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SNAS Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Sous-comité sur la Sécurité nationale du Comité permanent de la justice et des droits de la personne


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 10 février 2003




¹ 1535
V         Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.))
V         M. George Radwanski (commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Bureau du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada)

¹ 1540
V         Le président
V         M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne)

¹ 1545
V         M. George Radwanski
V         M. Kevin Sorenson
V         M. George Radwanski

¹ 1550
V         M. Kevin Sorenson
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ)
V         M. George Radwanski

¹ 1555
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. Rick Borotsik (Brandon—Souris, PC)

º 1600
V         M. George Radwanski
V         M. Rick Borotsik
V         M. George Radwanski
V         M. Rick Borotsik
V         M. George Radwanski
V         M. Rick Borotsik
V         M. George Radwanski
V         M. Rick Borotsik
V         M. George Radwanski

º 1605
V         Le président
V         M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.)
V         M. George Radwanski
V         M. John McKay
V         Le président
V         M. John McKay
V         Le président
V         M. George Radwanski

º 1610
V         M. John McKay
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.)
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski

º 1615
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         Le président
V         Mme Marlene Jennings
V         Le président

º 1620
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. Kevin Sorenson
V         Le président
V         M. John McKay
V         M. George Radwanski
V         M. John McKay
V         M. George Radwanski

º 1625
V         M. John McKay
V         M. George Radwanski
V         M. John McKay
V         Le président

º 1630
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         M. George Radwanski
V         Mme Marlene Jennings
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski

º 1635
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski

º 1640
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         M. Robert Lanctôt
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. John McKay
V         M. George Radwanski

º 1645
V         M. John McKay
V         M. George Radwanski
V         M. John McKay
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski

º 1650
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président

º 1655
V         M. George Radwanski
V         Le président
V         M. George Radwanski
V         Le président










CANADA

Sous-comité sur la Sécurité nationale du Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 002 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 10 février 2003

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)): Chers collègues, comme nous avons le quorum, je déclare la séance ouverte.

    Notre sous-comité sur la sécurité nationale étudie la protection de la vie privée des Canadiens dans le contexte des mesures de sécurité existantes et nouvelles qui sont mises en place dans l'ensemble du pays.

    Nous accueillons aujourd'hui M. George Radwanski, commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Il va nous présenter un exposé, qui sera suivi par la traditionnelle ronde de questions. Soyez le bienvenu, monsieur Radwanski. Le sujet que vous abordez aujourd'hui présente pour nous un grand intérêt.

+-

    M. George Radwanski (commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Bureau du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux de pouvoir rencontrer le comité aujourd'hui.

    Pour moi, il est à la fois insolite et approprié de rencontrer le comité pour lui exposer mes préoccupations en matière de sécurité; c'est insolite car les initiatives gouvernementales actuelles ou futures qui me préoccupent le plus ne concernent nullement la sécurité. Leur point commun, c'est qu'elles ne concernent pas la sécurité, même si elles sont prises sous le prétexte de la sécurité antiterroriste. Mais d'un autre point de vue, je pense qu'il est essentiel de m'adresser à ce comité car je pense qu'il peut jouer un rôle important en traçant la limite entre ce qu'il est légitime de faire au nom de la sécurité et ce qui ne l'est pas.

    Comme je l'ai dit dans mon rapport annuel déposé récemment, le droit fondamental à la protection de la vie privée fait actuellement l'objet de menaces sans précédent au Canada. Une série d'initiatives gouvernementales, déjà en cours de réalisation ou à l'état de projet, menacent de frapper au coeur de la protection de la vie privée telle que nous la connaissons. Nous risquons de perdre ce droit que nous tenons depuis longtemps pour acquis. Ces initiatives gouvernementales résultent d'un souci de renforcement de la sécurité au lendemain du 11 septembre et elles sont censées avoir pour fondement la lutte antiterroriste. J'utilise à dessein le mot «censé», parce que ce qui menace le plus directement la protection de la vie privée n'a soit aucun rapport avec la lutte antiterroriste, soit n'a nullement pour effet d'améliorer la sécurité. Le gouvernement invoque tout simplement le prétexte du 11 septembre pour imposer un certain nombre de mesures qui n'ont pas leur place dans une société libre et démocratique.

    Je veux être très clair sur un point essentiel. En tant que commissaire à la protection de la vie privée, j'ai toujours insisté pour dire que je ne m'opposerai jamais à des mesures indispensables pour nous protéger contre le terrorisme, même si elles empiètent sur la protection de la vie privée ou si elle la limite. Concrètement, je n'ai soulevé aucune objection au nom de la protection de la vie privée contre la moindre mesure véritablement antiterroriste. Ce à quoi je me suis opposé, comme je suis obligé de le faire, compte tenu des responsabilités que m'a confiées le Parlement, c'est à l'élargissement des mesures antiterroristes à des fins qui sont sans rapport avec la lutte antiterroriste, et aux intrusions dans la vie privée dont la valeur en tant que mesures de lutte antiterroriste n'a nullement été démontrée.

    Je fais ici explicitement référence à la nouvelle base de données sur les passagers, du style «Big Brother», de l'Agence des douanes et du revenu du Canada; aux dispositions de l'article 4.82 du projet de loi sur la sécurité publique; aux propositions en matière d'accès légal qui étendent les pouvoirs permettant à l'État de surveiller nos communications; à la proposition d'une carte d'identité nationale comportant des identificateurs biométriques; et à l'appui gouvernemental à un projet policier de surveillance vidéo des voies publiques. Ces initiatives sont en elles-mêmes des motifs de grave préoccupation par la façon dont elles violent la vie privée, mais elles sont encore plus inquiétantes à cause des seuils qu'elles franchissent et des portes qu'elles ouvrent. Chacune d'elles constitue un précédent dangereux. Elles redéfinissent la protection de la vie privée et déplacent la limite de l'acceptable en matière d'intrusion dans la vie privée. Ce qui a été considéré pendant longtemps comme inconcevable dans une société libre risque de devenir concevable et de nous être présenté comme un fait accompli.

    Grâce à la base de données de l'ADRC, l'État va pouvoir, pour la première fois, créer des dossiers de renseignements personnels sur d'honnêtes citoyens, lesquels dossiers pourront servir à n'importe quelle fin gouvernementale. Il s'agit d'une base de données contenant tous les renseignements sur tous les voyages à l'étranger des Canadiens ordinaires, où qu'ils aillent, quelle que soit la durée de leur séjour; on saura qui les accompagne, comment ils ont payé leurs billets d'avion, on aura leurs numéros de carte de crédit, on saura quelle place ils ont choisie dans l'avion, quels numéros de contact ils ont fournis, on connaîtra même les préférences alimentaires qui sont indiquées à la compagnie aérienne, on saura s'ils ont choisi de la nourriture kascher ou halal, ce qui pourra renseigner le gouvernement sur leur religion, ou s'ils ont demandé de la nourriture sans sel ou sans un autre ingrédient quelconque, ce qui pourrait signaler un problème de santé. Toute cette information sera conservée pendant six ans et pourra servir à une gamme presque illimitée d'activités gouvernementales en vertu des dispositions sur le partage d'information de la Loi sur les douanes et pourra servir, pour ne donner qu'un exemple, à des enquêtes de routine concernant l'impôt sur le revenu ou pourra être invoqué pour établir d'éventuels antécédents criminels sans aucun rapport avec le terrorisme.

    Le projet de loi C-17, Loi sur la sécurité publique, oblige le voyageur à s'identifier à la police. Ainsi, lorsqu'on monte à bord d'un avion ces jours-ci, même pour un vol intérieur, il faut montrer une carte d'identité avec photo à l'agent de la compagnie aérienne pour confirmer son identité. Le projet de loi C-17 met toute l'information sur les passagers à la disposition du SCRS et de la GRC. Je ne m'oppose pas à cette mesure compte tenu de son objectif premier, qui est évidemment la recherche des terroristes connus ou suspectés. Je doute qu'elle soit très efficace, mais je ne m'y oppose pas. Ce que je conteste par obligation, c'est la disposition qui permet à la GRC de chercher dans l'information sur les passagers des indications concernant toute personne qui fait l'objet d'un mandat d'arrestation pour toute une gamme d'infractions au Code criminel qui n'ont rien à voir avec le terrorisme, et d'avertir les autorités du lieu de destination pour qu'elles arrêtent cette personne. Tout d'abord, dans les circonstances, cette obligation constitue de facto un devoir d'auto-identification à la police. Au Canada, les citoyens qui se livrent à des activités normales et non soumises à un permis, comme la conduite automobile, n'ont pas à s'identifier aux autorités, mais si la police peut consulter les listes de passagers pour y trouver des personnes recherchées à cause d'une infraction sans rapport avec le terrorisme, pourquoi ne pourrait-elle en faire autant à l'égard des passagers d'un train ou d'un autobus, ou des clients d'un loueur de voitures ou d'un hôtel? Une fois ce principe accepté, qu'est-ce qui empêchera la police de pouvoir intercepter des voitures et de vérifier l'identité de tous leurs passagers afin de vérifier, grâce à ses bases de données, si aucun d'entre eux n'est recherché? On ouvre ici une porte qu'il ne convient pas d'ouvrir et qui n'a rien à voir avec les objectifs déclarés de la lutte antiterroriste.

    Les propositions d'accès légal visent à donner aux autorités étatiques, c'est-à-dire à la police et aux organismes de sécurité, un droit d'accès étendu et facilité aux dossiers de courrier électronique que nous recevons et que nous envoyons, à la liste des sites Internet consultés, c'est-à-dire non seulement aux sites proprement dits, mais également aux pages ouvertes, à l'information concernant les téléphones cellulaires, etc. Ce sont des mesures d'accès à des renseignements personnels qui n'existent pas dans le cas du courrier ordinaire ou de l'achat de livres. Encore une fois, on ouvre ici des portes qui ne devraient pas être ouvertes.

