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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 27 avril 2004




¹ 1535
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.)
V         Le président
V         L'hon. Art Eggleton
V         Le président
V         M. Alex Neve (secrétaire général, Direction anglophone, Amnistie internationale (Canada))

¹ 1540

¹ 1545

¹ 1550
V         Le président
V         M. Pacifique Manirakiza (professeur de droit, Université d'Ottawa)

¹ 1555

º 1600

º 1605
V         Le président
V         M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, PCC)

º 1610
V         M. Alex Neve

º 1615
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)
V         Le président
V         M. Pacifique Manirakiza

º 1620
V         Le président
V         M. Alex Neve
V         Le président
V         M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.)

º 1625
V         The Chair
V         M. Alex Neve
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. Alex Neve
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. Pacifique Manirakiza

º 1630
V         Le président
V         M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ)
V         Le président
V         M. Alex Neve
V         Le président
V         M. Pacifique Manirakiza

º 1635
V         Le président
V         L'hon. Art Eggleton
V         M. Alex Neve
V         L'hon. Art Eggleton
V         M. Alex Neve

º 1640
V         Le président
V         M. Stockwell Day
V         M. Alex Neve
V         M. Stockwell Day
V         M. Alex Neve

º 1645
V         M. Stockwell Day
V         Le président
V         M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.)
V         M. Alex Neve

º 1650
V         Le président
V         M. Pacifique Manirakiza
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde

º 1655
V         M. Alex Neve
V         Le président
V         M. Pacifique Manirakiza
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 012 
l
3e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 27 avril 2004

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Nous avons le quorum et nous allons ouvrir la séance.

    Conformément à l'alinéa 36(8)b) du Règlement, l'absence de réponse du gouvernement aux pétitions suivantes est réputée renvoyée au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

    La première motion, no 373-0348, au sujet de la politique des États-Unis à l'égard de Cuba, ne nécessite aucune autre action de notre part puisque le ministère a donné une réponse le 21 avril.

    Il y a trois autres pétitions. Conformément au paragraphe 32(2) du Règlement, M. Gallaway, secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes, a déposé sur le Bureau les réponses du gouvernement aux pétitions de Mme Catterall, de Mme McDonough et de M. Rajotte au sujet du SIDA.

    Je dois vous préciser que le Bureau du Conseil privé a informé le greffier que la réponse avait été retardée parce que le ministère de l'Industrie n'avait pas fourni ses informations. Je suggère aux membres du comité de prendre note de cela et de demander au greffier de vérifier les Journaux. Si les réponses n'ont pas été déposées d'ici à la fin de la semaine prochaine, le comité pourrait revenir sur la question.

    Sommes-nous d'accord là-dessus?

    Des voix: D'accord.

    Le président: Bon.

    Je voudrais maintenant aviser les membres du comité de la visite d'experts en politique étrangère de l'Ukraine, et leur signaler qu'on a demandé à ce que les membres du comité les rencontrent à un déjeuner le mercredi 12 mai, ou le 13 mai. Êtes-vous d'accord pour...?

    Des voix: D'accord.

+-

    L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Nous allons rencontrer qui?

+-

    Le président: Des experts ukrainiens de la politique étrangère de l'Ukraine.

+-

    L'hon. Art Eggleton: Certainement.

+-

    Le président: Donc, c'est d'accord.

    Nous passons maintenant à nos témoins. Nous en avons deux aujourd'hui. M. Alex Neve, qui est secrétaire général de la Direction anglophone à Amnistie internationale Canada.

[Français]

    De l'Université d'Ottawa, nous accueillons également M. Pacifique Manirakiza, qui est professeur de droit.

    Bienvenue à nos deux distingués invités d'aujourd'hui.

[Traduction]

    Nous allons commencer par M. Neve. Vous connaissez la procédure.

+-

    M. Alex Neve (secrétaire général, Direction anglophone, Amnistie internationale (Canada)): Merci beaucoup, monsieur le président et bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité.

    Je vous remercie de m'avoir invité à vous rencontrer cet après-midi. On m'a demandé de contribuer à vos délibérations pour savoir si vous allez adopter une résolution exhortant le Parlement du Canada à déclarer que les attentats suicide visant des civils constituent des crimes contre l'humanité.

    Je vous remercie de me donner l'occasion de contribuer à votre débat et à vos délibérations. Cet après-midi, j'aimerais aborder trois points avec vous : premièrement, un aperçu des éléments essentiels qui constituent un crime contre l'humanité; deuxièmement, quelques réflexions sur la mesure dans laquelle les attentats suicide sont déjà considérés comme des crimes contre l'humanité en vertu du droit international; et troisièmement quelques recommandations d'action pour le Canada en vue de faire respecter ces normes juridiques internationales. Je vais commencer par le premier point : les crimes contre l'humanité.

    Comme tous les membres du comité le savent certainement, les crimes contre l'humanité sont parmi les plus graves crimes existant aux yeux de la communauté internationale. Ils sont désignés comme tels parce que leur ampleur ou leur nature est une insulte à la conscience même de l'humanité. Divers documents internationaux soulignent ce caractère de gravité en soulignant que les crimes contre l'humanité sont des crimes qui « menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde », selon un traité, et « un affront à la conscience et une atteinte grave et abominable à la dignité inhérente de l'être humain », selon un autre.

    Il s'agit de crimes en vertu du droit des traités et du droit coutumier international et sont totalement interdits, quel que soit le pays ou le territoire où ils sont commis ou la nationalité de l'auteur ou de la victime. C'est ce que l'on appelle généralement la compétence universelle, l'idée et le principe juridique important voulant que tous les États aient le devoir de réprimer ces crimes au moyen d'enquêtes et de poursuites.

    La notion de crimes contre l'humanité remonte au milieu du XIXe siècle, mais le premier traité international—par opposition à divers autres documents internationaux—le premier traité à énoncer une définition complète des crimes contre l'humanité a été le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté en 1998 et ratifié par le Canada en 2000. Le Statut de Rome constitue la base du droit national du Canada exprimé dans la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre adoptée par le Parlement cette même année.

    La notion de crimes contre l'humanité évolue et va continuer d'évoluer. La communauté internationale commence seulement à accumuler un corpus de jurisprudence grâce aux interprétations des éléments clés de la définition que donnent les tribunaux nationaux et internationaux.

    Le Statut de Rome énumère 11 types d'actes inhumains susceptibles, dans certaines circonstances, de constituer des crimes contre l'humanité. Il s'agit du meurtre, de l'extermination, de la réduction en esclavage, de la déportation ou du transfert forcé de population, de l'emprisonnement ou d'autres formes de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international, de la torture, du viol et d'autres formes de violence sexuelle, de la persécution, des disparitions forcées de personnes, de l'apartheid et d'autres actes inhumains causant de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

    Le traité précise que pour que l'un de ces actes constitue un crime contre l'humanité, il doit répondre aux trois critères suivants : premièrement, il doit s'inscrire dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique; deuxièmement, cette attaque généralisée ou systématique doit viser une population civile; et troisièmement, l'acte en question doit avoir été commis en connaissance de ce caractère généralisé et systématique.

    Permettez-moi de développer quelques-uns de ces points.

¹  +-(1540)  

Premièrement, l'acte en question doit s'inscrire dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique. Amnistie internationale interprète l'expression « dans le cadre de » dans ce contexte comme signifiant que les actes en question ne doivent pas nécessairement être tous du même type. Autrement dit, il ne faut pas nécessairement qu'il s'agisse dans tous les cas de torture ou de viol. Il est tout à fait possible qu'une combinaison de plusieurs de ces 11 actes inhumains constitue une attaque généralisée ou systématique. Tous ces actes ne doivent pas non plus avoir nécessairement été commis par le même individu ni même par des membres du même groupe du moment qu'ils font partie de la même attaque.

    Deuxièmement, les actes doivent s'inscrire dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique. Commençons par le terme « généralisée ». D'après nous, en droit international, cela signifie de deux choses l'une. Ou bien l'attaque s'est déroulée dans une zone géographique particulière, ou bien il s'agit de l'ampleur du crime. Au sens géographique, cela ne signifie pas que l'attaque doit avoir été menée dans un pays, une province ou une région entière, mais simplement qu'ils doivent avoir été menés dans diverses parties d'une région géographique particulière. Au sens géographique, quand on parle de « généralisée », on ne dit pas nécessairement que l'attaque a été massive et a visé un grand nombre d'individus. Si l'on a cette notion de dispersion géographique, même si les nombres sont relativement restreints, les actes peuvent néanmoins avoir un caractère généralisé.

