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SSLR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 033 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 30 mai 2005

[Enregistrement électronique]

  (0905)  

[Traduction]

Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)):
    À l'ordre, s'il vous plaît. Je déclare ouverte cette 33e séance du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile.
    Bienvenue à Ottawa.
    Nous approchons de la fin de nos audiences publiques avec témoins. Vous tous avez comparu devant nous dans le cadre de nos audiences, et nous vous sommes reconnaissants de vos témoignages. Nous vous avons demandé de revenir nous voir pour nous aider avec l'orientation de notre rapport. Certains d'entre vous ont des opinions très différentes, alors cette séance fera peut-être un petit peu fosse aux ours, mais ce sera peut-être un petit peu poli.
    Nous aimerions que vous nous fassiez des topos d'environ cinq minutes, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Nous vous avions au préalable fourni des ébauches de questions afin de vous aider dans votre réflexion. Nous laisserons alors les témoins s'interroger les uns les autres ou demander des éclaircissements et, encore une fois, l'objet de cette table ronde est d'avoir une discussion amicale, et c'est là mon espoir.
    Nous allons suivre l'ordre qui figure sur la liste que j'ai ici. Le premier témoin sera donc Jennifer Clamen, de la Coalition pour les droits des travailleurs et travailleuses du sexe.
    Jennifer.
Mme Jennifer Clamen (membre et coordonnatrice du Forum XXX, Coalition pour les droits des travailleurs et travailleuses du sexe):
    Merci.
    Je suis ici aujourd'hui en tant que représentante des nombreux rôles qui me reviennent en tant que militante dans le mouvement en faveur des droits des travailleurs du sexe. Je suis surtout ici aujourd'hui en tant que coordonnatrice du Forum XXX que nous avons récemment tenu à Montréal.
    Le Forum XXX a réuni quelque 250 travailleurs du sexe du Canada et de l'étranger, notamment de Nouvelle-Zélande, de Suède, d'Inde, de France, d'Argentine et de nombreux autres pays. Notre objectif était de partager des stratégies, y compris dans le cadre d'une discussion au sujet de réformes législatives. Il en a résulté une voix unie contre la criminalisation des travailleurs du sexe et en faveur de la décriminalisation de notre travail et de nos vies.
    Mon témoignage ici est appuyé par les 250 travailleurs du sexe du Forum XXX. Le comité a jusqu'ici entendu parler de divers contextes législatifs et recommandations en vue de réformes législatives, certaines recommandées par des gens dans l'industrie, mais pas toutes. Il y a un consensus voulant que la criminalisation des travailleurs du sexe est dangereuse et refuse à ces derniers leurs droits humains fondamentaux. Même ceux qui cherchent à abolir le commerce du sexe sont de cet avis. Ceci a ramené le débat du comité à deux modèles recommandés seulement : premièrement, la décriminalisation des clients, également appelée le modèle suédois; et, deuxièmement, la décriminalisation du travail du sexe—le modèle suédois.
    La semaine dernière, des membres du forum ont eu le plaisir de rencontrer un certain nombre de travailleurs du sexe de Suède, qui leur ont livré des tableaux vécus des effets du modèle suédois sur leurs vies et leur travail. Johannes, un travailleur du sexe en Suède, a rapporté que le modèle n'est pas « très préoccupé par les travailleurs du sexe en tant qu'êtres humains, s'intéressant davantage à l'abolition de la prostitution en tant qu'idée ». J'invite le comité à faire un examen critique du modèle sur la base des faits qui suivent relatifs au modèle suédois depuis son instauration.
    Un grand nombre de femmes ont, depuis, été obligées de quitter la rue et de travailler dans des bordels illégaux. La police a utilisé des caméras vidéo pour harasser des clients et obtenir des preuves, violant ainsi l'intégrité des travailleurs du sexe. Les clients sont devenus plus agressifs et nombre des soi-disant « bons clients » se sont tournés vers les travailleurs « d'intérieur », laissant aux travailleurs de rue les clients qui ont déjà un casier judiciaire et qui se préoccupent moins de la santé et de la sécurité des travailleurs du sexe. Les travailleurs du sexe sont de ce fait exposés à davantage de violence. Enfin, la police est à la recherche de condoms comme éléments de preuve, ce qui incite fortement les travailleurs du sexe à ne pas en porter sur leur personne.
    Certains recommandent la décriminalisation des travailleurs du sexe mais la criminalisation des clients comme compromis à la décriminalisation de toute l'industrie du sexe. L'on parle alors souvent de décriminalisation partielle. Le comité doit tenir compte des dangers auxquels continuent d'être confrontés les travailleurs du sexe dans le modèle suédois et reconnaître qu'il ne s'agit pas d'une position équilibrée. Cela crée davantage de violence et davantage de dangers tant pour les travailleurs du sexe que pour leurs clients.
    Un thème majeur tout au long du forum et parmi les 250 membres réunis a été un consensus écrasant voulant que les travailleurs du sexe et leur travail ne soient pas criminalisés et que tous les articles du Code criminel en matière de prostitution soient révoqués. L'une des histoires les plus inspirantes et les plus porteuses d'espoir que nous ayons entendues était le récit de Catherine Healey, de la New Zealand Prostitutes Collective, et dont le pays a récemment décriminalisé la prostitution. Elle nous a rapporté ce qui suit.
    En juin 2003, la Prostitution Reform Act a été adoptée par le Parlement néo-zélandais. Tous les articles du Code criminel portant sur la prostitution ont été révoqués. L'objet de la nouvelle loi, tout comme celui de nos revendications ici aujourd'hui, était de permettre aux travailleurs du sexe de tous les secteurs de travailler légalement sans entrave et d'éviter la création d'un secteur illégal à l'intérieur du commerce du sexe. Certains des droits de la personne ont, depuis, été rétablis pour les travailleurs du sexe.
    Les travailleurs de la rue, qui sont souvent déshumanisés dans le contexte de la réforme des lois et qui se voient qualifiés de victimes ou de menaces, peuvent maintenant travailler dans la rue. Ils ne sont plus obligés de travailler dans l'ombre et ils ne sont pas ghettoïsés ni enfermés dans des zones industrielles. Les travailleurs du sexe sont moins harcelés par la police et ont accès à la protection policière. Le ou la travailleur du sexe n'a pas à s'enregistrer ni à obtenir une autorisation ou une licence auprès des autorités avant de pouvoir travailler. Cela évite aux travailleurs du sexe d'être inutilement contrôlés par les autorités. Les travailleurs du sexe ne sont assujettis à aucun examen obligatoire. Ils ne sont pas assujettis à des lois qui servent de mécanismes de contrôle. Ils sont libres de travailler en groupe ou de façon autonome.
    La réaction à la présentation de Catherine a été très inspirée et les membres canadiens du Forum XXX en particulier avaient espéré que notre gouvernement suive le bon exemple du gouvernement néo-zélandais en matière de droits et de libertés civils.
    Dans un autre registre, j'oeuvre présentement à la recherche en vue de ma thèse de maîtrise avec un groupe de réflexion de 12 travailleurs du sexe. Nous cherchons à définir la décriminalisation et ce qui s'ensuivrait. Beaucoup de notre discussion et de nos recommandations détaillées trouvent leur écho dans la réforme législative néo-zélandaise et pourraient être résumées dans les principes directeurs que voici.
    Il est impératif que la réforme législative repose sur une collaboration—c'est-à-dire un leadership—avec les travailleurs du sexe.
    Il ne devrait être adoptée aucune loi qui viendrait encore davantage limiter les droits et libertés civils des travailleurs du sexe. Par exemple, le zonage ghettoïserait les travailleurs du sexe et les examens obligatoires les contrôleraient.
    S'il devait y avoir une quelconque réglementation de l'industrie, celle-ci devrait être structurée et axée autour des besoins des travailleurs du sexe—par exemple, par un comité de réglementation du travail du sexe. Les lois ou conditions imposées ne devraient pas être plus strictes ni plus contraignantes que la réglementation applicable à d'autres métiers.
    La réforme devrait reposer sur les droits et libertés civils et non pas sur le moralisme.
    Les modèles de réforme devraient tenir compte de tous les aspects de l'industrie.

  (0910)  

    Il est généralement convenu que des changements législatifs ne viendront pas contrer les stigmates, la discrimination et la violence auxquels se trouvent confrontés les travailleurs du sexe. Tant et aussi longtemps que le public continue d'ignorer les témoignages de ceux et celles qui travaillent présentement dans le commerce du sexe, la discrimination et la violence systémiques à l'endroit des travailleurs du sexe continueront du fait de sa croisade morale.
    Cela fait longtemps que les travailleurs du sexe et groupes de travailleurs du sexe éduquent le public au sujet du travail du sexe—ce que c'est, ce que ce n'est pas—et ils ont porté les droits des travailleurs du sexe bien au-delà du combat en vue d'obtenir des changements législatifs. Nous luttons quotidiennement contre le stigmate de nos vies personnelles et collectives et contre les attaques violentes lancées par les croisés moraux contre notre lutte en faveur des droits de la personne. Il nous faut dépasser le contexte du service social et éduquer les gens au sujet du travail du sexe.
    Les 250 travailleurs du sexe du Forum XXX ont plusieurs recommandations visant à changer les attitudes de la société par le biais d'initiatives d'éducation du public menées par les travailleurs du sexe.
    Premièrement, il importe de lutter contre les programmes de rééducation des clients qui diabolisent les hommes et déshumanisent les travailleurs du sexe. Ces programmes perpétuent la violence.
    Il importerait d'exiger des forces policières une reddition de comptes. Les services de police doivent être tenus responsables de la violence qu'ils font aux travailleurs du sexe et des abus de droits de la personne que subissent entre leurs mains les travailleurs et travailleuses du sexe.
    Il importe également d'assurer la représentation et l'inclusion des travailleurs du sexe.
    Il convient d'utiliser un langage qui représente les besoins des travailleurs du sexe. Par exemple, les travailleurs du sexe n'ont pas le sentiment d'être victimes; or, c'est ce qu'on le leur dit à répétition. Imposer aux travailleurs du sexe un cadre de victimisation est néfaste et destructeur.
    Il faut également concevoir le travail du sexe comme du travail, et non pas comme un problème social.
    Enfin, il importe d'aborder les problèmes d'abus de substances, de sans-abrisme, de pauvreté et de racisme comme étant des problèmes sociaux en soi. Traiter de ces problèmes par le biais du travail du sexe trahit la nature systémique et généralisée de ces problèmes.
    La plupart des travailleurs et travailleuses du sexe et des militants conviendraient que les travailleurs du sexe, comme tous les autres travailleurs, méritent des possibilités d'avancement et d'éducation. Les programmes de sortie conçus et financés en vue d'encourager les travailleurs du sexe à changer de métier minent ce que font les travailleurs du sexe. De la formation est requise pour les personnes qui veulent entrer dans, demeurer dans et quitter le commerce du sexe. Les travailleurs du sexe n'ont pour ce faire pas besoin d'une programmation ou d'une déprogrammation spéciale.
    La plupart des groupes qui mettent l'accent sur la sortie sont également antiprostitution. Il n'est par conséquent pas recommandé de financer ou d'encourager ces programmes néfastes. À l'inverse, les travailleurs du sexe devraient avoir librement accès, sans stigmatisation, à des services de placement et de formation qui tiennent compte des compétences qu'ils ont acquises dans le cadre de leurs activités en tant que travailleurs du sexe.
    Je vais conclure avec une chose qui nous a frappés, mes collègues et moi-même, l'autre jour. Le Globe and Mail de jeudi a balancé sur la première page les visages de 27 travailleuses du sexe vancouveroises assassinées. Aussi horrible soit ce tableau, il m'a rappelé le pourquoi de ma présence ici aujourd'hui. Le sous-comité ici réuni a été chargé de veiller à ce que les travailleurs et travailleuses du sexe, en tant que citoyens, ne se voient plus refuser leurs droits de la personne. Ce cas de violence extrême à Vancouver n'est qu'un exemple d'abus de droits de la personne, abus qui n'aurait pas été toléré s'il avait été commis à l'endroit d'une quelconque autre communauté. Le gouvernement et le public seront complices de cette violence tant et aussi longtemps que nous encourageons une vision moralisatrice et déshumanisante et des travailleurs et travailleuses du sexe et de leur travail. Les travailleurs du sexe ne peuvent pas voyager, ne peuvent pas jouir de la protection de la police et ne peuvent pas vivre en sécurité dans leurs communautés par suite de ces lois.