    Le projet de carte d'identité nationale, proposé par le ministre Coderre, nous priverait du droit à l'anonymat dans la vie quotidienne et porterait gravement atteinte à la protection de la vie privée, et ce sans objectif apparent.

    La vidéosurveillance policière telle que la GRC la pratique sur la voie publique à Kelowna permet aux agents de l'État d'observer et de surveiller d'honnêtes citoyens dans leurs activités quotidiennes en public. Comme vous le savez peut-être, j'ai amorcé une contestation de cette vidéosurveillance au nom de la Charte et le ministre de la Justice essaie d'empêcher l'aboutissement de ma requête en contestant le droit du commissaire à la protection de la vie privée de demander à un tribunal de déterminer si une grave intrusion dans la vie privée est contraire aux protections accordées par la Charte des droits et libertés.

    Je terminerai mon exposé liminaire en disant que si l'on permet l'adoption de ces mesures et l'acceptation des principes qu'elles représentent, le Canada risque fort de devenir avant longtemps méconnaissable par rapport à la société libre que nous connaissons aujourd'hui.

    Merci beaucoup.

¹  +-(1540)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Radwanski.

    Nous allons maintenant passer aux questions. Je vous rappelle que M. Radwanski s'occupe principalement de protection de la vie privée, puisqu'il est commissaire à la protection de la vie privée. Quant à notre comité, il s'intéresse à la sécurité et aux organismes fédéraux qui s'y consacrent. Je vous demande donc de vous efforcer de ne pas déborder du sujet des organismes de sécurité. Il n'est pas interdit d'en sortir, mais essayons de nous y limiter, dans l'intérêt du comité et pour assurer la cohésion de notre compte rendu.

    Nous allons commencer avec M. Sorenson, pour une première ronde de sept minutes.

+-

    M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Merci et merci à vous, monsieur Radwanski, de votre présence ici. Je suis désolé d'avoir manqué une bonne partie de votre exposé. J'avais à faire à la Chambre.

    Vous avez déjà comparu à plusieurs reprises devant différents comités, notamment le Comité de la justice, où vous avez fait part de vos graves préoccupations concernant la législation antiterroriste, mais je préfère parler d'autre chose aujourd'hui. Le président voudrait limiter nos interventions au thème de la sécurité nationale, mais j'aimerais aborder d'autres sujets.

    On a dit dans la presse qu'on ne savait pas quand votre rapport allait être déposé, mais qu'il serait déposé en retard. Peut-être en avez-vous parlé dans votre exposé. Pouvez-vous me dire pourquoi il a été présenté en retard? Vous devez présenter un autre rapport en juin, n'est-ce pas?

¹  +-(1545)  

+-

    M. George Radwanski: Je dois présenter un autre rapport au printemps.

+-

    M. Kevin Sorenson: Vous êtes donc toujours dans les temps.

    En tant que député, je reçois plus de lettres sur l'enregistrement des armes à feu que sur toute autre question, notamment de la part des agriculteurs et des chasseurs qui se disent d'autant plus indignés qu'ils n'ont jamais enfreint la loi de leur vie, alors qu'on les contraint aujourd'hui de s'enregistrer. On ne se contente pas de noter qui possède des armes à feu, des carabines, mais on enregistre aussi le nombre d'armes possédées, avec leur numéro de série. Est-ce que vous pourriez revenir à ce que vous avez déjà dit de l'intégrité du registre et de l'intrusion dans la vie privée qu'il représente?

    Le ministre Coderre propose une carte d'identité nationale. Ne s'agit-il pas d'une intrusion dans la vie privée, compte tenu de l'importance du commerce transfrontalier avec les États-Unis, qui sont notre plus important partenaire commercial, et n'est-il pas essentiel de pouvoir franchir rapidement la frontière? Ne pourrait-on pas procéder autrement? Évidemment, le statu quo n'est pas viable. Les États-Unis ont bien signifié que la situation actuelle n'est pas acceptable. Ils se préoccupent des politiques canadiennes et exigent un renforcement des mesures de contrôle afin de préserver l'intégrité de leur territoire. Je pense que M. Coderre voit dans la carte d'identité nationale une solution miracle. Pourtant, de nombreux citoyens interviennent pour dénoncer cette intrusion dans la vie privée. Comment peut-on satisfaire à la fois le souci de sécurité et le désir de protéger la vie privée?

+-

    M. George Radwanski: Voilà d'excellentes questions. Je n'ai pas parlé de la première aujourd'hui, mais je l'évoque dans le rapport annuel. Il est en retard parce que je tenais avant tout à pouvoir signaler des progrès sur les sujets que j'ai résumés aujourd'hui et que j'étais en discussion avec le gouvernement. J'espérais pouvoir dire, dans mon rapport, qu'il y avait eu des progrès ou que certaines questions avaient été résolues. J'espérais toujours atteindre un objectif et je préférais donc attendre, mais à un moment donné, il n'était plus possible d'attendre. J'ai donc déposé mon rapport.

    En ce qui concerne le registre des armes à feu, et sans vouloir entrer dans les détails aujourd'hui, vous savez que mon service et moi-même avons étudié ce programme, qui a fait l'objet de plus de 30 recommandations. Aucune d'entre elles n'a encore été acceptée par le ministère de la Justice. Nous continuons de surveiller l'intégrité du programme, la sous-traitance, etc. Si le comité est d'accord, je préférerais ne pas entrer dans les détails aujourd'hui, tout simplement parce que le sujet mérite qu'on en parle abondamment et je ne voudrais pas qu'il me détourne des grandes questions que j'ai soulevées.

    En ce qui concerne la carte d'identité, vous évoquez le commerce transfrontalier et l'accès au territoire américain. Il existe déjà un document parfaitement adapté au franchissement des frontières, que ce soit celles des États-Unis ou de tout autre pays, c'est le passeport. Certaines personnes, par exemple, ne souhaitent nullement se rendre aux États-Unis. Il n'y a aucune raison pour que le gouvernement du Canada leur impose une lecture d'empreintes rétiniennes ou digitales.

    S'agit-il là d'une intrusion dans la vie privée? Absolument. Tout d'abord, pour prendre des empreintes digitales ou rétiniennes de tous les citoyens, le gouvernement aurait besoin d'un programme quelconque et même si, au départ, il est volontaire, il ne tardera sans doute pas à devenir obligatoire et constituera une énorme intrusion dans la vie privée. Deuxièmement, dans notre société, la police ne peut pas arrêter n'importe qui dans la rue pour lui demander ses papiers, comme elle peut le faire dans de nombreux autres pays. Bien des gens sont venus au Canada et ont choisi de s'y établir précisément parce que notre société n'est pas une société policière. Si chacun a une carte d'identité, la tendance naturelle voudra qu'on en exige la production dans un nombre croissant de circonstances. M. Coderre lui-même reconnaît déjà qu'on pourrait s'en servir pour toutes sortes de fonctions, du permis de conduire aux dossiers médicaux. Elle permettra de rassembler l'information sur chaque citoyen et constituera donc une énorme intrusion dans la vie privée.

    Et son coût devrait être astronomique. D'après l'analyse de propositions concernant le même genre de carte en Grande-Bretagne—qui, je le signale, semblent mener vers des eaux très tumultueuses—j'estime que le coût du programme des cartes proprement dit et de l'installation des lecteurs—puisqu'il est inutile d'avoir des cartes biométriques si l'on n'a pas de lecteurs en grand nombre—sera de l'ordre de 3 milliards de dollars. Je vous laisse imaginer tout ce qu'on pourrait faire avec cet argent pour les soins de santé, pour les villes, pour la défense et pour toutes sortes de domaines, au lieu de s'en prendre inutilement à la vie privée des Canadiens.

    Je vais m'arrêter là.

¹  +-(1550)  

+-

    M. Kevin Sorenson: Merci.

+-

    Le président: Monsieur Lanctôt, pour sept minutes.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ): Merci, monsieur le président. Merci, monsieur le commissaire.

    Je vais concentrer mes questions sur la carte d'identité et sur vos craintes, et non sur vos recommandations, parce qu'on soupçonne que ces recommandations ne seront pas suivies.

    Les autres commissaires, les vérificateurs ou le commissaire responsable de la Loi sur l'accès à l'information sont peut-être moins piquants dans leurs recommandations ou dans leurs craintes par rapport à des dossiers, mais le gouvernent les prend toujours un peu plus en considération que les vôtres, en ce sens qu'il essaie de changer. On ne le fait pas rapidement, mais on essaie de faire des corrections, tandis que vos recommandations ou vos craintes sont connues. Même si le rapport était en retard et qu'il n'était pas rendu public, on savait un peu ce que vous en pensiez parce que c'est normal. Lorsqu'on est dans une société libre et démocratique comme la nôtre et qu'on fait des projets de loi comme le C-36, le C-17 ou le S-23, il est assez évident que vous allez dire que c'est vraiment de l'intrusion dans la vie privée des gens.

    Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'on a peut-être choisi des endroits pour vivre ou des endroits où on aimerait vivre. Je me pose des questions sur ce qui se passe ailleurs. Combien existe-t-il de pays qui utilisent des cartes d'identité comportant des données biométriques, des empreintes digitales ou des empreintes rétiniennes?

    Je trouve qu'on est rendu très loin. On a déjà parlé de la liste du Big Brother. Déjà, il était incroyable qu'on puisse avoir de telles listes de renseignements sur les Canadiens et sur les Québécois. Or, ce n'est même plus caché. On le fait de façon ouverte et on donne à la GRC ou au SCRS la possibilité d'aller chercher des renseignements sur vous et moi. On commence par recueillir des données sur nos déplacements en avion, mais c'est encore plus précis. Si on en est rendu à avoir une carte d'identité, cela veut dire que chacun de nous, même nos enfants, pourra être surveillé lorsqu'il va à tel endroit. On saura quel genre de pays on a visité.

