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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 20 mars 1997

.0906

[Traduction]

Le coprésident (M. Bill Graham (Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte. Il s'agit d'une séance conjointe du Comité des affaires étrangères et du commerce international et de la Chambre des communes et du Comité des affaires étrangères du Sénat. Le sénateur Stewart arrivera bientôt, mais il m'a dit de commencer.

Ce matin, l'honorable Lloyd Axworthy, notre ministre, est ici pour nous parler de l'élargissement de l'OTAN.

Merci beaucoup d'être venu, monsieur le ministre. Je sais que vous n'êtes là que pour une heure et par conséquent, nous allons commencer par votre exposé liminaire. Je sais que mes collègues sont impatients de vous parler.

Au nom de mes collègues et en votre nom, je tiens à souhaiter la bienvenue aux membres du corps diplomatique. Nous n'avons pas souvent l'honneur d'avoir la visite d'un aussi grand nombre d'ambassadeurs, mais vous êtes toujours les bienvenus. Nous sommes heureux que vous soyez là.

Monsieur le ministre.

L'honorable Lloyd Axworthy (ministre des Affaires étrangères): Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais commencer par vous présenter M. Charles Court, des Affaires étrangères, et M. Roman Jacobow, de la Défense nationale, qui sont là pour m'aider.

[Français]

Je suis particulièrement heureux de vous rencontrer aujourd'hui à une séance conjointe des représentants du Sénat et la Chambre des communes. Cette consultation est très importante pour moi afin que vous puissiez donner votre opinion sur cette question très importante.

Je pense que la visite du comité de la Chambre en Europe en novembre dernier et le rapport du comité du Sénat sur les relations avec l'Europe vont permettre une bonne discussion. J'ai apprécié l'intérêt et les réponses des parlementaires sur la question de l'OTAN.

[Traduction]

Monsieur le président, comme vous le savez, nous avons comparu devant le comité de la Chambre au mois de novembre et au mois de décembre pour vous mettre au courant des consultations importantes que nous avions entreprises avec plusieurs parties et groupes intéressés en Europe. J'avais alors nommé un représentant spécial sur la question de l'élargissement de l'OTAN.

À cette occasion, nous avions exposé les aspects essentiels de notre position au sujet de l'élargissement. Voici de quoi il s'agit. Lorsque le Canada a appuyé un élargissement important en vue de former une grande communauté transatlantique, nous avons essayé d'encourager l'Alliance à prendre à cet égard des décisions fondées sur un processus transparent et objectif, tenant compte de la mesure dans laquelle les États candidats répondent aux critères suivants: démocratie et saine gestion publique, contrôle des autorités civiles sur les forces armées, réforme économique saine, bonnes relations avec les voisins et capacité d'aider l'OTAN à atteindre ses objectifs.

Nous avions également signalé que tout effort d'élargissement ne devrait coûter qu'un minimum; qu'il fallait accorder une importance particulière à la conclusion d'une entente spéciale avec la Russie, avec les pays baltes et avec l'Ukraine, en essayant de trouver un moyen de tenir compte de leurs intérêts pendant tout le processus d'élargissement; qu'il fallait essayer de conclure le plus grand nombre possible de partenariats fructueux avec les pays qui ne font pas partie de l'Alliance; et qu'il fallait encourager une réforme en profondeur des structures de commandement de l'OTAN dans le but de les assouplir, de faire des économies et de rassurer la Russie en particulier.

.0910

Telle est, dans les grandes lignes, la démarche que nous avons adoptée au cours des nombreuses réunions ultérieures.

Comme vous le savez, depuis le début de l'année, le projet d'élargissement de l'OTAN a pris un rythme de plus en plus accéléré et une importance croissante, comme le prouvent les réunions qui ont lieu aujourd'hui à Helsinki avec le président Clinton et le président Eltsine. Ces réunions seront suivies d'une réunion des ministres des Affaires étrangères, au mois de mai. C'est alors que l'on établira les critères de base et que l'on discutera de la nature du processus d'élargissement. Ensuite, les dirigeants de l'OTAN se réuniront à Madrid, au début de juillet, pour prendre une série de décisions finales.

Par conséquent, d'ici trois ou quatre mois, une décision historique aura été prise. Le processus est en cours. Je suis heureux de pouvoir rencontrer les membres des comités de la Chambre et du Sénat aujourd'hui afin d'élaborer un mandat pour la continuation de la participation canadienne.

Je tiens à signaler que, lorsque les dirigeants auront pris des décisions d'ordre stratégique, nous ne manquerons pas de revenir consulter le Parlement en vue de ratifier toutes les décisions qui seront prises à ce moment-là.

Je vous signale pour votre gouverne que le premier ministre a déclaré sans ambages à plusieurs reprises que nous continuerons à prôner une forte expansion de l'OTAN et qu'il faudrait envisager la candidature d'un minimum d'environ six pays qui pourraient devenir membres de l'Alliance dans un premier temps.

Il faut admettre que la décision d'inviter tel ou tel pays à poser sa candidature sera prise à l'unanimité par les membres de l'Alliance. Il ne s'agit pas d'un vote majoritaire; il faudra que tous les membres soient d'accord. Pour l'instant, il n'existe aucun accord définitif, ni aucun consensus préliminaire, en ce qui concerne le nombre de futurs candidats ou l'identité des pays concernés. Cette question devra faire l'objet de consultations intensives entre les membres du Conseil de l'OTAN, le secrétaire général de l'OTAN et les divers États qui ont manifesté leur intérêt.

Je voudrais tout simplement insister sur le fait que nous avons dit qu'il ne devrait pas exister de liste préétablie mais qu'il faudrait envisager la candidature de tous les pays qui répondent aux critères. Je répète que ces critères sont des élections démocratiques, le transfert pacifique du pouvoir, l'instauration d'un système de surveillance parlementaire et gouvernementale efficace des forces armées, une libération poussée de l'économie ou de la société, et surtout l'aptitude à régler les conflits avec les pays voisins.

Nous avons d'ailleurs constaté que des progrès importants ont été réalisés sur ce dernier plan. Des ententes ont été conclues entre la Hongrie et la Roumanie ainsi qu'entre la Hongrie et la Slovaquie et des négociations sont en cours entre la Roumanie et l'Ukraine.

Voilà où nous en sommes pour l'instant. Nous osons espérer que ce processus puisse être aussi objectif que possible et sommes sincèrement convaincus que les décisions qui seront prises seront nettement en faveur de l'instauration d'un système plus sûr et plus stable et qu'elles favoriseront largement l'expansion de toute la communauté.

Les relations avec la Russie constituent évidemment un des principaux problèmes dans le contexte de cet élargissement. Inutile de répéter qu'un débat on ne peut plus public est en cours. Au cours de la réunion des ministres qui a eu lieu à Bruxelles il y a quelques semaines, nous avons notamment déclaré que, si les dirigeants russes ont des appréhensions sérieuses et légitimes, nous considérons également cela comme une occasion historique pour l'OTAN et la Russie d'établir de nouvelles relations et de créer un forum pour la consultation, la coopération et la prise de décisions en commun.

À bien y penser, qui aurait envisagé, il y a quelques années à peine, la possibilité de créer un conseil OTAN-Russie dans le but d'essayer de régler ensemble un certain nombre de problèmes communs de sécurité au sein de la grande communauté atlantique et de coordonner les efforts dans ce domaine?

[Français]

Par exemple, le sommet qui se tient aujourd'hui entre les États-Unis et la Russie donnera encore plus d'assurances à la Russie sur des questions telles que les armes stratégiques et les objectifs des États-Unis dans l'Alliance.

.0915

[Traduction]

Dans le cadre du débat et des diverses discussions qui se déroulent, un certain nombre d'engagements relativement clairs ont été pris par les pays membres de l'OTAN, notamment l'engagement de ne pas installer d'armes nucléaires sur le territoire d'un nouveau membre, quel qu'il soit, celui de ne pas y stationner de troupes et celui de se mettre à renégocier le Traité sur les forces conventionnelles pour que l'alignement des forces tende à instaurer un certain équilibre et une certaine équité en matière de maintien de la sécurité dans ces régions. En outre, on a fait de nouvelles propositions originales en vertu desquelles la Russie pourrait collaborer de façon plus étroite avec l'OTAN et jouer un rôle plus important dans le processus P-8; par ailleurs, les deux parties pourraient prendre des décisions en commun au sein du nouveau conseil.

Le Partenariat pour la paix de l'OTAN, en Bosnie, est une belle preuve de l'efficacité de cette formule, sur le plan de la collaboration. En cas de menace à la sécurité, une alliance peut engendrer un certain degré de collaboration.

C'est donc en quelque sorte une belle occasion. Un de nos arguments est que, si l'on peut abandonner quelques-unes des vieilles attitudes, des principes et des raisonnements qui avaient cours pendant la guerre froide, cet événement peut revêtir une importance historique en ce sens que, non seulement il renforcera la sécurité, mais qu'il augmentera les chances d'arriver à intégrer tous les pays situés entre Vancouver et Vladivostok, pour reprendre la bonne vieille formule de l'OSCE.

À ce propos, il est également très important qu'une entente spéciale soit négociée entre l'OTAN et l'Ukraine, qui a manifesté de fortes appréhensions au sujet de sa sécurité. Le fait qu'au moment même où se déroule le sommet de Helsinki, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, M. Udovenko, est en train de rencontrer le secrétaire général Solana à Bruxelles, pour discuter de l'amorce d'une entente entre l'OTAN et l'Ukraine, mérite d'être signalé.

Ce n'est là, je le répète, qu'une description sommaire des principes que l'on s'est fixés et des obligations que l'on s'est imposées en matière de consultation et de coopération. Toute une série de problèmes se posent. Lorsque le ministre des Affaires étrangères Udovenko est venu au Canada, il y a environ deux semaines et demie, le premier ministre a déclaré de façon très explicite que le Canada est profondément convaincu de la nécessité d'une entente spéciale. Nous estimons que nous avons un rôle important à jouer en aidant l'OTAN à prendre la décision d'élaborer cette nouvelle architecture avec l'Ukraine.

Un autre élément important est qu'un partenariat beaucoup plus large, beaucoup plus efficace et beaucoup plus vigoureux est indispensable, en particulier à cause des inquiétudes manifestées par les pays baltes. La proposition qui a été faite par le secrétaire d'État Albright au cours de la dernière réunion des ministres concernant la création d'un Conseil atlantique du partenariat, qui serait investi de pouvoirs et de responsabilités plus étendus, est une façon d'atteindre un niveau d'intégration, de coopération et de sécurité plus élevé.

Par conséquent, le processus d'élargissement n'est pas unidimensionnel; il s'étend sur un certain nombre de fronts. Il s'inscrit dans le cadre du processus de négociation proprement dit ou du processus d'examen des critères que les pays doivent remplir pour être invités à faire partie de l'OTAN. Il est intimement lié à l'élaboration de nouvelles chartes ou ententes avec la Russie en matière de sécurité. Il est également lié à l'élaboration de nouvelles ententes avec l'Ukraine et à un renforcement considérable du Conseil atlantique du partenariat.

Nous estimons également qu'il est impératif de procéder à une réforme infrastructurelle. C'est grandement nécessaire tant pour réduire les frais que pour accroître la sécurité. Si l'on arrive à cesser de concevoir l'OTAN comme une série de bases de commandement établies dans la périphérie d'un pays dans le cadre d'une alliance défensive, on pourra se mettre à démontrer de façon très concrète que l'OTAN est en train de devenir un organisme de sécurité dont le rayon d'action est plus étendu. Nous commençons à faire des progrès dans ce domaine. Pour le Canada, il s'agit d'un élément très important qui doit s'inscrire dans le contexte de notre conception multidimensionnelle de l'élargissement.

Je voudrais parler, pour terminer, de la question des coûts, parce que cela a donné lieu à des débats publics. Dernièrement, les États-Unis ont publié un rapport dont les médias canadiens ont parlé. D'après ce rapport, les coûts supplémentaires qui incomberaient au Canada au cours de cette période pourraient être de l'ordre de 45 millions de dollars par an.

Je tiens à insister sur le fait qu'aucune décision n'a été prise au sujet des nouveaux membres à accueillir au sein de l'Alliance ni au sujet de la position que l'Alliance les obligera à adopter sur le plan militaire. Par conséquent, si l'on peut faire des prévisions, il est en réalité impossible de dire à combien s'élèveront les coûts. Tant qu'une entente en bonne et due forme n'aura pas été conclue, tant que nous n'en connaîtrons pas les modalités et tant que nous ne saurons pas quels sont les problèmes de sécurité, il sera prématuré de vouloir évaluer les coûts.

.0920

Nous estimons notamment que l'élargissement et toutes les mesures supplémentaires qui l'accompagnent, à savoir une réforme de la structure de commandement de l'OTAN, la création d'une force opérationnelle interarmées, grâce à quoi il ne devrait plus être nécessaire d'établir de nouveaux quartiers généraux ou de nouveaux centres dans le cadre des nouvelles structures de commandement, et la révision du Traité sur les forces conventionnelles en Europe qui aurait une incidence sur le cadre de la sécurité globale et le niveau des forces, auraient des effets très bénéfiques sur le plan financier.

Par conséquent, j'affirme qu'en ce moment, ni les membres ni quelque autre personne que ce soit ne peuvent partir du principe que les coûts sont fixes, parce que ce n'est pas du tout le cas. On ne peut pas en faire une estimation. L'OTAN est en train de les calculer et nous ne manquerons pas de communiquer les résultats de ces calculs lorsque nous recevrons ces rapports et ces prévisions. Il sera toutefois impossible de faire une estimation des coûts tant que l'on ne saura pas en quoi consistent toutes les mesures qui seront prises et tant qu'aucune décision n'aura été prise à ce sujet. En l'occurrence, je vous assure que nos estimations ne correspondent pas aux prévisions de coûts qui ont été publiées dans certains rapports il y a plusieurs semaines.

Comme vous pouvez le constater, le rythme des discussions, des négociations et des consultations s'accélérera considérablement au cours des trois ou quatre prochains mois, sur cinq ou six plans différents. Le tout, c'est de savoir si tout sera réglé à temps pour la réunion prévue pour juillet. J'en suis convaincu pour l'instant, aussi étonnant que cela puisse paraître. J'estime qu'il faut rendre hommage au secrétaire général de l'OTAN, à son secrétariat et à nos ambassadeurs qui ont travaillé d'arrache-pied.

Je crois que le secrétaire général compte venir au Canada dans trois ou quatre semaines environ et j'espère qu'il aura l'occasion de vous rencontrer.

J'estime par conséquent que l'on fait certains progrès. J'espère que les députés et les sénateurs continueront à prodiguer leur appui et leurs encouragements, parce que c'est une des décisions internationales capitales auxquelles le Canada sera appelé à participer d'ici un an.

Merci, messieurs les présidents.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Nous avons déjà un assez grand nombre de noms sur la liste. Je pense que si les interventions pouvaient ne pas durer plus de cinq minutes chacune, cela permettrait au plus grand nombre de personnes possible de parler.

[Français]

Monsieur Bergeron, vous êtes le premier. Autant que possible, limitez-vous à cinq minutes.

M. Stéphane Bergeron (Verchères, BQ): Monsieur le président, on transgresse ainsi une règle qui a été établie à ce comité, comme vous le savez.

Le coprésident (M. Bill Graham): On n'a que 35 minutes.

