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INST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY, SCIENCE AND TECHNOLOGY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 octobre 2001

• 0904

[Traduction]

La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): La séance est ouverte. Notre ordre du jour porte sur l'étude du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence.

Nous avons le grand plaisir d'accueillir parmi nous ce matin le représentant du Conseil canadien des chefs d'entreprise, en la personne de John Dillon, son vice-président et conseiller juridique.

Au nom de l'Association du Barreau canadien, nous entendrons Tim Kennish, président, Section nationale du droit de la concurrence, et Joan Bercovitch, directrice principale, Affaires juridiques et gouvernementales.

Vont aussi comparaître à titre personnel le professeur Tom Ross, de l'Université de la Colombie-Britannique, et Howard Wetston, le vice-président de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario.

Je propose que chacun des témoins nous fasse d'abord un exposé et que nous passions ensuite aux questions. Si l'un des témoins souhaite commenter une question qui ne s'adresse pas à lui, il pourra le signaler à la présidence, qui lui donnera la parole.

Nous allons procéder dans l'ordre que je viens d'indiquer, en commençant par M. Dillon.

M. John Dillon (vice-président, conseiller juridique, Conseil canadien des chefs d'entreprise): Merci, madame la présidente.

Je dois tout d'abord vous présenter mes excuses. Notre président, Thomas d'Aquino, pensait pouvoir être ici aujourd'hui mais, vous le savez, notre comparution, qui était prévue pour la semaine dernière, a été reportée et notre président avait malheureusement un certain nombre d'autres engagements. Nous avons essayé, mais nous n'avons pas réussi à les déplacer, et je me présenterai donc seul ce matin.

C'est avec un grand plaisir que je me présente ici ce matin pour vous faire connaître le point de vue du Conseil canadien des chefs d'entreprise au sujet du projet de loi C-23.

• 0905

Ainsi que l'a indiqué mon organisation au Comité permanent des finances peu après les attaques terroristes du 11 septembre, le Canada vient d'entrer dans une période de crise nationale et de grande incertitude économique. Le gouvernement fédéral fait face à de nouveaux impératifs urgents l'amenant à garantir la sécurité des Canadiens alors même que le ralentissement de l'économie entraîne une diminution des recettes fiscales attendues.

Dans ce genre de conjoncture, l'amélioration du cadre réglementaire prend encore plus d'importance que d'habitude étant donné que l'on obtient ainsi la possibilité de renforcer de manière significative la performance économique du Canada sans avoir à lancer de grands programmes de dépenses. Par la même occasion, il est indispensable de s'assurer que tout changement apporté à la politique de la concurrence ne vienne pas aggraver les coûts qui pèsent sur les entreprises canadiennes ou réduire leur compétitivité. Surtout, dans des périodes aussi troublées que la nôtre, il faut que le Canada cherche à s'assurer que le cadre de sa politique de concurrence profite véritablement aux entreprises et aux consommateurs canadiens en favorisant, plutôt que de décourager, les investissements des entreprises.

Dans l'ensemble, la Loi canadienne sur la concurrence a donné d'assez bons résultats depuis sa refonte assez complète en 1986. Il n'en reste pas moins que l'évolution des marchés est constante et qu'il est nécessaire que la Loi sur la concurrence, ainsi que les autres politiques encadrant l'économie, suivent l'évolution des temps si l'on veut que le Canada puisse continuer à attirer les investissements et constituer une assise solide pour les entreprises exerçant leur concurrence au plan international.

En fait, il faut que ces politiques puissent permettre aux entreprises canadiennes de maintenir et d'accentuer le rythme de leur innovation de façon à pouvoir réussir sur un marché international dynamique. Il faut que les modifications apportées à la Loi sur la concurrence, plutôt que de les gêner, facilitent les alliances stratégiques et les nouveaux accords commerciaux dont ont besoin nos entreprises pour exercer efficacement leur concurrence sur le marché mondial.

Depuis qu'ont été apportées en 1986 les grandes modifications que je viens d'évoquer, le CCCE collabore et apporte son appui au mécanisme de réforme de la Loi canadienne sur la concurrence. Plus récemment, nous avons pris part aux consultations entreprises sous les auspices du Forum des politiques publiques, et nous estimons que ses conclusions reflètent en grande partie le consensus en ce qui a trait aux changements devant être apportés à la loi. Dans cet esprit, nous considérons que les changements proposés au projet de loi C-23 représentent un ensemble équilibré de modifications indispensables.

Pour gagner du temps ce matin, madame la présidente, et parce que, comme je viens de l'indiquer, nous sommes généralement favorables au projet de loi C-23, je m'en tiendrai dans mes commentaires à deux points précis.

Le premier porte sur ce que l'on appelle dans la loi «l'entraide juridique». Il s'agit là de la possibilité pour le Bureau de la concurrence d'échanger des renseignements avec les services responsables de la concurrence dans d'autres pays. Là encore, nous sommes favorables au principe de cette modification afin de permettre au bureau de mieux recueillir et communiquer les renseignements sur la concurrence qui peuvent exister à l'échelle internationale. Nous craignons cependant que l'on n'ait pas protégé suffisamment et expressément les renseignements d'entreprise confidentiels, notamment lorsqu'ils ont été communiqués de plein gré au Bureau de la concurrence.

Nous croyons savoir que lorsqu'il a comparu devant vous, le commissaire a fait savoir que l'on avait l'intention de protéger la confidentialité de ces renseignements; par conséquent, nous ne voyons pas pourquoi on ne l'indiquerait pas expressément à l'article 29 de la loi.

Le deuxième point important, et je sais qu'il intéresse particulièrement votre comité, c'est celui de la saisie du tribunal par des intérêts privés. Il y a évidemment bien longtemps que l'on discute de cette possibilité, mais nous ne sommes pas convaincus que la saisie du tribunal par des intérêts privés soit justifiée. Sur le plan des principes, nous considérons que l'on ne doit pouvoir saisir le tribunal que dans les cas indispensables à la protection de l'intérêt public en matière de concurrence et que c'est le bureau qui doit en être juge et non pas des intérêts privés.

Nous prenons acte du fait que l'on a proposé par exemple, dans la proposition de loi C-472 de M. McTeague, d'essayer de faire en sorte que seules les affaires qui le justifient soient traduites devant le tribunal par des intérêts privés. Nous craignons toutefois que certaines parties soient tentées de recourir à la loi non pas pour promouvoir la concurrence, mais uniquement pour rechercher des avantages tactiques dans les négociations commerciales ou pour entraver d'une manière ou d'une autre l'action de concurrents légitimes.

Il n'est pas sûr qu'on puisse mettre en place des garde-fous sur le plan de la procédure pour éviter que l'on en abuse en recourant à des poursuites stratégiques. Loin d'améliorer la concurrence, la saisie du tribunal par des intérêts privés pourrait en fait être mise à profit pour en limiter l'application. Certains ont avancé que la possibilité de saisie du tribunal par des intérêts privés faciliterait les recours intentés par les petites entreprises à l'encontre de concurrents peu scrupuleux. Nous sommes loin d'être certains, toutefois, qu'une telle disposition va vraiment servir les intérêts des petites entreprises. La nécessité d'intenter des poursuites et de prouver le bien-fondé de sa cause risque évidemment de faire perdre à ces dernières beaucoup de temps et d'argent. D'après les études effectuées par le bureau lui-même, très peu d'affaires pourraient être traduites devant le tribunal à un coût inférieur à 1 million de dollars, ce qui fait qu'un tel recours serait hors de la portée de la plupart des petites et mêmes des moyennes entreprises.

Nous sommes convaincus qu'il y a des solutions de rechange à la disposition des petites entreprises dans un tel cas. Si effectivement le bureau n'a pas pu prendre connaissance de causes par ailleurs légitimes en raison d'un manque de ressources, il faut donc augmenter les ressources mises à la disposition du bureau et du commissaire afin de leur permettre d'examiner plus à fond ce genre d'affaires.

Lorsqu'une petite entreprise s'est plainte d'un comportement contraire à la concurrence et lorsque le commissaire a par la suite refusé d'entendre l'affaire, il faut qu'il soit obligé de motiver par écrit sa décision. D'autres témoins sont déjà venus vous dire ce que l'on pourrait faire pour régler ce problème en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises.

Je m'arrêterai là.

Je remercie madame la présidente ainsi que les membres du comité de l'attention qu'ils ont bien voulu m'accorder.

Je suis tout disposé à répondre aux questions que vous voudrez me poser.

• 0910

La présidente: Merci, monsieur Dillon.

Je vais maintenant donner la parole à l'Association du Barreau canadien. Je pense que c'est Mme Bercovitch qui va commencer.

[Français]

Mme Joan Bercovitch (directrice principale, Affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau Canadien): Merci, madame la présidente.

De la part de l'Association du Barreau Canadien, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.

Comme vous le savez, l'Association du Barreau Canadien est une association d'avocats qui regroupe plus de 37 000 juristes de partout au Canada. Parmi nos objectifs, il y a l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. Les propos que nous vous soumettons aujourd'hui sont dans la perspective de ces objectifs.

[Traduction]

Notre mémoire va vous être présenté par Tim Kennish, un avocat de Toronto qui pratique dans le domaine du droit sur la concurrence. Il préside la Section nationale du droit de la concurrence, qui a fait preuve d'une grande activité pendant de nombreuses années sur les questions de réforme du droit. M. Kennish va vous présenter notre exposé et répondre par ailleurs aux questions adressées à l'ABC.

M. Tim Kennish (président, Section nationale du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien): Madame la présidente et honorables membres du comité, la Section nationale du droit de la concurrence apprécie la possibilité qui lui est donnée de commenter le projet de loi C-23.

Ce projet de loi répond à nombre des préoccupations que nous avons exprimées antérieurement au sujet des quatre propositions de loi d'initiative parlementaire déposées dans le cadre du Forum des politiques publiques. Il s'agit donc d'un excellent pas dans la bonne direction. Nous continuons cependant à faire des réserves concernant certaines de ses dispositions, notamment en ce qui concerne le traitement accordé aux renseignements confidentiels, tant sur le plan général que dans le cadre de l'entraide juridique internationale que prévoit le projet de loi C-23.

Nous nous inquiétons aussi de la portée excessive, et d'ailleurs de l'utilité, des dispositions spéciales qui sont envisagées en matière de documentation trompeuse. Nous ferons certaines observations concernant la portée éventuellement excessive des nouvelles dispositions s'appliquant aux consentements, que l'on ne veut pas limiter aux possibilités de recours offertes par les poursuites en justice.

Pour ce qui est des pouvoirs supplémentaires conférés au tribunal lorsqu'il s'agit de délivrer des ordonnances provisoires en matière civile sur des questions autres que les fusions, nous nous inquiétons du seuil relativement bas de délivrance de ces ordonnances et de l'absence d'équité procédurale. Si nous en avons le temps, j'aimerais aussi dire quelques mots de la saisie du tribunal par des intérêts privés.

Notre mémoire n'a pas encore été traduit dans son intégralité et nous vous prions de nous en excuser. La traduction est en cours pour notre propre usage et nous ne pourrons ce matin que vous donner les grandes lignes de notre analyse. Je vous renvoie au texte intégral de notre mémoire pour ce qui est de la formulation exacte de nos recommandations.

En ce qui a trait tout d'abord à l'entraide juridique internationale, notre section reconnaît la nécessité d'une coopération internationale accrue en matière d'application des lois internationales antitrust à notre époque où la mondialisation des entreprises s'accentue, et nous prenons acte du fait qu'il est dans l'intérêt général du Canada de favoriser cette évolution. À l'heure actuelle, nous n'avons pas de recours civils en la matière et il est souhaitable que ça se fasse, surtout lorsque l'on sait que dans nombre d'autres pays, la Loi sur la concurrence est avant tout considérée comme une question de droit civil et non pas de droit pénal. Il est donc nécessaire de disposer de recours civils en la matière si l'on veut favoriser une application internationale.

Le projet de loi C-23 ne manque pas de nous préoccuper étant donné que l'on ne trouve ni dans ce texte, ni à l'article 29 de la Loi sur la concurrence, une protection satisfaisante des renseignements confidentiels. Il est tout d'abord indispensable d'étendre la portée et d'augmenter la clarté des dispositions ayant trait à la confidentialité à l'article 29, notamment pour qu'elles s'appliquent à tous les renseignements communiqués de plein gré au bureau. Cette protection n'est pas actuellement conférée par l'article 29, même si le bureau a expressément pour politique d'étendre cette protection à ce genre de renseignements. Je précise qu'une grande quantité de renseignements obtenus par le bureau dans le cadre de ses enquêtes sont communiqués de plein gré parce que les parties s'efforcent de collaborer dans le but de résoudre leurs différends.

• 0915

La question de la confidentialité revêt désormais un intérêt particulier dans le cadre de l'entraide juridique internationale étant donné que la réciprocité se limite à la collaboration avec les pays dont le droit est largement apparenté en matière de renseignements confidentiels. Le droit canadien, je le répète, ne s'applique pas à l'article 29 aux renseignements communiqués de plein gré. Je pense qu'il est d'une manière ou d'une autre souhaitable de préciser la portée de l'article 29.

Je dirais ensuite que la protection des renseignements confidentiels devrait par ailleurs s'étendre à l'information dont dispose déjà le bureau et non pas simplement à ce que pourrait exiger un État étranger en vertu d'une ordonnance judiciaire. Ce n'est pas ce que prévoit actuellement le projet de loi et j'estime que cette disposition devrait être aussi prévue.

En matière de fusion, nombre d'États, tels que les États-Unis, n'autorisent pas de manière générale la communication des renseignements. Les renseignements confidentiels s'appliquant aux fusions ont tendance à être extrêmement sensibles étant donné qu'ils portent sur l'état actuel des stratégies, de la planification face à la concurrence et des prévisions financières des entreprises. Nous savons aussi que certains étrangers ont tendance à être peu fiables pour ce qui est de la protection des renseignements confidentiels émanant d'entreprises d'État concurrentes, de concurrents locaux ou d'opposants aux fusions.

Nous incitons à l'adoption d'une règle semblable à celle qui s'applique aux États-Unis et qui viserait à empêcher la communication des renseignements sur les fusions à moins que l'on renonce à se prévaloir de cette disposition. Étant donné qu'elles veulent que leur projet de fusion fasse l'objet d'une décision favorable, les parties sont disposées à renoncer à la confidentialité auprès des organismes de réglementation lorsqu'elles ont la garantie que leurs renseignements seront protégés.

Pour ce qui est de la notification abusive de l'obtention d'un prix, la section considère que la législation actuelle s'appliquant à la publicité trompeuse est suffisante et répond aux préoccupations qui semblent être celles de ces articles. Nous avons fait figurer dans le mémoire qui vous sera finalement transmis une annexe faisant état d'un certain nombre de mesures de répression appliquées récemment avec succès à l'encontre du type de promotions frauduleuses que vise, à notre avis, ce genre de disposition. Nous ne pensons pas non plus que l'on ait suffisamment établi la nécessité de prévoir des dispositions spéciales dans ce domaine. Il n'en va pas de même du télémarketing, au sujet duquel une étude a été effectuée, qui a bien montré que les sollicitations faites par téléphone peuvent exercer une plus grande intimidation que lorsqu'elles parviennent par le courrier ou sont transmises par la télévision ou Internet.

J'ajouterais par ailleurs que le projet de disposition est formulé de manière très large et que nous en avons conclu qu'il risque d'interdire certains concours promotionnels classiques qui sont jugés à l'heure actuelle sans danger tels que ceux que vous connaissez bien et qu'organisent de grandes sociétés pétrolières. Cela s'explique par le fait que la plupart de ces concours permettent aux gens de participer si l'on achète un produit donné, même si ce n'est pas une exigence. En règle générale, il n'est pas nécessaire d'acheter le produit pour participer, mais on a la possibilité de le faire, et bien des gens s'inscrivent de cette manière. En règle générale, il y a aussi une condition pour que l'on puisse recevoir le prix et il faut répondre à certaines exigences, que ce soit sous la forme d'un tirage au sort, d'une réponse à une question de connaissances générales, ou les deux à la fois.

Par conséquent, nous estimons que presque tous les concours promotionnels classiques vont être visés par cette disposition, et non pas simplement ceux qui se présentent de la manière suivante: «Félicitations, vous avez 94 ans et vous venez de gagner 2 millions de dollars». Nous reconnaissons que le gouvernement n'avait probablement pas l'intention de prévoir une application aussi large, mais le problème est sérieux, car il s'agit d'une loi pénale.

Je passe maintenant à l'enregistrement de consentements. Nous convenons que le mécanisme actuel de consentement donne des résultats satisfaisants pratiquement depuis son entrée en vigueur. Son application est incertaine, il est coûteux et il prend du temps. Nous sommes favorables à une réforme dans ce secteur et nous appuyons de manière générale les dispositions du projet de loi C-23 qui prévoient l'enregistrement des consentements.

• 0920

On aurait pu procéder autrement. Ainsi, une autre solution est proposée aux États-Unis par la Truth in Lending Act, mais nous sommes de manière générale en faveur de ces dispositions.

Nous estimons par ailleurs que le bureau et le commissaire sont les mieux placés pour déterminer à quel moment une affaire doit faire l'objet d'un règlement compte tenu de tous les facteurs devant jouer dans une décision de ce genre, de même qu'ils disposent au départ du pouvoir discrétionnaire d'entendre ou non une affaire.

Notre principale réserve vient du fait qu'il apparaît, tel que le projet de loi est formulé à l'heure actuelle, que les parties pourraient obtenir une ordonnance de règlement dont la portée irait au-delà des possibilités de recours prévus dans le cadre de poursuites en justice intentées devant le Tribunal de la concurrence. Nous ne voyons pas pourquoi il devrait en être ainsi et nous craignons que cela pousse éventuellement les parties à transiger sur des questions qui vont plus loin que ce qu'elles auraient dû accepter dans le cadre de poursuites judiciaires.

Toujours au sujet des consentements, nous estimons que la demande ou que l'accord enregistré doit s'accompagner d'un exposé des motifs et des faits matériels venant justifier l'accord qui a été accepté afin de faire en sorte que s'il se produit des changements importants par la suite, on puisse s'y référer pour déterminer dans quelle mesure il convient d'abroger ou d'écarter l'ordonnance.

Sur la question des ordonnances provisoires, nous sommes de manière générale en faveur d'une extension des pouvoirs qu'a le tribunal de délivrer des ordonnances provisoires avant que le commissaire dépose effectivement une demande devant celui-ci. Nous considérons qu'il y a une meilleure façon de le faire que celle qui est proposé par le projet de loi et qu'il faudrait pour cela étendre l'application de l'article 100 de la loi aux autres affaires civiles. On préserverait ainsi le droit de recevoir une notification. L'un des inconvénients de la formulation actuelle du projet de loi, à nos yeux, c'est le fait qu'il ne semble pas que le commissaire soit tenu d'avoir un motif raisonnable de croire que la cause mérite d'être entendue.

Il n'est pas nécessaire non plus qu'une limitation ou qu'un blocage substantiel de la concurrence risque de résulter de l'activité incriminée. Il faut simplement qu'il y ait un dommage causé à la concurrence, et il se peut qu'il ait été infligé à un concurrent. Il n'y a peut-être aucun dommage qui ait été causé à la concurrence et il se peut de toute façon qu'il ne soit pas substantiel. Il n'est pas prévu de notifier les parties contre lesquelles est prononcée l'ordonnance. Nous nous inquiétons de l'absence d'équité procédurale qui en découle étant donné qu'une infraction aux dispositions de l'ordonnance peut entraîner des pénalités pour les parties en cause. Nous estimons qu'il est légitime que les parties concernées aient le droit de recevoir une notification et puissent intervenir au sujet de l'ordonnance avant qu'elle soit prononcée.

Si j'en ai encore le temps, j'aimerais dire aussi quelques mots de la saisie du tribunal par des intérêts privés afin que vous sachiez quel est notre point de vue sur la question. Nous avons fait figurer dans notre mémoire, celui que nous vous ferons parvenir plus tard, nos réactions à l'issue de la tenue du Forum des politiques publiques, qui a traité des dispositions du projet de loi C-472 sur la question. On ne s'accorde pas à l'unanimité sur le bien-fondé de ces dispositions; nous sommes très partagés sur la question au sein de l'ABC. Toutefois, malgré l'absence de consensus concernant l'utilité de ce genre de réforme, je pense que l'on s'accorde à dire qu'il est important de prévoir des dispositions empêchant le recours à des poursuites stratégiques et que les parties qui demandent réparation doivent être obligées de s'en tenir aux domaines directement et nettement touchés, sans se contenter de simples allégations. Il faut non seulement que ce soit dans des domaines directement touchés, mais en outre qu'ils aient été touchés de manière substantielle.