    Est-ce là la vision que l'on a d'une société libre et démocratique? Je suis sûr que vous allez me répondre non, mais quelles sont vraiment les recommandations du commissaire? Oui, vous sortez publiquement. C'est bien parce qu'il faut que les gens le sachent, mais que pouvez-vous faire--et je sais que vous n'avez pas le pouvoir de forcer le gouvernement--pour que vos recommandations ou vos craintes soient mises au jour de façon sérieuse afin d'empêcher--je dis bien empêcher--que lesdites lois soient votées et qu'on nous dise qu'on les a adoptées à cause des actes terroristes qui ont eu lieu? Pourquoi ne pas le préciser lorsqu'une action terroriste se produit? On est rendu dans la fiction, dans l'hypothèse selon laquelle tout le monde est considéré comme un terroriste potentiel dans notre société.

    Je ne suis pas certain que c'est le genre de pays dans lequel je veux vivre.

+-

    M. George Radwanski: Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais comme vous le dites, je n'ai pas le pouvoir de forcer le gouvernement à accepter mes recommandations. Le pouvoir, c'est vous, les parlementaires, qui l'avez. C'est à vous d'exercer des pressions sur le gouvernement. Dans chaque cas, j'ai fait des recommandations assez spécifiques dans mon rapport, et on ne m'écoute tout simplement pas. On invoque toujours l'argument selon lequel c'est une question de sécurité pour contrer le terrorisme. Quand j'essaie d'expliquer que les initiatives sur lesquelles je soulève des objections n'ont rien à voir avec le terrorisme, le gouvernement ignore tout simplement mes explications. Voilà le problème que je vous soumets. Moi, je fais mon possible. À part soulever ces considérations et expliquer le problème, franchement, je ne peux rien faire, malheureusement.

¹  +-(1555)  

+-

    M. Robert Lanctôt: Vous occupez un poste ingrat.

+-

    M. George Radwanski: C'est un défi.

+-

    M. Robert Lanctôt: À la question de savoir combien...

+-

    M. George Radwanski: C'est un poste d'ombudsman. Ça marche comme ça d'habitude, mais ça marche seulement si le gouvernement accepte les règles du jeu. Lorsqu'un ombudsman fait une recommandation ou soulève des craintes assez sérieuses, le gouvernement ne devrait pas les rejeter sans faire une réflexion.

+-

    M. Robert Lanctôt: Et que répondez-vous à la question précise que je vous ai posée: quels sont les pays qui utilisent ce genre de carte nationale sur lesquelles il y a des empreintes digitales, des données biométriques, des empreintes rétiniennes et tout cela? Est-ce qu'on connaît des pays qui utilisent déjà ce genre de carte?

+-

    M. George Radwanski: Il y a des pays européens qui ont une carte d'identité depuis longtemps, mais qui ne contient pas de données biométriques. Ça, c'est une nouvelle technologie. Je ne connais pas un pays qui ait déjà fait ça. Ça ne serait certainement pas un grand pays parce que c'est extrêmement coûteux, sans compter qu'il y a d'autres considérations.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, monsieur Lanctôt.

    Monsieur Borotsik, pour sept minutes.

+-

    M. Rick Borotsik (Brandon—Souris, PC): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Radwanski, je vous remercie de votre présence. Je fais partie de vos admirateurs inconditionnels et j'espère qu'on écoutera votre message au plus tôt. À titre de commentaire, je viens de faire un séjour à Cuba et je peux vous assurer que là-bas, on n'hésite pas à arrêter les gens dans la rue et à leur demander leurs papiers. Des Cubains ont dit à un Canadien que ce qu'ils appréciaient dans les valeurs canadiennes, c'est la liberté. Il serait désastreux de perdre cette liberté, et je vous demande d'en assurer la garde dans l'intérêt de tous les Canadiens.

    En ce qui concerne la base de données de l'ADRC, on vient de faire l'expérience, dans l'Ouest canadien, d'une base de données qui a été volée, celle des Co-operators. Le vol a eu d'énormes conséquences, a créé d'énormes problèmes. Je sais que vous ne pouvez pas parler de la sécurité des bases de données, mais si celle de l'ADRC est effectivement constituée, ne craignez-vous pas que la même chose se produise? Encore une fois, vous ne pouvez pas parler de la sécurité de cette base de données, mais on pensait qu'un vol était impossible dans le cas des Co-operators. Si un vol est possible et qu'il se produise, que pourrait-il se passer si le voleur veut se servir des données à d'autres fins?

º  +-(1600)  

+-

    M. George Radwanski: Bien que j'aie de très graves préoccupations au sujet de la base de données de l'ADRC, la sécurité de la base de données comme telle n'est pas vraiment une source de grande inquiétude, puisque l'ADRC a une excellente feuille de route quand il s'agit de protéger les informations dont elle a la garde. Il n'est nullement question de confier le maintien de cette base de données, etc., à une tierce partie. Le plus inquiétant, ce n'est pas l'usage illégitime qui pourra être fait de tous ces renseignements personnels, mais d'une certaine façon ce qu'on pourrait en faire en toute légitimité, en raison de la multitude d'utilisations possibles. La base de données doit être maintenue soi-disant à des fins d'analyses judiciaires antiterroristes. Si jamais il y avait un autre attentat terroriste, le gouvernement veut pouvoir retourner six ans en arrière dans la base de données pour y trouver les noms des complices et d'autres renseignements. J'ai pris le parti de dire que si c'était là tout ce que le gouvernement souhaitait en faire, ce dont je doutais, je ne m'y opposerais pas, mais le gouvernement a alors insisté pour qu'elle puisse être utilisée à d'autres fins gouvernementales aucunement circonscrites, en vertu des dispositions sur l'échange de renseignements.

+-

    M. Rick Borotsik: Dans ce même ordre d'idées, vous avez dit que, même si au départ il ne s'agit que de l'information fournie aux lignes aériennes, la base pourrait très bien être élargie pour englober les autres modes de transport.

+-

    M. George Radwanski: C'est bien l'intention.

+-

    M. Rick Borotsik: Voilà le terrain glissant sur lequel on s'aventure quand on se met à recueillir des informations de ce genre. Qui est l'élément moteur dans tout cela? On parle bien sûr du ministre qui vous met des bâtons dans les roues, mais qui, à votre avis, est l'élément moteur? Est-ce la police? Est-ce les États-Unis, comme nous l'ont dit d'autres témoins? Est-ce les fonctionnaires? Cela m'inquiète et me préoccupe, mais qui est d'après vous l'élément moteur?

+-

    M. George Radwanski: Je ne le sais vraiment pas dans le cas de cette base de données. Les États-Unis ont certainement intérêt à ce que l'information soit conservée afin qu'elle puisse être utilisée à des fins d'analyses judiciaires antiterroristes, mais cela les indiffère de savoir qu'elle pourrait systématiquement être utilisée pour des enquêtes fiscales ou encore, comme l'a indiqué le ministre, pour tirer certaines conclusions d'après la nature des déplacements d'une personne à l'étranger—la personne qui, par exemple, se rendrait à plusieurs reprises en Thaïlande, où le commerce du sexe avec les enfants est florissant, pourrait être repérée comme s'adonnant peut-être à la pédophilie. Je ne crois pas que les États-Unis nous demandent de faire cela.

+-

    M. Rick Borotsik: Alors, qui est l'élément moteur?

+-

    M. George Radwanski: Je soupçonne que c'est simplement une combinaison de pressions institutionnelles ou d'opportunisme, en ce sens qu'une fois que l'information est disponible, les ministères gouvernementaux et les forces de l'ordre disent: puisque l'information existe, autant y avoir accès, si bien qu'ils ne sont prêts à accepter aucune restriction. Mais à vrai dire, ce qui est incompréhensible dans tout cela, c'est que, si l'on ne pensait pas avoir besoin de cette information à des fins autres que la lutte au terrorisme avant le 11 septembre—et ce besoin n'avait pas été explicité—pourquoi diable en aurait-on besoin maintenant? Cela n'a aucun sens.

+-

    M. Rick Borotsik: J'ai une question très sérieuse. Pourquoi les Canadiens n'écoutent-ils pas? Vous avez un message que vous essayez de faire passer, et notre comité, et plus particulièrement les députés de l'opposition, essayent de vous aider à le faire. Pourquoi les Canadiens ne vous écoutent-ils pas? Certains écoutent, mais en règle générale les Canadiens n'écoutent pas votre message.

+-

    M. George Radwanski: Je dirais qu'ils m'écoutent en partie. J'ai eu droit à des éditoriaux très favorables dans tous les grands journaux du pays, de la droite, de la gauche, du centre, peu importe. J'ai une pile, qui ne cesse de grandir, de lettres et de courriels de gens des quatre coins du pays. C'est en partie parce que les gens ne sont pas prêts à croire que nos dirigeants politiques, qu'ils perçoivent comme étant des gens ordinaires et honnêtes, pas des fascistes ni des tyrans, feraient quelque chose qui pourrait avoir des répercussions dangereuses comme celles que j'évoque. Il y a aussi la crainte du terrorisme et le fait qu'il est facile, sans trop y réfléchir, de dire simplement: tout ce qu'il faut pour que nous soyons plus en sécurité, et puis, d'ailleurs, on ne ferait pas cela si ce n'était pas pour accroître la sécurité.

    Enfin, je dois ajouter que la question n'a pas retenu autant l'attention au Parlement que je l'aurais espéré. Je ne sais pas si elle a retenu l'attention des députés ministériels au caucus, mais elle n'a certainement pas capté l'attention à la Chambre. Si ma collègue la vérificatrice générale donne la moindre indication que le gouvernement a fait preuve de négligence dans la façon dont il gère notre argent, il y a tout un tollé au Parlement. J'ai dit très clairement que le gouvernement fait preuve de négligence en ce qui concerne notre droit humain fondamental à la vie privée, dont découlent tellement d'autres droits, et cela a donné lieu à deux questions peut-être à la période des questions. Il n'y a tout simplement pas de tollé chez ceux à qui je rends des comptes et à qui mon message s'adresse en fait. Si je vous rencontre aujourd'hui et que je suis prêt à rencontrer n'importe quel autre comité qui voudra bien m'entendre, c'est en partie pour amener le Parlement à prendre au sérieux le travail que j'accomplis en son nom. Ce n'est pas à moi de vous poser des questions à vous, mais je ne comprends vraiment pas pourquoi il n'y a pas de tollé au Parlement quand la personne que le Parlement a mandatée pour surveiller les droits à la vie privée en son nom dit que tout cela risque d'être compromis.

