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CIMM Rapport du Comité

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Rapport dissident du Nouveau Parti démocratique

Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM)

Préambule

Pour les néo-démocrates, le système d’immigration est une affaire d’édification de la nation. Il est fondé sur le principe que, si l’on mérite de pouvoir travailler ou étudier au pays, on mérite de pouvoir y rester. Pour édifier notre nation, nos politiques d’immigration doivent être justes et équitables et reconnaître la contribution des travailleurs de toutes les classes socioéconomiques. L’octroi du statut d’immigrant reçu dès l’arrivée devrait être la règle générale et les volets d’immigration devraient être offerts à toutes les catégories de travailleurs nécessaires à la vigoureuse économie du Canada. Or, nos gouvernements successifs ont délaissé l’idée d’un système d’immigration équilibré pour accorder la priorité aux professionnels hautement qualifiés. En conséquence, beaucoup d’autres ensembles de compétences requis pour alimenter l’économie canadienne ne sont pas pris en compte. Pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans ces secteurs, les gouvernements conservateurs et libéraux ont tablé sur un élargissement substantiel du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).

Introduction

Le 1er février 2021, le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes (le Comité) a décidé d’étudier la question du recours à l’étude d’impact sur le marché du travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires, y compris ses coûts administratifs et ses délais de traitement, les effets de la pandémie de COVID-19, l’importance des pénuries de main-d’œuvre à l’échelle du pays, notamment dans les municipalités et les communautés rurales, selon ce que prévoit l’Accord Canada-Québec, l’état des projets pilotes pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre, les critères d’admissibilité à la résidence permanente et les répercussions pour les aidants familiaux en vertu du Programme pilote pour les gardiens/gardiennes d’enfants en milieu familial et du Programme pilote pour aides familiaux à domicile, ainsi que les solutions possibles pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre. Le Comité a entendu 58 témoins.

Compte tenu des vulnérabilités, ainsi que des mauvaises conditions de vie et des cas de traitements abusifs maintes fois signalés, les néo-démocrates s’inquiètent du faible taux de représentation des organisations qui défendent les droits des employés et des travailleurs migrants. Sur les 58 témoins invités à comparaître, sept ont témoigné à titre de représentants d’organismes voués à la défense des droits des travailleurs migrants, un à titre de travailleur d’établissement, quatre à titre d’avocats et un à titre de délégué syndical. En revanche, avec 31 témoins représentant les employeurs, une grande place a été accordée à leur point de vue. Neuf témoins du gouvernement ont aussi comparu. Cette composition a influencé toute la structure du rapport. Ainsi, les recommandations formulées par le Comité sont biaisées en faveur des employeurs. S’il est important de consulter les employeurs, le manque général de considération pour les droits des travailleurs dans les recommandations suscite de vives inquiétudes à l’égard du rapport du Comité. Les néo-démocrates sont d’avis que le rapport est, dès le départ, entaché de lacunes graves découlant du déséquilibre entre les témoins consultés.

En dépit de ces problèmes méthodologiques, les témoignages ont été tout à fait clairs. Tant pour les employeurs que pour les représentants des travailleurs migrants, le Programme des travailleurs étrangers temporaires actuel comporte de nombreux problèmes. Nombre d’employeurs ont soulevé des préoccupations relativement à l’incidence de la pénurie de main-d’œuvre pour leurs entreprises et aux difficultés que leur pose le processus de l’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT). Du point de vue des travailleurs migrants, les témoins ont soulevé des inquiétudes relativement au déséquilibre du pouvoir qui, dans les faits, favorise les traitements abusifs et l’exploitation.

Quant aux recommandations formulées, les représentants des employeurs ont plutôt préconisé des mesures visant à élargir ou assouplir davantage l’utilisation du PTET, alors que les défenseurs des intérêts des travailleurs migrants ont demandé des mesures visant à protéger les droits des travailleurs.