• 0925

Nous considérons par ailleurs que si les dispositions de la loi s'appliquant au refus de vendre peuvent faire l'objet de ce genre de poursuites intentées par des intérêts privés, il faut que l'on puisse appliquer en outre le critère des effets sur la concurrence que prévoit l'article 75 de la loi pour s'assurer que la concurrence est bien touchée. Aucune disposition de ce genre ne figure dans la loi actuelle, et même si je pense que le Bureau de la concurrence administre le régime en partant du principe qu'il en est bien ainsi, une fois que les tiers interviendront dans les poursuites, on ne peut penser que ce ne sera toujours le cas. Par conséquent, je considère qu'il est prouvé qu'à partir du moment où l'on autorise des intérêts privés à saisir le tribunal, il est indispensable d'incorporer à la loi une disposition traitant des effets sur la concurrence.

Je vous remercie de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions au moment venu.

La présidente: Merci, monsieur Kennish.

Nous allons maintenant donner la parole au professeur Thomas Ross.

M. Thomas W. Ross (professeur, témoignage à titre personnel): Merci, madame la présidente. Honorables membres, c'est pour moi un grand plaisir de venir vous communiquer mon point de vue au sujet du projet de loi C-23.

Tout d'abord, je tiens à bien vous préciser que je comparais en mon nom propre—il s'agit là de mon point de vue personnel—tout en faisant quelques réserves au sujet de mes compétences dans ce domaine. Certes, même si je travaille la plupart du temps dans le secteur de la politique de la concurrence, je suis bien loin d'avoir fait des études détaillées dans les domaines qui relèvent des dispositions du projet de loi C-23. Mon point de vue s'appuie donc sur les idées émanant de mes collègues, que j'ai réinterprétées. J'espère néanmoins qu'il vous sera utile.

J'ai effectué certains travaux au sujet de l'article 75, qui traite du refus de vendre, et je reviendrai largement sur cette question un peu plus tard.

Je ne veux pas vraiment commenter les dispositions traitant de la «documentation trompeuse», parce qu'elles sont très loin des domaines dans lesquels je travaille, qui concernent davantage la politique de concurrence proprement dite que les questions liées à la protection des consommateurs.

Je ferai pour commencer quelques observations. Je pense que vous avez reçu mon exposé, qui est plus détaillé, et je me contenterai d'en exposer rapidement les grandes lignes pour les besoins du comité.

Au sujet tout d'abord des dispositions attribuant de nouveaux pouvoirs au Tribunal de la concurrence, je me contenterai de dire de manière générale que l'ensemble des dispositions du projet de loi C-23 vont venir compléter heureusement l'arsenal mis à la disposition de la politique sur la concurrence au Canada. Je pense que de manière générale ce seront là des améliorations très utiles.

Personnellement, j'ai surtout cherché à faire améliorer l'article 45. Je suis sûr qu'il y a d'autres questions qui se présenteront plus tard et dont je me ferai un plaisir de vous parler à un autre moment. Toutefois, je pense que les modifications apportées au projet de loi C-23 sont par ailleurs très utiles.

En ce qui a trait aux nouveaux pouvoirs accordés au tribunal, je pense que c'est une bonne chose d'accorder au tribunal la possibilité de prononcer des ordonnances temporaires ou provisoires. Je considère qu'il est justifié—même si éventuellement la question est plus juridique qu'économique—que ce pouvoir appartienne au tribunal et non pas au commissaire, ce qui est prévu par le paragraphe 104(1) en ce qui concerne l'industrie aérienne. Je juge préférable que ce pouvoir appartienne au tribunal.

Je partage les préoccupations exprimées par Tim Kennish au nom de l'ABC. J'aimerais que l'on exige que pour prononcer une ordonnance le tribunal soit préoccupé par un manque de concurrence et non pas par le fait qu'un concurrent soit menacé. Je serais un peu plus tranquille si l'on prévoyait dans ce texte que le tribunal doit se préoccuper de l'effet sur la concurrence du préjudice causé à un concurrent.

Madame la présidente, j'ai noté en consultant les transcriptions de vos délibérations que vous avez posé une excellente question au commissaire: si jamais nous obtenions ces ordonnances temporaires, est-ce qu'il aurait encore besoin du nouveau paragraphe 104(1), qui remet ce genre de pouvoir entre les mains du commissaire en ce qui a trait à l'industrie aérienne? Je ne pense pas que ce soit le cas. Il m'apparaît très justifié de se débarrasser de cette disposition et de faire en sorte que ce nouveau pouvoir s'applique uniformément à tous les secteurs économiques du Canada.

Les décisions prises selon une procédure sommaire et l'adjudication des dépens semblent être de bonnes idées, surtout si nous envisageons finalement d'autoriser éventuellement des intérêts privés à saisir le tribunal. Cela doit permettre au tribunal, selon les termes employés par le commissaire, de contrôler un peu mieux sa procédure.

Je pense qu'il est possible, même si je ne veux pas en faire trop dans ce domaine, que l'on adjuge les dépens dans un peu plus d'affaires que n'en prévoit le projet de loi C-23. Je reviendrai là aussi sur cette question un peu plus tard.

La possibilité de procéder à des renvois devant le tribunal me paraît très utile. Bien souvent, ces différents s'éternisent parce que les parties ne sont tout simplement pas d'accord sur la façon dont le tribunal va se prononcer sur telle ou telle question essentielle. Dans la mesure où cette question pourra être réglée plus tard, il est possible qu'une solution puisse être trouvée en moins de temps et à moindres frais. Je n'en dirai pas plus au sujet des nouveaux pouvoirs conférés au tribunal.

• 0930

L'enregistrement automatique des ordonnances impliquant un consentement me paraît être lui aussi une bonne idée. On s'était inquiété de voir que la procédure d'ordonnance en cas de consentement ne donnait pas les résultats prévus. Ce n'est pas moi qui ai rédigé ces dispositions mais, en tant qu'observateurs nous voulions, ou nous espérions, que le tribunal autorise de manière générale les ordonnances impliquant un consentement et ne les modifie que dans des circonstances bien particulières. Le tribunal a jugé bon de se servir de ses pouvoirs pour revenir sur ces ententes un plus que nous le souhaitions, ce qui bien entendu a jeté un froid chez les intéressés. Les personnes concernées sont bien moins disposées à se présenter avec le commissaire devant le tribunal en recourant à des ordonnances impliquant un consentement.

Je ne sais pas comment on pourrait faire—et j'imagine que cette tâche incombe ici aux juristes—mais dans l'idéal, il faudrait que l'on conserve encore la possibilité de revoir ces ordonnances dans des circonstances bien spéciales, conformément à ce que j'avais souhaité pour ma part. J'aimerais qu'il y ait une soupape de sécurité lorsqu'une entente passée entre le commissaire et les parties ne reflète peut-être pas vraiment les réalités du marché—éventuellement parce que le personnel du commissaire était surchargé de travail, parce qu'un élément d'information important lui a échappé, ou pour toutes autres raisons. Je ne sais pas vraiment comment on pourrait prévoir ce genre de dispositions.

Je ferai quelques observations au sujet des nouvelles dispositions permettant au commissaire d'émettre des avis qui lient les parties. J'ai entendu, et j'imagine que c'est aussi le cas de votre comité, des responsables de petites entreprises—je ne sais pas pourquoi ils se sont adressés à moi—se plaindre amèrement de ces dispositions. Ce qui les inquiète, c'est que le commissaire donne pratiquement carte blanche aux grosses entreprises, qui peuvent alors écraser les petites sans que ces dernières n'aient de possibilités de recours puisque le commissaire a émis un avis liant les parties en vertu duquel telle ou telle pratique—vente liée ou autre—n'est pas répréhensible.

Disons qu'il y a deux façons d'interpréter la chose. D'un côté, on peut dire que les petites entreprises recherchent uniquement une protection. Elles voudraient pouvoir lier les mains des grosses au moyen de la Loi sur la concurrence afin d'acquérir un certain avantage sur le plan de la compétitivité. Nous ne sommes pas tenus de leur donner satisfaction sur ce point.

Il y a cependant une autre interprétation, qui à mon avis leur est plus favorable et qui correspond davantage à la vérité. Cela consiste à dire qu'elles aimeraient bien être certaines que l'on tient compte de leurs intérêts lorsqu'on émet ces avis, afin que le commissaire... Cette question relève peut-être davantage de l'application de la loi que de sa rédaction, mais il n'en reste pas moins que ces petites entreprises ont effectivement, à mon avis, le droit d'être entendues pour que les répercussions de l'autorisation de telle ou telle activité—vente liée, par exemple—soient prises en compte.

Je pense que l'on s'inquiète en quelque sorte du fait que ces avis vont rester confidentiels ou secrets jusqu'au moment où ils vont être soudainement publiés. À ce moment-là, il est trop tard. Ces entreprises n'auront pas eu leur mot à dire et les répercussions les concernant, qu'éventuellement le commissaire n'aura jamais pu vraiment apprécier, ne seront pas prises en compte.

Cette recommandation relève peut-être davantage de l'application que de la rédaction de la loi, mais j'espère que si jamais cette disposition entre en vigueur, le commissaire prendra toutes les précautions qui s'imposent pour être pleinement informé des répercussions de l'émission de ces avis, même s'il faut pour cela consulter les concurrents et, parmi ceux-ci, les petites entreprises. Enfin, si les parties qui prennent connaissance de cet avis s'opposent à la publicité qui en découle, le commissaire pourra toujours dire: «Oh, très bien. Je n'émettrai pas d'avis liant les parties».

La question de l'entraide juridique relève davantage du droit que de l'économie. Il est effectivement logique, alors que nous sommes en pleine mondialisation, de collaborer au plan international. Nous avons vu les avantages de la coopération internationale lorsqu'on s'en est pris aux cartels multinationaux. Nous avons besoin du même genre de coopération en matière civile, notamment en ce qui a trait aux fusions. La procédure de révision des fusions internationales va vraiment causer bien des tracas aux sociétés concernées. Si l'on peut parvenir à alléger le fardeau et à faciliter la procédure en incitant à une meilleure collaboration entre les divers organismes de lutte contre les coalitions, il faut le faire.

• 0935

Voilà tout ce que j'avais à dire au sujet de la saisie du tribunal par des intérêts privés, notamment en ce qui a trait aux dispositions de l'ancien projet de loi C-472.

Il est indéniable que la portée de l'application des lois antitrust est bien moindre au Canada qu'aux États-Unis, puisque ces derniers peuvent compter sur deux organismes, sur les procureurs généraux des États et sur les recours privés. La majorité des recours intentés contre les coalitions aux États-Unis sont de nature privée et sont motivés par la possibilité d'obtenir de triples dommages-intérêts.

Il faut absolument éviter de copier le modèle américain, mais je pense qu'il est tout à fait possible de justifier—je n'en étais pas absolument convaincu au départ mais l'on a réussi à me démontrer l'intérêt de la chose ces dernières années—de faire respecter plus strictement les lois, et il est probable qu'il faut que cela provienne en partie du secteur privé.

Une grande partie des affaires qui semblent porter sur des questions de concurrence résultent en fait de différends se rapportant à des contrats privés passés entre les parties. Je le constate plus particulièrement en ce qui a trait aux dispositions portant sur le refus de vendre, que j'ai pas mal étudiées. On ne peut pas dire vraiment qu'elles ne mettent pas en jeu la concurrence, mais les avantages qui en découlent sont si concentrés et si privés, par opposition à l'intérêt public, qu'il est tout à fait logique que les parties cherchent elles-mêmes à obtenir réparation, notamment lorsqu'elles ne réussissent pas à convaincre le commissaire, qui doit composer avec des ressources limitées, d'accepter l'affaire et d'en faire une priorité.

Je pense que les dispositions du projet de loi constituent un bon point de départ. L'article 75 sur le refus de vendre et l'article 77, qui s'applique aux ventes liées, aux conditions imposées au marché et aux contrats exclusifs, sont tout indiqués pour lancer un recours privé.

Il faut cependant faire ici une réserve importante, comme l'a indiqué par ailleurs Tim Kennish. Je vous demande d'éviter d'accorder un recours privé au titre de l'article 75 tant qu'il n'existe pas un critère permettant d'apprécier les effets sur la concurrence. Rien ne dit dans la loi actuelle qu'il faut que le refus ait porté préjudice à la concurrence. Au cas où le tribunal pourrait être saisi par des intérêts privés sans que l'on apporte des modifications à la loi, un entrepreneur pourrait tout simplement décider de devenir le distributeur d'une entreprise donnée et s'efforcer de recourir à la Loi sur la concurrence pour s'imposer en tant que distributeur, même s'il ne l'a jamais été auparavant et s'il peut être tout à fait justifié sur le plan commercial de refuser de lui accorder un contrat de distribution.

Je considère donc qu'il est très logique d'accorder une possibilité de recours privés au titre de l'article 75, mais à condition que cet article soit révisé en prévoyant, comme à l'article 77, un critère permettant de juger de la diminution de la concurrence.

Il ne s'ensuit pas pour autant que le bureau ne va jamais prendre en charge des affaires au titre des dispositions de ces articles. Si une pratique se généralisait, le bureau pourrait très bien vouloir prendre en charge une affaire pour préciser le droit, apporter une précision ou épargner à la population bien des frais en lui évitant d'intenter des recours privés multiples. Il se peut d'ailleurs que dans certains cas un grand nombre de petites entreprises soient lésées par un comportement qui, à leur niveau ne justifie pas vraiment un recours privé, ce qui n'empêchera pas le commissaire de vouloir se saisir en leur nom de l'ensemble de l'affaire.

On s'inquiète de la possibilité d'une utilisation stratégique de la loi, ce qui à mon avis est le cas aux États-Unis—les entreprises cherchant à se prévaloir de la loi pour s'en prendre à des rivaux plus efficaces. Je doute cependant qu'il y ait là un problème. Pour commencer, il n'y a aucune disposition s'appliquant aux dommages-intérêts, même simples. Il faut payer ses propres frais et le tribunal n'a pas le pouvoir de trancher assez rapidement ces affaires, du moins étant donné les autres dispositions du projet de loi C-23.

Je ne suis donc pas vraiment inquiet au sujet de l'utilisation stratégique de la loi. En fait, j'ai l'impression qu'on n'en fera pas vraiment un grand usage. Nous autorisons des recours privés depuis le milieu des années soixante-dix au plan pénal et l'on a vu très peu de causes être portées en justice dans ce domaine—et pourtant les demandeurs peuvent obtenir des dommages-intérêts. J'ai donc l'impression qu'il ne se passera pas grand-chose.

D'ailleurs, vous pourriez même envisager à un moment donné d'autoriser le remboursement des dépens dans ces affaires. Il peut être raisonnable d'envisager de rembourser les dépens du demandeur qui plaide avec succès qu'il a été lésé par un refus de vendre contraire aux dispositions de l'article 75.

On pourrait même finalement envisager d'étendre la possibilité de recours privés aux dispositions de l'article 79, qui traite de l'abus d'une position dominante, mais je pense qu'il est probablement plus sage de ne pas se lancer tout de suite dans cette voie. Cette disposition a une portée très large qui couvre un grand nombre de comportements assez mal définis. À mon avis, il est probablement préférable de s'en tenir pour l'instant à l'article 75.

Voilà qui met fin à mon exposé, madame la présidente. Je suis tout disposé à répondre à vos questions.

La présidente: Merci, professeur Ross.

Nous allons maintenant donner la parole à l'honorable Howard Wetston.

M. Howard I. Wetston (témoignage à titre personnel): Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de m'avoir invité aujourd'hui.

Vous voulez peut-être, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, savoir pour quelle raison je suis ici aujourd'hui. C'est une opinion personnelle que j'exprime essentiellement ici. Je suis vice-président de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario mais mon exposé n'exprime pas le point de vue de la commission. Je n'ai pas réussi à faire en sorte que les membres de la commission s'entendent sur la bonne voie à suivre dans ce projet de loi.

• 0940

En ce qui me concerne, il y en a peut-être parmi vous qui savent que j'ai été commissaire à la concurrence de 1989 à 1993. J'ai pris un congé pour siéger pendant cinq ans et demi à la Cour fédérale et j'ai ensuite décidé de me consacrer en priorité à la réglementation des valeurs mobilières. C'est en cette qualité que je suis ici aujourd'hui.

J'ai passé une partie considérable de mon temps dans ce domaine, même si ce n'est pas récent. Ma dernière expérience importante des politiques et de la Loi sur la concurrence date de 1993. Cela ne veut pas nécessairement dire, toutefois, que je n'ai pas d'avis sur un certain nombre de ces questions.

Je vais discuter rapidement des recours privés. J'ai passé en revue le projet de loi C-23 et j'ai examiné de très près les travaux de votre comité, mais j'ai jugé préférable de m'en tenir strictement à cette question, qui me paraît très controversée.

Pour préparer mon témoignage d'aujourd'hui, j'ai lu un certain nombre de témoignages et de transcriptions de vos délibérations. Je tiens simplement à dire que je sais bien dans quel contexte toutes ces questions ont été évoquées. Je pense que l'on a fait un excellent travail mais, comme l'a dit Hemingway, il ne faut pas confondre l'action et le mouvement.

Pour l'essentiel, je considère qu'il importe aujourd'hui d'agir. Je considère que votre comité a eu raison de conclure en juin 2000, dans son rapport provisoire, qu'il serait bon d'apporter des modifications à la Loi sur la concurrence pour autoriser les recours privés devant le Tribunal de la concurrence. Je suis convaincu qu'il est temps de le faire.

Voilà plus de 30 ans que l'on discute, sous une forme ou sous une autre, des possibilités de recours privés au Canada. Le débat a été lancé en 1969 par le Conseil économique du Canada. Je n'y étais pas, mais je n'ai pas manqué de prendre part à ces discussions peu de temps après.

Je considère que la démarche adoptée dans le projet de loi C-472 est très prudente, tout en étant très logique. Elle est très logique, parce que le Canada est prêt à accepter un tel recours—notre économie est prête à l'accueillir. La justice exige que les intérêts privés aient recours au Tribunal de la concurrence. On peut prévoir des recours privés partout ailleurs, mais il n'y a aucune raison de les interdire devant le Tribunal de la concurrence, étant donné la nature des compétences de ce dernier.

J'ai longuement réfléchi pour savoir jusqu'à quel point nous pouvions faire appliquer strictement les lois sur la concurrence dans notre pays. Nous aimons nous comparer aux États-Unis. Nous nous comparons aux pays de l'OCDE et nous nous posons invariablement les questions suivantes: «Jusqu'à quel point pouvons-nous tolérer une application stricte des lois sur la concurrence? Jusqu'à quel point pouvons-nous tolérer des dispositions répressives dans notre société?»

À mon avis, les dispositions favorisant les recours privés seront très bénéfiques parce qu'elles élargiront le champ de la concurrence, que ces recours soient intentés par des fonctionnaires ou par des intérêts privés devant le tribunal. J'estime personnellement que l'on n'a jamais bien appliqué les dispositions réprimant les restrictions verticales imposées au commerce au Canada.

Pour votre information, j'étais sous-directeur préposé à la concurrence lorsque l'affaire NutraSweet est passée devant le tribunal. J'ai déposé le dossier de l'affaire Chrysler. J'ai déposé celui de l'affaire Xerox et, malheureusement, celui de l'affaire Southam. Une victoire en ce domaine n'est pas une bonne ou une mauvaise chose, pour des raisons évidentes—c'est une question de politiques publiques.

Toutefois, ce n'est pas parce qu'il n'y a qu'une répression limitée des restrictions verticales imposées au commerce que la loi est respectée. J'ai bien peur que nous ne sachions pas dans quelle mesure la Loi sur la concurrence est respectée au Canada, étant donné l'absence de répression dans ce domaine.

Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit qui empêche que l'on s'oppose à la concurrence en imposant des restrictions verticales au commerce au sein de notre économie. Je le dis pour bien des raisons que connaît parfaitement votre comité: les coûts; le fait que le Bureau de la concurrence ne peut pas prendre en charge ces affaires par manque de ressources; le manque d'intérêt; l'insuffisance de l'enjeu; le fait que cela ne s'applique pas à suffisamment de provinces ou que l'enjeu ne soit pas suffisamment national. Quelles que soient les raisons, à mon avis, il n'y a pas d'élément dissuasif.