º  +-(1605)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Borotsik.

    Monsieur McKay, sept minutes.

+-

    M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur Radwanski—toujours aussi éloquent.

    Je lisais justement un mémoire de l'Association du Barreau canadien sur le projet de loi C-17, et je suppose que vos opinions rejoignent les leurs, puisqu'ils vous citent abondamment.

+-

    M. George Radwanski: Je suis d'accord avec les bouts où on me cite.

+-

    M. John McKay: Tous les propos cités le sont moyennant approbation. Leur première recommandation, qui est sans doute la plus importante, concerne les mandats, et ils ont raison de dire que, si les listes des lignes aériennes sont scrutées à la loupe, on ne peut pas s'empêcher de penser qu'elles seront utilisées. Je crois qu'ils disent qu'il est naïf de penser qu'elles ne seront utilisées à aucune autre fin que pour lutter contre le terrorisme. On pense aussitôt à l'immigration, à l'évasion fiscale et sans doute aussi aux criminels bien ordinaires. Ce qu'ils proposent est tout à fait draconien, à savoir d'éliminer du projet de loi C-17 toute mention relative aux mandats. Dois-je supposer que vous êtes aussi de cet avis?

+-

    Le président: Puis-je vous interrompre brièvement? Il serait utile de préciser de quel type de mandat il s'agit ici, parce qu'il y a des mandats qui permettent de faire certaines choses, des mandats qui permettent d'interpeller et d'autres qui permettent d'arrêter quelqu'un.

+-

    M. John McKay: Seul M. Lee saurait qu'il y a toutes ces sortes de mandats.

+-

    Le président: À une séance du Comité de la justice, la semaine dernière je crois, il y avait toujours de la confusion. Vous pourriez peut-être parler de cela dans votre réponse, monsieur Radwanski.

+-

    M. George Radwanski: Avec plaisir. Ce qui m'inquiète, c'est une disposition précise du projet de loi C-17, soit l'article 4.82, et plus précisément le paragraphe 4.82(11), et d'une manière accessoire, le paragraphe 4.82(1), où l'on propose une définition de mandat que j'aimerais voir supprimée. D'autres aspects du projet de loi empiètent peut-être sur les libertés civiles, mais ils ne se rapportent pas à la vie privée, et c'est pourquoi je n'en parlerai pas. Pour ce qui est de l'article 4.82, le problème, c'est que cette disposition donne à la GRC et au SCRS accès à des informations sur les passagers à des fins de sûreté des transports et, bien entendu, de lutte contre le terrorisme. Cela signifie que les agents de ces forces devraient faire des recherches dans les bases de données contenant des informations sur des terroristes connus ou présumés ou sur des individus qui posent un risque pour la sécurité, en l'occurrence la base de données du SCRS. Ils n'ont pas à faire des recherches aléatoires dans une plus large base de données comme celle du CIPC, laquelle contient toutes sortes d'informations sur les mandats et ainsi de suite, car autrement on dépasserait le but visé.

    L'argument que le gouvernement utilise est que si, en cherchant des terroristes, on tombe sur un meurtrier recherché qui se trouve à bord d'un avion, la GRC devrait avoir le pouvoir d'aviser les autorités locales et procéder à l'arrestation de l'individu. Bien sûr que c'est ce qu'il faudrait faire, mais pour cela, on n'a pas besoin de parler de mandat, puisque chaque agent de la paix a non seulement le droit, en vertu de la common law, mais aussi le devoir de faire tout en son pouvoir pour interpeller un individu s'il apprend que celui-ci fait l'objet d'un mandat pour une infraction criminelle majeure. Nul besoin donc de parler de mandat s'il s'agit d'une coïncidence. Si ce n'est pas aléatoire, peu importe s'il y a une raison de le faire ou non, si le but est de rechercher systématiquement les individus faisant l'objet d'un mandat, si on part à la pêche dans la base de données du CIPC, par exemple, et que l'on découvre que quelqu'un fait l'objet d'un mandat pour une infraction au Code criminel, je dis que c'est aussi aléatoire que quelqu'un qui va pêcher dans un bassin rempli de truites et qui réussit à en prendre une.

    J'estime donc qu'il n'y a absolument pas de raison de faire allusion aux individus faisant l'objet d'un mandat dans cette disposition. Je ne peux me prononcer sur d'autres parties du projet de loi C-17, mais pour ce qui est de cette disposition en particulier, la solution serait de supprimer l'allusion aux mandats, et les autres autorités pourront toujours faire le nécessaire pour assurer la sûreté des transports et la lutte contre le terrorisme. Si on tombe vraiment par hasard sur des criminels recherchés pour autre chose, les pouvoirs prévus par la common law à un agent de la paix sont amplement suffisants.

º  +-(1610)  

+-

    M. John McKay: Avez-vous une opinion concernant l'argument avancé par l'ABC voulant que le délai prévu pour la destruction des documents devrait être réduit, passant de 7 jours à 24 heures? Force est de croire que si l'on conserve des documents pendant sept jours, on les fera circuler à divers organismes qui les consigneront dans leurs banques de données et établiront des corrélations avec d'autres informations. Quel est votre point de vue là-dessus?

+-

    M. George Radwanski: Ma recommandation au sujet du projet de loi précédent, le projet de loi C-55, si je ne m'abuse, tient toujours. Cela dit, j'ai focalisé mon attention sur le plus important. Le problème principal est de loin le principe général qu'on essaie d'établir. Quand on sait que l'ADRC peut conserver des informations pendant six ans, les sept jours paraissent alors moins intimidants. J'ai recommandé que l'on ne conserve ces informations que pendant 24 heures, qu'on ne les communique pas à d'autres organismes, et qu'il n'y ait pas de disposition dans le projet de loi qui l'autorise. Si on commence à le faire, les choses deviennent alors très graves. Le contre-argument avancé, si j'ai bien compris, est qu'étant donné qu'il y a une disposition permettant de conserver l'information pour un délai plus long, soit jusqu'à une année si on veut préparer un dossier sur l'individu et chercher à dégager des tendances, on a besoin de plus de temps pour examiner toute l'information puis déterminer s'il y a lieu de la conserver ou non.

    Personnellement, je préférerais un délai de 24 heures. Mais je ne monterai pas au créneau pour cela. En revanche, ce pourquoi je monterais au créneau, dans la mesure du possible, c'est la question des mandats.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Soyons clairs: nous parlons bien des mandats d'arrestation que les agents de la paix exécutent ou des mandats d'arrêt délivrés par un tribunal pour défaut de comparaître? C'est bien de ce genre de mandats que nous parlons?

+-

    M. George Radwanski: Nous parlons d'un mandat émis pour une des infractions énumérées dans le Code criminel qui sera précisé par voie réglementaire. J'ai vu un projet de liste, et je peux vous dire que les infractions vont des crimes avec violence comme le meurtre et le kidnapping à des infractions comme le proxénétisme et la contrefaçon.

+-

    Le président: Il s'agit là de mandats d'arrestation.

+-

    M. George Radwanski: Oui, de mandats d'arrestation.

+-

    Le président: Des mandats pour procéder à l'arrestation d'individus ayant comparu devant un tribunal ou ayant été inculpés.

+-

    M. George Radwanski: Oui, dans la version précédente, c'est-à-dire le projet de loi C-55, on invoquait toutes les infractions passibles d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus. Or, tout ce qu'on a fait maintenant, c'est retirer quelques-unes des infractions les plus ridicules, y compris le fait d'altérer les espèces de bétail ou de détourner du bois flotté, exemples que j'ai utilisés dans mes allocutions sur le projet de loi C-55.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Madame Jennings, nous entamons maintenant un tour de questions de cinq minutes.

+-

    Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Je veux aborder deux questions: la première, nous en avons déjà discuté au Comité de la justice, et la deuxième, nous n'en avons pas discuté, mais vous l'avez soulevée dans votre exposé. Je vais donc en parler avec vous, et c'est la question de la carte d'identité nationale. Vous avez indiqué sans ambages que vous y êtes carrément opposé, et que vous estimez que c'est une intrusion dans la vie privée des Canadiens. Vous affirmez aussi que certains pays européens ont une carte d'identité nationale depuis un certain temps déjà. Je crois savoir qu'un des comités permanents est saisi de la question. En fait, ce que j'ai entendu le ministre dire, c'est qu'il se peut très bien que ce soit fait sur une base volontaire. Si c'était le cas, quelle serait votre position?

+-

    M. George Radwanski: En toute honnêteté, je trouve ça plutôt malhonnête.

+-

    Mme Marlene Jennings: Pourquoi?

+-

    M. George Radwanski: Parce que si une initiative de ce genre était volontaire, ce serait tout de même un investissement massif, et je ne parle pas uniquement de la technologie, puisqu'il faudra se doter de lecteurs et ainsi de suite. D'après mon expérience, et d'après la vôtre aussi, j'en suis sûr, avec ce genre de choses, ce qui, au départ, est une initiative volontaire devient très vite obligatoire, imposée par la loi ou par des pressions subtiles. Prenez l'exemple de quelque chose d'aussi simple que les guichets automatiques bancaires. Quand les banques les ont proposés la première fois, cela devait être simplement une option de plus qu'on offrait aux clients. Il n'a pas fallu attendre longtemps pour que le nombre de caissiers soit réduit et que le nombre d'options soit limité. Donc, ce qui commence sur une base volontaire devient obligatoire.