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le ministre, bienvenue parmi nous. Merci d'avoir accepté de venir nous rencontrer sur la question de l'élargissement de l'OTAN. Vous me permettrez de souhaiter la bienvenue aux membres du corps diplomatique qui se sont déplacés aujourd'hui. Je pense que cela témoigne de l'importance de cette question, non seulement pour les pays qui sont représentés ici ce matin, mais pour le Canada lui-même.

Monsieur le ministre, vous avez souligné l'importance de la question des relations entre l'OTAN et la Russie. C'est effectivement une question fondamentale puisque, si le processus se faisait sans que la Russie y soit associée ou n'ait exprimé un certain assentiment, nous pourrions nous retrouver dans une situation plutôt précaire et difficile au lendemain de l'élargissement de l'OTAN.

Quelques collègues du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international et moi-même avons rencontré un certain nombre de parlementaires allemands au mois de novembre dernier. Ces derniers nous disaient qu'ils croyaient que les réticences russes étaient, pour ainsi dire, une espèce de position de négociation qui leur permettrait d'obtenir le maximum de l'OTAN.

C'est peut-être une explication, mais certains des membres de ce comité, comme vous le savez, monsieur le ministre, avaient également eu l'occasion de passer en Russie la semaine précédente. À ce moment-là, nous avions été à même de constater que l'opposition à l'élargissement de l'OTAN n'était pas simplement une position de négociation. Je pense qu'il y a à cela une opposition viscérale et psychologique fondamentale chez le peuple russe en général, cela pour deux raisons. D'une part, la zone d'influence dans laquelle l'OTAN se propose d'avancer était traditionnellement la zone d'influence de l'Union des républiques socialistes soviétiques. Donc, les Russes y voient d'une certaine façon une transgression de leur propre zone d'influence.

.0925

Deuxièmement, il y a la question de la sécurité. Si l'OTAN doit s'étendre éventuellement jusqu'aux frontières de la Russie et s'arrêter là, c'est pratiquement une admission du fait qu'il existe encore un ennemi commun en Europe, qui est la Russie. Donc, la position du Canada est-elle d'être ouvert à un élargissement de l'OTAN qui pourrait intégrer la Russie?

M. Axworthy: Certainement. Je partage le souci exprimé par le député en ce qui a trait à notre position concernant les Russes. Évidemment, à cet égard, il y a une grande expression d'opposition de la part des présidents et des hauts fonctionnaires russes. En même temps, il y a un processus actif de consultation entre l'OTAN et le ministère des Affaires étrangères de la Russie.

Clairement, il y a un développement de deuxième track. Il y a l'histoire de l'Europe et la grande division entre l'Est et l'Ouest. Il est difficile de faire des changements dans ce contexte. C'est psychologique, comme vous l'avez dit.

La position du Canada, comme sans doute celle des autres membres de l'OTAN, est qu'il s'agit d'une occasion historique de faire des changements dans les concepts de sécurité. Ce n'est pas l'Est contre l'Ouest, mais plutôt un système de défense où toutes les frontières...

Dans ma présentation, j'ai parlé de

[Traduction]

forces opérationnelles interarmées et de forces mobiles, entre autres choses. Par conséquent, je crois qu'il ne fait aucun doute que ces problèmes doivent être réglés. Je pense que la rencontre des deux présidents qui a lieu ce matin, les consultations en cours, qui vont bon train... Je vous garantis que l'on n'a pas pris cela à la légère.

Le secrétaire général Solana, qui a été désigné pour mener ces négociations au nom de l'OTAN, est très occupé depuis plusieurs mois et les parties se sont mises d'accord sur certains points. Cela ne veut pas dire que des ententes ont été conclues, mais je crois que l'on s'est déjà entendu sur certains principes de base, sur le fait que l'on pourrait conclure une série d'ententes de consultation et de coopération, que l'on pourrait établir une charte fixant un certain nombre d'objectifs en matière de sécurité, que certains mécanismes pourraient être instaurés à de nombreux niveaux, à celui des forces armées et au niveau politique par exemple, que l'on pourrait créer un conseil Russie-OTAN, au sein duquel les parties seraient représentées par leurs ambassadeurs. Je pense qu'en outre, des engagements très précis, des engagements vraiment historiques, ont été pris au nom des pays membres de l'OTAN, notamment en ce qui concerne la modification de la nature de l'entente de non-positionnement d'armes nucléaires sur le territoire; on s'est également engagé à ne pas établir de troupes d'autres pays membres de l'OTAN dans les nouveaux pays membres. Nous faisons également de gros efforts pour que l'on procède à une réorganisation assez importante de la structure de commandement.

Par conséquent, je ne prends pas cela à la légère mais je suis absolument convaincu que c'est une belle occasion. Les résultats des discussions qui auront lieu au cours des prochains jours le démentiront peut-être, mais je suis persuadé que toutes les conditions nécessaires à un rapprochement sont réunies et que si nous nous y prenons bien, ce sera bien plus qu'un simple élargissement de l'OTAN. Comme je l'ai dit, on édifierait une architecture de sécurité flambant neuve qui couvrirait une région du monde profondément déchirée par les conflits depuis des siècles. Je crois que l'on pourrait accroître considérablement le niveau de sécurité si l'on s'y prend bien.

.0930

[Français]

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le ministre, je dois vous dire que les précisions que vous venez d'apporter sont de nature à nous rassurer quant à la volonté de l'OTAN d'en arriver effectivement à l'entente la plus satisfaisante possible avec la Russie. Vous me permettrez cependant de réitérer ma question fondamentale. La position canadienne est-elle d'envisager l'adhésion éventuelle de la Russie à l'OTAN ou d'étendre l'OTAN jusqu'aux frontières de la Russie, et pas plus loin, confirmant de ce fait les appréhensions les plus profondes des Russes à l'égard de l'expansion de l'OTAN?

[Traduction]

M. Axworthy: Je considère bel et bien que c'est une décision historique que nous avons à prendre, mais notre attitude a été assez cohérente. Notre position est qu'il faut renoncer à toute politique d'exclusion. Il existe des critères de base. Ils devraient être transparents. Je crois les avoir énoncés brièvement. Les divers pays concernés ont le droit de présenter une demande d'adhésion. Jusqu'à présent, la Russie n'a manifesté aucun intérêt, à l'instar de nombreux autres pays. Je ne pense pas qu'il faille dire automatiquement que ce n'est pas possible. Étant donné la façon dont le monde évolue et compte tenu de tous les changements survenus au cours des cinq dernières années, personne n'aurait pu prévoir que nous allions réaliser autant de progrès. Qui sait ce que nous réservent les cinq prochaines années? Qui sait si nous ne serons pas en mesure de conclure l'entente préliminaire dont nous venons de parler?

Le coprésident (M. Bill Graham): Monsieur Martin.

M. Keith Martin (Esquimalt - Juan de Fuca, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci d'être venu nous voir aujourd'hui, monsieur le ministre.

L'exclusion et le mystère attisent toujours les craintes dans divers pays et, par conséquent, ils accroissent les risques pour la sécurité, alors que l'inclusion est toujours un vecteur de paix. Je me demande quelles garanties vous avez fait valoir auprès de M. Eltsine et de M. Primakov à propos des efforts qui sont déployés pour multiplier les partenariats stratégiques entre l'OTAN et Moscou. Quels efforts ont été déployés par l'OTAN pour faire participer les Russes aux futurs efforts ou projets d'ordre stratégique?

Je me demande également quels efforts ont été faits pour resserrer les liens économiques entre la Russie et l'Union européenne dans le cadre de l'OSCE. S'il est possible d'améliorer la relance économique de la Russie et de resserrer les liens entre elle et les pays européens, cela implique nécessairement que l'on fasse des efforts considérables pour instaurer des liens pacifiques et dissiper les appréhensions de Moscou.

Pour changer un peu de sujet, je me demande également si le Canada faisait des efforts au Moyen-Orient, en ce qui concerne la situation à Jérusalem et si vous aviez parlé à M. Netanyahu, ou si le ministère des Affaires étrangères avait l'intention d'encourager le roi Hussein de Jordanie dans les tentatives qu'il fait pour désamorcer la lourde menace qui pèse actuellement sur la sécurité au Moyen-Orient.

Le coprésident (M. Bill Graham): Ce serait un élargissement historique de l'OTAN. M. Martin propose que l'OTAN établisse un quartier général à Jérusalem.

M. Keith Martin: C'est une proposition dangereuse.

M. Axworthy: Du train où vont les choses, il se pourrait très bien que Cuba soit de la partie d'ici la fin de la matinée.

Monsieur Martin, je dois vous dire d'emblée que je reconnais que l'un des meilleurs moyens d'accentuer le sentiment de sécurité consisterait à être plus actifs sur le front économique et social. Cela ne relève toutefois pas spécifiquement des responsabilités de l'OTAN, étant donné qu'il s'agit d'une organisation dont le but est d'assurer la sécurité.

Toutefois, pour remonter aux origines de l'OTAN, je vous rappelle que nous avons fait adopter l'article II, appelé clause Pearson, ou clause Canada. Il s'agit d'une clause visant à favoriser une collaboration plus étroite sur les plans économique, social et politique. Cette clause a été pratiquement inopérante au cours de la guerre froide. Je crois qu'il existe des possibilités d'accroître le niveau de collaboration à cet égard. L'Union européenne a certainement un rôle important à jouer. À mon avis, d'autres initiatives, comme l'acceptation de la Russie au sein de l'OMC et sa participation à d'autres accords commerciaux mondiaux, voire le renforcement du rôle de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, pourraient être signalées.

.0935

Au cours des négociations qui se déroulent actuellement, on pourrait notamment essayer, à mon avis, de trouver une possibilité d'améliorer la sécurité, et pas seulement avec la Russie; je crois que c'est également vrai en ce qui concerne les autres nouvelles démocraties l'Europe centrale et orientale. Elles ont besoin du même genre de soutien économique - il ne s'agit pas nécessairement de leur accorder de l'aide supplémentaire mais de mieux les intégrer au sein de l'économie mondiale, du système commercial et du système des investissements.

J'ai effectué plusieurs voyages en Europe de l'Est, dans les pays baltes, en Ukraine et j'en suis revenu convaincu... Comme vous le savez, nous sommes allés en Ukraine, au mois d'octobre, avec une délégation commerciale composée d'une soixantaine de gens d'affaires, et nous avons négocié des investissements dont la valeur se chiffre à 600 millions de dollars. C'est ce genre d'initiatives, de la part de pays comme le Canada, qui contribueront beaucoup à améliorer la situation.

Sur un autre plan, on peut tout simplement prendre des initiatives entièrement axées sur la sécurité. Dans le cas de la Russie par exemple, nous avons tenu des discussions suivies au sujet d'un accroissement considérable du niveau de collaboration dans l'Arctique. Nous avons instauré le Conseil de l'Arctique. Nous avons tenu des discussions sur les diverses possibilités d'améliorer les transports, les liens commerciaux et les transferts de technologie avec la Russie, avec l'Ukraine ainsi qu'avec d'autres pays qui, tout comme nous, ont un intérêt dans le développement de l'Arctique. C'est le genre d'éléments supplémentaires dont vous parliez, si je ne me trompe, et qui contribuent à donner plus de consistance aux relations que si elles étaient uniquement axées sur la sécurité. Je suis entièrement en faveur de cela.

À mon avis, les Canadiens pourraient notamment avoir plus d'influence au sein d'organisations économiques multilatérales. Je crois que l'OMC est un exemple idéal.

En ce qui concerne la question du Moyen-Orient, étant donné que je suis président du groupe de travail sur les réfugiés, je signale que nous participons activement au processus global de Madrid. Nous avons fait valoir la nécessité d'une réconciliation auprès de toutes les parties. Je dois dire que nous nous sommes assez fermement opposés à l'expansion des peuplements. Nous estimons que cela n'accélère pas le processus de paix. Nous avons fait des déclarations dans ce sens. Un vote a été tenu à ce sujet à l'Assemblée générale de l'ONU la semaine dernière.

Nous avons fait connaître nos opinions, dans le contexte des négociations qui sont en cours, mais je reconnais que dans ce cas-ci, nous ne sommes pas un intervenant de poids. Je crois que les principaux intervenants sont les pays du Moyen-Orient qui sont en cause. Nous ferons toutefois tout notre possible pour appuyer cette cause, tant par le biais de nos programmes de développement que par le soutien que nous pouvons apporter à toutes sortes d'organisations internationales.

Le coprésident (M. Bill Graham): Sénateur Grafstein.

Le sénateur Jerahmiel Grafstein (Toronto métropolitain): Merci, monsieur le président.

Monsieur le ministre, j'apprécie vos derniers commentaires. Je me demande pourquoi l'on porte un jugement aussi hâtif sur l'élargissement de l'OTAN, compte tenu du fait que la Russie est extrêmement vulnérable pour l'instant, dans ses efforts de démocratisation. Je suis heureux de vous avoir entendu dire que le Canada a déjà essayé de passer à la deuxième étape, c'est-à-dire celle des relations multilatérales, de l'Arctique, de l'OMC - bref, ce qui est prévu à l'article II - par d'autres moyens.

Permettez-moi de faire une brève analyse des considérations d'ordre stratégique. J'ai essayé de lire très attentivement les auteurs américains à ce sujet, y compris Strobe Talbott et d'autres experts en matière d'affaires étrangères. Il me semble que l'on fasse des projets d'expansion de façon un peu hâtive, sans tenir compte des antécédents historiques ni des analyses stratégiques. Je vais vous exposer la mienne, pour l'instant.

L'OTAN a été créée parce que les politiques expansionnistes et agressives du régime communiste qui gouvernait alors la Russie représentaient une menace concrète. La Russie essayait d'étendre son hégémonie en créant certaines sphères d'influence dans les pays voisins, mais tout cela était fondé sur une menace évidente et c'est précisément pour enrayer et pour désamorcer cette menace que l'OTAN fut créée.

Comme vous l'avez si bien dit, nous vivons actuellement un moment historique, compte tenu de la formation de l'Europe et de l'expansion de la stabilité et de la démocratie. Si l'on remonte au Traité de Versailles, on constate que c'était une erreur, parce qu'à cette époque, l'Amérique et les autres pays ont profité de la reddition inconditionnelle et de la faiblesse de l'Allemagne. À mon avis, Versailles a été le ferment de la Seconde Guerre mondiale.

.0940

Parlons de la deuxième étape de l'évolution, c'est-à-dire du Traité de Yalta. À mon avis, ce traité a divisé l'Europe d'une façon aberrante. Les résultats du multilatéralisme, tant à Versailles qu'à Yalta, ont fragmenté le concept de l'Europe, de la grande Europe, de la grande architecture, au lieu de le renforcer, et c'est ce qui a engendré la guerre froide et l'isolement.

Voilà que se présente, pour la troisième fois au cours de ce siècle, l'occasion d'édifier, comme vous l'avez dit si bien, une architecture suprême visant à rapprocher la Russie et l'Europe d'une façon ou d'une autre. Et pourtant, nous sommes apparemment en train d'instaurer un principe qui pousse la Russie dans une autre direction. Que fera par exemple la Russie si l'idée de l'expansion la met mal à l'aise et ne lui plaît pas? Est-ce qu'elle restera tranquille? Non, elle se rapprochera de la Chine. Elle s'arrangera pour établir un équilibre des pouvoirs différent, afin d'essayer de régler ses problèmes de sécurité.

En guise de conclusion, je dirais que nous sommes sensibles aux besoins de la Pologne et des autres pays et que nous sommes conscients du traumatisme qu'ils ont subi. Nous devons répondre à leurs besoins en matière de sécurité, cela ne fait aucun doute. Par ailleurs, je me rends compte que nous poussons la Russie à accepter une offre ou une situation qui choquera la fierté nationale et poussera le pays à s'engager dans une autre voie que celle de l'unité d'une architecture européenne suprême.