S'il n'y a pas d'élément dissuasif permettant de s'opposer aux restrictions verticales imposées au commerce, certaines entreprises vont donc en souffrir. Ce seront parfois de grosses entreprises, et d'autres fois des petites, mais en fait nous n'en savons rien. C'est pourquoi nous devons habiliter les entreprises à intenter individuellement des recours devant le tribunal pour faire valoir leur cause.

Au nom du droit et de la justice dans notre pays, il nous faut habiliter les entreprises à procéder ainsi. Aujourd'hui, il n'appartient pas uniquement aux fonctionnaires d'être les gardiens des lois sur la concurrence. Je ne pense pas que nous en soyons encore à ce stade de développement de notre économie, et je pense que le fait de ne pas accorder cette possibilité dans notre loi actuelle représenterait un recul.

• 0945

Sans faire plus de discours, je vais maintenant vous donner un certain nombre des raisons pour lesquelles je considère que les recours privés sont une bonne chose. J'ai lu beaucoup d'analyses au sujet du coût des procès et des poursuites stratégiques, et je connais bien la question. La chose n'est pas nouvelle. À titre d'information, je vous signale que la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario vient de rédiger un projet de loi que nous avons fait parvenir au ministre des Finances de l'Ontario. Le ministre n'a pas encore accepté de s'intéresser à ce projet de loi ou à cet amendement particulier, mais il s'agit là d'une modification apportée à la Loi sur les valeurs mobilières qui s'apparente aux dispositions dont nous parlons aujourd'hui.

Cette modification conférerait aux investisseurs qui revendent des actions le droit de poursuivre une société publique ayant représenté ses activités de manière erronée. Cette modification comporte un garde-fou. L'autorisation du tribunal serait nécessaire. Des dispositions prévoient que les dépenses sont défrayées par la partie qui perd la cause. Je sais que vous connaissez bien la question étant donné qu'on retrouve les mêmes éléments au projet de loi C-472. C'est pourquoi je voulais simplement vous signaler que nous faisons face au même genre de situation sur le marché secondaire en ce qui a trait à la divulgation permanente.

À mon avis, tout se ramène à l'intérêt général. Qu'exige l'intérêt du public? Il exige des recours privés, mais il ne s'agit pas ici simplement de concurrence ou d'entreprises privées; il y a des questions plus vastes qui doivent être considérées dans le cadre de ces modifications. Il est dans l'intérêt général d'élargir la concurrence sur nos marchés.

La loi a été modifiée il y a 15 ans. Je suis entré au bureau à ce moment-là. Je pense qu'il faut maintenant que le gouvernement du Canada modifie à nouveau la loi afin de prévoir ces dispositions. Les travaux de votre comité pourraient cependant être particulièrement utiles lorsqu'il s'agira d'étudier la formulation de la modification visant à répondre aux préoccupations que j'ai soulevées.

Je pense que votre comité pourrait proposer et concevoir un projet de loi tenant compte des différentes préoccupations des actionnaires. Vous avez fait une partie du travail dans le projet de loi C-472 ainsi que dans votre rapport provisoire. Vous vous êtes penché sur ces différentes préoccupations, mais il vous faut en faire davantage.

Je me contenterai de soumettre un certain nombre de choses à votre examen. Je ne vous recommande pas nécessairement de toutes les mettre en oeuvre. En plus d'exiger l'autorisation du tribunal et de ne prévoir des réparations qu'au titre d'une injonction, de faire payer les dépens par la partie qui perd sa cause et de prononcer des jugements en matière sommaire, toutes choses que vous envisagez, je crois, vous pourriez aussi exiger que les parties ne se communiquent qu'une partie de leur dossier. Vous pourriez réduire les possibilités de communication des dossiers par les parties. Vous pourriez limiter cette communication. Les avocats spécialisés dans les procès en seront mécontents, mais vous pouvez cependant limiter la chose.

Vous pourriez aussi éliminer purement et simplement cette communication des dossiers, même si cela entraînerait vraisemblablement une levée de boucliers. Vous pourriez exiger que les parties s'entendent sur les faits chaque fois que c'est possible et vous pourriez demander la tenue d'une audience préalable par l'un des membres du tribunal pour s'assurer que les parties s'accordent sur un maximum de points de façon à limiter les points en litige, ou les faits contestés, lors de l'audience.

Vous pourriez limiter le nombre de témoins. Vous pourriez restreindre la portée des témoignages. Vous pourriez décréter que les règles de pratique du tribunal—et je sais, bien entendu, que les avocats qui plaident s'y opposeraient avec la dernière énergie—vous autorisent à limiter le nombre de témoins.

Vous pourriez aussi limiter le nombre d'experts. Les restrictions verticales du commerce exigent de nombreuses analyses économiques, mais vous n'avez pas besoin de quatre ou cinq témoins comme Tom Ross qui déposent à titre d'expert. Vous pourriez en limiter le nombre et n'en avoir qu'un ou deux. Il serait le meilleur en la matière.

Vous pourriez limiter la portée de l'audience. Vous pourriez aussi limiter les interventions. Je dois vous avouer que je ne suis même pas sûr qu'il vous faille faire intervenir le commissaire. S'il choisit de ne pas s'occuper de l'affaire, vous pourriez laisser les parties s'en charger; laissez le Tribunal de la concurrence trancher l'affaire. C'est lui qui décidera quelles sont les questions qui relèvent de l'intérêt public. Le critère appliqué sera celui de la concurrence, mais l'intérêt public motive le tribunal—la Section d'appel de la Cour fédérale du Canada l'a déclaré dans l'affaire Superior Propane. Vous pourriez donc procéder ainsi.

Vous pourriez prévoir un délai de trois à quatre mois pour mettre fin aux audiences. Si des poursuites sont intentées, il faudra que l'affaire soit réglée en trois ou quatre mois.

Il y a un certain nombre de choses que vous pourriez faire. Vous pourriez aussi prévoir une révision au bout de cinq ans. Vous pourriez demander au commissaire à la concurrence de vous présenter au bout de cinq ans un rapport attestant du bien-fondé ou de la réussite des recours privés au Canada. Est-ce que l'on se sert de cette procédure? Est-ce qu'elle fait l'objet d'une utilisation stratégique? Quels en sont les coûts? Vous pourriez insérer cette disposition dans la loi à titre de précaution, pour que le public sache que le gouvernement s'engage à revoir la question afin de déterminer si ces nouvelles dispositions sont bénéfiques ou non.

• 0950

Merci, madame la présidente.

La présidente: Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par M. Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): je souhaite la bienvenue ce matin au groupe de témoins. On vient d'entendre de bons arguments et d'excellentes propositions concernant la façon dont on pourrait améliorer les dispositions et l'efficacité de la Loi sur la concurrence au Canada. J'aimerais approfondir un peu le sujet avec vous ce matin—jusqu'à quel point notre Loi sur la concurrence est efficace. Est-ce que certains secteurs de notre économie devraient être exemptés de l'application de la Loi sur la concurrence? L'industrie du transport aérien en est un exemple...certaines de nos entreprises commerciales, le secteur réglementé, etc.

L'autre question que j'aimerais évoquer, tout particulièrement avec M. Wetston, qui semble proposer que les recours privés relèvent uniquement de la procédure civile, ce sont les raisons pour lesquelles il nous faudrait limiter le nombre de témoins, le temps consacré aux affaires. N'y a-t-il pas déjà une certaine jurisprudence au sein du Tribunal de la concurrence et n'y a-t-on pas déjà jugé suffisamment d'affaires pour que les entreprises et les particuliers qui veulent intenter des recours sachent à quoi ils ont affaire? S'il s'agit d'une affaire complexe, on ne pourra peut-être pas s'en tenir à un délai de six mois. Pourquoi voudriez-vous imposer des barrières artificielles dans un tel cas?

Si nous en avons le temps, j'aimerais aussi que l'on compare les pouvoirs du commissaire à la concurrence et ceux du tribunal. Est-ce que l'on a maintenu un bon équilibre?

La présidente: Par qui voulez-vous commencer, monsieur Penson?

M. Charlie Penson: J'aimerais demander à chacun des témoins quelle est l'efficacité de la Loi canadienne sur la concurrence, c'était là ma première question, et s'il fallait exempter certains secteurs.

La présidente: Je pense que nous pourrions demander à chacun d'entre vous de répondre à cette première question, après quoi nous verrons s'il nous reste du temps. Qui veut commencer?

Monsieur Kennish.

M. Tim Kennish: Je pense que le principe qui s'applique aux secteurs réglementés, qui exclut plus ou moins de l'application du projet de loi les secteurs d'activité commerciale qui sont soumis à d'autres forces que celle de la concurrence, doit rester en dehors de l'application de ce projet de loi. J'estime que ce projet de loi est d'application générale. La concurrence est un principe très fort et déterminant de rationalisation des comportements qui contribue à protéger le public et qui est source d'efficacité, et je m'oppose donc par principe à ce qu'on l'exclut de certains secteurs d'activité. Je reconnais qu'il y a d'autres forces qui jouent.

M. Thomas Ross: C'est avec plaisir que je dirai moi aussi quelques mots à ce sujet. Pour aller dans le sens de l'intervention de Tim Kennish, il y a de manière générale un certain intérêt à exempter de l'application de la Loi sur la concurrence des secteurs de l'économie qui sont par ailleurs réglementés, comme nous avons réglementé par le passé le prix du téléphone ou de l'électricité. Cela étant dit, la plupart des spécialistes de la concurrence, et je me réfère ici peut-être davantage aux économistes qu'aux juristes, ne sont pas prêts à accepter que l'on exempte de l'application de la Loi sur la concurrence tel ou tel secteur d'activité.

Tout d'abord, il m'apparaît que vous avez le choix. Vous pouvez déclarer que le secteur sera régi par la concurrence ou que vous allez mettre en place la structure de réglementation qui s'impose. Il vous faut faire l'un ou l'autre. Si vous avez décidé que tel secteur allait être régi par la concurrence, il ne faut lui appliquer aucune disposition spéciale. L'inconvénient de la mise en place de dispositions spéciales, c'est que l'on crée des attentes correspondantes dans le secteur considéré. Si le secteur bancaire, puis aujourd'hui le secteur des transports, bénéficient de dispositions spéciales, tout autre secteur qui va se trouver aux prises avec quelques difficultés voudra lui aussi bénéficier de certaines facilités de façon à pouvoir pratiquer des ententes ou faire ce qui lui plaît. Tous vont vouloir bénéficier de dispositions spéciales.

À titre de responsable de la réglementation de l'activité économique, il vous arrivera éventuellement de décider que la simple concurrence ne peut pas donner des résultats satisfaisants, comme on l'a déjà fait, par exemple, pour la fixation des prix des services publics. Très bien; il vous faudra alors mettre en place un régime réglementaire transparent dont les objectifs sont bien définis. Si vous avez déclaré que tel secteur devrait être placé sur le même plan que le reste de l'économie et devrait être soumis au jeu de la concurrence, il faudra alors que la loi s'applique à ce secteur de la même manière qu'à tous les autres.

M. Charlie Penson: Monsieur Ross, excusez-moi d'intervenir, mais la question du transport aérien vient immédiatement à l'esprit étant donné qu'il est mixte.

M. Thomas Ross: Effectivement. Il n'est pas facile de dire dans quelle mesure certains secteurs sont réglementés. Il y a certains secteurs du transport aérien qui restent réglementés. Nous avons estimé de manière générale que le prix des billets allait être soumis au jeu de la concurrence, du moins dans la partie sud du pays, avec éventuellement certains ajustements dans le Nord. Nous avons désormais des dispositions spéciales qui s'appliquent au transport aérien, dont nous sommes nombreux à nous inquiéter et que nous aimerions bien voir disparaître.

• 0955

La présidente: Monsieur Dillon.

M. John Dillon: Sur la question générale de savoir si nos lois sur la concurrence fonctionnent bien, comme je l'ai dit dans mon exposé, nous considérons que dans l'ensemble la loi donne d'assez bons résultats.

Je ne suis évidemment pas d'accord, jusqu'à un certain point, avec M. Wetston, qui s'inquiète de toute évidence de l'application de la loi et qui part du principe qu'elle n'est éventuellement pas respectée ou que tout simplement on ne sait pas si elle l'est. J'aimerais que l'on nous donne quelques exemples précis parce qu'il est clair, de notre point de vue, que la loi donne d'assez bons résultats.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, on se pose certainement des questions au sujet des ressources mises à la disposition de la commission. Les autorités responsables ont toujours un choix à faire lorsqu'elles décident de poursuivre ou de ne pas poursuivre une affaire pour faire respecter de manière générale la concurrence. Nous ne sommes pas convaincus qu'un problème fondamental se pose au sujet de l'application de cette loi au Canada.

M. Charlie Penson: Que répondez-vous, monsieur Dillon, au sujet des secteurs qui pourraient éventuellement être exemptés?

M. John Dillon: Je n'ai pas grand-chose à ajouter aux observations qui viennent d'être faites par M. Kennish et par M. Ross. Nous n'avons pas examiné en détail cette question au sein de notre organisation. Nous considérons effectivement que la Loi sur la concurrence est une loi d'application générale. Comme l'a indiqué M. Ross, une réglementation peut s'avérer nécessaire dans certains cas. Bien évidemment, le secteur du transport aérien pose un problème particulièrement épineux en ce moment. De manière générale, nous considérons que l'on doit régler ce genre de questions en faisant appel à la concurrence et non pas à des dispositions spéciales.

La présidente: Monsieur Wetston.

M. Howard Wetston: Je suis tout disposé à engager à n'importe quel moment le débat avec le CCCE au sujet de l'application de la loi, mais ce n'est pas notre propos aujourd'hui. J'invite donc ses responsables à le faire quand ils le voudront.

Pour répondre à votre question, je pense que pour l'essentiel mes collègues ont raison. Il faut bien voir qu'il reste de nombreux secteurs réglementés dans notre économie au sein desquels la politique de la concurrence continue à jouer un certain rôle, mais ce rôle évolue et il le fait depuis un certain nombre d'années. Même dans le secteur des valeurs mobilières, il y a un rôle à jouer pour la politique de la concurrence en dépit de l'énorme importance de la réglementation.

Pour ce qui est des secteurs exemptés, tout le monde pense évidemment aujourd'hui au transport aérien. Dans l'histoire du transport aérien, il y a eu tellement d'interventions du gouvernement que je considère que dans ce secteur l'évolution de l'organisation industrielle a été déterminée en grande partie par les politiques gouvernementales. La propriété étrangère en est un bon exemple.

Nous avons créé ici une situation qui permet très difficilement à ce secteur d'exercer sa concurrence de la façon que nous avons prévue. Pour l'essentiel, il ne serait pas judicieux de l'exempter de l'application de la loi et ce ne serait pas très conforme à ce que font les autres pays. Je ne pense pas qu'il serait dans l'intérêt général d'agir ainsi.

M. Charlie Penson: Quelqu'un a évoqué—et je ne suis pas sûr que ce soit vous—les entreprises de commercialisation d'État en ce qui a trait aux difficultés liées aux lois sur la concurrence sur le plan international. Nous avons nos propres entreprises de commercialisation d'État, qui ne pratiquent pas la transparence. Comment pourrait-on résoudre ce problème, selon vous, sur le plan de la coopération internationale et du droit de la concurrence?

M. Howard Wetston: Je n'ai pas vraiment réfléchi à la question aujourd'hui. La façon dont on l'aborde dans le projet de loi C-23 apparaît logique. Je ne vois pas vraiment où vous voulez en venir.

M. Charlie Penson: Prenons l'exemple de la Commission canadienne du blé.

M. Howard Wetston: Effectivement. Elle est fortement réglementée et la portée de l'application de la Loi sur la concurrence est donc limitée. Les télécommunications sont très réglementées, mais pas autant qu'avant, et la portée est donc plus grande.

M. Charlie Penson: Ce que je veux vous faire comprendre, cependant, c'est que si nous nous inquiétons au sujet d'autres pays ayant des entreprises de commercialisation d'État qui ne pratiquent pas la transparence, pourquoi n'aurions-nous pas les mêmes inquiétudes ici? Voilà où je veux en venir.

M. Howard Wetston: Je pense que votre argument se tient.

La présidente: Merci, monsieur Penson.

Nous allons maintenant donner la parole à M. Lastewka.

M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente.

Je voudrais consacrer mon intervention aux recours privés et je m'adresserai à ce sujet à l'Association du Barreau canadien et à M. Kennish.

Tout d'abord, je tiens à féliciter tous les intervenants de leurs témoignages ce matin.

• 1000

Monsieur Kennish, j'ai particulièrement apprécié votre rapport. Bien souvent, je ne sais pas vraiment quelle est la position adoptée par l'association du barreau lorsque j'ai fini de lire son rapport, mais j'ai trouvé celui-ci très clair. C'est pourquoi je veux consacrer mon intervention aux recours privés, au sujet desquels vous avez dit qu'il n'y avait pas de consensus. J'aimerais que vous me donniez le point de vue des deux camps et que vous me fassiez part de certains arguments pour ou contre les recours privés.

M. Tim Kennish: Avec plaisir.

Vous pouvez imaginer que les points de vue sont très divers au sein du barreau sur une question comme celle-là, dans laquelle on peut voir la possibilité d'étendre la pratique d'avocat, mais je pense que les membres du barreau sont suffisamment détachés des considérations matérielles pour faire état sans parti pris de leurs points de vue divergents concernant l'intérêt de cette mesure.

Parmi les sceptiques au sujet de cette réforme, il y a ceux qui estiment que dans la mesure où on peut considérer que c'est une disposition dont vont se prévaloir les petites et moyennes entreprises, dont le bureau ne s'occupait pas parce que leur importance est trop faible, parce qu'elles n'arrivent pas à éveiller l'intérêt, ou pour toute autre raison, la façon dont a opéré le tribunal jusqu'alors fait qu'aux yeux de bien des gens il est peu probable que cette mesure soit largement utilisée, pour des considérations de coûts, de temps et de lourdeur de la procédure. En proposant que l'on réforme davantage ces dispositions, Howard Wetston se fait l'écho, je pense, de la préoccupation selon laquelle on risque de ne pas procéder avec toute la rapidité nécessaire à ce genre de démarche et de ne pas y avoir largement recours.

Les autres opposants ont bien évidemment le même point de vue que celui qu'a exprimé ce matin M. Dillon en disant qu'en dépit de tous les garde-fous et de toutes les précautions prises dans la loi pour éviter les recours stratégiques, il ne sera tout simplement pas possible de les écarter complètement.

Je pense que ce sont là les arguments exprimés par les opposants, et nous avons effectivement passé en revue dans notre rapport les avantages et les inconvénients de la mesure.

Quant aux partisans de cette mesure, je pense qu'ils estiment que lorsqu'un dommage est causé, il faut qu'il y ait réparation et que le bureau n'a que des ressources limitées. Il lui faut nécessairement s'en tenir aux affaires qui ont des répercussions plus générales, telles que les fusions, les cartels ou autres, ce qui implique nécessairement qu'il va éviter de perdre son temps et va se désintéresser des petites affaires. Les concurrents sur le marché imposeront une plus grande discipline si chacun s'aperçoit qu'il peut être amené à rendre des comptes aux autres au cas où ses agissements leur porteraient préjudice.

Nous n'avons pas fait le compte exact des partisans et des opposants, mais cette question est débattue dans le cadre de la réforme de la Loi sur la concurrence depuis plusieurs années, et les avis ont toujours été bien partagés au sein du barreau sur cette question. Toutefois, je vous le répète, en dépit de ce désaccord, on s'entend sur le fait qu'à partir du moment où l'on met en place cette mesure, il faut qu'un certain nombre de garde-fous soient prévus dans la loi, et nous avons évoqué la question dans notre mémoire.

M. Walt Lastewka: Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci, monsieur Lastewka.

[Français]

Madame Girard-Bujold.

Mme Jocelyne Girard-Bujold (Jonquière, BQ): Merci, madame la présidente.

Messieurs, madame, j'ai bien apprécié vos points de vue sur plusieurs articles du projet de loi présentement à l'étude. Mais ce qui m'intéresse le plus, c'est l'article 45 de la loi, qui porte sur les complots.

Monsieur Ross, lors de votre témoignage du 4 mai 2000, vous disiez que vous aviez porté une attention particulière à cet article 45, qui porte sur les complots.

• 1005

Vous savez que depuis plus d'un an, toutes les régions du Canada ont subi des hausses extraordinaires du prix de l'essence. En ce moment, il y a une accalmie pour une raison que j'ignore. Dans ma région, nous avons formé un comité de citoyens. Ce comité de citoyens s'appelle la Coalition pour la défense des consommateurs de carburant. Comme vous, j'ai fait deux plaintes au Bureau de la concurrence en regard de l'article 45. Je demandais au Bureau de la concurrence d'enlever le mot «indûment», parce que le mot «indûment» ne lui permet pas de faire enquête sauf lorsqu'il a une preuve orale et écrite.

