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FEWO Rapport du Comité

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RAPPORT DISSIDENT DU PARTI LIBÉRAL DU CANADA :

LES TROUBLES DE L’ALIMENTATION CHEZ LES FILLES ET LES FEMMES AU CANADA

Kirsty Duncan, députée d’Etobicoke‑Nord

INTRODUCTION

Par le présent rapport dissident, nous tenons d’abord à remercier tous les témoins ayant comparu devant le Comité. Plusieurs d’entre eux vivaient ou avaient vécu avec un trouble de l’alimentation, et beaucoup prodiguaient des soins. Ils ont aussi été nombreux à partager des moments souvent difficiles de leur vie dans le but de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie d’autres Canadiens. Avec ce rapport, nous rendons hommage à la compassion et au courage dont ils ont fait preuve ainsi qu’à leur désir profond de changements réels.

Nous voulons aussi exprimer notre gratitude aux nombreux travailleurs et organismes œuvrant dans le domaine de la santé, venus témoigner au nom de ceux qu’ils traitent et avec qui ils travaillent afin de réclamer plus d’aide pour les Canadiens souffrant de troubles de l’alimentation.

Il est regrettable que, dès le début, cette étude ait pris la forme d’un exercice politique destiné à amadouer un certain électorat – pour faire croire que des mesures allaient être prises. Les Canadiens sont en droit de demander pourquoi le gouvernement, qui a la majorité au Comité permanent de la condition féminine, a relégué les troubles de l’alimentation au second plan. En effet, les troubles de l’alimentation constituent de graves problèmes de santé mentale et ils auraient dû être étudiés par le Comité permanent de la santé. La triste réalité, c’est que l’anorexie mentale est associée au taux de mortalité le plus élevé parmi toutes les maladies mentales. Les femmes souffrant d’anorexie courent 12 fois plus de risques de mourir que les autres femmes du même âge qui ne sont pas atteintes de ce trouble.

Les Canadiens devraient aussi savoir que même si les jeunes femmes sont exposées à un risque élevé et qu’elles ont tendance à être plus touchées par les troubles de l’alimentation, un nombre croissance de garçons et d’hommes souffrent des mêmes maux. En effet, une vaste étude américaine portant sur des enfants âgés de 9 à 14 ans a révélé que 13,4 % des filles et 7,1 % des garçons présentaient des troubles du comportement alimentaire.

Bien que le rapport reflète fidèlement les témoignages, il est profondément frustrant de voir qu’il fait l’impasse sur les recommandations majeures formulées par les témoins, à savoir : 1) que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces, les territoires et les intervenants concernés afin d’élaborer une stratégie pancanadienne de lutte contre les troubles de l’alimentation prévoyant, entre autres, le diagnostic précoce et l’accès à la gamme complète des soins requis; 2) d’établir un registre national; 3) de lancer un programme de recherche exhaustif.

Qui plus est, trois verbes ressortent souvent dans ce rapport : « envisager », « encourager » et « reconnaître ». En effet, sur les 25 recommandations, huit appellent le gouvernement à « envisager » et six autres lui demandent soit d’« encourager » soit de « reconnaître »; autant dire que dans 14 des 25 recommandations – soit dans 56 % d’entre elles –, on demande au gouvernement de ne prendre absolument aucune mesure. Cela ne reflète pas du tout les déclarations des témoins qui ont sollicité instamment de vrais changements.

La recommandation 4 est tout simplement redondante, puisqu’elle demande au gouvernement de faire quelque chose dont les fonctionnaires ont déjà pleinement conscience. La recommandation 7 aussi est redondante, car j’ai informé le Comité que j’avais appelé personnellement la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), l’été dernier, lorsque j’ai appris que les processus de consultation ne prévoyaient rien sur la question des troubles de l’alimentation. La CSMC s’est engagée à prendre contact avec les organismes œuvrant en faveur des personnes atteintes de troubles de l’alimentation, et elle a d’ailleurs assuré un suivi téléphonique. La recommandation 9 est purement politique, parce qu’elle ne reconnaît qu’un seul groupe de défense des intérêts des personnes souffrant de troubles de l’alimentation. Mais ce qu’il y a de plus déconcertant encore, c’est qu’on ne reconnaît pas, dans cette recommandation, que les groupes de défense ont besoin de financement, ce que les témoins nous ont pourtant répété à de multiples reprises.