De surcroît, monsieur le ministre, quel message transmettons-nous en fait à l'Ukraine? Quel message transmettons-nous au Bélarus? Quel message transmettons-nous aux autres membres du CIS qui se trouvent dans la même position ambivalente et qui souhaitent s'engager dans la voie de la stabilité et de la démocratie alors qu'on les relègue au rang de pays de troisième classe en ce qui concerne le plus beau fleuron de l'Europe, à savoir l'OTAN?

C'est un problème complexe, monsieur le ministre, et je sais que vous essayez de le régler. Nous avons beau être extrêmement sensibles aux besoins de l'Europe centrale, il ne faut pas négliger ces problèmes stratégiques plus profonds. Je me demande si vous pourriez nous faire l'honneur de nous exposer vos opinions à ce sujet avant d'agir.

Le coprésident (sénateur John Stewart (Antigonish - Guysborough)): Monsieur Axworthy, permettez-moi de rappeler tout d'abord aux membres des deux comités que le Comité des affaires étrangères du Sénat a préparé il y a quelques mois un rapport dans lequel étaient énoncées les vues que le sénateur Grafstein vient d'exposer. Il ne s'agissait pas des vues personnelles du sénateur Grafstein, mais de l'opinion unanime du comité.

Nous avons dit que le comité recommandait au gouvernement du Canada d'encourager l'OTAN à continuer à mettre en oeuvre des politiques visant à s'assurer que le processus d'élargissement contribue effectivement à accroître la sécurité et la stabilité en Europe. Nous avons souligné le terme «effectivement».

Nous avons tous les mêmes préoccupations que le sénateur Grafstein. Nous comprenons l'analyse élaborée que vous nous avez présentée. Vous avez parlé de bonnes relations intergouvernementales entre le président des États-Unis et M. Eltsine, par exemple. Cependant, il faut, de toute évidence, tenir compte des perceptions de la population, même dans un pays comme la Russie. Je présume que pour le Russe moyen, l'OTAN est une alliance militaire et il me semble que l'élargissement de cette alliance pourrait être le ferment de désordres futurs.

Je vais également signaler autre chose, pour que vous puissiez répondre en bloc. Il s'agit d'une question qui nous préoccupe mais nous n'en avons pas parlé dans notre rapport. Maintenant que l'ogre communiste a disparu, pendant combien de temps les contribuables nord-américains seront-ils encore disposés à financer ce que l'on considère et présente comme la sécurité en Europe centrale et orientale, alors qu'ils sont confrontés à des déficits et à des dettes énormes? Je crois qu'il s'agit davantage des contribuables américains que des canadiens.

On a beau dire que c'est une sécurité pour l'Amérique du Nord, les citoyens ne voient pas toujours aussi loin. Sommes-nous sûrs, et j'entends par là les États-Unis et le Canada, de ne pas abuser de l'appui de nos électeurs?

.0945

M. Axworthy: Je répondrai d'abord à cette question, monsieur le sénateur Stewart.

J'ai énormément d'admiration pour la conscience élevée qu'ont les Canadiens des engagements et des responsabilités internationaux de leur pays. Pour en revenir à l'analyse du sénateur Grafstein, au cours du dernier siècle, le Canada a effectivement payé un lourd tribut pendant la période d'instabilité et d'insécurité en Europe. Les mesures préventives sont beaucoup plus efficaces que les mesures réactives et elles sont beaucoup moins coûteuses. C'est une leçon que nous avons apprise à nos dépens.

Étant donné que la situation a considérablement changé en Europe et que l'ex-Union soviétique est en train de donner naissance à une série de nouvelles démocraties, c'est une occasion unique d'essayer de rétablir un ordre où règnent la stabilité et la sécurité. C'est pourquoi je considère que c'est relativement urgent. On ne veut pas laisser passer cette occasion. On veut profiter de la conjoncture favorable.

Une de ces occasions a été saisie lorsque les pays occidentaux ont pris des engagements précis au moment où le démembrement de l'Union soviétique a engendré de nouvelles démocraties. Il est important de respecter ces engagements et de ne pas les perdre de vue.

Nous nous sommes engagés à les aider à s'intégrer à la communauté internationale et à essayer de rebâtir la zone des plaines centrales d'Europe où l'incertitude régnait depuis des siècles, voire des millénaires. C'est une des raisons pour lesquelles j'estime que l'engagement nord-américain, c'est-à-dire celui des États-Unis et du Canada, constitue un élément absolument essentiel et extrêmement important. Il apporte un certain équilibre.

Je ne tiens pas à me lancer dans un grand discours sur la contribution du Nouveau Monde à la vieille Europe, mais j'estime cependant que la participation de l'Amérique du Nord est absolument essentielle car elle représente un apport très important, surtout dans le cas des États-Unis, ne fût-ce qu'en raison de l'ampleur de son engagement militaire. Quant au Canada, il apporte une contribution à la mesure de ses propres moyens, qui se manifeste sous la forme d'autres types d'engagement dans le cadre de l'OTAN et d'autres ententes concernant la sécurité. Comme je l'ai dit dans quelques discours, je crois que notre état de puissance douce nous permet d'aider les gens à négocier, à construire des ponts, à trouver et à fournir de l'aide.

Je suis absolument convaincu que le choix du moment est d'une importance cruciale. Comme nous le savons tous, puisque nous faisons de la politique, les décisions peuvent être reportées indéfiniment et c'est seulement lorsqu'on prend l'engagement d'agir que l'on commence à se concentrer sur le sujet. À ce moment-là, le rythme des négociations s'accélère. C'est bel et bien ce qui s'est passé au cours des derniers mois.

Je vais vous citer un exemple pour vous faire comprendre ce que je veux dire. Pour répondre aux questions du sénateur Grafstein et du sénateur Stewart, je dirais que ces négociations ont eu des retombées assez intéressantes. Elles n'ont pas porté exclusivement sur la question de l'élargissement de l'OTAN et du nombre de membres supplémentaires que l'on pouvait accueillir au sein de l'Alliance. La nécessité de tenir compte des appréhensions de la Russie, de l'Ukraine et des pays baltes a engendré un certain nombre d'initiatives nouvelles. Je songe par exemple à la promesse de renégocier le Traité sur les forces conventionnelles en Europe, dans le but de réduire les effectifs pour instaurer un système plus paritaire, qui est à mon sens une des initiatives les plus importantes.

Vous vous souvenez certainement tous qu'à l'époque de la bonne vieille guerre froide, on trouvait dans les revues d'actualité des photos éloquentes représentant toute une série de tanks et de brigades alignés des deux côtés du Rideau de fer. Je pense que l'on peut se débarrasser de cela maintenant et se mettre à créer une version plus intégrée de ce système. Si nous arrivons à déclencher une renégociation importante du contingent des FCE, je crois que nous aurons énormément contribué à la sécurité en Europe.

En outre, un certain nombre de nouvelles liaisons sont en voie d'établissement. Je me contenterai de vous citer l'exemple des relations canadiennes. Nous sommes actuellement chargés de créer le bureau de liaison de l'OTAN en Ukraine, où nos forces armées comptent un certain nombre de conseillers techniques militaires. M. Jakabow pourrait vous en parler. Nous organisons des séances d'entraînement communes, avec des soldats de la Pologne, de l'Ukraine et d'autres pays de l'Europe de l'Est. Ils viennent au Centre Pearson, en Nouvelle-Écosse. Nous sommes en train de prévoir toute une série de nouveaux exercices communs. Cela n'arrivait jamais autrefois.

Ce que nous proposons, c'est que ces activités fassent l'objet d'engagements encore plus officiels et constructifs dans ces domaines avec la Russie. C'est pourquoi je répète ce que j'ai dit au début. Les propositions à examiner dans le cadre des négociations donnent à la Russie l'occasion rêvée d'établir une collaboration plus étroite avec l'OTAN et de prendre part aux décisions.

.0950

Toutes les vieilles conventions de la guerre froide dont vous avez parlé, la vieille mentalité et les antécédents qui nous préoccupent, se dissipent comme par enchantement, parce que l'OTAN n'est plus considérée comme le démon de l'Ouest qui mène une croisade contre le démon de l'Est mais qu'au contraire, nous commençons à collaborer. Nous travaillons ensemble, comme c'est le cas actuellement en Bosnie. Nous devons absolument saisir cette occasion au vol.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci, monsieur le ministre.

Il reste cinq autres intervenants. Vous pourrez probablement rester encore deux ou trois minutes après 10 heures, mais vous devez vous en aller peu de temps après, si j'ai bien compris.

M. Axworthy: Oui, je dois aller à une autre réunion. Je suis désolé, monsieur le président, mais je dois assister à une réunion qui porte sur un autre sujet.

Le coprésident (M. Bill Graham): Devez-vous partir à 10 h 00 pile?

M. Axworthy: Oui.

Le coprésident (M. Bill Graham): Il nous reste dix minutes pour cinq personnes, ne l'oubliez pas.

M. Axworthy: Monsieur le président, serait-il plus facile que l'on pose d'abord toutes les questions et que je réponde en dix minutes?

Le coprésident (M. Bill Graham): Peut-être bien. Pourquoi ne pas essayer?

Monsieur Dupuy, honorable sénatrice Andreychuk, monsieur Sauvageau et honorable sénateur Prud'homme.

M. Michel Dupuy (Laval-Ouest, Lib.): Les discussions à propos de l'élargissement de l'OTAN progressent manifestement à un rythme accéléré. Bien que l'on n'ait pas encore pris de décision définitive, on a l'impression que le point de non-retour est dépassé et que cela se fera, peu importe la position de la Russie. Si c'est exact, la difficulté consistera à faire en sorte que la réaction de la Russie ne soit pas négative au point de créer toutes sortes de problèmes, comme l'a indiqué le sénateur Grafstein.

Je suis surpris de constater que, lorsqu'on a parlé de ce qui pourrait se faire, il n'ait pas été du tout question des progrès réalisés dans le domaine de l'élimination des armes nucléaires. Vous avez parlé d'armes conventionnelles mais ce qui préoccupe peut-être le plus les Russes, c'est évidemment le fait de savoir qu'il reste, en Europe occidentale, des armes nucléaires qui puissent être pointées sur la Russie. Si les Russes tenaient absolument à manifester leur désapprobation à l'égard de l'élargissement de l'OTAN, ils pourraient par exemple changer de camp en ce qui concerne l'élimination des armes nucléaires. Ils sont maintenant en avance sur l'OTAN pour ce qui est de manifester leur appui concernant diverses initiatives internationales.

Vous avez signalé qu'en ce qui concerne l'élargissement de l'OTAN, des progrès avaient été réalisés sur un certain nombre de fronts, et je partage cette opinion, mais pourquoi pas sur celui de l'élimination des armes nucléaires?

La sénatrice Raynell Andreychuk (Saskatchewan, Cons.): Quelles que soient les exigences de la Russie, je voudrais être sûr que l'OTAN n'a jamais utilisé d'instruments militaires contre elle. Peu importe le fait qu'elle veuille nous obliger à être partie à un accord irrévocable, quelles concessions faudrait-il faire, d'après vous, à la Russie pour la satisfaire ou du moins pour la rassurer quelque peu, sans nuire aux activités de l'OTAN?

À ce propos, je remarque également dans votre texte que vous signalez que le Canada souhaiterait que les relations spéciales avec l'Ukraine aient de la substance. J'ai tendance à considérer, comme vous l'avez si bien dit, qu'une entente de principe a été conclue mais que ce n'est pas une entente concrète. À propos de substance, qu'entendez-vous par là?

[Français]

Le coprésident (M. Bill Graham): Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Terrebonne, BQ): J'aurais deux questions très courtes pour vous, monsieur le ministre.

La première porte sur la position politique du gouvernement canadien quant au désarmement au sein des pays membres de l'OTAN en regard de la décision de la Cour internationale de justice.

La deuxième est peut-être un peu plus délicate. Si on accepte l'élargissement de l'OTAN, avec l'adhésion de nouveaux pays, on augmente le potentiel de conflit au sein des pays membres de l'OTAN. De quelle façon pourrait-on prendre une décision advenant le cas où un conflit apparaîtrait entre deux pays membres de l'OTAN, par exemple entre la Grèce et la Turquie, entre la Hongrie et la Roumanie ou entre d'autres pays membres de l'OTAN? Quelle serait la position des Alliés dans ce contexte-là?

.0955

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci d'avoir été aussi bref.

Monsieur Prud'homme.

Le sénateur Marcel Prud'homme (La Salle, Ind.): Merci.

[Traduction]

Monsieur le ministre, vous avez dit que le Canada a payé un lourd tribut au fil des années. Vous avez raison. Nous devons envisager l'élargissement avec prudence. On a fait tellement de déclarations à ce sujet que je me demande s'il est politiquement correct d'encourager dès maintenant presque tous les pays qui le demandent. C'est une question de respect envers les pays dont le nom a été mentionné, par la plus haute autorité du Canada en plus. C'est pratiquement un signe d'encouragement; ils pourraient en déduire que le Canada les encourage à profiter de cet élargissement.

Je serai très poli, mais je suis au regret de devoir vous signaler qu'étant donné l'instabilité qui règne actuellement en Russie, tant sur le plan politique qu'économique, voire social, cela pourrait être à mon sens un signe d'encouragement - et c'est un euphémisme - pour les Russes qui voudraient exploiter la situation, si nous ne faisons pas comprendre par tous les moyens à la Russie que l'élargissement ne constituera pas un danger pour elle. Cela ne pourrait qu'encourager certaines factions russes qui voudraient exploiter la situation dans leur propre intérêt.

Enfin, si c'était le cas, ne risquerions-nous pas de déclencher une nouvelle course aux armements qui, de l'avis unanime, réjouirait à coup sûr les industries militaires qui souhaitent ardemment une guerre dans l'une ou l'autre région du monde parce qu'elles sont en train d'expirer et de suffoquer? C'est un facteur dont les Canadiens ne manqueront certainement pas de tenir compte lorsqu'il s'agira de prendre une décision finale.

J'approuve entièrement ce que notre distingué ambassadeur de l'OTAN et M. Dupuy ont dit. Personne ne parle de la possibilité d'une course aux armements. Ne serait-il pas possible de faire tourner toutes les négociations autour de cette question qui préoccupe la plupart des personnes qui réfléchissent à cet élargissement? Je parle évidemment des coûts, à propos desquels toute une série de chiffres les plus fantaisistes les uns que les autres ont été cités. En notre qualité de protecteur des intérêts financiers des contribuables, j'estime que nous devons savoir au moins où l'on va et à quoi l'on s'engage. Cela ne va pas de décider d'aller de l'avant et d'expliquer ensuite combien cela coûte, car il est trop tard à ce moment-là.

M. Axworthy: J'espère que vous comprendrez si je réponds à plusieurs questions à la fois, car j'estime que les questions se recoupent dans une certaine mesure.

En ce qui concerne tout d'abord la question de M. Dupuy, la seule rectification que je voudrais faire concerne le choix des termes. Nous n'agissons pas sans tenir compte de ce que pense la Russie. Comme j'ai essayé de vous le faire comprendre, la Russie a été consultée assidûment au cours de ce processus. C'était une prémisse dès le départ.