  (0915)  

Le président:
    Jennifer, je vous demanderais de boucler d'ici 30 secondes environ.
Mme Jennifer Clamen:
    Il me reste une seule phrase à prononcer.
    Nous encourageons notre gouvernement à envisager la Nouvelle-Zélande comme modèle de réforme de la loi en matière de travail du sexe.
    Les travailleurs du sexe sont ici, se dévoilent et revendiquent leurs droits. Les travailleurs du sexe font partie de cette société. Nous sommes des électeurs, nous sommes des travailleurs et, avant tout, nous sommes des êtres humains.
Le président:
    Merci beaucoup.
    Rene Ross, de Stepping Stone.
Mme Rene Ross (présidente, Stepping Stone):
    Bonjour, tout le monde, et merci beaucoup de m'avoir invitée ici pour représenter Stepping Stone.
    J'ai une question à poser avant de commencer. À votre connaissance, y a-t-il parmi les témoins ici présents des travailleurs du sexe ou d'anciens travailleurs du sexe?
Le président:
    Oui.
Mme Rene Ross:
    Vu le temps dont nous disposons, je vais vous faire un simple survol de ce que fait Stepping Stone. Je suis convaincue qu'au fil de la matinée les positions et opinions de Stepping Stone seront rendues des plus claires.
    En prévision de la réunion, j'ai fait de la recherche, comme c'est d'ailleurs le cas de tous les membres du conseil d'administration. J'ai eu une rencontre avec nombre des utilisateurs de notre programme, une réunion très informelle autour de la table de cuisine à la maison la semaine dernière. Je leur ai soumis la question que vous nous avez posée et le gros de ce dont je vais vous entretenir aujourd'hui est inspiré de leurs réactions, de leurs réponses, et de ce qu'ils aimeraient voir.
    Stepping Stone est une organisation dirigée par les utilisateurs et qui a pour objet d'aider les personnes actives dans le commerce du sexe en contribuant à leur santé, à leur sécurité et à leur bien-être. Notre programme est implanté dans le quartier nord de Halifax et ses clients sont des femmes et des hommes qui sont présentement actifs dans le commerce du sexe ou qui l'ont été. L'association Stepping Stone est une organisation apolitique qui ni ne prône la prostitution, ni n'appuie nécessairement l'industrie du commerce du sexe. Nous reconnaissons les réalités socio-économiques auxquelles est confrontée notre population cible et c'est pourquoi nous ne nous immisçons pas dans le travail des utilisateurs de notre programme, pas plus que nous ne tentons de stopper cette activité. Nous venons en aide aux clients de notre programme en rendant leurs choix de vie aussi sûrs que possible.
    Stepping Stone a été établi suite au meurtre de trois travailleurs du sexe en 1985. Nous continuons d'être appuyés par les membres de la communauté préoccupés par la santé et la sécurité des nombreux hommes et femmes qui sont actifs dans le commerce du sexe. Nous cherchons à les protéger et à leur offrir ressources, solutions et soutien général. Tous les Canadiens devraient jouir des droits humains fondamentaux que sont la santé, la sécurité et l'indépendance économique, et le principe fondateur de Stepping Stone est de veiller à ce que cette population marginalisée soit elle aussi protégée dans le cadre de ces droits.
    Un programme central qui existe à l'intérieur du cadre organisationnel de Stepping Stone est notre programme de services d'extension de rue. Grâce à cette initiative, le personnel assure l'extension aux usagers du programme en établissant un contact direct, en fournissant des renseignements en matière de santé et de recours, en distribuant des condoms et en fournissant des renseignements sur les listes de mauvais clients.
    La maison de Stepping Stone est une halte-accueil non résidentielle qui offre aux usagers du programme la sécurité et la possibilité de s'abriter de la rue. Des services de counselling individualisés, des activités de loisirs, des ateliers sur la santé et la sécurité et l'accès à des ordinateurs sont quelques-uns des services que nous offrons à ces personnes.
    Nous recevons une merveilleuse aide de nos partenaires communautaires. Des infirmières autorisées et des travailleurs de soutien de services de lutte contre la toxicomanie viennent également rendre visite aux utilisateurs du programme à la maison. Le travail et l'orientation stratégique de Stepping Stone fonctionnent plutôt bien. Il est dommage que nous soyons la seule organisation du genre dans les provinces de l'Atlantique, étant donné surtout l'expansion que connaît le commerce du sexe à l'échelle des Maritimes. Nous voyons beaucoup d'hommes et de femmes des régions rurales des provinces de l'Atlantique se lancer dans le commerce du sexe.
    Les clients du programme aimeraient voir révoquées toutes les lois en matière de communication et de prostitution. Les seules lois qu'ils aimeraient voir en place sont celles visant les proxénètes et ceux qui exercent un contrôle sur leur vie. Ce ne sont pas tous les clients de notre programme qui ont travaillé pour des souteneurs, mais c'est le cas de nombre d'entre eux, et ils m'ont dit la semaine dernière que ceux-ci ont été une force destructrice dans leur vie. Il est également extrêmement important que nous placions la réduction des préjudices avant la punition et que nous améliorerions la communication avec la communauté du droit pénal, et notamment les détachements de police, là où nous voyons des femmes se faire re-victimiser. Cela aggrave en fait de beaucoup la situation pour notre communauté en général : les femmes craignant l'arrestation, elles s'aventurent dans d'autres quartiers des collectivités et aboutissent dans les zones résidentielles. Je suis certaine que je pourrai aborder cela plus dans le détail, mais ce sont là nos recommandations clés et un aperçu de ce que fait Stepping Stone.

  (0920)  

Le président:
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre Mme Mooney des Aboriginal Legal Services of Toronto.
Mme Maurganne Mooney (membre, Aboriginal Legal Services of Toronto):
    Bonjour.
    En plus d'adopter des mesures législatives visant la pleine décriminalisation de la prostitution, il faut élaborer des programmes sociaux qui répondent aux besoins des Autochtones travaillant dans l'industrie du sexe. La majorité des femmes autochtones qui travaillent dans l'industrie du sexe le font à temps partiel et elles se livrent à la prostitution de survie. L'Organisation nationale anti-pauvreté signale que près de la moitié des Autochtones, soit 47,2 p. 100, gagnent moins de 10 000 $ par année comparativement à près du quart de tous les Canadiens.
    J'aimerais également parler de la question des interventions policières excessives. On croit depuis longtemps dans la société non autochtone que les femmes autochtones ont de mauvaises moeurs et changent fréquemment de partenaire sexuel. On véhicule également le stéréotype de l'Autochtone ayant de graves problèmes de consommation d'alcool. Les femmes autochtones sont fréquemment arrêtées par la police et accusées de communication à des fins de prostitution simplement parce qu'elles sont Autochtones. C'est là un exemple d'intervention policière excessive à l'égard des Autochtones.
    Si les interventions policières à l'endroit des Autochtones peuvent être excessives, notamment dans le cas d'infractions relativement mineures telles que la prostitution, elles peuvent également être insuffisantes lorsque des infractions graves contre des Autochtones ne sont pas prises au sérieux et ne font pas l'objet d'enquête. Les Autochtones sont souvent considérés comme des victimes peu importantes. Ajoutons à cela les préjugés relatifs aux moeurs légères des femmes autochtones et l'on obtient trop souvent des tragédies comme celle du meurtre de Helen Betty Osborne, pour lequel la GRC n'a pas fait un travail d'enquête suffisant. À cet égard, le rapport intitulé On a volé la vie de nos soeurs, publié récemment par Amnistie Internationale et l'Association des femmes Autochtones du Canada, indique que les interventions policières insuffisantes sont toujours un grave problème pour les collectivités autochtones en général et les femmes autochtones en particulier. En ce qui concerne la ferme porcine, il convient de souligner que 60 p. 100 des cadavres étaient ceux de femmes autochtones, alors je suis reconnaissante d'être ici et d'être une voix pour ces femmes autochtones.
    Il ne peut y avoir de véritable changement aux pratiques législatives et aux programmes sociaux qui ont une incidence sur la vie des travailleuses du sexe si l'on ne comprend pas en quoi la situation actuelle prive les prostituées des droits humains fondamentaux dont jouissent les autres citoyens du pays. Rien en peut justifier l'imposition du sectarisme et de la misogynie. Que vous soyez ou non en faveur de la prostitution, que vous soyez prêt à vous y livrer ou non, il doit y avoir des lois et des mesures de soutien pour protéger les droits de la personne de chaque canadien.
    Le tout premier droit de la personne qui est violé dans le cas des prostituées est le droit à la vie. Les prostituées sont fréquemment assassinées. Leur meurtre est généralement considéré comme étant moins grave que celui d'autres personnes ainsi que le prouve le fait que, bien souvent, les coupables ne sont ni recherchés, ni trouvés, ni traduits en justice. Je pense que c'est ce qui s'est passé dans le cas de l'exploitation porcine.
    Nos recommandations sont les suivantes.
    Premièrement, la démarche législative du gouvernement fédéral devrait être celle de la décriminalisation de la prostitution. Il faudrait à cet égard supprimer les articles 210, 211, 212 et 213.
    Deuxièmement, la police doit faire enquête dans les cas de femmes autochtones disparues ou tuées. Elle doit être tenue responsable de l'incompétence manifestée dans ces affaires, et si l'on soupçonne du racisme, il faut intervenir rapidement.
    Troisièmement, le rapport On a volé la vie de nos soeurs affirme clairement ceci : que la prostitution soit ou non un acte criminel, les travailleuses du sexe ont droit à la protection de leurs droits humains. Des mesures concrètes et efficaces doivent être prises pour assurer la sécurité et pour traduire en justice ceux qui se rendent coupables de violence à leur encontre ou en tirent profit.
    Quatrièmement les forces policières doivent remédier au problème des interventions excessives auprès des Autochtones. Elles doivent non seulement offrir de la formation anti-oppression à leurs agents, mais également s'engager à modifier le mode de surveillance dans les collectivités autochtones.
    Cinquièmement, les fournisseurs de services sociaux de première ligne doivent recevoir de la formation anti-oppression et leurs organisations doivent élaborer des politiques qui répondent aux besoins des prostituées plutôt que de se détourner de celles-ci.
    Sixièmement, il faut instaurer des programmes qui permettent aux femmes autochtones de trouver d'autres moyens que la prostitution pour nourrir leur famille, afin que ce soit véritablement un choix pour elles.
    Septièmement, il faut augmenter le nombre de places dans les centres de traitement pour les femmes toxicomanes, et ce traitement devrait se faire séparément.
    Huitièmement, il faut des dépenses sociales à l'appui de programmes visant les jeunes de 12 à 18 ans qui ont coupé les liens avec leurs familles, de même que des logements permanents pour les jeunes de la rue. Il faut également accroître le montant de l'aide sociale destinée aux jeunes qui sont obligés de quitter leurs familles d'origine.

  (0925)  

    Enfin, les fonds affectés à la police des moeurs peuvent être transférés aux services des enquêtes visant à arrêter les pédophiles. Les fonds pourraient aussi servir à financer les services de consultation et de soutien aux personnes qui ont subi des agressions sexuelles durant l'enfance.
    Merci.
Le président:
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre M. Lowman, de l'Université Simon Fraser.
M. John Lowman (professeur, École de criminologie, Université Simon Fraser):
    Merci de m'avoir invité à venir m'entretenir de nouveau avec le sous-comité. Je serai très bref car nous avons, je pense, déjà entendu plusieurs déclarations très solides au sujet de la nécessité de décriminaliser la prostitution. Je suis moi aussi partisan de la décriminalisation.
    Je pense qu'en bout de ligne le sous-comité a un choix relativement simple à faire. Il lui faut en effet choisir entre une certaine forme de décriminalisation, en fait le retrait de la prostitution du Code criminel, et le statu quo. Cela a été appelé l'approche suédoise. C'est une façon de faire différente de la nôtre. L'on s'y attaque au client plutôt qu'à la prostituée. Mais ma crainte est que, s'agissant de la situation que l'on constate à l'échelle du Canada, cela ne fera que perpétuer encore ce qui existe déjà.
    J'ai reçu encore deux courriels hier, l'un au sujet d'une femme qui est morte à Winnipeg, et l'autre au sujet de l'une des femmes qui sont récemment mortes à Edmonton. J'habite Burnaby, tout à côté de Vancouver, où j'ai eu le malheur d'étudier le décès d'un très grand nombre de personnes.
    Si vous voulez changer la situation, alors c'est la voie de la décriminalisation qu'il vous faut choisir. Il nous faut décider où et dans quelles circonstances la prostitution peut se faire ou alors nous pouvons opter pour un script davantage moralisateur et dire que la prostitution est l'exploitation de toutes les femmes et nous pouvons à nouveau instaurer un régime de criminalisation qui, en bout de ligne, punira à répétition les prostituées, et personne d'autre, mis à part les quelques hommes qui se feront ramasser dans la rue. Les gens qui vont réellement à nouveau en porter tout le poids seront les femmes, qui l'ont toujours porté.
    Je suis un fervent partisan de la décriminalisation.
    Merci.
Le président:
    Merci, monsieur Lowman.
    Nous allons maintenant entendre M. Poulin, de l'Université d'Ottawa.

[Français]

M. Richard Poulin (professeur titulaire, Département de sociologie, Université d'Ottawa):
    Bonjour. Merci de m'avoir invité. Vous comprendrez que je vais intervenir en français.
    Vous avez reçu le texte. J'aimerais souligner que ma position est très clairement abolitionniste dans la tradition humaniste, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Ceux qui adoptent la position abolitionniste veulent décriminaliser les activités des personnes prostituées et pénaliser très fortement les proxénètes, ceux qui en profitent. Dans les discours des gens qui veulent la décriminalisation, jamais on n'entend le terme « proxénétisme », parce que, de ce point de vue, les proxénètes sont tout simplement des hommes d'affaires.
    Je rappelle que le Canada a signé différentes conventions internationales, notamment la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, appelée CEDAW en anglais. Dans son article 6, cette convention affirme que  les États signataires doivent prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer toutes les formes de traite et d'exploitation des femmes par la prostitution.
    Le Canada est également signataire de la Convention relative aux droits de l'enfant. Il s'est donc engagé à ce que les enfants ne soient pas incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale, et à ce que les enfants ne soient pas exploités à des fins de prostitution ou d'autres pratiques illégales.
    Enfin, le Canada est signataire de la Convention dite « de Palerme », c'est-à-dire la Convention contre la criminalité transnationale organisée. Dans son protocole additionnel, il est bien dit que  le Canada s'engage à lutter contre la traite des personnes et que cette traite est liée, entre autres, à l'exploitation de la prostitution d'autrui, c'est-à-dire au proxénétisme et au crime organisé. Le Canada s'est donc engagé à lutter contre le proxénétisme et le crime organisé qui, justement, organise la traite à l'échelle mondiale.
    Avant la Deuxième Guerre mondiale, les systèmes étaient réglementaristes en Europe. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui « légalisation ». Le système réglementariste a été un échec patent, parce que la plupart des personnes prostituées fuyaient les bordels gérés par l'État et travaillaient clandestinement. Après la Deuxième Guerre mondiale, à la suite de la victoire des Alliés contre le nazisme et l'idéologie fasciste, avec l'élan humaniste qui a amené l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, a aussi été adoptée la Convention dite « de 1949 », contre la prostitution et la traite. Le Canada n'est pas signataire de cette convention mais, en conformité avec les autres conventions qu'il a adoptées, il devrait la signer.
    Encore aujourd'hui, le réglementarisme est un échec. La Convention dite « abolitionniste » reflétait le constat d'échec du réglementarisme d'avant la Deuxième Guerre mondiale. Le réglementarisme est un échec parce que 4 p. 100 des personnes prostituées se sont enregistrées aux Pays-Bas. En Allemagne, 7 ou 8 p. 100 de ces personnes se sont enregistrées, et en Grèce, 6 ou 7 p. 100 d'elles l'ont fait. Là aussi, les personnes prostituées fuient le système réglementariste.
    J'aimerais ajouter deux choses. Je suis pour qu'il y ait une dose de morale en politique. Je suis pour que la politique repose sur des bases éthiques. Le Canada a une position éthique sur la vente des organes: c'est interdit au Canada. On peut donner un organe, mais on ne peut pas le vendre. Le Canada va même plus loin: il interdit de vendre son sang. Vous savez qu'aux États-Unis ou en Chine il est permis de vendre son sang. Il y a eu une épidémie de sida après la vente du sang. Le Canada a donc des positions éthiques fondamentales sur la vente d'organes et sur la vente du sang. Pourquoi devrait-il accepter la vente du sexe? Il me semble qu'il y a là une contradiction fondamentale qu'il faut surmonter.
    Enfin, d'un point de vue démocratique, dans les pays occidentaux comme le nôtre, on évalue que de 10 à 14 p. 100 des hommes sont clients des personnes prostituées. Pourquoi ferait-on une loi libéralisant ou décriminalisant totalement la prostitution pour 10 à 14 p. 100 de la population masculine?