    Par « généralisée », on peut aussi désigner l'ampleur de l'attaque. Un simple acte majeur d'ampleur suffisante peut suffire. À cet égard, on ne peut pas dire avec précision à quel nombre de victimes correspond ce seuil, et le droit international ne l'a d'ailleurs pas fait. Cela dépend probablement du contexte de l'attaque. Par exemple, si une attaque visait seulement 50 personnes, mais que ces 50 personnes constituent la population totale d'un petit village, ce serait évidemment un acte d'une autre ampleur que s'il s'agissait de 50 personnes tuées au coeur d'une agglomération de 15 millions d'habitants.

    À défaut d'être généralisé, un acte qui s'inscrit dans le cadre d'une attaque systématique constitue aussi un crime contre l'humanité. Le droit international considère qu'une attaque est systématique si elle est commise dans le cadre d'une démarche ou d'un plan méthodique ou régulier, ou d'une routine d'exécution découlant d'une stratégie commune.

    Enfin, la cible doit être une population civile. Cela ne signifie pas que la simple présence de cibles militaires au sein de la population civile soit susceptible de donner une légitimité quelconque à l'attaque. Si l'attaquant ne fait pas suffisamment d'effort pour faire la distinction entre cibles militaires et population civile, le droit international considère que l'attaque a visé une population civile.

    J'en viens maintenant à la question des crimes contre l'humanité et des attentats suicide en particulier. Amnistie internationale, d'autres groupes de défense des droits de la personne, divers organes de l'ONU, des sommités juridiques, de nombreux gouvernements et bien d'autres n'ont cessé de dénoncer des cas précis d'attentats suicide comme constituant des crimes contre l'humanité. Mentionnons par exemple les attentats du 11 septembre aux États-Unis, la campagne d'attentats suicide en Israël qui se poursuit, et les récents attentats dans des gares de Madrid.

    Les éléments qui permettent de parvenir à cette conclusion sont ceux que je viens de vous décrire. Dans tout attentat suicide, il y a un ou plusieurs des 11 cas d'actes inhumains que je viens de mentionner, en tout premier plan le meurtre et d'autres actes inhumains entraînant de graves blessures personnelles. La principale question qui a été posée est de savoir si ces attentats font partie d'une attaque généralisée ou systématique. Dans les trois exemples que je viens de mentionner, les attaques étaient à notre avis généralisées et systématiques, compte tenu de l'ampleur de l'attentat ou du fait qu'il était manifeste que l'acte était perpétré dans le cadre d'un plan plus général. C'est probablement le cas aussi pour la majorité des attentats suicide.

    L'exception, ce serait peut-être l'individu isolé qui organiserait un attentat sans viser un grand nombre de personnes. Il pourrait s'agir par exemple de quelqu'un qui commet un attentat dans les locaux de son ancien employeur pour se venger. Précisons d'ailleurs que cette distinction s'applique à tous les autres cas de violation des droits humains. Par exemple, un policier renégat qui torture un détenu pour des raisons personnelles commet certes un acte criminel de torture, mais il est peu probable que cela constitue un crime contre l'humanité. En revanche, si cet acte s'inscrit dans le cadre d'une pratique généralisée de torture des détenus du pays ou si le nombre d'individus détenus par les policiers en question s'élève à des centaines ou même des milliers d'individus dans un seul centre de détention, alors il est presque certain qu'on peut parler de crime contre l'humanité.

¹  +-(1545)  

    Enfin, permettez-moi de vous donner un bref aperçu de quelques recommandations pour la politique canadienne. Je dirais tout d'abord qu'Amnistie internationale n'est ni pour ni contre une initiative visant à désigner spécifiquement les attentats suicide comme crimes contre l'humanité, notamment en élaborant une convention internationale à ce sujet. Nous tenons cependant à souligner que dans leur majorité, ces actes constituent déjà clairement des crimes contre l'humanité.

    Du point de vue stratégique, il serait donc peut-être préférable de se concentrer sur des mesures visant à renforcer l'application des dispositions juridiques existantes plutôt que d'ouvrir un débat qui contribuerait par sa nature à polariser et à diviser les interlocuteurs. Toute démarche ayant pour objet d'élaborer et de définir une liste de contextes et de circonstances précis pour parler de crimes contre l'humanité risque de susciter des questions sur le statut juridique des contextes et circonstances qui ne seront pas mentionnés.

    En outre, il ne faut pas négliger le fait qu'on risquerait de lancer un débat qui, en raison des réactions affectives et de la controverse politique qu'il susciterait, risquerait de ne pas aboutir ou même d'être un fiasco. On risquerait ainsi d'affaiblir l'argument juridique actuel très fort que j'ai déjà mentionné, selon lequel la grande majorité des attentats suicide sont déjà des crimes contre l'humanité.

    En particulier, Amnistie internationale s'inquiète depuis longtemps du fait que le gouvernement canadien n'assume pas son devoir d'affirmer la compétence universelle dans les tribunaux canadiens en veillant à traduire en justice tous les auteurs présumés de crimes contre l'humanité. Le Canada continue de privilégier le recours à des dispositifs d'immigration tels que le renvoi plutôt que d'intenter des poursuites criminelles, alors même que dans certains cas il s'agit d'individus accusés de torture ou d'incitation au génocide, ou encore d'individus qui ont été accusés de participation à des activités terroristes.

    Amnistie internationale ne cesse d'exhorter le Canada à opter pour les poursuites plutôt que le renvoi. À notre avis, ces individus, s'ils sont renvoyés, pourront échapper à la justice ou risqueront eux-mêmes d'être victimes de graves violations des droits de la personne. Nous avons par exemple fait remarquer avec insistance au gouvernement que le recours au certificat de sécurité dans le cadre de la Loi canadienne sur l'immigration contrevient au devoir du Canada de s'assurer que les individus accusés d'avoir commis de graves violations des droits de la personne, y compris des actes de terrorisme, répondent de leurs actes devant la justice et soient eux-mêmes protégés d'actes graves de violation des droits de la personne comme la torture.

    Le Canada pourrait énormément contribuer à faire en sorte que les auteurs des attentats suicide et d'autres actes inhumains constituant des crimes contre l'humanité répondent de leurs actes devant la justice en consacrant la volonté politique et les ressources nécessaires pour intenter des poursuites devant les tribunaux du Canada et en faisant pression sur les autres gouvernements du monde et en les aidant pour qu'ils agissent de la même façon.

    Il existe dans le droit international et dans le droit canadien des dispositions claires et fermes stipulant que les attentats suicide visant des populations civiles et commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique constituent des crimes contre l'humanité. La priorité pour le Canada devrait maintenant être de s'assurer que les individus accusés de ce genre de crimes contre l'humanité n'échappent pas à la justice. Alors seulement nous pourrons commencer à briser l'éternel cycle d'impunité qui alimente les violations des droits de la personne, y compris les attentats suicide, à travers le monde entier.

    Merci.

¹  +-(1550)  

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Neve.

    Nous allons maintenant passer à M. Manirakiza.

+-

    M. Pacifique Manirakiza (professeur de droit, Université d'Ottawa): Merci, monsieur le président, de m'accorder la parole.

    Je remercie également tous les membres du comité de m'avoir invité à m'adresser à cette prestigieuse institution. La question dont nous traitons est très importante et, en fait, concerne la sécurité de l'humanité dans son ensemble.

    La question qui m'a été adressée, de même qu'à mon collègue Alex Neve, consiste à déterminer si les attentats-suicides constituent un crime contre l'humanité.

    D'emblée, et de façon tout à fait préliminaire, ma conclusion est que ces attentats constituent en effet un crime contre l'humanité, et ce, pour les raisons que je vais exposer. Il s'agit pratiquement des mêmes raisons invoquées par M. Neve. Nous ne nous sommes pas concertés, mais pourtant, nous sommes pratiquement arrivés à la même conclusion.