Élargissement du PTET

Pour illustrer l’ampleur de l’élargissement du programme, M. Syed Hussan, directeur général, Migrant Workers Alliance for Change (MWAC), a fait observer ceci au Comité :

Il y a 20 ans, on comptait 60 000 permis de travail temporaire au Canada. Depuis, cela a augmenté de 600 %, pour atteindre plus de 400 000 aujourd’hui. Au pays, 1,6 million de personnes — ou une personne sur 23 — sont des résidents non permanents. C’est une personne sur 23, et le pourcentage est beaucoup plus élevé dans les collectivités où beaucoup d’entre vous se trouvent. Cela signifie que ces nombreuses personnes n’ont pas accès aux droits du travail, aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres mesures de protection, et ne peuvent pas se protéger. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

M. Derek Johnstone, adjoint spécial au président national, Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada, a renchéri : “J’aimerais d’abord affirmer que, à la création du Programme des travailleurs agricoles saisonniers en 1966 […] il y avait exactement 256 travailleurs étrangers temporaires au Canada. Maintenant, il y en a plus de 400 000.” (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 21 avril 2021). Avant d’ajouter :

On accepte l’idée que la seule façon de résoudre les problèmes du marché du travail au Canada est d’ouvrir les vannes pour permettre aux travailleurs étrangers temporaires d’affluer, des travailleurs qui n’auront jamais l’occasion de devenir des citoyens à part entière de ce pays. Nous devons abandonner cette idée immédiatement et commencer à envisager l’immigration permanente, tout en investissant correctement dans des sources nationales de main-d’œuvre dans le cadre d’une stratégie plus vaste […] (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 21 avril 2021)

M. Hussan a carrément déclaré :

L’objectif réel du système d’EIMT, c’est de fournir une apparence de légitimité aux programmes canadiens de permis de travail restreints par l’employeur. Or, ces programmes sont de nature asservissante. Si l’on enlève le discours de protection des Canadiens et des travailleurs étrangers, on découvre un système qui garantit une forte possibilité d’exploitation de travailleurs racialisés et à faible revenu dans des secteurs où on cherche à générer de grands profits. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

Déséquilibre du pouvoir, traitements abusifs et exploitation

En élargissant le recours aux travailleurs étrangers temporaires et en privant les travailleurs migrants des droits qui accompagnent le statut d’immigrant reçu et, en définitive, la citoyenneté, le Canada perpétue un système où le déséquilibre du pouvoir entre l’employeur et l’employé est intrinsèque.

De nombreux témoins ont exprimé le même sentiment. Comme l’a dit M. Hussan : “En refusant d’octroyer des droits qui viennent avec la citoyenneté aux migrants, les lois et les législateurs encouragent des traitements abusifs, l’exploitation, l’exclusion et même la mort.” (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

M. Johnstone a aussi souligné ceci :

Beaucoup de gens se trouvent dans une situation où ils sont traités de façon abusive par leur employeur [...] la possibilité de rentrer chez soi n’est pas vraiment une option pour eux. Non seulement l’argent qu’ils gagnent au Canada est nécessaire pour subvenir aux besoins de leur famille dans leur pays, mais ils peuvent aussi devoir cet argent à quelqu’un, de sorte qu’ils doivent rester au Canada. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 21 avril 2021)

M. Shaitan Singh Rajpurohit, opérateur de machine chimique, United Refugee Council Canada, a fait observer ceci :

Les immigrants en situation précaire et les demandeurs d’asile travaillent souvent dans le secteur de la santé et des services sociaux; dans l’industrie de la production, de la transformation et de la distribution d’aliments; et dans les services de sécurité et d’entretien. Nombre d’entre eux sont également essentiels à l’entretien des systems informatiques, de l’équipement d’usine et des machines industrielles. Comme leur statut d’immigration est échu, précai re ou temporaire, un grand nombre d’entre eux sont exploités par des agences de placement et des employeurs sans scrupule, et vivent dans la crainte constante de perdre leur emploi ou d'être expulsés du pays. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