º  +-(1615)  

+-

    Mme Marlene Jennings: Mais, monsieur Radwanski, vous conviendrez avec moi qu'il n'y a absolument pas d'obligation légale pour un Canadien de décliner son identité. C'est le sens même de la vie privée. Les agents de la paix n'ont pour le moment aucun pouvoir légal d'obliger une personne à décliner son identité, à moins d'avoir des motifs raisonnables de croire que l'individu a commis une infraction.

+-

    M. George Radwanski: Oui.

+-

    Mme Marlene Jennings: Même si nous devions avoir une carte d'identité nationale, que ce soit au moyen de la biométrie ou pas, et si cela était fait sur une base volontaire, je ne serais pas obligée de m'identifier à moins que l'agent de police m'explique clairement les motifs pour lesquels il me demande mon identité, et il faut qu'il ait un motif raisonnable de croire que j'ai commis une infraction quelconque. Même si je me promène avec une carte d'identité nationale, je ne suis pas obligée de la montrer. N'est-ce pas?

+-

    M. George Radwanski: Ce serait vrai dans un monde parfait.

+-

    Mme Marlene Jennings: Nous ne vivons pas dans un monde parfait...

+-

    M. George Radwanski: Exactement.

+-

    Mme Marlene Jennings: ...mais une majorité écrasante de Canadiens ne sont pas obligés de décliner leur identité, de même qu'une majorité écrasante d'agents de police respectent la loi.

+-

    M. George Radwanski: Oui, mais permettez-moi de vous donner un exemple. À l'origine, quand on a modifié la Loi sur les douanes pour permettre à l'ADRC de recueillir des informations sur tous les passagers, l'Agence s'est engagée par écrit à détruire toutes ces informations dans un intervalle de 24 heures, et qu'il n'y aurait donc pas de base de données. Regardez où nous en sommes maintenant. C'est la nature même de ces choses qu'une fois...

+-

    Mme Marlene Jennings: L'engagement était-il inscrit dans la loi? Non.

+-

    M. George Radwanski: Premièrement, les lois peuvent être modifiées par une assemblée législative n'importe quand.

+-

    Mme Marlene Jennings: C'est vrai.

+-

    M. George Radwanski: C'est très simple: une fois qu'on s'engage dans la voie des cartes d'identité, le passage du volontaire à l'obligatoire se fait vite. D'autre part, il n'y a peut-être pas de loi qui exige l'auto-identification pour le moment, et croyez-moi, une fois que les gens commenceront à porter des cartes d'identité sur eux, les forces de l'ordre n'attendront pas longtemps pour vous dire que c'est bête de ne pas être en mesure de contrôler l'identité des gens. C'est quelque chose qui prendra vie et qui ne sera plus de notre ressort. Dans mon rapport, je dis qu'on doit arrêter les intrusions abusives ou gratuites dans la vie privée au tout début, car autrement, plus les choses progressent, plus cela devient difficile. On n'a tout simplement pas prouvé que cela était nécessaire.

    J'avoue ne pas comprendre ce que M. Coderre est en train de faire, car, en toute franchise, c'est une cible mouvante. Aujourd'hui, c'est un argument, demain, ce sera un autre. Il propose ceci, et ne propose pas cela. Nous devrions avoir un débat là-dessus. Il n'y aura pas de base de données. En fait, il se peut qu'il y ait une base de données. Il est très difficile de se prononcer sur quelque chose qui n'est même pas une proposition. En revanche, il m'est difficile de croire qu'un ministre de la Couronne lance une initiative comme celle-ci ou qu'un comité parlementaire prenne la peine de l'étudier à moins que le gouvernement n'ait l'intention de la mettre en application. Vous et moi ne sommes peut-être pas d'accord, et peut-être ne voyez-vous pas de problème. Cela dit, compte tenu de mes responsabilités, je trouve cette initiative effroyable.

+-

    Mme Marlene Jennings: Est-ce qu'il me reste encore du temps?

+-

    Le président: Les cinq minutes sont écoulées.

+-

    Mme Marlene Jennings: J'aimerais intervenir au prochain tour.

+-

    Le président: D'accord.

    J'ai une question à poser. Cela vous paraîtra peut-être contre-intuitif, mais de tous les organismes auxquels vous avez fait allusion ici aujourd'hui, monsieur Radwanski, le seul qui soit limité dans sa capacité à recueillir des informations sur des gens, individuellement ou autrement, c'est le SCRS. Bien que ces bases de données existent, il est très clair, que je sache, que la loi n'autorise pas le SCRS à avoir accès à ces informations à moins d'avoir suivi sa propre procédure, c'est-à-dire en ouvrant un dossier, en obtenant les mandats nécessaires et en suivant les formalités qui s'imposent. Le CST, quant à lui, n'aurait même pas accès à ces bases de données, puisqu'il ne recueille que des renseignements électromagnétiques. D'une manière très étrange, les deux organismes qui, en apparence, envahissent le plus notre vie privée n'ont pas le pouvoir légal d'utiliser les informations sur des choses qui nous préoccupent tous. Ce sont les autres organismes qui jouissent de toute la latitude voulue, l'ADRC, des organismes avec lesquels ils ont des protocoles d'entente, la GRC, qui ne sont manifestement pas limités dans leur action, sauf sur le plan procédural, au niveau de la sous-direction des infractions en matière de sécurité. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Est-ce que j'ai brossé un tableau fidèle?

º  +-(1620)  

+-

    M. George Radwanski: Je pense que oui. Nous examinons de près ce que fait le SCRS et nous revoyons actuellement les mesures prises dans la foulée du 11 septembre pour nous assurer qu'ils sont corrects. Comme je vous l'ai dit, indépendamment de tout le reste, je ne souhaite en aucune façon entraver des mesures de sécurité légitimes destinées à nous protéger contre des actes terroristes et d'autres menaces à notre sécurité nationale. Les activités du SCRS en matière de renseignements et de sécurité sont relativement faciles à comprendre. Ce qui pose problème, ce sont les autres organismes qui invoquent la sécurité et le 11 septembre pour prendre des initiatives qui n'ont pas de rapport avec la sécurité. Vous avez donc bien raison et il est paradoxal d'une certaine façon que l'organisme qui a le mandat le plus clair en matière de sécurité ne demande pas par exemple qu'on prévoie dans le projet de loi C-17 de maintenir indéfiniment toutes les informations, et que ce soit l'ADRC qui le fasse alors qu'elle n'a pas de mandat, en tout cas, en matière d'intervention judiciaire à la suite d'un acte terroriste. Je ne sais pas où les représentants de cette agence ont été trouver qu'ils avaient ce mandat. Ensuite ils vont communiquer ces informations à tout le monde pour d'autres fins. Ce sont des organismes comme cela qui prennent prétexte du 11 septembre pour faire tout ce qu'ils veulent.

+-

    Le président: J'ai lu récemment, dans la loi elle-même je crois, que c'était notamment pour la santé et la sécurité des Canadiens que l'ADRC recueillait ces informations et conservait cette base de données. Est-ce que cela vous semble suffisamment restreint?

+-

    M. George Radwanski: Aucune loi n'autorise l'Agence à avoir cette base de données, un point c'est tout. En fait, je crois qu'elle n'a même pas l'autorisation du Parlement. Comme vous le savez, je me suis renseigné auprès de trois des plus grands experts juridiques du Canada, un juge retraité de la Cour suprême, un ancien sous-ministre de la Justice qui a contribué à la rédaction de la Charte, et un ancien ministre de la Justice, et tous affirment que c'est contraire à la Charte et que l'Agence n'a pas l'autorisation du Parlement.

    Mais puisque vous parlez de santé, la ministre Caplan a formulé l'objection suivante: à supposer qu'un pestiféré arrive au Canada, on pourrait remonter à l'origine de la maladie. Tout d'abord, il n'y a pas tellement de sortes de peste avec une période d'incubation de six ans qu'on peut contracter dans un avion. Mais cela dit, les compagnies aériennes et Santé Canada ont déjà des procédures dans l'éventualité où quelqu'un qui est porteur d'une maladie extrêmement contagieuse se retrouve dans un avion. Il existe toute une procédure qui permet de retrouver tous les autres passagers de ce vol, etc. Les compagnies aériennes conservent des manifestes pendant une période limitée. C'est donc un argument complètement bidon.

+-

    Le président: Merci.

    Je signale pour le compte rendu que quand je vous ai posé la question, je me suis presque mordu la langue pour ne pas rire.

    Monsieur Sorenson, vous voulez reprendre?

+-

    M. Kevin Sorenson: Je ne pense pas.

+-

    Le président: Nous allons donc passer à M. McKay.

+-

    M. John McKay: La dernière fois que vous avez comparu au Comité de la justice, vous avez parlé de Kelowna.

+-

    M. George Radwanski: Oui.

+-

    M. John McKay: Je sais que vous avez beaucoup travaillé sur la question depuis. En fait, vous avez déclenché un contentieux. Je constate que le gouvernement conteste votre pouvoir d'intenter un recours. J'aimerais savoir comment cela fonctionne. En vertu de quoi le gouvernement peut-il contester votre pouvoir de porter une affaire devant les tribunaux?

+-

    M. George Radwanski: Le ministre de la Justice dit qu'en tant que commissaire à la protection de la vie privée, je suis un organisme émanant de la Loi sur la protection des renseignements personnels et je dois donc m'en tenir strictement à ce qui est énoncé dans cette loi. Comme elle ne prévoit pas de contestations en vertu de la Charte, je n'ai pas le droit de le faire. Naturellement, la Loi sur la protection des renseignements personnels ne dit pas non plus que je peux comparaître devant un comité comme le vôtre ni que le gouvernement peut me consulter préalablement sur diverses initiatives, et elle ne dit strictement rien non plus de la politique d'évaluation des répercussions sur la protection des renseignements personnels élaborée par le Conseil du Trésor, ces évaluations devant être élaborées par les ministères dans le cas de toute nouvelle initiative ayant des répercussions sur les renseignements personnels et soumises à mon bureau pour examen et commentaires. La Loi sur la protection des renseignements personnels ne dit pas un mot sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Donc j'estime que c'est une position absurde et mes avocats sont convaincus qu'on nous donnera raison, mais c'est un problème d'ordre philosophique et pratique.