  (0930)  

    Il me semble que la majorité, y compris chez les hommes mais avant tout chez les femmes, est très clairement d'avis que, si on doit faire une loi, celle-ci doit être faite en fonction de cette majorité et non en fonction d'une minorité.
    Finalement, nous n'avons pas que deux choix au Canada. Nous en avons trois: le statu quo, une position abolitionniste qui peut aller jusqu'à la pénalisation du client, et la dépénalisation totale de l'industrie du sexe, qui se ferait fondamentalement au profit des hommes, proxénètes et clients, et au profit du crime organisé.
    Je vous remercie.

[Traduction]

Le président:
    Merci, monsieur Poulin.
    Nous allons maintenant entendre Frances Shaver, de l'Université Concordia.
Mme Frances Shaver (professeure, Département de sociologie et d'anthropologie, Université Concordia):
    Honorables députés, collègues, mesdames et messieurs, mesdames et messieurs les membres de la presse, c'est pour moi un plaisir et un honneur d'être ici pour participer à ce débat—en tout cas, je pense que ce sera le cas au bout du compte.
    Je recommande la décriminalisation des activités reliées à la prostitution entre adultes consentants ainsi que des réformes sociales visant la promotion de la santé et des droits des travailleuses et des travailleurs du sexe et la santé des collectivités.
    Vous trouverez en annexe deux tableaux à l'appui de mes recommandations. Le tableau 1 compare les trois différents modèles les plus souvent proposés au cours de vos réunions : le modèle suédois, la légalisation et la décriminalisation. Le tableau 2 résume l'efficacité de ces modèles en fonction des préoccupations des travailleuses et travailleurs du sexe et des résidents.
    Les preuves recueillies indiquent que la criminalisation n'est pas une désincitation efficace à la prostitution. Cela ne protège ni les personnes qui s'y adonnent ni les communautés dans lesquelles celle-ci a lieu. Par ailleurs, comme le montre le tableau 2, ni le modèle suédois ni la légalisation ne seront vraisemblablement pleinement efficaces. Partant, j'aimerais vous soumettre quatre recommandations au sujet de la décriminalisation.
    Premièrement, il importerait d'abroger toutes les dispositions du Code criminel relatives à la prostitution : l'article 201, la disposition concernant les maisons de débauche; l'article 211, qui interdit le transport de toute personne à une maison de débauche; les paragraphes 212(1) et (3), concernant le proxénétisme, et l'article 213, concernant la communication.
    Deuxièmement, il conviendrait d'abroger ou de modifier l'article 173, concernant les actions indécentes, et l'article 174, portant sur la nudité dans un endroit public.
    Troisièmement, nous recommandons l'application des dispositions actuelles à l'égard de toute activité criminelle ou de toute autre action répréhensible liée à la prostitution. Les dispositions des lois en matière d'agressions diverses, d'agression sexuelle, de voies de fait criminelles et de séquestration devraient protéger les travailleuses et les travailleurs du sexe de diverses choses, y compris proxénètes et clients dangereux. En ce qui concerne les dispositions du droit criminel et civil sur le désordre pour protéger le public, l'élément clé ici est de veiller à ce qu'elles visent davantage l'activité à l'origine du désordre que la personne. Quant aux dispositions sur les contacts sexuels, article 151, et l'invitation à des contacts sexuels, article 152, l'on peut s'en servir pour protéger les jeunes de moins de 14 ans.
    Quatrièmement, il conviendrait de mettre sur pied un comité chargé d'examiner les lois provinciales et les règles municipales régissant les entreprises et les personnes engagées dans la prostitution. Ce comité devrait proposer des mesures pour s'assurer que les préceptes fondamentaux de la décriminalisation soient appliqués par tous les paliers de gouvernement.
    La réforme du droit, seule, ne suffira pas à améliorer la santé et la sécurité des travailleurs du sexe ni des collectivités. Par ailleurs, comme le montre le tableau 2, les programmes d'intervention sociale qui s'attaquent aux problèmes sociaux des travailleuses et travailleurs du sexe seront d'autant plus efficaces s'ils sont élaborés de concert avec la décriminalisation de la prostitution. C'est ainsi que j'ai six recommandations en matière d'intervention sociale.
    Premièrement, considérer le travail du sexe comme un travail et non comme une activité criminelle. Il faut pour cela veiller à ce que les travailleurs du sexe participent à toutes les discussions concernant les lois et les politiques relatives au travail du sexe. Il importe de faciliter l'application des lois régissant le travail et le milieu du travail aux échelons provincial et municipal afin d'améliorer les conditions de travail et les avantages sociaux des travailleuses et travailleurs du sexe. Il faut assurer que les travailleuses et travailleurs du sexe jouissent des mêmes droits, de la même protection et du même respect que l'ensemble des Canadiens. Il convient d'assujettir l'industrie du sexe aux mêmes règles que d'autres entreprises similaires en matière de santé et de sécurité.
    Deuxièmement, il importe d'éliminer la stigmatisation et la marginalisation lors des interventions policières et judiciaires en informant et formant le personnel des trois paliers de gouvernement en ce qui concerne les facteurs qui augmentent ou diminuent les risques pour la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe.
    Troisièmement, il importe de sensibiliser le public et les législateurs à la diversité du travail du sexe et au mode de vie des personnes qui s'y adonnent. Ici, je soulignerai la différence entre la prostitution volontaire et ce que l'on appelle la prostitution forcée ou imposée et ce que John Lowman a dans son rapport écrit décrit comme étant la différence entre le travail du sexe, l'esclavage sexuel et le sexe de survie. Il intervient ici d'importantes différences qu'il nous faut reconnaître.
    Quatrièmement, il nous faut fournir un soutien économique et organisationnel au regroupement de travailleuses et travailleurs du sexe sur les plans éducation, appui et défense de leurs membres.
    Cinquièmement, nous devons informer les travailleurs du sexe des programmes d'études et de formation professionnelle offerts, y compris accès à des études, formation professionnelle abordable et utile, et emplois correspondant à leurs compétences et intérêts.

  (0935)  

    Sixièmement, il importe que l'on fiance une recherche pancanadienne visant à mieux faire connaître l'industrie du sexe et à explorer les questions plus vastes à l'origine des préjudices, et pour les travailleurs du sexe et pour les résidents.
    Le Canada est en excellente position pour proposer des solutions proactives et novatrices à ce problème. Nous voulons des programmes et des orientations politiques qui décriminalisent les activités de prostitution ainsi que des réformes sociales propres à promouvoir la santé et les droits des travailleuses et travailleurs du sexe et la santé des collectivités. Dans le passé, d'excellentes initiatives ont contribué à la formulation de mesures juridiques ou sociales efficaces—et je vous renverrai ici au rapport du comité Fraser—mais ces dernières n'ont pas été mises en place faute de volonté politique. Il est temps de passer à l'action. Des chercheurs, des travailleuses et travailleurs du sexe, des résidents et des organisations communautaires, qui jouissent d'un degré élevé de confiance de la part du public, sont prêts à participer à cette entreprise. En tant que membres du sous-comité de l'examen des lois sur le racolage, vous êtes en excellente position pour mobiliser ces groupes afin de trouver des solutions justes, équitables et efficaces.
    Merci.

  (0940)  

Le président:
    Merci, madame Shaver.
    Nous allons maintenant entendre Darrell LaFosse, de la GRC.
M. Darrell LaFosse (commissaire adjoint, Services de police communautaires, contractuels et autochtones, Gendarmerie royale du Canada):
    Merci beaucoup. Encore une fois, c'est un honneur pour moi d'avoir été invité à prendre la parole ici ce matin et à participer à cette table ronde.
    Lorsque je participe à des groupes comme celui-ci je suis souvent étonné de constater à quel point nous nous ressemblons dans ce que nous visons. Nous parlons peut-être une langue légèrement différente, mais je pense que nous visons tous le même but ultime. Encore une fois, je suis étonné et heureux de voir à quel point nous sommes déjà alignés sur de nombreuses choses.
    Mon domaine de responsabilité à la GRC se sont les services de police provinciaux et territoriaux. Je représente environ 700 détachements à l'échelle du pays, allant de détachements de deux personnes seulement jusqu'à notre plus grosse, à Surrey, qui compte au moins 500 membres qui patrouillent les rues de Surrey. La prostitution et tout ce qui en découle sont donc prioritaires dans nos esprits, tout d'abord avec l'enquête de Pickton ainsi qu'avec le projet KARE en Alberta.
    La GRC a bien sûr pour principal mandat d'assurer la sûreté et la sécurité de nos collectivités. D'ailleurs, deux de nos cinq priorités stratégiques, les jeunes et des communautés autochtones plus sûres et plus saines, témoignent du désir de l'organisation de dévictimiser les gens et de rendre plus sûres toutes les collectivités, d'un bout à l'autre du pays. La réalisation de ce mandat exige, certes, la participation des services de police, mais nous avons constaté au fil des ans qu'il nous faut également la participation des résidents des collectivités, et c'est ce que nous souhaitons. Ce sont clairement eux qui sont le plus au courant des problèmes et de certaines des solutions envisageables.
    La police souhaite prévenir la criminalité et réduire le nombre des victimes dans la société. C'est là la base de notre philosophie de la surveillance policière des collectivités. La prévention suppose l'établissement de relations avec les jeunes gens, ce de façon à établir chez eux la confiance en soi et à renforcer leur capacité de résister au lieu de se faire attirer ou piéger dans le commerce du sexe. L'approche législative devrait viser les personnes ou organisations qui exploitent autrui et protéger les personnes vulnérables dans notre société.
    Il faut, pour réduire la victimisation et l'exploitation, des stratégies de sortie efficaces, qui visent tout particulièrement les plus jeunes victimes, et des structures de soutien réunissant agences sociales, services de police, travailleurs auprès des jeunes et autres groupes communautaires pour assurer une intervention rapide et de la meilleure qualité possible. D'un point de vue policier, la création de bordels légaux dans le secteur privé attirerait instantanément des groupes du crime organisé, car ces derniers occupent déjà une grande place dans l'industrie du sexe.
    Les travailleurs du sexe qui sont toxicomanes continueront de travailler dans la rue pour assouvir leur dépendance. La cause première de leur vulnérabilité est leur dépendance à l'égard de stupéfiants, et c'est donc là-dessus qu'il faudra mettre l'accent.
    Pour ces raisons et d'autres encore, nous croyons que la prostitution de rue ne sera jamais complètement éliminée. L'identification précoce des victimes est essentielle. Il nous faut également envisager la possibilité d'accorder un pouvoir discrétionnaire accru aux policiers dans la rue afin qu'ils puissent mieux traiter des problèmes qu'ils rencontrent pendant leur quart de travail. Il importe également de se pencher sur des conditions de déjudiciarisation.
    Enfin, je mentionnerai qu'un lancement national de ces initiatives et de nombreuses autres n'est pas forcément la solution immédiate. Il nous faut envisager des efforts ciblés dans une zone géographique donnée, cerner les pratiques exemplaires dans cette zone, puis étendre cette action plus loin. En effet, lorsque nous envisageons une approche nationale ou une intervention nationale dans certains de ces domaines, nous échouons du fait de l'envergure du défi à relever. C'est ainsi qu'il est souvent préférable d'établir d'abord les meilleures pratiques, puis d'étendre notre action à partir de cette base.
    Encore une fois, je suis heureux d'avoir ainsi l'occasion de discuter ce matin de ce dossier. Tout est dans les détails, et je suis certain que beaucoup de choses ressortiront dans le cadre de notre discussion de ce matin.
    Merci beaucoup.
Le président:
    Merci.
    Passons maintenant à Katrina Pacey, de la Pivot Legal Society.
Mme Katrina Pacey (directrice, Pivot Legal Society):
    Bonjour, et merci.
    J'ai répondu à nombre des questions fournies par le greffier dans mes soumissions du 29 mars, alors je vais aborder le sujet qui vous occupe d'une façon quelque peu différente. Je vais reprendre certains des points clés que j'ai soulignés le 29 mars, mais j'aimerais également parler un petit peu de la portée du rapport du comité.
    J'imagine que le sous-comité est en ce moment confronté à une série de considérations quant à l'approche à suivre dans son rapport final. Par exemple, vous pourriez adopter une approche large de principe ou alors faire des recommandations très précises en vue de réformes législatives. Le sous-comité est confronté à cette réalité, qui est, je pense, très positive, que la révocation des lois relatives à la prostitution ouvrira la porte à toute une gamme de textes réglementaires provinciaux et municipaux qui deviendront ainsi pertinents et à la disposition des travailleurs du sexe. Par exemple, les travailleurs du sexe pourraient avoir un plus grand accès aux mesures de protection provinciale en matière de travail et d'emploi. Ou encore, et ceci pourrait poser davantage de problèmes, les conseils municipaux pourraient envisager tout un nouvel éventail de régimes d'octroi de permis et de zonage municipal.
    Pour le moment, j'aimerais simplement rappeler au sous-comité qu'il n'est pas nécessaire d'être en mesure de répondre à toutes les questions de réforme du droit avant de recommander la décriminalisation. Je vous soumets que le sous-comité sera en ce moment le plus efficace s'il rédige un rapport présentant les trois caractéristiques qui suivent. Premièrement, faites des recommandations très claires en vue de réformes spécifiques aux textes de loi qui relèvent de votre compétence, c'est-à-dire le Code criminel. Deuxièmement, compte tenu du fait que les gouvernements provinciaux et municipaux auront un nouveau rôle à jouer, établissez des principes directeurs visant les réformes législatives et sociales se rapportant au travail du sexe, et proposez un mécanisme pour que les gouvernements provinciaux et municipaux engagent les travailleurs du sexe dans toute réforme législative qu'ils envisageraient. Et, troisièmement, concentrez vos pouvoirs fédéraux sur l'amélioration des inégalités sociales et économiques dont souffrent tous les groupes défavorisés au Canada.
    Je vais commencer par traiter de la question des réformes législatives. Comme vous le savez très bien, la Pivot Legal Society exhorte le sous-comité à recommander la révocation des quatre dispositions du Code criminel se rapportant à la prostitution, plus précisément les articles 210, 211, 212 et 213. Je vais pour le moment me concentrer sur les dispositions relatives à la prostitution par des adultes.
    Nous vous soumettons que si ces articles sont abrogés, les objectifs législatifs légitimes visés pourront être réalisés par d'autres lois d'application générale. Plus précisément, si ces dispositions du Code criminel ont été adoptées sous prétexte de protéger les travailleurs du sexe, eh bien, les dispositions qui sont déjà en place pour protéger les travailleurs du sexe sont celles en matière d'agression, d'enlèvement, d'agression sexuelle et d'extorsion.
    J'aimerais vous parler tout particulièrement de l'article 212, car il est difficile. L'objectif qui le sous-tend est clair et important : protéger les personnes engagées dans le travail du sexe contre l'exploitation. La position de la Pivot Legal Society est cependant que l'article 212 exclut la possibilité de toute relation professionnelle en vertu de laquelle un employeur exerce tout contrôle, toute direction ou toute influence sur un employé engagé dans du travail sexuel. Clairement, cet article a pour objet de traiter des problèmes réels et graves de coercition. Cependant, il est également important de permettre l'établissement de relations employeur-employé positives dans l'industrie du sexe, et cela n'est pas possible tant et aussi longtemps que l'article 212 est en place. Cet article est beaucoup trop vaste.
    À notre avis, cet article devrait être abrogé. La disposition en matière d'extorsion du Code criminel atteindra l'objectif qu'il vise. Plus précisément, l'article 346, qui traite de l'extorsion établit que commet une extorsion quiconque, avec l'intention d'obtenir quelque chose, par menaces, accusations ou violence, induit ou tente d'induire une personne à accomplir ou à faire accomplir quelque chose. Je pense que cela couvre toutes les inquiétudes en matière de coercition, de violence et d'exploitation au sein de l'industrie.
    J'aimerais également proposer que le sous-comité énonce dans son rapport final d'importantes lignes directrices, étant donné surtout que les gouvernements provinciaux et municipaux seront amenés à se demander s'ils doivent eux aussi s'engager dans un processus de réforme législative. Ce que j'aimerais faire c'est étayer un certain nombre de principes directeurs que vous voudrez peut-être inclure dans votre rapport final.
    Premièrement, les travailleurs du sexe doivent pouvoir participer de façon probante et utile à toute réforme législative ou de politique sociale touchant leur travail. J'aimerais me faire l'écho des propos de Mme Jen Clamen, qui a en fait dit que les travailleurs du sexe devraient y jouer un rôle de leadership.
    Veillez à ce que toute loi future ayant une incidence sur les travailleurs du sexe respecte leurs droits humains, et assurez une application juste et équitable des mesures de protection en matière de travail et d'emploi dont jouissent les autres travailleurs. L'idée ici est de maintenir l'égalité à l'intérieur des lois existantes, et non pas forcément de créer de nouvelles dispositions à l'intérieur de ces textes réglementaires. Il s'agit de veiller à ce qu'il y ait une application juste des mesures de protection existantes.
    Enfin, reconnaissez que des lois municipales indûment restrictives pourraient créer un régime en vertu duquel certaines catégories de travailleurs du sexe pourraient continuer d'être marginalisés—en fait, cela pourrait recréer les conditions que nous voyons sous le Code criminel—et reconnaissez que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour veiller à ce que le Code criminel soit plus efficace dans la prévention de la violence contre les travailleurs du sexe en augmentant l'accès qu'ont ceux-ci à l'application des dispositions en matière d'agression et des autres dispositions dont j'ai traité.