Quant à la question de l'usage différent des armes nucléaires, elle constitue depuis des années la pierre angulaire des prises de position adoptées par l'OTAN en matière de sécurité. Vous admettrez que je vous ai donné pour mandat de commencer à examiner la question en général, en fonction des décisions de la cour internationale, du rapport d'une ONG canadienne et de celui de la commission instaurée par le gouvernement australien. Je sais que c'est un sujet très vaste et j'attends votre recommandation avec impatience. C'est une occasion d'obtenir une participation active de la population à la recherche d'une solution au problème très complexe mais très important que vous avez soulevé.

Nous ne prendrons pas position tant que nous ne saurons pas, par votre intermédiaire, ce que les Canadiens en pensent. Voilà ce que nous avons décidé à ce sujet; j'ai aussi répondu en partie à la question du sénateur Prud'homme concernant la façon de régler le problème. Je considère que le comité de la Chambre des communes tiendra un débat en règle sur la question.

On prend toutefois des mesures concrètes. Je crois qu'il est important de signaler qu'il existe une entente substantielle entre la Russie et les États-Unis en vertu du processus de négociation sur le traité START. Si je ne me trompe, l'un des points à l'ordre du jour des discussions entre le président Clinton et le président Eltsine porte sur la recherche d'un moyen d'accélérer la ratification du traité START II par la Douma d'État et par le Congrès, ce qui ouvrirait la voie à START III.

.1000

C'est à mon avis une des retombées positives de l'engagement que nous prenons au sujet de l'élargissement. Il nous donne l'occasion de mettre le doigt sur la source de ces autres problèmes. Le fait que la question soit à l'ordre du jour du sommet et qu'elle fasse partie de ces négociations plus générales est un signe très encourageant, parce que nous voulons tous que ce traité soit ratifié. Par ailleurs, comme je l'ai dit à propos de la réduction des FCE, c'est également une retombée utile de ces discussions d'une plus grande envergure.

Je signale à la sénatrice Andreychuk que je pense qu'il a parfaitement raison. L'OTAN réformée ne prendrait manifestement pas d'engagement irrévocable mais bien toutes sortes d'autres engagements concrets: nous ne placerons pas d'armes nucléaires sur le territoire d'un nouveau pays membre; nous n'y établirons pas de forces. Cela constituerait un changement important dans la structure de commandement et par conséquent le bastion de postes de commandement aux frontières serait notamment remplacé par les commandements des forces opérationnelles interarmées. On commence à modifier la nature de la structure militaire de façon à ce qu'il ne s'agisse plus d'une alliance dirigée contre un pays, mais d'une alliance axée sur la sécurité et sur la défense qui regroupe les intervenants de sorte qu'ils puissent participer à des opérations communes, même avec la Russie, comme c'est le cas en Bosnie.

Comme nous le savons, les nouveaux problèmes de sécurité ne sont plus tellement dus aux confrontations classiques que l'on a connues pendant la guerre froide mais ils sont plutôt dus à des dissensions intestines, aux luttes de factions qui dégénèrent en conflits en raison de l'instabilité et de l'absence de démocratie, comme c'est actuellement le cas en Albanie. Personnellement, j'estime que l'un des atouts ou des avantages d'un élargissement de l'OTAN, si l'on se décide, est que nous contribuerons à profiter des progrès que nous avons réalisés pour assurer une plus grande stabilité dans ces régions et que nous offrirons la possibilité de prendre des mesures collectives pour régler ces problèmes de sécurité.

C'est notamment l'un des objectifs des négociations entre le ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, M. Udovenko et le secrétaire général Solana, qui ont commencé aujourd'hui. Je peux vous énumérer les propositions à débattre; elles concernent la sécurité politique, les consultations, la prévention des conflits, la gestion des crises, le contrôle du désarmement, les consultations d'urgence lorsque l'Ukraine est menacée, les discussions sur les problèmes de sécurité en général, les consultations entre les directeurs des armements, la technologie des armements et les plans civils d'urgence. Ce sont des discussions qui se déroulent au niveau de l'OTAN. Au niveau secondaire, il y a une série d'ententes bilatérales et trilatérales entre... Comme je l'ai dit, le Canada entreprend des discussions avec l'Ukraine, avec la Pologne ainsi qu'avec d'autres pays au sujet des systèmes techniques militaires, dans un esprit de collaboration.

Le fait que cela contribue à instaurer un climat de confiance est une des principales raisons pour lesquelles il faut prendre ce genre d'initiative. Cela nous rapproche. Nous ne sommes pas isolés; nous ne sommes pas en désaccord. Nous commençons en fait à échanger des renseignements militaires et à partager nos connaissances, à établir des liens et à collaborer. Il me semble que nous avons réalisé d'importants progrès. J'espère qu'une entente sera conclue entre l'OTAN et l'Ukraine au moment où les décisions concernant l'élargissement auront été prises, c'est-à-dire au mois de juillet. Ce n'est pas de moi que cela dépend, mais c'est la position que le Canada n'a cessé de défendre aux assemblées du Conseil de l'Atlantique Nord.

J'ai répondu en partie à la question de M. Sauvageau en disant que le comité est désormais chargé d'examiner la question des décisions à prendre sur le désarmement nucléaire en général. Que faisons-nous au sein de l'OTAN? Comme vous le savez, nous avons joué un rôle très actif dans le contexte de l'interdiction des mines antipersonnel, qui posent des problèmes très aigus dans la plupart des pays de ces régions. Je tiens à vous signaler que l'on fait des progrès dans ce domaine. Pour le moment, une cinquantaine de pays ont accepté de se joindre à notre croisade en faveur d'une interdiction totale. Des discussions très intenses ont lieu en Afrique et dans certaines régions d'Asie. Les discussions progressent assez rapidement. Voilà un domaine où la contribution du Canada peut être importante.

Vous avez demandé ce qui se passerait si deux membres de l'OTAN ne s'entendaient pas, comme cela s'est déjà vu dans certaines circonstances. C'est une question très pertinente. Je répéterai encore une fois que le simple fait de faire partie de l'OTAN et de se retrouver autour de la même table, de participer aux mêmes réunions, de faire partie des mêmes groupes et des mêmes organisations et de prendre part aux mêmes discussions, facilite le règlement de ce genre de conflits. Cela atténue les tensions et impose une certaine discipline aux pays membres en les incitant à trouver une possibilité de rapprochement, un terrain d'entente.

.1005

Ce n'est pas une solution infaillible. Certains pays ont des intérêts et des motifs personnels, mais le fait de faire partie de la même organisation, d'en être membre, réduit les risques d'éclatement d'un conflit armé. C'est ce que l'on peut constater dans le cas de la Grèce et de la Turquie. Ces deux pays ont de très fortes divergences d'opinions mais le fait qu'ils fassent toujours partie de l'OTAN signifie qu'ils doivent essayer de régler ensemble leurs problèmes. J'ai bon espoir dans ces domaines.

Sénateur Prud'homme, je tiens seulement à répéter à propos de la question concernant ce que les nouveaux membres... Ce que nous essayons, messieurs les sénateurs, c'est de ne pas prendre des décisions a priori, mais de signaler tout simplement qu'il existe certains critères, que j'ai d'ailleurs énumérés. Il existe environ cinq ou six critères de base. Les pays qui répondent à ces critères reçoivent une invitation et par conséquent, c'est l'OTAN qui décide, et pas uniquement nous. Il existe certains critères de base bien précis concernant la contribution éventuelle, le contrôle des autorités civiles sur les forces armées, un mouvement de réforme économique et politique ainsi que le règlement des conflits concernant les frontières.

Je répète que les pays qui répondent à ces critères, qu'il s'agisse d'adhésion à l'UE, à l'OTAN, au Conseil européen ou à une autre organisation... À propos de l'opinion exprimée par Keith Martin, je dirais que cela accroît le niveau de collaboration dans les domaines économique, social et politique en général. Chacun de ces éléments a un effet multiplicateur.

Le fait de faire partie d'une organisation internationale comme l'OTAN permet tout simplement d'avoir des contacts. J'ai dit que j'avais rencontré un groupe d'ambassadeurs du Partenariat pour la paix. La première réunion diplomatique à laquelle j'ai assisté lorsque je suis devenu ministre est une réunion de cette organisation. J'étais à la même table que les ministres des Affaires étrangères de certaines des nouvelles démocraties de l'Europe centrale et orientale et nous nous sommes mis à parler spontanément de ce que nous pourrions faire ensemble. Cette discussion nous a permis de créer de nouveaux liens et de nouvelles relations, même sur un plan strictement personnel, qui auraient été impossibles sans cela. Comme vous le savez, le fait de réunir les premiers ministres et leurs homologues de ces régions, de réunir les ministres et les parlementaires dans le cadre de l'Assemblée de l'Atlantique Nord resserre les liens entre les différents pays et c'est pourquoi l'intégration est tellement importante.

Le sénateur Marcel Prud'homme: Le Parlement doit-il ratifier cet élargissement de...?

M. Axworthy: Toutes les décisions qui seront prises seront soumises au Parlement. Nous discuterons alors avec les présidents des comités pour déterminer quelle est la meilleure façon de procéder.

Le sénateur Marcel Prud'homme: Le traité ne stipule-t-il pas qu'un élargissement doit être ratifié par les 16 membres?

M. Axworthy: Nous dirons que nous soumettrons les décisions au Parlement.

Le sénateur Marcel Prud'homme: Je pense que certains représentants approuveront d'office.

Le coprésident (M. Bill Graham): Un instant, monsieur le sénateur. Vous savez aussi bien que moi que le gouvernement peut se charger de la ratification. Il nous suffit d'adopter une loi, si le comité et le Parlement doivent être saisis de la question, et c'est à ce moment-là qu'il conviendra de décider si c'est nécessaire ou non.

M. Axworthy: Cela se fera sous les auspices du comité, monsieur le président.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup.

Monsieur le ministre, je sais que vous devez partir. Nous avons fort apprécié votre présence. Je voudrais tout simplement aborder deux ou trois questions auxquelles vos observations m'ont fait penser.

Vous vous souvenez probablement que certains d'entre nous sont allés en Russie. Nous avons été très impressionnés par les risques d'instabilité dans ce pays. On nous a parlé des mouvements migratoires intérieurs auxquels participent trois millions de personnes qui errent au hasard, sans abri pour dormir. Cette situation risque de provoquer des problèmes internes très graves. Nous sommes par conséquent convaincus que vous en tiendrez compte.

Nous ferons bientôt notre rapport sur l'Arctique. Dans ce rapport, nous examinerons à fond les questions que vous avez abordées, à savoir celle des liens commerciaux, celle de l'environnement, celle de la région fragile de l'Arctique. Ce sont des domaines où une certaine coopération avec la Russie est possible. Nous collaborerons avec elle, pour l'aider dans son développement. Nous espérons que ce rapport aidera le gouvernement à régler ces questions.

Comme vous l'avez dit, nous avons également entamé nos audiences sur le désarmement nucléaire ou sur l'élimination des armes de destruction massive. Nous avons tenu une audience à huis clos ainsi qu'une audience publique. Nous reconnaissons que le calendrier politique et parlementaire est plutôt surchargé pour l'instant et qu'il serait peut-être difficile de terminer notre travail pour l'été, mais nous comptons faire cela très sérieusement. C'est une tâche de longue haleine que nous jugeons très importante.

Je tiens à vous féliciter d'avoir été désigné candidat au Prix Nobel pour l'oeuvre que vous avez accomplie.

Des voix: Bravo!

Le coprésident (M. Bill Graham): Le fait que le sénateur Leahy ait reconnu votre leadership dynamique dans ce domaine est important. J'ai été déçu que votre nom n'ait pas été proposé par le sénateur Helms, mais c'est peut-être compréhensible, après votre récent voyage à Cuba.

.1010

M. Axworthy: Monsieur le président, il m'arrive souvent de croire qu'il a demandé à M. Helms d'appuyer ma candidature mais, d'après ce qu'il m'a dit, il n'a pas encore trouvé le moyen de le faire.

Le coprésident (M. Bill Graham): Tout ira bien pour autant que ce ne soit pas M. Castro.

Nous allons devoir suspendre la séance, mais je tiens à vous signaler une chose. Normalement, nous inviterions les sénateurs à rester. Nous allons continuer à examiner la question avec d'autres témoins. Nous serions très heureux que nos collègues du Sénat restent, s'ils le désirent.

Ce matin, nos audiences seront interrompues par des votes. On tiendra un vote pour lequel la sonnerie retentira pendant 30 minutes, si j'ai bien compris.

On nous demande de nous rendre immédiatement à la Chambre. J'apprends à l'instant qu'un vote aura lieu après que la sonnerie aura retenti pendant 30 minutes et qu'un autre vote aura peut-être lieu après 30 minutes également. Par conséquent, nous essaierons de revenir ici.

Veuillez revenir ici immédiatement après le vote car si cela ne dure qu'une demi-heure, nous pourrons siéger 20 minutes. Ne disparaissez pas, je vous en prie. Merci beaucoup.

La séance est suspendue pendant que nous nous rendons à la Chambre.

.1013

.1105

Le coprésident (M. Bill Graham): Reprise des délibérations.

Je m'excuse auprès de nos honorables invités pour le dérangement causé par les votes, mais je crois que vous êtes tous au courant des exigences de la vie parlementaire. Si je comprends bien, vous avez eu l'occasion de parler à la greffière et l'ordre des témoignages a été établi.

C'est le colonel Pellerin qui parlera le premier, puis le colonel Fraser et M. Lévesque. Pardon, le troisième témoin sera notre hôte autrichien, envers lequel nous sommes très reconnaissants.

Merci beaucoup d'être venu, monsieur Gärtner.

Ensuite, c'est le professeur Braun de l'Université de Toronto qui prendra la parole et enfin

[Français]

le professeur Levesque de l'Université du Québec à Montréal.

Bienvenue à tous. J'espère que vous pourrez limiter vos interventions à 10 minutes ou moins afin de laisser un certain temps pour les questions.

Colonel Douglas Fraser (retraité, directeur exécutif, Conseil canadien sur la paix et la sécurité internationales): Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs.

Premièrement, je voudrais vous remercier de l'occasion qui m'est donnée de parler de l'élargissement de l'OTAN devant votre comité. Avec votre permission, j'aimerais dire quelques mots sur le Conseil canadien sur la paix et la sécurité internationales.

[Traduction]

Le Conseil canadien sur la paix et la sécurité internationales est une organisation non gouvernementale indépendante qui a pour mission d'élaborer et de promouvoir des politiques canadiennes innovatrices en matière de paix et de sécurité internationales, conformément aux usages en vigueur dans le domaine des relations internationales.

Notre conseil facilite le débat et le dialogue publics en fournissant au gouvernement et aux Canadiens des opinions impartiales et des sources de renseignements sur toute une série de questions d'actualité comme le désarmement nucléaire et la consolidation de la paix après un conflit.

Nous estimons que jusqu'à présent, le débat ou le dialogue public sur la question de l'élargissement de l'OTAN a été plutôt limité. Les audiences d'aujourd'hui sont un point de départ et divers universitaires et instituts prépareront un certain nombre de documents et de programmes au cours des prochains mois. Cette fébrilité soudaine nous réjouit, mais nous aurions nettement préféré que cela se passe avant que le gouvernement n'ait pris position.

Nous entreprenons actuellement une étude importante sur l'élargissement de l'OTAN et nous publierons un rapport dans nos Cahiers Aurora au mois de juin. Pour les motifs que je viens de signaler, ce rapport n'examinera pas la question de l'opportunité que l'OTAN fasse ou non une offre d'adhésion à un certain nombre d'États de l'Europe centrale et orientale. Nous partons du principe que des offres seront faites.

