour suprême, on se penche sur un éventail énorme de questions, de la validité des règlements municipaux à la condamnation de quelqu'un aux termes de la loi à des questions ésotériques du droit de la preuve, à des questions de droit civil, de droit de la responsabilité délictuelle, de droit contractuel et de droit maritime. Comment peut-on faire une évaluation globale de la performance de la cour?

    Je pense que cela dépend beaucoup de la branche du droit et de la question soumise à la Cour suprême. Faut-il faire une évaluation comparative ou s'en tenir uniquement au contexte canadien? Parlez-vous de la Cour suprême du XXIe siècle ou de la Cour suprême d'il y a cinquante ans? J'ai beaucoup de mal à donner une réponse qui signifie quelque chose.

    Comme je l'ai dit précédemment—et je tiens à le répéter—quelle que soit la méthode d'évaluation de la performance retenue, même si nous tirions la conclusion, à l'unanimité ou pas, qu'il est impossible que la Cour suprême fasse mieux, il me semble que cela n'a rien à voir au niveau de la procédure. Pour moi—et j'espère pour la plupart des autres—la procédure suivie dans le choix des juges de la Cour suprême est au moins aussi importante que la performance du juge une fois nommé.

+-

    M. Peter Russell: Le professeur Ziegel a raison. Tous ceux qui suivent les travaux de la Cour suprême répondraient la même chose. C'est une procédure dynamique. Il y a toujours des juges qui arrivent et qui partent. Il y a beaucoup de mobilité.

    Je ne connais pas la cour de madame la juge McLachlin comme je connaissais celle du juge Dickson et du juge Lamer, j'avais lu la plupart de leurs décisions dans les domaines qui m'intéressent, mais c'était toujours du droit public.

    Je vais vous donner une raison pour laquelle j'ai donné à la cour une note élevée. À la même époque, j'écrivais un livre sur l'Australie et le fonctionnement de sa cour. Ce que j'avais admiré au sujet de notre Cour suprême, surtout à l'époque Dickson, et un peu moins à l'époque Lamer, c'était le donnant donnant dans les décisions. Je veux voir refléter dans le raisonnement de la cour, les principaux arguments qui ont cours dans le pays sur ces questions. Les juges doivent en venir à une conclusion et dans le cas des grandes décisions, il y a souvent bon nombre de décisions dissidentes. À mon avis il s'agissait d'une cour assez bien équilibrée, surtout dans les affaires qui touchaient à la Charte.

    Je suis plutôt modéré. Je ne veux pas que l'on accorde une importance minime à la Charte et je ne veux pas que l'on abroge toutes les lois. J'aime donc un équilibre et il est très important à mon avis de trouver cet équilibre dans la plus haute instance du pays. J'ai vu ce même genre d'équilibre lors du renvoi sur la sécession sur le genre de pays que nous sommes—le poids à donner aux provinces dans la fédération, etc. Je pense que nous avons un bon équilibre dans les grandes questions qui touchent notre pays. Donc je donnerai une bonne note, un A, pour l'équilibre.

    Je ne connais pas les tout derniers juges nommés à la cour de madame la juge McLachlin. Je n'ai pas lu assez des jugements qu'ils ont rendus dans mon domaine, car seul le droit public m'intéresse.

·  +-(1325)  

+-

    Le président: Voilà un A, c'est bien. Je vais laisser tomber le classement, si vous le permettez.

    Est-ce que la cour Dickson a reçu un A?

+-

    M. Peter Russell: J'ai donné un A à la cour Dickson.

+-

    Le président: Formidable. C'est noté au procès-verbal.

    Mme Barnes a une question. M. Dion aussi, mais nous sommes vraiment acculés au pied du mur et il va falloir lever la séance.

    Madame Barnes.

+-

    L'hon. Sue Barnes (London-Ouest, Lib.): Merci à tous, de ces excellentes idées.

