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ACCÈS AUX MÉDICAMENTS DE RECHERCHE
POUR DES RAISONS HUMANITAIRES


INTRODUCTION

Le Sous-comité de la Chambre des communes sur le VIH/sida a été créé par le Comité permanent de la santé en novembre 1994. Son mandat est le suivant :

Étudier la progression du VIH ainsi que la prévention, le traitement et le soutien des personnes atteintes du VIH/sida, entre autres l'incidence des facteurs reliés à la pauvreté et à la discrimination.
Dans un premier temps, le Sous-comité a voulu déterminer l'efficacité de la Stratégie nationale sur le sida. Il s'est penché sur l'épidémiologie du VIH/sida au Canada et dans le monde, et a scruté à la loupe les divers volets de la Stratégie, soit le leadership, la coordination et le partenariat, le budget, l'action communautaire, l'éducation et la prévention, les soins, les traitements et le soutien, ainsi que la recherche. Les audiences se sont déroulées de décembre 1994 à mai 1995, et Une étude de la Stratégie nationale sur le sida : Rapport du Sous-comité sur le VIH/sida a été déposée au Parlement le 6 décembre 1995. Le rapport contient 23 recommandations visant à appuyer les efforts du gouvernement dans la lutte contre le sida.

Par ailleurs, au cours de l'examen de la Stratégie nationale sur le sida, le Sous-comité a été informé que l'accès aux médicaments expérimentaux constituait l'une des préoccupations les plus vives et les plus immédiates des personnes atteintes du sida et d'autres maladies potentiellement mortelles. Le processus normal de développement, de mise à l'essai, d'évaluation et d'approbation d'un nouveau médicament peut prendre de cinq à dix ans, et les malades ne peuvent pas attendre aussi longtemps. Au Canada, les malades catastrophés peuvent s'y prendre de plusieurs façons pour obtenir un médicament expérimental. Ils peuvent, par exemple, participer à des essais cliniques (essai d'un traitement expérimental sur des sujets humains) ou à un programme d'accès pour des raisons humanitaires autorisé par Santé Canada et offert par les compagnies pharmaceutiques. Bien qu'ils soient très appréciés, les programmes d'accès pour des raisons humanitaires sont souvent d'envergure limitée ou rendus compliqués par des considérations d'ordre financier, juridique et éthique.

Pour s'attaquer à la question de l'accès aux médicaments expérimentaux pour des raisons humanitaires, le Sous-comité a décidé d'organiser une série de tables rondes nationales. À la séance d'ouverture, le 6 décembre 1995, Bernard Patry, ancien président du Sous-comité, a affirmé que ce dernier avait pour mandat d'étudier cette question complexe, d'en cerner les contraintes et de proposer des solutions qui déboucheraient sur un accès plus large aux médicaments d'urgence, acceptable à toutes les parties concernées(1). À cette première table ronde, le vrai visage de la maladie catastrophique a été dévoilé par des groupes d'intervention et des victimes du cancer, de la sclérose latérale amyotrophique, de la sclérose en plaques et du sida. Étaient également présents des médecins et des infirmiers et infirmières de premier recours ainsi que des représentants de l'industrie pharmaceutique canadienne. La deuxième séance a porté sur le processus de réglementation des médicaments au Canada et le Programme d'accès spécial, en particulier sur les améliorations qu'on pourrait y apporter pour faciliter l'accès aux médicaments pour des raisons humanitaires. À la troisième séance, des spécialistes canadiens de la bioéthique et du droit médical se sont penchés sur les aspects éthique et juridique du problème. À la quatrième, il a été question de responsabilité : responsabilité des gouvernements, responsabilité financière, et responsabilité des médecins, des patients, des compagnies d'assurance et des fabricants de produits pharmaceutiques. La cinquième et dernière séance, qui a eu lieu le 1er mai 1996, regroupait des organismes nationaux : la Société canadienne du cancer, la Société canadienne du sida, la Société canadienne de l'hémophilie, le Réseau canadien pour les essais VIH, le Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains, AIDS Action Now!, l'Association canadienne de l'industrie du médicament, et Santé Canada. Ces organismes ont revu les procès-verbaux des séances précédentes et tenté d'élucider les questions non résolues, d'établir des consensus et de présenter des suggestions et des recommandations au Sous-comité.


(1) Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Sous-comité sur le VIH/sida du Comité permanent de la santé, séance no 19, 6 décembre 1995, p. 2 (dans le reste du texte, références indiquées par numéro de séance, date et numéro de page : p. ex., séance no 21, 6 décembre 1995, p. 2).

Au cours de cette étude sur l'accès pour des raisons humanitaires aux traitements expérimentaux, des représentants de Santé Canada ont eu la gentillesse de faire visiter la Direction des médicaments aux membres du Sous-comité, de tenir à leur intention un séminaire sur le développement des drogues nouvelles et sur la réglementation de ces drogues au Canada, et de leur fournir de la documentation sur le Programme des médicaments d'urgence et sur le Programme d'accès spécial qui a été proposé pour le remplacer. L'information contenue dans ces documents a été résumée et on trouve à l'Annexe I des renseignements sur le développement des drogues nouvelles et sur la réglementation de ces drogues au Canada, et à l'Annexe II, un bref aperçu du Programme des médicaments d'urgence et du Programme d'accès spécial.

DROITS DES MALADES CATASTROPHÉS

Le concept des droits des malades catastrophés implique que les personnes atteintes d'une maladie catastrophique ont le droit d'être exemptées de tout paternalisme bienveillant lorsqu'il s'agit de choisir une thérapie en consultation avec leur médecin, pourvu que cette dernière ne cause aucun préjudice à autrui(2). Ce concept tire ses origines du principe de liberté. Selon le droit romain, «[l]es libertés qui font de l'homme un être libre consistent en son pouvoir naturel d'agir comme il l'entend, dans la mesure où la loi n'y fait pas obstacle(3) . . . » Ce principe a peu changé au fil des âges. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 prévoit que «la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui(4)». Et selon John Stuart Mill, «[l]a seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de force contre un de ses membres est de l'empêcher de nuire aux autres(5).» Par conséquent, l'autonomie de l'être humain et sa capacité de tenter de se sauver la vie sont un droit fondamental très ancien.


(2) J. Dixon, Catastrophic Rights, Experimental Drugs & AIDS, New Star Books Ltd., Vancouver, 1990, 131 p.
(3) R.W. Lee, The Elements of Roman Law: with a Translation of the Institute of Justinian, Sweet and Maxwell Ltd., Londres, 4e éd., 1956, p. 57.
(4) Giorgio del Vecchio, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans La Révolution française, 2e éd., Rome, 1979, 79 p.
(5) Voir La liberté, John Stuart Mill, traduit par M. Dupont-White, 3e éd., Paris, Guillaumin et cie, 1877, p. 123.

Malheureusement, le droit des malades catastrophés d'avoir la vie sauve n'est pas d'application facile ni simple, car il s'agit d'un droit «positif», ce qui signifie que son exercice exige la participation de quelqu'un d'autre. M. Derek Jones, directeur du Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains (CNBRSH), explique : «Un droit positif signifie le droit à un bien. Un droit négatif est le droit d'être exempt de préjudice(6).» Lorsqu'un malade en phase terminale refuse de suivre une thérapie ou de faire des efforts héroïques pour que sa vie soit prolongée, il exerce un droit négatif. En tant que société, nous respectons le droit des personnes de refuser un traitement, mais cela ne nous engage à rien, si ce n'est de leur assurer des soins palliatifs jusqu'à leur mort. Par contre, le droit positif qu'exerce un malade catastrophé pour obtenir un médicament impose un devoir aux fournisseurs ou aux fabricants de ce médicament. Or ce devoir n'est pas toujours rempli. Selon Derek Jones, il y a :

. . . la tendance tant de la morale que du droit à reconnaître plus pleinement des droits négatifs que des droits positifs. . . .Deuxièmement, même si le contrat social entre citoyens comprend le droit à un traitement, il est clair que ce droit n'est pas absolu. Le droit d'un patient aux soins de santé ne signifie pas qu'il ou elle a droit à tous les traitements(7).


(6) Séance no 21, 13 décembre 1995, p. 21.
(7) Ibid.

Jusqu'à présent, la politique gouvernementale et le droit canadiens ont délibérément facilité l'accès aux thérapies non autorisées plutôt que d'imposer des exigences juridiques. La Loi sur le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social prévoit que «[l]es pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement liés à la promotion et au maintien de la santé, de la

sécurité sociale et de la protection sociale de la population». Dans le contexte de ce mandat, on pourrait dire que le gouvernement a l'obligation de faire tout en son pouvoir pour promouvoir et maintenir la santé des Canadiens atteints d'une maladie catastrophique.

Quant à elle, la Loi sur les aliments et drogues interdit de vendre des médicaments qui ont été fabriqués dans des conditions non hygiéniques ou qui sont falsifiés, d'étiqueter, d'emballer, de traiter, de préparer ou de vendre des médicaments - ou d'en faire la publicité - d'une manière fausse, trompeuse ou mensongère, et de vendre des médicaments qui ne sont pas conformes à la norme(8). En somme, la loi tente de protéger la santé des Canadiens en interdisant la vente de médicaments dont la sécurité et l'efficacité ne sont pas prouvées. À ce titre, elle nierait aux malades catastrophés leur droit d'avoir accès à un médicament expérimental si ce n'était de l'existence des articles C.08.010 et C.08.011 du règlement qui l'accompagne. Ces dispositions portent en effet création du Programme de médicaments d'urgence (PMU), dans le cadre duquel la Direction générale de la protection de la santé (DGPS) de Santé Canada peut autoriser un fabricant de produits pharmaceutiques à vendre à un médecin un médicament dont la vente n'est pas autorisée au Canada pour qu'il puisse l'administrer d'urgence à un malade. Le programme vise deux catégories de médicaments : les médicaments expérimentaux (ou de recherche) et les médicaments autorisés à l'étranger. Lorsque le PMU a été créé en 1966, il servait surtout pour la seconde catégorie de médicaments. Mais depuis l'apparition de l'épidémie de sida il y a environ 15 ans, le Programme a pour ainsi dire changé de vocation. Aujourd'hui, on y recourt principalement pour autoriser la distribution de médicaments expérimentaux. Bien que les droits des malades catastrophés ne fassent pas l'objet d'une loi au Canada, la politique du gouvernement visant à faciliter l'accès à des médicaments non autorisés «reconnaît déjà implicitement que les personnes gravement malades devraient pouvoir s'exposer à des risques plus grands que ceux qu'on jugerait acceptables en d'autres circonstances(9)».


(8) E. Somers, et al., «Drug Regulation - The Canadian Approach», Regulatory Toxicology and Pharmacology, vol. 12, 1990, p. 216.
(9) Comité parlementaire sur le sida, Le SIDA, un défi, juin 1990, p. 33-42.