Nous nous intéressons à ce qui se passera au cours des prochains mois, avant et après le sommet de Madrid qui a lieu en juillet, et surtout aux questions suivantes, qui ne sont pas encore réglées: la réaction de la Russie à l'élargissement, les problèmes de sécurité des États de l'Europe centrale et orientale qui ne seront pas invités à faire partie de l'Alliance, les coûts, la ratification, et les préoccupations de certains États membres de l'OTAN en ce qui concerne la sécurité dans la Méditerranée.

Dans le cadre de la préparation du document, le Conseil parraine une petite table ronde qui a lieu aujourd'hui et qui est principalement axée, mais pas entièrement, sur la question de la ratification. Nous sommes heureux de constater qu'un certain nombre de personnes ici présentes, à la table et dans la salle, y participeront. Le mois prochain, à savoir le 24 avril, le Conseil réunira, dans le cadre d'un colloque important qui se tiendra à Ottawa, un groupe de quatre experts éminents représentant la Russie, la Hongrie, les États-Unis et le Canada, afin de discuter des autres questions en suspens dans le contexte de l'élargissement de l'OTAN.

.1110

Nous espérons que ces deux réunions et que les études que nous sommes en train de faire nous permettront de préparer un document d'orientation proposant des solutions pertinentes à certains des problèmes auxquels le Canada sera confronté au cours des prochains mois et des prochaines années seront examinés.

Je suis accompagné aujourd'hui de notre directeur du programme sur l'élargissement de l'OTAN, le colonel Alain Pellerin, qui vous mettra au courant de notre position actuelle. Le professeur Heinz Gärtner, de l'Institut autrichien des affaires internationales, sera notre invité à la table ronde. Il vous exposera les opinions d'un citoyen d'un État européen neutre.

[Français]

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci, colonel.

[Français]

Colonel Alain Pellerin (retraité, directeur du programme CCIPS sur l'élargissement de l'OTAN, Conseil canadien sur la paix et la sécurité internationales): Monsieur le président, mesdames et messieurs,

[Traduction]

avant d'aborder le sujet principal, à savoir les questions en suspens dont le colonel Fraser a parlé, je crois qu'il est important d'examiner la question de l'élargissement de l'OTAN sous l'angle de la sécurité en Europe. L'histoire regorge d'exemples analogues qui ne s'appliquent pas toujours à la situation actuelle. Nous avons entendu parler du vide qui existe dans le domaine de la sécurité en Europe centrale. M. Kissinger a parlé de la zone neutre. J'estime que le contexte est très différent. C'était peut-être valable entre les deux guerres mondiales, mais la situation est très différente et ce, pour quatre raisons.

La Russie en est une. La frontière de la Russie se trouve au même endroit qu'il y a trois siècles. Par conséquent, les forces militaires russes ne sont pas en mesure, comme elles l'étaient à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de jouer le rôle d'arbitre face aux souhaits de l'Europe ou de l'Europe centrale.

Une autre raison est que l'Allemagne, qui a été la source de bien des problèmes en Europe centrale, ne représente plus à mon avis une menace militaire. Elle est par ailleurs solidement ancrée au sein de l'OTAN et de l'Union européenne et est un allié fidèle depuis 40 ans.

Je crois qu'un autre élément capital est la participation de l'Amérique du Nord, et plus particulièrement des États-Unis, au maintien de la sécurité en Europe. Je crois que c'est un élément très positif. Dans une certaine mesure, l'Amérique du Nord, ou plutôt les États-Unis, représentent probablement la plus grande puissance européenne.

Enfin, la dernière raison est que l'idéologie a cessé de jouer un rôle clé dans la sécurité en Europe centrale. L'idéologie communiste ne joue plus le rôle qu'elle jouait autrefois.

J'estime que ce sont là des facteurs importants qui entreront en ligne de compte lorsqu'il s'agira de ratifier le traité.

Je voudrais maintenant parler de quelques-unes des questions en suspens. Tout d'abord, j'estime que la décision de tenir un sommet de l'OTAN au mois de juillet constitue un engagement ferme de la part de l'Alliance en ce qui concerne son élargissement. Par conséquent, ce serait à mon sens une catastrophe pour l'Alliance de renoncer à ce sommet à la toute dernière minute.

Pour les partisans de l'OTAN - et j'en suis un convaincu - la principale priorité doit par conséquent être la gestion efficace du processus d'élargissement au cours des prochains mois et, comme l'a signalé le colonel Fraser, avant et après le sommet. Les questions en suspens que nous examinerons resteront au programme pour les années à venir.

Par conséquent, je n'ai pas l'intention de m'attarder sur les avantages et les inconvénients de l'élargissement. Je parlerai plutôt de certaines des questions qui ne sont pas résolues et s'il me reste assez de temps à la fin de mon exposé, je ferai quelques recommandations.

Le gros point d'interrogation qui subsiste est de toute évidence celui qui concerne la Russie. Nous verrons ce qui se passe au sommet Clinton-Eltsine aujourd'hui. Je dois dire que je suis entièrement d'accord avec le sénateur Grafstein qui a fait la comparaison avec le Traité de Versailles. À mon avis, dans le cadre des négociations avec la Russie, il faudrait traiter ce pays comme un partenaire de plein droit et non comme une nation déchue, mais le problème consistera à décider quel rôle elle jouera désormais dans la future architecture de sécurité de l'Europe. Nous aurons manifestement de la difficulté à en arriver à une entente à cet égard, tant au sein de l'OTAN qu'avec les pays qui veulent en faire partie et ceux qui ne seront pas invités. Je crois que c'est un problème capital et qu'il faut le régler.

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À mon avis, il faut régler la question suivante: la Russie doit être solidement ancrée dans l'architecture de sécurité euro-atlantique, comme ce fut le cas pour l'Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais il faut éviter de commettre les mêmes erreurs que celles qui ont été commises après le Traité de Versailles.

L'objectif actuel de la Russie, qui est une grande puissance européenne, est d'éviter l'isolement. Par contre, l'objectif de l'OTAN est d'accroître la sécurité et la stabilité en Europe mais pour l'atteindre, il sera essentiel de traiter la Russie avec respect et considération, de la traiter avec dignité, contrairement à ce qui s'est passé pour l'Allemagne dans le cadre du Traité de Versailles. Si cette question n'est pas réglée convenablement, l'élargissement empoisonnera les relations avec la Russie pendant des années. De toute évidence, le danger réside dans la reconstitution des sphères d'influence dans... ce que j'appellerais les «pays étrangers voisins» de la Russie, et plus particulièrement de l'influence qu'elles auront sur des pays clés comme l'Ukraine, mais aussi sur les pays plus petits des États baltes. Je crois que c'est très important et j'espère que le sommet d'aujourd'hui sera très productif.

Je me dois toutefois de faire une mise en garde à propos de ces discussions. Il faudra faire des concessions contestables à la Russie pour apaiser ses appréhensions légitimes. Par contre, l'Alliance doit s'assurer qu'on ne les regrettera pas plus tard et, en particulier, qu'elles n'affaibliront pas les dispositions de l'article V du Traité. Je crois que c'est très important. L'Alliance n'est pas seulement une alliance en prévision des beaux jours, mais surtout en prévision des mauvais jours, et je crois qu'il faut préserver cet aspect.

Le dossier sur le contrôle des armements constitue une autre source de litige dans nos relations avec la Russie et je sais que ce problème a été soulevé aujourd'hui.

Je suis plus optimiste que certains rapports. Je crois que START II sera ratifié bientôt, ne fût-ce que parce que les forces armées russes ont intérêt à maintenir une force convaincante. L'entretien des 10 000 ogives qu'elles possèdent actuellement n'est pas facile, compte tenu des restrictions budgétaires qui leur sont imposées. Par conséquent, je crois que la Russie a intérêt à ratifier START II et à passer à START III, avec un plafond beaucoup plus bas.

En ce qui concerne la convention sur les armes chimiques, je crois que l'Amérique doit donner l'exemple en ratifiant ce traité. Quant à la Russie, même si elle le ratifie, je crois qu'elle aura de grosses difficultés à détruire ses énormes stocks d'armements chimiques, pour un certain nombre de raisons qui sont principalement d'ordre économique mais aussi d'ordre écologique. Il faut toutefois essayer d'y arriver. Je crois que je suis plus optimiste que les auteurs des articles parus dans la presse à ce sujet.

L'autre problème à régler est celui des pays qui ne seront pas invités. Dernièrement, le débat a été davantage axé sur l'élargissement, sur les pays qui seront invités et, pour des raisons évidentes, sur la Russie. Je crois que les pays qui ne seront pas invités auront besoin d'être rassurés, même si l'on affirme dans certains milieux officiels que l'élargissement de l'OTAN ne créera pas de nouvelles lignes de démarcation en Europe. Il en créera bel et bien.

Il faut être réaliste, ne fût-ce que parce que certaines lignes institutionnelles seront créées par l'élargissement de l'OTAN, par les nouveaux et les anciens membres de l'OTAN. L'article V du Traité donne des garanties en matière de sécurité aux pays membres mais ceux qui ne seront pas invités n'en bénéficieront pas. Cela créera par conséquent des lignes de démarcation. Ce n'est pas un raisonnement du genre de ceux que l'on tenait pendant la guerre froide; c'est une réalité, à mon sens.

En ce qui concerne les pays qui ne seront pas invités, ce sont l'Ukraine et les États baltes qui poseront le plus gros problème, qui a d'ailleurs été soulevé ce matin par le ministre Axworthy..., mais il faudra aussi s'occuper de certains autres pays. Nous allons probablement inviter les pays les plus stables d'Europe - le Visigrad central ou du moins les trois pays du Visigrad - mais il faut également s'occuper des pays qui ne seront pas invités, étant très instables, comme la Bulgarie ou l'Albanie.

Passons au problème des coûts. Les coûts peuvent varier considérablement selon le prix que l'Alliance sera disposée à payer, et je crois que le message que nous avons reçu ce matin est que l'Alliance ne veut pas payer un prix trop élevé pour son élargissement.

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La question du coût de l'élargissement n'est pas seulement une question d'ordre financier. Je pense que c'est aussi une question d'ordre politique et stratégique, parce qu'elle est liée à la façon dont les dispositions de l'article V du Traité de Washington seront appliquées. Si l'on ne veut pas établir des troupes ni une infrastructure dans les nouveaux pays membres, les coûts seront manifestement très modestes. À mon avis, ils seront effectivement très bas; ils seront nettement inférieurs aux chiffres fantaisistes de 25 à 110 milliards de dollars qui ont été cités dans diverses études.

Je crois que ce sera une opération très peu coûteuse, surtout qu'il est peu probable que des troupes conventionnelles de l'OTAN soient stationnées dans ces pays et que l'infrastructure sera par conséquent beaucoup moins importante. Il est peu probable que l'on établisse plus d'un ou deux quartiers régionaux, et le coût sera minime. Par contre, il ne faut pas examiner la question des coûts dans l'absolu. Il faut tenir compte de la crédibilité des garanties que nous donnerons à ces nouveaux pays membres en vertu de l'article V du Traité.

L'autre question à régler est celle de la ratification. Il s'agit d'une phase décisive, de la phase finale et il ne faut pas manquer son coup. Il n'est pas garanti que ce sera du tout cuit dans certains pays.

Le sénateur Prud'homme a posé une question sur la façon dont on procédera. L'article X du Traité de Washington parle de ratification par accord unanime des parties et c'est par ailleurs ce que veut la tradition. Pour l'instant, 13 des 16 pays feront ratifier le traité par le Parlement. Il y a des chances que trois d'entre eux - probablement le Canada, la Grande-Bretagne et la Norvège - le ratifient par voie de décret, mais si c'est ainsi que l'on veut procéder au Canada, je recommande fortement de tenir un débat à la Chambre, parce que je crois que c'est une question qui intéresse les Canadiens.

Les pays invités seront probablement consultés dans le courant de l'année, c'est-à-dire en 1997. Ensuite, l'instrument de ratification sera envoyé aux pays concernés en 1998 et le processus de ratification pourrait prendre jusqu'à un an dans certains pays, alors qu'il sera très rapide dans d'autres. Par conséquent, cela nous mène à la fin de 1998 et les nouveaux membres seront probablement invités en avril 1999.

J'ai une nouvelle mise en garde à faire. Le premier ministre a parlé d'inviter cinq ou six pays, puis toute une série d'autres. L'OTAN reste toutefois une alliance militaire et je pense que, pour qu'on nous croie, il faudra offrir aux nouveaux membres les garanties de sécurité prévues à l'article V du Traité. C'est une chose qu'il ne faut pas oublier. L'OTAN n'est pas le Club Rotary. L'élargissement aura des conséquences sur le plan de la sécurité.

Je dois dire que les pays d'Europe centrale veulent devenir membres de l'OTAN pour des raisons historiques, parce qu'ils estiment que cela leur apportera ces garanties de sécurité, qu'ils exigeront à coup sûr. On parle du nouveau visage de l'OTAN et de son vieux visage, mais je crois que ces pays préfèrent que l'OTAN garde son vieux visage plutôt que de s'engager dans la voie de la sécurité coopérative et de cesser de respecter les dispositions de l'article V.

Le coprésident (M. Bill Graham): Ils préfèrent le vieux visage de l'OTAN, mais avec de nouveaux membres.

Col Pellerin: Je crois que la ratification suscitera un débat important au Sénat américain. Bien des questions qui n'ont pas encore été débattues seront probablement mises sur le tapis, comme celle des garanties en matière de sécurité, que je viens de mentionner. Pourquoi l'OTAN d'abord? Pourquoi pas l'UE? Pourquoi les Européens ne font-ils pas davantage pour assurer leur sécurité? Il sera également difficile de faire accepter un concept abstrait comme celui de la stabilité et de la sécurité en Europe en l'absence d'un danger manifeste et imminent, comme il en a déjà existé.

Si vous voulez bien m'accorder deux minutes, je voudrais ajouter...

Le coprésident (M. Bill Graham): Je regrette, mais vous avez déjà parlé 11 minutes et si vous allez jusqu'à 13, il ne restera plus de temps pour les questions. Je regrette de vous bousculer ainsi, mais je vous prie de conclure sans plus tarder.

Col Pellerin: Il reste encore, à mon avis, le problème de la sécurité dans la Méditerranée à examiner. On dit que toute l'Europe est stable et sûre, mais j'estime que cinq pays membres de l'Alliance font partie de la zone méditerranéenne. Il s'agit de l'Algérie, de l'Albanie, de la Grèce et de la Turquie. La question de Chypre refait surface. Si l'on veut aborder la question de l'élargissement dans une optique pluridimensionnelle, il faudra que l'OTAN tienne compte du problème prioritaire de la sécurité des pays de la zone méditerranéenne.

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Je m'excuse d'avoir parlé trop longtemps.

Le coprésident (M. Bill Graham): Non, ça va. Merci. Je suis désolé de vous bousculer, mais vous comprenez certainement notre problème: nous avons perdu pas mal de temps - une heure - à cause des votes.

Je donne la parole à notre invité, M. Gärtner.

M. Heinz Gärtner (attaché à l'Institut autrichien des affaires internationales, Laxenburg, Autriche): Merci, monsieur le président.

Mesdames et messieurs, je ferai tout d'abord une observation d'ordre général sur l'OTAN, puis je parlerai du débat sur l'élargissement de l'OTAN qui se déroule dans un pays nucléaire, qui donne une idée de la nature du débat à l'échelle européenne.