    Ma question est très pratique. Vous avez parlé de divers types de procédures utilisées par les parlementaires, certaines plus directes que d'autres. Si vous deviez vous présenter devant un comité de sélection, je présume qu'il y aurait plus d'un candidat. Il pourrait s'agir d'un comité parlementaire.

    J'aimerais savoir ce que vous pensez des répercussions. Je suis très consciente de l'indépendance de l'appareil judiciaire, leurs plans de carrière, du fait que certains se présenteraient au poste, sans pour autant l'obtenir, et donc il leur faudrait reprendre leur carrière, que ce soit en cour d'appel ou à l'université et cela aurait des conséquences pour ces personnes, voilà ce qui m'intéresse.

    Je sais qu'il y a deux aspects à la question. Pensez-vous qu'en recherchant les meilleurs candidats, nous allons en décourager certains aux dépens de la transparence et du grand jour? Dans l'ensemble, est-ce que cela vaut vraiment le risque?

    Je sais que j'ai posé plusieurs questions, mais elles sont courtes. Je vais maintenant me taire, en espérant que vous pouvez aborder tous ces points.

+-

    M. Christopher Manfredi: Il y a deux aspects que nous n'avons pas abordés qui touchent la transparence. Certains prétendent que l'on aurait tendance à avoir ce que l'on appelle des «candidats discrets», c'est-à-dire des candidats dont on ne connaît pas beaucoup le travail, ou alors cela découragerait ceux qui ont des opinions bien arrêtées sur certaines questions et qui sont peut-être les plus intelligents et les plus efficaces. Vous risquez d'exclure des candidats que vous aimeriez avoir.

    Je pense que la transparence est une préoccupation très réelle et que les avantages de la transparence dépassent de loin ces préoccupations.

    Il y a lieu de se demander qu'est-ce qui arrivera à la personne qui vient par exemple d'une cour provinciale d'appel, et qui est rejetée, soit de façon anonyme, parce que le choix ne s'arrête pas sur elle, ou publiquement. Dans le cas d'un rejet public, il lui serait très difficile de retourner à son ancien poste de juge.

    Il est certain que le juge Bork n'a pas repris sa place à la cour du neuvième circuit, à la cour d'appel du circuit du district fédéral.

    Une voix : Si.

    M. Christopher Manfredi : Il l'a fait pendant un certain temps, oui.

+-

    M. Peter Russell: Je pense qu'il faut nous reporter à l'expérience américaine. C'est une question de maturité, en ce sens que c'est un honneur insigne que d'être même considéré pour l'une des charges les plus importantes du pays; être l'une parmi deux ou trois personnes, surtout dans les grandes provinces, disons l'Ontario et le Québec, à être considérée comme étant suffisamment exceptionnelle pour être dans la course. Je pense que votre question est importante, mais que c'est ça l'argument. Si vous songez à deux ou trois candidats qui sont connus...

    En passant, à l'heure actuelle, nous connaissons les candidats. Lisez-vous les journaux? Après tout, vous avez dû le voir dans les journaux. Nous savons à qui on songe.

    J'ai suivi la dernière ronde au Québec. Je connais les personnes à qui on n'a pas songé, et certaines étaient déçues. Partout dans la province, on sait qui n'a pas été considéré. La vie continue.

    À mon avis, si une personne est si timide et ne veut pas risquer d'être déçue au niveau national, alors je vous le dis, cette personne n'est pas prête à faire ce genre de travail pour le pays. C'est une tâche énorme que l'on accomplit pour le Canada, sous les feux de la rampe. Si la personne est si inquiète à l'idée de ne pas être choisie, alors elle devrait rester où elle est. N'allez pas la chercher.

    Il y a beaucoup de talents. Il y a beaucoup de personnes qui voudront tenter leur chance. Je ne pense pas que ce soit un grave problème.

·  +-(1330)  

+-

    Mme Lorraine Weinrib: Je pense que cela changerait énormément la composition de la cour s'il y avait des séances publiques où de nombreuses personnes devraient répondre à des questions et que certaines réussissaient à se faire nommer et d'autres pas. C'est incontestable. Je pense que cela aurait une grande incidence sur la qualité des personnes nommées.