ACCÈS AUX MÉDICAMENTS NON APPROUVÉS

Il existe quatre moyens de se procurer des médicaments qui ne se trouvent pas sur le marché canadien, mais seuls les deux derniers sont considérés comme des moyens humanitaires.

C'est l'accès pour des raisons humanitaires qui offre aux malades catastrophés le meilleur espoir de suivre un traitement expérimental. Malheureusement, l'accès est laissé à l'entière discrétion de la société pharmaceutique. Même si le PMU autorise la mise en circulation d'un médicament, le fabricant n'est pas tenu de le mettre en circulation ni obligé de justifier sa décision. Voici les raisons généralement invoquées pour refuser ou retarder l'accès pour des raisons humanitaires : les coûts de production du médicament sont très élevés; la gestion des programmes d'accès pour des raisons humanitaires coûte très cher; concentrer les ressources sur ces programmes d'accès peut ralentir la recherche et nuire à la mise au point d'autres médicaments; les fabricants ont une obligation fiduciaire envers leurs actionnaires et doivent agir de manière responsable en réduisant les risques financiers; la quantité produite suffit à peine à l'essai clinique; le fabricant n'est pas encore convaincu de l'innocuité du médicament et craint les poursuites éventuelles; ou encore on peut craindre que l'accès pour des raisons humanitaires ne retarde l'approbation du médicament en ralentissant le recrutement des volontaires pour un essai clinique, en augmentant le taux d'abandon ou en compromettant la qualité des données.

À la table ronde, les représentants de l'Association canadienne de l'industrie du médicament (ACIM) ont déclaré que, selon eux, toutes les sociétés membres de leur association s'efforcent d'avoir des programmes d'accès pour des raisons humanitaires, que c'est la norme et non l'exception. Selon William Milligan, tous les fabricants de médicaments contre le VIH ou le sida ont fourni des médicaments pour des raisons humanitaires dans la mesure où la production le leur permettait. Ils ont même distribué les inhibiteurs de protéase saquinavir, rotinavir et indinavir pourtant difficiles à trouver. Michael Levy a fait remarquer qu'environ 2 900 séropositifs ont été traités au 3TC. La plupart de ces malades ont été traités dans le cadre du programme d'accès pour des raisons humanitaires, tandis que les autres ont reçu le médicament dans le cadre d'essais cliniques(11).


(11) Séance no 19, 6 décembre 1995, p. 56-57.

LE POUR DE L'ACCÈS POUR DES RAISONS HUMANITAIRES

On avance des arguments solides et éloquents pour justifier l'accès pour des raisons humanitaires à des médicaments de recherche. Susan Conrad, qui est atteinte de la sclérose amyotrophique latérale (SAL), a dit au Sous-comité que le système actuel de mise au point et d'évaluation des médicaments répond aux besoins de l'ensemble de la population, mais pas à ceux des malades en phase terminale. Dans le cas des malades non catastrophés, prendre un médicament expérimental constitue un risque inacceptable, car s'il est susceptible d'être bénéfique, il peut aussi n'avoir aucun effet ou, pis encore, provoquer une maladie grave ou la mort. Au contraire, le risque n'est pas inacceptable pour ceux dont la mort est inéluctable, car il se peut qu'un médicament expérimental les soulage, retarde la progression de la maladie et arrive même à les guérir. Susan Conrad soutient que le fait que des personnes soient atteintes d'une maladie terminale ne les rend pas «incapables d'envisager les avantages et les risques de façon rationnelle» et que «les personnes malades ne risquent pas plus que d'autres de se comporter de façon irrationnelle». «Nous vivons dans un pays où tout adulte dont les aptitudes intellectuelles sont normales a le droit de faire les choix fondamentaux qui touchent sa vie», ajoute-t-elle. «Est-il acceptable, poursuit-elle, de sacrifier les besoins de ceux qui sont atteints d'une maladie grave pour le bien de ceux qui en seront éventuellement atteints à l'avenir?» Le Sous-comité a été mis au défi de déterminer s'il est possible de protéger le système de recherche sur les médicaments et de répondre aux besoins du grand public sans que cela se fasse au détriment des personnes qui sont déjà malades(12).


(12) Ibid., p. 8-13.

L'accès hâtif à un traitement expérimental présente de nombreux avantages. Cela permet notamment de préserver ou d'améliorer la qualité de vie, d'atténuer la douleur, de recouvrer la santé et de sauver des vies. Ken Logue, médecin de premier recours de Toronto qui traite de nombreux séropositifs et sidéens, dit que bien des médecins administrent un médicament expérimental à la majorité de leurs malades séropositifs ou sidéens, et que c'est même la norme pour traiter cette clientèle(13). En habilitant les patients à prendre des décisions qui touchent leur santé, l'accès pour des raisons humanitaires peut contribuer à améliorer leur état de santé clinique.


(13) Ibid., p. 30-33.

Selon les médecins, le premier droit du malade, c'est d'avoir accès à un praticien compétent, capable de reconnaître ses besoins, d'expliquer et de recommander les traitements possibles de façon opportune et utile, et capable aussi de prescrire des médicaments éprouvés dont les effets et les bienfaits sont connus. Cependant, dans le cas des malades catastrophés, une fois que toutes les thérapies connues ont été épuisées, l'accès pour des raisons humanitaires permet encore au médecin d'offrir quelque chose au patient. Qu'un médicament de recherche soit efficace ou pas, l'accès pour des raisons humanitaires donne espoir au patient et améliore son moral. Voici ce que Bill Cameron, médecin de premier recours et auteur d'essais cliniques, a déclaré au Sous-comité :

La collaboration entre les intervenants [ . . . ] peut donner de l'espoir aux malades désespérés, en leur permettant d'obtenir, par compassion, des traitements prometteurs même si non prouvés, et ceci avant l'obtention d'un permis. Ce n'est pas un coup d'épée dans l'eau : on offre de l'espoir aux personnes touchées, mais aussi du réconfort. Or, c'est de confort, d'espoir et d'aide que les malades désespérés ont besoin(14).


(14) Séance no 20, 7 décembre 1995, p. 9.

Fournir un médicament de recherche pour des raisons humanitaires profite également aux essais cliniques. On sait par expérience que les gens ne participent à ces essais que si c'est leur seul moyen de se procurer un médicament. Dans certains essais cliniques, on évalue le médicament par rapport à un placebo; seulement la moitié des volontaires reçoivent, en fait, le médicament. Dans cette situation, deux possibilités seulement s'offrent aux malades catastrophés : ne pas participer à l'essai et être certains de mourir, ou participer à l'essai dans l'espoir de recevoir le médicament et d'en retirer des bienfaits. Un certain nombre d'éléments négatifs entrent en jeu ici. Lorsqu'il est question de vie et de mort, on ne peut pas dire qu'on décide librement ou de plein gré de participer à l'essai. Le malade catastrophé s'accroche à la vie, mais il y a un prix à payer. Il y a risque de déséquilibre des forces et le malade peut se sentir coincé et exploité. Lorsque l'un ou l'autre de ces éléments est présent, on peut affirmer que l'essai clinique n'est pas conforme à l'éthique. Par ailleurs, si l'essai comporte une option libre pour des raisons humanitaires, le malade peut prendre une décision vraiment libre et sans contrainte.

On sait que les résultats des essais cliniques comparant un médicament destiné à combattre une maladie potentiellement mortelle à un placebo peuvent être faussés. Lorsque l'essai est le seul moyen d'avoir accès à un médicament de recherche, bon nombre de malades catastrophés se porteront volontaires, leur but premier étant, bien sûr, de «tenter de sauver leur vie(15)». Dierdre MacLean, conseillère en essais cliniques au Community AIDS Treatment Information Exchange, a dit au Sous-comité «qu'il n'existe pas pour le moment de traitement à long terme qui soit bien toléré contre l'infection au VIH, et nous devons reconnaître que c'est un traitement que cherchent ceux qui participent à des essais(16)». Dans les essais cliniques où l'on a comparé l'efficacité de l'AZT à un placebo, certains participants ont mis en commun les médicaments reçus et se les ont redistribués dans l'espoir que tous les participants reçoivent le médicament au moins la moitié du temps. D'autres ont fait analyser le médicament qu'ils recevaient et ont abandonné l'essai lorsqu'ils ont appris qu'ils ne recevaient pas le principe actif. Si le médicament est disponible pour des raisons humanitaires, la qualité des données ne sera pas compromise puisque seuls les gens déterminés à participer aux essais cliniques par altruisme s'y inscriront.


(15) Séance no 3, 1er mai 1996, p. 8.
(16) Séance no 20, 7 décembre 1995, p. 14.

On a déjà parlé de la troisième façon dont l'accès pour des raisons humanitaires peut profiter aux essais cliniques. Dans les essais à option libre, les personnes qui obtiennent l'accès pour des raisons humanitaires sont surveillées dans un cadre contrôlé, et on peut utiliser les renseignements ainsi obtenus, qui sont fondés sur un plus grand nombre de jours-patients suivis régulièrement, pour étayer la présentation de drogue nouvelle (PDN). Il est important de noter que l'accès pour des raisons humanitaires reçu hors du cadre contrôlé d'un essai clinique, c'est-à-dire par le PMU, par l'intermédiaire d'un médecin, ne permet pas aux fabricants d'obtenir des données valables pour étayer leur présentation de médicament nouveau(17). De plus, comme le soulignait Christos Tsoukas, directeur du Centre de traitement de la déficience immunitaire à l'Hôpital général de Montréal, la distribution d'urgence de médicaments en dehors d'un protocole défini donne, en règle générale, peu d'information au malade ou à son médecin et parfois n'en donne pas du tout(18).


(17) Ibid., p. 29.
(18) Séance no 19, 6 décembre 1995, p. 43-48.

Les programmes d'accès pour des raisons humanitaires peuvent également profiter aux fabricants de médicaments. En offrant l'accès pour des raisons humanitaires, les sociétés pharmaceutiques se comportent en bons citoyens. Cela les fait bien paraître et crée de bonnes relations avec la population concernée. Ces mesures peuvent se traduire par une augmentation régulière des profits et des ventes pour la société. Christos Tsoukas a décrit en ces termes comment l'accès à un médicament pour des raisons humanitaires aide un fabricant à créer un marché pour son produit :

En fait, la distribution humanitaire des médicaments prometteurs constitue un moyen, pour les médecins, de se familiariser avec ces médicaments avant leur homologation. Après, la commercialisation de ces médicaments devient simple parce que le groupe utilisateur-médecin a été identifié et s'est familiarisé avec l'utilisation clinique du médicament. On peut donc tout aussi bien affirmer qu'il est, à long terme, important au plan économique pour un laboratoire pharmaceutique de mettre en place sans tarder un programme de distribution humanitaire(19).


(19) Ibid.