  (0945)  

    J'aimerais également souligner que les membres du sous-comité craindront peut-être que des législateurs municipaux—et conseils municipaux—et des législateurs provinciaux tentent d'imposer des interdictions qui ressembleraient beaucoup au Code criminel s'ils ne sont pas en faveur de la décriminalisation. Je tiens à vous rappeler que toute loi qui ressemble à une interdiction pénale peut être contestée en vertu de la Constitution. J'aimerais donc que le sous-comité charge des intervenants locaux, tels des organisations comme la mienne, d'assumer ce rôle, de continuer d'intervenir et d'intenter des actions si des gouvernements municipaux ou provinciaux commencent à adopter des lois qui ressembleraient beaucoup à des interdictions ou à des dispositions du Code criminel.
    Troisièmement, Pivot appuie la notion de conseil de gouvernance, composé de travailleurs du sexe et de représentants communautaires, et qui serait chargé d'entreprendre et de surveiller tout travail futur dans ce domaine.
    Enfin, j'aimerais souligner que des réformes sociales et économiques sont clairement essentielles. Nous vivons dans une société où les femmes et les hommes qui font partie de groupes défavorisés souffrent de graves inégalités sociales et économiques, et il y a clairement des hommes et des femmes dans l'industrie du sexe qui préféreraient d'adonner à d'autres types de travail.
    Nous sommes donc d'avis que le gouvernement fédéral a devant lui une importante tâche, celle de veiller à ce que les gouvernements provinciaux s'engagent à offrir davantage d'aide sociale, davantage de logements, et ainsi de suite. Le gouvernement fédéral peut y parvenir en augmentant les paiements de transfert aux provinces au service de programmes sociaux et en exigeant que les provinces respectent certaines normes de base dans la prestation de ces programmes.
    Des fonds ciblés pourraient également être versés aux ministères et agences fédéraux qui administrent les services et les institutions publiques ayant pour objet d'aider la population canadienne. Plus précisément, une personne désireuse de quitter le travail du sexe réussira mieux sa transition si on lui offre des possibilités économiques, des possibilités professionnelles, un logement sûr, etc.
    J'aimerais également recommander au sous-comité qu'il inclue une disposition qui existe dans la loi néo-zélandaise—et à ce stade-ci, il s'agirait en réalité d'une recommandation, car cela est du ressort des provinces—et telle que le refus de travailler dans l'industrie du sexe ne doive pas avoir une incidence sur l'admissibilité au bien-être social ou aux programmes du soutien du revenu.
    Enfin, je suis très sensible au fait que la période que vit le Parlement est particulièrement fragile et imprévisible, et j'aimerais donc conclure avec un message d'urgence. Je vous soumets respectueusement que le fait de retarder la réforme législative dans ce domaine en l'attente d'un jour plus favorable aurait des conséquences dévastatrices et, après toutes les preuves que vous avez entendues, indéniablement tragiques. Je demande à chacun d'entre vous de faire un geste décisif et de livrer à vos collègues les conclusions de tout ce que vous avez entendu au cours des derniers mois. Il a fallu attendre 20 années après le dépôt des conclusions du Comité Fraser pour en arriver ici, et le facteur déterminant est que l'actuel cadre législatif amène des tragédies de proportions gigantesques. Il serait déraisonnable de simplement laisser faire et laisser la souffrance se poursuivre.
    Merci.

  (0950)  

Le président:
    Merci beaucoup.
    De la Prostitution Awareness and Action Foundation of Edmonton, Kate Quinn.

[Français]

Mme Kate Quinn (membre, Prostitution Awareness and Action Foundation of Edmonton):
    Bonjour et merci de votre invitation.

[Traduction]

    Bonjour. C'est pour moi un privilège de participer à cette séance de table ronde.
    J'apporte avec moi l'expérience d'avoir vécu dans un quartier qui a pendant plus de 20 ans été marqué par la prostitution de rue et le trafic de drogues. Des femmes sont déjà venues frapper à la porte de la maison de ma famille tard le soir, cherchant à échapper à des hommes violents, des clients violents. Les enfants et les femmes se font régulièrement harceler par des hommes qui utilisent nos rues comme un centre commercial. Nous avons vu des souteneurs cachés dans l'ombre alors que des femmes et des enfants arpentaient le trottoir. Là où il n'y a pas de macs, les forces motrices sont la drogue, les repères pour drogués, les narcotrafiquants et la pauvreté.
    À trois rues de notre maison, il y a un monument commémoratif fait de fleurs fanées à la mémoire d'une femme de 20 ans dont le corps a été trouvé en train de brûler dans un champ en avril. Elle était la 25e victime de meurtre depuis 1983. Tristement, une 26e victime a été ajoutée à notre liste en mai.
    Il y a dix ans, en 1995, notre groupe de quartier bénévole a écrit au ministre fédéral de la Justice. À l'époque, nous demandions qu'il y ait deux lois différentes : l'une pour les acheteurs et l'autre pour ceux et celles qui se prostituent. Simples citoyens que nous étions, nous voyions ce déséquilibre de pouvoir entre les deux et observions quotidiennement des actes de violence contre des femmes et des enfants. Nous avons trouvé un certain terrain d'entente avec les prostituées de notre quartier, car nous aussi avions souffert des actes de ces hommes qui étaient leurs clients.
    L'intervention des citoyens, incluant les voix de femmes prostituées et de parents dont les filles étaient dans la rue ou avaient été victimes de meurtre, a amené la ville d'Edmonton à décider de lancer une école de réhabilitation pour les clients (john school). C'est ainsi que la PAAFE, ou Prostitution Awareness and ActionFoundation of Edmonton, a vu le jour. J'ai aujourd'hui le privilège de travailler pour la PAAFE, un groupe communautaire compatissant qui travaille en vue de réduire l'exploitation sexuelle et de créer des options viables pour les femmes, les hommes, les transgenderistes et leurs familles.
    La PAAFE a récemment réalisé un projet de recherche participative financé par Condition féminine Canada et appelé Éliminer les obstacles. Nous avons examiné deux des principales barrières systémiques qui maintiennent les femmes enfermées dans la prostitution et font qu'il est très difficile pour elles de ne pas y entrer. L'une de ces barrières est le filet du système de droit pénal et des casiers judiciaires en résultant. L'on y retrouve d'autres chefs d'accusation qui ne sont pas liés à la prostitution, par exemple des infractions pour des histoires de drogue, de vol à l'étalage, etc. L'autre barrière est l'accès limité à des logements sûrs et abordables. Trente femmes travaillant ou ayant travaillé comme prostituées ont été interviewées.
    Un comité consultatif de recherche composé de femmes ayant déjà vécu la prostitution a guidé l'étude. Lors d'une de ses réunions, il a discuté des genres de lois que le Canada devrait selon lui avoir. Son message était clair : visez les clients, visez les souteneurs, visez les narcotrafiquants; aidez-nous à guérir et à couvrir les nécessités de la vie, par exemple nourriture et logement; aidez-nous à créer un avenir plus positif pour nous-mêmes et nos enfants.
    Le conseil de la PAAFE a écouté les expériences des prostituées et des résidents du quartier désireux de vivre dans des collectivités sûres. Nous avons écouté les familles dont les vies avaient été déchirées par l'exploitation sexuelle, la dépendance à l'égard de substances et le meurtre. Nous avons décidé d'élaborer une loi qui viendrait remplacer l'article 213 par des dispositions renforçant les pénalités infligées à ceux qui achètent des services sexuels auprès de personnes vulnérables. Nous supprimerions les sanctions pénales contre les prostitués.
    La position de la PAAFE est que nous voulons créer des stratégies porteuses et non pas simplement des stratégies de survie. Nous voulons contester la réponse courante qui consiste à dire que la prostitution existe depuis très longtemps, qu'on ne pourra jamais l'éliminer et qu'il suffit d'en rendre l'exercice plus sûr.
    Au bout du compte, la question est celle de notre vision pour la société canadienne. Sommes-nous une société de citoyens qui se préoccupent des plus vulnérables parmi nous? Aurons-nous le courage et l'engagement politique nécessaires pour mettre en place les programmes d'hébergement sécuritaire, de traitement de la toxicomanie, de soins holistiques, de ressources, de prévention et de poursuite nécessaires pour appuyer cette vision?
    Nous ne pouvons pas séparer la prostitution de rue du commerce de drogues. Un policier a dit qu'Edmonton est aujourd'hui le Wal-Mart du trafic de drogues. Le crystal meth bon marché a fait chuter le prix du crack et l'héroïne bon marché réapparaît dans nos rues. Certaines femmes se vendent entre 5 $ et 20 $ pour acheter leur drogue. Les gangs et le crime organisé sont implantés.
    Nous ne pouvons pas parler de prostitution sans parler de sans-abrisme : 51 p. 100 de ceux qui ont fait appel à notre programme de déjudiciarisation n'avaient aucun logement stable au moment de leur arrestation.
    Nous ne pouvons pas ignorer le fait que certaines des personnes vulnérables dans nos rues sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et les effets de l'alcoolisme foetal.
    Nous ne pouvons pas ignorer le désespoir économique qui fait partie de la prostitution.
    En plus du travail sur l'article 213 et des suggestions que nous vous faisons, nous pensons qu'il y a deux mesures concrètes positives qui pourraient d'ores et déjà être prises.