M. Hussan a formulé la demande suivante aux membres du Comité:

Mettez-vous dans la peau d’un travailleur migrant engagé par le régime un instant. Dénonceriez-vous l’exploitation dont vous êtes victime, si vous aviez un faible revenu et que vous pouviez être renvoyé, devenant ainsi sans-abri car votre employeur vous logeait, si vous ne pouviez pas vous trouver immédiatement un autre emploi car votre permis vous empêche de le faire et si vous ne pouviez plus revenir au pays où vous travailliez parce que les employeurs sont ceux qui décident quel travailleur peut revenir?  Prenez maintenant le problème à l’inverse. Si vous étiez un employeur et que vous étiez au courant de tout cela, prendriez-vous des raccourcis, pousseriez-vous vos travailleurs à travailler plus fort et, dans les pires cas, vous livreriez-vous à de l’exploitation et de la discrimination de masse? (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

En juin, la MWAC a publié un rapport intitulé Unheeded Warnings: COVID-19 & Migrant Workers in Canada, dans lequel sont rapportés les épouvantables traitements auxquels sont soumis les travailleurs migrants. Le rapport relève toute une série de problèmes dont, notamment, la violence verbale, les menaces, le racisme, la violation des règles de rémunération, les conditions de logement misérables et inhumaines, l’insuffisance de la nourriture, la malpropreté et le manque de fournitures, la violation des droits des travailleurs, l’accès insuffisant aux soins de santé, la surveillance accrue et l’absence de mobilité.

Malheureusement, ce rapport n’était pas le premier sur les misères des travailleurs migrants. Comme on le souligne dans le rapport de la MWAC:

Au fil des décennies, d’innombrables rapports, publications, témoignages et reportages ont fait état des préoccupations soulevées par les travailleurs migrants quant à la façon dont le système d’immigration temporaire du Canada engendre les traitements abusifs et l’exploitation. Ces avertissements ont été ignorés. Alors que la COVID-19 faisait des ravages dans les communautés partout au Canada, les travailleurs migrants ont de nouveau signalé la situation auprès de nombreux organismes fédéraux et provinciaux ou auprès d’agents de liaison. Le Migrant Rights Network – la plus importante coalition canadienne pour la justice envers les migrants – a plusieurs fois écrit aux organismes fédéraux et provinciaux pour leur faire part des inquiétudes des travailleurs migrants, sans jamais obtenir de réponse. (Unheeded Warnings: COVID-19 & Migrant Workers in Canada, 8 juin 2020, p. 6) [TRADUCTION]

La pandémie a mis en lumière des problèmes qui persistent depuis longtemps, mais dont on a systématiquement fait fi. Au sujet de la situation depuis la publication du rapport, M. Hussan a déclaré au Comité:

Je peux vous dire qu’un an plus tard, nous ne vivons plus la même crise, mais une crise encore plus profonde. Les conditions de logement sont mauvaises, voire pires encore. Les conditions de travail sont restées les mêmes […]

Nous en sommes maintenant à la troisième vague. Les gens continuent de perdre leurs emplois, ils sont toujours davantage exploités. Soit il n’y a pas de vaccin, soit il y en a, mais ils sont offerts de manière coercitive. L’an dernier, quand j’ai comparu devant le Comité, je parlais de catastrophe sur le plan des droits de la personne.

Les migrants et les personnes sans papier se trouvaient en situation de grande souffrance. Je n’ai plus d’adjectif pour décrire la situation. Le gouvernement fédéral a apporté des réformes mineures. Il y a 27 000 personnes qui ont reçu le statut de résident permanent, mais seulement si elles avaient pu acquérir une expérience de travail à salaire élevé, chose impossible pour la plupart des gens pendant la pandémie de COVID. Les travailleurs à faible revenu sont des travailleurs essentiels. Ce sont des travailleurs de la construction, du personnel ménager, du personnel de la santé, des livreurs, des commis dans les commerces de détail, des commis d’épicerie. Nous dépendons de ces personnes. Ce sont des personnes que nous considérons comme « essentielles », mais à qui nous refusons la résidence permanente au pays. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