RÉSERVES À PROPOS DE L'ACCÈS POUR DES RAISONS HUMANITAIRES

Les participants à la table ronde ont fait état de plusieurs problèmes liés à l'accès pour des raisons humanitaires; ce qui les inquiète sans doute le plus cependant, c'est le risque que cet accès ralentisse le processus d'homologation des médicaments. Ils ont été presque unanimes à affirmer que rien ne doit ralentir le développement des médicaments, une activité cruciale qui permet de trouver le meilleur traitement pour la plupart des patients. L'accessibilité d'un médicament pour des raisons humanitaires peut soit entraîner un taux élevé d'abandon chez les participants aux essais cliniques en cours, soit ralentir ou limiter le recrutement des participants aux essais contrôlés. Or, la validité statistique des résultats d'un essai est compromise quand les participants ne sont pas assez nombreux. Selon Bill Cameron, il a fallu plus de temps pour évaluer la zalcitabine parce l'utilisation du médicament s'est répandue dès les premières étapes de son développement(20). Un médecin de Vancouver, Robert Voigt, a en outre laissé entendre que l'essai comparatif de l'AZT+ddI et de l'AZT+ddC aurait pu être terminé au bout de 18 mois si l'accès pour des raisons humanitaires n'avait pas ralenti le recrutement, au point où il a fallu trois ans pour attirer un nombre suffisant de volontaires. Non seulement l'acquisition de connaissances a-t-elle ainsi été retardée, mais certains patients ont pris des médicaments pendant trois ans sans que l'on ait pu établir la supériorité de l'un ou l'autre traitement(21). Nombreux sont ceux qui reconnaissent la nécessité de trouver des solutions innovatrices pour protéger le développement des médicaments, lorsque l'accès pour des raisons humanitaires est accordé parallèlement aux essais cliniques; mais certains insistent également sur la nécessité d'assouplir le processus d'homologation des médicaments pour répondre à l'urgent besoin de médicaments pour traiter les patients dont la vie est menacée.


(20) Séance no 20, 7 décembre 1995, p. 10.
(21) Séance no 22, 14 décembre 1995, p. 15.

Les médias annoncent souvent prématurément un nouveau médicament «prometteur» ou une «percée de la recherche» malgré qu'on n'ait pas le moindre indice de la supériorité du médicament. Voici ce que Robert Voigt a déclaré à ce sujet :

Le plus souvent, les patients décident de prendre des médicaments en fonction de critères émotifs, et le nouveau médicament qui vient de sortir, lequel fait toujours figure de nouveau remède miracle, est toujours plus attirant que ceux qui font l'objet d'essais aléatoires auxquels ils pourraient participer(22).


(22) Ibid.

Arn Schilder, vice-président de l'organisme B.C. People with AIDS, a parlé de «médicament du mois» pour décrire la situation actuelle, tellement le passage d'un médicament à un autre est fréquent(23). Les traitements dont les bienfaits et les risques sont connus sont ainsi remplacés par des médicaments expérimentaux dont on ignore les avantages et les risques. Ce type d'accès pour des raisons humanitaires est fort risqué, à moins que le patient ne réagisse pas au traitement classique. En outre, comme l'effet de l'exposition à plusieurs médicaments est encore mal connu, il deviendra de plus en plus difficile de recruter des volontaires qui répondent aux critères d'admission aux essais. Le choix subjectif des médicaments, aujourd'hui, est susceptible de priver un patient d'un médicament peut-être bénéfique demain. Certains s'inquiètent aussi de ce qu'un médicament mal connu puisse atténuer l'effet d'un médicament prescrit, causer une réaction antagoniste ou une synergie médicamenteuse (c'est-à-dire accroître artificiellement le taux du médicament dans le sang jusqu'au point de toxicité)(24).


(23) Séance no 22, 14 décembre 1995, p. 32.
(24) Séance no 19, 6 décembre 1995, p. 43-48.

Christos Tsoukas a fait état des problèmes susceptibles de se produire lorsque l'accès à un médicament expérimental survient avant que l'on soit parvenu à en établir la posologie optimale. Consommé en trop grande quantité, un médicament peut être toxique et causer de douloureux effets secondaires, alors que pris en trop petite quantité, dans le cas du VIH, il peut ne pas tuer le virus et faciliter l'apparition de souches pharmacorésistantes capables de résister aussi à d'autres médicaments de la même catégorie, même à ceux qui n'ont encore jamais été administrés au patient. Cette conséquence entraîne des coûts aussi bien personnels que sociaux, en raison de l'augmentation possible du nombre de souches pharmacorésistantes pouvant être transmises par voie sexuelle(25).


(25) Ibid.

L'accès pour des raisons humanitaires a un certain nombre de répercussions néfastes pour les médecins. Ceux-ci doivent passer énormément de temps à discuter, avec leurs patients, du pour et du contre des nouveaux composés offerts pour des raisons humanitaires afin d'obtenir de leur part un consentement vraiment éclairé. Le suivi des patients - surveillance et tenue de dossiers - exige beaucoup de temps et d'énergie. Aux dires de Robert Voigt, le fardeau administratif est si lourd qu'il est obligé de fermer son bureau une journée par semaine pour s'occuper de la paperasse.

Je m'inquiète de la quantité grandissante des données qui doivent être recueillies au nom des compagnies pharmaceutiques, afin de satisfaire aux règlements du programme de médicaments d'urgence mis en oeuvre par les médecins de premier recours. En plus du travail que représente le traitement des problèmes médicaux des patients, les protocoles d'accès pour des raisons humanitaires se soldent par une charge administrative toujours grandissante.
Auparavant, les médecins demandaient d'avoir accès aux médicaments par l'intermédiaire des programmes de distribution humanitaire une ou deux fois par an, au maximum. Pour les médecins qui soignent les séropositifs, c'est devenu une pratique quotidienne. Cela crée un fardeau tel que le temps consacré à remplir les formulaires d'accès pour des raisons humanitaires égale le temps réservé aux soins des personnes concernées(26).


(26) Séance no 22, 14 décembre 1995, p. 14.

Ce temps n'est pas rémunéré par le régime provincial d'assurance-maladie. Pour les médecins qui traitent énormément de séropositifs et de sidéens, cela signifie une diminution de revenu. Des représentants des séropositifs et des sidéens ont dit craindre que les médecins deviennent de plus en plus réticents à demander l'accès pour des raisons humanitaires et qu'ils finissent par refuser des patients séropositifs et sidéens.

Pour l'industrie pharmaceutique, la mise sur pied d'un programme d'accès pour des raisons humanitaires - la création d'une infrastructure pour administrer le programme, le coût des médicaments, les frais de distribution, l'archivage, la collecte des données - peut coûter des millions de dollars. Ces coûts ne dérangeraient pas l'industrie du médicament, si elle avait l'assurance que le médicament distribué finira par obtenir l'autorisation nécessaire à sa commercialisation. Comme l'a toutefois indiqué William Milligan au Sous-comité, cela n'est pas toujours le cas :

La publication de Pharmaceutical Research Manufacturers of America, New Medicines Report, a signalé, dans son enquête de 1995, qu'il y avait en ce moment plus de 110 médicaments à l'étude pour combattre le VIH et le sida, et plus de 200 médicaments pour lutter contre le cancer. Un grand nombre de ces médicaments expérimentaux seront un jour approuvés à des fins thérapeutiques, mais beaucoup ne le seront pas pour divers motifs de sécurité et d'éthique. Cela suscite d'autres inquiétudes, d'autres risques, car il se peut qu'on fournisse [ . . . ] des produits qui ne seront jamais approuvés . . . Si on fournit un produit dans le cadre d'un programme d'accès pour des raisons humanitaires, rien ne garantit que le produit sera un jour approuvé ou remboursé au Canada(27).


(27) Séance no 3, 1er mai 1996, p. 18.

CONSENSUS SUR LE BESOIN DE L'ACCÈS POUR DES RAISONS HUMANITAIRES

À en juger par les mémoires, les exposés et les cinq jours de discussions en table ronde, il semble que l'accès pour des raisons humanitaires ait une incidence sur le processus de mise au point et d'évaluation des médicaments au Canada. En dépit de cette incidence, pas un seul participant à la table ronde n'a toutefois proposé de restreindre de quelque façon les programmes d'accès pour des raisons humanitaires ou d'éviter d'en libéraliser encore davantage l'application. Au contraire, les participants ont affirmé qu'il fallait trouver de nouvelles façons de procéder : nouveaux mécanismes pour offrir l'accès pour des raisons humanitaires sans trop compromettre la mise à l'essai des médicaments; assouplir les critères d'évaluation et d'approbation des médicaments de façon que les besoins et les droits des malades catastrophés ne soient pas sacrifiés au profit de la population actuellement bien portante; enfin faire preuve d'une volonté politique en conséquence.

MÉCANISMES PROPOSÉS POUR IMPOSER OU ENCOURAGER L'ACCÈS AUX MÉDICAMENTS DE RECHERCHE POUR DES RAISONS HUMANITAIRES

Les participants à la table ronde ont proposé plusieurs changements législatifs pour encourager ou encore pour imposer l'accès pour des raisons humanitaires. Certains ont notamment mentionné que l'accès à des médicaments de recherche pourrait être élargi si une déclaration d'intention relative à l'accès pour des raisons humanitaires à un agent expérimental faisait partie intégrante de la présentation de drogue nouvelle de recherche (DNR).

A. Présentations de drogues nouvelles de recherche

Le potentiel pharmacocinétique d'un médicament est d'abord évalué chez les animaux ou lors d'essais in vitro. S'il appert qu'un agent n'est pas hautement toxique et peut être efficace contre une maladie humaine, on le fait passer à l'étape des essais cliniques sur des sujets humains. À ce moment, la compagnie pharmaceutique élabore un protocole d'essais cliniques qui énonce la procédure scientifique à suivre pour mettre le médicament à l'essai sur des sujets humains. Ces protocoles doivent respecter les normes d'éthique nationales et internationales applicables aux expériences mettant en cause des sujets humains. Si une compagnie pharmaceutique procède à des essais cliniques hors du Canada, la Direction des médicaments de la DGPS n'intervient pas. Si, au contraire, elle propose de faire des essais cliniques au Canada, elle doit alors se conformer à la Loi sur les aliments et drogues, qui stipule qu'aucune recherche clinique ne peut être menée sans l'autorisation de la DGPS de Santé Canada.

Depuis le 1er novembre 1995, l'interaction avec l'industrie pharmaceutique se déroule en deux étapes : une étape préalable à la présentation de DNR et une étape de présentation et d'examen comme telle. À l'étape préliminaire, la compagnie doit présenter un dossier d'information, bref résumé de ses données et de ses projets de développement pour le médicament en question. Cette étape peut donner lieu à des rencontres entre la compagnie et la DGPS pour cerner et résoudre les problèmes avant que la compagnie ne dépose sa présentation de DNR. L'étape préliminaire profite à la compagnie en lui permettant de cerner les problèmes «en amont» avant d'investir trop d'argent et d'énergie. Enfin, la DGPS examine la présentation de DNR. Si la DNR soulève des objections, la compagnie doit modifier son protocole d'essais cliniques avant d'obtenir l'approbation nécessaire. Elle peut aussi retirer sa présentation et tenter sa chance dans un autre pays.