Après la fin de la guerre froide, les principales menaces ayant disparu, la plupart des gens pensaient que l'OTAN ne survivrait pas. Par contre, six ans après l'annulation du Pacte de Varsovie, l'OTAN ne manifeste aucun signe d'effondrement.

Je dirais que si l'OTAN a survécu, c'est parce qu'elle a diversifié ses activités et qu'elle a entrepris de nouvelles tâches. Elle a maintenant à son programme non seulement la gestion des crises, le maintien de la paix, les missions humanitaires mais aussi l'imposition de la paix.

Ceux qui prétendent qu'une alliance a beaucoup de difficulté à survivre en l'absence d'une menace suffisante n'ont toutefois pas tort. Je dirais que l'objectif principal de l'OTAN de l'époque de la guerre froide, la défense collective, perd de son importance et que ses nouvelles tâches en prennent de plus en plus.

Dans le cadre de la réforme de l'OTAN, certains pays seront notamment invités à entamer des négociations en vue de leur adhésion. La position officielle du gouvernement autrichien est la suivante: il appuie l'élargissement de l'OTAN pour autant que l'on procède avec prudence, que l'on conclue une entente avec la Russie et que l'on trouve une solution pour les États baltes ainsi que pour l'Ukraine. S'il n'existe pas de ligne de démarcation, cela pourrait accroître la stabilité en Europe. Comme vous pouvez le constater, les conditions sont nombreuses.

L'élargissement de l'OTAN aura deux sortes de répercussions sur l'Autriche. Premièrement, les États voisins de l'Autriche font partie des premiers pays susceptibles de devenir membres de l'OTAN. Cela créera un nouveau climat de sécurité pour l'Autriche. Deuxièmement, le débat sur l'élargissement a déclenché en Autriche une discussion sur l'attitude à adopter envers l'OTAN.

Étant donné que l'on constate une certaine évolution au sein de l'OTAN, j'expliquerai la position de l'Autriche au sujet de l'élargissement en faisant la distinction entre deux courants différents, entre le concept traditionnel et le nouveau concept de sécurité.

Le concept traditionnel est surtout axé sur le rôle traditionnel de l'OTAN, celui d'alliance militaire. Même si l'on reconnaît que l'OTAN est en voie de réforme, cette opinion est fondée sur les menaces perçues. Le rôle de l'OTAN à titre d'organisation de défense, qui repose principalement sur la défense collective et la défense territoriale, et qui est consacré par l'article V du Traité de Washington, est un rôle important.

Dans cette perspective, l'élargissement est surtout considéré comme une occasion à saisir avant que la Russie ne redevienne une superpuissance. Il est possible qu'un jour l'Autriche devienne un membre actif de l'OTAN ainsi que de l'UEO. Les partisans de ce concept avancent trois arguments. Premièrement, l'OTAN a besoin d'un lien territorial avec les nouveaux États membres de l'Europe centrale et orientale. Il s'agit de l'Autriche, si l'on excepte la Slovénie. Deuxièmement, en tant que membre actif, l'Autriche aurait une influence sur le processus décisionnel de l'OTAN et de l'UEO. Troisièmement, l'Autriche est vulnérable en raison de l'instabilité qui règne dans les pays voisins qui faisaient partie du bloc communiste.

Jusqu'à présent, les experts en droit international prétendent que l'adhésion à une alliance n'est pas compatible avec la présente loi concernant la neutralité de l'Autriche. Comme vous le savez probablement, cette loi interdit à l'Autriche de faire partie d'une alliance militaire et de déployer des troupes étrangères sur le territoire autrichien à titre permanent.

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Les politiciens hésitent à aborder ouvertement la question de la neutralité et de l'adhésion à l'OTAN, parce que 75 p. 100 de la population autrichienne est toujours en faveur de la neutralité. Pour résoudre ce problème, le ministre autrichien des Affaires étrangères a déclaré cette semaine que l'adhésion à l'OTAN serait compatible avec la neutralité si les engagements prévus à l'article V du Traité étaient pris au nom de la solidarité. Vous pouvez donc constater que le débat prend une tournure susceptible de causer des problèmes.

Certaines personnes prétendent que l'Autriche pourrait même faire partie de la première vague de nouveaux membres de l'OTAN, si l'on conclut une entente avec la Russie. L'Autriche pourrait alors profiter de l'avantage que lui confère son statut de membre de l'UE.

En ce qui concerne la sécurité en Europe, cette opinion renforce la prise de position en faveur du fusionnement de l'Union européenne et de l'UEO. Le traité de l'UEO renferme également un article V, qui prévoit des garanties plus contraignantes en matière de sécurité. Cet article devrait être incorporé au traité de l'UE. L'adhésion à l'UEO aboutit de toute façon à l'adhésion à l'OTAN. Pour le moment, l'Autriche a le statut d'observateur au sein de l'UEO.

Le deuxième concept reflète une opinion différente fondée sur le principe que le système de sécurité en Europe évolue considérablement. Les difficultés s'assouplissent et par conséquent, les réactions doivent s'assouplir également.

L'adhésion à une alliance n'est toutefois qu'une solution. Entre autres choses, le problème de la sécurité est non seulement un problème militaire mais il est aussi devenu un problème global. Les alliances évoluent et, par conséquent, le concept de neutralité aussi.

L'adhésion future des États voisins de l'Autriche à l'OTAN ne signifie pas que l'Autriche serait également obligée d'y adhérer. Le concept de défense collective et territoriale est considéré comme un instrument de la guerre froide.

En ce qui concerne les nouvelles missions de l'OTAN, les défenseurs de ce concept prétendent qu'aucun lien territorial n'est désormais nécessaire, mais que l'OTAN doit pouvoir déployer rapidement ses forces. Les liens territoriaux étaient nécessaires en 1914. Dans ce nouveau contexte, l'Autriche pourrait participer à la gestion des crises, au maintien de la paix, aux missions humanitaires et même aux opérations d'imposition de la paix, dans le cadre du Partenariat pour la paix. Le nouveau Conseil atlantique du partenariat donnera l'occasion aux pays qui ne sont pas membres de l'OTAN de participer aux consultations et aux décisions. Par conséquent, la distinction qui existe entre les droits des alliés et ceux des non-alliés s'estomperait.

L'Autriche participe déjà aux opérations de l'IFOR et de la SFOR, en Bosnie. Pour l'instant, 1 200 soldats autrichiens participent à environ 13 opérations de maintien de la paix, ce qui prouve que l'Autriche fait sa part.

De ce point de vue-là, l'Autriche n'a pas besoin de garanties en matière de sécurité, parce qu'elle ne fait l'objet d'aucune menace. Par conséquent, l'affiliation à un système de défense collective n'est pas nécessaire.

En outre, le concept de neutralité évolue. Par exemple, pour participer à des opérations d'imposition de la paix autorisées par l'ONU, il n'est pas nécessaire de faire officiellement partie de l'OTAN ni de l'UEO.

En ce qui concerne la sécurité en Europe, cette option est analogue à une proposition suédo-finoise. D'après cette proposition, l'Union européenne devrait axer ses efforts sur ce que l'on appelle les «discussions de Petersberg» de l'UEO, notamment la gestion des crises, le maintien de la paix et les missions humanitaires. Il n'est pas tout à fait certain que la notion de maintien de la paix couvre aussi l'imposition de la paix.

Tous les États membres de l'Union européenne, y compris les quatre États neutres - l'Autriche, la Finlande, la Suède et l'Irlande - auraient autant le droit que les autres de prendre des décisions et de participer à ces opérations.

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L'UE et l'UEO ne devraient pas fusionner, contrairement à ce qui est recommandé par les défenseurs du premier concept. L'UE peut demander à l'UEO d'exécuter des opérations de maintien de la paix et de gestion des crises mais il appartiendrait à l'Autriche de décider s'il convient ou non de participer à certaines opérations. Par conséquent, l'Autriche ne s'engagerait pas d'avance à participer aux opérations militaires.

Mesdames et messieurs, je ne sais pas laquelle des deux tendances l'emportera, et j'ignore quand l'Autriche prendre une décision définitive quant à l'attitude à adopter à l'égard de l'UEO et de l'OTAN. On prétend dans certains milieux que cette décision devrait être prise dès cette année, du moins avant que l'Autriche n'assume la présidence de l'UE, c'est-à-dire avant le deuxième semestre de 1998. Dans d'autres milieux, on affirme par contre que rien ne presse, parce que la sécurité de l'Autriche n'est aucunement menacée.

Pour terminer, je dirais que, d'une façon générale et en principe, l'élargissement de l'OTAN devrait être basé sur le deuxième concept. Il devrait être fondé sur la gestion des crises plutôt que sur la défense collective. Si l'élargissement de l'OTAN répond uniquement aux besoins des nouveaux États membres qui en sont encore au concept traditionnel de la défense collective, il est très possible que ceux-ci entravent sa transformation en instrument de gestion des crises.

Bien des nouveaux membres veulent que l'OTAN ne change pas. L'OTAN devrait prouver qu'elle considère la guerre froide comme une chose du passé et qu'elle est disposée à poursuivre son processus de réforme, comme l'a déclaré dernièrement le secrétaire général Solana. L'élargissement de l'OTAN ne devrait pas se faire avant que tous les pays désireux d'y adhérer ne soient pas assurés qu'elle ne vit plus dans le passé.

Merci beaucoup.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup.

Monsieur Braun.

M. Aurel Braun (professeur, Faculté des sciences politiques, Université de Toronto): Merci. Je vais vous parler du dilemme causé par l'élargissement, de la modération des attentes et de la nécessité d'évaluer les risques avec précision.

D'une manière générale, je suis en faveur de l'élargissement, mais avec une certaine réserve.

Je vais axer mes propos sur les quatre thèmes suivants: premièrement, les aspirations et les attentes de l'Europe centrale et orientale; deuxièmement, les craintes et l'opposition de la Russie; troisièmement, la préservation de l'OTAN; et quatrièmement, le rôle de modérateur des opinions que le Canada peut jouer.

Le premier thème concerne les aspirations et les attentes des pays de l'Europe centrale et orientale. À ce propos, je voudrais parler de plusieurs objectifs interdépendants, et j'espère pouvoir en parler à nouveau au cours de la période des questions. Ces objectifs des États de l'Europe centrale et orientale sont interdépendants.

Premièrement, on voudrait accroître la sécurité. Pour y arriver, il faudrait modifier de façon radicale toute la structure de sécurité nationale dans les pays susceptibles de devenir membres de l'OTAN. Il faudrait apporter des changements radicaux dans toute une série de secteurs, notamment dans les relations entre les autorités civiles et les forces militaires ainsi que dans le système d'acquisition de produits industriels à usage militaire. L'OTAN pourra peut-être les aider à cet égard.

Deuxièmement, on voudrait créer une nouvelle architecture de sécurité en Europe, au sein de laquelle l'Alliance aurait un rôle à jouer.

Troisièmement, les futurs candidats voudraient, à ce qu'ils prétendent, que l'on remplace la dissuasion par des apaisements. Je crois qu'il est important de faire une distinction entre les deux. Pour rassurer ces pays, il faut adopter des politiques et des mesures susceptibles de leur inspirer une certaine confiance dans les alliés pour qu'ils puissent gérer leurs affaires internes et élaborer des politiques sans se sentir intimidés.

Quatrièmement, les pays de l'Europe centrale et orientale prétendent qu'ils voudraient s'assurer que l'élargissement s'inscrit dans le cadre d'un processus d'intégration à la fois politique et économique, ce qui veut dire que l'élargissement de l'OTAN doit créer une synergie pour l'élargissement de l'Union européenne également.

Cinquièmement, on espère instaurer des institutions et des processus démocratiques.

L'OTAN a de toute évidence un rôle à jouer dans tous ces domaines. L'objectif général, qui est de créer des liens entre ces pays et ceux de l'Europe de l'Ouest, est louable; s'il s'agit de diviser le continent, c'est une autre affaire.

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Beaucoup de pays de l'Europe centrale et orientale considèrent l'élargissement comme une sorte de police d'assurance. C'est un moyen ingénieux de le justifier, mais ce n'est malheureusement pas une raison suffisante. Les coûts de l'élargissement - et sur ce point, je ne suis pas d'accord avec ceux qui ont pris la parole avant moi - seront très élevés. Cela en vaut peut-être la peine, mais les coûts seront considérables. On ne voudra pas faire la dépense si l'on n'a aucune menace à craindre. Il est évident que c'est la Russie que ces pays redoutent et il n'y a aucun moyen de régler ce problème, certainement pas dans la perspective de la Russie.

Par ailleurs, on a parfois tendance à confondre rassurer et dissuader. Il existe peut-être un certain chevauchement mais cette confusion est plutôt dangereuse.

En ce qui concerne la création d'une nouvelle architecture de sécurité, il faut partir du principe que la sécurité est indivisible. Il faut construire des murs et pas des ponts. Ce que veulent en fait les pays de l'Europe centrale et orientale, c'est établir avec l'Alliance des relations qui soient de nature différente de celles qu'elle pourrait avoir ou aurait avec la Russie.

Par ailleurs, le processus d'intégration politique et économique, qui doit se faire par le biais de l'Union européenne, est loin d'être certain. On n'a aucune preuve de l'existence de cette synergie. Il est possible au contraire que cela rende les choses plus difficiles.

Je voudrais attirer votre attention sur une déclaration du ministre allemand de la Défense, qui est un des partisans les plus enthousiastes de l'élargissement - et ceci devrait permettre aux pays de l'Europe centrale et orientale de faire une pause. Il a dit que l'adhésion en soi est une chose importante, mais que l'élargissement de l'Union européenne sera quelque chose d'entièrement différent. Après tout, on peut faire partie de l'OTAN même si l'on ne possède que des tanks tout rouillés. Par contre, on ne peut pas faire partie de l'Union européenne si l'on ne possède que des tracteurs rouillés.

En Europe centrale et orientale, ainsi que dans certaines régions d'Europe occidentale, on estime généralement que la situation actuelle est propice à l'élargissement. La Russie se trouve dans une situation économique et politique très précaire et elle est peut-être irritée et déraisonnable, mais elle ne peut pas résister à cet élargissement. Malheureusement, l'histoire nous enseigne que les traités qui résultent de ce genre d'opération - et qui sont d'ailleurs d'une qualité inégale - ne sont pas susceptibles d'instaurer des relations stables et durables.

En fin de compte, il existe bel et bien une différence entre le fait de rassurer tel que le conçoivent et essaient de le faire la plupart des pays occidentaux et les agissements des États de l'Europe centrale et orientale, qui relèvent de la dissuasion pure et simple.

Le deuxième thème concerne les craintes et l'opposition de la Russie. Il se subdivise en trois éléments: le problème que pourrait causer la volonté de la Russie de ratifier des traités comme START II; les pressions que la Russie pourrait exercer sur les «pays étrangers voisins» et les États baltes au cas où les choses ne se dérouleraient pas comme elle l'espère; et le danger pour la démocratie en Russie.

En ce qui concerne la première crainte, elle ne me préoccupe pas autant que certaines personnes, car je suis plutôt pessimiste quant aux perspectives de ratification de START II par la Russie. Par ailleurs, j'ai moins d'appréhensions que ces personnes au sujet des conséquences d'un refus de ratifier ce traité, parce que la Russie ne représente pas et n'est pas susceptible de représenter une menace militaire dans un proche avenir. Quant à savoir ce qu'il pourrait en être dans un avenir plus lointain, c'est une tout autre histoire.

Le deuxième élément concerne les pressions qui pourraient être et qui seront fort probablement exercées par les «pays étrangers voisins» et par les États baltes.