Ce gouvernement invoque toujours les obstacles juridictionnels pour justifier son inaction en matière de santé, bien qu’il ait la capacité de réunir les provinces et les territoires afin de discuter de moyens d’action. Pourtant, il veut : 1) encourager les établissements d’enseignement à promouvoir la littératie des médias auprès des enfants, alors qu’il n’en a pas la compétence (recommandation 2); 2) veiller à ce que les programmes de formation médicale comprennent suffisamment d’information sur les troubles de l’alimentation (recommandation 8), alors que, là non plus, il n’a pas compétence en la matière; 3) mieux faire comprendre les troubles de l’alimentation dans le domaine des soins de santé (recommandation 11).

Il est extrêmement décevant que les recommandations 13, 23 et 25, qui pourraient toutes permettre d’aider véritablement les personnes atteintes de troubles de l’alimentation et leur famille, aient été édulcorées pour n’être réduites respectivement qu’à « encourager », « envisager de considérer » et « encourager à examiner ».

Bref, le rapport maintient le statu quo et omet de reprendre les recommandations des témoins, d’où la nécessité du présent rapport dissident.

Si, selon le gouvernement, le statu quo est acceptable et fonctionne, pourquoi, alors, une si longue étude et un rapport aussi volumineux ont-ils été nécessaires? À quoi a-t-il servi que je passe mon été à m’occuper de cas de personnes souffrant de troubles de l’alimentation en danger de mort qui m’avaient été signalés par des organismes de défense et des parents ayant désespérément besoin d’aide?

Ce rapport aurait pu être beaucoup plus percutant s’il avait contenu des recommandations visant à s’attaquer véritablement aux troubles de l’alimentation – au lieu de se contenter de « formules ambiguës » qui n’appellent pas à des interventions absolument nécessaires.

Dans sa forme actuelle, le rapport ne renferme que 6 recommandations sur 25 (soit les recommandations 15, 16, 17, 19, 20 et 22) susceptibles de briser le statu quo et d’enclencher de vrais changements.

CE QUE LES TÉMOINS ONT DEMANDÉ

Les Canadiens atteints de troubles de l’alimentation et les professionnels de la santé ont demandé que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces, les territoires et les intervenants concernés au développement d’une base de données centralisée de programmes de traitement. Ils ont aussi demandé qu’il travaille avec ses homologues provinciaux et territoriaux afin de relever les défis liés au traitement des troubles de l’alimentation, comme le nombre insuffisant et la distribution inégale des programmes à l’échelle du pays, les délais d’attente excessifs et l’absence de normes canadiennes de traitement fondées sur la recherche.

Les Canadiens vivant avec un trouble de l’alimentation et leur famille ont demandé des ressources pour les aider à naviguer et à s’orienter dans le monde déroutant et écrasant dans lequel ils sont pris. Les familles et les professionnels de la santé ont réclamé la création d’équipes multidisciplinaires et des solutions pour faire face au coût très élevé des traitements.

Les praticiens et les chercheurs en santé ont plaidé en faveur de l’établissement d’un registre national sur les troubles de l’alimentation et de l’élimination des lacunes touchant la collecte et l’analyse des données afin d’obtenir une bonne vue d’ensemble de l’incidence et de la prévalence de ces graves problèmes de santé mentale.