B. Preuve de bonne foi

Comme moyen d'encouragement, Susan Conrad a proposé d'exiger, avant la demande officielle d'homologation, que la compagnie fasse la preuve qu'elle a tenté de bonne foi de rendre possible l'accès pour des raisons humanitaires de son médicament(28). Cette preuve de bonne foi pourrait être exigée en préalable à la présentation de DNR et faire partie du dossier d'information initial remis par la compagnie à la Direction des médicaments. Cette condition obligerait la compagnie pharmaceutique à soupeser le pour et le contre de l'accès à un médicament en particulier et cette réflexion serait susceptible de l'amener à décider d'élargir l'accès pour des raisons humanitaires.


(28) Séance no 19, 6 décembre 1995, p. 11.

C. Lier l'approbation des présentations de DNR à l'accès pour des raisons humanitaires

Comme moyen d'encourager l'accès pour des raisons humanitaires, AIDS Action Now! a proposé de subordonner l'approbation d'une nouvelle drogue de recherche à la présentation, par le fabricant, d'une déclaration d'intention concernant l'accès pour des raisons humanitaires au médicament de recherche pendant les essais cliniques. Lise Pinault, coordonnatrice auprès de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA), a indiqué comment les mécanismes pourraient être mis en oeuvre. Avec la présentation de DNR, il y aurait une déclaration d'intention indiquant :


(29) Ibid., p. 3-5.

Santé Canada évaluerait ensuite si la déclaration est sensée et équitable et il aurait le pouvoir d'exiger de la compagnie un complément d'information (confidentiel), notamment :

Si Santé Canada devait ne pas être satisfait, parce que les renseignements de la compagnie sont incomplets ou parce que celle-ci n'a pas l'intention d'offrir un accès raisonnable à son médicament expérimental, il pourrait refuser d'approuver la présentation de DNR(30).


(30) Ibid.

Santé Canada tiendrait compte de tous les facteurs pertinents pour prendre une décision :

Si la demande pour l'agent thérapeutique expérimental change pendant l'essai clinique, Santé Canada devrait demander à la compagnie de soumettre une déclaration d'intention modifiée(31).


(31) Ibid.

La proposition des organismes AIDS Action Now! et COCQ-SIDA : subordonner l'approbation d'une présentation de DNR à une déclaration d'intention «juste et raisonnable» en matière d'accès pour des raisons humanitaires, semble être une façon logique d'inciter les compagnies de produits pharmaceutiques à commencer à penser à la prestation de programmes humanitaires dès l'étape de la planification des essais cliniques.

D. L'obligation éthique de subordonner l'approbation d'une DNR à une déclaration d'intention sur l'accès pour des raisons humanitaires

Dans ses Lignes directrices concernant la recherche sur des sujets humains, 1987, le Conseil de recherches médicales du Canada (CRMC) affirme que : «Devant l'évolution des valeurs morales et la reconnaissance des cas d'abus, les autorités publiques ont établi des codes de déontologie pour protéger les sujets soumis à la recherche». Il explique ensuite que ces codes prennent la forme de lignes directrices plutôt que de dispositions législatives parce que «[l]es lignes directrices s'adaptent plus facilement que le droit à l'évolution des valeurs sociales qui ont une incidence sur la recherche [ . . . ](32)».


(32) Conseil de recherches médicales du Canada, Lignes directrices concernant la recherche sur des sujets humains, 1987, ministère des Approvisionnements et Services du Canada, Ottawa, 1987, 65 p.

Le Sous-comité se trouve confronté à des valeurs sociales et à des attentes en mutation pour ce qui concerne les essais cliniques des thérapies expérimentales visant à lutter contre des maladies mortelles chez des personnes en phase terminale. Alors qu'à une certaine époque il était acceptable, d'un point de vue tant éthique que social, de procéder à des essais cliniques à double insu d'un nouveau médicament anticancer chez des malades en phase terminale, l'apparition du sida et l'émergence de groupes militants, qui agissent de manière concertée pour revendiquer leur droit aux meilleurs traitements médicaux possibles, a modifié les attentes et les demandes non seulement des personnes séropositives, mais de toutes celles qui sont atteintes d'une maladie catastrophique.

Comme nous l'avons dit précédemment, lorsque la participation à un essai clinique constitue le seul moyen dont dispose une personne pour tenter de sauver sa vie, cet essai est alors potentiellement entaché par un rapport d'inégalité, la coercition et l'exploitation de la situation fâcheuse dans laquelle le malade se trouve, une opinion que confirment de fait les Lignes directrices concernant la recherche sur des sujets humains, 1987, du Conseil de recherches médicales du Canada et le document par lequel on propose de les remplacer, le Guide d'éthique de la recherche avec des sujets humains. Au sujet du consentement, les Lignes directrices du Conseil disent ceci :

Le principe fondamental de la recherche sur les sujets humains est que, dans la mesure du possible, le sujet doit s'impliquer volontairement et en toute connaissance de cause [. . . ]
La demande de participation adressée à un sujet éventuel doit être faite de manière à lui permettre d'exercer sa liberté de choix. Il s'avère important de lui accorder une période raisonnable de réflexion. Il va sans dire qu'il ne faut pas exercer sur lui de pression indue [. . . ]
Aux yeux de la loi, les rapports d'inégalité sont considérés comme foncièrement suspects. Le droit suppose que toute entente conclue entre une partie plus faible et une partie plus forte, et qui profite exagérément à cette dernière, est faussée(33).


(33) Conseil de recherches médicales du Canada (1987).

En 1994, le CRMC, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada ont formé un groupe de travail tripartite afin d'établir des directives éthiques sur la recherche avec des sujets humains. Le fruit de leurs travaux, le Guide d'éthique de la recherche avec des sujets humains devrait remplacer les Lignes directrices du CRMC d'ici à la fin de 1996. Le Guide précise encore davantage les conditions qui feraient en sorte qu'un essai clinique ne satisferait pas aux critères d'éthique. Le Guide adhère au principe de justice qui est défini en partie comme suit dans les Lignes directrices internationales relatives aux aspects éthiques de la recherche médicale sur des sujets humains, 1993 :

Par vulnérabilité, on entend une incapacité importante de la part d'une personne à protéger ses intérêts en raison de difficultés telles que l'inaptitude à donner un consentement éclairé, l'impossibilité de recevoir par ailleurs des soins médicaux ou de satisfaire des besoins parce qu'ils sont trop coûteux [ . . . ] des dispositions particulières s'imposent donc pour protéger les droits et le bien-être des personnes vulnérables(34).


(34) Groupe de travail des trois conseils, Guide d'éthique de la recherche avec des sujets humains, ministère des Approvisionnements et Services du Canada, Ottawa, mars 1996, chapitre 2, p. 3.

L'article 12.1 du Guide établit le principe que «toute recherche exploitant un groupe ou une personne est inacceptable(35)» , et sur la question du «consentement libre et éclairé», le Guide précise que :


(35) Ibid., chapitre 12, p. 1.

Un consentement libre est un consentement donné sans coercition. La coercition implique généralement le recours à la force ou à la menace de la force, mais il existe aussi des offres coercitives d'avantages, notamment lorsque ceux-ci sont essentiels au bien-être du sujet. Cette situation peut se produire lorsque l'on subordonne des services essentiels à l'accord d'un sujet pressenti pour une recherche [. . . ] De façon générale, moins la relation de pouvoir entre les sujets de la recherche et le chercheur ou l'établissement qui la parraine ou l'autorise est équilibrée, plus il faut veiller à ce que le consentement soit donné véritablement librement et sans contrainte(36) [. . . ]


(36) Ibid., chapitre 2, p. 8.

En se fondant sur les Lignes directrices du CRMC et sur le Guide d'éthique de la recherche avec des sujets humains, on pourrait conclure que : l'essai clinique d'un médicament de recherche visant à traiter une maladie potentiellement mortelle(37) chez des malades en phase terminale est contraire à l'éthique si aucun programme d'accès pour des raisons humanitaires à ce médicament n'a été mis sur pied ou si l'on n'a fourni aucune justification juste et raisonnable de l'absence d'un tel programme et que, par conséquent, la Direction générale de la protection de la santé ne devrait pas approuver la présentation de la nouvelle drogue de recherche visée par cet essai clinique.


(37) Par maladie potentiellement mortelle, on entend toutes les infections oppportunistes susceptibles d'entraîner le décès prématuré d'un patient affaibli et rendu vulnérable par une affection initiale comme le cancer, l'emphysème, la maladie de coeur ou l'infection par le VIH.

La Direction générale de la protection de la santé devra, au moment de juger du caractère éthique du protocole d'essai clinique, exiger que la compagnie pharmaceutique inclue dans sa présentation de nouvelle drogue de recherche et dans la demande préliminaire, une déclaration d'intention concernant l'accès pour des raisons humanitaires au médicament de recherche.

Recommandation no 1

Le Sous-comité recommande que le gouverneur en conseil apporte tous les changements nécessaires au règlement d'application de la Loi sur les aliments et drogues afin que soit imposée aux compagnies pharmaceutiques l'obligation d'inclure dans les présentations préliminaires et les présentations de nouvelle drogue de recherche une déclaration d'intention concernant l'accès pour des raisons humanitaires au médicament de recherche.

Le Sous-comité reconnaît que, dans certaines circonstances, la compagnie pharmaceutique ne pourra immédiatement mettre sur pied un programme d'accès pour des raisons humanitaires, qu'un médicament qui n'était pas disponible au début de l'essai clinique puisse le devenir par la suite et que l'accès pour des raisons humanitaires pourra être élargi à mesure que la compagnie pharmaceutique augmentera la production du médicament. La demande pour le produit également pourra changer selon la toxicité et l'efficacité du médicament révélées par l'essai clinique. Par conséquent, il faudra que les décisions relatives au caractère juste et raisonnable d'un programme d'accès pour des raisons humanitaires aient une certaine souplesse. Par ailleurs, pour éviter toute apparence d'arbitraire, les intervenants devront convenir d'un ensemble de critères d'évaluation des mesures d'accès pour des raisons humanitaires proposées.

Recommandation no 2

Le Sous-comité recommande que Santé Canada, en collaboration avec les représentants de l'Association canadienne de l'industrie du médicament et les groupes revendiquant l'accès aux traitements, élaborent des directives sur l'accès pour des raisons humanitaires. Ces lignes devront inclure des critères permettant de déterminer si le programme d'accès pour des raisons humanitaires au médicament de recherche proposé par la compagnie pharmaceutique est juste et raisonnable de même que des dispositions permettant de tenir compte des fluctuations de la demande et de la disponibilité d'un médicament de recherche. Ces directives devront être élaborées dans les meilleurs délais et entrer en vigueur au plus tard le 1er juin 1997.