M. Ross et les autres témoins ont fait de la recherche, et j'aimerais les entendre, de même que l'ancien commissaire. Vous vous êtes occupés des enquêtes et de la recherche, et j'aimerais vous demander ceci. On fait présentement l'étude de nouveaux processus, de nouvelles façons de faire en ce qui a trait à l'article 45. Quelles modifications devrait-on y apporter pour protéger le consommateur et empêcher qu'il y ait une potentielle collusion des pétrolières?

[Traduction]

La présidente: Professeur Ross, je vous autorise à répondre à la question si vous voulez, mais je tiens à rappeler aux députés que nous parlons du projet de loi C-23 et des recours privés et que nous avons décidé de ne pas aborder d'autres sujets. Toutefois, je vais vous laisser répondre à la question si vous le souhaitez.

M. Thomas Ross: Certainement.

J'ai fait certaines études au sujet de l'article 45 et d'ailleurs, par une heureuse coïncidence, mon coauteur est assis à mes côtés. Avec Tim Kennish, nous avons rédigé une étude au sujet de l'article 45 en proposant une nouvelle approche à deux volets au sujet de cet article.

Tout d'abord, il s'agit de retirer l'adverbe «indûment» du texte afin de pouvoir obtenir plus facilement des condamnations en cas d'entente sur les prix, chose qui est bien trop difficile à l'heure actuelle.

Le deuxième volet de notre projet consiste à créer un deuxième type de recours civils en cas d'alliances stratégiques et de coparticipations, les entreprises concurrentes ayant pu se joindre dans un but tout à fait légitime—pour trouver de nouveaux débouchés, pour créer de nouveaux produits ou pour faire ensemble de la recherche. Nous ne voulons pas qu'elles risquent de se retrouver en infraction au titre du droit pénal. Il se peut que nous soyons opposés à leur entente et que nous considérions qu'elle est contraire à la concurrence, mais nous estimons que la chose est différente d'une entente sur les prix et nous jugeons qu'elle doit faire l'objet d'un autre type de recours, s'apparentant davantage à ceux qui s'appliquent en cas de fusion, où l'on peut présenter, par exemple, des arguments concernant le rendement.

Je considère donc qu'il est temps de réformer l'article 45 et j'espère que votre comité entreprendra bientôt cette tâche.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Madame, je vais reprendre l'article sur l'accès à la vie privée.

M. Wetston mentionnait que Hemingway disait qu'il ne fallait pas confondre le mouvement et l'action. Je suis bien d'accord avec vous, parce que quand on est en mouvement, on ne fait pas nécessairement des actes qui font avancer les choses.

Vous disiez également que c'était le moment opportun pour réformer cette loi quant à l'accès privé. Vous avez également mentionné qu'il ne fallait pas laisser seulement entre les mains des fonctionnaires la nouvelle façon d'avoir accès à la vie privée en regard des nouvelles directives de cette future loi. J'aimerais que vous élaboriez là-dessus, s'il vous plaît.

[Traduction]

M. Howard Wetston: Je ne suis pas sûr que dans les quelques minutes qui me restent je sois en mesure de développer bien davantage mon argumentation, sauf à vous dire que les recours privés s'imposent pour nombre de raisons dont votre comité a pris connaissance.

Pour l'essentiel, je pense que les arguments que nous avons entendus au fil des années restent les mêmes, et ils finissent par lasser. Ils ne sont le reflet d'aucune conception nouvelle de notre économie ou du statut juridique de ses participants. Ils ne sont le reflet d'aucune conception nouvelle de la tâche du tribunal—que l'on a beaucoup critiqué mais à qui on n'a pas vraiment donné la chance de faire ses preuves. Dans une certaine mesure, on est peut-être parti sur le mauvais pied dans l'affaire Palm Dairies, à laquelle j'ai pris part et, à partir de ce moment-là, on peut dire que le tribunal n'a pas vraiment réussi à faire sa marque.

• 1010

Mais essentiellement, un certain nombre de problèmes que j'ai soulevés au sujet des garde-fous peuvent être réglés. C'est dans l'intérêt public. Je ne vois absolument pas pourquoi seuls les fonctionnaires pourraient intenter ce genre de recours. Je suis d'accord en fait avec Tom Ross lorsqu'il nous dit qu'il convient d'apporter de très sérieux amendements à l'article 45 parce que nous nous sommes écartés de bien d'autres pays qui possèdent ce genre de dispositions, comme l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Lorsqu'on sait que nous ne pouvons faire appel qu'aux infractions pénales en matière d'ententes sur les prix, qui ne peuvent être prouvées que dans le cadre d'une procédure pénale très complexe—que je connais bien puisque j'ai débuté ma carrière en qualité de procureur dans ce domaine, ce qui fait que je sais bien à quel point il est difficile d'obtenir une condamnation... Et la Charte ne nous aide pas. C'est un texte magnifique, mais il ne nous aide pas à obtenir des condamnations dans ce domaine. Par conséquent, il nous faut donc revoir la question de la concurrence afin de mieux tenir compte des réalités de notre marché.

Je ne sais pas si cette réponse vous aidera beaucoup, mais voici comment j'évalue la situation aujourd'hui.

La présidente: M. Dillon veut lui aussi vous répondre.

Monsieur Dillon.

M. John Dillon: Merci, madame la présidente.

Il est évident que M. Wetston a bien élargi le débat avec certains de ses commentaires. J'aimerais faire une ou deux observations et je suis sûr que nous reviendrons sur le sujet.

Tel que nous voyons le monde actuel, la concurrence s'intensifie en réalité, lorsqu'on voit la façon dont la plupart des multinationales doivent opérer sur le marché. Il y a un grand débat pour savoir si la Loi sur la concurrence dont nous disposons aujourd'hui permet effectivement d'assurer aux sociétés implantées au Canada la possibilité d'exercer leur concurrence au plan mondial. Je reconnais que cela ne fait pas non plus partie du mandat actuel de votre comité, mais nous pouvons débattre utilement et longuement de l'état du droit sur la concurrence et de son application au Canada, et je suis sûr que je ne manquerai pas de le faire un peu plus tard aujourd'hui avec M. Wetston.

Il est important de reconnaître que nous parlons ici de changer le système. En compagnie des membres de mon organisation, je suis tout à fait convaincu que le fait d'autoriser davantage de poursuites dans le cadre de notre Loi sur la concurrence ne va pas nécessairement aider l'économie ou la compétitivité du Canada. C'est une question assez fondamentale. Je suis désolé d'apprendre qu'Howard est quelque peu fatigué d'entendre ces arguments, mais je ne pense pas que la réalité ait changé. Il ne s'agit pas là d'un programme d'emploi pour les avocats, du moins je l'espère—et je le dis en ma qualité de membre du barreau, ou d'avocat chargé des recouvrements, c'est le titre que je me donne parfois—et il n'est pas non plus nécessaire...

On a beaucoup discuté au sein de ce comité et dans d'autres instances du fait que l'on n'a jamais vraiment réussi à tirer tout le potentiel de ce tribunal, et de la nécessité de lui confier davantage d'affaires. C'est là aussi une question qui peut faire légitimement l'objet de discussions et d'un débat. La question est de savoir si nous voulons y parvenir au moyen des recours privés, qui pourraient faire intervenir un grand nombre d'intérêts privés qui ne cherchent pas vraiment à promouvoir la concurrence. Toute la question est là et je ne suis pas sûr que nous ayons les réponses aujourd'hui.

La présidente: Je vous remercie.

Merci, madame Girard-Bujold.

Je vais maintenant donner la parole à M. McTeague.

M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, madame la présidente.

En fait, monsieur Dillon, notre comité a très largement discuté des changements apportés à la Loi sur la concurrence. Ce qui est devant nous...avec l'aide du greffier, je veux m'assurer que les personnes qui sont venues témoigner aujourd'hui—et je les en remercie—ont une copie des modifications proposées au projet de loi C-472 traitant des recours privés.

Professeur Ross, vous avez indiqué dans votre mémoire—et je vous lis ce qui est écrit:

    Le projet de loi C-23 attribue au tribunal un nouvel ensemble de pouvoirs majeurs qui, de nombreuses façons, semble préparer l'attribution aux particuliers du droit de lui présenter une demande.

Je tiens à vous remercier et à vous féliciter de cette observation. Nombre des témoins ont omis d'en parler.

Considérez-vous que le projet de loi C-23 serait en quelque sorte incomplet si l'on n'y faisait pas figurer les recours privés?

M. Thomas Ross: Le projet de loi C-23 ne manque pas d'intérêt en l'état, sans les recours privés.

J'y pensais toutefois ces dernières semaines en préparant cette intervention, nombre des dispositions qu'il contient n'ont pas vraiment d'importance en l'absence de recours privés. Une partie du pouvoir de contrôle dont va disposer le tribunal sur son propre fonctionnement pourrait être utile, j'imagine, en l'absence de recours privés, mais il semble que ce soit vraiment sur ce point qu'il peut être mis à profit.

• 1015

Je suis d'accord avec Howard Wetston. Il est temps d'autoriser les recours privés. Vous avez ici un projet de loi qui va vous permettre de le faire d'une façon mesurée, prudente, sans vraiment donner la possibilité de recourir à la procédure à des fins stratégiques.

Je n'ai pas vraiment discuté de la question avec mes collègues juristes, mais j'ai oublié de dire tout à l'heure qu'il m'apparaît par ailleurs que si une entreprise était effectivement déterminée à intenter des poursuites stratégiques en se prévalant d'un recours privé, elle pourrait à son tour faire l'objet de poursuites en vertu de l'article 79, s'il s'agit d'une entreprise jouissant d'une position dominante qui cherche à protéger cette position grâce à des recours stratégiques.

Le projet de loi apparaîtra en quelque sorte incomplet. C'est comme si tout était prêt pour le grand changement et si l'on avait renoncé au dernier moment.

M. Dan McTeague: Professeur Ross, je me souviens d'avoir consulté certains transcriptions de séances antérieures de notre comité—avec votre permission, madame la présidente, qui remontent à l'année 1985 alors que l'on faisait état du même genre de préoccupations au sujet des recours spéciaux prévus par l'article 36 en craignant que le ciel nous tombe sur la tête, que bien entendu les entreprises arrêtent subitement de fonctionner et qu'il y ait un blocage des investissements.

Je relis tout ce qui a été dit il y a 10 ou 15 ans et j'écoute avec beaucoup d'intérêt les commentaires de certaines personnes qui, en dépit des précautions prises dans le projet de loi C-472 ou dans la modification que vous avez devant vous, continuent à affirmer que cela va donner un coup d'arrêt aux entreprises et aux investissements.

Je pensais que l'Association du Barreau canadien n'aurait pas manqué de saisir cette occasion d'intenter davantage de poursuites, si je prends au sérieux ce qu'a déclaré Warren Kinsella dans un récent communiqué de presse, affirmant que les grands gagnants allaient être les avocats qui plaident dans les procès.

Monsieur Dillon et monsieur Kennish, le modèle australien existe depuis un certain temps. Avant sa mise en oeuvre au cours des années 70, est-ce que l'on faisait déjà état de ce traumatisme profond comme l'ont fait ici certains témoins par le passé et comme vous venez juste de le faire, à l'idée que des intérêts privés pourraient intenter des recours? Est-ce que le ciel va vraiment nous tomber sur la tête si nous adoptons cette mesure, monsieur Dillon, et est-ce qu'elle ne va pas vous donner la possibilité d'avoir éventuellement davantage de membres que les 150 plus grosses sociétés de notre pays?

M. John Dillon: Tout d'abord, je pense que personne ne dit que le ciel va nous tomber sur la tête, et je rejette carrément cette image.

Je ne peux pas me prononcer sur ce qui a pu être dit devant votre comité ou auprès d'autres instances en 1985 ou ce qui aurait pu...en fait, je connais mal la situation australienne. Je connais les réticences et les préoccupations exprimées régulièrement par nos membres au fil des années en ce qui a trait à... Je reconnais que le projet de loi C-472, tel qu'il a été déposé à l'époque comportait un certain nombre d'améliorations par rapport à ce qui avait été discuté par le passé et que l'on a fait là un effort légitime et raisonnable pour essayer d'aménager un certain nombre de garde-fous susceptibles de remédier à un certain nombre de problèmes.

Nous avons évoqué la question. J'en ai discuté avec un certain nombre de responsables du milieu des affaires ainsi qu'avec nos membres, qui ne sont pas convaincus que ces dispositions sont suffisantes. En réalité, si une grosse entreprise, et même une petite, veut se servir de ces dispositions, on peut penser qu'elle pourra faire valoir sa cause sans qu'elle soit tranchée par voie sommaire. Les entreprises vont employer les avocats dont elles ont besoin—certains d'entre eux ayant été mentionnés par M. Kennish—pour les aider à monter leur dossier et elles vont tourner la difficulté d'un rejet par voie sommaire par le tribunal. Parallèlement, elles ne vont pas vraiment se laisser impressionner par l'adjudication des dépens, étant donné qu'elles seront d'ores et déjà prêtes à payer beaucoup d'argent pour avoir des collaborateurs qui s'occupent de cette affaire.

Donc, si quelqu'un est déterminé à se prévaloir de ces dispositions...c'est ce qui nous préoccupe et l'on a avancé qu'il en était ainsi dans une certaine mesure aux États-Unis, où l'adjudication des dépens et les triples dommages-intérêts incitent encore davantage les gens à intenter ces poursuites. Certaines de ces affaires sont utilisées à des fins stratégiques aux États-Unis sans que les entreprises cherchent nécessairement à être indemnisées au bout du compte, leur but étant tout simplement de gêner l'action de leurs concurrents.

Ce sont là nos préoccupations et, après en avoir longuement discuté, elles me paraissent subsister.

M. Dan McTeague: Monsieur Dillon, si vous partez alors du principe qu'il n'y a probablement aucun garde-fou susceptible de satisfaire vos membres, est-ce que ces derniers sont satisfaits d'un statu quo qui, comme l'a très éloquemment fait remarquer M. Wetston, peut très bien faciliter l'apparition d'activités contraires à la concurrence que nous ne pouvons ni déceler, ni réprimer? Est-ce que vos membres ne craignent pas que l'inverse soit tout aussi vrai?

M. John Dillon: Ce n'est certainement pas ce qu'ils me disent.

Je veux qu'il soit bien clair que je ne dis pas qu'il n'y a absolument aucun garde-fou susceptible de remédier à la situation.

• 1020

M. Dan McTeague: C'est quand même drôle, monsieur Wetston, que tant d'autres pays prévoient des recours privés sous une forme ou sous une autre. Vous, bien entendu, et je sais que d'autres...je ne sais pas si vous qualifiez d'américain le système que nous voulons mettre en place, mais il est intéressant de relever que l'on cherche toujours à nous dire que le système que nous cherchons ici à adopter est le système américain.

Que faut-il alors penser lorsque, d'une part, le Conseil canadien des chefs d'entreprise préconise l'harmonisation des règles du jeu entre nous-mêmes et les États-Unis, en disant que les entreprises canadiennes, grandes et petites, doivent s'adapter comme elles l'ont fait par le passé—j'estime que c'est une excellente politique—alors que, d'autre part, il souhaite conserver une loi qui, à tout bien considéré, risque d'empêcher un certain nombre de gens, soit de participer efficacement au mécanisme de concurrence, soit tout au moins de ne pas profiter d'un minimum de justice, sans parler des mesures répressives?

La présidente: Est-ce que la question s'adresse à M. Dillon ou à M. Wetston?

M. Dan McTeague: À monsieur Dillon.

La présidente: Bien. Vous avez dit M. Wetston.

M. Dan McTeague: Excusez-moi.

M. John Dillon: Il y a des différences entre nous, du moins sur certains points.

M. Dan McTeague: M. Wetston peut tout aussi bien répondre s'il le veut.

M. Howard Wetston: Je pensais que j'avais été invité ici par le comité et non par le CCCE, monsieur Dillon...

Des voix: Oh, oh!

M. Howard Wetston: ...mais je me ferai un plaisir de répondre aussi à votre question, monsieur McTeague, si vous me le permettez.

M. Dan McTeague: Merci, monsieur Wetston.

M. John Dillon: Excusez-moi, mais je ne voulais pas laisser entendre que vous aviez été invité par nos soins.

Tout d'abord, je ne suis pas du tout certain que nous disions ici qu'il s'agit du système américain et qu'il faille nous inquiéter de tout ce qui se passe aux États-Unis. En fait, nous sommes convaincus que le Canada possède ici un avantage concurrentiel étant donné que l'on y intente moins de poursuites qu'aux États-Unis. Nous ne pensons absolument pas qu'un surcroît de poursuites soit en fait nécessaire ou constitue une bonne chose pour les entreprises canadiennes et pour leur compétitivité.

On peut très bien avoir des préoccupations légitimes pour les petites entreprises et pour leurs possibilités d'accès à cette mesure. Comme je l'ai dit dans mon exposé, il convient d'envisager les dispositions qui seraient susceptibles de permettre aux petites entreprises de faire entendre les causes qui le méritent, que ce soit ou non en augmentant les ressources à la disposition du bureau et en imposant au commissaire le devoir et l'obligation de donner par écrit les raisons pour lesquelles il n'a pas été donné suite à une plainte déposée par une petite entreprise.

Des témoins déposant devant votre comité ont fait d'autres propositions sur la question. Il y a des moyens de prendre en compte les plaintes légitimes et nous devons en examiner la possibilité. Je ne suis pas convaincu que les recours privés soient la bonne façon de procéder. Je ne suis pas certain que la plupart des petites entreprises disposeront des ressources nécessaires pour intenter des poursuites au départ.

La présidente: Merci, monsieur Dillon.

Monsieur Wetston, vous avez la parole.

M. Howard Wetston: Je vais essayer de faire comprendre au comité ce qui se passe dans le domaine. Il implique avant tout des restrictions verticales faisant obstacle au commerce. C'est tout ce que vous avez recommandé, si l'on excepte l'abus de position dominante.

Je suis d'accord avec mes collègues; vous devez corriger la disposition portant sur le refus de vente. Il s'agissait en fait au départ d'une disposition portant sur la limitation de la concurrence, mais il y a loin de la coupe aux lèvres, parfois, lorsqu'on passe des décideurs politiques à la Chambre après être passé par le service de rédaction des lois. Vous pourriez vérifier, je pense, en consultant le compte rendu des premières délibérations. Il s'est cependant passé quelque chose dans l'intervalle—de même que le préambule de la Loi sur la concurrence a été corrigé en cours de route de sorte qu'il ne veut plus rien dire.

Il ne s'agit pas seulement des petites et des grosses entreprises. La nature des ventes exclusives limitant le marché dépend avant tout de leur situation, en amont ou en aval. Il s'agit surtout de savoir si l'accord de vente exclusive risque de léser un concurrent situé en amont, la lutte se faisant entre deux grands concurrents, ou s'il risque d'affecter les fournisseurs ou les détaillants situés en aval, qui sont de petits concurrents.

On peut continuer à limiter le marché en touchant la concurrence en aval. On peut continuer à avoir des accords de vente exclusive qui se répercutent sur la concurrence en amont. Tom Ross connaît bien la question sur le plan économique et analytique. Il y a une concurrence qui s'exerce entre les marques en amont. Il y a une concurrence à l'intérieur des marques en aval. C'est un secteur très complexe lorsqu'on cherche à savoir ce qui se passe effectivement.

Mais à la base, toutefois, c'est une réalité quotidienne—dans les accords de franchisage, dans les accords liant les concessionnaires, dans les ententes d'approvisionnement intervenant dans les secteurs dont le marché fait l'objet de mesures contraignantes. Ça se passe tous les jours. C'est au coeur de notre économie, davantage à bien des égards que les fusions ou les acquisitions, parce qu'il s'agit là d'opérations quotidiennes.

• 1025

Lorsque vous examinez ce qui se passe dans la pratique et lorsque vous vous demandez ce qu'il faut faire... Il faut accorder aux intérêts privés la possibilité de saisir le tribunal. Pourquoi faut-il autoriser les recours privés? Parce que l'on veut s'assurer, s'ils ont légitimement à se plaindre...que cela se traduise ou non par une nette réduction de la concurrence, ce qui exige une analyse complexe et des pouvoirs exercés sur le marché. Il faut que Tom Ross vienne témoigner et prouve qu'il y a un pouvoir exercé sur le marché et une diminution de la concurrence, et que Tim Kennish fasse valoir les arguments juridiques correspondants. Voilà ce qu'il faut.