    Ma présentation va être axée sur trois questions principales. Dans le cas de la première, il s'agit de savoir si les attentats-suicides constituent un crime contre l'humanité au regard du droit international actuel. La deuxième question, qui dépend de la réponse que je vais donner à la première, consiste à essayer de déterminer les conséquences juridiques d'une telle qualification des attentats-suicides. En troisième lieu, je vais aborder l'opportunité de faire une campagne en vue d'aboutir à une convention internationale relative aux attentats-suicides.

    Abordons la première question, soit la qualification juridique des attentats-suicides. Pour pouvoir qualifier ces derniers de crimes contre l'humanité, il convient d'abord d'aborder--de façon très brève, étant donné que M. Neve en a parlé suffisamment--la notion de crime contre l'humanité.

    Il faut dire que le crime contre l'humanité constitue une incrimination internationale grave, dans le sens où il inclut des actes qui portent atteinte aux valeurs considérées essentielles par l'humanité entière. En fait, cette incrimination remonte au Tribunal de Nuremberg, qui a été créé pour juger les criminels de guerre nazis ayant commis des atrocités pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Comme Alex l'a dit, cette incrimination se retrouve actuellement consacrée dans le statut adopté par la Cour pénale internationale à Rome en 1998. En d'autres termes, la notion de crime contre l'humanité couvre ce qu'il conviendrait d'appeler des crimes de lèse-humanité.

    Quels critères juridiques sont requis pour qu'on puisse conclure à un crime contre l'humanité? Encore une fois, je ne vais pas entrer dans les détails. Cependant, j'en ai identifié quatre. À Mombasa, j'ai appris quelle était la définition donnée par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ainsi que par la jurisprudence pertinente qui a été dégagée par les tribunaux internationaux ad hoc.

    Les quatre critères sont les suivants. D'abord, il s'agit d'une attaque généralisée ou systématique; ensuite, cette attaque doit être dirigée contre une population civile; en outre, un crime contre l'humanité comporte un élément politique, en ce sens que l'attaque doit viser ou appliquer un plan ou une politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but l'attaque de populations civiles.

    Enfin, sur le plan purement juridique, l'élément psychologique est très important. Il est lié au crime contre l'humanité en ce sens que l'auteur d'un tel crime doit être au courant d'un plan ou d'une politique mis en place par un État ou une organisation en vue d'attaquer des populations civiles.

¹  +-(1555)  

    Alors, au regard de ces critères énoncés brièvement, peut-on dire que les attentats-suicides constituent des crimes contre l'humanité? Il faut dire, dans un premier temps, que la notion elle-même d'attentat-suicide, n'est pas une notion qui est reconnue comme telle en droit international. Mais cela ne veut pas dire que cette notion n'est pas du tout juridiquement encadrée par le droit international.

    Alors, comme je vais le démontrer, l'attentat-suicide présente la gravité nécessaire pour pouvoir être qualifié de crime contre l'humanité. D'abord, si on s'attache au premier critère que j'ai énoncé, le critère qui consiste en une attaque généralisée ou systématique, il faut dire que, à mon sens, un attentat-suicide constitue toujours une attaque systématique, en ce sens qu'il découle quand même d'une certaine organisation, d'une certaine planification ou d'une certaine politique d'attaquer des populations civiles.

    Pour les situations que l'on connaît aujourd'hui, on peut dire qu'il y a toujours un concours ou alors un encadrement institutionnel des personnes qui s'adonnent aux attentats-suicides par des organisations ou par certains États. J'en ai énuméré quelques-uns dans mon texte.

    Quant au deuxième critère, qui veut que l'attaque soit dirigée contre une population civile, même ici, je pense qu'au regard des informations qui sont disponibles sur les attentats-suicides, ce crime prend pour cible les personnes et les biens civils. On peut constater que parmi les victimes des attentats-suicides, on compte beaucoup de vieillards, beaucoup d'enfants, ce qui veut dire, en d'autres termes, que ces enfants et ces vieillards ont un statut civil. Il est très rare que l'on rencontre des situations où les attentats-suicides visent en fait des cibles militaires. On peut pratiquement parler de quelques exceptions, comme ce qui s'est passé au cours de la Seconde Guerre mondiale avec les avions kamikazes. Mais à part cela, il n'y a pas beaucoup d'autres exceptions.

    En ce qui concerne le troisième critère que j'ai énoncé, qui consiste, en fait, à apporter la preuve d'un délit politique ou d'un plan explicite ou implicite d'un État ou d'une organisation, même ici on peut pratiquement conclure que les attentats-suicides sont toujours mus par une motivation politique évidente, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'ils sont commis à l'exécution d'une politique d'un État ou d'une organisation ou alors sous la couverture de cette organisation ou de cet État.

    Par exemple, certains gens du Hamas disent qu'ils ne peuvent pas faire face à l'occupation israélienne s'ils n'ont pas recours à ce moyen-là, étant donné qu'ils ne possèdent pas de chars ou d'hélicoptères de combat. Si on regarde l'appel qui est lancé par certaines organisations pour ces attentats, ainsi que l'apologie qu'on fait de ces attentats, on peut pratiquement conclure que l'élément politique est ici omniprésent.

    Au regard de ces critères, je pense que les attentats-suicides constituent un crime contre l'humanité. Ma conclusion s'appuie sur les normes internationales humanitaires qui sont considérées comme étant du droit international et coutumier. Ici, il faut relever notamment le principe de l'interdiction générale des attaques contre les civils, qui est reconnu par la Convention de Genève.

º  +-(1600)  

    Il y a également le principe qui veut que les moyens et les méthodes de combat ne soient pas illimités, ou alors le principe qui veut que les attentats qui causent des souffrances inutiles et superflues à la population civile soient interdits.

    Je me suis également basé, pour arriver à certaines conclusions, sur les rapports qui ont été présentés par des organismes des droits de la personne comme Amnistie internationale, Human Rights Watch et Médecins du Monde. Je me suis également basé sur certaines analyses faites par certains professeurs, notamment le professeur Cassese, qui fut président du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Pour lui, tout crime qui est commis à grande échelle d'une manière qui présente les caractéristiques d'une attaque comme celle du 11 septembre pourrait être qualifié de crime contre l'humanité, en autant que les critères qu'on a déjà évoqués soient remplis.

    Parlons des conséquences juridiques liées à une telle qualification. À mon sens, la première conséquence juridique est que la Cour pénale internationale peut être habilitée à juger les personnes qui sont impliquées dans l'organisation des attentats-suicides. J'estime qu'on pourrait qualifier ces attentats de meurtres, d'extermination, de torture ou d'autres actes inhumains, ce qui représente quelques-unes des différentes composantes des crimes contre l'humanité inscrits à l'article 7 du Statut de la Cour pénale internationale.

    Pour moi, le fait qu'une personne se fasse exploser en même temps que l'explosif n'est pas du tout pertinent au plan juridique, au plan du droit pénal international, pas plus que ne l'est le fait d'utiliser un char, un fusil ou des machettes. Pour moi, cet élément n'est pas du tout pertinent.

    D'autre part, le principe de la compétence universelle peut pratiquement être utilisé pour permettre aux États qui disposent d'un texte juridique qui met en oeuvre le Statut de la Cour pénale internationale de poursuivre les personnes qui sont impliquées dans l'organisation des attentats-suicides. Comme M. Neve l'a dit, je pense que le Canada, avec sa Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, pourrait ultimement mettre à profit ce principe de compétence universelle.

    En fin de compte, j'estime que l'impunité que l'on observe aujourd'hui relativement aux attentats-suicides n'est pas du tout causée par un quelconque problème d'ordre juridique. Elle est plutôt causée par un problème pratique: il est pratiquement impossible de capturer les gens qui sont responsables de l'organisation des attentats terroristes.

    J'aimerais consacrer deux minutes à la question de savoir s'il est vraiment opportun de faire campagne pour l'adoption d'une convention internationale sur les attentats-suicides. Adopter la convention peut être d'une quelconque utilité au plan politique, mais je ne crois pas qu'il y ait de nécessité juridique à cet effet. Je pense cela pour trois raisons, principalement. Deux sont d'ordre juridique et une autre est d'ordre pratique.

    La première raison d'ordre juridique est que, actuellement, comme je l'ai dit et comme M. Neve l'a dit, il n'existe pas de base juridique en droit international qui porte sur ce phénomène.