E. Accès pour des raisons humanitaires obligatoire

Les recommandations qui précèdent contribueront à assurer l'accès pour des raisons humanitaires aux médicaments quand les essais cliniques ont lieu au Canada, mais elles seront sans effet sur les essais cliniques qui se déroulent hors du pays. AIDS Action Now! s'est penché sur la question et a suggéré au gouvernement deux actions possibles :

Il y a beaucoup plus d'études qui se poursuivent aux États-Unis et très souvent le Canada est absent de leurs essais cliniques. [. . .] Le pouvoir définitif à votre disposition est la révocation du brevet ou bien l'annulation des droits de marché pour un autre produit vendu par la société au Canada(38).


(38) Séance no 6, 28 mars 1995, p. 51.

Le Sous-comité a examiné ces deux possibilités et les juge inapplicables. On trouvera le détail de sa réflexion à l'annexe III.

Le Sous-comité pense qu'il faudrait explorer d'autres avenues, notamment celles de la collaboration et des partenariats réciproques. Au cours des tables rondes, le Sous-comité a entendu de nombreuses raisons pour lesquelles les compagnies pharmaceutiques devraient offrir l'accès pour des raisons humanitaires aux malades canadiens. Arn Schilder (B.C. People with AIDS) a présenté le point de vue suivant :

Notre position est que les malades du VIH et du sida font déjà un apport très grand à l'industrie pharmaceutique de par leur participation. Sans la collaboration des consommateurs, la compagnie pharmaceutique ne pourrait pas mener à bien ses recherches. Si quelqu'un est atteint d'une maladie catastrophique, cette personne devrait avoir accès à toute thérapie susceptible de l'aider, et ce gratuitement(39).


(39) Séance no 21, 13 décembre 1995, p. 14.

Derek Jones (CNBRSH) a un autre point de vue :

La recherche pharmaceutique suppose en outre un partenariat avec le gouvernement canadien et le public. Les compagnies pharmaceutiques bénéficient d'un environnement fiscal et financier favorable aux frais du contribuable.
La réciprocité et l'équité supposent que l'on fasse comprendre aux compagnies que la fourniture gratuite des médicaments expérimentaux, dans le respect de la politique et de l'éthique, est une condition de leur activité commerciale au Canada(40).


(40) Ibid., p. 21.

Certains diront que cette obligation ne s'applique en réalité qu'aux entreprises pharmaceutiques dont les essais cliniques se déroulent au Canada. Sont-elles soumises à la même obligation pour des essais menés à l'extérieur du pays? Selon Donald Zarowny, du Réseau canadien pour les essais VIH, il semblerait que ce soit effectivement le cas :

L'industrie pharmaceutique est un partenaire essentiel du processus de soins. Son rôle est de mettre au point de nouveaux médicaments et de les distribuer. Les fabricants gagnent de l'argent ce faisant et en réinjectent une partie dans le processus d'invention et de mise au point de médicaments. Nous reconnaissons leur rôle dans la société en accordant à l'inventeur du produit une période de protection, par le biais de brevets. Puisque nous leur attribuons un rôle et des avantages définis, je pense qu'il est moral d'attendre d'eux qu'ils participent à la solution des problèmes posés par l'accès pour des raisons humanitaires(41).


(41) Ibid., p. 27.

La décision de donner généreusement accès à un médicament pour des raisons humanitaires est un acte bénévole qui pourrait, surtout en l'absence d'essais cliniques, mettre la compagnie pharmaceutique dans une situation financière fâcheuse. Si, par exemple, un fabricant décidait de fournir gratuitement un médicament expérimental aux 1 000 personnes atteintes d'une forme rare de cancer au pays, quelle incitation l'organisme national d'homologation des médicaments aurait-il à évaluer rapidement un médicament qui est déjà disponible? On peut donc dire qu'autant la coopération de la population de recherche, la protection des brevets et des conditions fiscales et d'investissement favorables peuvent inciter les compagnies pharmaceutiques à offrir l'accès pour des raisons humanitaires, autant cet accès, surtout en l'absence d'essais cliniques, devrait inciter le gouvernement à faire une évaluation rapide du médicament visé.

Recommandation no 3

Le Sous-comité recommande qu'en l'absence d'essais cliniques au Canada, lorsqu'un fabricant de produits pharmaceutiques établit un programme d'accès pour des raisons humanitaires en vue de fournir à des malades canadiens un traitement expérimental, la Direction des médicaments de Santé Canada procède le plus rapidement possible à l'évaluation de la présentation de la nouvelle drogue.

F. Obligation réciproque de justifier le refus de l'accès pour des raisons humanitaires

Selon Susan Conrad, un autre moyen d'inciter les fabricants de produits pharmaceutiques à offrir l'accès pour des raisons humanitaires à des médicaments de recherche pourrait consister à modifier l'article C.08.010 de la Loi sur les aliments et drogues afin d'obliger les compagnies pharmaceutiques à rendre compte au gouvernement fédéral de leur refus de donner un accès pour des raisons humanitaires. Dans les cas où une compagnie pharmaceutique souhaite vendre à des chercheurs reconnus une nouvelle drogue de recherche, mais que Santé Canada interdit la transaction, l'article C.08.009 du règlement d'application de la Loi sur les aliments et drogues confère à la compagnie le droit d'exiger du ministre qu'il donne les raisons de sa décision et, également, qu'il renvoie l'affaire au Comité des drogues nouvelles, qui vient d'être constitué.

L'article suivant, C.08.010, régit le fonctionnement du PMU. Plus précisément, il permet à la Direction des médicaments d'autoriser une compagnie pharmaceutique à vendre un médicament non approuvé pour le traitement d'urgence d'un malade. Bien que Santé Canada ait autorisé la vente du médicament, le fabricant n'y est pas obligé et n'est pas tenu, par la loi, de donner à Santé Canada, au malade ou au médecin les raisons de son refus de procéder à cette vente. Susan Conrad affirme que «[p]our ce qui est de justifier tout refus d'envisager la possibilité d'un accès pour des raisons humanitaires, le fait de demander au fabricant de respecter les mêmes exigences que le gouvernement fédéral ne devrait pas lui causer un préjudice indu(42)». Par conséquent, on pourrait inclure en C.08.010 des dispositions similaires à celles de C.08.009, mais en autorisant en plus Santé Canada à exiger des fabricants qu'ils justifient leur refus d'offrir l'accès pour des raisons humanitaires.


(42) Séance no 19, 6 décembre 1995, p. 11.

Recommandation no 4

Le Sous-comité recommande que le gouverneur en conseil modifie le règlement d'application de la Loi sur les aliments et drogues qui porte sur le Programme de médicaments d'urgence afin de donner à Santé Canada le pouvoir d'obliger les fabricants de produits pharmaceutiques à justifier leur refus d'offrir l'accès pour des raisons humanitaires à un médicament dont la vente n'est pas autorisée au Canada.

LA DIMENSION ÉTHIQUE

A. Considérations globales

Les cinq tables rondes nationales ont été assez unanimes. De fait, on n'a noté aucun désaccord sur la notion de droit des catastrophés. On a souligné, par contre, que ce droit ne s'exerce véritablement que quand le médecin approuve le choix du traitement; cela signifie que le droit de la personne de se soumettre à un traitement non approuvé ne l'emporte pas sur le droit équivalent du médecin à «ne pas causer de préjudice». L'obligation morale de ne pas causer de préjudice est au coeur même de la question de savoir quand il convient d'envisager l'accès pour des raisons humanitaires à un médicament qui n'a pas fait ses preuves. Si, pour quelques participants, l'accès aux médicaments expérimentaux ne devrait pas être limité à cause des risques, la majorité croit qu'un traitement ne devrait être appliqué qu'après que l'analyse a établi «un équilibre acceptable entre l'efficacité et la toxicité(43)». Il a également été affirmé que les droits des malades atteints d'une maladie catastrophique avaient des limites définies. Sur ce point, Neill Iscoe, de la Société canadienne du cancer, a précisé que «[l]a Société adhère au droit à l'autodétermination, mais considère que ce droit ne doit pas être exercé au détriment d'une autre personne(44)». On estime, en particulier, que l'accès pour des raisons humanitaires, aussi nécessaire qu'il soit, ne devrait pas nuire au développement rapide d'un médicament.


(43) Séance no 21, 13 décembre 1995, p. 16.
(44) Ibid., p. 23.

On avance que reconnaître à un malade un droit de catastrophé face aux médicaments implique que les vendeurs ou les fabricants du médicament ont des obligations correspondantes. «L'industrie pharmaceutique a l'obligation morale, pour des raisons humanitaires, de réagir en donnant accès à un médicament expérimental(45).» Certains souscrivent aussi à l'opinion que, dans la mesure où il y en a en quantité suffisante, un médicament devrait être fourni gratuitement. On estime aussi que, dans le cadre des essais cliniques et des programmes d'accès pour des raisons humanitaires à option libre qui permettent de recueillir des données à l'appui de la demande d'homologation, la gratuité du médicament devrait aller de soi. Ce devrait être le cas également de l'accès pour des raisons humanitaires offert par le PMU. Neill Iscoe a expliqué au Sous-comité que la Société canadienne du cancer a pour principe «qu'un médicament n'ayant pas reçu l'avis de conformité devrait toujours être gratuit(46)».


(45) Ibid., p. 15.
(46) Ibid., p. 22.

B. Qui devrait avoir droit à l'accès pour des raisons humanitaires?

On pourrait définir une affection catastrophique comme une maladie sur laquelle le traitement classique n'agit plus et qui va entraîner une détérioration physique irréversible du malade. On reconnaît aux malades qui en sont à ce stade le droit d'obtenir des médicaments pour des raisons humanitaires. Cependant, la maladie est un continuum, et de nombreux patients sont atteints d'une maladie mortelle sans être catastrophés. Certains vont vivre dix ans ou plus après avoir contracté le VIH et seront considérés comme étant atteints du sida seulement quand leur taux de CD4 sera inférieur à 50 ou s'ils développent une ou plusieurs infections opportunistes spécifiques du sida. De même, bien des cancéreux sont relativement bien portants alors qu'ils sont conscients de s'acheminer lentement vers la mort. Pour eux, chaque minute compte, et ils veulent avoir accès eux aussi à des médicaments qui pourraient bien les sauver. Au fil des cinq tables rondes s'est esquissé un ordre de priorité général, le premier allant aux malades catastrophés, le deuxième à ceux qui sont atteints d'une maladie mortelle et qui :

Faut-il fournir des médicaments pour des raisons humanitaires à ce dernier groupe de malades? Voilà le noeud du problème. La réussite des essais cliniques rapides et scientifiquement rigoureux dépend de la coopération des candidats qui remplissent les critères d'admission, mais ceux qui se sentent contraints font de mauvais sujets pour les essais. Ce problème est maintenant moins préoccupant dans le cas des essais cliniques de médicaments contre le VIH, puisqu'il existe désormais certains médicaments approuvés utilisés dans le traitement du VIH. De plus en plus d'ailleurs, ils remplacent le placebo lors de ces essais cliniques. Par conséquent, un candidat possible sur lequel le traitement classique agit encore n'améliorera pas nécessairement son état s'il opte pour l'accès pour des raisons humanitaires à un médicament inconnu. Contre toute logique, le nouveau médicament «prometteur» présente toujours beaucoup d'attrait.