Mme Maria Esel Panlaqui, gestionnaire, Développement communautaire et projets spéciaux, The Neighbourhood Organization (TNO), a aussi dit que les traitements abusifs et l’exploitation se poursuivent :

Des employeurs continuent à manquer d’égard et à traiter leurs travailleurs de façon abusive, les obligeant à travailler de longues heures sans être compensés. Certains employeurs ne permettent pas aux soignants migrants de quitter la résidence où ils travaillent ne serait-ce que pour aller marcher afin de réduire leur stress et de nombreux soignants n’ont jamais de temps libre pour eux-mêmes. En raison de leur statut précaire, les soignants ne peuvent pas militer pour [améliorer les conditions de travail]. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

Elle a complété ses observations en ajoutant :

Si les travailleurs ont tant de difficulté à faire valoir leurs droits, c’est en raison de la précarité de leur situation. On peut supposer, même avec des permis de travail sectoriels, que certains travailleurs sont toujours intimidés et craignent de faire valoir leurs droits et de quitter leur employeur, car ils ont besoin de relat ions, par exemple, pour trouver un nouvel employeur. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

Sans statut permanent, ces vulnérabilités persisteront, ce qui fera en sorte que, dans de grands pans des secteurs, les normes de santé et de sécurité seront de plus en plus difficiles à faire appliquer. Comme l’a souligné M. Johnstone :

La seule façon de changer les choses est d’offrir un statut à ces personnes, que ces personnes deviennent des résidents permanents sur la voie de la citoyenneté canadienne. C’est la seule façon d’améliorer la vulnérabilité et la précarité dans ce secteur, sans quoi nous allons continuer d’entendre ces histoires à intervalles réguliers. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 21 avril 2021)

Selon M. Hussan :

Les travailleurs migrants n’ont pas de droits directs et applicables en vertu du régime. Il n’existe aucune loi pour l’application de leurs droits et ces travailleurs n’ont aucun recours juridique pour dénoncer une violation de leurs droits. Ils n’ont pas de tribunaux vers lesquels se tourner. Emploi et Développement social Canada, EDSC, ne dispose pas non plus d’un mécanisme réel pour veiller à ce que les travailleurs obtiennent réparation pour violation de leurs droits. Le seul outil qui existe, c’est la ligne de dénonciation, mais la loi interdit à EDSC de parler aux travailleurs qui portent plainte des inspections ou de ce qui en découle. La plupart des inspections sont annoncées d’avance et il est rare que les employeurs se mettent à respecter davantage les droits de leurs travailleurs par la suite, alors ne comptons pas sur de meilleures protections pour les travailleurs. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

Même devant des témoignages aussi accablants, le rapport envisage des moyens d’élargir le recours aux travailleurs étrangers temporaires et ne propose guère de solutions pour remédier à la situation précaire que vivent nombre de travailleurs migrants. Aucune recommandation n’est formulée pour répondre à l’exigence essentielle d’assurer aux travailleurs migrants un accès égal aux mêmes droits fondamentaux que les autres résidents canadiens en s’attaquant à la dynamique du pouvoir qui découle du statut d’immigration temporaire.

Au cours de l’étude du Comité sur les répercussions de la COVID-19 sur le système d’immigration, M. Raj Sharma, partenaire de gestion, Stewart Sharma Harsanyi, a affirmé :

La COVID-19 a démontré toute l’importance des travailleurs de première ligne. Pendant la pandémie, nous continuons d’exploiter et de mettre en danger les travailleurs agricoles migrants et les nouveaux immigrants. Les personnes de couleur et les nouveaux immigrants sont touchés de manière disproportionnée par la COVID-19 parce qu’ils sont également de manière disproportionnée aux premières lignes à titre de travailleurs de la santé et de travailleurs essentiels dans le transport en commun et dans le traitement des produits de la viande et de l’agriculture. Ces travailleurs ne sont pas jetables. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 6 novembre 2020)