    L'autre raison est qu'il ne serait vraiment pas opportun de légiférer au cas par cas, c'est-à-dire d'adopter une convention à toutes les fois qu'il y a un phénomène nouveau, à moins que ce phénomène ne présente des éléments constitutifs qui sont totalement distincts des incriminations reconnues en droit international.

    Je conclurai par un dernier argument. Même s'il existait un vide juridique, je ne suis pas convaincu qu'une convention internationale relative aux attentats-suicides provoquerait une réduction importante de ceux-ci.

º  +-(1605)  

    Je vous réfère à ce qui se passe à propos des conventions qui ont été élaborées pour réprimer le terrorisme. Il existe beaucoup de conventions qui ont été élaborées, beaucoup de résolutions qui ont été passées par des organismes des Nations Unies, mais si on regarde l'effet pratique de ces conventions, on voit qu'il est limité.

    Je pense que je vais m'arrêter ici. Peut-être que je pourrai faire le point sur une autre question. Merci.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Nous allons maintenant passer à la période de questions et de réponses.

    Au préalable, je voudrais remercier M. Lee, de la Division des affaires politiques et sociales, ainsi que M. Dolin, de la Division du droit du gouvernement, pour le travail de recherche qu'ils ont tous les deux effectué pour nous aujourd'hui.

    Monsieur Day.

[Traduction]

+-

    M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, PCC): Je vous remercie de cet aperçu, notamment à propos du Statut de Rome et des autres interprétations judiciaires de la notion de crimes contre l'humanité, avec les précisions qui les accompagnent. Je suis d'accord avec ces précisions telles qu'elles ont été déjà énoncées.

    Monsieur Neve, je vous remercie de vos réflexions. Vous avez parlé des 11 types d'actes extrêmes qui sont énumérés. Il n'en reste pas moins que l'attentat suicide en tant que tel n'est pas mentionné parmi ces 11 actes extrêmes qui peuvent donner lieu à l'accusation de « crime contre l'humanité ».

    Évidemment, ce qu'il y a de particulier dans un attentat suicide, c'est que si l'attentat est un succès—et c'est une triste façon de dire les choses—l'auteur lui-même ne pourra pas être poursuivi en justice. Toutefois, ceux qui auront planifié, appuyé, encouragé et financé cette activité devraient pouvoir être poursuivis non seulement en vertu de la loi actuelle pour meurtre ou incitation au meurtre, mais aussi en vertu de cette notion d'attentat suicide.

    Vous avez signalé que le fait de ne pas avoir connaissance du caractère de l'acte pourrait servir d'excuse partielle s'il n'y a pas une mention spéciale de la notion d'attentat suicide. Or, il y a eu deux cas récemment. Il y a eu le cas d'un enfant de 11 ans—on en a parlé aux informations il y a une quinzaine de jours—qui ne savait même pas qu'il portait une ceinture d'explosifs. Il y a eu aussi, il y a trois semaines, le cas d'un enfant de 14 ans qui le savait, mais qui de l'aveu de ses propres parents n'avait pas toutes ses capacités mentales. Donc, il n'avait qu'une capacité limitée de comprendre ce qu'il faisait, mais là encore ceux qui avaient encouragé, financé et planifié son acte savaient parfaitement ce qu'il faisait.

    Je comprends bien toutes ces réflexions judiciaires, mais quelle raison aurions-nous de ne pas vouloir ajouter cette notion odieuse de « attentat suicide »? Pourquoi refuserions-nous de donner aux juristes nationaux ou internationaux un poids et un outil supplémentaires?

    C'est exactement le même raisonnement que quand on parle de crime de haine. Si l'on assassine quelqu'un, c'est un crime; si on l'assassine et qu'on peut prouver qu'il s'agissait d'un acte haineux, notamment motivé par la haine ethnique ou religieuse, on peut faire intervenir un palier supplémentaire d'inculpation.

    J'en viens donc à la question que je pose non pas à vous, monsieur—mais vous pourrez y réfléchir—mais à mes collègues : pour quelle raison refuserions-nous de nous doter de ce chef supplémentaire d'inculpation et de ce pouvoir supplémentaire?

    J'ai lu le Statut de Rome et d'autres documents juridiques et je ne vois pas en quoi cela affaiblirait notre position. Si quelqu'un veut appréhender des auteurs d'attentats suicide ou ceux qui les encouragent, notre comité a tort d'envoyer un tel message, car il donne l'impression qu'on ne veut pas ajouter ce palier d'inculpation. Ce n'est pas le bon message à adresser aux auteurs et aux planificateurs de ces actes, qui suivent ce genre de délibérations.

    Voilà ce que je pense. Ce n'est pas vraiment une question mais peut-être pourriez-vous nous donner vos réflexions sur cette idée : pourquoi ne pas ajouter un palier supplémentaire d'accusation et de dénonciation d'actes odieux?

º  +-(1610)  

+-

    M. Alex Neve: Oui, merci. Je pourrais peut-être commencer et ensuite, mon collègue pourra ajouter ses commentaires. Voici les réflexions que m'évoquent vos propos.

    Tout d'abord, j'hésite à accepter vos prémisses, à savoir que les attentats suicide ne sont pas déjà des crimes contre l'humanité. Il me semble extrêmement important que nous déclarions qu'au contraire haut et fort qu'ils le sont, que le droit international tel qu'il existe aujourd'hui est tel que la vaste majorité, en tout cas tous ceux auxquels nous pensons tous, constituent des crimes contre l'humanité. Je répète qu'il pourrait y avoir certaines exceptions limitées, comme le cas d'une personne seule qui, furieuse d'avoir été renvoyée par Wall-Mart, commet un attentat suicide dans un entrepôt et tue trois anciens collègues, ou quelque chose du genre.

    Je crains que si nous commencions à laisser entendre qu'il ne s'agit pas de crimes contre l'humanité, cela va affaiblir les efforts récents mais importants que déploient certains tribunaux un peu partout dans le monde en vue de traiter les attentats suicide comme des crimes contre l'humanité.

    Vous avez soulevé également quelques points précis et je dirais que même si les attentats suicide ne figurent pas spécifiquement à la liste des 11 actes inhumains inclus dans le Statut de Rome, il me semblerait difficile d'imaginer qu'un attentat suicide ne comporte pas un de ces éléments. Premièrement, le meurtre est un des éléments déclencheurs. Je suppose qu'il y a des attentats suicide ratés où seul le suicidaire trouve la mort mais, dans la grande majorité des cas, il y a une autre victime.

    Sinon, un des autres éléments déclencheurs englobe un peu tout, à savoir : « Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. » Il me semble que cette définition générale qui est le onzième des onze actes énumérés dans le Statut de Rome inclurait presque certainement tout attentat suicide. Je pense que c'est donc un bon début.

    La seule question, alors, est de savoir si l'attentat suicide en question vise une population civile, contrairement à une attaque militaire quelconque—à ma connaissance, les attaques civiles sont précisément ce que vous débattez ici—et si c'est une attaque généralisée ou systématique. J'ai essayé de vous expliquer que pour moi, pour Amnistie internationale, le droit international et les interprétations que nous voyons maintenant de ces adjectifs « généralisée » et « systématique », signifient que la vaste majorité des attentats suicide tombera dans cette définition.

    Je crois donc que nous y sommes et que ce que nous devrions faire, c'est de continuer dans ce sens.

    Les crimes contre l'humanité concernent aussi ceux qui se font complices de crimes contre l'humanité. C'est important et cela nous ramène à votre observation tout à fait pertinente sur la nécessité de nous assurer que l'on intente des poursuites contres les instigateurs, les personnes qui financent, ceux qui facilitent les attentats suicide. Les crimes contre l'humanité, tels que définis dans le Statut de Rome et dans le droit canadien englobent très clairement cet aspect.

    La dernière chose porte sur ces deux exemples très affreux et troublants des enfants que l'on a pris il y a quelques semaines en Israël et qui nous ont tous certainement perturbés. Peut-être que ces deux enfants n'étaient pas coupables de crimes contre l'humanité, faute de savoir ce qu'ils faisaient, ce que vous avez fait remarquer, et également du fait de leur âge. Certes, les systèmes juridiques des différents pays du monde considèrent très différemment la responsabilité criminelle des mineurs.