Le troisième élément est absolument crucial et c'est pourquoi il convient de le conceptualiser convenablement. Il ne s'agit pas d'une relation de causalité simple, d'une relation linéaire. Si l'on s'attend à ce que l'élargissement de l'OTAN mette la démocratie en danger dans l'immédiat... Ce ne sera pas le cas. Par contre, il est possible que, petit à petit, la Russie finisse par se sentir ou par être effectivement exclue, ce qui pourrait réduire ses chances de se démocratiser, engendrer l'autoritarisme ou renforcer les tendances autoritaristes. Cela pourrait représenter une menace à la longue.

À force de prédire que la Russie est une menace, cela risque d'arriver, ce qui comporterait d'énormes dangers. Si immédiatement après l'élargissement, la Russie n'est pas d'humeur belliqueuse, tout le monde risque de pousser un soupir de soulagement. Il est trop tôt pour le savoir. Le danger est beaucoup plus lointain.

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Le troisième thème concerne la préservation de l'OTAN. J'ai signalé que les pays occidentaux ont davantage tendance à rassurer qu'à dissuader. Cette tendance va en quelque sorte dans le sens des exigences de M. Primakov, dont l'objectif principal est de neutraliser l'OTAN.

Il veut que l'OTAN fasse beaucoup moins de concessions aux États de l'Europe centrale et orientale qu'ils n'en réclament - c'est-à-dire que la structure militaire de l'OTAN ne se déplace pas vers l'Est et que ces États soient en fait considérés comme des membres de seconde classe - ou que, le cas échéant, l'OTAN soit transformée de façon à ne plus vraiment être efficace, l'influence des États-Unis ayant considérablement diminué ou disparu. Une autre possibilité est que, quoiqu'il arrive à obtenir, et s'il ne réussit pas dans les deux premiers cas - et il n'y arrivera probablement pas tout à fait - , M. Primakov essaiera d'éloigner davantage la Russie des pays occidentaux pour éviter qu'elle soit intégrée au système occidental.

Ce qui est pourtant absolument capital, c'est d'envisager en fin de compte le problème de la sécurité dans une perspective plus large. Pour préserver l'OTAN, il faut éviter que l'Alliance ne soit affaiblie au bout du compte. On ne peut pas se passer de l'article V. L'OTAN doit maintenir ses options et le principal objectif de l'Alliance - qui est de rassurer et de dissuader à la fois - ne doit pas être perdu de vue.

Le quatrième thème concerne le rôle de modérateur d'opinions que le Canada peut jouer. Le Canada n'est pas une superpuissance. À certains égards, il ne peut même pas se comporter comme une grande puissance. C'est toutefois une puissance importante. C'est un pays qui est respecté. Il a de l'influence. Le Canada peut jouer un rôle de modérateur d'opinions. Il peut modérer les attentes des pays de l'Europe centrale et orientale. Il peut apaiser les craintes de la Russie. Le Canada pourrait ralentir le processus d'élargissement pour laisser le temps à la Russie de se démocratiser, ce qui permettrait aux Russes d'espérer arriver un jour à participer à ce processus d'intégration.

Il faut envisager la sécurité dans la perspective d'un axe qui s'étend de Vancouver à Vladivostok, ce qui signifie que les États pluralistes situés dans cet axe finiraient par avoir l'occasion de faire partie de l'Alliance, lorsqu'ils répondront à ses critères très stricts. Pour cela, nous devons être dignes de foi et l'Alliance aussi.

Si vous me laissez encore une minute et demie, je pourrai terminer.

Le coprésident (M. Bill Graham): Je suis désolé de devoir bousculer tout le monde comme cela, mais il ne nous reste plus que 12 minutes d'ici la fin de l'audience et nous voudrions écouter également M. Lévesque.

M. Braun: Absolument. Il ne me reste plus que deux phrases...

Le coprésident (M. Bill Graham): Deux phrases, c'est parfait.

M. Braun: Il est ridicule de la part du Canada de prétendre que pour l'instant, plus de trois pays sont prêts à entrer au sein de l'Alliance, parce qu'une telle affirmation met en doute notre crédibilité et celle de l'Alliance, et qu'il faut la préserver.

Pour terminer, je dirais que nous n'avons pas vraiment calculé les coûts, les dangers et les risques de l'élargissement. Il y a de gros risques que les États de l'Europe centrale et orientale obtiennent beaucoup moins de l'OTAN que ce qu'ils désirent et que ce qu'ils méritent, et que celle-ci devienne une organisation beaucoup moins efficace qu'il n'est possible, voire nécessaire. Ces États veulent devenir membres de l'OTAN de la pire façon qui soit. Malheureusement, le grand danger réside dans la façon dont on procédera pour élargir l'Alliance.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci, monsieur Braun.

Monsieur Lévesque.

[Français]

M. Jacques Levesque (professeur, Département des sciences politiques, Université du Québec à Montréal): En tant que spécialiste de la politique extérieure de la Russie, forcément, je voudrais vous parler aujourd'hui du sens et des conséquences des objections de la Russie à l'élargissement de l'OTAN.

Comme vous le savez peut-être, l'élargissement de l'OTAN est la question de politique internationale qui fait le plus large consensus politique en Russie en ce moment; non seulement est-il le plus large, mais il est presque total. Toutes les forces politiques russes, de quelque couleur que ce soit, sont opposées à l'élargissement de l'OTAN. Un tel consensus n'existe sur aucune autre question similaire.

Forcément, les raisons sont fort diverses, mais on pourrait les résumer en deux grandes catégories de raisons. Les premières sont faciles à comprendre. Ce sont des raisons d'ordres géopolitique et militaire classiques, à savoir notamment que les conservateurs et les communistes considèrent que l'élargissement de l'OTAN est tout simplement la poursuite de la consolidation de la victoire du monde occidental dans la guerre froide, une tentative de renforcer l'encerclement de la Russie, de l'isoler sur le plan militaire et de l'empêcher de renaître en tant que grande puissance.

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L'autre ligne d'argumentation, sur laquelle j'insisterai davantage parce qu'elle devrait nous concerner davantage puisque nous sommes ici dans un pays démocratique, est celle de ceux qu'on appelle là-bas les libéraux ou les démocrates. Ceux-ci s'opposent à l'expansion de l'OTAN parce qu'ils considèrent que l'élargissement de l'OTAN se fait en mettant la Russie en dehors de ce qui est en train de devenir la principale structure de sécurité collective en Europe.

Or, les démocrates russes ont l'impression que l'Union soviétique dans sa dernière phase, sous Gorbatchev, tout comme la Russie actuelle, a donné des gages considérables, sans précédent, au monde occidental pour pouvoir être acceptée comme plein partenaire du monde occidental en ce qui a trait à la sécurité et à l'avenir de l'Europe.

Je donnerai quelques exemples de ces gages que les Russes considèrent qu'ils ont donnés et de l'amertume qu'ils ressentent face à l'élargissement de l'OTAN. Tout d'abord, lorsque Gorbatchev, en 1989, a accepté l'émancipation des régimes communistes de l'Europe de l'Est sans utiliser la force pour s'y opposer, c'était d'abord et avant tout parce qu'il cherchait la construction d'une nouvelle architecture de sécurité européenne à l'intérieur de laquelle la Russie aurait sa place entière et pour donner des gages de bonne conduite. C'est essentiellement pour cette raison, et pour bien d'autres aussi, que l'URSS n'est pas intervenue militairement.

Deuxièmement, les démocrates russes considèrent qu'ils ont été prêts à abandonner la fédération soviétique, à laisser se faire l'éclatement de l'Union soviétique pour que la Russie puisse être un État véritablement démocratique et être acceptée comme partenaire à part entière par les États occidentaux.

Ce sont des événements historiques sans précédent: une grande puissance comme l'URSS a perdu son empire sans recourir à des moyens militaires; une grande puissance comme la fédération soviétique, surarmée comme elle l'était, s'est démembrée avec très très peu de violence. Les démocrates russes considèrent qu'ils ont voulu que les choses se passent comme cela pour donner des gages de bonne conduite en vue d'une intégration future au monde occidental.

Au moment de la fin de l'URSS, tous les ingrédients d'un scénario yougoslave étaient réunis sur le territoire de l'ancienne Union soviétique, dont 25 millions de Russes à l'extérieur des frontières de la Russie, des frontières très artificielles pour la Russie et des majorités compactes de Russes à différents endroits sur le territoire des anciennes républiques soviétiques.

N'importe quel gouvernement nationaliste ou irresponsable aurait pu encourager les minorités russes des autres républiques soviétiques, là où elles étaient majoritaires, à proclamer la souveraineté, et on aurait été engagé dans un scénario semblable à celui de la Yougoslavie. Si les dirigeants russes actuels ne l'ont pas fait, c'était justement pour donner la preuve qu'ils acceptaient les normes de bonne conduite de ce qu'ils appelaient eux-mêmes à l'époque le monde civilisé.

C'est donc dans ce sens que les démocrates russes ressentent l'élargissement de l'OTAN comme un rejet de la Russie, des institutions structurantes de l'Europe, pour lesquelles ils ont l'impression d'avoir donné tous les gages en vue d'y être éventuellement intégrés.

Quant aux contre-propositions de la Russie, vous les connaissez. Étant donné cette perspective, je parlerai des contre-propositions qui concernent les préoccupations des démocrates. Ils ont constamment suggéré, un peu comme Gorbatchev l'a fait au moment de la réunification allemande, qu'au lieu de procéder à un élargissement de l'OTAN, il fallait construire une nouvelle structure de sécurité collective en Europe par le biais du renforcement et de l'institutionnalisation de la CSCE, de la création éventuelle d'un nouveau sous-système des Nations unies pour l'Europe, où la Russie pourrait avoir son rôle à jouer. Il est difficile et risqué de construire de nouvelles structures comme celle-là. Les Russes le savent et ils préconisent de telles solutions pour le long terme.

Devant la difficulté et l'avancement du processus de l'élargissement de l'OTAN, les Russes ont fait savoir... Là-dessus, la position russe est assez ambivalente. Eltsine a déclaré: «Nous n'aurions pas d'opposition à l'élargissement de l'OTAN si la Russie pouvait y être incluse.» Évidemment, dans ces circonstances, l'OTAN deviendrait la structure de sécurité collective paneuropéenne dont la Russie serait membre à part entière.

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La position russe là-dessus est assez ambivalente. D'une part, Eltsine a dit très clairement ce que viens de citer. D'autre part, en même temps, la Russie ne veut pas avoir l'air, en raison de son statut de grande puissance, de mendier son appartenance à l'OTAN. Elle ne veut pas avoir l'air de faire comme ces petits pays que sont la Pologne et la Hongrie et venir frapper à la porte de l'OTAN, d'autant plus qu'elle sait très bien qu'on lui en refusera l'entrée. Les dirigeants russes savent très bien que si la Russie adresse une demande formelle d'adhésion à l'OTAN, cette adhésion lui sera forcément refusée. Donc, l'humiliation serait double. C'est la raison pour laquelle, sur la question de l'intégration de la Russie, les Russes sont assez ambivalents.

Effectivement, cela résoudrait le problème des occidentalistes russes si la Russie pouvait être incluse, mais, bien sûr, l'OTAN ne serait plus ce qu'elle a été si elle intégrait subitement un gros morceau de la taille de la Russie.

Maintenant, je reprendrai un peu ce qu'Aurel Braun disait sur les conséquences d'un élargissement qui se ferait à l'encontre des objections de la Russie. Les Russes ont brandi plusieurs menaces à ce propos. Plusieurs de ces menaces relèvent du bluff et ne doivent pas être prises trop au sérieux. Cependant, je suis d'accord avec lui pour affirmer qu'il faut s'attendre à un comportement plus dur, plus coriace de la Russie à l'égard de ses voisins immédiats, ceux qui ne seraient pas intégrés à l'OTAN dans une première phase, les pays baltes et l'Ukraine.

Deuxièmement, et là aussi c'est pour le plus long terme, il y aurait l'effet négatif sur les rapports de force politiques à l'intérieur de la Russie. Déjà, depuis trois ans, le spectrum de la vie politique russe s'est déplacé en faveur d'une politique plus antioccidentale, plus nationaliste, etc. Bien sûr, c'est dû à toutes sortes de raisons, aux difficultés de la transition à l'économie de marché, mais aussi aux relations médiocre avec le monde occidental.

Pourquoi? Parce que sur la question yougoslave, sur toute une série de questions, les Russes considèrent qu'ils ont été traités comme des partenaires juniors et non pas comme des partenaires à part entière et que tout ceci a progressivement délégitimé la politique des démocrates russes. Les nationalistes et les communistes font valoir qu'ils ont tout sacrifié au monde occidental, aux intérêts du monde occidental pour y être acceptés, et ils n'y sont pas acceptés.

Dans ce sens, si l'élargissement de l'OTAN se fait sans aucune concession majeure à la Russie en matière d'arrimage de ce pays, au moyen d'une charte quelconque, d'une organisation quelconque, qui joue un rôle véritablement clé et non pas purement décoratif en matière de sécurité européenne, il est clair que les démocrates, qui sont déjà délégitimés, seront de plus délégitimés et on les accusera, comme on les accuse maintenant et avec plus forte raison, d'avoir tout sacrifié pour aucun traitement en retour de la part des pays occidentaux.

Je m'arrête là-dessus, monsieur le président, pour laisser place à une ou deux questions.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup, monsieur Levesque.

Est-ce que les membres du comité peuvent rester 10 minutes après 12 h? Moi-même je dois partir vers 12 h 10.

Monsieur Bergeron.

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, j'apprécie particulièrement les commentaires que M. Levesque vient de faire. C'est une de mes préoccupations depuis le début en ce qui concerne l'élargissement de l'OTAN, soit le traitement réservé ou qui devrait être réservé à la Russie.

J'ai d'ailleurs posé une question en ce sens au ministre des Affaires étrangères tout à l'heure. J'ai eu l'occasion, avec M. le président et d'autres collègues de ce comité, de rencontrer M. Lukin, président du comité parlementaire des Affaires étrangères de la Douma, si je ne m'abuse. Il nous disait avec insistance que si nous voulions que la Russie devienne membre de l'OTAN, il fallait que nous l'invitions. Nous lui avons répondu que jamais personne n'était invité, que les pays devaient en faire la demande. Il ne faisait que répéter la même chose, soit qu'il fallait les inviter. Cela illustre de façon éloquente les propos qui ont été tenus tout à l'heure.

Compte tenu des réserves que vous avez émises, il est bien entendu que ce comité devra éventuellement faire des recommandations au gouvernement. Nous avons tous et toutes eu des contacts avec des diplomates de pays d'Europe centrale et orientale, qui auraient bien voulu pouvoir comparaître devant le comité pour faire valoir la pertinence de l'admission de leur pays au sein de l'OTAN, mais compte tenu du peu de temps que nous avions et du très grand nombre de pays qui auraient souhaité comparaître, nous avons choisi de n'inviter personne.

Ce n'est pas que nous soyons fermés à leurs préoccupations et à leurs revendications, mais nous avons, de façon bien imparfaite, je dois l'admettre, décidé d'inviter plutôt des spécialistes capables de nous éclairer sur cette question très délicate du choix des pays qui, dans une première phase, pourraient adhérer à l'OTAN.

.1200

L'OTAN a elle-même élaboré une liste de critères auxquels devaient satisfaire les pays qui faisaient une demande d'admission à l'OTAN. Vous avez également soulevé un certain nombre de préoccupations par rapport à la Russie, que nous devrions avoir présentes à l'esprit quant à la première vague de pays qui adhéreraient à l'OTAN.