Les néo-démocrates reconnaissent que les employeurs ne sont pas tous abusifs. Toutefois, ils soulignent une lacune flagrante dans les mesures de protection des travailleurs migrants, qui les place en situation beaucoup plus vulnérable, comparativement à leurs homologues ayant la résidence permanente ou la citoyenneté canadienne. De plus, comme en témoigne la pandémie, en fin de compte, de la dynamique de pouvoir extrême se dégage une situation dans laquelle les travailleurs migrants craignent de soulever leurs préoccupations, sous peine de subir des représailles, et ce, même parmi les nombreux employeurs responsables. En outre, ils signalent des problèmes de compatibilité de l’approbation de leurs demandes de prestations d’assurance-emploi comparativement à celles de leurs collègues, même s’ils paient des cotisations d’assurance-emploi. Cela exacerbe le traitement de citoyens de seconde classe qui leur est réservé. S’ils n’ont pas le statut de résident permanent, ces vulnérabilités persisteront, ce qui fait que, dans de grandes parties de certains secteurs, les normes de santé et de sécurité sont plus difficiles à appliquer.

M. Hussan a demandé aux membres du Comité de :

… participer à la refonte d’un système alimentaire et d’une économie de soins plus justes. Cette société juste doit inclure un statut d’immigration complet et permanent pour tous les migrants, incluant les travailleurs agricoles, les soignants, les étudiants, les réfugiés et les sans-papiers déjà au pays, en plus d’offrir un statut d’immigrant reçu aux migrants lors de leur arrivée au pays à l’avenir. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

Presque tous les autres témoins qui représentaient les droits des travailleurs migrants appuient l’appel au statut de résident pour tous.

Comme l’a signalé M. Johnstone :

La seule façon de changer les choses est d’offrir un statut à ces personnes, que ces personnes deviennent des résidents permanents sur la voie de la citoyenneté canadienne. C’est la seule façon d’améliorer la vulnérabilité et la précarité dans ce secteur, sans quoi nous allons continuer d’entendre ces histoires à intervalles réguliers. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 21 avril 2021)

Les néo-démocrates formulent donc les recommandations suivantes :

Recommandation 1

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada défende les droits des travailleurs migrants en régularisant la situation des travailleurs qui sont sans papiers et de ceux qui n’ont pas de statut.

Recommandation 2

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada adopte une politique de régularisation des travailleurs qui sont sans papiers et accorde aux travailleurs migrants le droit d’établissement à leur arrivée.

Aides familiaux

En ce qui a trait aux aides familiaux en particulier, dans la motion de l’étude, il était expressément demandé de se concentrer sur le thème des programmes pilotes, y compris les répercussions sur les aides familiaux dans le cadre de deux programmes pilotes : le Programme pilote des gardiens ou gardiennes d’enfants en milieu familial et le Programme pilote des aides familiaux à domicile. Malgré cela, le rapport ne traite d’aucune recommandation susceptible d’avoir une incidence sur la situation précaire des aides familiaux.

La principale recommandation dans le rapport principal du Comité, qui vise à prévenir les abus, consiste à créer une voie plus large vers la résidence permanente. Celle-ci ne modifie pas la dynamique du pouvoir donnant lieu à des vulnérabilités, et peut entraîner des situations de mauvais traitements. La plupart des aides familiaux ont déjà accès à des voies vers la résidence permanente, qui ont été récemment réorganisées à maintes reprises. Le déséquilibre du pouvoir et les situations précaires continuent parce que ces voies ne permettent pas de s’attaquer en amont au cœur des problèmes qui sont à l’origine de leur vulnérabilité. Il importe de souligner que la grande majorité des membres de ce groupe est constituée de femmes de couleur qui viennent au Canada au prix de grands sacrifices personnels.  Mme Jennifer Rajasekar, directrice des Services de soutien aux nouveaux arrivants, TNO, a déclaré :