    Là encore, toutefois, quand on considère les dispositions touchant la complicité, ceux qui font de ces enfants des bombes humaines, ceux qui ont attaché à leur corps une bombe, sachant ce qui en résulterait, et qui sont, nous le conviendrons tous, les véritables criminels dans un tel cas, seraient évidemment visés par ces dispositions juridiques.

º  +-(1615)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons passer à Mme Lalonde, s'il vous plaît.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci à tous les deux pour vos très éclairantes interventions. Dans ce débat que nous avons, j'étais particulièrement soucieuse de l'aspect politique que revêtirait l'adoption de la motion qui est devant nous, surtout après que le président Bush eut appuyé le nouveau plan du premier ministre d'Israël, M. Sharon, qui trouble toutes les personnes qui cherchent la paix au Proche-Orient. Alors, l'adoption en ce moment me semblerait encore plus dramatique. C'est pour cela que j'ai pensé à faire une proposition qui renvoie à la fois à la dénonciation des crimes de guerre et à la dénonciation des crimes contre l'humanité que sont les attentats-suicides.

    Je comprends quand vous dites que vous n'avez pas de proposition de ce type-là, mais que vous avez des propositions concrètes pour chercher à empêcher ou à diminuer les attentats-suicides.

    J'aimerais avoir des commentaires sur mon premier point, mais je voudrais surtout savoir quelles recommandations vous feriez au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

+-

    Le président: Monsieur Manirakiza, vous avez la parole.

+-

    M. Pacifique Manirakiza: Merci de votre question.

    Dans la conclusion de mon texte, même si je ne suis pas arrivé jusque-là, je dis que même si je traite la question sous un angle répressif, je reste quand même convaincu que la solution à des conflits mondiaux devrait être de s'attaquer aux causes de ces conflits, ce qui permettrait d'éviter d'agir après coup, après qu'il y a eu des victimes à la suite d'attentats-suicides.

    Cela dit, nous sommes devant une situation préoccupante, des situations qui s'opposent, des situations où on assiste presque tous les jours à des attentats-suicides.

    Qu'est-ce qu'il faudrait faire, sur le plan purement juridique--parce que sur le plan politique, ce serait peut-être autre chose--pour endiguer cette situation? Une des stratégies qu'il faudrait adopter serait de voir comment mettre en place des politiques proactives, des poursuites de toutes les personnes qui sont impliquées dans l'organisation criminelle qui aboutit finalement aux attentats-suicides.

    Comme M. Day l'a dit, l'auteur principal de l'acte meurt généralement dans l'attentat, mais on sait que c'est toute une entreprise de criminels. On veut, finalement, toucher toute l'entreprise. Je me dis que pour toucher toute l'entreprise, il y a moyen d'être beaucoup plus créatifs et de songer à adopter des politiques de poursuites en se basant sur les éléments de droit qu'on a déjà développés ici, notamment la compétence universelle ou le droit international coutumier existant.

º  +-(1620)  

+-

    Le président: Est-ce qu'il y aurait un complément de réponse?

[Traduction]

+-

    M. Alex Neve: Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue. Je pense qu'il y a évidemment le court et le long terme à considérer pour un gouvernement qui se penche sur la question des attentats suicide.

    À court terme, il ne fait aucun doute qu'il faut faire davantage sur certains des points que j'ai mentionnés. Il nous faut une démarche internationale plus cohérente en matière de poursuite, notamment de la part du gouvernement canadien. On ne peut pas se contenter de s'en laver les mains en expulsant les gens, comme on le fait dans certains pays, de commettre des assassinats extrajudiciaires ciblés ou d'autres mesures de ce genre qui n'aboutissent à rien. Cela mène à l'injustice, en ce sens que les accusés eux-mêmes deviennent l'objet de violations des droits de la personne, et à l'absence de justice, en ce sens que les personnes concernées sont expulsées et sont peut-être accueillies comme des héros en descendant de l'avion. Aucune de ces mesures ne fera avancer les choses dans la lutte contre les violations des droits de la personne, notamment les attentats suicide.

    D'autre part, les gouvernements peuvent certainement faire toujours davantage pour améliorer la façon dont ils mènent les enquêtes, recueillent des renseignements, partagent les renseignements, tout ceci devant être fait en respectant les droits de la personne. Mais tout cela est possible.

    Pour ce qui est du long terme, en ce qui concerne les droits de la personne, Amnistie dit toujours—notamment à propos des attentats suicide—qu'on ne peut pas comprendre et aborder ce problème ni trouver des solutions en se limitant à une chose; il faut considérer tout le contexte des droits de la personne. Il ne fait aucun doute qu'une partie de la solution à tout problème touchant aux droits de la personne dans un pays en particulier est d'assurer à la population de ce pays un avenir dans lequel les droits de la personne sont respectés.

    Je ne voudrais pas que vous croyiez que je suis assez naïf pour penser que si les droits de la personne étaient bien protégés en Israël, les attentats suicide disparaîtraient du jour au lendemain ou qu'il n'y en aurait pas non plus en Irak. Il y a des tas de facteurs qui poussent une personne ou un groupe à l'attentat suicide. Mais il ne fait aucun doute que nous parviendrons à un monde beaucoup plus sûr si les gouvernements, dans le monde entier, considèrent d'abord et avant tout les droits de la personne dans leurs décisions de politique étrangère, leurs politiques commerciales, leurs décisions militaires, etc. Malheureusement, nous vivons dans un monde où c'est loin d'être le cas.

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons passer à M. Macklin, s'il vous plaît.

+-

    M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Merci aux témoins.

    À force de chacun poser nos questions, nous parvenons à un tableau global.

    Je remarque que dans ce processus, le Statut de Rome semble avoir une clause permettant de le réviser au bout de sept ans. Je me demandais s'il y avait, indépendamment des recommandations générales que vous faites, des modifications au statut qu'il faudrait envisager pour améliorer la situation que nous constatons ici?

    Avez-vous des commentaires à faire sur le texte même du statut?

º  +-(1625)  

+-

    The Chair: Monsieur Neve.

+-

    M. Alex Neve: C'est une vaste question.

    Je dirais que, pour le moment, nous pensons que nous avons dans le Statut de Rome, même s'il n'est pas parfait... Un certain nombre d'éléments ont été compromis en effet pour que le traité soit finalement signé et, même ainsi, moins de la moitié de la communauté internationale, mais presque la moitié—et en fait, probablement la moitié maintenant—a effectivement signé le traité. Notre voisin du sud, bien sûr, ne l'a pas fait.

    Je crois donc que nous en sommes encore à un point où ce qui est important, c'est de consolider et renforcer ce que nous avons obtenu dans ce Statut de Rome et de concentrer nos efforts sur son application, sur un groupe de juges solides, comme nous en avons un, qui siégera à la Cour pénale internationale afin que—contrairement à ce que nous voyons au niveau national— nous voyons des tribunaux nationaux commencer à satisfaire à leurs obligations aux termes du traité. Comme je le disais dans ma déclaration, c'est un domaine dans lequel nous avons beaucoup à faire au Canada, car cette situation est indéfendable à long terme.

    Le leadership respecté dans le monde entier dont fait preuve le Canada dans l'instauration de la Cour pénale internationale va finalement souffrir s'il ne devient pas évident que nous sommes prêts à traduire ces belles déclarations que nous faisons sur la scène internationale par des actes concrets pour nous assurer que nos tribunaux participent à cette lutte pour la justice dans le monde.

    Je serais tenté de dire que pour les années à venir, c'est là que nous devons porter nos efforts, plutôt que sur la réouverture d'un traité qui fut le résultat de longs mois de négociations pénibles et de compromis à Rome en 1998. Nous devons nous assurer que ce que nous avons tient bon.

    Peut-être que d'ici 10 ou 20 ans, nous pourrons nous demander s'il y a des améliorations à apporter au texte lui-même.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Donc, bien que le statut prévoie une révision après sept ans, vous ne pensez pas que cela se fera. S'il devait y en avoir une, comment procéderait-on, simplement parce que j'aimerais que le comité et moi-même puissions savoir en quoi nous pouvons participer, si nous le souhaitions?