    Je ne pense pas que ce soit réglé. De nombreuses personnes ne sont pas des personnalités publiques. Elles n'auraient rien à gagner en s'exposant à être rejetées. Elles pourraient fort bien se préoccuper de certains aspects de leur vie qui n'ont absolument rien à voir et ne pas aller de l'avant. Je pense qu'il faut y réfléchir sérieusement.

    Je dois également dire que dans le régime sud africain, on interview de nombreuses personnes qui ne sont pas nommées et ceux qui finiront par l' être ne sont pas nécessairement nommés la première fois, mais c'est un régime différent. Il y a 14 juges, le mandat est fixe et ce n'est pas fait par région géographique. On songe davantage à « la prochaine fois ».

+-

    Le président: M. Dion veut soit poser une question de pure forme, faire un commentaire éclairé ou poser une très courte question et je veux une réponse très courte. Une très courte réponse, je vous en prie.

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    L'hon. Stéphane Dion: Je ne conteste pas l'affirmation du professeur Ziegel comme quoi le régime actuel est paternaliste, parce que nous sommes tous d'accord pour dire qu'en dernière analyse, nous ne modifierons pas la Constitution et que le premier ministre ou l'organe exécutif prendra la décision. Si c'est paternaliste, votre propre régime l'est aussi.

    En fait, le régime actuel ne permet pas au premier ministre de faire ce qu'il veut. Peut-être y a-t-il avantage à rendre la formule plus officielle et à trouver une façon d'améliorer les choses en appliquant certaines de vos idées. En fait, quelles sont les questions acceptables? Est-il acceptable de poser des questions sur la vie privée? Est-il acceptable de demander que l'on justifie la philosophie politique sous-jacente à une décision passée? Est-il acceptable de se prononcer sur une question d'actualité? Est-il acceptable de prévoir les décisions que vous prendrez dans les années à venir?

    J'adresse cette question à vous tous.l

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    M. Peter Russell: J'ignore si on a enregistré les audiences relatives aux candidatures des juges Ginsburg et Breyer aux États-Unis. Pour ma part, comme je suis plutôt insomniaque, je les ai suivies à la télévision américaine tard le soir. Ces audiences étaient vraiment remarquables. Pour vous en donner une idée, on ne posait jamais de questions du genre: «Quelle décision prendriez-vous dans telle cause si vous étiez appelé à le faire?» À la place, on interrogeait les candidats au sujet de la méthodologie et des principes d'interprétation des constitutions et des lois. Ainsi par exemple, on leur demandait: «Quel genre de textes juridiques les juges devraient-ils prendre en compte? En matière d'interprétation constitutionnelle et des lois, quel poids devrait-on accorder à l'intention du législateur? Comment tenez-vous compte des précédents?»

    Je sais que le sujet commence déjà à ennuyer profondément les gens, mais pour ma part, tout cela m'a donné l'impression fascinante d'assister à un colloque public sur les difficultés que peuvent connaître les juges des tribunaux d'appel. Quoi qu'il en soit, on ne demandait jamais: «Si telle cause est portée devant le tribunal, comment allez-vous vous prononcer» ? D'ailleurs, si quelqu'un avait posé ce genre de question, les candidats auraient refusé d'y répondre. Ils ne sont pas nés de la dernière pluie; ce sont des professionnels de grande expérience et ils savent qu'on ne répond pas dans ces cas-là. Évidemment, on pourra toujours leur poser ce genre de questions, mais alors, ceux ou celles qui les posent ont l'air un peu sots. Or, la plupart des hommes et des femmes politiques n'aiment pas paraître sots à la télévision.

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    L'hon. Stéphane Dion: Nous serions nombreux à avoir l'air sots parce que nous estimons justement devoir poser ce genre de questions.

    Je pense donc qu'il faudra préciser clairement ce qu'est une question acceptable et ce qui ne l'est pas.