    Le problème d'ordre philosophique, c'est que je trouve extrêmement troublant que le ministre de la Justice du Canada, au nom du gouvernement du Canada, décrète que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, l'agent mandaté par le Parlement pour superviser et défendre les droits à la vie privée, ne doit pas ou n'a pas le droit de demander aux tribunaux de déterminer si une grave intrusion dans la vie privée, décrite comme telle par le juge retraité La Forest dans l'opinion qu'il nous a soumise, est en contravention avec les dispositions de protection de la vie privée de la Charte des droits et libertés. C'est profondément troublant.

    Ce qui est encore plus troublant que cet aspect philosophique, c'est le fait que si le gouvernement est déterminé à suivre cette voie, à supposer que la motion de non-recevabilité par les tribunaux échoue, comme mes conseillers juridiques en sont convaincus, il suffira au gouvernement de faire appel jusqu'à la Cour suprême pour retarder de deux ou trois ans l'examen de la question de fond. Non seulement c'est incorrect sur le plan des principes, mais c'est aussi injuste pour les municipalités et les services de police du Canada dont certains sont très intéressés—à tort, à mon avis— par la mise en place de caméras vidéo de surveillance des rues et attendent que les tribunaux se prononcent. Si le gouvernement est convaincu que cette décision ne pourra pas résister à une contestation en vertu de la Charte, qu'il le dise et qu'il ordonne à la GRC de remballer les caméras. S'il est convaincu qu'elle n'est pas contraire à la Charte, il devrait manifestement laisser les tribunaux prononcer cette décision.

º  +-(1625)  

+-

    M. John McKay: L'autre question concerne le projet de loi C-36, qui a été adopté en quatrième vitesse. Parfois, je me dis que nous allons nous en repentir. J'aimerais bien savoir ce que donne le projet de loi C-36 près d'un an et demi après.

+-

    M. George Radwanski: Il y a toutes sortes d'aspects du projet de loi C-36 sur lesquels j'aurais pu exprimer mon point de vue à titre personnel, en tant que citoyen soucieux des libertés civiles, mais en tant que commissaire à la protection de la vie privée, je n'ai eu officiellement à me pencher que sur un très petit nombre de questions. Elles tournaient autour d'une disposition malencontreuse qui aurait permis au gouvernement d'abolir d'un trait de plume, comme vous vous en souvenez, tout le droit sur la protection de la vie privée. Ce n'est que grâce à de nombreux efforts et à l'aide des parlementaires, sans aucun doute, que cette disposition a finalement été reformulée conformément à l'intention énoncée par le gouvernement, et j'ai donc eu l'occasion de remercier le gouvernement d'avoir bien agi cette fois-là. Je n'ai pas eu de problème particulier concernant le fonctionnement du projet de loi C-36, et je vous répète que je pourrais avoir d'autres commentaires sur d'autres aspects du projet de loi qui touchent les libertés civiles, mais pas sur la question de la protection de la vie privée en soi.

+-

    M. John McKay: Merci.

+-

    Le président: Madame Jennings, puis M. Lanctôt, vous avez cinq minutes chacun.

º  +-(1630)  

+-

    Mme Marlene Jennings: Merci, monsieur le président.

    Pour en revenir au projet de loi C-17, dont vous avez parlé dans votre exposé, vous avez comparu devant le Comité de la justice en même temps que M. Clayton Ruby, je crois.

+-

    M. George Radwanski: Pas à propos du projet de loi C-17. Je n'ai pas comparu au Comité de la justice. C'était un comité spécial.

+-

    Mme Marlene Jennings: Pardon, le comité législatif.

+-

    M. George Radwanski: Je n'ai pas comparu en même temps que lui, mais j'ai effectivement comparu devant ce comité.

+-

    Mme Marlene Jennings: Juste avant lui.

+-

    M. George Radwanski: Oui.

+-

    Mme Marlene Jennings: M. Ruby a dit qu'à son avis, le paragraphe 4.81 proposé était conforme à la Charte, qu'il était constitutionnel, que le paragraphe 4.82 proposé ne pourrait pas résister à une contestation en vertu de la Charte, tout en précisant que si l'infraction communiquée à un agent de la paix en vertu d'un mandat concernait directement la sécurité aérienne ou la sécurité nationale, il pourrait résister à cette contestation. Il a aussi ajouté que si l'accès aux informations était autorisé en vertu d'une décision judiciaire préalable, si les renseignements étaient recueillis en vertu du paragraphe 4.81 et portaient sur une infraction criminelle à l'égard de laquelle un mandat d'arrestation avait été émis, il résisterait à une contestation en vertu de la Charte. Êtes-vous d'accord avec cela?

+-

    M. George Radwanski: Il faudrait que j'examine cette argumentation sur le paragraphe 4.81. Je ne veux pas me prononcer sur la question de la décision judiciaire préalable.

+-

    Mme Marlene Jennings: Vous n'êtes pas prêt à vous prononcer à ce sujet.

+-

    M. George Radwanski: C'est quelque chose de nouveau pour moi et je ne veux pas me prononcer.

    La question des mandats concernant des menaces pour la sécurité nationale, etc., nous ramène exactement là où nous étions. Si la police faisait seulement des recherches dans la base de données concernant la sécurité nationale, c'est là qu'elle trouverait la mention de ces mandats, etc., mais encore une fois, on n'a pas besoin de savoir qu'il y a un mandat pour prendre les mesures appropriées. Ce qui m'inquiète, c'est qu'en mentionnant les mandats dans cette base de données, on ouvre inutilement toutes sortes de portes.

+-

    Mme Marlene Jennings: Même s'il n'est pas question d'un mandat, si un policier demande à un juge d'émettre un mandat d'arrestation parce qu'il estime avoir des motifs raisonnables de croire que la personne à l'égard de laquelle ce mandat va être émis va voyager en avion, une fois que le projet de loi sera adopté, il pourra demander une ordonnance judiciaire qui permettra à la personne désignée en vertu de la loi pour recueillir ces informations de chercher le nom de cette personne.

+-

    M. George Radwanski: Ils peuvent déjà le faire sans cela.

+-

    Mme Marlene Jennings: C'est ce que je vous disais.

+-

    M. George Radwanski: Mais avant le projet de loi C-17, la police a toujours pris des mesures auprès des compagnies aériennes quand quelqu'un était recherché...

+-

    Mme Marlene Jennings: Exactement.

+-

    M. George Radwanski: ...donc il est inutile d'ajouter cette disposition dans la loi si c'est simplement pour cela. Je pense que nous disons la même chose.

+-

    Mme Marlene Jennings: D'accord, mais puisque cette possibilité existe déjà, pourquoi le fait de le préciser dans ce projet de loi pose-t-il un problème?

+-

    M. George Radwanski: Parce que cela ouvre la porte à toutes sortes d'autres possibilités. Si c'est une simple répétition d'une disposition existante, le gouvernement ne doit avoir aucune objection à la retirer. Sinon, demandez donc au gouvernement pourquoi il tient mordicus à la conserver. Voilà mon raisonnement.

+-

    Mme Marlene Jennings: Merci.

+-

    Le président: Monsieur Lanctôt, vous avez cinq minutes.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: Je sais que de façon générale, on est plutôt sur la même longueur d'onde. Mais depuis l'adoption de C-36, est-ce que vos enquêtes ou les gens de votre équipe vous ont mis au courant de façon spécifique de renseignements qui ont été donnés ou transmis et qui n'auraient pas dû l'être, que ce soit d'un ministère à un autre, ou à des individus? Est-ce que vous avez le mandat de faire cette surveillance?

+-

    M. George Radwanski: On fait une vérification des activités du SCRS, de la Gendarmerie royale du Canada et du CCS pour vérifier s'ils font seulement ce qui est permis par la loi. Mais pour le moment, je dirais qu'on n'a rien trouvé. Jusqu'à présent, je n'ai rien à vous apporter.

º  +-(1635)  

+-

    M. Robert Lanctôt: Combien d'employés font ces vérifications-là? Est-ce que ce sont des fonctionnaires ou des firmes privées, ou de la sous-traitance? Comment est-ce que ça fonctionne?

+-

    M. George Radwanski: Ce sont les enquêteurs de mon bureau.

+-

    M. Robert Lanctôt: Combien y a-t-il d'enquêteurs?

+-

    M. George Radwanski: Je préfère ne pas entrer dans les détails et dire combien d'enquêteurs on utilise pour un cas ou pour un autre. Il s'agit de nos opérations internes.

+-

    M. Robert Lanctôt: Parle-t-on de centaines ou de dizaines d'enquêteurs?

+-

    M. George Radwanski: Dans mon bureau, j'ai une quarantaine d'enquêteurs, mais je préfère ne pas vous dire combien d'enquêteurs s'occupent d'un cas ou d'un autre. Franchement, c'est une question d'opérations internes et je préfère ne pas en discuter.

+-

    M. Robert Lanctôt: Dans les dossiers dont vous vous êtes occupé antérieurement, lorsque vous avez trouvé des choses qui pouvaient déranger, est-ce que vous avez affecté plus d'enquêteurs sur les dossiers en question?

+-

    M. George Radwanski: On affecte à un dossier autant d'enquêteurs qu'on le peut, selon ce qui est justifié par le cas et aussi par les autres demandes sur le plan du travail. On a deux lois à surveiller et on reçoit beaucoup de plaintes, et on fait notre possible avec les ressources qu'on a.