+-

    M. Alex Neve: Je ne sais pas trop ce qu'il en est. Est-ce que c'est la disposition qui permet aux pays de s'exempter pendant sept ans des dispositions concernant les crimes de guerre?

+-

    M. Paul Harold Macklin: Je croyais que l'on devait réexaminer le statut. Je faisais allusion à un article qui m'a été remis, de William Schabas et Clémentine Oliver, qui s'intitule : « Le terrorisme est-il un crime contre l'humanité? ». À la page 271, on dit que la situation pourrait changer lorsque le statut sera révisé sept ans après son entrée en vigueur. Je suppose donc qu'il doit y avoir une disposition à cet effet.

[Français]

+-

    M. Pacifique Manirakiza: Oui, effectivement, il y a une disposition dans le cadre du Statut de Rome qui prévoit une révision du statut après une période de sept ans. Alors, est-ce que ce serait le moment opportun de songer à mettre l'attentat-suicide dans ce statut ou pas? Eh bien, je pense que la question comme je l'ai traitée et comme M. Neve l'a fait, c'est que nous estimons que les crimes qui entrent dans la catégorie des crimes contre l'humanité, surtout le crime de meurtre, le crime d'extermination, le crime de torture ou d'autres actes inhumains, sont assez explicites pour pouvoir, en fait, y intégrer la notion d'attentat-suicide. On pourrait effectivement commencer à songer à en faire un crime distinct, mais en ce qui me concerne, je ne vois pas en quoi il serait un crime distinct. Est-ce qu'il serait distinct par le simple fait qu'une personne se fait exploser? Non. Est-ce qu'il serait distinct par le simple fait qu'il cause la terreur au sein de la population civile? Eh bien, il n'y a pas que ce genre de crime qui cause la terreur au sein de la population civile.

    Donc, à mon sens, ce serait même difficile de pouvoir avoir un certain consensus au sein de la communauté internationale sur cette infraction qui a, en fait, une connotation tout à fait politique. Cela risque en fait de relancer le même débat qu'il y a eu autour de la notion de terrorisme, la raison pour laquelle on n'a même pas inscrit le terrorisme parmi les crimes qui sont de la compétence de la Cour pénale internationale.

º  +-(1630)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Bergeron.

+-

    M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.

    D'abord, merci pour vos présentations. Plus j'écoute les intervenants se pencher sur cette question, plus j'en viens à la conclusion que le geste qu'on nous appelle à poser est un geste qui a bien davantage une portée politique qu'une portée juridique.

    Lorsque M. Macklin, à juste titre, nous parle des conséquences juridiques possibles sur le plan international, d'un geste comme celui qu'on s'apprête à poser, peut-être est-ce dans l'occiput des gens qui nous amènent une telle motion aujourd'hui que de faire changer les termes du droit international pour faire inclure, dans la définition de crime contre l'humanité, la notion ou les cas d'attentats-suicides.

    La question que je me pose et que j'ai le goût de vous poser bien crûment, c'est: quelle est l'utilité pour le Comité des affaires étrangères et du commerce international, selon vous, d'adopter une motion qui dénoncerait les attentats-suicides, et uniquement les attentats-suicides, comme des crimes contre l'humanité? Qu'est-ce qu'on ajouterait au débat sur le plan juridique, qu'est-ce qu'on ajouterait au débat sur le plan politique, ou qu'est-ce qu'on retrancherait du débat, sur les plans juridique et politique, en prenant une position comme celle-là aujourd'hui?

+-

    Le président: Monsieur Bergeron, je pense que ce serait plutôt une question pour le proposeur, mais si M. Neve ou M. Manirakiza veulent y répondre, j'y consens.

[Traduction]

+-

    M. Alex Neve: Je ne connais pas le libellé de la résolution dont vous parlez, mais si je pouvais faire une suggestion, je crois qu'il pourrait être très utile que le comité adopte une résolution indiquant qu'il estime que les attentats suicide dirigés contre une population civile et faisant partie d'une attaque généralisée systématique constitue des crimes contre l'humanité.

    Bien que j'ai essayé de vous dire qu'il y a des avis juridiques internationaux assez probants qui vont dans ce sens, je crois que plus il y aura de déclarations semblables, plus on déploiera d'efforts pour effectivement poursuivre en justice et considérer les attentats suicide comme des crimes contre l'humanité dans les tribunaux nationaux et internationaux.

    Je pense qu'il serait aussi très utile que le comité attire dans sa résolution l'attention sur le fait que jusqu'ici, le Canada n'a pas suffisamment fait pour s'assurer que les personnes qui sont accusées de crimes contre l'humanité, notamment d'attentats suicide, soient traduites en justice et qu'il est impératif que la situation s'améliore au Canada à cet égard.

[Français]

+-

    Le président: Avez-vous un complément de réponse, professeur?

+-

    M. Pacifique Manirakiza: Oui, j'aurais simplement quelques mots à ajouter. Je pense qu'une telle motion aurait un effet politique important. Il n'y aurait pas vraiment d'effet juridique, à mon sens, mais il y aurait tout de même un effet politique important, en ce sens que cela ajouterait à la réprobation internationale qui vise les attentats-suicides.

    J'essaie de m'imaginer ce qui s'est passé en France en 1998, lorsqu'ils ont adopté une loi qui déclarait que l'esclavage était un crime contre l'humanité. Là, encore une fois, cela avait surtout une portée politique, parce qu'on essayait de faire face à une histoire dans laquelle l'État français avait été impliqué, ce qui n'est pas le cas ici. Ici, ce serait juste pour mettre l'accent sur le caractère hautement répréhensible de ces attentats. Cela aurait uniquement un effet politique.

º  +-(1635)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant passer à M. Eggleton.

[Traduction]

+-

    L'hon. Art Eggleton: Je pense qu'on nous dit que c'était couvert dans le cadre juridique du Statut de Rome. Si nous voulons adopter la motion de M. Day, ou une motion modifiée, il s'agit d'une action politique qui renforcerait ou confirmerait ce que dit déjà le Statut de Rome.

    Toutefois, j'aimerais poser une question à M. Neve parce que, par trois fois, dans ses commentaires, il a essayé d'attirer notre attention sur la question plus générale de la poursuite judiciaire au Canada de personnes qui pourraient être coupables de violation de droits de la personne.

    La poursuite de criminels de guerre, au moins dans le cas des criminels de guerre nazis, a pris un chemin différent du fait d'échec ou d'un sentiment qu'il est très difficile de réunir les éléments de preuve nécessaires. On a ainsi jugé qu'il était plus facile ou peut-être plus efficace de retirer la citoyenneté à ces personnes. La poursuite peut alors se faire dans un autre pays où l'on peut réunir davantage d'éléments de preuve. C'est un argument que j'ai entendu en ce qui concerne les criminels de guerre nazis. Je ne sais pas ce qu'il en est pour d'autres pays, comme le Rwanda ou d'autres pays où ont été commis des crimes de guerre plus récents.

    Que répondez-vous à cela? Est-ce un problème vraiment difficile? Comment peut-on améliorer notre capacité de poursuivre ces gens-là? Est-ce que la nouvelle Cour pénale internationale peut jouer un rôle à ce sujet? Comment tout cela pourrait-il marcher? Comment pouvons-nous améliorer notre bilan à cet égard?

+-

    M. Alex Neve: Je vais commencer par dire une évidence. Il n'est pas facile d'intenter des poursuites pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité. Il s'agit d'événements qui ont souvent eu lieu en pleine guerre ou en pleines violations massives des droits de la personne, et il est difficile d'amasser les éléments de preuve voulus.

    Cela dit, la communauté internationale me semble avoir fait de gros progrès depuis la fin des années 80 et le début des années 90, période à laquelle vous me semblez faire allusion, lorsque l'on avait fait certains efforts qui ont échoué pour poursuivre au Canada des personnes accusées de crimes de guerre perpétrés durant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque la Cour suprême du Canada eut rendu sa décision dans l'affaire Finta au début des années 90, on a tout simplement laissé tomber. La Cour suprême, à notre avis et de l'avis de beaucoup, a opposé un obstacle juridique qui dépassait de beaucoup ce qu'exigeait le droit international en matière de crimes contre l'humanité et a rendu ce genre de poursuite pratiquement impossible.