  (0955)  

    Nous préconisons des changements au processus de pardon afin de pouvoir ouvrir les portes à l'emploi et aux études qui sont présentement fermées aux personnes ayant un casier judiciaire. Nous préconisons l'offre de plus de logements tout au long du continuum, depuis les abris d'urgence aux logements indépendants et abordables. Si des mesures étaient rapidement prises dans ces deux domaines cela apporterait des changements réels et immédiats dans la vie de beaucoup de gens.
    Des changements législatifs seuls ne mettront pas un toit au-dessus de la tête des gens, de la nourriture dans leur ventre ou des emplois sur la table. Les femmes, surtout celles parmi nous qui ont vécu la violence et la pauvreté, méritent l'avantage d'une participation à part entière à la société. Nous voulons également maintenir une vision de ce que cela signifie d'être un homme sain et respectueux, qui ni ne déteste ni ne fait souffrir les filles et les femmes, et qui s'estime lui-même.
    Merci.
Le président:
    Merci.
    Nous allons maintenant entendre Lee Lakeman, de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel.
Mme Lee Lakeman (représentante régionale pour la Colombie-Britannique et le Yukon, Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel):
    Bonjour. Merci de votre invitation. Je sais que vous espériez entendre la Coalition Against Trafficking and Women. Je vous encourage vivement à visiter son site Web et à vous attarder tout particulièrement sur les dix raisons données pour ne pas légaliser la prostitution.
    L'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel aura un mémoire écrit qui vous sera soumis, mais ce matin, je vous demande de vous appuyer sur les propos que vous ont déjà tenus la Marche mondiale des femmes, la Société Elizabeth Fry, l'Association des femmes autochtones du Canada, le groupe Vancouver Rape Relief et d'autres groupes de femmes qui ont déjà décrit la prostitution comme étant de la violence faite aux femmes.
    Nos recommandations sont les suivantes :
    1. Le comité devrait recommander que l'on aborde les lois et les politiques en matière de prostitution en déclarant que la prostitution est une forme de violence contre les femmes et adopter une position abolitionniste sans équivoque.
    2. L'Association des femmes autochtones du Canada—l'AFAC—et l'ACCASCS réclament toutes deux une application plus stricte et plus efficace de la criminalisation des clients en tant que profiteurs de la prostitution.
    3. Aucun groupe de femmes revendiquant l'égalité au niveau provincial, régional ou pancanadien ne demande ni ne préconise la décriminalisation complète de la prostitution, que ce soit ici ou à l'étranger. Cela devrait attirer votre attention sur les questions d'égalité qui sont en jeu.
    4. L'ACCASCS vient tout juste de convoquer à Vancouver une réunion de 150 militants antiviol de première ligne qui ont été rejoints par 50 représentantes d'autres organisations féministes. Nous avons réaffirmé dans ce contexte qu'aucun de ceux qui bénéficient ou profitent de la prostitution ne devrait échapper à la procédure pénale avant son jugement. Aucun programme de justice réparatrice en salle de tribunal publique ne jouit à l'heure actuelle de notre appui comme mécanisme servant les besoins des femmes ou avançant l'égalité des femmes.
    5. L'ACCASCS, l'AFAC et tous les autres groupes de femmes revendiquant l'égalité que je connaisse revendiquent la criminalisation efficace des recruteurs, proxénètes, trafiquants, exploitants de maisons de débauche et de tous les autres qui profitent de la traite de femmes et d'enfants qu'est la prostitution.
    6. L'ACCASCS, l'AFAC et tous les groupes de femmes revendiquant l'égalité que je connaisse demandent la décriminalisation simultanée, je dis bien simultanée, des victimes de cette industrie de la prostitution, des femmes et des enfants réifiés, sans détention ni amendes.
    7. Nous convenons qu'il doit y avoir un appui pour les victimes, ce de façon à empêcher la victimisation : de l'argent, surtout, y compris bien-être social, services de soutien, accès aux études et à la formation, emplois et logements, y compris hébergement d'urgence. Mais, comme le dit Cherry Kingsley, les femmes ne devraient pas avoir à offrir des services sexuels aux hommes pour obtenir ces ressources. Celles-ci devraient être universellement disponibles maintenant. Il importe également d'offrir des services de sortie, y compris des services autochtones, des maisons de transition et des centres antiviol. Il doit y avoir des services de sortie qui soient adaptés en fonction de la race, de la classe et du sexe. Cependant, les services de sortie devraient être sans équivoque quant à leur appui des victimes et à la dénonciation du commerce mondial du sexe.
    8. Il nous faut des programmes de prévention. Il nous faut une réduction de la demande en censurant les clients et les profiteurs. Il nous faut réduire la vulnérabilité des femmes et des enfants, notamment en appuyant la résistance des femmes à l'appauvrissement des femmes, à la vulnérabilité des enfants à l'inceste, et en criminalisant agressivement la violence sous toutes ses formes faite aux femmes.
    9. Les femmes ne devraient pas devoir prouver qu'il y a eu usage de force pour être admissibles à la protection contre l'exploitation sexuelle. Le seuil est beaucoup trop élevé.
    10. Les femmes devraient être encouragées à dénoncer les abuseurs, mais elles en devraient pas, pour ce faire, être soumises à du chantage. Il ne devrait y avoir aucune punition par le biais du bien-être social, du droit pénal, de la détention, du droit familial ou des lois en matière d'immigration.
    11. Il importe d'appliquer les lois actuelles en matière de violence faite aux femmes. Ce sont, parmi tous les crimes graves, les cas de violence contre les femmes qui affichent les taux de déclaration de culpabilité les plus bas. En ce qui concerne les pratiques et responsabilités policières, des directives politiques émanant des paliers provincial et fédéral sont absolument nécessaires.
    12. Les lois actuelles, incluant la Charte, la Charte des droits et libertés, l'Accord de Palerme, la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et le crime organisé et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), témoignent toutes du désavantage historique des femmes. La Charte, les tribunaux et certaines lois ont reconnu ce désavantage historique des femmes et des peuples autochtones, deux groupes qui sont très exposés à la victimisation, et les solutions offertes doivent cadrer avec la promesse de la protection de la règle du droit. Nous recommandons que le Canada signe l'accord de 1949.

  (1000)  

    13. Toutes recommandations et(ou) ébauches d'approches législatives et de politiques sociales devraient faire l'objet d'une vaste distribution et être transparentes, ce de façon à favoriser une discussion publique franche, notamment quant au partage proposé des responsabilités entre les pouvoirs fédéral, provincial et municipal. Les gens doivent savoir quelles sont les conséquences de l'exigence que l'usage de force soit prouvé en droit, étant donné que cela ne s'applique à aucune autre question de violence faite aux femmes. Les gens doivent savoir quelles sont les lacunes de l'actuel système de justice pénale pour toutes les formes de violence faite aux femmes. Les gens doivent être mis au courant de tout plan, qu'il soit échelonné ou d'exécution rapide, visant la décriminalisation, ce qui déchargera la responsabilité sur les villes. L'incapacité des villes de refuser l'industrie de la prostitution est ici le problème clé. Il importe de comprendre les ramifications pour les femmes qui refusent le sexe comme travail. Il importe de comprendre l'abus sexuel en tant que travail. Les gens doivent également comprendre les régimes de réglementation qui seront imposés aux femmes prostituées s'agissant de soins de santé, d'impôts, de dossiers et d'accès à la police.
    Merci beaucoup.
Le président:
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à la Fédération canadienne des municipalités, avec M. Berry Vrbanovic.
M. Berry Vrbanovic (président, Comité permanent sur la sécurité et prévention de la criminalité en sein des collectivités, Fédération canadienne des municipalités):
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour vous livrer mes commentaires sur l'incidence du commerce du sexe sur les collectivités canadiennes, et je le fais en tant que président du Comité permanent de la sécurité communautaire et de la prévention du crime de la Fédération canadienne des municipalités.
    Je pense que nous conviendrions tous que les municipalités canadiennes sont sur les lignes de front dans le combat visant à bâtir à l'échelle du pays des collectivités plus sûres et plus saines, et dans le contexte du nouvel arrangement, nous sommes prêts à contribuer ces connaissances de première ligne et à travailler en partenariat avec d'autres gouvernements aux dossiers qui concernent les trois ordres de gouvernement. Le commerce du sexe est un dossier si important qu'il appelle des rôles importants pour les paliers fédéral, provincial et municipal dans toute solution envisagée.
    Les Canadiens n'aiment pas que leurs collectivités soient utilisées pour le commerce du sexe. Ils veulent des parcs qui soient propres au lieu d'être pollués par des condoms souillés et des seringues. Ils veulent des rues dans lesquelles ils peuvent se promener en sécurité le soir et ils veulent des communautés qu'ils sont fiers d'habiter. En d'autres termes, ils veulent des communautés sûres et saines.
    En tant que représentants élus, il nous faut être honnêtes entre nous et avec nos citoyens. La réalité est que nous n'éliminerons jamais le commerce du sexe des rues de nos villes. C'est néanmoins là une réalité qu'il est difficile pour nombre de nos citoyens d'accepter. Même si des progrès ont été faits ces dernières années pour fournir aux autorités davantage de pouvoirs et d'outils pour retirer les travailleurs du sexe de la rue, pour nombre de nos citoyens, il n'y aura réussite que s'il n'y a plus de prostitués dans nos rues. Pour dire les choses simplement, cet objectif n'est pas réaliste.
    Je tiens à souligner au départ que je crois fermement que notre objectif collectif de bâtir des communautés plus sûres et plus saines doit être élargi pour englober tous nos citoyens, y compris les personnes amenées contre leur gré dans le commerce du sexe. Lorsque nous serons tous plus en sécurité, nous pourrons légitimement prétendre à la réussite.
    Ce qui est requis n'est rien de moins qu'un changement monumental d'attitude et de perception des Canadiens à l'égard du commerce du sexe et des travailleurs du sexe. Il est temps d'arrêter de considérer les prostitués de rue comme des criminels et de commencer à les reconnaître pour ce qu'ils sont : des victimes. Ils sont victimes d'abus, victimes de crimes, victimes d'accoutumance et victimes d'un cercle vicieux qui les écrase.
    Il est temps de placer la réduction des préjudices avant la punition dans le cadre de l'application des lois. Pendant des années, des municipalités comme la ville de Kitchener travaillent avec les forces policières locales et les agences sociales en vue de s'attaquer à nombre des questions liées au racolage et au commerce du sexe, ce dans le cadre de nos possibilités financières et juridiques limitées. Il faut en convenir, notre réussite a, au mieux, été mitigée.
    À mon avis, ce succès limité est en grande partie dû à une perception du commerce du sexe qui est bien enracinée dans nos collectivités d'un bout à l'autre du pays. Malheureusement, les Canadiens ont pendant trop longtemps considéré le commerce du sexe et le racolage uniquement en tant que question de sécurité communautaire, de sécurité propre. Pour beaucoup trop de gens, la question est très simple : la prostitution amène la criminalité et les drogues, ce qui rend ma communauté dangereuse; si nous pouvions enlever les prostitués de la rue pour qu'on ne les voie pas, nous serions tous plus en sécurité. Cette perception, bien franchement, est étroite, intéressée, myope et inefficace.
    Bien que l'amélioration de la sécurité communautaire soit une question absolument cruciale, elle n'est pas la seule à laquelle il nous faut nous attacher. De fait, le règlement des questions de sécurité communautaire par le biais de méthodes traditionnelles d'application de la loi s'est avéré être largement insatisfaisant et inefficace. Si nous allons réussir en tant que nation à traiter comme il se doit des questions de la prostitution et du racolage, alors il nous faut nous attaquer aux causes profondes et voir comment faire pour empêcher que les gens ne se tournent au départ vers l'industrie du sexe, et cela vaut autant pour les travailleurs du sexe que pour leurs clients, et reconnaître que nous pouvons réduire l'exploitation des travailleurs du sexe grâce au développement social. Les stratégies de prévention de la criminalité, les centres de traitement pour toxicomanes, la multiplication de logements abordables, les programmes de formation et d'emploi et d'autres services sociaux sont autant d'éléments essentiels au règlement des problèmes de la prostitution et du racolage.
    Tous ces services sociaux doivent être offerts en continu par un système qui est prêt à réagir immédiatement dès qu'un travailleur du sexe dit enfin « Assez c'est assez ». Lorsqu'un travailleur du sexe décide enfin de rompre le cycle, nous autres, ses gouvernements, devons être prêts à réagir et à lui tendre la main.
    S'il est un message que j'aimerais livrer aux membres du comité ici aujourd'hui c'est qu'aucun palier de gouvernement ne saura seul marquer des progrès importants face à ces questions. Le dossier du commerce du sexe est trop complexe et les perceptions trop enracinées dans notre société pour qu'on puisse les régler avec quelques rapides changements aux lois et quelques sous de plus dans la caisse. Ce genre de solution rapide au problème est voué à l'échec.
    L'amélioration de notre sécurité collective en réduisant l'exploitation des travailleurs du sexe du Canada exigera une stratégie nationale exhaustive, coordonnée et détaillée, élaborée en partenariat avec tous les paliers de gouvernement, les organes d'application de la loi, les ONG et les travailleurs du sexe eux-mêmes.

  (1005)  

    Je considère le travail du comité ici réuni comme le premier pas sur la voie d'un changement véritable et profond en vue de résoudre les problèmes de la prostitution et du racolage à l'échelle du Canada. Il nous faut plus que des consultations. Il nous faut un véritable partenariat et un plan exhaustif fondé sur des approches axées sur les constats, tant à l'intérieur du Canada qu'à l'échelle internationale.
    Le Canada a pendant trop longtemps été sans plan national. Les municipalités se sont ainsi vues obligées de s'attaquer à ces questions difficiles et complexes de façon ponctuelle, avec peu de financement et encore moins de pouvoir législatif. Étant donné cette absence de planification et de collaboration, un trop grand nombre de collectivités du pays refont le même travail et se trouvent dans l'impossibilité de tirer des leçons des réussites et des échecs des uns et des autres.
    Dans le cadre de l'élaboration par le comité de ses recommandations, je vous encourage vivement à recommander que le gouvernement fédéral lance immédiatement un partenariat exhaustif avec toutes les parties prenantes pertinentes en vue de la mise sur pied d'une stratégie nationale détaillée et coordonnée sur le commerce du sexe dans les collectivités canadiennes. En bout de ligne, une telle stratégie nationale détaillée bénéficierait aux travailleurs du sexe eux-mêmes et à nos citoyens, qui exigent que l'on prenne des mesures pour rendre toutes nos communautés plus sûres.
    Merci.