Depuis des décennies, des familles canadiennes dépendent de soignants étrangers pour garder leurs enfants, prendre soin de leurs aînés ou aider leur famille. Les soignants migrants contribuent donc à l’économie canadienne. Ces soignants offrent une aide essentielle et font des sacrifices personnels. Ils méritent le respect, la compassion et la dignité. Je vous prie de ne pas leur compliquer encore plus la tâche pour leur arrivée au pays alors qu’ils viennent pour prendre soin de familles canadiennes… Le programme demeure problématique dans la mesure où il conserve la nature temporaire du système et ne s’attaque donc pas au problème de précarité vécue par ces travailleurs. De plus, le chemin actuel vers la résidence permanente est pavé d’exigences restrictives qui représentent encore des obstacles majeurs pour les soignants. Bien que nous ayons déjà parlé de notre point de vue sur le statut de résidence permanente pour les soignants, il convient de répéter que nous croyons qu’il faut offrir un statut d’immigrant reçu aux travailleurs migrants lors de leur arrivée au pays pour s’attaquer aux problèmes inhérents du programme. La solution permanente réside dans le statut de résidence permanente. En octroyant ce statut aux soignants et à leur famille, ils pourront contribuer davantage à la société canadienne. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

En comparant l’ancien programme des aides familiaux résidents et les programmes pilotes, Mme Nicole Guthrie, des Services juridiques communautaires de Don Valley, a souligné cette question au cours de l’étude effectuée par le Comité sur les répercussions de la COVID-19 sur le système d’immigration :

Le programme linguistique pose problème… Le permis de travail ouvert transitoire n’est pas un permis de travail ouvert transitoire quand les demandeurs doivent attendre un an avant qu’il ne soit traité…

… Nous avons beaucoup de fournisseurs de soins temporaires et qui font partie de projets pilotes qui ont demandé la résidence permanente mais qui n’ont pas pu obtenir de permis de travail. Dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants antérieur, lorsqu’un demandeur avait présenté une demande, il se voyait octroyer un permis de travail. Nos clients sont dans une impasse. Bon nombre d’entre eux n’ont pas de permis de travail et ne peuvent pas changer d’employeur car ils ont été touchés par la COVID. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 30 novembre 2021)

La représentante de TNO a indiqué que, alors qu’un statut de résident permanent dès l’arrivée au Canada est nécessaire à l’examen des conditions à l’origine des dynamiques qui favorisent les abus en raison de la nature temporaire du système, en tant que mesure provisoire que l’on adopterait immédiatement en attendant de régulariser le statut des travailleurs migrants, on peut prendre des mesures particulières et immédiates pour l’élimination de certains obstacles actuels à la résidence permanente. À cet effet, elle a approuvé le rapport de la MWAC intitulé « Behind Closed Doors: Exposing Migrant Care Worker Exploitation during COVID-19 ». Nous, les néo-démocrates, proposons donc qu’IRCC mette pleinement en œuvre les suggestions sur la remise en vigueur de la précédente voie d’accès provisoire des aides familiaux à la résidence permanente, en réduisant les exigences, comme on l’explique dans le rapport de la MWAC, en rétablissant de façon modifiée le Programme provisoire des aides familiaux, dont en abaissant à 12 mois l’exigence en matière d’expérience de travail pour la faire correspondre à la catégorie de l’expérience canadienne, et en permettant aux soignants d’accumuler à la fois le travail accompli dans le volet de la garde d’enfants et dans celui des soins aux personnes ayant des besoins médicaux élevés en regard de l’exigence applicable.

Recommandation 3

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada adopte et mette immédiatement en œuvre le projet de cadre pour le Programme des aides familiaux proposé dans le rapport de la Migrant Workers Alliance of Canada intitulé « Behind Closed Doors: Exposing Migrant Care Worker Exploitation During COVID-19 » à titre de mesure provisoire, en déployant tous les efforts nécessaires pour mettre au point un système de droit d’établissement à l’arrivée.