Les participants aux tables rondes ont avancé quelques idées sur la façon d'accroître la participation à des essais cliniques lorsqu'il existe un programme d'accès pour des raisons humanitaires. John Ruedy, de la Faculté de médecine de l'Université Dalhousie, a suggéré qu'il serait possible d'«établir un quota d'accès pour des raisons humanitaires en rapport avec l'enrôlement, de façon à limiter le nombre des bénéficiaires de l'accès pour des raisons humanitaires jusqu'à ce que l'enrôlement dans l'essai soit complet»(47). On a également fait remarquer que, sauf dans le cas des essais cliniques sur le VIH, il est courant de rembourser aux participants leurs frais de déplacement et de garde d'enfants. Comme beaucoup de séropositifs vivent de l'aide sociale, la possibilité d'une rétribution quelconque pourrait les inciter à s'engager dans des essais cliniques. Selon quelques participants aux tables rondes, la collaboration serait sans doute meilleure si le médicament était distribué gratuitement à tous sauf ceux qui décident de ne pas prendre part aux essais cliniques. Pour d'autres, cette idée est contraire à l'éthique. Pour Neill Iscoe :


(47) Ibid., p. 27.

L'idée de faire payer le produit aux patients qui préfèrent ne pas prendre part aux essais [. . .] fait surgir le spectre de la création de deux catégories de patients : ceux qui ont les moyens d'acheter le médicament, et les autres. S'agissant de personnes rendues vulnérables par une maladie qui menace leur vie, la distinction est particulièrement odieuse, et elle paraît à tout le moins grandement coercitive pour les personnes moins riches, qui sont forcées d'envisager de participer à des essais d'une façon qui n'est pas vraiment volontaire(48).


(48) Séance no 3, 1er mai 1996, p. 3.

C. Normes éthiques nationales et fonctionnement des comités d'éthique pour la recherche autonomes

Le Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains (CNBRSH) a été créé en 1988. Il remplit un certain nombre de fonctions, mais son mandat principal consiste à mettre en oeuvre les Lignes directrices concernant la recherche sur des sujets humains, 1987, du CRMC, ce qu'il fait en donnant de l'information et des conseils sur des questions d'éthique d'intérêt national aux quelque 125 comités d'éthique pour la recherche (CER) établis dans des hôpitaux et des centres de recherche dans tout le Canada.

À la table ronde, on a insisté sur la nécessité de faire une distinction nette entre le traitement et la recherche : l'accès pour des raisons humanitaires à un médicament de recherche est une question qui se rapporte au traitement, tandis que la participation à un essai clinique concerne la recherche. Le CNBRSH a fait remarquer que les CER locaux peuvent se borner à déterminer si le protocole d'un essai clinique est conforme aux normes établies par les organismes nationaux et internationaux relativement au traitement éthique des sujets humains, une opinion que partage Michael Levy, de l'ACIM, pour qui les CER «sont souvent réticents à se prononcer sur l'éthique d'essais sans insu ou sur l'accès pour des raisons humanitaires [. . .]»(49).


(49) Séance no 21, 13 décembre 1995, p. 35.

L'ACIM, les médecins et les cliniciens craignent tous la possibilité que l'éthique varie d'une région à l'autre si les CER autonomes sont appelés à juger les aspects éthiques de chaque projet soumis selon leur interprétation propre des Lignes directrices du CRMC. Le problème se complique du fait qu'il n'existe au Canada aucune directive sur les qualités des membres des CER. Selon l'ACIM, si nous comptons sur les CER pour la régulation du système, il faut absolument s'assurer d'une certaine uniformité à l'échelle du pays. William Milligan est d'avis que «le gouvernement doit définir clairement la composition et le mandat des CER et élaborer le mandat du CNBRSH [. . .]»(50).


(50) Séance no 3, 1er mai 1996, p. 18.

Cette inquiétude a cependant pu être apaisée dernièrement par la publication du Guide d'éthique de la recherche avec des sujets humains, élaboré par les trois conseils. Comme nous l'avons déjà mentionné, ce Guide est censé remplacer les Lignes directrices du CRMC. Contrairement à celles-ci, qui prêtent davantage à interprétation, le Guide est un document détaillé où sont énoncés des principes, des responsabilités, des procédures obligatoires et des normes éthiques nationales pour la recherche. Mais ce qu'importe encore plus ici, c'est que «le Guide définit très rigoureusement la composition minimale et les règles de fonctionnement des CER»(51). Les participants aux tables rondes ont été nombreux à réclamer une plus grande harmonisation des principes éthiques appliqués à la recherche au Canada. Le Sous-comité estime donc que le mandat du CHBRSH devrait être renforcé.


(51) Groupe de travail des trois conseils, mars 1996, p. ix.

Recommandation no 5

Le Sous-comité recommande que Santé Canada revoie et renforce le mandat du Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains pour qu'y soit clairement formulé l'objectif de promouvoir l'harmonisation des normes nationales d'éthique pour la recherche avec des sujets humains.

D. Formulaires de consentement éclairé

Pour qu'un essai clinique respecte les principes d'éthique, les chercheurs doivent d'abord informer complètement les sujets de tous les aspects de l'essai. Tant les Lignes directrices du CRMC que le Guide d'éthique prescrivent la façon dont cette information doit être présentée. Si la question de la présentation ne semble pas poser de problème, il en va autrement des formulaires de consentement éclairé dont la piètre qualité et la prolifération anarchique indisposent grandement médecins, patients et militants. Les malades et les médecins veulent des formulaires normalisés et rédigés dans un langage simple; cependant, ce sont les différents CER qui décident au bout du compte du contenu final du formulaire. Cette situation semble en grande partie attribuable au fait qu'aucune autorité n'ait pris la responsabilité d'élaborer et de diffuser un formulaire de consentement normalisé pour les essais cliniques menés au Canada. Le Sous-comité est heureux de souligner que le Groupe de travail des trois conseils a inclus, à l'annexe D du Guide d'éthique de la recherche avec des sujets humains, deux formulaires de consentement types, l'un pour les sujets aptes et l'autre pour le consentement donné par un tiers autorisé. Ces formulaires ont été conçus spécialement pour les essais cliniques, mais on peut penser qu'ils seront également utilisés pour les essais cliniques à option libre et pour les patients qui ont accès à un traitement de recherche par l'entremise du PMU.

RÔLE DE SANTÉ CANADA DANS L'ACCESSIBILITÉ DES NOUVEAUX MÉDICAMENTS

Des représentants de la Direction des médicaments de Santé Canada ont expliqué en détail la façon dont fonctionnent le PMU et le Programme d'accès spécial (PAS) - proposé pour le remplacer -, le développement des médicaments et leur réglementation au Canada. Ces renseignements figurent aux annexes I et II.

A. Programme d'accès spécial

Comme il a trouvé plusieurs défauts au PMU, Santé Canada propose de le remplacer par le PAS. En août 1995, les principaux intéressés ont reçu l'ébauche du programme et l'ont commenté. Les fonctionnaires de Santé Canada ont déclaré à la table ronde que le programme définitif sera mis au point en tenant compte des observations reçues.

Le PAS a plusieurs avantages. En cas d'urgence, le gouvernement n'aurait plus à intervenir quand sa présence risquerait de retarder l'accès au traitement. Pour le fabricant, le patient et le médecin, et surtout pour la Direction des médicaments, ce programme demanderait beaucoup moins de travail et de temps. Comme le fabricant serait tenu de produire une trousse d'information sur le médicament pour obtenir l'autorisation de Santé Canada, le gouvernement d'une part et le malade et le médecin d'autre part, disposeraient de renseignements plus complets et exacts, le premier pour prendre ses décisions et les seconds pour apprécier les risques et les avantages. Les participants à la table ronde ont signalé un certain nombre de lacunes dans le PAS et ont suggéré des moyens de les corriger.

L'ACIM croit que le programme proposé est nettement meilleur tant pour l'industrie que pour la Direction des médicaments, puisque l'on a fait de sérieux efforts pour rationaliser le processus. Par contre, selon Michael Levy, les dossiers à tenir et les déclarations obligatoires constitueront un fardeau pour l'industrie, et il faudra préciser clairement les obligations des médecins, de l'industrie et de la Direction des médicaments. Le PAS ne prévoit pas qu'un fabricant aura le droit de refuser l'accès pour des raisons humanitaires s'il a des motifs sérieux tels que la nocivité ou la rareté du médicament, ou encore le manque d'information(52). Pour sa part, Sophia Fourie estime qu'il faut considérer le PAS seulement comme un mécanisme permettant de vendre légalement un médicament non encore autorisé, et que le fait d'y recourir ne doit pas être interprété comme une approbation ou une homologation formelle(53). Certains ont proposé que les lignes directrices du PAS donnent des définitions claires de certains termes clés tels que «urgence» et «grave réaction adverse présumée», et qu'elles précisent les modalités de vérification et de tenue de dossiers. Selon l'ACIM, lorsqu'il y a demande d'accès pour des raisons humanitaires en vertu du PAS, il faut s'interroger sur l'innocuité, c'est-à-dire s'assurer que le médicament ne fera pas de tort, et avoir une idée de ce qu'il peut vraiment faire contre les maladies qui mettent la vie en péril. Enfin, l'ACIM a fait observer que l'accès pour des raisons humanitaires coûte cher aux sociétés pharmaceutiques et que, par conséquent, il serait opportun que le PAS prévoie si les fabricants peuvent ou non se faire payer les médicaments(54).


(52) Séance no 20, 7 décembre 1995, p. 14-15-16.
(53) Ibid.
(54) Ibid.

Les médecins, quant à eux, ont souligné que le PAS, comme le PMU, les oblige à communiquer des données sur l'innocuité des médicaments, mais ne prévoit rien sur la façon d'alléger le fardeau administratif que cela entraîne. Le Sous-comité a été informé que les médecins de premier recours qui traitent un grand nombre de patients au moyen de médicaments expérimentaux doivent se soumettre à la lourde paperasserie qu'exige le PMU, qu'ils ne sont pas rémunérés pour ce surcroît de travail et que cela les pousse à refuser des séropositifs et des sidéens. De plus, la fiabilité des données fournies par les médecins est douteuse lorsqu'il s'agit de renforcer la nécessité d'un nouveau système d'autorisation des médicaments. Parlant au nom de l'ACIM, Michael Levy a affirmé : «[n]ous nions fermement que les données ainsi obtenues soient valables pour les fabricants qui souhaitent obtenir rapidement l'homologation de nouvelles thérapies». Et, selon Jacques Bouchard, la Direction des médicaments n'exige que la déclaration des effets nocifs importants du médicament.