Les familles réclament une campagne d’information afin de sensibiliser les professionnels et d’autres groupes désignés par les intervenants à ces problèmes. Leur but est de mieux faire comprendre les troubles de l’alimentation ainsi que les difficultés et les conditions auxquelles les personnes concernées sont confrontées, et de combattre les stéréotypes et la stigmatisation associés à ces troubles. Partout au Canada, des parents s’inquiètent pour la santé de leurs enfants, mais ils craignent aussi de perdre leur emploi et même leur logement.

De plus, tous les intervenants ont demandé la mise sur pied d’une campagne d’information sur la santé et le bien-être afin de promouvoir une image positive de soi pour se protéger contre les troubles de l’alimentation, campagne qui inclurait un volet sur la littératie médiatique pour contrer un idéal inatteignable de beauté et de minceur.

Les praticiens et les chercheurs en santé ont demandé également que le gouvernement envisage la création d’une chaire nationale de recherche sur les troubles de l’alimentation et qu’il augmente le financement de la recherche dans ce domaine.

En février, le gouvernement de l’Ontario a annoncé le lancement dans la province du premier programme à long terme financé par des fonds publics de traitement en clinique interne des troubles de l’alimentation – qui prévoit pour l’instant la mise à disposition de 12 lits pour traiter des enfants et des adolescents. Cela signifie qu’au moins quelques Ontariens souffrant de ce genre de troubles ne seront plus forcés d’aller à l’étranger pour obtenir des soins privés et de revenir ensuite au pays sans pouvoir bénéficier d’un suivi adéquat. Mais qu’en est-il, par exemple, des provinces de l’Atlantique et des Prairies?

QUESTIONS EN SUSPENS

Les Canadiens se demanderont pourquoi les coûts économiques et humains astronomiques des troubles de l’alimentation (et la façon dont ils se comparent aux maigres investissements en recherche) ne sont pas mentionnés dans le rapport. Cela inclut les coûts hebdomadaires non couverts des rendez-vous chez les psychologues et les nutritionnistes, et le fait de ne pouvoir travailler ou se loger correctement. Quels coûts les troubles de l’alimentation font-ils peser sur le système de soins de santé?

Les Canadiens sont aussi en droit de se demander pourquoi sur les 4 100 psychiatres que compte le Canada, seulement 12 sont spécialisés dans les troubles de l’alimentation; et pourquoi chaque province canadienne n’offre pas un ensemble complet de soins pour traiter les troubles de l’alimentation – depuis les soins ambulatoires jusqu’aux soins à long terme d’hospitalisation en résidence.

CONCLUSION

Malheureusement, peu de choses ont changé depuis 25 ans. Les Canadiens souffrant de troubles de l’alimentation et leur famille sont toujours aux prises avec des difficultés. Les garçons et les filles, les jeunes hommes et femmes s’entendent dire encore qu’ils ont le choix et qu’ils n’ont qu’à se nourrir. On continue de blâmer les parents, et les familles ne cessent de réclamer des programmes de sensibilisation qui permettraient aux professionnels de la santé de première ligne de reconnaître les troubles de l’alimentation, d’intervenir rapidement et de donner accès aux soins.

It est impensable que de nos jours les familles se demandent encore vers qui se tourner pour trouver de l’aide, alors que nous savons qu’un diagnostic et un accès précoces aux soins de santé permettent d’accroître considérablement les chances de guérison. Si les troubles de l’alimentation ne sont pas détectés ou traités dès leurs premières manifestations, ils deviennent chroniques, débilitants et peuvent même engager le pronostic vital.

Pour toutes ces raisons, les Canadiens atteints de troubles de l’alimentation et leur famille attendent beaucoup du rapport du Comité permanent de la condition féminine sur les troubles de l’alimentation. Ils veulent savoir si leurs plaidoyers ont bien été entendus et si des recommandations concrètes seront émises pour aider les familles en difficulté — parce que le statu quo est inacceptable.

On ne peut réaliser de progrès tangibles, dans la lutte contre les troubles de l’alimentation, sans une volonté politique d’agir. Or, ce rapport manque de recommandations de fond donnant une orientation claire au gouvernement.