Délais de traitement

En ce qui concerne le traitement des demandes, il est signalé dans le mémoire de TNO que :

Les données démontrent que les demandes bougeaient lentement même avant que les confinements de la COVID-19 entraînent, l’an dernier, la réduction de la capacité de traitement du ministère de l’Immigration. En raison de la pandémie de COVID-19, le traitement des demandes a ralenti à un niveau inquiétant. La plupart des aides familiaux migrants sont préoccupés par leur statut, en particulier ceux ayant un statut implicite. Selon un article paru récemment dans le Toronto Star, il y a un arriéré d’au moins 9 100 demandes de résidence permanente. Cela est de l’ordre des résultats du gouvernement en 2017, lorsqu’il arrivait que le délai atteigne cinq.

De nombreux travailleurs ayant fait leur demande en 2020 attendent toujours qu’on leur confirme que leur dossier est complet. Les demandes peuvent encore être renvoyées pour des cas mineurs de non-conformité. Des directives claires devraient être transmises aux agents afin qu’ils fassent preuve de souplesse et traitent les demandes dans les meilleurs délais. Sinon, des dossiers pourraient être renvoyés après plusieurs mois, et les aides familiaux qui bénéficiaient d’un statut implicite pourraient se retrouver sans statut. De fait, de nombreux défenseurs se disent préoccupés par l’avenir du Programme des aides familiaux au Canada. Beaucoup estiment que les exigences restrictives relatives à l’expérience professionnelle, aux études et aux compétences linguistiques pourraient entraîner la disparition progressive du Programme. Selon le même article publié dans le Toronto Star, sur une période de plus de 18 mois, aucun permis de travail n’a été octroyé dans le cadre des deux nouveaux projets pilotes. Selon les données du gouvernement, en 2019 et en 2020 (jusqu’en novembre), le ministère de l’Immigration a reçu 1 055 nouvelles demandes de permis de travail au titre des récents projets pilotes. Seules cinq demandes ont été traitées : quatre ont été retirées et une a été refusée. (The Neighbourhood Organization, mémoire, 5 mai 2021, p. 3 et 4)

Compte tenu des arriérés, et de leur caractère généralisé dans presque tous les volets d’immigration, lequel a été constaté dans le rapport du Comité sur les répercussions de la COVID-19 sur le système d’immigration, les néo-démocrates recommandent d’affecter plus de ressources au rattrapage des retards.

Recommandation 4

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada accroisse considérablement les ressources nécessaires pour permettre de résorber les arriérés causés par la COVID-19, de combler l’absence de permis de travail émis dans le cadre des programmes pilotes des aides familiaux, de favoriser le traitement prioritaire des demandes des travailleurs migrants qui ont actuellement un statut implicite, de prévenir le renvoi des duplesse quant au traitement des demandes.

Exigences des tests linguistiques

Une autre question constamment soulevée par les témoins est les exigences linguistiques de plus en plus strictes. Dans son rapport principal, IRCC le reconnaît à plusieurs reprises, mais ne fournit pas de recommandations pour y remédier.

Selon Mme Rajasekar :

[... d] epuis 2014, le programme des nouvelles voies d’accès exige que les aides familiaux atteignent un niveau de compétence linguistique pour être admissibles à l’immigration permanente au Canada. Pour de nombreux aidants familiaux, cela crée des obstacles importants à l’accès au statut de résident permanent. Ceux-ci demandent au gouvernement d’éliminer l’exigence selon laquelle ils doivent avoir fait au moins un an d’études postsecondaires au Canada, et de supprimer l’exigence de réussite du test de langue anglaise avant qu’ils puissent obtenir la résidence permanente. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

Le fait est que les travailleurs migrants ont fait la preuve qu’ils pouvaient communiquer assez efficacement pour mener à bien leurs tâches. Mme Vilma Padaguan, travailleuse dans le domaine de l’établissement, a signalé les mesures différenciées et l’effet discriminatoire qu’ont les différences entre les exigences relatives aux tests :