Si les données servent effectivement à étayer le processus d'homologation des médicaments, alors ne s'agit-il pas d'activités de recherche, et le fabricant ne devrait-il pas payer le médecin pour le temps qu'il consacre à cette tâche? Par ailleurs, si le problème réside dans une demande excessive d'information de la part de Santé Canada, alors il est essentiel de mettre en place de nouveaux mécanismes qui permettront d'alléger le fardeau.

Enfin, on a fait remarquer que le PAS ne prévoit rien pour contraindre ou encourager les compagnies pharmaceutiques à accorder l'accès pour des raisons humanitaires, ni pour les obliger à motiver leurs décisions. M. James Kreppner, du conseil de direction de la Société canadienne de l'hémophilie, exprime ainsi ses inquiétudes :

C'est une chose que de voir un gouvernement qui s'adresse à une société pharmaceutique pour lui demander de rendre un médicament disponible parce que quelqu'un le réclame, et c'en est une autre que d'avoir un patient qui fait la même démarche : «Voulez-vous rendre ce médicament disponible parce qu'il me plaît?» [. . .] ce sont les demandes du PMU qui sont considérées avec le plus de sérieux par les sociétés. Cela ne devrait pas être étonnant, car elles savent fort bien que, si elles refusent, ce sera remarqué(55).


(55) Séance no 3, 1er mai 1996, p. 12.

James Kreppner a également signalé que le PAS, tel qu'il existe, donne au fabricant la responsabilité d'agir.

Avec le [PAS], le plus facile est de dire non. Si elle [la société pharmaceutique] dit non, elle n'a plus rien à faire. Si elle dit oui, elle doit communiquer avec Santé Canada et fournir de l'information sur le médicament et tout le reste. Elle doit prévenir la Direction des médicaments dans les 48 heures(56).


(56) Ibid.

Mme Maggie Atkinson, coprésidente de AIDS Action Now!, est du même avis :

Quant à l'accès pour des raisons humanitaires, je crois qu'il faut améliorer le [PMU] ou le [PAS] pour accélérer l'accès. [. . .] Je crois qu'il est important que le gouvernement intervienne dans la présentation de la demande. Même avec le [PMU], les compagnies ne [tiennent] pas compte des personnes(57).


(57) Ibid., 1er mai 1996, p. 15.

Pour Santé Canada, le principal avantage du PAS, c'est qu'il écarte la Direction des médicaments du processus d'examen au cas par cas. Cependant, pour les malades qui cherchent à obtenir un médicament, cela leur donne moins de chances auprès du fabricant. Il semble donc qu'une amélioration s'impose. La Direction des médicaments a affirmé qu'elle tiendrait compte des commentaires formulés à la table ronde nationale dans la mise au point du PAS. De la même façon, le Sous-comité espère que Santé Canada tiendra compte des doléances des patients, des médecins et de l'industrie pharmaceutique pour concevoir un nouveau programme en remplacement du PMU.

B. Réglementation des médicaments au Canada

À maintes reprises au cours des tables rondes nationales, on a affirmé que tous ceux qui luttent contre la maladie devraient avoir pour objectif premier le développement rapide des médicaments, avec essais cliniques contrôlés et rigoureusement scientifiques. De plus, on a souvent dit que Santé Canada devrait accélérer l'homologation par divers moyens : par exemple, accroître les ressources consacrées à l'évaluation des médicaments, établir des normes nationales uniformes pour leur évaluation, recourir plus fréquemment à des évaluateurs indépendants, effectuer des examens conjoints avec la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis, adopter le système américain des «évaluations roulantes» (rolling reviews) et mettre sur pied un système d'approbation conditionnelle.

La Direction des médicaments a informé les participants à la table ronde que, depuis la rationalisation du processus, l'évaluation dure maintenant 17 mois en moyenne, laps de temps jugé tout à fait acceptable. De plus, l'examen accéléré (par «traitement prioritaire») des médicaments destinés à traiter des maladies mortelles à brève échéance ou d'autres états pathologiques graves est très rapide (180 jours), comme en témoigne le 3TC, approuvé en moins de cinq mois. On a souligné que les responsables de l'évaluation des médicaments au Canada sont beaucoup moins nombreux que leurs homologues de la FDA. Pour que ce petit groupe puisse aller plus rapidement, la Direction des médicaments exige des fabricants une PDN qui est unique en son genre. Les membres de l'ACIM préparent d'abord une présentation ordinaire pour les États-Unis, puis ils la recomposent et produisent des résumés exhaustifs avec renvois, ce qui peut leur prendre quatre mois. Cette façon de faire permet cependant à un groupe restreint d'évaluer la présentation dans un délai raisonnable. Le système canadien a donc l'avantage d'être plus efficace.

Bien que l'évaluation des médicaments ait été accélérée au Canada, les participants à la dernière séance des tables rondes ont fait savoir au Sous-comité qu'il tire encore de l'arrière par rapport à celui des États-Unis. La FDA a en effet mis sur pied un système accéléré d'approbation conditionnelle des médicaments destinés aux maladies mettant la vie en péril, qui permet une approbation en moins de 90 jours : 90 jours pour le saquinavir, 72 jours pour le ritonavir et seulement 42 jours pour le crixivan(58). Au Canada, l'évaluation prioritaire d'un médicament, processus le plus rapide, prend quand même 180 jours.


(58) AIDS Action Now!, Mémoire, 1er mai 1996, 5 p.

Selon le système d'approbation conditionnelle, la vente d'un médicament expérimental serait autorisée temporairement si les essais cliniques des phases I et II révèlent un degré d'innocuité et d'efficacité acceptable. Le médicament serait alors prescrit et vendu à des patients dont la vie est en danger. Il y aurait un suivi après la mise en vente, et l'approbation pourrait être retirée si les effets indésirables indiquent un piètre rapport risques-avantages. Ce système a l'inconvénient manifeste d'accroître les risques. En revanche, les personnes dont la vie est menacée peuvent avoir accès au plus tôt à un médicament, et le fabricant se fait payer son produit. Des représentants de la Direction des médicaments ont déclaré qu'ils étaient en train d'ébaucher un système d'homologation conditionnelle qu'on serait bientôt prêt à étudier.

Le Sous-comité fait remarquer que le Comité parlementaire ad hoc sur le sida avait recommandé que Santé Canada crée un système d'approbation conditionnelle des médicaments destinés aux maladies mettant la vie en péril :

Conformément à la reconnaissance partielle des «droits des catastrophés» qui est désormais implicite dans le processus d'autorisation des médicaments, le Comité recommande également au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social d'envisager la possibilité d'adopter officiellement un système d'autorisations conditionnelles pour les médicaments destinés à traiter des maladies pouvant s'avérer mortelles, une fois établis certains critères fondamentaux de sécurité et d'efficacité. De façon générale, ce système permettrait aux médecins de prescrire des médicaments même s'ils font encore l'objet d'évaluations(59).


(59) Comité parlementaire sur le sida, Le SIDA, un défi, juin 1990, p. 33-42.

Recommandation no 6

Le Sous-comité recommande que Santé Canada élabore de toute urgence, au plus tard le 1er juin 1997, un système d'homologation conditionnelle des médicaments destinés à traiter les maladies qui mettent la vie en danger.

La lenteur de l'évaluation des médicaments au Canada pose un certain nombre de problèmes, surtout lorsque les États-Unis autorisent avant nous un médicament destiné à lutter contre une maladie potentiellement mortelle. Cette situation crée deux catégories de séropositifs et de sidéens : ceux qui peuvent se permettre d'aller aux États-Unis et payer de 800 $ à 1 000 $ par mois pour un médicament comme le ritonavir, et les pauvres, qui doivent attendre que Santé Canada en autorise la vente et que leur province l'ajoute à son répertoire à des fins de remboursement. Maggie Atkinson affirme que bien des pauvres meurent dans l'attente de l'approbation(60).


(60) AIDS Action Now!, Mémoire, 1er mai 1996, 5 p.

Cette situation nous amène à nous demander pourquoi le Canada maintient un processus d'évaluation qui fait double emploi avec ceux qui existent ailleurs. Nous savons très bien que des personnes atteintes de maladies potentiellement mortelles vont aux États-Unis acheter légalement un médicament qui pourrait leur sauver la vie, et les Canadiens ne sont pas différents des Américains sur le plan physiologique. Alors, pourquoi s'entêter à empêcher la vente de médicaments dont l'innocuité et l'efficacité sont attestées et la vente autorisée aux États-Unis, jusqu'à ce que Santé Canada les ait évalués? Jacques Bouchard affirme que bon nombre de pays ne font pas leurs propres évaluations, se fiant plutôt à l'approbation de la FDA pour mettre un médicament en marché(61). Santé Canada est tenu de procéder à des évaluations en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Et, d'ajouter Jacques Bouchard : «[c']est à vous, les législateurs, de décider si le Canada doit être une entité distincte dans le domaine de la réglementation des médicaments»(62).


(61) Séance no 22, 14 décembre 1995, p. 40.
(62) Ibid.

Plusieurs des participants à la table ronde nationale ont suggéré que le Canada participe à des évaluations conjointes avec les États-Unis. Cette proposition n'est pas nouvelle : elle figure déjà dans un document publié par Santé Canada(63), et Denis Gagnon l'a déjà mentionnée dans son Étude du système canadien d'approbation des médicaments, parue en 1992. Michael O'Shaughnessy, directeur du B.C. Centre for Excellence in HIV/AIDS, a déclaré au Sous-comité qu'il avait participé à des réunions tripartites Canada-États-Unis-Grande-Bretagne, où il avait été abondamment question d'évaluations conjointes et où le Canada avait donné son assentiment. Pourtant, le Canada n'a pas fait une seule évaluation conjointe avec la FDA du médicament anti-VIH, le ddI.Michael O'Shaughnessy s'interroge : «Que se passe-t-il si vous dites aux gouvernements des États-Unis et de la Grande-Bretagne : `C'est une excellente façon de faire; il y a là un modèle à suivre car il fonctionne', et que vous ne procédez plus jamais ainsi(64)?» Quant à lui, Michael Levy, de l'ACIM, parle de l'expérience européenne :


(63) E. Somers, et al., «Drug Regulation - The Canadian Approach», Regulatory Toxicology and Pharmacology, vol. 12, 1990, p. 216.
(64) Séance no 22, 14 décembre 1995, p. 40.