    La Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre adoptée en 2000 devrait avoir réglé le problème. Certaines des difficultés les plus évidentes qui ont découlé de la décision Finta ont été éliminées dans cette loi. Je ne pense donc pas que des poursuites se heurteraient encore à ce genre d'obstacle.

    La communauté internationale a également fait de gros progrès depuis et il se passe des tas de choses à l'échelle internationale. Les gouvernements coopèrent, échangent des informations, collaborent, qu'il s'agisse du tribunal pour la Yougoslavie ou du tribunal pour le Rwanda. Il y a maintenant une nouvelle cour qui doit s'occuper aussi du Sierra Leone, la Cour pénale internationale. Une des grandes clés du succès de ces poursuites est de s'assurer que les gouvernements collaborent afin que l'on puisse échanger des éléments de preuve et tirer des leçons réciproques, ce qui sera considérable.

    Il s'agit de poursuites qui concernent des événements qui se sont produits en plein chaos dans un autre pays, de langue différente et de culture différente. Cela posera des problèmes, mais je crois que la communauté internationale approche du but. Le Canada, qui est un des pays qui a montré l'exemple à cet égard, est beaucoup mieux placé maintenant pour commencer à intenter certaines poursuites.

+-

    L'hon. Art Eggleton: C'est donc une question de volonté politique.

+-

    M. Alex Neve: Je dirai que c'est la volonté politique et les ressources. Ce n'est pas quelque chose de facile et ce n'est pas bon marché. Cela signifie que de temps à autre, les enquêteurs devront être envoyés du Canada au Rwanda, en républiques yougoslaves ou n'importe où dans le monde. Il faudrait faire venir des témoins par avion. Il faudra que la GRC soit dotée du personnel d'enquête et de recherche voulu, de même que les avocats. Nous disposons de certaines ressources, mais il en faudra davantage.

º  +-(1640)  

[Français]

+-

    Le président: Avez-vous un complément de réponse? Ça va? Parfait.

    Nous allons maintenant passer à M. Day.

[Traduction]

+-

    M. Stockwell Day: Merci encore, monsieur le président et merci à vous deux, surtout monsieur Neve.

    J'ai beaucoup apprécié vos commentaires qui me semblent tout à fait à propos et utiles quant à l'aspect juridique. Vous avez habillement évité la question lorsque l'on vous a interrogé à tort sur les intentions de l'auteur de la motion. C'est aux membres du comité d'en débattre en effet, mais j'apprécie votre volonté d'y répondre.

    Ce qui m'ennui, c'est un peu comme ce que M. Eggleton disait, à savoir que l'on a récemment eu beaucoup de mal à faire quoi que ce soit à propos de Milosevic. D'ailleurs, à moins que vous n'ayez des renseignements que je n'ai pas, avec le renvoi du juge, il semble que l'on va repartir à zéro. On va perdre des témoins et on laisse même entendre qu'il pourrait ne pas être poursuivi.

    La semaine dernière encore, je crois, et vous vous souviendrez probablement du nom d'un de ses complices, un complice certain au génocide a vu sa peine réduite, ce que j'ai trouvé ahurissant. Évidemment, il sera probablement en prison jusqu'à la fin de ses jours parce que je crois qu'on a réduit la peine de 42 à 35 ans, mais ce qui est grave, c'est le message que cela représente.

    Il y a des termes, des mots, qui ont une telle résonance qu'ils font peur à tous, à tel point que l'on ne veut surtout pas en être accusé. Pour ce qui est de la question arménienne, le gouvernement ne voyait aucun inconvénient aux motions qualifiant cela d'atrocité, de quelque chose de terrible, etc. Mais le terme « génocide » est chargé, et à juste titre, me semble-t-il. C'est la même chose pour « suicide » lié à « attentat »...

    Il y a un noyau très restreint d'islamistes—je parle du groupe Hamas, par exemple—qui recourt aux attentats suicide à des fins politiques. C'est dans leur mandat. Ils doivent y avoir recours. Ça leur plaît. C'est la raison pour laquelle, à mon avis, annexer le terme « suicide », qui est tellement dur, suscite le même genre de crainte qu'annexer le terme « génocide ».

    Donc, en effet, c'est partiellement politique. C'est un autre recours pour les procureurs internationaux, mais cela fait constitue aussi un message politique contre un groupe qui recourt aux attentats suicide à des fins politiques, qu'il excuse même. Le Hamas excuse ces actes sous prétexte de l'avancement de sa cause politique.

    Évidemment, c'est une hypothèse personnelle. Vous n'êtes pas forcé de considérer le côté politique, mais, encore une fois, comme vous connaissez très bien le Statut de Rome et d'autres statuts similaires, avez-vous l'impression...? Je ne vois toujours pas comment, si l'on ajoute cet autre acte d'accusation, l'élément suicide, cela affaiblit en la capacité actuelle des juges. Je crois pour ma part que cela la renforcerait.

+-

    M. Alex Neve: J'en reviens à ma mise en garde—et je crois que cela dépendrait du texte de cette résolution si vous décidiez de la présenter—à savoir qu'il vaudrait mieux éviter d'avoir une résolution laissant entendre que votre comité estime que l'attentat suicide ne constitue pas actuellement un crime contre l'humanité.

+-

    M. Stockwell Day: Je comprends.

+-

    M. Alex Neve: Je pense que si vous adoptez une résolution, il faudrait essayer d'y refléter fidèlement l'état actuel du droit international concernant l'interprétation des attentats suicide comme crime contre l'humanité, car je pense que vous voulez renforcer cette notion et non pas l'affaiblir.

    Pour en revenir à ce que vous avez dit au début à propos du procès de Milosevic et d'autres, on a souvent tendance à se servir de ce procès Milosevic pour dire que le projet de justice internationale est voué à l'échec ou ne donnera pas les résultats escomptés. Il faut se souvenir de deux choses importantes. Pour chaque procès Milosevic, un bon nombre d'autres procès importants ont été menés à bien, comme au Tribunal pour la Yougoslavie et au Tribunal pour le Rwanda. Ces deux tribunaux ont rendu des décisions de grand poids qui ont précisé et fait progresser la notion de crime contre l'humanité et la notion de viol en tant que crime de guerre, et qui ont affiné la définition de ce terme lourd de connotations que vous mentionniez précédemment, « génocide ». Tous ces jugements sont maintenant repris par des tribunaux au niveau national qui commencent eux aussi à entendre des procès.

    Il se passe donc beaucoup de choses encourageantes aussi. Il y aura toujours, comme c'est le cas lors d'affaires pénales au niveau national, des procès à grande mise en scène médiatique qui vont vasouiller, parce qu'un juge aura des problèmes de santé ou pour une autre raison. Mais il faudrait éviter de monter en épingle ce procès Milosevic comme exemple de ce que donne la justice internationale, parce qu'en réalité, il y a énormément de raisons d'être très fiers et très optimistes sur ce front.

º  +-(1645)  

+-

    M. Stockwell Day: Soit.

+-

    Le président: Monsieur Wilfert.

+-

    M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Merci, messieurs, pour vos commentaires.

    Voici ce que je voudrais dire. Si la Cour pénale internationale avait existé au moment du 11 septembre, en vertu du Statut de Rome, elle n'aurait jamais pu servir à poursuivre les auteurs des attentats du 11 septembre tout simplement parce que quand les États peuvent et veulent intenter des poursuites, la Cour n'est pas compétente. Je pense qu'il est hors de doute que les États-Unis, qui ont naturellement été victimes d'un grave attentat le 11 septembre, sont déterminés à poursuivre al-Qaïda et consoeurs.

    En même temps, certains disent que si l'on englobe de tels actes dans les crimes contre l'humanité, cela risquerait de dissuader certains États de ratifier le Statut de Rome.

    Enfin, les États-Unis ont déjà poursuivi dans le cadre de leur système pénal des actes de cette nature.

    J'aimerais avoir votre réponse à ces commentaires.

    La question dont nous sommes saisis est-elle d'ordre politique ou juridique? Si nous adoptons quelque chose qui ne va pas faire progresser le droit, cela ne sert pas à grand-chose. Si les instruments existants sont déjà utilisés avec succès, est-il utile d'aller de l'avant avec cette résolution, d'autant plus qu'on parle du Statut de Rome que les États sont sur le point de ratifier—vous dites que la moitié environ l'ont signé—et dans quelle mesure est-ce important?