  (1010)  

Le président:
    Merci, monsieur Vrbanovic.
    Nous allons maintenant passer à l'étape des questions et réponses. S'il y en a parmi vous qui aimeraient se prendre un café, un jus ou un thé, tout cela se trouve au fond de la salle. Je vous encourage donc à vous éclipser pour aller vous servir pour ensuite revenir à la table.
    Monsieur Hanger.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC):
    Merci, monsieur le président.
    Il me faut remercier tous les témoins qui ont comparu devant le comité aujourd'hui. Je suis très heureux des opinions très directes que vous avez tous. Je pense que nombre d'entre elles s'appuient sur de la recherche que vous avez faite personnellement, ou en tout cas vécue, comme c'est le cas des gens de la communauté, si l'on envisage la question de ce point de vue-là, ou des personnes qui sont directement aux prises avec la prostitution et toute cette question. Je pense que notre comité a réellement besoin de cette contribution.
    J'ai, comme le reste du comité, eu l'occasion de voyager dans le pays et d'écouter d'autres, dans différentes villes, qui ont un intérêt direct ou indirect pour la question, mais je reviens toujours à une chose. Le comité, à mon sens, et je crois que c'est le cas de tout comité créé au niveau fédéral, n'est pas le seul ni le dernier décideur. Le public a ici un rôle important à jouer. Il y a de ceux qui disent que notre comité seul va décider de la question. Je ne pense pas que notre comité seul puisse décider de ce qui est dans l'intérêt du pays ou du bien public, si vous voulez. J'estime que la communauté au sens large doit intervenir dans la discussion.
    Plusieurs d'entre vous ont dit que ceci n'est en quelque sorte que le début. Cette question est importante. Elle concerne non seulement les personnes assises à cette table, mais également la communauté au sens large, les familles de jeunes qui sont tombés dans cet horrible piège de la prostitution. Il y a certainement beaucoup d'activités criminelles entourant cela. Alors, bien franchement, je suis tout à fait en faveur d'une discussion plus large.
    Je vais poser ma première question à M. LaFosse, étant donné qu'il est ici le seul représentant de forces policières. J'aimerais lui demander, étant donné que certains préconisent la suppression de toutes les lois en matière de prostitution, ce à quoi ressemblerait une communauté aux prises avec ce problème.
    Vous avez indiqué dans votre exposé que la prostitution ne va pas disparaître, et je suis d'accord avec vous. D'après toutes les preuves que le comité a entendues, la prostitution ne va pas disparaître. Même si vous la légalisez, il y aura de l'activité illégale dans la rue. Il y aura également ceux qui sont actifs dans l'industrie de la drogue.
    Pourriez-vous me dire à quoi va ressembler une communauté si la police ne peut plus intervenir en cas de délits liés à la prostitution?
M. Darrell LaFosse:
    Il s'agit là, monsieur, d'une vaste question, cela est clair.
    Les discussions que nous avons avec les commandants de détachement dans les grosses régions du lower mainland... Il me faudrait dire, en guise de préface à ma réponse, que la GRC surveille environ 70 p. 100 de la superficie du Canada mais seulement 30 p. 100 de la population. Les grands centres du pays, les Toronto, les Hamilton et les Vancouver, ont, comme nous le savons tous, leurs propres forces de police.
    S'il y avait légalisation de la prostitution et que se constituait ou surgissait une communauté de travailleurs du sexe, notre principale crainte serait que, du fait de l'établissement d'une telle communauté, le respect et la valeur d'un employé que vous verriez dans toute autre société ou entreprise ne serait simplement pas là dans ce genre d'environnement. D'autre part, comme je l'ai mentionné dans mes remarques liminaires au sujet des personnes qui ont une dépendance à l'égard de drogues, il se peut qu'elles travaillent à certaines heures au sein de cette communauté, mais cela ne les empêcherait pas de faire du travail non répertorié, si vous voulez, pour augmenter ou alimenter leur toxicomanie. Ce serait là le principal souci en la matière.
    Chapeautant le tout serait l'afflux d'organisations ou de personnes qui voudraient rentabiliser l'entreprise en tant que telle. Nous voyons cela dans le cadre de quantité d'autres activités criminelles. Ce serait tout d'un coup un secteur d'activité qui attirerait des personnes désireuses de capitaliser sur une entreprise qui serait sanctionnée par les organes gouvernementaux.

  (1015)  

M. Art Hanger:
    Ce que vous êtes en train de dire, si je peux me permettre d'essayer de tirer au clair votre position, c'est que le crime organisé voudrait capitaliser sur le fait que la police ne puisse plus appliquer les anciennes lois en matière de prostitution.
M. Darrell LaFosse:
    Vous avez tout à fait raison.
    Pour ce qui est de la poursuite de délits de cette nature, l'évolution de la poursuite, si vous voulez l'appeler ainsi, nous considérons que l'application des lois au niveau d'intervention policière de première ligne est le tout dernier recours. Comme je l'ai dit, s'il y avait d'autres moyens de déjudiciariser les intéressés ou de leur assurer aide ou appui, ce serait là un important pas en avant.
M. Art Hanger:
    Merci.
    J'inviterai les autres membres du panel à se prononcer sur cette question s'ils le désirent.
    J'ai encore une autre question, et je vais l'adresser à Frances Shaver.
    Madame Shaver, vous avez clairement indiqué que vous aimeriez voir supprimer le stigmate de la prostitution. J'ignore comment cela va se faire. Vous voulez parler de « travail » du sexe, et définir cela comme du « travail ». J'ignore si c'est là l'expression que vous avez employée la dernière fois que vous avez comparu devant le comité, mais ce serait une profession qui ne serait pas différente de celle du mécanicien du coin où vous allez faire réviser votre véhicule. Ce ne serait pas différent des prostitués du coin, et la communauté embrasserait et accepterait cela comme faisant partie de la réalité, et ce serait une profession qui serait honorée comme n'importe laquelle autre.
    Je sais que vous êtes universitaire et que vous enseignez. Préconiseriez-vous l'offre de cours pour poursuivre ce genre d'activité, de séances de formation, de stages d'apprentissage? Que recommanderiez-vous?
Mme Frances Shaver:
    Vous avez posé là environ trois questions. Je vais tenter d'y répondre à tour de rôle. D'autres collègues dans la salle voudront peut-être les aborder également.
    Je parcourais certains des rapports que vous avez devant vous et que j'ai vus, et à mon sens, l'une des choses essentielles qu'il nous faut garder à l'esprit—et c'est John Lowman qui a mentionné cela dans son rapport écrit—est qu'il est absolument essentiel que le comité et d'autres reconnaissent qu'il existe une très nette différence, et les preuves sont là, entre prostitution volontaire et prostitution non volontaire, ou ce que M. Lowman a décrit comme étant l'esclavage sexuel, le sexe de survie et le travail du sexe. Voilà le genre de choses qu'il est essentiel que nous gardions, je pense, à l'esprit.
    D'autre part, si je parle d'éduquer le public et les décideurs quant à la diversité du travail du sexe et des vies des travailleurs du sexe, il faudrait que cela inclue cet élément très important, soit qu'il y a une différence, qu'il existe des preuves, des preuves canadiennes, qui font clairement ressortir qu'il y a une distinction à faire entre ces trois catégories. Cela étant dit, lorsque je parle du travail du sexe, je parle de l'une de ces trois options : je parle de l'achat et de la vente de services sexuels entre adultes consentants.
    Si nous voulons que cela soit perçu—et j'arguerais que ce le pourrait—comme étant semblable à d'autres activités, alors j'estime que l'offre de services sexuels et que l'achat et la vente de services sexuels sont semblables à d'autres types de travail personnel ou de service personnel, comme on dit. L'on pourrait parler de coiffeurs, de serveurs et de personnel de service, l'on pourrait parler d'aides de salle et d'aides-infirmiers dans les hôpitaux, et qui offrent soins et services aux patients. J'ai fait de la recherche comparant ces deux groupes, soit les travailleurs du sexe et les aides et aides-infirmiers.
    Je ne comparerais pas forcément le travail de services sexuels au travail d'un mécanicien. Il y a un échange différent, plus personnel et intime entre le client et le fournisseur de service de coiffure, de soins ou autre activité du genre, comparativement au mécanicien qui travaille sur votre voiture.
    Pour ce qui est de formation ou de cours, j'ignore si, avant que nous ne fassions un meilleur travail en vue de changer certains des stéréotypes, je voudrais offrir à ce stade-ci en milieu universitaire un cours sur le travail du sexe. Il existe déjà des cours sur le travail du sexe et le marché du sexe. Il y a des organisations qui offrent déjà ces cours en vue d'aider les travailleurs du sexe à travailler de façon sécuritaire. Ce sont des cours qu'elles donnent aux personnes qui font ce que j'appelle du travail de sexe, et qui le font en tant qu'adultes consentants et dans des situations dans lesquelles elles s'efforcent d'agir de façon responsable.
    Nombre des cours qu'offrent des organisations de travailleurs du sexe de par le monde—et elles ont partagé beaucoup de ces renseignements avec nous au Forum XXX que Mme Clamen a mentionné dans sa présentation—comportent ces genres de lignes directrices et offrent différents renseignements, y compris sur les stratégies et l'affirmation de soi si vous êtes un travailleur du sexe volontaire migrant, et c'est donc une possibilité.
    Cela étant dit, je pense qu'il est également important de faire une distinction entre les travailleurs migrants volontaires et la migration de personnes en vue de la traite d'êtres humains pour le sexe, auquel cas l'intéressé n'est pas un participant volontaire.
    Voilà donc quelques réponses, car je sais que vous aurez d'autres questions, et d'autres membres du panel voudront peut-être également réagir.

  (1020)  

Le président:
    Madame Clamen, aimeriez-vous dire quelque chose?
Mme Jennifer Clamen:
    J'aimerais parler de faits plutôt que de suppositions, sauf votre respect.
    À quoi ressemblerait une industrie du sexe décriminalisée? Nous en avons un exemple, grâce à la Nouvelle-Zélande. Je pense que ce qui s'est passé depuis, et l'une des raisons pour lesquelles nous demandons la décriminalisation de l'industrie du sexe, est que les situations où il y a exploitation sont plus facilement identifiées lorsque toute l'industrie du sexe n'est pas criminalisée, lorsque vous vous concentrez sur ceux qui exploitent véritablement leurs travailleurs. Cela existe; c'est pourquoi nous sommes ici. Personne ne nie cela. Je pense que c'est peut-être autour de cela que beaucoup de messages au sujet des travailleurs du sexe deviennent confus—et c'est ainsi que d'aucuns pensent que nous ignorons ce message. Mais la raison pour laquelle nous sommes ici et la raison pour laquelle nous luttons pour des droits est que l'exploitation existe.
    En Nouvelle-Zélande, ils sont beaucoup mieux en mesure de faire le tri et de dépister les exploiteurs, si vous voulez. Une autre façon dont ils ont pu faire cela c'est en créant des lignes directrices en matière de santé et de sécurité au travail afin de veiller à ce qu'il y ait un genre de norme—j'utilise ce terme librement—pour chacun des lieux de travail.
    C'est plus ou moins tout. J'estime qu'il est vraiment important que nous nous penchions sur les situations existantes de décriminalisation et sur leurs suites.
Le président:
    Merci.
    Mme Lakeman, qui sera suivie de Mme Ross.
Mme Lee Lakeman:
    J'aimerais corriger une ou deux choses qui ont été dites.
    Premièrement, il y a des gens qui pensent qu'il serait possible d'éliminer la prostitution. Je suis de ceux-là. Vous avez déjà entendu M. Poulin qui est de cet avis, et je vous ai dressé la liste des groupes de femmes du Canada qui pensent qu'il est possible d'éliminer la prostitution. Je ne voudrais donc pas que cela soit écarté de la discussion.
    Deuxièmement, il y a clairement des divisions proposées à l'intérieur de la prostitution, si l'on considère l'esclavage sexuel, le sexe de survie et le travail du sexe volontaire comme étant trois catégories distinctes, mais je vous suggérerais que lorsqu'on parle des lois en matière de racolage, il n'y a aucune distinction à faire. Nous parlons de l'esclavage sexuel et du sexe de survie tels qu'ils existent selon les critères de tout le monde, alors soyons très clairs et disons que dans le cas de la prostitution de rue il n'est même pas réaliste de faire ces distinctions. Je ne pense pas qu'elles existent de toute façon, mais c'est en tout cas là mon point de vue en ce qui concerne la prostitution de rue.
    Le troisième point est que la création de l'illusion voulant que les femmes puissent négocier leur propre sécurité en tant qu'individus en faisant appeler la prostitution autrement me paraît parfaitement ridicule. Si la violence contre les femmes fait partie de la prostitution de rue, c'est que les femmes sont asservies et elles ont besoin de l'intervention de leur communauté et de leur État pour améliorer leur sécurité.