+-

    M. Robert Lanctôt: N'avez-vous pas eu de plaintes relativement à C-36 jusqu'à maintenant?

+-

    M. George Radwanski: Non, pas spécifiquement.

+-

    M. Robert Lanctôt: Est-ce que ça vous étonne?

+-

    M. George Radwanski: Je n'ai pas d'opinion sur ça, franchement. On va voir, car ça commence seulement. On n'en a pas reçu jusqu'à maintenant, mais ça peut changer d'un jour à l'autre.

+-

    M. Robert Lanctôt: Merci.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci.

    J'aimerais aborder quelques points précis du projet de loi pour m'assurer que les choses sont correctement consignées au compte rendu.

    On est actuellement en train d'élaborer ou d'étendre des bases de données de renseignements personnels. L'ADRC est en train d'en élaborer une en vertu du projet de loi S-23, n'est-ce pas?

+-

    M. George Radwanski: Oui, sauf qu'à mon avis ce n'est pas en vertu de la loi, c'est une initiative qui déborde du cadre de la loi.

+-

    Le président: Bon. En tout cas, c'est en cours.

    Il y a ensuite une autre base de données qui a été élaborée en vertu d'une loi sur les transports aériens pour recueillir les listes de passagers de façon à nous permettre de les transmettre à des organismes américains quand des avions canadiens survolent les États-Unis. C'est bien cela?

+-

    M. George Radwanski: Ce n'est pas vraiment une base de données. Pour moi, une base de données sert à conserver des renseignements. Le dispositif dont vous parlez permet simplement aux compagnies aériennes de transmettre aux autorités américaines des informations sur les pilotes des vols vers leur territoire. Les Américains ont peut-être une base de données là-dessus, mais il n'y en a pas au Canada.

+-

    Le président: Vous êtes sûr?

+-

    M. George Radwanski: Toute mon intervention à cet égard visait à éviter que le Canada puisse récupérer systématiquement ces informations par des voies détournées. Naturellement, s'il s'agit d'informations concernant un individu particulier qui pose un problème quelconque de sécurité, on pourra entrer dans cette base de données, mais elle n'est pas reversée intégralement au Canada.

+-

    Le président: Bon.

    Ensuite, il y a le projet de loi C-17, qui prévoit la création d'une base de données à partir des listes de voyageurs.

+-

    M. George Radwanski: Pas exactement. Les gens confondent souvent la base de données de l'ADRC et celle du projet de loi C-17. Ce que prévoit le projet de loi C-17, essentiellement, c'est un examen en temps réel des informations qui sont conservées pendant sept jours au maximum et ensuite détruites. Ce n'est donc pas véritablement une base de données. On va conserver certains renseignements sur certains individus si l'on cherche à déterminer s'ils ont un comportement caractéristique, par exemple, mais il faudra justifier le fait qu'on ne détruira pas ces informations. Ces décisions devront être autorisées aux niveaux les plus élevés et revues chaque année. Donc ce n'est pas la question de la base de données qui me dérange à propos du projet de loi C-17, c'est celle des mandats qui permettraient à la police de faire des inspections en temps réel pour exécuter des mandats de police très généraux et pas simplement chercher à déjouer des menaces terroristes. Ce sont deux questions bien distinctes, mais les gens les confondent parce qu'il s'agit dans les deux cas d'informations sur les voyageurs, et c'est ce qui fait que les gens pensent que je dénonce certaines choses alors que ce n'est pas du tout le cas, par exemple cette base de données du projet de loi C-17. D'autres pensent que l'ADRC est en train d'élaborer une base de données qui aura pour objet de détecter des terroristes. Il est d'ailleurs curieux que les représentants de cette agence n'aient jamais avancé cet argument. Le seul argument qu'ils ont donné, c'est que ce serait utile pour les analyses judiciaires après un attentat terroriste. Donc ce sont des questions totalement distinctes.

º  +-(1640)  

+-

    Le président: Monsieur Lanctôt, vous voulez embrayer sur cette question?

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: Oui.

[Traduction]

+-

    Le président: Allez-y.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: J'aimerais continuer dans cette veine-là. Sept jours maximum pour garder une base de données, c'est court. Comment fait-on le contrôle pour savoir si les informations qu'on a obtenues sont vraiment détruites? Est-ce qu'il y a une enquête ou des vérifications internes qui se font, ou est-ce qu'on attend et qu'on se dit qu'on va faire une vérification à un moment donné pour voir si les informations ont vraiment été détruites? Quel est le système qui est en place? Y a-t-il un système en place?

+-

    M. George Radwanski: J'ai le droit de vérifier ça n'importe quand. Si le projet de loi C-17 est adopté tel qu'il est actuellement, on va évidemment faire ce qu'il faut pour s'assurer qu'il n'y ait pas une nouvelle base de données qui ne doit pas exister.

+-

    M. Robert Lanctôt: Mis à part votre bureau, est-ce qu'il y a un processus de vérification et de contrôle à l'interne?

+-

    M. George Radwanski: À part notre bureau, il y a la Commission des plaintes du public contre la GRC et le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité pour le SCRS. Je ne saurais vous dire ce qu'il y a à part cela.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur McKay.

+-

    M. John McKay: Je vais embrayer sur le bref entretien que vous avez eu avec M. Lee. Vous avez dit quelque chose de curieux que je ne suis pas sûr d'avoir bien compris. Vous avez dit que ces renseignements étaient recueillis pour faciliter les expertises légales après coup. Il me semblait que ce projet de loi concernait le terrorisme. Avant l'attentat, il y a des terroristes qui sont sur le vol 241, et il faut s'en occuper tout de suite.

+-

    M. George Radwanski: Vous parlez du projet de loi C-17. Je vous parle de la base de données style «Big Brother» de six ans de l'ADRC.

º  +-(1645)  

+-

    M. John McKay: Bon. Alors je confondais.

+-

    M. George Radwanski: Pour mettre les choses bien au clair, bien avant le 11 septembre, le projet de loi S-23, qui apportait une série de modifications à la Loi sur les douanes, leur a donné accès à cette liste de passagers, prétendument dans le seul but d'identifier les passagers devant subir un examen secondaire à l'arrivée. La logique était celle-ci: Prenons par exemple le passager qui achète son billet à la dernière minute, en espèces, qui n'a aucun bagage enregistré et qui répond à quelques critères de plus, et vous avez probablement affaire alors à un contrebandier. Ainsi, l'ordinateur pourrait mettre en relief, disons cinq passagers d'un vol, qui répondent à ces critères et qui devraient être soumis à un examen secondaire. Par écrit, le sous-commissaire de l'ADRC m'a assuré que, à l'exception des quelques cas d'examen secondaire, ce qui est un usage administratif de l'information, tous ces renseignements devaient être détruits dans les 24 heures. Il n'y aurait aucun stockage, aucune base de données.

    En me fondant sur cette assurance, je n'ai même pas jugé nécessaire de comparaître devant un comité parlementaire à ce sujet. La politique me semblait raisonnable. Or, l'été dernier, ils m'ont appris qu'ils avaient désormais décidé de garder tous ces renseignements pour six ans. Je leur ai demandé pourquoi, et ils m'ont répondu que c'était réservé à une seule fin—l'analyse judiciaire. Qu'entendez-vous par analyse judiciaire, leur ai-je demandé? En cas d'acte terroriste, et disons que nous en connaissons les auteurs, nous serions en mesure de revoir cette information et de découvrir avec qui voyageaient ces gens, quels étaient leurs numéros de contact, ainsi de suite, pour nous aider à mettre la main sur leurs complices. Je leur ai répondu: Dans ce cas, vous n'aurez aucune objection à garder cette information sous scellé et à la réserver à cette fin unique—en cas de terrorisme, brisez le sceau, si vous voyez ce que je veux dire—, et vous vous abstiendrez de divulguer ces renseignements pour toute autre raison. Ils ont refusé, soutenant qu'il s'agissait de renseignements douaniers et que, en vertu des dispositions de partage d'information de la Loi sur les douanes, cette information peut être utilisée pour toutes sortes de motifs. Je leur ai demandé s'ils seraient disposés à divulguer cette information si le service des impôts en faisait la demande dans le cadre d'une enquête banale, et ils ont répondu par l'affirmative. Et puis, ensuite, le ministre a commencé à parler de l'importance d'arrêter les pédophiles et nous lui avons demandé des précisions. Il se trouve que, si vous faites un certain nombre de voyages dans certains pays, vous pouvez être soupçonné de pédophilie. Si vous voyagez régulièrement aux Bahamas, vous pouvez peut-être être soupçonné de blanchir de l'argent.

    Ce qui rend la chose pernicieuse, c'est qu'il n'y a aucun moyen de s'en rendre compte. En temps normal, conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels, vous avez droit d'accéder à vos renseignements personnels, il y a des exceptions bien précises, pour des raisons de sécurité et pour les enquêtes en cours. Les organismes en question invoqueraient presque assurément ces dispositions, ce qui veut dire que vous ne pourriez leur expliquer que vous avez de la parenté en Thaïlande, que vous aimez la cuisine du pays ou que vous y jouez au golf. Entre-temps, il se peut que l'on vous refuse une cote de sécurité ou que l'on vous harcèle à chaque fois que vous arrivez à un poste frontalier. Dieu sait avec qui ils partageront ces renseignements. Il pourrait vous arriver toute une série de situations désagréables, et vous n'auriez aucun moyen de réhabiliter votre nom.

+-

    M. John McKay: C'est ainsi que le travailleur humanitaire qui oeuvre pour Vision mondiale reçoit l'étiquette de pédophile.

+-

    M. George Radwanski: C'est très possible. Bien sûr, cela n'a rien à voir avec l'antiterrorisme ou la sécurité. Ce qui me ramène aux propos que je voulais livrer à votre comité, à savoir que j'espère vivement que vous serez en mesure de passer tout cela au peigne fin et de distinguer ce qui vise la sécurité et ce qui ne la concerne pas. Si ce n'est pas une question de sécurité, le gouvernement ne devrait pas et ne doit pas invoquer la sécurité pour justifier de telles mesures, qui ne devraient pas être prises au nom des événements du 11 septembre.