    Merci, monsieur le président.

+-

    M. Alex Neve: Je vais peut-être commencer et mon collègue pourra ajouter ses commentaires.

    Je crois qu'il faut garder à l'esprit deux notions connexes mais distinctes quand on parle de crimes contre l'humanité. Il s'agit tout d'abord de savoir si la Cour pénale internationale avait compétence dans un cas particulier. Et il y a par ailleurs toute la question de la compétence universelle en matière de crimes contre l'humanité.

    Il est tout à fait juste de dire, à propos de cette première question de savoir si la Cour pénale internationale était compétente; cela dépendrait du fait que l'État pertinent, l'État où l'attentat se serait produit ou l'État dont serait citoyen l'auteur du crime, aurait ou non ratifié le statut. Les États-Unis sont un parfait exemple, alors que de nombreux autres États du monde n'ont pas ratifié le traité.

    Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas d'autres moyens très efficaces pour traiter un méfait particulier, qu'il s'agisse d'un attentat suicide, de torture, d'assassinat collectif ou de crime contre l'humanité. En vertu du droit international coutumier , et peu importe qu'un État ait ou non ratifié le Statut de Rome ou un autre traité quelconque, il existe un principe juridique mondial qui stipule que la compétence universelle s'applique, autrement dit que n'importe quel tribunal, n'importe où, a le devoir d'intenter des poursuites et de prendre des mesures. Je crois que c'est à certains égards le levier le plus puissant dont nous disposons pour faire en sorte que justice soit rendue dans le cas d'actes comme des attentats suicide, en interprétant ces attentats comme des crimes contre l'humanité et en leur appliquant ce principe de droit international coutumier de la compétence universelle, ce qui veut dire qu'en fin de compte, il n'existe aucune échappatoire. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas la tâche colossale de convaincre de nombreux gouvernements de respecter leur devoir, de respecter cette compétence universelle lorsqu'ils ont sur leur territoire des malfaiteurs de ce genre, mais au moins nous avons les outils juridiques pour le faire.

º  +-(1650)  

[Français]

+-

    Le président: Professeur.

+-

    M. Pacifique Manirakiza: Merci. Je comprends la préoccupation de l'honorable député, qui consiste à dire qu'il y aurait un risque que la notion de crime contre l'humanité soit finalement une notion fourre-tout, donc, une notion qui engloberait finalement tous les actes inhumains qui ne sont pas du tout considérés comme étant criminels.

    Je dis que la réponse à cette question est non. Il n'y a pas lieu de considérer la notion de crime contre l'humanité comme étant une notion vraiment fourre-tout, une notion trop générale pour tout englober.

    Cela m'amène à dire que, finalement, que tous les attentats-suicides ne sont pas des crimes contre l'humanité--en fait, c'est la raison décrétée juridique que j'ai énumérée plus tôt--, parce que si un attentat-suicide est un acte tout à fait isolé, un acte tout à fait fortuit qui ne rentre pas dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique, on ne peut pas dire, dans ce cas-là, qu'un tel attentat-suicide a passé le test pour être qualifié de crime contre l'humanité. C'est comme le meurtre, d'ailleurs. On sait que certains meurtres sont qualifiés de crimes contre l'humanité, alors que d'autres sont des meurtres au regard du droit interne. Donc, même ici, un attentat-suicide peut être qualifié de crime au regard du droit interne uniquement, mais sans pour autant passer le test pour être qualifié de crime contre l'humanité.

+-

    Le président: Merci.

    Madame Lalonde, s'il vous plaît.

+-

    Mme Francine Lalonde: C'est très intéressant. Vous ne voulez pas parler de cette question-là, mais nous sommes le Comité des affaires étrangères--c'est une intervention que mes collègues m'ont entendue faire à quelques reprises--et nous savons à quel point les positions qu'on peut prendre touchent des situations politiques tendues. On pourrait recommencer une autre heure, mais c'est clair que les attentats-suicides, en ce moment, sont un des moyens d'action de « terroristes » qui cherchent à faire triompher une cause territoriale ou politique, d'une part, mais d'autre part, il y a aussi le terrorisme international qui utilise le terrorisme pour établir son pouvoir.

    Dans le premier cas, Israël, Palestine, Tchétchénie et plein d'autres, on a eu affaire aussi à des gouvernements qui ont abusé de leur pouvoir militaire, à des gouvernements dont on peut dire qu'ils se sont livrés à des crimes de guerre et, dans certains cas, à des crimes contre l'humanité qui sont tout aussi détestables et condamnables.

    Alors, nous, notre position, c'est que comme Comité des affaires étrangères, on ne peut que dénoncer et les uns et les autres, et que ne prendre une position forte que sur les attentats-suicides en ce moment--non pas que nous ne dénoncions pas cela--nous mettrait dans la situation de prendre position. Or, nous trouvons que cela n'aide pas à la solution de quoi que ce soit et que cela ne rend pas justice parce que, en réalité, il y a deux situations qui ne relèvent pas du droit ni d'un côté... Je ne dis pas que c'est le cas tout le temps. Par exemple, les Israéliens ont le droit de se défendre, c'est vrai, mais pas par n'importe quel moyen, et la même chose vaut en Palestine.

    J'entendais Hubert Védrine dire qu'on peut dénoncer le terrorisme tant qu'on voudra, il existera toujours pour des raisons qui relèvent de situations politiques. Il ne parlait pas de la moralité là ni du droit, mais de situations politiques.

    Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, sur nos préoccupations d'affaires étrangères.

º  -(1655)  

[Traduction]

+-

    M. Alex Neve: Eh bien, vous avez raison. À Amnistie internationale, nous ne parlons jamais de l'aspect politique de ces questions.

    Cela dit, je pense qu'il serait très utile, si vous continuez à discuter de cette question, d'envisager une résolution, si vous jugez nécessaire d'adopter une résolution portant sur les questions de crimes contre l'humanité, en abordant la question dans une perspective holistique, car la notion de crimes contre l'humanité soulève toutes sortes de problèmes et de préoccupations.

    J'ai souligné certains de ces problèmes—le fait que, même si nous progressons, nous ne sommes toujours pas capables, y compris notre propre gouvernement, de faire des efforts sérieux et systématiques pour poursuivre et châtier les auteurs de crimes contre l'humanité, ce qui inclurait les auteurs d'attentats suicide, les auteurs de tortures, les commanditaires du terrorisme et les architectes de génocides.

    Une résolution soulignant cette préoccupation et invitant le gouvernement du Canada à participer à un effort international plus concerté pour réprimer, châtier et poursuivre les crimes contre l'humanité sous toutes leurs formes serait peut-être un bon exemple.

[Français]

+-

    Le président: Professeur Manirakiza, vous avez la parole.

+-

    M. Pacifique Manirakiza: Une des caractéristiques importantes d'un crime contre l'humanité est qu'on peut imputer la responsabilité d'un tel crime à des gouvernants, à des organisations ou à des entités privées, donc à des entités non étatiques.

    Dans le cas des attentats-suicides, il semble qu'on met l'accent sur l'aspect suicide, sur le fait qu'une personne se fasse exploser. Je pense qu'il faudrait considérer cela comme une arme de guerre, un moyen et une méthode de guerre illicite, au même titre que les autres moyens de guerre, que ce soit un char ou un tank, etc. En fin de compte, la conséquence d'un attentat-suicide est pratiquement la même que celle d'un bombardement par hélicoptère. Cela provoque la terreur partout, peu importe que ce soit une personne qui s'est fait exploser ou que ce soit un bombardement par hélicoptère ou un tank. À mon sens, il faut considérer cet élément comme une arme à laquelle les gens recourent, une arme illicite--il faut que je sois bien compris--, alors qu'elle est prohibée par le droit international humanitaire.

-

    Le président: Merci. Cela termine notre rencontre avec vous. Je vous remercie, monsieur Neve et monsieur Manirakiza. C'est votre première présence devant nous, et nous en sommes très heureux. Nous espérons vous revoir dans un avenir rapproché. Merci beaucoup.

[Traduction]

    Je pense que ce sera tout pour aujourd'hui. Il va y avoir un vote dans quelques instants, et nous devons donc y aller.

    Merci.

    La séance est levée.