Il vous faut bien comprendre, lorsqu'on évoque la situation d'une petite entreprise qui s'adresse au Bureau de la concurrence...n'imaginez pas un instant qu'elle n'a pas consacré du temps, de l'argent et des ressources à sa cause, et qu'elle n'a pas engagé des avocats. Considérez la quantité d'énergie dépensée et la somme des préoccupations qui assaillent celui qui fait l'objet d'un refus de vendre, tel que le fournisseur que Chrysler refuse d'approvisionner en pièces de rechange. Ce n'est peut-être qu'un petit fournisseur de pièces, même si son exploitation peut être assez grande à l'échelle de Montréal. Comparativement à Chrysler, c'est une exploitation de petite taille. Elle va déposer une plainte et consacrer son temps et son argent, engager éventuellement un économiste ou le titulaire d'un MBA pour se faire aider, engager les services d'un comptable, d'un avocat, pour s'apercevoir finalement que sa cause est sans espoir parce que le Bureau de la concurrence a refusé de la prendre en charge—éventuellement pour d'excellentes raisons.

Il n'y a pas ici deux poids et deux mesures. Il est possible que ce soit justifié. Il se peut que ces agissements ne limitent pas substantiellement la concurrence. Il se peut que l'affaire ne soit pas assez importante ou que le bureau ne dispose pas des ressources nécessaires. Il se peut que ce ne soit pas une priorité et que le bureau ne donne pas suite. Que va faire l'intéressé? Que va faire cette entreprise? À mon avis, il faut s'adresser au tribunal et se faire entendre. En ménageant les garde-fous nécessaires, on sait alors que justice a été faite, ce qui est important.

La présidente: Merci, monsieur McTeague.

Monsieur Martin, avez-vous des questions à poser?

M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Oui, madame la présidente. Je vous remercie de m'en donner la possibilité et je remercie nos témoins d'être venus ici aujourd'hui.

Excusez-moi, je remplace un membre à part entière du comité et je n'ai pas entendu les deux premiers exposés même si je me suis efforcé d'en comprendre la teneur générale à la suite des échanges qui ont eu lieu avec les membres du groupe de témoins.

Comme la plupart des Canadiens, je m'intéresse à la question en tant que non-spécialiste et, lorsque nous évoquons des questions telles que la réglementation de la concurrence, c'est généralement dans le secteur mentionné par Mme Girard-Bujold, soit celui du prix de l'essence. Je crois comprendre, cependant, que les membres du comité se sont entendus pour ne pas s'attarder sur la question, de sorte que je n'y consacrerai pas mon temps.

Je relève par ailleurs avec inquiétude un argument avancé par M. Ross, qui nous dit que les secteurs d'activité doivent soit être régis par la concurrence, soit par la réglementation.

Bien des Canadiens estiment qu'à notre époque caractérisée par la déréglementation—15 ou 20 ans de déréglementation systématique, tirée en grande partie de la liste de voeux du CCCE et mise en oeuvre dans la pratique—nous avons en fait échoué lorsque nous avons cherché à réglementer nos activités à l'aide de la concurrence. Il y a une levée de boucliers dans la population, parmi ceux qui ne sont ni avocats, ni économistes—parmi les simples citoyens—qui souhaitent davantage, non pas nécessairement de réglementation dans les différents secteurs d'activités, mais au minimum de concurrence efficace et accessible, qui ait un sens dans le quotidien des travailleurs et de leur famille. Ils veulent être rassurés et savoir qu'ils ne sont pas lésés ou extorqués par certaines...coalitions, je pense que c'est le mot.

Je considère par ailleurs le modèle américain, et j'ai constaté que M. Ross, dans son mémoire, insiste largement sur un ou deux points précis. On a de plus en plus l'impression aux États-Unis qu'on lutte peut-être un peu trop contre les coalitions—ce qui s'explique en grande partie par les recours privés—au point qu'il y a l'effet inverse, qu'on s'oppose peut-être à la concurrence et que nombre de ces poursuites sont engagées non pas pour élargir la concurrence, mais qu'elles ont l'effet inverse.

J'imagine que l'on a déjà répondu en partie à ma question. Même M. Dillon nous dit que personne ne cherche à reproduire le modèle américain, qui est probablement le plus chicanier du monde. Mais parallèlement, il semble que la tendance soit à l'harmonisation avec les entreprises américaines.

J'aimerais demander à M. Dillon et ensuite aux autres témoins de nous dire quelle est la position adoptée par les chefs d'entreprise aux États-Unis concernant la réglementation actuelle visant à lutter contre les coalitions ou en ce qui concerne le nombre de recours privés que l'on enregistre dans ce pays.

• 1030

Est-ce que le Congrès prend activement des mesures pour mieux harmoniser ses dispositions avec le modèle canadien de façon à ne pas être submergé par des plaintes qu'il juge pernicieuses?

Je demanderai aux autres intervenants de me dire s'il nous faudra prendre à l'avenir des mesures visant à augmenter les possibilités de recours privés? Comment nous protéger contre ce genre d'inconvénients, qui semblent être le lot des États-Unis?

La présidente: Monsieur Dillon.

M. John Dillon: Je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner une réponse bien précise à votre question, parce que je ne suis pas régulièrement en contact avec les syndicats d'entreprises aux États-Unis, ou les organisations comme la table ronde des entreprises, qui s'intéressent à ces questions.

Je sais, on l'a dit, que l'on se préoccupe fortement aux États-Unis du nombre de poursuites intentées, non seulement dans le secteur de la lutte contre les coalitions, mais aussi dans un certain nombre d'autres secteurs, et du fait que la multiplication des organismes chargés de l'application des lois entraîne une multiplication des coûts et de nombreuses complications. Je suis fermement convaincu que certains poussent à une réforme, mais j'ai bien peur de ne pas pouvoir vous donner des précisions.

M. Pat Martin: Je vous comprends.

Quelqu'un d'autre veut intervenir?

La présidente: Monsieur Kennish.

M. Tim Kennish: Je dirais que les tribunaux des États-Unis ont depuis longtemps l'habitude de traiter de ces questions. Leur jurisprudence est très stable comparativement à la nôtre. Je n'entends pas beaucoup parler de réforme, notamment sur les questions verticales qui font l'objet des recours privés.

Il y a un certain nombre de dispositions qui limitent effectivement les recours privés aux États-Unis—ainsi, on ne peut pas intenter une action privée pour limiter une possibilité de fusion. On avait très peur que les poursuites stratégiques puissent s'y opposer, et la chose n'a donc pas été autorisée.

Il y a aussi la règle de l'acheteur indirect. De manière générale, la loi n'autorise pas aux États-Unis qu'un acheteur indirect puisse effectivement percevoir des dommages-intérêts auprès de quelqu'un ayant mis en place, grâce à une entente sur la concurrence, un mécanisme de prix plus élevé en amont. Toutefois, il y a la possibilité de toucher de triples dommages-intérêts, ce qui n'est évidemment pas possible ici dans le cadre de nos recours civils.

Pour en revenir sur notre projet de disposition traitant des recours privés—et cela nous renvoie en quelque sorte à la question de M. McTeague—ce qui préoccupe parfois nos membres, c'est l'idée que les recours proposés n'aideront pas vraiment les petites et moyennes entreprises en raison des coûts, de la lenteur de la procédure et des moyens de recours limités, mais qu'ils seront vraisemblablement mis à profit par des groupes ayant des ressources financières et des intérêts commerciaux de plus grande envergure. Il pourrait donc y avoir des effets pervers s'opposant au but recherché.

Pour en revenir aux États-Unis, j'ai l'impression—et je ne me suis pas attardé sur la question—que le nombre pléthorique d'affaires constatées dans le secteur privé se rapporte à la résiliation d'accords de concession verticaux, par exemple. C'est dans ce secteur qu'ont lieu bien des poursuites. Qui peut dire par conséquent s'il s'agira d'un secteur d'application effective ou non de la législation.

Les dispositions civiles devant s'attacher aux recours privés sont quelque peu limitées, comme M. Wetston l'a fait observer—ventes exclusives, ventes liées, refus de vendre. La grande disposition rattachée aux recours privés qui n'est pas proposée pour l'instant en matière civile est celle de l'abus de position dominante. Lorsqu'on se penche sur la performance du Bureau de la concurrence, on voit que c'est dans ce secteur qu'il s'est montré le plus actif et qu'il a le mieux réussi à faire appliquer la loi. On peut soutenir en outre que c'est là le secteur le plus important parce que les parties visées occupent une position dominante dans leur secteur et sont en mesure de causer le plus de dégâts. C'est éventuellement le secteur dans lequel on peut s'attendre à ce que le bureau continue à exercer le plus d'activités.

Excusez-moi si cette analyse n'est pas vraiment rigoureuse. Ce sont simplement des observations qui se rapportent à notre sujet.

La présidente: Professeur Ross, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Thomas Ross: Non, pas vraiment, mais comme je suis professeur, je vais quand même dire quelque chose.

Des voix: Oh, oh!

• 1035

M. Thomas Ross: Je vais simplement revenir sur la remarque de M. Martin, qui nous a dit que l'on estimait dans certains milieux que la déréglementation n'avait pas rendu service aux simples citoyens au Canada, aux États-Unis, et éventuellement en Europe. Je considère que c'est quelque peu injuste, mais je reconnais que nous en avons quelques preuves. Nous ne manquons pas de nous inquiéter de la situation actuelle du secteur du transport aérien au Canada, que nous avons déréglementé il y a plus de 10 ans.

On s'inquiète beaucoup de l'expérience faite en Californie au sujet de la déréglementation de l'électricité. Je ne parlerai pas ici de la catastrophe californienne, ce n'est pas notre propos. Si nous souhaitions nous engager dans cette voie, nous pourrions réglementer de façon bien plus intelligente que ne l'a fait la Californie. Il est préférable, toutefois, de remettre cette discussion à un autre jour, à une autre semaine ou à un autre mois.

Je n'en considère pas moins que la déréglementation a réussi dans certains domaines. Je pense que c'est le cas dans certains secteurs des télécommunications. Il est probable que la déréglementation de la radiodiffusion a été une bonne chose et nous pouvons faire des progrès, je pense, dans d'autres secteurs. D'ailleurs quand on déréglemente, il y a effectivement un plus grand rôle à jouer pour la politique de la concurrence. On confie la tâche à un organisme chargé de faire respecter la concurrence en lui disant qu'il n'est plus question de contrôler les prix sur le marché, que c'est le jeu de la concurrence qui va s'en charger et que c'est à lui d'y veiller.

Il est alors d'autant plus important que la Loi sur la concurrence reste à jour, qu'on évite de la surcharger, qu'elle soit souple et qu'elle réponde aux besoins des entreprises et des consommateurs canadiens. Je considère donc que l'ensemble du projet de loi C-23 est un très bon point de départ; l'adoption de modifications au titre de l'article 45 sera également une très bonne chose. Je félicite votre comité de l'intérêt qu'il porte à la question.

La présidente: Monsieur Wetston.

M. Howard Wetston: Je considère que la question est excellente. Pour ma part, il me paraît important que l'on considère la réglementation et le jeu de la concurrence comme étant complémentaires et non pas comme des éléments qui s'excluent l'un l'autre. Je pense qu'il y a des secteurs dans lesquels c'est bien ainsi que ça se passe. C'est la réalité sur notre marché, à mon avis, et ce n'est pas très différent dans bien d'autres pays.

Je considère effectivement, comme Tom vient de l'indiquer, que l'on a enregistré quelques réussites, mais il n'est pas facile d'exprimer de quelle façon nous voulons qu'opèrent nos marchés sur le plan de la politique de la concurrence.

Si j'en crois mon expérience des entreprises étrangères au Canada—et nous savons tous que les entreprises étrangères sont fortement présentes au Canada et que cette tendance s'accentue—l'acquisition des sociétés canadiennes est un phénomène qui se poursuit. Nous ne pouvons pas faire grand-chose à ce sujet, mais c'est une réalité. Nous n'en voulons pas moins maintenir les emplois canadiens et continuer à améliorer notre niveau de vie. Nous voulons que la productivité canadienne augmente, même si elle est le fait de sociétés étrangères.

Mon expérience des sociétés étrangères me fait dire qu'elles recherchent deux choses au Canada—en plus de vouloir jouir d'un monopole, ce que tout le monde recherche, elles veulent que ça se fasse sans avoir à enfreindre les lois sur la concurrence; disons, en favorisant la croissance de leur entreprise. Elles ont besoin de lois efficaces. Elles viennent au Canada en sachant qu'elles entrent dans un État de droit. Elles veulent pouvoir s'implanter dans un pays en sachant qu'il y a des commissions des valeurs mobilières qui se chargent de faire appliquer les lois correspondantes, et l'on entend nombre de plaintes à ce sujet.

Elles veulent qu'il y ait une bonne législation réprimant les coalitions, parce qu'elles peuvent parfois en avoir besoin. Loin de les inciter à partir, c'est ça qui les amène à s'installer. Elles veulent pouvoir s'implanter dans un pays en sachant qu'elles pourront s'adresser aux tribunaux le cas échéant, parce que c'est à cela qu'elles sont habituées, notamment si elles nous viennent des États-Unis, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni ou d'Europe. C'est cela qu'elles veulent. Par conséquent, je pense que nous ne devrions pas trop nous inquiéter des modifications apportées à la Loi sur la concurrence qui s'apparentent à celles dont peuvent disposer d'autres pays, à condition de prévoir les garde-fous nécessaires pour éviter le genre d'inconvénients dont nous avons parlé tout à l'heure.

L'un des gros problèmes que posent aujourd'hui nos marchés des capitaux, c'est celui de la liquidité. Que se passe-t-il? Les capitaux se déplacent vers le Sud, vers les États-Unis. Que va-t-on pouvoir faire pour les garder au Canada? Le problème n'est pas différent de celui qui consiste à conserver au Canada une industrie du transport aérien ou une industrie dynamique des télécommunications. Il faut que le cadre législatif s'y prête. S'il ne s'y prête pas et s'il n'est pas efficace, je ne pense pas que nous parviendrons à attirer le genre d'investissements dont nous avons besoin.

La présidente: Je vous remercie.

Merci, monsieur Martin.

Je vais maintenant donner la parole à Mme Torsney.

Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Tout le monde semble indiquer que les dispositions s'appliquant aux recours privés vont être mises à profit par les petites entreprises au détriment des grosses. N'est-il pas possible que les grosses entreprises s'attaquent les unes aux autres et y consacrent beaucoup de temps? N'est-il pas possible, par ailleurs, que les grosses entreprises s'en prennent aux petites grâce à cette mesure?

J'aimerais que quelqu'un nous donne des précisions à ce sujet, car c'est une chose qui me préoccupe beaucoup. À partir du moment où la situation va déjà être bien difficile lorsqu'une petite entreprise s'en prend à une grosse, imaginez ce qui va se passer si une grosse entreprise décide de s'attaquer à une petite, puisqu'elle dispose de ressources bien supérieures. Tout le monde évoque librement la question, mais quels sont les secteurs précis dans lesquels on peut véritablement envisager de mettre à profit ces dispositions sur les recours privés?

• 1040

Monsieur Dillon, certains de vos membres sont des entreprises qui opèrent des deux côtés de la frontière, et j'imagine que les choses seraient plus faciles pour leur siège social, notamment s'il se trouve au Sud, si les lois étaient identiques ou similaires des deux côtés. Je ne peux pas voir pourquoi, à partir du moment où cette situation existe déjà aux États-Unis, il serait bien plus difficile pour elles d'y faire face au Canada. Qu'en pensez-vous?

M. John Dillon: Laissez-moi tout d'abord répondre à la première question.

Comme j'ai essayé de vous l'expliquer tout à l'heure, je pense que la plupart des entreprises qui opèrent au Canada souhaitent bénéficier des avantages du système canadien sans avoir les inconvénients du système des États-Unis. Par conséquent, les sociétés qui ont leur siège aux États-Unis peuvent très bien être familiarisées avec le régime des États-Unis et même opérer dans ce cadre, sans pour autant être nécessairement en faveur d'un tel régime. S'il leur est possible d'éviter ce genre de chose au Canada, c'est encore mieux.

Pour répondre tout d'abord à votre première question, je pense qu'il s'agit là d'une préoccupation légitime. Ce que nous croyons, et cela inquiète nombre de nos membres, c'est que les grosses entreprises vont se servir de ces dispositions essentiellement pour harceler leurs concurrents, sans que ce soit dans l'intérêt général sur le plan de la concurrence. C'est pourquoi nous estimons qu'il faut que cette décision appartienne au commissaire et au bureau. Si on leur demande simplement de faire valoir leurs propres intérêts privés... Effectivement, pour une très large part, ce seront les grosses entreprises qui disposeront des ressources nécessaires et il est bien possible par ailleurs qu'elles s'en servent à l'encontre des petites entreprises.

Je vous le répète, il est légitime que l'on cherche à aménager des garde-fous, mais je pars du principe que les intéressés ne s'engageront pas dans ce genre de poursuites avant d'avoir engagé suffisamment de personnel compétent pour pouvoir monter leur dossier et éviter dans un premier temps que leur cause soit rejetée selon une procédure sommaire par le tribunal lorsqu'ils s'adressent à ce dernier. Par conséquent, à partir du moment où ils ont su faire preuve d'une compétence suffisante pour surmonter le seul obstacle qui subsiste, ils ont tout à fait le loisir d'agir en fonction de leurs propres intérêts. C'est ce qui nous préoccupe, et ça pourrait très bien se produire au détriment des petites entreprises. Il n'y a pas à en douter.

La présidente: Monsieur Kennish, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Tim Kennish: Oui, je vous remercie.

Disons qu'il va s'agir d'une loi d'application générale et que tous les membres de la société pourront donc s'en prévaloir. Les grosses entreprises pourront y recourir. Il faut espérer, à mon avis, que les folles poursuites ou les recours stratégiques se heurtent aux garde-fous prévus par la loi. C'est une chose que l'on a admise, je pense, depuis que l'on a lancé au départ l'idée des recours privés, et l'on a incorporé à ce projet de loi un certain nombre de garde-fous qui contribuent largement à apaiser ces préoccupations.

La présidente: Professeur Ross.

M. Thomas Ross: J'ajouterai simplement une ou deux choses.

Comme vient de le dire Tim Kennish, étant donné qu'il s'agit d'une loi d'application générale, on peut imaginer qu'elle puisse être utilisée par une grosse entreprise à l'encontre d'une petite, mais il faut cependant faire deux réserves. Tout d'abord, dans la mesure où cette loi vise à nous protéger contre une restriction de la concurrence, il est probable que l'on va mal accepter qu'un gros s'en prenne à un petit et que l'on va écarter sa cause par voie de procédure sommaire. J'ajouterais qu'on lui fera en outre probablement payer les dépens. De plus, une telle politique, de la part d'une grosse entreprise, pourrait faire l'objet de poursuites, à mon avis, au titre des dispositions de l'article 79 en tant qu'abus de position dominante, à partir du moment où une entreprise n'hésiterait pas à acquérir la réputation de vouloir écraser ses concurrentes en faisant appel à l'arsenal des dispositions de lutte contre les coalitions.

La présidente: Monsieur Wetston.

M. Howard Wetston: Vous devez savoir qu'il y a un droit en la matière. Il y a le jugement prononcé par le tribunal dans l'affaire Laidlaw, dans lequel il a précisément affirmé qu'il s'agissait d'une poursuite stratégique qui constituait une...conduite, si je me souviens bien, enfreignant les dispositions de la Loi sur la concurrence. Je ne me rappelle pas si j'ai déposé ou non le dossier, mais je me souviens de l'affaire.

Une voix: Et vous avez gagné cette cause.

M. Howard Wetston: On n'en gagne pas beaucoup dans ce secteur.

Je pense que vous avez tout à fait raison de prendre du recul et d'examiner ce qui se passe. Vous mentionnez certaines activités bien précises en la matière. Laissez-moi vous décrire un peu plus la situation si je le puis.

J'estime que Tom a tout à fait raison. Si nous avons peur que les grosses entreprises s'en prennent aux petites, à partir du moment où une petite entreprise trouve le temps, l'argent et les ressources pour se présenter devant le Bureau de la concurrence, elle pourra très bien trouver le temps, l'argent et les ressources pour défendre sa cause devant le Tribunal de la concurrence. Elle sera au moins la maîtresse de sa propre cause sans avoir à se présenter devant le bureau et convaincre un agent des services commerciaux qu'elle est en difficulté. Le bureau m'excusera, il a peut-être beaucoup de talent, mais il est très occupé.