+-

    Le président: Merci, monsieur McKay.

    Pouvez-vous nous parler à nouveau du S-23, du point de vue de la sécurité? L'ADRC est l'organisme chargé de contrôler toutes les personnes qui se présentent aux points d'entrée au pays, ce qui paraît assez raisonnable. Au moment de passer ce contrôle, les voyageurs présentent des pièces d'identité; il peut s'agir d'un passeport, d'une photo. Je crois que les Canadiens acceptent le fait que, lorsque des voyageurs entrent au pays, qu'ils soient Canadiens ou non, leur arrivée sera notée. Jusqu'à maintenant, peut-être que toutes les arrivées n'étaient pas consignées dans un registre, mais je crois que nous arrivons au point où toutes les arrivées seront consignées d'une façon ou d'une autre. Ainsi, si, à votre retour, vous présentez votre passeport—même si, en principe, vous n'avez pas besoin d'un passeport pour rentrer dans votre pays, il vous faut vous identifier. Or, s'il vérifie ce passeport au moyen d'un lecteur, comme c'est désormais la pratique, il se trouve à enregistrer votre arrivée. Je ne sais pas si on y consigne la couleur de vos yeux, mais je sais que c'est le cas pour la date de naissance et le moment d'arrivée, notamment. Je crois que les Canadiens acceptent cette pratique. C'est notre contrôle. Bien sûr, en temps normal, l'ADRC ne tient pas un registre de ceux qui quittent le Canada.

    Si de telles données sont recueillies, et il y en a déjà, et si les Canadiens acceptent que ces renseignements soient recueillis, la clé ne consiste-t-elle pas à nous assurer que les renseignements soient utilisés à bon escient et exclusivement pour les fins prévues par la loi, sécuritaires ou autres? Je crois que la plupart des Canadiens accepteraient cela. Ce que nous n'avons pas abordé aujourd'hui, c'est la question de savoir comment l'ADRC serait-elle tenue, par la loi ou par d'autres moyens, de protéger ces renseignements et d'en limiter l'accès. Comment pouvons-nous être certains qu'un quelconque fonctionnaire ayant accès au système informatique depuis le ministère ne pourra pas mettre la main sur cette information? Nous n'en savons rien. Nous ne savons pas quels protocoles d'entente sont intervenus entre les ministères. Ne devrions-nous pas nous concentrer là-dessus, plutôt que d'affirmer, comme vous le faites, qu'il y a trop d'informations, des renseignements dont nous n'avons pas besoin? Il faut contrôler les personnes qui arrivent au pays. Ne devrions-nous pas mettre l'accent davantage sur la protection des renseignements personnels et leur destruction en temps opportun?

+-

    M. George Radwanski: Pardon, mais nous parlons ici de deux types de renseignements différents. Vous avez tout à fait raison, les renseignements de base aux points d'entrée, ce qui comprend même le pays d'origine et ainsi de suite, sont désormais consignés et à disposition. En fait, nous remplissons tous le petit formulaire des douanes au moment d'entrer au pays, et cette information est archivée. Mais il s'agit d'une information de base, à savoir, les pays que vous avez visités, la date de votre départ du Canada, la date de votre retour, les objets que vous rapportez. Il y a un univers de différence entre cela et une base de données où l'on enregistre le nom des personnes avec qui vous avez voyagé, le nom des personnes pour qui vous avez éventuellement acheté un billet, la personne qui était assise à côté de vous, la catégorie—économique ou affaires—de votre billet, les points de fidélisation que vous avez éventuellement utilisés, le repas que vous avez commandé, le fauteuil roulant que vous avez peut-être demandé. Ce sont tous des renseignements personnels que le gouvernement n'a nullement le droit de recueillir à propos de qui que ce soit.

    Si le gouvernement peut amasser et stocker ce type de renseignements personnels—et voici où l'on crée un précédent—, mises à part les situations les plus extraordinaires d'analyses judiciaires antiterroristes, ce qui me semble très peu probable mais, comme je l'ai dit, je ne veux pas faire obstacle aux mesures qui pourraient être quelque peu utiles, je dis qu'une fois que l'on accepte une telle pratique, on en arrive au point où le gouvernement peut tenir des dossiers de renseignements personnels obtenus de tierces parties, dans ce cas-ci de compagnies aériennes, parce que ces renseignements ne figurent pas sur votre passeport. Et tout cela ne sert pas à vous offrir un service précis, comme le versement de la prestation de vieillesse, mais plutôt à avoir des renseignements sous la main au cas où il pourrait devenir utile d'en faire usage contre vous. Une telle pratique n'a pas sa place dans une société libre. Si l'on tolère cela pour nos voyages et nos compagnons de voyage, pourquoi pas l'appliquer à nos compagnons de séjour dans les hôtels au Canada, pourquoi pas tenir des dossiers des personnes avec qui nous nous associons, ou encore des dossiers comptabilisant nos intérêts? Pour la première fois dans l'histoire du Canada, nous parlons ici de la création de dossiers de renseignements personnels, renseignements de nature parfois délicate.

º  +-(1650)  

+-

    Le président: Bien sûr, monsieur Radwanski, ces renseignements sont tirés de leurs voyages de retour de l'étranger, et non de leurs voyages au pays.

+-

    M. George Radwanski: D'accord, et puis après? Cela dépasse néanmoins ce que l'on fournirait normalement au gouvernement. Les personnes avec qui vous voyagez, ce n'est pas les affaires du gouvernement; ce que vous mangez, ce n'est pas les affaires du gouvernement; la carte de crédit que vous avez utilisée pour payer, ce n'est pas non plus les affaires du gouvernement. Jusqu'ici, rien de tout cela n'était accessible lors du voyage de retour au Canada et rien ne justifie de garder ce type de renseignements pendant six ans au cas où. Si c'est pour lutter contre le terrorisme, limitons-en strictement l'usage à cela. Si ce n'est pas exclusivement réservé à la lutte antiterroriste, l'engagement écrit pris par le gouvernement avant le 11 septembre, lorsque le Parlement en était saisi, devrait toujours être contraignant. À mon sens, dans la mesure où le gouvernement ne respecte pas l'engagement qu'il a pris devant un mandataire du Parlement, raison pour laquelle je ne me suis pas objecté devant le Parlement comme j'aurais pu le faire, je dirais que le gouvernement a induit le Parlement en erreur, et pas seulement le commissaire à la protection de la vie privée. Inutile de vous dire que j'ai soulevé cet argument auprès d'eux.

+-

    Le président: D'accord.

    Bien qu'il y ait de nombreuses autres questions à envisager, mes collègues voudront peut-être considérer la notion de vie privée comme une notion envahissante. Vous avez parlé du droit fondamental à la vie privée. Du point de vue strictement juridique, je ne dirais pas qu'il s'agit d'un droit, c'est-à-dire d'un droit constitutionnel, mais plutôt d'un agrément assez important et fondamental des sociétés libres et ouvertes. Or, vous avez dit qu'il s'agissait d'un droit. Pouvez-vous nous donner les fondements de votre affirmation voulant que la vie privée est un droit des Canadiens?

+-

    M. George Radwanski: Bien sûr. C'est la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies et d'autres conventions internationales qui la définissent comme un droit. À cela viennent s'ajouter les protections de la vie privée enchâssées dans la Charte des droits et libertés.

+-

    Le président: Où se trouvent-elles?

+-

    M. George Radwanski: Il s'agit essentiellement des dispositions visant la perquisition et saisie abusive qui figurent aux articles 7 et 8 de la Charte, ainsi que la notion de liberté de la personne. Je vous réfère à deux opinions du juge La Forest, que j'ai maintenant en main. C'est ce dernier qui, pendant de nombreuses années, a rédigé la plupart des décisions importantes de la Cour suprême en matière de vie privée.

+-

    Le président: Je me disais tout simplement que l'énoncé de base établissant le droit à la vie privée est une extrapolation de notre Constitution.

+-

    M. George Radwanski: Et de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies, dont le Canada est un signataire.

+-

    Le président: Je reconnais le travail important qu'effectuent les Nations Unies dans le domaine, mais notre Parlement adopte ses propres lois ici.

+-

    M. George Radwanski: Contestez-vous l'idée que la vie privée est un droit fondamental de la personne? Si c'est le cas, je m'en désole.

+-

    Le président: Je remets en question le fait que l'on puisse qualifier ça de droit fondamental au Canada.

+-

    M. George Radwanski: Sauf votre respect, c'est dans la Charte des droits et libertés.

+-

    Le président: Si c'est le cas, on abuse de nous dès la naissance. Il s'agit probablement de l'un de ces principes qui n'est pas un droit absolu, mais plutôt un objectif.

º  -(1655)  

+-

    M. George Radwanski: Eh bien, tous les droits énumérés dans la Charte sont assujettis à la disposition au début du texte, où il est question des limites raisonnables dans une société libre et démocratique. L'ennui, c'est que les problèmes que je soulève ici, et je le tiens d'autorités éminentes, ne sont pas raisonnables dans une société libre et démocratique, mais le gouvernement aimerait mieux ne pas m'accorder le droit d'aller les contester devant les tribunaux, ce qui crée un problème de plus.

+-

    Le président: Mes collègues à la Chambre ont aussi un point de vue sur la question et la Chambre, bien sûr, a un rôle important à jouer.

    Votre témoignage a été utile et, puisque les membres du comité n'ont pas d'autres questions, je vous remercie vivement d'être venu et d'avoir expliqué publiquement ces questions très importantes de protection de la vie privée. J'espère que, en collaboration avec la Chambre, pour laquelle vous travaillez, vous poursuivrez la discussion de ces sujets à l'avenir, pour que nous puissions les suivre de près et agir comme il se doit dans l'intérêt des Canadiens.

+-

    M. George Radwanski: Je vous remercie chaleureusement du vif intérêt dont vous et votre comité faites preuve sur cette question.

-

    Le président: Merci d'être venu.

    La séance est levée.