[. . .] il y a celui [le modèle] qui est appliqué depuis peu de temps dans les pays de la Communauté européenne, qui sont plus comparables au Canada que les États-Unis, et qui avaient mis en place, chacun de leur côté, leurs propres organismes d'examen. Ils examinaient tous les mêmes dossiers, passaient en revue les mêmes énormes quantités d'informations et parvenaient tous, éventuellement, à des réponses similaires. Ils ont reconnu que le système n'était pas efficace. Ils ont établi un comité conjoint dont l'autorité est reconnue dans tous les pays de la Communauté européenne(65).


(65) Ibid., p. 41.

Comme l'ont souvent répété les représentants de l'ACIM, le meilleur moyen de faciliter l'accès aux nouveaux médicaments est un système d'approbation rapide et efficace. Pour permettre d'y arriver, certains des participants ont proposé qu'on augmente les crédits accordés à la Direction des médicaments. Le Sous-comité n'est pas d'accord : cette mesure ne ferait que favoriser le double emploi avec la FDA. Le Sous-comité ne recommande pas non plus que le Canada cesse de faire ses propres évaluations, car, en tant que pays développé et relativement riche, nous avons le devoir de partager les coûts de l'évaluation des médicaments. Les membres du Sous-comité n'ont pas étudié le

système de réglementation canadien suffisamment en profondeur pour formuler des recommandations fermes, mais ils sont d'avis qu'il faudra pousser plus loin l'examen de la question de l'évaluation des médicaments au Canada.

Recommandation no 7

Le Sous-comité recommande que le gouvernement du Canada étudie l'orientation à donner à la réglementation des médicaments au pays. Pour ce faire, il devrait tenir compte, sans toutefois se limiter à ces aspects, de la rentabilité du système actuel, de l'opportunité de l'abandonner progressivement, de l'efficacité du nouveau système d'évaluation des médicaments de la Communauté européenne, et de la possibilité d'adopter ce modèle dans le cadre de l'ALENA.

RESPONSABILITÉ CIVILE

Dans le cadre du PMU, Santé Canada peut autoriser une société pharmaceutique à mettre en circulation un médicament expérimental. Le PMU en légalise la vente, mais l'autorisation est donnée sans aucune évaluation de l'innocuité, des risques et des avantages cliniques possibles. Le gouvernement ne fait aucune recommandation et n'est donc nullement responsable. En fait, selon Mario Simard, conseiller juridique de Santé Canada, il n'y a jamais eu de poursuites contre le gouvernement au sujet d'une autorisation de mettre en circulation un médicament expérimental pour des raisons humanitaires(66). Par contre, il a été dit à la table ronde que le fabricant est responsable des préjudices imputables à son produit et c'est pourquoi la décision de mettre en circulation ou non un médicament de recherche est laissée à sa discrétion. Le malade a toujours le droit de poursuivre le fabricant, le médecin ou l'établissement où il a acheté le médicament.


(66) Séance no 21, 13 décembre 1995, p. 2-4.

Mario Simard estime que le gouvernement pourrait avoir une part de responsabilité s'il adoptait une loi pour forcer les sociétés pharmaceutiques à distribuer un médicament de recherche(67). Ainsi, il se pourrait que le gouvernement soit tenu responsable des préjudices subis par un patient s'il a contraint le fabricant à mettre en circulation le médicament contre son avis. L'inverse pourrait également se produire. Si le fabricant refuse de fournir le médicament et que, pour cette raison, l'état du patient se détériore, le gouvernement serait encore responsable parce qu'il n'aurait pas fait exécuter son ordonnance. Mario Simard insiste sur le fait qu'il faut modifier la Loi sur les aliments et drogues pour pouvoir contraindre une société à fournir un médicament expérimental pour des raisons humanitaires. Or, une telle disposition serait contraire aux objectifs de la loi qui a été adoptée en vertu de la compétence du Parlement fédéral en matière de droit criminel, dans le but d'interdire la vente ou la commercialisation de produits dangereux et de réglementer leur distribution(68).


(67) Ibid., p. 7-8.
(68) Ibid.

Les représentants de l'ACIM et de nombreux médecins et cliniciens craignent d'être tenus responsables des conséquences négatives susceptibles de découler de la mise en circulation pour des raisons humanitaires d'un médicament expérimental. Malgré ces inquiétudes, la table ronde n'a été mise au courant d'aucune poursuite intentée contre des médecins, des cliniciens ou des compagnies membres de l'ACIM. Le recours existe incontestablement, mais il semble que l'accès pour des raisons humanitaires soit très rarement à l'origine de poursuites. Cela signifie que le système actuel prévoyant le consentement éclairé réussit assez bien à protéger ceux qui fournissent les médicaments expérimentaux.

L'ACIM fait remarquer que les directives nationales et internationales concernant l'éthique dans les recherches sur des sujets humains exigent que soient expliqués les risques et avantages potentiels afin de permettre au patient de décider en toute connaissance de cause de prendre un médicament. De nos jours, toutefois, les médecins et les patients exercent des pressions de plus en plus fortes pour que les médicaments soient disponibles avant même que soient connus des renseignements aussi élémentaires que la posologie. Si le gouvernement décidait de faciliter la mise en circulation anticipée des médicaments de recherche, il devrait envisager de nouvelles solutions définissant très exactement la responsabilité légale. On a rappelé à la table ronde qu'en explorant ces nouveaux mécanismes, il ne fallait pas oublier les malades catastrophés, car ils méritent d'être protégés à la fois contre les préjudices éventuels et contre les prétentions exagérées.

OBLIGATIONS

Les participants aux séances de la table ronde ont dit clairement qu'ils comptaient sur le gouvernement pour prendre l'initiative de la rédaction de directives nationales sur l'accès pour des raisons humanitaires qui sera équitable pour tous les catastrophés au Canada. Le gouvernement a aussi l'obligation de régler les questions connexes : responsabilité criminelle, maintien d'un régime universel de services de santé comprenant l'accès pour des raisons humanitaires, rigueur scientifique des essais cliniques contrôlés, réglementation efficace et opportune des médicaments, etc. Au nom des catastrophés, Susan Conrad a fait la déclaration suivante :

Il incombe au gouvernement fédéral de tout faire pour garantir aux personnes condamnées le droit de choisir et de disposer des renseignements et des ressources nécesaires à cet égard. (. . .) Ce qui importe, c'est que les intéressés s'engagent à prendre la responsabilité de chercher une solution(69).


(69) Séance no 19, 6 décembre 1995, p. 13.

Les représentants de l'ACIM ont aussi laissé entendre que le gouvernement fédéral a un important rôle à jouer pour faire en sorte que le médicament à accès pour des raisons humanitaires puisse être délivré sur ordonnance. William Milligan a dit au Sous-comité que les fabricants sont pressés par les patients, les médecins et les partisans des traitements de créer des programmes humanitaires, et que la Direction des médicaments subit des pressions pour faire franchir au médicament, le plus rapidement possible, les différentes étapes de l'évaluation. Néanmoins, une fois le médicament approuvé, il peut s'écouler plusieurs mois avant que les provinces ne l'ajoutent à leur formulaire, les rendant disponibles sur ordonnance et remboursables par le régime d'assurance-médicaments ou l'aide sociale. Ainsi, le médicament anti-VIH Hivid (ddC) a reçu un avis de conformité en 1993 mais ne figurait toujours pas sur le formulaire de la Nouvelle-Écosse au 1er mai 1996. Si un fabricant fournit le médicament pour des raisons humanitaires, il doit, pour des considérations morales, continuer de le fournir jusqu'à ce qu'il puisse être obtenu sur ordonnance. Par conséquent, la lenteur d'une province à agir peut jouer énormément contre les futurs programmes humanitaires.

Michael O'Shaughnessy a dit au Sous-comité que le B.C. Centre for Excellence in HIV/AIDS distribue gratuitement tous les antirétroviraux utilisés pour traiter les séropositifs en Colombie-Britannique à plus de 2 000 personnes inscrites au programme de traitement. En Colombie-Britannique, environ 300 personnes ont reçu du 3TC dans le cadre du programme humanitaire. Cependant, une fois l'avis de conformité obtenu, le fabricant a annoncé au Centre qu'il cesserait de lui fournir le médicament après 30 jours. Cela a obligé l'État à chercher des fonds supplémentaires pour couvrir les coûts du 3TC. Voici ce que Michael O'Shaughnessy a déclaré :

[. . .] l'impact possible de l'introduction de nouveaux médicaments sur les programmes de médicaments provinciaux exige que nous trouvions tous de meilleures façons de collaborer et de communiquer, compte tenu du fait qu'un très grand nombre de nos initiatives sont interdépendantes(70).


(70) Séance no 22, 14 décembre 1995, p. 13-14.

Le Sous-comité reconnaît que l'inscription de nouveaux médicaments aux formulaires des provinces et l'utilisation des moyens possibles de faciliter le remboursement des médicaments, lorsque de tels moyens existent, sont du strict ressort des provinces. Par ailleurs, le passage en douceur du statut de médicament expérimental à celui de médicament de prescription est une question qui intéresse tous les Canadiens.

Recommandation no 8

Le Sous-comité recommande que le ministre fédéral de la Santé propose à la Conférence des ministres de la Santé d'établir un mécanisme de consultation pour l'élaboration d'une politique nationale afin de faciliter l'inscription rapide des nouveaux médicaments sur les formulaires provinciaux.

Au Canada, le fabricant pharmaceutique, le médecin et le clinicien-chercheur qui fournissent des médicaments expérimentaux à des patients pour des raisons humanitaires ou dans le cadre d'essais cliniques ont l'obligation de se conformer aux directives nationales et internationales.

Bon nombre de médecins sont débordés par la paperasse qui se rattache à l'accès pour des raisons humanitaires et ne sont pas rémunérés pour ce service. Le Sous-comité est au courant du problème et craint que cela incite les médecins à ne pas accepter de patients qui ont besoin de médicaments expérimentaux. Cependant, les salaires des médecins sont de compétence provinciale et c'est aux médecins et à leurs associations professionnelles que revient la responsabilité de négocier les salaires avec le ministre de la Santé de leur province.

Le fabricant a, quant à lui, des responsabilités supplémentaires comme une obligation «fiduciaire» et l'obligation d'assurer la qualité du produit et de fournir des informations exactes sur le médicament afin que le patient puisse donner un consentement vraiment éclairé. Sophia Fourie a déclaré au Sous-comité que l'industrie pharmaceutique était consciente de sa responsabilité éthique envers les consommateurs :

Les fabricants ont démontré, par la mise en oeuvre systématique au Canada de programmes d'accès précoce, qu'élargir l'accès aux médicaments constitue une priorité et une responsabilité que les compagnies pharmaceutiques ont, par le passé, acceptées et qu'elles continueront d'assumer à l'avenir(71).


(71) Ibid., p. 2.

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