• 1045

Vous allez avoir de grosses entreprises qui s'en prennent aux petites dans ce secteur, et non pas le contraire. Les petites entreprises ont essayé de s'attaquer aux grosses, mais il y aura des problèmes de ressources et on ne peut pas donner satisfaction à tout le monde. Il leur faudra de toute façon consacrer du temps, de l'argent et de l'énergie à leur cause et, croyez-moi, si ce sont elles qui subissent les foudres d'une grosse entreprise refusant de les approvisionner, elles devront cesser leurs activités. Elles auront le choix. Cesser leurs activités ou intenter certains recours. Que peuvent-elles faire?

S'il n'y a pas une véritable remise en cause de la concurrence ou un scénario de ce genre, la question n'est pas jugée prioritaire par le bureau. La cause ne revêt pas une grande importance parce qu'elle ne déborde pas de la province, qu'elle n'a pas une envergure nationale, qu'elle est de nature trop locale, ou autre, et l'intéressé n'a plus aucun recours. Je pense qu'il est important de disposer d'un recours pour la justice de notre pays et, sans moyen de recours, on peut toujours s'adresser aux tribunaux ordinaires, mais on retombe là encore dans des problèmes complexes.

De gros concurrents peuvent limiter la concurrence en amont, en pratiquant des ententes de commercialisation exclusives. Ce ne sont pas seulement les fournisseurs situés en aval qui sont touchés, contrairement à ce que l'on pourrait penser dans le cadre d'un mécanisme de fixation des prix de revente ou, à l'occasion, d'un mécanisme appliquant un refus d'approvisionnement ou de vente. Je pense qu'il est important de comprendre qu'il ne s'agit pas simplement d'opposer ici les grosses entreprises aux petites; l'affrontement peut se faire entre grosses entreprises, entre petites entreprises ou entre grosses et petites entreprises. Il y a tout un tas de combinaisons ici. Je considère que Tom a tout à fait raison. Si une grosse entreprise s'en prend à une petite, je ne vois pas pourquoi le tribunal ne réexaminerait pas la question de près, par voie sommaire.

Mme Paddy Torsney: Si j'ai posé la question, c'est en partie parce que j'ai rencontré dimanche dernier les fabricants indépendants de produits d'épicerie. Ils m'ont dit que la Loi sur la concurrence revêtait bien entendu une grande importance à leurs yeux, mais ils n'étaient pas satisfaits de certaines de ses applications.

Ainsi, on prend d'un côté comme critère de référence l'ensemble de la Nouvelle-Écosse par opposition au comté de Pictou et, dans un autre, la ville de Mississauga par opposition à l'ensemble de l'Ontario. Ce dont ils se plaignent, à mon avis, c'est que dans certains cas les grosses entreprises réussissent à obtenir certaines choses parce qu'elles dépeignent la situation sous un jour bien trop favorable, ou encore qu'elles exercent leur concurrence de manière à ce que la situation apparaisse quelque peu différente sur les différents marchés. Je peux imaginer que sur certains marchés, où les principaux acteurs jouissant d'une position dominante sont peut-être absents, elles peuvent s'en prendre à certains indépendants ou à certaines des petites entreprises.

La présidente: Ce sera votre dernière question, madame Torsney, si vous le voulez bien.

Mme Paddy Torsney: Ma dernière question porte sur le fait qu'après m'être occupée de tous ces appels téléphoniques, monsieur Kennish, émanant de tous ces gens qui proposent tous ces jeux de cartes, je peux vous dire que c'est une bien mauvaise chose. Je me félicite de voir que personne ne s'est trop attaqué à cet article du projet de loi. Il est bien dommage que dans notre pays des gens croient avoir gagné quelque chose sans pouvoir apprécier véritablement le prix qu'il faut payer pour toucher ce genre de cadeau. Nous avons effectivement besoin d'apporter certains changements en la matière.

M. Tim Kennish: Si vous me le permettez, j'ajouterai simplement en réponse à votre argument que l'on risque de prendre dans nos filets—probablement par inadvertance—trop de choses. Nous devons restreindre quelque peu cette disposition pour qu'elle s'applique uniquement aux choses qui nous préoccupent et non pas aux simples jeux organisés par les distributeurs d'essence, qui nous proposent simplement de prendre part à un concours, de répondre à une question de connaissances générales, où les noms sont choisis au hasard et auquel on peut participer sans acheter quoi que ce soit.

Mme Paddy Torsney: Vous avez tout à fait raison. Il n'est pas question de le faire, et je ne pense pas que ce soit le cas. Le gros problème, je crois, c'est lorsqu'on dit à des gens qu'ils doivent payer 35 $ pour toucher un prix de 2 $ ou même rien du tout et qu'ils ne sont pas conscients des obligations qu'ils encourent lorsqu'ils composent, par exemple, un numéro 1-900.

La présidente: Merci, madame Torsney.

Je vais maintenant donner la parole à M. Rajotte.

M. James Rajotte (Edmonton-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Je vous remercie, madame la présidente, et je remercie chaleureusement les témoins de leurs exposés de ce matin.

Je commencerai par M. Wetston et j'enchaînerai sur certaines déclarations de M. Penson afin de comprendre pourquoi vous recommandez qu'on limite les recours privés. Vous proposez que les parties soient tenues de limiter la communication de leurs preuves et de s'entendre sur les faits, qu'on limite le nombre de témoins ou qu'on restreigne leurs témoignages, et qu'on limite le nombre de personnes habilitées à intervenir, y compris le commissaire. J'aimerais que vous nous expliquiez un peu plus pour quelles raisons vous faites ces recommandations.

• 1050

M. Howard Wetston: Lorsque je siégeais à la Cour fédérale du Canada, je me suis lassé des procès qui duraient six mois. C'est peut-être en partie la raison.

Je ne fais pas ce genre de recommandations parce que j'estime nécessairement qu'elles doivent être incorporées au projet de loi. Je disais simplement qu'à mon avis on pourrait concevoir ce genre de dispositions afin de réduire les coûts, parce que je sais que c'est un problème. Je ne faisais qu'évoquer les différentes possibilités en sachant que chaque fois que l'on procède ainsi on restreint effectivement la possibilité de faire état de tous les éléments de preuve dans l'affaire.

Je veux vous faire comprendre que dans bien des affaires de ce type, je considère que les faits sont souvent très clairs. Tout se ramène parfois à un ou deux points en litige qui peuvent faire appel à des principes économiques complexes tels que la possibilité d'exercer un certain pouvoir sur le marché ou le type de définition du marché qu'il convient d'adopter pour déterminer dans quelle mesure les agissements considérés vont restreindre dans une large mesure la concurrence.

Je pense que l'on peut mieux réagir qu'on ne l'a fait, par exemple, dans l'affaire Superior Propane. On a appelé à la barre 70 témoins, y compris un grand nombre de non-spécialistes. Je ne vois pas pourquoi il faudrait que le commissaire agisse ainsi. Je suis sûr que c'était tout à fait justifié, mais je ne pense pas qu'il faille recourir à ce genre de procédé lors d'un recours privé.

Je propose que l'on regarde ce qui se fait, par exemple, à l'Union européenne. On y procède à l'examen d'une fusion, depuis le début jusqu'à la fin, en quatre mois, de sorte qu'il existe d'autres régimes dans lesquels des limites sont prévues afin de pouvoir se prononcer en temps utile. Ce n'est pas ce que nous faisons.

Lorsque je parle de communication des preuves, je reste convaincu que c'est un outil formidable. C'est un magnifique moyen de constater les faits et de les faire reconnaître dans les affaires civiles. Toutefois, si vous considérez qu'il s'agit ici de droit public, dont l'application est confiée en partie à des procureurs privés, je ne vois pas pourquoi on passerait par une procédure de communication des preuves en bonne et due forme comme on peut le faire devant les tribunaux dans un procès purement civil.

Ce n'est qu'une proposition. Vous ne l'aimerez peut-être pas, mais vous pourriez être en mesure de limiter la communication des preuves, par exemple, lors d'une conférence précédant l'audience présidée par l'un des membres du tribunal en décidant de n'accorder que trois jours pour la communication des preuves sur un certain nombre de questions et en forçant la main aux avocats pour qu'ils s'en tiennent à cet accord. Ce n'est là qu'une idée que je soumets à votre attention.

La présidente: Monsieur Dillon.

M. John Dillon: J'enchaînerai rapidement là-dessus. C'est justement ce qui constitue l'une de nos préoccupations lorsqu'on évoque les possibilités de recours à des fins stratégiques—à savoir que les entreprises risquent de mieux se renseigner sur les activités de leurs concurrents grâce à cette communication des preuves. Je ne dis pas nécessairement que la proposition de M. Wetston va résoudre ce problème, mais c'est une grande partie de la solution.

M. James Rajotte: En fait, c'est là où je voulais en venir. En échangeant votre point de vue avec M. McTeague, vous avez déclaré que les garde-fous qui étaient prévus dans le projet de loi C-472 n'étaient pas suffisamment concrets, mais vous avez laissé supposer que vous aviez à l'esprit certains garde-fous qui pourraient protéger les recours privés. Je ne fais qu'enchaîner sur ce qui a été dit. Est-ce que ce que propose M. Wetston serait suffisant ou avez-vous d'autres choses à l'esprit?

M. John Dillon: En réalité, nous avons déjà débattu de la question, de même que M. Kennish et ses collègues, j'en suis persuadé, ont dû le faire au sein de l'ABC, et pour l'instant nous n'avons pas réussi à nous entendre sur une série de garde-fous susceptibles de donner satisfaction aux gens dans ce domaine.

Si j'ai bien compris M. Wetston, il propose de limiter la communication des preuves pour limiter le coût de ces poursuites, ce qui constitue bien évidemment l'une des préoccupations des entreprises privées. Toutefois, je le répète, il n'aborde pas la préoccupation fondamentale, qui a trait aux gens déterminés à se servir de cette mesure pour intenter des poursuites stratégiques et obtenir davantage de renseignements sur leurs concurrents; il s'agira d'une forme de divulgation obligatoire.

M. James Rajotte: Vous ne voyez donc pas de garde-fous pour l'instant.

M. John Dillon: Pour l'instant, non.

La présidente: Merci, monsieur Rajotte.

M. Howard Wetston: Si vous me le permettez, j'aimerais faire ici une suggestion.

La communication des preuves n'est pas un exercice aléatoire permettant d'obtenir tout ce que l'on veut. On peut toujours poser une question, mais l'avocat va dire à son client de ne pas y répondre. En cas de conflit, on s'adresse au tribunal, qui tranche pour savoir si l'on doit répondre ou non à la question. Il peut y avoir des domaines que l'on ne peut tout simplement pas aborder parce qu'ils n'ont rien à voir avec la question en jeu.

Il y a des façons de régler la question. Je ne dis pas que tout est parfait. Notre système n'est pas parfait. Nous nous référons à un système de type accusatoire; la difficulté est peut-être là, mais nous voulons le préserver. Si nous voulons préserver le système accusatoire tout en continuant à prévoir une possibilité de recours, il y a des compromis à faire. Je suis d'accord avec M. Dillon. Le système n'est pas parfait, mais c'est mieux que de ne pas avoir de disposition prévoyant un recours.

La présidente: Monsieur Kennish, vous vouliez répondre.

M. Tim Kennish: Je veux simplement conclure sur un dernier point. Je pense que la plupart des gens vont reconnaître que dans la situation actuelle, si l'on ne change pas le fonctionnement du Tribunal de la concurrence, si l'on s'attend à ce que l'on puisse intenter un recours privé dans une affaire contestée, il faudra attendre un an avant d'obtenir réparation et probablement engager plusieurs millions de dollars en frais pour l'obtenir.

• 1055

Je pense que c'est en partie ce que veut nous faire comprendre Howard. Il ne rejette pas nécessairement d'un revers de main les règles de notre procédure, mais il y a un coût lorsqu'on veut obtenir justice et en accélérer le cours, si c'est ce que vous voulez, étant donné que nos ressources sont limitées. Vous savez, est-ce que le jeu en vaut la chandelle?

La présidente: Monsieur Wetston, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Howard Wetston: Il pourrait être utile au comité que je fasse ici une autre comparaison.

Tout d'abord, il ne s'agit pas ici de droit pénal. Il ne s'agit de défendeurs devant lesquels on doit présenter sa cause et qui disposent de toute la panoplie des droits reconnus par la charte. Il ne s'agit pas d'accorder une défense pleine et entière.

Si nous ne parlons pas ici de défense pleine et entière, c'est qu'il ne s'agit pas d'une procédure quasi criminelle comme on peut le voir dans le droit sur les valeurs mobilières, ou lorsqu'une personne vient alléguer devant la commission qu'on a manipulé le marché, procédé à des transactions d'initiés ou enfreint d'une manière ou d'une autre la Loi sur les valeurs mobilières, ce qui amène à accorder aux défendeurs toute la gamme des moyens de défense. Nous ne limitons pas les moyens de défense des défendeurs dans ce cas-là, parce qu'il est important qu'ils puissent présenter une défense pleine et entière.

Il ne s'agit pas de cela ici. Il s'agit de pratiques commerciales sujettes à révision et les parties doivent avoir la possibilité de se présenter devant le tribunal et l'on doit prévoir dans la loi les moyens de s'opposer à de folles poursuites et aux longues procédures qui ne sont pas dans l'intérêt public. Je rappelle donc simplement au comité que c'est de cela dont nous parlons aujourd'hui.

Nous ne parlons pas non plus de responsabilités en matière civile.

La présidente: Monsieur Rajotte, avez-vous une dernière question à poser?

M. James Rajotte: Professeur Ross, vous avez évoqué l'article 75 portant sur le refus de vendre. Vous nous avez dit qu'il faudrait qu'il englobe un critère d'évaluation des effets sur la concurrence. Ensuite, en discutant du projet d'article 103.1, vous nous avez dit qu'il fallait chercher à protéger la concurrence, et non pas les concurrents, en précisant que les conditions imposées devaient être effectivement celles d'une saine et franche concurrence, mais sans concessions.

C'est là une question difficile pour notre comité, et j'ai cherché à la poser à un maximum de témoins: comment faire la distinction, d'une part, entre une saine et franche concurrence, mais sans concessions et, d'autre part, un comportement contraire à la concurrence?

Je ne sais pas si vous avez une réponse simple et facile à cette question ou s'il y a d'autres critères que vous pouvez proposer pour remplacer dans ce projet de loi ceux que je viens d'indiquer.

M. Thomas Ross: Vous avez tout à fait raison. Il n'est pas facile de juger à partir de quel moment la concurrence se fait trop dure et si elle dépasse les limites et devient injustifiée.

De manière générale, les économistes veulent que les marchés soient efficaces, que les prix se rapprochent des coûts, que les investisseurs puissent obtenir un rendement raisonnable, etc. Nous jugeons que la concurrence est bonne quand les prix restent bas de manière plus ou moins permanente, proches du niveau des coûts. Nous considérons que l'on dépasse éventuellement la mesure lorsqu'il y a une forte baisse temporaire des prix uniquement pour éliminer certains concurrents afin que les prix puissent remonter plus tard.

Je considère en particulier au sujet du projet d'article 103.1, par exemple, qui traite des ordonnances provisoires, que le projet de paragraphe 103.1(2) prévoit effectivement que le tribunal peut rendre une ordonnance si l'on constate, conformément aux dispositions de l'alinéa 103.1(2)a) «que la concurrence subira vraisemblablement un préjudice auquel le tribunal ne pourra adéquatement remédier». C'est une bonne chose, parce que l'on parle ici de préjudices subis par la concurrence. Ce qui m'inquiète, cependant, ce sont les dispositions de l'alinéa 103.1(2)b), où l'on nous dit seulement «un compétiteur sera vraisemblablement éliminé», sans autres précisions.

Si j'avais mon mot à dire, j'aimerais que l'on poursuive par ces mots: «ce qui entraînerait vraisemblablement un affaiblissement de la concurrence». Par conséquent, si l'on faisait simplement disparaître un concurrent alors qu'il en reste encore 100, il n'y aurait aucune raison de délivrer une ordonnance; toutefois, si l'on faisait disparaître un concurrent alors qu'il n'y en a que deux, une ordonnance se justifierait peut-être.

Il en va de même des dispositions de l'alinéa 103.1(2)c), qui en fait, à certains égards, est encore plus problématique:

      une personne subira vraisemblablement une réduction importante de sa part de marché, une perte importante de revenu ou des dommages auxquels le Tribunal ne pourra adéquatement remédier.

Eh bien, c'est justement ce que fait la concurrence sur les gens. Elle leur fait perdre parfois des parts de marché et entraîne des réductions importantes de leur revenu. Toutefois, je serais un peu plus rassuré si nous ajoutions ici la mention: «ce qui entraînerait vraisemblablement un affaiblissement de la concurrence».

M. James Rajotte: Pouvez-vous le constater en si peu de temps, dans un délai d'un à trois ans? Si vous avez, par exemple, quatre grands opérateurs sur le marché et si vous en perdez un, est-ce qu'il ne faudra pas attendre trois à cinq ans pour pouvoir déterminer les effets sur la concurrence?

• 1100

M. Thomas Ross: Évidemment, s'il s'agit d'obtenir une ordonnance provisoire, il faut pouvoir se prononcer très rapidement. Toutefois, cela permet au moins d'écarter certaines affaires ridicules, et j'ai évoqué tout à l'heure le cas où il resterait 100 autres concurrents et où un petit opérateur se plaindrait du fait qu'il risque de devoir cesser ses activités. La concurrence ne manquerait pas et l'on n'accorde pas d'ordonnance dans un tel cas.

Il est vrai que l'on devrait toujours accorder le bénéfice du doute pour délivrer une ordonnance. S'il est plausible que l'on ait limité la concurrence, on accordera bien entendu une audience pleine et entière à l'intervenant afin de savoir s'il est justifié de lui concéder une ordonnance plus permanente.

Ce sont là des questions difficiles. C'est le genre de questions que l'on me pose bien souvent lorsque je conseille le bureau: quelle va être l'ampleur des répercussions négatives sur la concurrence dans une affaire donnée, lorsque l'on passe de quatre à trois entreprises?

Il faut tenir compte d'une foule de critères. D'autres opérateurs vont-ils pouvoir entrer facilement sur le marché? Quelle a été la concurrence par le passé dans le secteur? Est-ce que les entreprises se sont fait solidement concurrence les unes aux autres par le passé? Est-il facile de faire intervenir les importations?

La présidente: Merci, monsieur Rajotte.

Je vais maintenant donner la parole à M. Bagnell.

M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.): Avant de commencer, je dois dire que je suis d'accord ici avec ma collègue au sujet des jeux de cartes. Je ne cherche pas en fait à élargir le filet, mais à faire en sorte que les dispositions existantes soient encore plus strictes afin de remédier au problème qu'elle a évoqué.

Pour ce qui est de la réglementation, je suis de ceux qui estiment que la réglementation ne donne pas de si bons résultats lorsque les prix augmentent de 20, de 30, de 40 ou de 50 p. 100 alors que l'inflation se situe à trois pour cent. C'est pourquoi j'estime qu'il faut que la concurrence joue bien son rôle.

J'aimerais que vous me donniez une courte réponse. Je m'intéresse à la question de la procédure. Monsieur Kennish et monsieur Ross, on peut dire essentiellement que vous travaillez à plein temps dans le domaine. Est-ce que l'on a fait appel à votre contribution? Avez-vous eu la possibilité d'intervenir auprès des fonctionnaires, des gens qui ont élaboré ces mesures? Étant donné tout le travail que vous avez fait dans le domaine, je pense que ça aurait été utile.

M. Tim Kennish: Concernant le projet de loi C-23?

M. Larry Bagnell: Oui.

M. Tim Kennish: Non, pas personnellement, mais certaines idées étaient dans l'air depuis un certain temps et nous avions fait nos commentaires à l'époque.

M. Thomas Ross: Je vous ferai essentiellement la même réponse. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai écrit un certain nombre de choses au sujet de l'article 45, évidemment, mais aussi de l'article 75, qui traite du refus de vendre, mais je n'ai pas contribué officiellement à l'élaboration de ces dispositions à un stade ou à un autre.

M. Larry Bagnell: Très bien.

Voilà deux heures que nous exposons le point de vue officiel, et je vais donc me faire l'avocat du diable pendant quelques instants.

Ma première question porte sur les ressources mises à la disposition du bureau. Étant donné que le bureau ne dispose pas de suffisamment de ressources et que le tribunal, dans le cadre du système actuel, règle les grands problèmes ou les questions les plus graves, et à partir du moment où les recours privés viseraient en moyenne les questions les moins graves, si les grandes questions ne pouvaient même pas être réglées et si vous en faisiez alors l'objet des recours privés en faisant en sorte que la gravité des questions susceptibles d'être traitées soient moindres, par manque de ressources, est-ce que cela ne remettrait pas en cause l'efficacité de la lutte contre les comportements contraires à la concurrence?