Ma question est très simple. Selon vous, quels pays devraient être admis au sein de l'OTAN au cours d'une première phase et pour quelles raisons?

[Traduction]

Le coprésident (M. Bill Graham): Pouvez-vous répondre en bloc? Je pense qu'il nous reste encore un peu de temps pour quelques arguments contradictoires, mais allez-y, colonel. Commençons par vous. Cela se fera de soi-même.

[Français]

Col Pellerin: À votre question, je dirai, premièrement, qu'il n'y a pas de critères fixes. Le ministre a employé le terme «critères», mais l'étude de l'OTAN sur l'élargissement, qui date de septembre 1995, utilise le mot «paramètre». L'OTAN voulait s'assurer qu'il demeurerait un certain degré de flexibilité lorsque le choix final serait fait.

Il est sûr que dans les paramètres, qui sont les mêmes que ceux que le ministre a mentionnés tout à l'heure, la démocratie et le contrôle des forces armées sont inclus, mais ce ne sont pas des critères très spécifiques. Il y a une certaine flexibilité dans le choix. On voit, par exemple, en plus des trois pays habituellement mentionnés, la Roumanie qui est pistonnée par la France. Certains se demanderont si la Roumanie est vraiment démocrate, si ses forces armées sont vraiment contrôlées par des civils, etc.

M. Stéphane Bergeron: Sur la base de ces paramètres, quels seraient selon vous les pays qui devraient être admis à l'OTAN et pour quelles raisons?

Col Pellerin: Il y a aucun doute que les trois premiers en ligne sont la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, pour des raisons que l'Alliance a mentionnées. Je ne veux pas pour autant m'associer à la position de l'Alliance parce que j'ai certaines réserves concernant l'élargissement.

M. Stéphane Bergeron: Alors, décrivez-nous votre position.

Col Pellerin: C'est celle que j'ai exposée tout à l'heure. Je crois qu'il est trop tard maintenant, dans le débat, pour présenter des options contraires à la position de l'Alliance. L'Alliance s'est prononcée, aura un sommet au mois de juillet et invitera un certain nombre de pays pour commencer les consultations. Si on croit à l'Alliance, il faut essayer de limiter les dégâts, si vous voulez. En fait, c'est une question de gestion de ce dossier, qui est maintenant trop avancé pour qu'on s'arrête. Le train s'est mis en marche et on ne peut pas vraiment l'arrêter.

M. Stéphane Bergeron: Devrions-nous aller au-delà de ces trois suggestions?

Le coprésident (M. Bill Graham): C'est cela. Je crois que tous les membres du comité qui ont étudié ce dossier assez longuement s'accorderaient sur les trois que vous venez de mentionner. Ce sont les autres qui nous intéressent ainsi que les paramètres qui permettraient de les désigner.

Col Pellerin: Le seul point sur les critères que j'ai mentionnés tout à l'heure, c'est que si on invite des pays, cela a des implications concernant la sécurité. On fournit à ces pays, en accord avec l'article V du Traité de Washington, des garanties de sécurité.

Il faut à mon avis être très sélectifs et très honnêtes envers notre population. Il faut lui dire qu'on invite ces pays et qu'on croit à la sécurité dans ces pays. On est prêts à les défendre si le moment se présente. À mon avis, on devrait être très sélectifs.

M. Stéphane Bergeron: Selon vous, quels devraient être ces pays?

Col Pellerin: À mon avis, on devrait se limiter à un nombre très restreint de pays. J'ai mentionné les trois pays.

M. Levesque: Je vais vous répondre un peu plus brutalement; je vous dirai aucun. En principe, je pense que l'élargissement de l'OTAN crée plus de problèmes qu'elle n'en résout et je suis défavorable à un élargissement sélectif. Il faudrait un cadre global, comme les démocrates russes le suggèrent, une nouvelle architecture de sécurité européenne qui devrait être mûrement réfléchie et développée.

Je voudrais parler d'un point très important. On dit toujours ici que l'élargissement de l'OTAN ne se fait pas contre la Russie. Effectivement, dans la perspective du Canada ou dans celle des États-Unis, ce n'est pas dirigé contre la Russie. Mais attention! Dans la perspective de la Pologne, de la Hongrie, de la République tchèque, c'est très explicitement dirigé contre la Russie.

.1205

On n'a qu'à lire les discours des hommes politiques de ces pays pour comprendre que l'élargissement de l'OTAN, dans leur perspective, vise à se protéger de la Russie et est dirigé contre la Russie.

C'est la raison pour laquelle notre collègue autrichien disait tout à l'heure que ces pays, une fois inclus dans l'OTAN, pourraient bloquer une évolution de l'OTAN vers une transformation qui ferait en sorte qu'elle ne serait plus ce qu'elle a été à l'époque de la guerre froide.

En ce qui concerne la Russie elle-même, on peut dire qu'elle pourrait éventuellement devenir membre, mais il est parfaitement clair, et les dirigeants russes le savent très bien, que s'ils avaient à devenir membres, cela serait maintenant ou jamais. Pourquoi? À cause du droit de veto. Il est absolument évident dans mon esprit qu'à l'avenir, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque utiliseront automatiquement leur droit de veto pour s'opposer à l'entrée de la Russie dans l'OTAN. Donc, pour eux, c'est maintenant ou jamais.

Le coprésident (M. Bill Graham): Monsieur le professeur, votre réponse a tout notre respect de même que l'esprit cartésien dans lequel elle est faite.

M. Levesque: Merci.

[Traduction]

Le coprésident (M. Bill Graham): Monsieur Braun, pensez-vous qu'il existe d'autres candidats que les trois pays qui ont été cités?

M. Braun: Oui, je vais répondre à cette question.

Les critères de sélection doivent être stricts et ils ne doivent exclure personne. Les trois pays en question ne répondent pas encore aux critères, mais ce sont eux qui s'en rapprochent le plus. Il s'agit de la République tchèque, de la Pologne et de la Hongrie. Aucun d'entre eux ne répond entièrement à ces critères pour le moment. Il leur reste encore un certain chemin à parcourir. Aucun autre pays ne remplit les critères.

Le problème qui se pose est que ce processus ne doit exclure personne. La question n'a pas encore été entièrement réglée. Il s'agit d'un processus restrictif en ce sens qu'il exclut en fait la Russie. Le processus ne peut pas être équitable et il n'est pas question d'assurer la sécurité dans l'axe Vancouver-Vladivostok, si certains pays sont exclus.

Vous avez parlé de Vladimir Lukin, avec lequel j'ai passé beaucoup de temps à Berlin il y a deux ans. Il commet une grosse erreur. D'une certaine façon, les Russes sont les pires ennemis de leur peuple lorsqu'il s'agit d'expliquer leur position. Ils attendent d'être invités. Ils devraient faire une demande claire et précise. Ils devraient attirer l'attention générale sur le dilemme qui existe et on pourrait alors dire qu'il faut répondre à tel ou tel critère et que les pays qui les remplissent seront admis au sein de l'OTAN. C'est une formule équitable.

Le coprésident (M. Bill Graham): Voulez-vous dire que si la Russie faisait son entrée à l'OTAN, le Sénat américain ou nos députés accepteraient de se débarrasser de l'article V assurant la protection aux frontières russe et chinoise et que si un conflit éclatait entre la Russie et la Chine, les Canadiens seraient entraînés dans une guerre nucléaire sur le front asiatique? Est-ce ce que vous nous recommandez?

M. Braun: Essayez de me comprendre. Je vais essayer de vous expliquer cela d'une autre façon.

Le coprésident (M. Bill Graham): C'est l'aventure dans laquelle votre formule risque de nous entraîner.

Nous n'avons plus qu'une minute. Je regrette, mais nous n'avons plus le temps de parler d'armes nucléaires. Vous avez deux minutes pour terminer. Je sais que ce n'est pas juste.

M. Braun: Vous voudriez une réponse affirmative ou négative, mais ce n'est pas possible. En réalité, la réponse est une question. En effet, l'intégration de la Russie sera une tâche très difficile. Imaginez ce qui risque d'arriver si nous nous trouvons en présence d'une Russie autoritaire hostile qui ne fait pas partie de l'OTAN. Quelle est l'autre possibilité?

À bien y penser, il conviendrait peut-être de s'efforcer de faire en sorte que l'élargissement soit universel au lieu d'être restrictif. Il faut tenir compte de la Russie. On ne peut pas ne pas en tenir compte. On ne peut pas l'écarter complètement. Il faut en tenir compte. Une des solutions serait que la Russie joue cartes sur table et qu'elle nous dise qu'elle voudrait faire une demande d'adhésion. Si sa demande était rejetée dans l'immédiat, cela ne voudrait pas dire qu'elle serait automatiquement rejetée à nouveau plus tard. C'est la même chose si la Roumanie était exclue pour l'instant; cela ne voudrait pas dire qu'elle le serait définitivement. Je ne veux pas insinuer par là que le cas de la Russie et celui de la Roumanie sont identiques.

Le coprésident (M. Bill Graham): Ce serait la même chose qu'en ce qui concerne l'entrée de la Turquie au sein de l'Union européenne. Nous avons déjà entendu cette histoire-là.

Madame Bakopanos.

Mme Eleni Bakopanos (Saint-Denis, Lib.): J'ai trop de questions à poser pour qu'on puisse y répondre en une minute, mais je me contenterai de faire deux observations.

Je crois que la question de la sécurité dans la Méditerranée revêt de l'importance dans le contexte de l'élargissement, parce que nous sommes davantage tournés vers le Nord que vers le Sud. Deux pays membres de l'OTAN sont manifestement impliqués...

Col Pellerin: Il y en a cinq.

Mme Eleni Bakopanos: Il y en a cinq, mais deux d'entre eux en particulier ont une vieille querelle à régler.

Sans vouloir me lancer dans toutes sortes de considérations sur la question de la sécurité dans la Méditerranée, que j'inclurais dans nos recommandations lorsque nous en viendrons à notre résolution, j'aborderai la question des critères dont vous avez parlé. Étant à la fois députée et vice-présidente de la délégation canadienne à l'Assemblée de l'Atlantique Nord, j'ai fait une observation intéressante, à savoir que certains pays qui sont membres de l'OTAN et qui ne répondent pas en réalité aux critères très stricts que nous sommes en train d'établir pour les nouveaux membres sont les premiers à dire qu'ils rejetteront la demande de ces pays parce que ceux-ci ne contrôlent pas leurs forces militaires ou qu'ils ne respectent pas les droits démocratiques de leurs représentants élus. On pourrait en parler très longtemps.

.1210

Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est du fanatisme, mais j'estime que c'est un manque de franchise de prétendre d'une part qu'on veut inclure ces pays tout en ajoutant que c'est impossible dans l'immédiat, parce qu'ils ne répondent pas à toute une série de critères.

Comme je l'ai dit, il ne nous reste de toute façon plus qu'une minute. Je ne tiens pas à m'étendre sur le sujet. Avez-vous des commentaires?

Col Pellerin: Pourrais-je faire un tout petit commentaire à ce sujet? Je crois que c'est important.

Le coprésident (M. Bill Graham): Oui, je vous en prie.

Col Pellerin: Lorsque l'OTAN a préparé son étude sur l'élargissement, en 1995, elle a précisément examiné ce problème parce qu'il était prévu. Dans l'éventualité d'une deuxième vague de candidatures, aucun nouveau membre ne pourrait empêcher l'accès aux pays concernés. Par exemple, il est possible qu'une fois devenue membre, la Hongrie veuille empêcher l'accession de la Roumanie.

Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Ce n'est pas indiqué dans les articles. Est-ce interdit?

Col Pellerin: C'est ce que dit l'étude sur l'élargissement.

Mme Eleni Bakopanos: C'est effectivement indiqué dans cette étude, mais pas dans les articles.

Col Pellerin: Non, mais c'est la position de l'OTAN.

Le coprésident (M. Bill Graham): Je dois malheureusement clore la discussion. Il faut absolument terminer maintenant, parce que mes collègues ont certaines obligations et que nous avons deux ou trois questions à régler.

Je vous remercie infiniment d'être venus. Je m'excuse encore une fois de ne pas avoir pu vous laisser plus de temps. Vous nous avez beaucoup aidé à mieux comprendre les enjeux et nous apprécions votre participation.

[Français]

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, est-il envisageable, même si c'est fait de façon un peu impromptue, que nous puissions reprendre cette séance du comité à 15 h 30 aujourd'hui?

Le coprésident (M. Bill Graham): Moi-même je...

[Traduction]

Mme Beryl Gaffney (Nepean, Lib.): Le Sous-comité des droits de la personne doit se réunir à 15 h 30.

Le coprésident (M. Bill Graham): Le Sous-comité des droits de la personne doit effectivement se réunir à 15 h 30 et je pars pour Toronto à cette heure-là. La greffière vous demandera votre avis, mais il faut voir si nos invités ont des chances d'être là.

[Français]

C'est un peu douteux dans le cas du professeur Levesque.

[Traduction]

Nous avons entendu parler de la Slovénie allemande. Nous avons entendu parler de plusieurs pays et nous aimerions beaucoup entendre parler des autres pays. Il faudra cependant le faire à une autre occasion.

J'ai seulement deux questions à régler, mesdames et messieurs. La première est que nous avons distribué la résolution du comité directeur. J'apprécierais que nous partions tous du principe que nous l'adoptons en séance plénière, à moins que l'un ou l'une d'entre vous ne s'y oppose. Il s'agit de ratifier ce que nous avons accepté en comité directeur. Il est important de régler la deuxième question, parce qu'il s'agit de remplacer quelqu'un. Nous voulons envoyer cet autre rapport à l'impression.

Mme Eleni Bakopanos: S'agit-il du rapport du sous-comité?

Le coprésident (M. Bill Graham): Oui, il s'agit effectivement de ce rapport. Je partirai du principe qu'il a été adopté si personne ne s'y oppose.

Je vous ai remis une ébauche de ce rapport.

[Français]

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, sur le point 5, à moins de faire erreur, je crois me rappeler que nous nous étions entendus pour inviter également le ministre du Commerce international.

[Traduction]

Le coprésident (M. Bill Graham): Oui, pour parler du budget des dépenses.

[Français]

C'est un brouillon que je vous ai envoyé. J'ai voulu vous le donner maintenant au lieu d'attendre à la dernière minute. Comme M. Francis LeBlanc n'est pas parmi nous, j'ai pris l'initiative d'en discuter avec Gerry. Nous avons préparé quelque chose, mais c'est sujet à discussion. Tout le monde peut y jeter un coup d'oeil. Pendant la pause, on pourrait peut-être l'améliorer, le modifier, etc., pour qu'on ait une résolution en bonne et due forme lorsque nous aurons terminé nos débats.

[Traduction]

Je ne pense pas que nous ayons le temps d'entendre tous les cinq témoins, mais je crois que nous pourrons entendre ces trois-là. Il faut évidemment que M. Boudria soit présent, à cause de l'ACDI. Mesdames et messieurs, si vous êtes d'accord, nous ferons comparaître M. Eggleton pour qu'il nous parle du budget des dépenses du ministère du Commerce international.

Enfin, je vous ai remis un brouillon de résolution. Ce n'est effectivement qu'un brouillon.

[Français]

Excusez-nous encore une fois pour la manière un peu trop brusque dont nous vous traitons. Merci beaucoup. Nous tenterons de revenir ici à 15 h 30. Notre greffière vous dira si c'est possible ou pas. Merci beaucoup.

[Traduction]

Merci beaucoup d'être venus.

La séance est levée.

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