  (1025)  

Le président:
    Merci.
    Rene Ross.
Mme Rene Ross:
    Il y a tant de choses à dire.
    Premièrement, j'aimerais simplement souligner—et je suis certaine de jouir de l'appui des utilisateurs du programme Stepping Stone en disant ceci—que nous rejetons totalement la notion des travailleurs du sexe comme étant des victimes et des toxicomanes. Alors si nous pouvions changer quelque peu notre discours en la matière, je pense que ce serait formidable.
    J'aimerais répondre à la question que M. Hanger a posée au porte-parole de la GRC. Nous croyons en fait que si vous décriminalisiez tout particulièrement l'aspect communication, cela faciliterait et améliorerait de beaucoup le travail des policiers et de la GRC. Je vais vous donner quelques exemples.
    Premièrement, les lois en matière de communication étant si vagues—et, ici encore, je parle surtout de la situation autour d'Halifax—la police essaie d'arrêter les hommes et les femmes qui sont actifs dans le commerce du sexe pour quantité d'autres infractions pour lesquelles le reste d'entre nous ne nous ferions jamais arrêter. Il y a chez nous une travailleuse du sexe qui, il y a un ou deux mois, s'est fait imposer une amende de 400 $ pour avoir jeté dans la rue son sachet de croustilles, et un des mêmes policiers lui a dit la semaine dernière « Je vais t'avoir d'ici la fin du mois, quel que soit le chef d'accusation ».
    Je pense par ailleurs que la loi actuelle, du fait de sa nature même, étouffe la communication non seulement entre les travailleurs du sexe et la police mais également entre agences comme la nôtre. Mardi dernier, j'étais assise à une table en train de discuter avec des travailleurs, et nous avions la photo d'une fille disparue que nous avait fournie un des détachements de la GRC. Sans aller trop dans le détail, afin de protéger sa confidentialité, je dirais que la GRC s'était, dans le cadre de sa recherche de cette fille, engagée sur une mauvaise piste. Cette fille avait été aperçue par un des clients de notre programme mais ils avaient eu peur d'appeler la GRC ou la police locale à cause du traitement qu'ils avaient déjà subi, à cause du caractère criminel de leur travail et parce que cette relation est très tendue. Il m'a fallu faire cet appel et lorsque je me suis exécutée et leur ai dit quelle organisation je représentais et ce que nous faisions, j'ai eu le sentiment de me faire un petit peu intimider, et il m'a fallu insister pour être certaine que le caractère confidentiel des renseignements soit respecté.
    Si les communications étaient améliorées et si ces lois étaient décriminalisées, et si nous mettions l'accent sur la réduction des préjudices plutôt que sur les sanctions, je pense que cela permettrait de bâtir une relation de confiance entre la police et les travailleurs, et qui ne demanderait pas mieux que d'avoir une bonne et solide relation avec les forces de l'ordre? Elles sont sur les premières lignes. Elles voient ce qui se passe dans la communauté.
    J'aimerais également mentionner que j'ai dit aux clients de notre programme la semaine dernière « Qu'en est -il des liens entre le crime organisé et la prostitution? » Ils m'ont répondu « Rene, quel crime organisé? De quoi parles-tu? » Encore une fois, c'est peut-être particulier à Halifax et à la région dont je parle, mais les utilisateurs de notre programme ne voient pas cette relation entre le crime organisé et leur travail.
    Merci.
Le président:
    Mme Pacey, puis ce sera au tour de Mme Mooney.
Mme Katrina Pacey:
    J'aimerais simplement discuter un petit peu des outils qui vont être à la disposition des forces de l'ordre si les articles 210 à 213 sont abrogés, et j'aimerais également revenir sur ce commentaire que vient tout juste de nous livrer Mme Ross, celui du policier qui aurait déclaré « Je vais t'avoir d'ici la fin du mois ». J'aimerais dire, et cela m'inquiète, que même avec la révocation de ces dispositions du Code criminel, il sera toujours possible pour les policiers de partir à la recherche de travailleurs du sexe et de les arrêter. Ils utiliseront pour ce faire l'article 213. En ce moment, les travailleurs du sexe rapportent à la Pivot Legal Society énormément de cas de harcèlement.
    J'aimerais également souligner qu'il y aura toujours l'article 175 du code, celui portant sur le fait de causer du désordre. Cet article sera à la disposition des forces policières, et je vous soumets respectueusement que celles-ci pourraient en faire un usage disproportionné à l'égard des travailleurs du sexe.
    J'ai donc certaines inquiétudes en la matière. Je tiens à insister là-dessus pour la gouverne de ceux et celles qui craignent que la police ne dispose alors plus d'outils face au tapage dans les rues et autres.
    La raison pour laquelle je serais un peu plus en faveur du recours à cet article est que le fait de causer du désordre ou du tapage suppose en règle générale un véritable dérangement par opposition à la simple présence d'une personne engagée dans sa profession dans la rue. Il existe des critères légaux pour déterminer s'il y a tapage; cela suppose troubler l'environnement autour de vous. Le simple fait d'être debout dans la rue et d'être engagé dans votre travail ne cadrerait pas avec la définition légale. Cependant, je tenais à souligner que les forces de l'ordre continueront de disposer d'outils qu'elles pourront employer si elles estiment que des travailleurs du sexe sont véritablement en train de causer du désordre, au sens de la loi.

  (1030)  

Le président:
    Merci.
    Madame Mooney.
Mme Maurganne Mooney:
    Merci. J'aimerais réagir en fait à un certain nombre de choses.
    Premièrement, en plus de mon travail auprès des services juridiques pour les Autochtones, cela fait dix ans que j'oeuvre dans le domaine de la violence faite aux femmes. Je travaille directement avec des prostituées et des féministes.
    Il importe de souligner que dans le cadre de la troisième vague de féminisme nous sommes présentement à la recherche de solutions de rechange. La communauté transgenderiste s'est rebiffée et a dit, écoutez, nos voix ne se font pas entendre, et les prostituées se sont rebiffées et ont dit, écoutez, arrêtez de nous appeler des victimes : nous vous répétons sans cesse que nous ne sommes pas des victimes, que c'est notre droit de choisir ce que nous voulons faire de nos propres corps.
    Cette question, laissant de côté l'aspect moralité, équivaut au dossier pro-choix, au dossier de l'avortement. Cela équivaut également à la question des droits des gais et des lesbiennes, et il y a entre les deux certaines similitudes. Le droit d'une personne de déterminer sa propre sexualité, le droit d'une femme d'avoir plus d'un partenaire sexuel—ce sont là des choses fondamentales, et l'on inflige notre moralité à autrui. Lorsque vous êtes chez vous et que vous élevez vos enfants, croyez ce que vous croyez. Apprenez-leur et soyez juste avec eux. Mais lorsque vous sortez en public et que vous infligez vos vues à autrui, j'appelle cela du sectarisme. Et c'est là le problème.
    En ce qui concerne la violence faite aux femmes, le travail avec les prostituées, les rapports de viol posent beaucoup de problèmes. Lorsque des femmes sont criminalisées, elles deviennent l'ennemi de la police. J'ai vu des femmes se faire arrêter du fait d'avoir rapporté des agressions sexuelles parce que planaient sur elles des mandats d'arrestation pour infractions mineures, soit l'équivalent d'une contravention. Une femme que je connais travaillait pour moi chez Maggie's, et son casier judiciaire se résumait à 30 accusations de « communication ». Elle est dans la rue depuis l'âge de 16 ans.
    Si nous voulions nous attaquer aux problèmes qui amènent une personne à se prostituer, et si nous nous penchions sur les différents facteurs qui mènent à une telle décision, alors qu'on arrête de mettre des cautères sur une jambe de bois. Que l'on arrête de faire cela.
    Paul Bernardo et son père étaient déjà sur la liste des mauvais clients avant les meurtres de Leslie Mahaffy et Kirsten French. Il vous faudrait savoir que ces gars-là s'entraînent sur des prostituées. Cela aussi devrait figurer dans le procès-verbal.
    Lorsque je suis retournée dans ma communauté autochtone et ai expliqué aux femmes de ma communauté ce qui s'était passé lors de ma dernière comparution devant vous, cinq femmes présentes dans le cercle connaissaient des femmes enterrées sur la ferme porcine. Et c'était à Toronto. L'une de ces femmes est venue me voir par la suite et m'a dit que Pickton n'avait pas travaillé seul; elles pensent que des motards et des chauffeurs de camion ont fait leur part aussi, tout un réseau en fait.
    Ma dernière pensée là-dessus me vient du deuxième Congrès mondial de prostitués de 1986, un congrès réunissant des travailleurs du sexe de partout dans le monde :
L'autonomie financière est essentielle à la survie, à l'auto-détermination, au respect de soi et au développement personnel des femmes. Au contraire de ce qui se passe dans le cas des hommes, l'on méprise ou plaint souvent les femmes du fait des choix de vie qu'elles font, principalement dans le but de gagner de l'argent. La véritable indépendance financière inclut les moyens de gagner de l'argent (ou une position d'autorité par rapport à l'argent) et la liberté de le dépenser comme bon nous semble.
    Vous savez, il y a quelques années, l'on discutait encore de la question de savoir si c'était ou non une bonne idée d'accorder aux femmes le droit de vote.
    Merci.
Le président:
    M. Poulin, et ce sera ensuite au tour de M. Vrbanovic.

[Français]

M. Richard Poulin:
    Il faudrait peut-être souligner un consensus qui existe dans cette salle, qui est celui de décriminaliser les personnes prostituées, c'est-à-dire de cesser de les faire harceler par la police et de les rendre responsables et criminelles. La criminalisation pose d'énormes problèmes pour les personnes qui veulent quitter la prostitution, parce qu'il est évidemment plus difficile de trouver un emploi autre quand on a un dossier criminel. Il est donc clair que la décriminalisation des personnes prostituées est un pas à faire.
    Par contre, les divergences commencent quand il est question des notions de travail du sexe et de prostitution volontaire, forcée, de survie, etc., qui entraînent par la suite l'acceptation de la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution, ladite traite étant ravalée au statut de migrant volontaire des travailleurs du sexe. Il y a derrière cela toute une logique qui va à l'encontre des politiques traditionnelles du Canada et des politiques internationales, notamment dans le protocole additionnel de la Convention contre la criminalité transnationale organisée. Il n'est nullement question de consentement ou non lorsqu'il s'agit de traite. Au contraire, le consentement n'est pas retenu comme étant un critère pour parler de traite à des fins d'exploitation sexuelle. Il faut souligner à grands traits que ce sont des pays abolitionnistes et des pays réglementaristes qui, lors de négociations sérieuses, ont convenu que la question du consentement, volontaire ou pas, était fondamentalement irrelevant. On sait que la reconnaissance de la prostitution comme un simple travail sexuel entraînera une croissance de l'industrie du sexe et une demande de « travailleuses du sexe ». Par conséquent, comme aux Pays-Bas, en Allemagne et en Australie — je connais moins la situation en Nouvelle-Zélande parce que sa loi est mise en application depuis seulement deux ans —, on verra une augmentation de la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution et une explosion du nombre de personnes sans papiers qui pratiquent la prostitution de façon illégale, clandestine, dans les pires conditions qui soient sur le plan de la santé, de la sécurité, etc.
    C'est le problème que je vois dans la définition des travailleuses du sexe telle que proposée dans le cadre de la légitimation de l'industrie de la prostitution, y compris du proxénétisme. Comment peut-on combattre le proxénétisme avec cette notion?
    Ma collègue Frances Shaver ne parle jamais de proxénétisme, comme si, dans le monde idéal, le travail du sexe n'était qu'un simple échange de services entre deux personnes. Mais il y a une troisième personne qui est en cause, qui parfois négocie des tarifs au nom de la personne prostituée. Elle est là, cette troisième personne, et il ne faut pas l'oublier. La prostitution est un triangle. Ce ne sont pas juste deux adultes consentants qui font un échange de services sexuels. Le jour où Mme Shaver traitera sérieusement de la question du proxénétisme et l'intégrera dans ses recherches, elle pourra peut-être me convaincre. Mais d'ici là, l'absent — le proxénète — fait que je suis inconvaincable à cet égard. Merci.

  (1035)  

[Traduction]

Le président:
    Merci.
    M. Vrbanovic, M. LaFosse, puis Mme Shaver.
    Avant de passer au deuxième tour, madame Ross, il nous faut d'abord demander s'il y a quelqu'un d'autre qui n'a pas encore répondu et qui aimerait prendre la parole.
    Monsieur Vrbanovic.
M. Berry Vrbanovic:
    Merci, monsieur le président.
    Je pense qu'il est important, dans le contexte surtout de la question de M. Hanger, de revenir sur le fait que la Fédération canadienne des municipalités n'a pas pris position officiellement quant à la révocation possible des dispositions de la loi. Bien franchement, nous n'avons pas eu l'occasion de renvoyer cela devant nos communautés membres. Cependant, nous avons par le passé pris position sur des questions concernant la sécurité des communautés, la réduction des préjudices et la prévention du crime par le développement social. Les opinions que nous avons exprimées aujourd'hui cadrent avec les positions que nous avons prises par le passé.
    Quant à tout changement que pourrait proposer le comité, je pense qu'il importe que de tels changements tiennent compte des préoccupations de la collectivité quant à la sécurité de nos quartiers et des citoyens qui y vivent et les reflètent. Ainsi, toute solution découlant du processus en cours, qu'il s'agisse de la décriminalisation ou d'une quelconque autre option que voudrait envisager le comité, devrait tenir compte des ramifications.
    L'autre commentaire que je voulais faire est que je comprends que des inquiétudes ont été exprimées quant au fait que l'on dépeigne les travailleurs du sexe comme étant des victimes et ainsi de suite. Cela découle du travail que nombre de nos municipalités ont fait avec des travailleurs du sexe dans ces collectivités. La réalité—et je pense pouvoir parler de ma propre collectivité, et je sais que des collègues m'ont dit la même chose—est qu'il y a eu une corrélation entre les travailleurs du sexe dans la rue et la consommation de drogues illicites. La réalité est que dans bien des cas, franchement, le commerce du sexe dans la rue utilise ce marché pour financer ces accoutumances.
    Je pense donc qu'il nous faut veiller à ce que les changements proposés par le comité aident à résoudre ces problèmes et les défis qui accompagnent ces accoutumances.