M. Thomas Ross: Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. Vous nous demandez si... J'estime que nous sommes effectivement nombreux à penser que le bureau manque de ressources depuis quelques années, notamment depuis que la nouvelle loi lui a confié de nombreuses attributions supplémentaires sans lui accorder le personnel et les ressources qui vont avec.

Vous semblez craindre que si l'on autorise les recours privés on va en quelque sorte détourner les ressources des affaires importantes. C'est cela que vous nous dites?

M. Larry Bagnell: Oui. Si elles ne sont pas suffisantes au départ, il y aura peut-être encore moins d'affaires importantes qui pourront être réglées.

M. Thomas Ross: Si le budget du bureau reste le même et s'il n'était pas tenu de répondre à toutes les demandes, s'il pouvait se montrer diligent en se déchargeant—j'imagine qu'il me faut utiliser ce terme avec prudence—de certaines de ses responsabilités d'application de la loi en faveur des intérêts privés, il pourrait conserver d'une certaine manière davantage de ressources pour traiter des grosses affaires. Je pense donc que ça pourrait effectivement être utile.

M. Tim Kennish: J'ajouterais qu'à mon avis le bureau manque de ressources mais que son travail en faveur de l'application de la loi est en grande partie incontournable tout en étant consacré à l'examen des fusions, qui fait partie de ses attributions.

L'un des problèmes vient du fait que les seuils d'examen n'ont pas été modifiés depuis que la loi est entrée en vigueur au milieu des années 80. La proposition a été faite, mais on n'y a pas donné suite, en partie en raison de la limitation des ressources.

• 1105

Quant aux autres domaines, je pense que tout le monde est d'accord pour dire que les cartels, de même que les abus de position dominante, sont d'un tout autre ordre de grandeur que certaines de ces autres questions, quelle que soit leur importance. Je ne suis pas surpris que le bureau se soit engagé dans cette voie en cherchant avant tout à lutter contre les fusions abusives et contre les cartels.

Dans des documents d'orientation antérieurs, notamment en matière de recours privés, le barreau a allégué—et je crois qu'il a fini par se lasser—qu'il fallait davantage d'argent pour financer les opérations du bureau. Si on lui demande de faire un travail, il ne faut pas l'en empêcher par un manque de ressources. Toutefois, je pense que l'on a cessé d'avancer cette argumentation, parce que les choses semblent très bien se dérouler.

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur Wetston.

M. Howard Wetston: J'ai remis en septembre à l'Association du Barreau canadien une étude que j'ai rédigée avec Tim et dans laquelle j'ai comparé le budget de la Commission des valeurs mobilières à celles du bureau. Notre budget est à peu près deux fois plus élevé.

Touché.

La présidente: Monsieur Dillon.

M. John Dillon: Il me semble que l'on a évoqué la question du manque de ressources. Notre organisation n'a pas pris officiellement position sur la question, mais je pense qu'un certain nombre de responsables du milieu des affaires en sont conscients.

Je reviens sur votre sujet de préoccupation précis étant donné que si les recours privés voient le jour, si je comprends bien, on peut penser que la plupart des intervenants vont d'abord porter leur cause devant le bureau...et seulement si le bureau décide de ne pas lui-même la prendre en charge. Je ne suis donc pas sûr que nous n'allons pas nous heurter aux difficultés que vous avancez.

On peut penser aussi que si le tribunal accepte d'entendre l'une de ces affaires, il voudra se ménager certaines collaborations. Éventuellement, le bureau lui-même pourrait décider d'intervenir dans un recours privé.

Donc, effectivement, je pense que cela va encore aggraver le manque de ressources au sein du bureau, à moins qu'on lui attribue une augmentation de ressources significative.

La présidente: Je vous remercie.

Avez-vous une question à poser?

M. Larry Bagnell: Oui, rapidement, à Howard.

Vous avez parlé d'autres recours nous évitant des poursuites fastidieuses. Toutefois, lorsqu'on examine les autres possibilités de recours, est-ce que l'on ne va pas opérer comme pour la détermination des peines: on peut prononcer une peine de dix ans, de cinq ans ou d'un an mais, dans la plupart des cas, le juge ne va-t-il pas rester dans la bonne moyenne? Si vous introduisez des mesures plus souples, n'est-il pas possible que certaines affaires graves qui auraient dû faire l'objet de poursuites en bonne et due forme débouchent sur des sanctions moins sévères?

M. Howard Wetston: Je pense que c'est une bonne question, mais il est peu probable, à mon avis, que les choses se passent comme cela dans ce domaine.

Si nous envisageons tout simplement de limiter les recours privés aux restrictions verticales imposées au commerce, je ne pense pas que cette éventualité soit probable—parce que ce n'est de toute façon pas très possible dans ce secteur. Je serais d'accord avec vous dans le cas des cartels et du contrôle des prix, par exemple. J'ai déjà évoqué cette question en demandant pour quelle raison il semble qu'on lutte moins contre les coalitions visant à réduire la concurrence au Canada. Je pense qu'il y a pour cela d'excellentes raisons, mais ce sont effectivement des questions que je pose. Ces coalitions sont très difficiles à débusquer et très difficiles à réprimer.

Toutefois, dans le domaine des restrictions verticales imposées au commerce, à l'exception des questions évoquées par mes collègues, et qu'il faudra régler sur le plan des sanctions, je pense que le problème est tout à fait négligeable. Je dois vous avouer qu'il ne se passe pas grand-chose.

La présidente: Je vous remercie.

Merci, monsieur Bagnell.

Avant que nous passions à la suite, il y a encore deux ou trois intervenants qui aimeraient poser des questions. En outre, je tiens à préciser une ou deux choses avant de poursuivre.

Tout d'abord, monsieur Kennish, en ce qui concerne votre étude et l'échange que vous avez eu avec Mme Torsney concernant la communication trompeuse de l'obtention d'un prix, je pensais que la disposition d'exemption prévue par le projet de paragraphe 53(2) écarterait bien des préoccupations. Vous nous dites dans votre mémoire que ce projet interdirait pratiquement tous les concours promotionnels courants. Ce n'est pas ce que je vois en lisant le paragraphe proposé. On y mentionne clairement les cas d'exemption, qui autorisent ce genre de concours si la notification est légitime, si la divulgation se fait normalement, si l'on a prévu une question de connaissances générales ou si l'on obtient un prix ou un autre avantage.

J'ai donc du mal à rapprocher l'affirmation faite dans votre mémoire de ce que je vois dans le projet de paragraphe 53(2). Vous pourriez peut-être éclairer ma lanterne.

M. Tim Kennish: Je ne sais pas très bien ce qui se trouve dans notre mémoire étant donné que ce projet a été rédigé par notre groupe des pratiques commerciales. Je crois comprendre que la disposition d'exemption ne suffit pas à écarter l'interdiction lorsqu'il y a une offre ou une promesse d'accorder un prix ou lorsque, pour octroyer le prix, on pose comme condition une inscription, la possibilité de s'inscrire en procédant à un achat ou la nécessité de faire telle ou telle chose.

• 1110

Je me ferai un plaisir de communiquer avec vous plus tard sur cette question.

La présidente: Ce serait probablement la meilleure chose à faire. Nous pourrions peut-être procéder ainsi et entamer un dialogue avec ce groupe, parce que j'aimerais que la chose soit précisée. S'il y a eu une erreur dans la rédaction de la loi, il nous faut la corriger, parce que l'intention n'était pas...il n'est pas question d'interdire les concours si l'information est suffisante et présentée de toute évidence de bonne foi.

En second lieu, j'aimerais par ailleurs revenir sur l'une de vos déclarations antérieures, monsieur Wetston, concernant les dispositions devant être prévues dans la loi. Vous avez fait les propositions suivantes ou vous vous êtes demandé s'il devait appartenir au tribunal de décider ou si cela devait figurer dans la réglementation ou dans les lignes directrices. Avez-vous une ferme conviction à ce sujet ou est-ce que c'est une chose qu'il nous faut simplement recommander?

M. Howard Wetston: C'est une très bonne question et je pense qu'on peut se prononcer dans un sens ou dans l'autre. Personnellement, j'aimerais que le tribunal dispose d'un maximum de marge de manoeuvre afin qu'il puisse concevoir ses propres règles de fonctionnement dans ce domaine si le gouvernement décide d'apporter des modifications. Je crois que ce serait la meilleure solution.

Par contre, il est possible que certaines de ces dispositions doivent être prises par voie législative afin que le tribunal soit en mesure d'agir. Ainsi, s'il cherche à limiter la communication des preuves, il va se heurter à un véritable mur chez les professionnels du barreau et éprouver à toutes les difficultés que nous avons évoquées précédemment. Si vous voulez vraiment agir, je pense qu'il vous faudra légiférer dans les principaux domaines.

Prenons le cas, par exemple, où toutes les affaires doivent être terminées dans un délai de trois mois. Je pense qu'il faut que ce soit prévu dans la loi parce que j'ai bien peur que ce ne soit pas possible si cela relève uniquement des règles de pratique du tribunal. Je vous conseille donc de faire relever un maximum de choses du tribunal et de ses règles de pratique, de façon à ce qu'il puisse les adapter à chaque affaire en particulier.

La présidente: Une dernière chose avant de passer à la suite. J'écoute avec une grande attention ce qui est dit et ce que nous a fait remarquer tout à l'heure Mme Torsney au sujet des frontières. J'ai bien du mal à accepter la chose. Je vois des entreprises de Windsor et du Michigan qui ont théoriquement les mêmes propriétaires et je constate qu'il y a des entreprises de Windsor qui n'ont aucun droit de recours alors que les entreprises du Michigan en ont un. Il peut s'agir en fait d'une entreprise de Windsor ayant désormais une filiale au Michigan qui possède un droit de recours contre la société mère située au Michigan, alors que l'entreprise de Windsor n'en a pas. Il semble que ça ne cadre pas.

Je ne suis pas d'accord pour que nous nous engagions dans la même voie que les États-Unis en accordant de triples dommages-intérêts. Parallèlement, cependant, en tant qu'avocat formé à la fois au Canada et aux États-Unis, je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous n'accordons pas aux particuliers et aux entreprises un droit de recours afin qu'ils puissent continuer à poursuivre leurs activités.

Je ne sais pas comment on peut résoudre la question. J'ai écouté tous les arguments présentés et, vous m'excuserez, je n'ai pas entendu de bons arguments qui s'y opposent. De plus, il n'y a pas de consensus. J'imagine que cela signifie qu'il y a des gens qui sont pour et d'autres qui sont contre dans nombre d'organisations. Je n'ai pas entendu toutefois de véritables arguments nous prouvant que c'est une mauvaise chose. Je n'arrive pas à voir pourquoi il serait mauvais que nous disposions d'un droit de recours.

J'apprécierais vos observations à ce sujet. Je viens d'une localité frontalière et je passe aujourd'hui 95 p. 100 de mon temps à me pencher sur ce qui se passe à la frontière. Les entreprises de ma circonscription exercent leurs activités au Canada comme aux États-Unis et il leur faut prendre des décisions. Je me demande si nous pensons que c'est une mauvaise chose ou si nous considérons tout simplement qu'il n'y a pas encore de loi en ce sens. Toutefois, lorsqu'on en discute depuis 30 ans—il arrive que le changement soit une bonne chose et il est parfois temps de changer.

Monsieur Wetston.

M. Howard Wetston: Si je puis soumettre à votre attention... et évidemment votre circonscription se trouve à Windsor.

La présidente: Dans le comté d'Essex, en fait.

M. Howard Wetston: Le comté d'Essex est situé à proximité du Michigan, dans la région limitrophe.

Pour ne pas que l'on s'égare, je rappelle toujours que lorsque j'ai quitté en 1993 le Bureau de la concurrence pour aller à la cour, nous nous occupions du commerce, de la politique de la concurrence, de la mondialisation et de l'influence de l'innovation sur nos marchés. Nous voulions savoir si le Canada était vraiment prêt à se lancer sur le marché mondial ou si l'on voulait simplement continuer à opérer avec de petites usines inefficaces, protégées par des barrières commerciales.

• 1115

Ces décisions ont été prises il y a un certain nombre d'années et je pense que nous sommes dans une économie différente aujourd'hui—Dieu merci. À cette époque, toutefois, 80 p. 100 des Canadiens habitaient à moins de 100 milles de la frontière. Ils sont peut-être 85 p. 100 aujourd'hui. Je considère donc que votre expérience n'est pas très différente de celle de bien d'autres habitants du Canada pour ce qui est des effets de la concurrence exercée par les États-Unis et de l'harmonisation des règles du jeu.

Toutefois, vous avez raison de parler ainsi et je vous répondrai tout simplement en vous rappelant que pour la plupart nous habitons près de la frontière des États-Unis.

La présidente: Je vous remercie.

Y a-t-il d'autres commentaires?

Monsieur Dillon.

M. John Dillon: Je pense que nous pourrions bien évidemment prolonger pendant longtemps cette discussion des complexités des relations entre le Canada et les États-Unis. C'est intéressant, toutefois, parce que nos critiques accusent généralement mon organisation d'être en faveur d'une harmonisation pure et simple avec les États-Unis sans conserver aucun avantage pour les Canadiens. Ce n'est absolument pas notre position. Je vous l'ai dit tout à l'heure, je considère que c'est là un domaine dans lequel nous considérons avoir l'avantage comparativement aux États-Unis étant donné que nous sommes moins chicaniers. Nos entreprises y voient en fait un avantage.

Nous n'avons donc pas à imiter tout ce que font les États-Unis, notamment lorsque nous constatons que ces politiques, ces lois ou ces procédures ne sont pas aussi efficaces et utiles lorsqu'il s'agit d'améliorer la productivité et la compétitivité au Canada.

Ce que j'ai contesté, cependant, ce n'est pas le droit pour les entreprises de disposer de recours, d'un accès aux tribunaux et de moyens de réparation. Il faut évidemment que ce soit le cas. En outre, comme d'autres membres du groupe de témoins l'ont mentionné, bien souvent la loi prévoit des recours et il y a des différends de type contractuel. Ce que nous nous demandons, en fait, c'est si des dispositions de ce type risquent d'être détournées de leur but et si nous sommes en mesure de remédier à ce genre d'abus d'une façon qui favorise la concurrence plutôt que de la limiter.

La présidente: Je vous remercie.

Je vais revenir aux questions, en commençant par M. Penson.

M. Charlie Penson: Je me demande si les membres du groupe de témoins ont pris connaissance du rapport de l'OCDE qui traite du tribunal et du Bureau de la concurrence. Pour l'essentiel, on y critique fortement le Canada, dont la Loi sur la concurrence est jugée inefficace.

J'aimerais évoquer ce sujet, notamment en ce qui a trait aux recours privés et à la façon dont on pourrait éventuellement renforcer l'efficacité de la Loi sur la concurrence au Canada. Je reviens une fois de plus à l'industrie du transport aérien. M. Ross a indiqué qu'elle était en voie de déréglementation, mais j'exposerai un point de vue tout à fait différent: même si l'industrie du transport aérien s'est engagée éventuellement dans cette voie, il y a encore une réglementation non négligeable.

Je me demande si la possibilité d'intenter des recours privés serait susceptible d'améliorer le traitement d'une affaire comme celle de WestJet, dont l'audience a été retardée de six mois et qui va devoir attendre encore six mois de plus avant de passer devant le tribunal. Cette affaire ne sera entendue qu'au printemps.

Pour votre information, deux nouvelles sociétés de transport aérien ont fait faillite l'année dernière. Une société dispose d'un monopole de 80 p. 100 du marché, WestJet l'a accusé d'un comportement contraire à la concurrence et il faut au moins un an pour entendre l'affaire. Est-ce que le droit d'intenter un recours privé peut améliorer ce genre de situation?

M. Thomas Ross: Je vais essayer de répondre à votre question. Je ne pense pas que le projet de loi C-23 ou les modifications qui sont proposées soient d'une aide quelconque en matière de recours privés. Ce genre d'affaire relève normalement des dispositions de l'article 79, qui traitent de l'abus d'une position dominante. Comme je l'ai indiqué, c'est là aussi qu'il faudrait peut-être introduire la possibilité d'intenter un recours privé.

C'est toutefois un gros domaine et je pars du principe qu'il faut commencer par les petites choses, par accorder une possibilité de recours en vertu des articles 75 et 77, l'article 79 devant venir plus tard. C'est là le genre d'affaire qui vient naturellement à l'esprit lorsqu'on cherche à accorder une certaine possibilité de recours aux parties lésées par un comportement abusif. Toutefois, le projet de loi que vous avez devant vous, de même que les dispositions du projet de loi C-472, ne vous seront d'aucune aide.

M. Charlie Penson: Professeur Ross, si l'on appliquait ces dispositions, et si nous en faisions effectivement relever l'article 79, est-ce que cela nous aiderait dans cette affaire en particulier?

M. Thomas Ross: On aurait ainsi un autre moyen de recours. WestJet, par exemple, pourrait se saisir elle-même de l'affaire sans avoir à s'en remettre au commissaire.

• 1120

Ici, cependant, je pense que le commissaire considère que cette affaire présente un grand intérêt pour le public, et il va s'en saisir. La question qui se pose alors est de savoir s'il serait préférable pour WestJet... Si cette entreprise se chargeait elle-même de l'affaire, il lui faudrait en défrayer le coût, ce qui serait pire pour elle. Ou plutôt, il lui faudrait payer davantage de frais car je suis sûr qu'elle a des frais.

Est-ce que l'affaire serait tranchée plus rapidement? Eh bien, j'imagine...

M. Charlie Penson: C'est en fait la question ici, n'est-ce pas? Dans un tel cas, l'entreprise peut très vite s'écrouler sous le poids du marché. Tout est là, si l'on veut que la Loi sur la concurrence soit efficace.

M. Thomas Ross: Effectivement. Le commissaire peut désormais exiger ces ordonnances provisoires—ce qu'il a déjà fait, d'ailleurs. Aux termes des modifications antérieures, ce n'était pas possible pour des parties privées. Je ne pense pas qu'il y ait dans le projet de loi C-472 ou dans d'autres textes de ce genre des dispositions prévoyant ce genre d'ordonnance provisoire. Donc, dans une certaine mesure, le commissaire a davantage les moyens de trancher rapidement ce genre d'affaire que les parties privées, même si l'on étend, j'imagine, ces dispositions à l'article 79.

M. Charlie Penson: Mais rien ne s'est produit cependant.

M. Thomas Ross: Le commissaire a rendu à un moment donné des ordonnances provisoires à l'encontre d'Air Canada pour qu'elle retire ses tarifs spéciaux—je ne sais plus comment on les appelait, les noms étaient bien choisis—et l'a menacée ensuite de prononcer une autre ordonnance. Air Canada s'est contenté à un moment donné de retirer volontairement ses tarifs.

Toutefois, la procédure n'est pas aussi rapide qu'on le voudrait, c'est certain.

M. Charlie Penson: Je pense qu'il faut dire que ce ne serait pas là non plus une solution magique.

M. Thomas Ross: Non, effectivement.

M. Charlie Penson: Ce serait une procédure longue et laborieuse. Même en cas de recours privés, ce ne serait pas vraiment une solution ou ce serait peut-être même inutile lorsqu'on a besoin de prendre rapidement une décision.

M. Thomas Ross: Non.

M. Howard Wetston: Non, à moins que l'on prévoie des dispositions accélérant la procédure comme nous l'avons dit tout à l'heure.

Je vous ai recommandé de prévoir une révision au bout de cinq ans. Je vous invite vraiment à le faire pour les recours privés. Vous aurez ainsi la possibilité d'en étendre l'application, si vous le jugez bon et si ça donne des résultats.

Votre comité aura ainsi la possibilité de se pencher sur la question. Le gouvernement aura le loisir d'y réfléchir. J'ai une certaine expérience de la question dans le domaine des valeurs mobilières et je crois que c'est très efficace. Lorsque de telles dispositions sont prévues dans la loi on fait mieux attention à ce que l'on fait.

L'abus de position dominante n'est pas envisagé ici. Tout est là.

M. Charlie Penson: Proposez-vous qu'on inclut ces dispositions?

M. Howard Wetston: Je n'y ai pas vraiment pensé. Je suis d'accord avec Tom jusqu'à un certain point. Je conviens toutefois que si WestJet pouvait s'adresser directement au tribunal, si elle pouvait faire valoir elle-même sa propre cause et si l'on avait mis en place des mécanismes accélérant la procédure, il faudrait peut-être encore un an pour entendre l'affaire, mais j'ai le sentiment qu'il faudrait moins que cela.