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    M. Peter Russell: Si vous confiez cet examen à un comité, vous pourriez à son intention rédiger des règles fondamentales à suivre. Ainsi, à mon avis, il devrait être interdit de demander dans quel sens on va se prononcer dans telle cause dont le tribunal sera bientôt saisi. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de le faire, mais si vous le voulez cependant, allez-y.

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    Mme Lorraine Weinrib: À mon avis, il faut que les questions soient assujetties à des règles très strictes. Les gens qui tiennent à ces entrevues publiques seront cependant mécontents de devoir se plier aux contraintes imposées par un système assez rigoureux.

    En effet, si j'en crois les déclarations publiques des parlementaires à ce sujet, ils veulent poser des questions difficiles au sujet des causes qui suscitent la controverse. C'est tout à fait inacceptable.

    Dans ce genre de choses, les détails revêtent une grande importance. Bien entendu, dans le système américain, on n'interroge qu'une seule personne à la fois, ce qui lui donne davantage de chances d'être confirmée. C'est très différent d'une situation où quatre candidats au même et unique poste sont entendus en même temps. Si un candidat tient vraiment à l'emporter, il sera tenté de donner les réponses souhaitées par les membres du comité, ce qui fausse le processus.

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    Le président: Professeur Ziegel, à vous.

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    M. Jacob Ziegel: Merci beaucoup.

    Si vous permettez ce retour sur la dernière observation de Mme Weinrib, tant dans mon exposé liminaire que dans l'article que j'ai publié à l'IRPP, je ne me suis pas prononcé en faveur de l'entrevue de plus d'un candidat par un comité parlementaire. Je préconise plutôt la sélection initiale par un comité consultatif, suivi d'un processus de confirmation auquel participerait un comité parlementaire. Je crois toujours que ce serait la meilleure solution.

    Mais je suis tout à fait d'accord avec M. Dion pour dire que, quel que soit le rôle joué par le comité parlementaire, cela doit se faire de manière responsable, courtoise et avec retenue. Nous ne voulons pas de foire d'empoigne.

    Cela étant dit, j'aimerais ajouter ceci. Il ne faut pas s'attendre à trop de choses, de cette première ronde. C'est un apprentissage pour nous tous. L'adaptation et la maturation de la nouvelle méthode prendra du temps, tout comme il a fallu plus d'un siècle pour que le Canada change et mûrisse énormément. ll ne faut pas s'attendre à des miracles. du jour au lendemain.

    J'aimerais toutefois aussi insister sur l'une de mes préoccupations. Au Canada, en ce moment, il y a une grande division. La Cour suprême rend des décisions cruciales qui ont une incidence profonde sur les décisions que peut prendre le Parlement. À mon avis, à bien des égards, c'est malsain. Les parlementaires devraient avoir une bien meilleure idée de ce qu'est la Charte, de l'incidence des lois sur la Charte et du risque qu'une loi adoptée au Parlement soit contestée devant la Cour suprême.

    La Cour suprême elle-même, ces dernières années, a évoqué le besoin d'entamer un dialogue avec le Parlement. Il me semble qu'en donnant au Parlement un rôle important et visible dans la sélection des juges de la Cour suprême, on trouverait un excellent véhicule pour promouvoir ce dialogue.

    Personnellement, j'insisterais toutefois sur la nécessité que le Parlement comprenne mieux l'incidence de la Charte sur son rôle. Je ne conçois certainement pas le rôle du Parlement comme un rôle subordonné. C'est un rôle parallèle que je voudrais voir renforcé et encouragé, à l'avenir.

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    Le président: Au nom de tous les membres du comité et aussi de la Chambre, je remercie nos témoins. Ils étaient de premier ordre, pour ce qui est de l'expérience et du discernement. Vos observations ont été très utiles. Si nous voulons communiquer avec vous ultérieurement, j'espère que vous pourrez nous aider.

    Merci beaucoup à tous.

    La séance est levée; nous aurons demain une séance à huis clos sur le même sujet, à 15 h 30, je crois.

    La séance est levée.