Je trouve que les critères de scolarité et les exigences linguistiques sont très discriminatoires. Vous remarquerez que les emplois du programme pilote sur l’agroalimentaire et du programme de l’Atlantique n’exigent pas de compétences élevées et se situent dans la catégorie C de la Classification nationale des professions, tout comme les emplois d’aides familiaux, mais ces deux programmes pilotes exigent seulement des études secondaires, tandis que les aides familiaux doivent avoir au moins une année d’études postsecondaires. Pour les deux projets pilotes, les exigences linguistiques correspondent au niveau 4 des NCLC, tandis que les aides familiaux doivent atteindre le niveau 5. La plupart de ces aides familiaux sont des femmes, des femmes de couleur et des femmes de pays de l’Asie du Sud-Est. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 26 avril 2021)

Mme Palanqui a également ajouté :

Je pense qu’il suffit d’appliquer le principe du travail « assez bon » et du travailleur « assez bon pour rester ». Ces travailleurs sont capables de prodiguer des soins et de travailler. Ces exigences sont des barrières supplémentaires inutiles qui n’ont absolument rien à voir avec leur aptitude à faire le travail. Je pense qu’elles devraient être éliminées. (CIMM, Témoignages, 2e session, 43e législature, 12 avril 2021)

Ces préoccupations sont communiquées dans le rapport de la MWAC intitulé Behind Closed Doors: Exposing Migrant Care Worker Exploitation during COVID-19. Par conséquent, les néo-démocrates soutiennent l’appel de la MWAC et de TNO et font la recommandation suivante.

Recommandation 5

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada élimine l’exigence de test de langue anglaise que doivent réussir les travailleurs migrants avant de pouvoir obtenir la résidence permanente.

Mesure de responsabilisation

Dans le cadre de l’étude précédente sur les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur le système d’immigration, plusieurs témoins ont réclamé la création d’un poste d’ombudsman chargé de soutenir ceux qui passent par les différentes étapes de la procédure d’immigration. M. David Edward-Ooi Poon, fondateur de Faces of Advocacy, a maintenu que, en plus de permettre aux demandeurs d’IRCC d’obtenir de l’information et de régler leurs différends avec le Ministère, un ombudsman pourrait aussi effectuer des vérifications générales des activités d’IRCC. Ce n’est pas très différent de la structure de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes, dont relève le traitement des plaintes, et qui peut mettre en œuvre des examens du système afin de formuler des recommandations concernant la création d’un processus plus juste et la protection des droits fondamentaux de ceux qui viennent au Canada. C’est pourquoi, afin d’accroître la transparence et la responsabilisation du système d’immigration, les néo-démocrates tiennent à réitérer la recommandation ci-dessous, qui figure dans le rapport sur les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur le système d’immigration:

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada adopte un projet de loi prévoyant la création d’un poste d’ombudsman de l’immigration, qui sera chargé de superviser Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et de recevoir les plaintes à son égard.

Conclusion

Les néo-démocrates sont très inquiets par le fait que l’on n’examine pas des mesures permettant de remédier aux vulnérabilités pour les travailleurs migrants que la pandémie a permis de mettre en lumière. Le gouvernement du Canada a admis à plusieurs reprises que ces travailleurs étaient essentiels, mais ils sont traités comme des citoyens de seconde classe. Le rapport du Comité porte principalement sur la perpétuation de la dépendance à l’égard des travailleurs temporaires, mais on n’y recommande pas de mesures qui permettraient d’éviter de manière significative le déséquilibre du pouvoir qui crée d’abord les vulnérabilités auxquelles font face les travailleurs migrants, notamment ceux qui sont actuellement en voie d’obtenir la résidence permanente. La nature temporaire de la stratégie en matière de travailleurs étrangers demeure préoccupante et met en lumière l’importance de l’obtention du statut de résident permanent à l’arrivée. Cette idée n’est pas nouvelle : c’était l’approche du gouvernement en matière d’immigration il y a plus de 40 ans. Tant qu’on n’aura pas changé les choses, les travailleurs resteront à la merci des abus, et disposeront de peu de recours.