Cela implique beaucoup de choses, même sur les questions d'intérêt public dont le commissaire se saisit. Elles peuvent être tout à fait justifiées. N'oubliez pas, cependant, que WestJet exerce ses activités dans le secteur; elle sait à quoi elle a à faire face. Le commissaire n'exerce pas de telles activités. C'est un fonctionnaire.

À mon avis, c'est celui qui exerce ses activités dans le secteur qui a le plus à gagner et le plus à perdre. Les gens les plus compétents sont les professionnels qui exercent dans le secteur. Cela ne veut pas dire que le Bureau de la concurrence n'a pas beaucoup de compétences dans le domaine, mais il pourrait être utile aussi de décriminaliser l'imposition de prix abusifs et la discrimination sur les prix. Si vous décriminalisiez l'imposition de prix abusifs dans le secteur du transport aérien, vous pourriez peut-être accélérer par la même occasion les décisions prises dans ce genre d'affaire.

M. Charlie Penson: Il s'agirait de recours civils.

M. Howard Wetston: En effet.

M. Charlie Penson: On n'aurait pas à s'adresser au Tribunal de la concurrence, par exemple.

M. Howard Wetston: On pourrait s'adresser à l'ensemble des tribunaux, et éventuellement au Tribunal de la concurrence—mais ce n'est pas là notre propos.

L'essentiel est de voir que ce mécanisme est peut-être légèrement décalé par rapport à ce dont nous pouvons avoir réellement besoin pour que notre Loi sur la concurrence fonctionne bien. M. Dillon nous dit qu'elle fonctionne assez bien. Je n'en disconviens pas. J'ai pris part à l'élaboration de ce mécanisme en 1986 et j'aime à penser qu'il fonctionne bien, mais il pourrait fonctionner mieux. Nous voulons tous améliorer la loi, j'imagine.

La présidente: Monsieur Dillon, avez-vous vous aussi une réponse à apporter?

M. John Dillon: J'entends évoquer certaines préoccupations au sujet de la procédure et de sa lenteur. Je ne suis pas convaincu que les recours privés vont raccourcir véritablement les délais, à moins que l'on soit par ailleurs disposé à modifier la procédure comme le propose M. Wetston. Il y a au moins deux parties dans tous ces litiges et la partie adverse, comme on l'a indiqué précédemment, va vouloir pouvoir disposer de tous les moyens de recours et présenter une défense pleine et entière.

La question porte sur la procédure adoptée devant le tribunal, que le commissaire lui-même présente la cause ou que ce soit une partie privée. En réalité, si je comprends bien, la procédure actuelle est très lente. Il y a peut-être certains moyens d'amender la procédure devant le tribunal pour que les gens puissent avoir un recours.

Je reconnais, tout particulièrement dans des affaires comme celle de WestJet, qu'il est nécessaire—c'est pourquoi on a prévu des ordonnances provisoires—de trancher rapidement ce genre de choses. Cela relève toutefois de la procédure et je ne suis pas convaincu que les recours privés vont pouvoir accélérer le traitement de ces affaires.

• 1125

M. Charlie Penson: Vous n'avez peut-être pas la réponse à cette question aujourd'hui, mais pourquoi nous faut-il disposer de ce tribunal, d'un organisme quasi judiciaire? Pourquoi ne pas prévoir une audience devant une véritable cour de justice?

M. Howard Wetston: Avez-vous une heure à consacrer à la question?

M. Charlie Penson: Non, mais j'aimerais bien que vous nous donniez rapidement votre avis.

M. Howard Wetston: De 1976 à 1986 environ, lorsque nous avons apporté une première série de modifications à la Loi sur la concurrence en prévoyant des dispositions s'appliquant aux restrictions verticales du commerce, puis en apportant une amélioration générale en l986 en décriminalisant le droit des fusions et des monopoles... Rappelez-vous qu'en 1986, lorsqu'on prononçait une ordonnance s'opposant à une fusion, on faisait intervenir le droit pénal et il fallait alors passer devant les tribunaux, intenter des poursuites et prouver que cette initiative était contraire à l'intérêt public.

Je pense que vous venez des Maritimes. C'est bien ça? Je pensais qu'il y avait ici un député des Maritimes, d'où je suis originaire. La Cour suprême a prononcé un arrêt célèbre dans l'affaire des journaux Irving, qui a fait l'objet de poursuites intentées en vertu des dispositions pénales de la Loi d'enquête sur les coalitions, parce qu'il s'agissait d'une loi pénale.

On a donc cherché à faire trancher les tribunaux et le gouvernement s'est penché sur différents modèles dans le monde et s'est demandé s'il lui fallait passer simplement par les tribunaux comme on le fait aux États-Unis, ou plutôt par la Commission fédérale du commerce, comme on le fait là aussi aux États-Unis, ou s'il fallait élaborer d'autres modèles encore. On a jugé que l'on pourrait disposer des avantages des deux systèmes en adjoignant des compétences administratives à un organisme judiciaire. Nous avons donc établi un tribunal spécialisé avec des juges qui président des groupes en mesure de trancher les questions de droit et s'adjoignant des membres comme Tom Ross, spécialisés en économie, et d'autres encore en comptabilité et en gestion d'entreprise. C'est la décision qui a été prise, de mettre sur pied un tribunal mixte.

Voilà donc en deux minutes l'historique de la chose.

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur McTeague, pour finir.

M. Dan McTeague: Je pense que M. Kennish veut ajouter un autre commentaire.

La présidente: Excusez-moi, monsieur Kennish, je ne vous avais pas vu.

M. Tim Kennish: J'ajouterai que ce qu'a dit Howard est juste. Du point de vue de la procédure, le Tribunal de la concurrence fonctionne tout à fait comme une cour de justice. Sa procédure est très stricte. Elle comporte effectivement la plupart des garde-fous et des formalités d'une cour de justice, et c'est l'une des raisons pour lesquelles elle est si longue.

La présidente: Monsieur McTeague.

M. Dan McTeague: Madame la présidente, j'ai deux questions à poser.

La première s'adresse à chacun d'entre vous et je vous demanderais d'y répondre aussi brièvement que possible. Nous avons envisagé une meilleure affectation des ressources, ou un usage plus approprié de celles-ci. On s'est beaucoup demandé combien on dépensait sur les questions de coalition, d'abus de position dominante et, bien entendu, d'examen des fusions.

J'aimerais envisager la question sous un angle différent et parler de l'affectation des ressources au tribunal. À votre avis, est-ce que les ressources du tribunal sont bien utilisées à l'heure actuelle? Est-ce qu'il pourrait en faire davantage? Par ailleurs, est-ce que les recours privés relèvent véritablement des attributions du tribunal?

C'est ma première question. Je poserai la deuxième ensuite, madame la présidente.

La présidente: Professeur Ross.

M. Thomas Ross: Je vais commencer.

Monsieur McTeague, sans vouloir parler au nom des autres intervenants, après en avoir discuté avec mes collègues, avec les avocats et les économistes spécialisés dans la politique de la concurrence, je peux vous dire que les observateurs sont déçus de l'évolution du modèle que représente le tribunal. On ne peut pas dire qu'il est impossible de l'améliorer, mais on a l'impression qu'il est plus sclérosé et plus lent qu'il devrait l'être et qu'en conséquence les gens cherchent moins à s'adresser à lui, ce qui fait que le tribunal n'a pas été aussi occupé qu'il aurait pu l'être. Il y a bien des différends qui ont été réglés dans le bureau du directeur ou du commissaire entre les parties, parce que personne ne veut vraiment être impliqué dans cette procédure.

Certaines dispositions que vous avez fait figurer dans le projet de loi C-23 vont remédier à ce problème, je pense. Ainsi que l'a déclaré le commissaire actuel, elles donnent effectivement au tribunal les moyens de contrôler davantage sa propre procédure. Je ne sais pas si le tribunal manque de certaines ressources. Il y a ici des gens qui en sauront peut-être plus que moi sur la question.

Il y a aussi le problème du modèle faisant appel à la fois à des juges et à des spécialistes non juristes. Le principe me paraît très bon mais il est difficile d'engager un personnel de qualité. Je ne veux pas critiquer certains membres en particulier, mais il est difficile pour certaines personnes, notamment pour les membres non juristes à temps partiel, par exemple, d'abandonner tout ce qu'elles sont en train de faire pour venir entendre une cause, ce qui fait que l'on va engager par exemple du personnel à la retraite, ce qui peut être un atout ou un inconvénient. Personne ne m'a jamais demandé de siéger au sein du tribunal, mais il me faudrait refuser, par exemple. Il est probable que le Canada y gagnerait si je ne refusais pas. Il reste donc à régler certaines difficultés, à mon avis, si l'on veut éventuellement que le tribunal fonctionne mieux.

Je m'arrêterai là.

• 1130

La présidente: Monsieur Wetston.

M. Howard Wetston: Je constate que votre comité nous pose des questions difficiles.

Monsieur McTeague, il n'est pas facile de vous répondre à ce sujet, même si je n'ai pas le sentiment que les ressources du tribunal sont sous-utilisées, étant donné qu'il n'entend pas suffisamment d'affaires pour cela. Par conséquent, si la finalité du tribunal n'était pas de demander au commissaire de se substituer à lui, ce qui est aujourd'hui le cas, en réglant la plupart des problèmes en privé dans son bureau, seul un communiqué de presse en faisant éventuellement foi, on peut affirmer alors que ce n'est pas ce qui était prévu lorsqu'on a adopté la loi.

On était convaincu en 1986 que ce tribunal allait servir, qu'il ne serait pas aussi axé sur les questions de droit, en dépit du fait que des juges siègent en son sein, et qu'il serait plus efficace et plus utile. Je ne blâme pas exclusivement le tribunal, mais ce n'est tout simplement pas ainsi que les choses se sont passées. Il nous faut reconnaître, à mon avis, qu'il y a ici un problème de politiques publiques qu'il nous faut essayer de résoudre. La question qui se pose alors est de savoir comment le faire. Est-ce en agissant au sein du tribunal? Est-ce en lui attribuant davantage de ressources pour qu'il puisse entendre des causes qui sont dans l'intérêt général?

Nous avons besoin d'un corps de jurisprudence dans notre pays. Des avocats comme Tim Kennish conseillent tous les jours des clients sans être guidés comme il se doit par les cours de justice ou par le tribunal. On n'en fait pas assez. Les lignes de conduite élaborées par le commissaire sont tout simplement insuffisantes. Je vous prie de considérer que j'ai lancé l'opération et que j'ai publié en 1990 des lignes de conduite concernant l'application du droit aux fusions. J'ai publié les lignes de conduite s'appliquant aux prix abusifs. J'ai publié les lignes de conduite se rapportant à la discrimination sur les prix. Ce n'est pas suffisant.

Il n'y a donc qu'une seule façon de savoir si l'on en fait suffisamment. Vous pouvez décider de faire en sorte que le tribunal fasse son travail en vous assurant qu'il dispose des ressources, des règles et du nombre d'affaires nécessaires, et vous allez vous pencher sur les résultats obtenus. Si ce n'est pas concluant, votre comité peut revoir la question dans cinq ans et décider de nouveaux changements.

La présidente: M. Dillon est le suivant.

M. John Dillon: Je reconnais qu'on a longuement discuté, c'est certainement vrai au sein de la collectivité juridique, pour savoir si la jurisprudence est suffisante dans ce domaine et en fait, comme vient de l'indiquer M. Wetston, la grande majorité des plaintes enregistrées en la matière sont réglées dans le bureau du commissaire sous forme d'ordonnances de consentement, à l'issue d'un accord passé entre les parties. Laissez-moi vous dire que bien des questions qui pourraient être abordées au moyen de ces recours privés, en ce qui a trait aux articles 75 et 77, peuvent en fait être réglées par le commissaire, qui peut faire valoir aux entreprises en cause que tel ou tel comportement ou tel refus de vendre, selon le cas, dépasse vraiment les bornes, et le comportement incriminé disparaît. En réalité, donc, bien des affaires de ce type sont en fait réglées.

Je pense que c'est dans l'esprit du barreau—je ne suis pas vraiment persuadé que ce point de vue soit partagé par le monde des entreprises—qu'il nous faut davantage de poursuites, davantage d'affaires et davantage de jurisprudence. J'estime qu'il nous faut être plus clair dans un certain nombre de domaines. C'est ce que j'ai entendu dire par nos membres et par les gens qui s'occupent de la question. Comme vient de le dire M. Wetston, il y a des lignes de conduite, mais elles ne sont pas toujours claires. La situation n'est donc pas totalement satisfaisante mais, d'un autre côté, je pense qu'il y a un ensemble de pratiques qui se développent au sein du bureau et qui peuvent nous servir en quelque sorte de guide pour décider de ce qui est acceptable. Je ne suis pas convaincu que la meilleure façon de régler la question soit de multiplier purement et simplement les recours privés afin que le tribunal entende davantage d'affaires.

La présidente: Monsieur Kennish.

M. Tim Kennish: Je suis ici pour représenter le point de vue des membres de mon association et j'ai donc du mal à répondre à votre question, monsieur McTeague, faute d'instructions, mais je dois vous dire que personnellement, dans ma propre pratique, j'évite de me retrouver devant le Tribunal de la concurrence pour diverses raisons et entre autres, évidemment, en raison du temps que cela prend et des coûts correspondants. Ainsi, toute autre solution est préférable lorsqu'on a un argument précis à faire valoir. Bien évidemment, si l'on remet en cause l'un de vos comportements passés et si le problème est récurrent et important pour vous, c'est la seule option qui vous reste. Je considère cependant que c'est une procédure lente, coûteuse et donc difficile à mettre en oeuvre.

Par le passé, l'application de la loi s'est heurtée au problème des ordonnances de consentement, et j'estime que l'on a bien réglé le problème dans ce projet de loi. C'est un changement important et il nous permettra de régler plus rapidement les affaires.

• 1135

M. Dan McTeague: J'ai rapidement une question à poser à M. Wetston en sa qualité d'ancien commissaire ou directeur des services d'enquête et de recherche. J'aimerais savoir ce que vous pensez du pouvoir de renvoi que possède le commissaire auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les questions liées à la concurrence, puisqu'il s'agit d'une proposition que j'ai faite devant notre comité.

M. Howard Wetston: Pouvez-vous rafraîchir ma mémoire, monsieur McTeague? S'agit-il d'un pouvoir de renvoi du commissaire devant le TCCE?

M. Dan McTeague: Effectivement. Le commissaire aurait le pouvoir de renvoyer devant le Tribunal canadien du commerce extérieur, et non pas simplement devant le ministre des finances ou un autre ministre, les questions portant sur les différents secteurs d'activité de l'économie ou sur les effets du point de vue de la concurrence dans un secteur donné.

M. Howard Wetston: Effectivement.

M. Dan McTeague: Je me réfère bien entendu au problème abordé dans l'étude du Conference Board et aux difficultés que nous avons eues l'année dernière.

M. Howard Wetston: Je serais injuste envers vous si je commentais la chose, parce que je n'y ai pas vraiment réfléchi. Je préférerais ne pas me lancer dans un débat de spécialiste sur la question. M. Ross pourra vraisemblablement mieux vous répondre que moi.

Je dirai une chose, cependant. Lorsque j'étais au Bureau de la concurrence, nous avons été saisis d'un certain nombre d'affaires liées au commerce. Avec M. Kennish, j'ai pris part à l'une d'entre elles, une très longue affaire, si je me souviens bien, qui a débouché sur une ordonnance de consentement. De toute évidence, il y avait là autant d'éléments liés au commerce qu'à la concurrence et nous avons dû trancher jusqu'à un certain point les questions commerciales pour résoudre le problème de concurrence.

Est-ce que je rends bien compte de la situation?

M. Tim Kennish: J'ai du mal à me souvenir de l'affaire à laquelle vous faites allusion.

M. Howard Wetston: Je vous rappellerai la chose dans le couloir.

Il est indéniable, à mon avis—et je ne sais pas vraiment ce qui vous a poussé à proposer la chose—qu'il y a beaucoup de problèmes de concurrence qui sont intrinsèquement liés à des problèmes commerciaux, et il est parfois difficile de savoir si tels recours de type commercial va pouvoir remédier au problème de concurrence, et vice-versa.

Excusez-moi, mais c'est tout ce que je peux vous dire sur la question.

La présidente: Très bien.

M. Dan McTeague: Madame la présidente, si quelqu'un veut éventuellement...

La présidente: Non, j'ai une autre question à poser.

M. Dan McTeague: Il ne s'agit pas d'une question ici, je veux simplement dire aux témoins que s'ils souhaitent, dans les jours qui suivent, nous faire part de leurs observations par votre intermédiaire, madame la présidente, ils sont les bienvenus.

La présidente: Certainement, mais je vais d'abord donner la parole à Mme Girard-Bujold.

Madame Girard-Bujold, c'est à vous.

[Français]

Mme Jocelyne Girard-Bujold: Merci, madame la présidente.

Monsieur Kennish, vous représentez l'Association du Barreau canadien. Vous êtes le président de la Section nationale du droit de la concurrence. Vous dites dans votre mémoire, à l'annexe A intitulée «Droit d'accès privé», que les membres de la section sont partagés sur la question de savoir dans quelle mesure cette modification est souhaitable. Plus tôt, vous en avez nommé quelques éléments. Vous avez également dit que le fait de donner accès au tribunal aux parties privées allait modifier la Loi sur la concurrence et permettre bien d'autres façons d'agir.

J'aimerais que vous me disiez en tant que juriste—parce qu'il s'agit vraiment d'un texte de loi basé sur des textes de loi de juristes—pourquoi l'opinion est partagée au sein de votre section, de votre association. Pourquoi dites-vous dans votre mémoire que c'est cela qui va se faire? Est-ce que la majorité de vos membres pensent comme vous?

[Traduction]

M. Tim Kennish: Notre section compte 1 300 membres. Nous n'avons pas demandé à chacun de faire connaître son point de sur ces questions, qui sont très complexes et très vastes. Ce que nous avons fait, lorsque nous avons eu connaissance de ce projet, c'est que nous avons rassemblé tous ceux qui connaissaient le mieux le domaine, parce qu'ils avaient déjà présenté des causes devant le tribunal, parce qu'ils s'intéressaient à des questions liées au droit de la concurrence ou tout simplement en raison de leurs compétences générales.

Je vous dirais que les avis étaient également partagés entre les partisans et les opposants à cette mesure. Je vous réponds simplement que nous n'avons pas d'avis concernant le bien-fondé de cette réforme dans ce secteur. Toutefois, au cas où l'on déciderait de la mettre en place, nous avons fait un certain nombre d'observations concernant les mesures à prendre pour remédier aux préoccupations liées aux poursuites stratégiques et autres choses de ce genre.

La présidente: C'est tout?

[Français]

Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

Je n'ai pas d'autres questions sur ma liste.

Je remercie tous les témoins d'être venus ce matin. Vous nous avez fourni un grand nombre de réponses instructives. La discussion s'est avérée très intéressante. Les attachés de recherche, de même que tous les membres du comité, auront de toute évidence du pain sur la planche désormais, de manière à ce que l'on puisse en arriver à une certaine forme de consensus par la suite.

• 1140

Si vous avez d'autres observations à faire à mesure que se poursuivent nos délibérations, n'hésitez pas à les faire parvenir au greffier.

Je vous informe que nous avons l'intention de passer à l'étude article par article lors de la semaine du 20 novembre. La Chambre ne siégera pas la semaine du 11 novembre de sorte que nos dernières séances, théoriquement, telle que la situation se présente à l'heure actuelle, se tiendront au cours de la semaine précédant le 11 novembre. Chacun d'entre nous disposera donc d'une dizaine ou d'une douzaine de jours pour déchiffrer tout ce que nous avons entendu avant de passer à l'étude article par article. Cela dit, il se peut que nous entendions d'autres témoins et que nous retardions d'un jour ou deux l'étude article par article lorsque nous reviendrons.

Nous essayons de faire en sorte que tout le monde ait la possibilité d'écouter, d'entendre et de répondre. Si vous avez donc des observations à faire, n'hésitez donc pas à les communiquer au greffier. Il veillera à ce que nous les recevions.

Je tiens à tous vous remercier d'être venus. Nous espérons pouvoir vous accueillir à nouveau à l'avenir et nous souhaitons que certains d'entre vous puissent participer à notre table ronde lorsque nous mettrons la dernière main à notre rapport provisoire en décembre. Je vous remercie.

La séance est levée.

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