  (1040)  

Le président:
    Merci.
    Monsieur LaFosse.
M. Darrell LaFosse:
    Merci beaucoup, monsieur.
    J'aimerais faire quelques commentaires dont j'espère qu'ils seront utiles au comité.
    Je pense que ce qu'il nous faut faire c'est déterminer ce que nous voulons faire. Voulons-nous réduire le niveau de prostitution que vivent les collectivités? Voulons-nous protéger le travailleur? Voulons-nous examiner des moyens d'éliminer la victimisation et la violence que vivent les travailleurs du sexe? Il nous faut classer nos préoccupations par catégorie. Ou, plus important encore, voulons-nous envisager des moyens d'éliminer ou de réduire la génération suivante de travailleurs du sexe et nous attaquer au problème à la source?
    Ce que nous faisons au départ sur les premières lignes s'agissant de surveillance policière c'est discuter avec les collectivités. Nous nous assoyons avec les groupes consultatifs communautaires dans les différentes communautés. Je sais que c'est ce que nous faisons à Halifax, mon vieux terrain de jeu. Nous nous efforçons de trouver les moyens de traiter des plus grandes préoccupations de la communauté, après quoi nous mettons en oeuvre une stratégie adaptée. Par exemple, je reviens encore au travail multidirectionnel qui se fait dans le cadre du projet KARE : les relations qui se sont établies à ce niveau entre la police et les travailleurs du sexe ont évolué à un point tel que les travailleurs du sexe appellent la police lorsqu'ils vont quitter la ville pour leur dire où ils vont au cas où quelqu'un les recherche ou qu'il faille les rechercher.
    Tout cela peut se ramener à deux choses : la surveillance policière intégrée et l'établissement de relations. Une fois ces relations établies, alors vous pouvez progresser. Pour revenir à mes commentaires initiaux, dès lors que nous aurons décidé collectivement de ce que nous voulons faire s'agissant des catégories que j'ai mentionnées, alors je pense que nous pourrons progresser.
    Merci.
Le président:
    Mme Shaver, qui sera suivie de M. Lowman.
Mme Frances Shaver:
    Merci.
    J'aimerais répondre à mon collègue, M. Poulin, et aux questions qu'il a soulevées au sujet du proxénétisme.
    Il n'y a aucun doute qu'il s'agit là d'une grosse préoccupation pour ceux d'entre nous qui avons fait de la recherche sur le travail du sexe et sur les travailleurs du sexe, et pour les hommes, les femmes et les transgenderistes qui sont actifs dans le secteur et avec qui j'ai parlé. J'aimerais cependant souligner un point qu'a soulevé Mme Pacey, soit que l'article 212, qui traite du fait de vivre des produits de la prostitution, ne règle d'aucune façon les préoccupations ne serait-ce que de la majorité des membres de la communauté avec qui j'ai discuté des abus qui sont commis dans le cadre du proxénétisme. Les abus qui intéressent la majorité, même autour de cette table, ont à voir avec l'extorsion, avec l'agression sexuelle sous toutes ses formes, avec l'agression criminelle sous toutes ses formes et avec la séquestration.
    Mon souci est qu'il semble que l'on ne recourt pas suffisamment à ces lois pour protéger les travailleurs du sexe et poursuivre les hommes, quels qu'ils soient, ou même les femmes, qu'il s'agisse de macs ou de proxénètes ou d'exploitants de maisons de débauche, lorsqu'il y a commission d'abus contre des personnes.
    Si donc il nous faut faire quelque chose face à ce problème, il me semble que ce pourrait être de la recherche sur les raisons pour lesquelles ces lois ne sont pas appliquées. S'il y a des raisons pour lesquelles cela n'est pas possible, alors il nous faut peaufiner ces lois pour veiller à ce qu'elles puissent être appliquées lorsque cela est absolument nécessaire, sans toucher aux lois qui ne traitent que de la prostitution et en tout cas pas à l'article 212, qui ne vise en réalité que le proxénétisme et le fait de vivre des produits de la prostitution, ce qui peut être fait de façon tout à fait réglementaire, en usant de bonnes pratiques. Alors mettons cela de côté et traitons des réelles inquiétudes qu'ont les gens à l'égard des souteneurs et du proxénétisme, et utilisons les lois les mieux adaptées à la résolution de ces problèmes.

  (1045)  

Le président:
    Merci.
    Monsieur John Lowman, allez-y, je vous prie.
M. John Lowman:
    Je vais répondre à plusieurs commentaires qui ont été faits.
    Un commentaire que j'ai entendu est que la prostitution de rue est un tout. L'intervenant en question a dit qu'en fait, à ses yeux, toute la prostitution ne forme qu'une seule et même entité. Or, en vérité, la prostitution de rue connaît elle aussi plusieurs niveaux. Certaines femmes consomment des drogues dans la rue, d'autre pas. Certaines femmes dans la rue font des choix. Je ne les classerais pas dans la catégorie des travailleuses de sexe de survie. C'est bien plus compliqué que cela. À l'heure actuelle, la prostitution de rue ne représente sans doute qu'environ 10 à 20 p. 100 de toute la prostitution qui se fait dans nos communautés.
    Il est intéressant d'entendre l'avis des municipalités. Clairement, l'une des grandes préoccupations tourne autour de l'existence de communautés saines, mais en vérité les communautés se portent plutôt bien même si au beau milieu de chaque collectivité il y a une énorme industrie de la prostitution. Nous ne voyons que ce qui se passe dans la rue.
    Je suis convaincu que quoi que l'on fasse, cela ne sera vendable sur le plan politique que s'il y a moyen de contrôler ce qui se passe dans la rue. Ma soumission, donc—et c'est quelque chose qui ne m'est en fait venu qu'il y a quelques jours à peine—est qu'une possibilité serait d'avoir une loi visant le commerce de rue, mais qui ne serait pas limitée à la seule prostitution. La seule façon d'appliquer une telle loi serait de prévoir un endroit où pourrait aller les femmes qui normalement travailleraient dans la rue. Ces femmes sont en règle générale sans abri et pauvres. Sans doute qu'aucune d'entre elles ne devrait être active dans la prostitution et tant et aussi longtemps que nous n'avons pas trouvé le moyen de les en sortir en créant pour elles d'autres possibilités qui leur permettent de faire des vrais choix, alors ce qu'il nous faut faire c'est trouver un endroit où elles puissent exercer leur métier en toute sécurité sans finir leurs jours sur une ferme porcine.
    Ce que je suis en train de dire c'est que si l'on créait des stationnements où les gens pourraient se garer pour des transactions sexuelles, cela amènerait une situation où il n'y aurait plus de prostitution de rue dans les quartiers résidentiels et où les femmes ne se retrouveraient plus sur des exploitations porcines.
    Quant au crime organisé, cela m'amuse toujours d'entendre dire que si nous légalisons la prostitution, cela attirera le crime organisé. Si vous regardez le crime organisé à Vancouver, celui-ci est propriétaire d'un gros morceau de l'industrie cinématographique ancillaire, alors autant interdire le cinéma. Le crime organisé possède d'importants intérêts dans des quais, alors fermons les quais. D'ailleurs, il possède une très grosse épicerie dans le quartier ouest de Vancouver, alors fermons donc toutes les épiceries. Et pendant qu'on y est, il y a un magasin d'alcools qui appartient à ces mêmes gens dans mon coin, alors j'imagine qu'il faudra qu'on le ferme lui aussi.
Le président:
    Merci.
    Madame Mooney.
Mme Maurganne Mooney:
    J'aimerais simplement revenir un petit peu sur ce qui a été dit au sujet de la loi en matière de proxénétisme.
    Il y a plus de dix ans, lorsque je me suis lancée dans le domaine de la lutte contre la violence faite aux femmes, en cour de justice il n'y avait que deux femmes qui ne pouvaient pas être violées : la femme mariée, aux mains de son conjoint, et la femme prostituée. Je suis heureuse de dire que nous avons fait certains progrès en ce qui concerne les femmes mariées. Lorsqu'un homme est accusé d'avoir battu sa femme, il n'est pas accusé d'être un mari, il est accusé de l'acte commis : agression, ou tentative de meurtre ou voies de faits graves. Il en est de même dans le cas de ceux qui vivent des produits de la prostitution. L'actuel libellé de la loi viole un droit humain de la femme—qui est protégé par la Charte des Nations Unies—soit le respect de la vie familiale et privée. Les lois qui criminalisent ceux qui profitent de l'argent gagné par les prostituées sont fréquemment utilisées contre les prostituées pour leur refuser le droit d'avoir des relations si elles s'adonnent à ce genre de travail.
    Encore une fois, nous avons déjà dans le Code criminel des dispositions visant tout tiers aux pratiques violentes. D'après mon expérience, les femmes qui cherchent l'intervention de tiers le font dans l'intérêt de leur sécurité. Elles travaillent avec une autre femme ou alors elles souhaitent que quelqu'un les accompagne à un rendez-vous. Dans la situation actuelle, toute tentative faite par une femme pour obtenir une certaine sécurité au travail est criminalisée. Il nous faut donc examiner cela. Vous dites, en gros, que si vous travaillez comme prostituée, vous risquez de facto la peine de mort, car l'exercice de votre droit de prendre des mesures pour travailler en sécurité peut résulter en votre incarcération.
    Merci.

  (1050)  

Le président:
    Merci.
    Madame Ross.
Mme Rene Ross:
    Merci.
    J'aimerais dire, très rapidement, surtout à l'intention de nos organisations soeurs, que chez Stepping Stone nous serions tout à fait prêtes à travailler ensemble et à discuter avec les usagers de notre programme de la loi en matière de proxénétisme. J'ai appris beaucoup de choses au sujet de cette loi ce matin et je vous remercie tous de nous avoir éduqués en la matière. Il y a eu de vastes débats au sujet de cette question, car c'est ainsi qu'un membre de notre personnel, qui était autrefois utilisatrice du programme, est entré; c'était son conjoint. Je pense que tout le monde a fait d'excellentes remarques que je vais livrer à mon retour aux clients de notre programme.
    J'aimerais réagir rapidement à tout ce que les gens disent au sujet du trafic. Il y a deux ans, j'ai été déléguée par l'Assemblée mondiale des citoyens à une réunion de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies à Genève portant sur la violence faite aux femmes. La rapporteuse spéciale de la violence faite aux femmes à l'époque, Radhika Coomaraswamy, déposait son rapport de départ. Celui-ci était volumineux. Elle avait dressé la liste de tous les pays du monde et, pour chacun d'entre eux, les plus graves préoccupations sur le plan violence faite aux femmes. Au Canada, le gros problème était celui de la traite. C'était là le plus gros problème de l'avis de la rapporteuse spéciale à l'époque. Elle avait dit que le Canada était un point de destination et de transit pour la traite des femmes.
    Je viens de Halifax. J'habite une ville portuaire. Lorsque je parle aux usagers du programme, lorsque je parle à d'autres agences et que je leur demande pourquoi il n'y a pas beaucoup de femmes immigrantes, on me dit que ce qui se passe c'est que tout cela est clandestin.
    L'on a récemment créé un poste de rapporteur spécial sur la traite d'humains, et tout particulièrement de femmes et d'enfants. La femme qui a été nommée à ce poste dit qu'à cause de la nature illégale de la prostitution, les femmes qui sont arrivées au Canada par le biais de la traite ne peuvent pas s'identifier et demander une protection. Elle dit que les femmes sont par ailleurs revictimisées étant donné qu'elles sont pénalisées en étant accusées de prostitution au lieu de recevoir de l'aide.
    Dans de nombreux cas, une fois pénalisées, elles sont expulsées du pays. J'aimerais également dire que la traite d'humains doit être considérée dans le contexte des mouvements de migration internationaux et nationaux. Ce sont la mondialisation économique, les conflits armés, l'effondrement des États et la modification des frontières politiques qui contribuent au trafic d'êtres humains. Je ne pense pas que le problème ce soit les lois du pays auquel ces femmes sont envoyées.
    J'aimerais d'autre part dire que la question du trafic de personnes ne peut pas être réglée par le comité, par mes collègues ou par moi-même seul. Ce fléau ne peut être combattu que par la prévention et l'éducation dans tous les pays, et pas seulement au Canada. Il nous faut éduquer les travailleurs de soins de santé, les policiers et les agents de contrôle des frontières, et travailler avec d'autres ministères au sein du gouvernement afin de régler ce problème. Je rejette simplement la notion qu'une décriminalisation amènera une avalanche de femmes désireuses de venir travailler ici dans l'industrie du sexe.
Le président:
    Merci, madame Ross.
    Le moment est maintenant venu de passer à Mme Brunelle, pour quelques questions.

[Français]

Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ):
    Mesdames, messieurs, bonjour. Cela me fait plaisir de vous voir aujourd'hui.
    Nous entendons de nombreux témoins, et j'essaie de voir où en sont nos objectifs. On voit qu'il est nécessaire de protéger les prostituées ainsi que les enfants ou les mineurs. On voit aussi qu'il est nécessaire d'intervenir pour tenter de régler des problèmes sociaux tels que la drogue, la pauvreté, etc. On entend beaucoup parler de la nécessité de réintégrer les ex-travailleuses du sexe, celles qui désirent en sortir, ainsi que de la nécessité d'aider les collectivités. Il y a donc un ensemble de problèmes. Selon ce que j'entends depuis quelques mois, tous s'entendent pour dire que le statu quo est intenable. Il faut faire une réforme.
    On entend beaucoup parler aujourd'hui de la notion de décriminalisation. On en a entendu fréquemment parler. Certains veulent que la décriminalisation soit totale, d'autres veulent qu'elle soit partielle. J'aimerais vous inviter à discuter davantage entre vous du fonctionnement de cette chose. C'est une table ronde, et votre interaction pourrait nous nourrir. Je pense que notre président serait d'accord pour vous laisser intervenir à ce sujet.
    Ma première question porte sur la décriminalisation. Quelle juridiction en serait responsable? Madame Shaver, dans votre tableau 1, qui porte sur les approches législatives de réglementation de la prostitution, vous parlez des préceptes fondamentaux. Vous nous dites au sujet de la décriminalisation:
La prostitution n'est pas de compétence fédérale. Cela impose moins de restrictions, voire aucune, quant au genre de mesures législatives susceptibles d'être prises par les gouvernements.
    J'aimerais que vous m'en disiez davantage à ce sujet. Les autres personnes qui ont une opinion peuvent aussi me répondre.
    Pendant notre tournée du Canada, j'ai constaté qu'il était vraiment difficile de formuler des modifications à la loi qui fassent consensus, car les préjugés, les façons de voir, les opinions des citoyens canadiens sont très différents, qu'on soit à Montréal, à Toronto, à Vancouver ou ailleurs. Les gens sont différents quant à leur tolérance et ils vivent souvent leurs émotions de façon intense. Il me semble donc qu'il sera très difficile d'arriver à modifier la loi et à obtenir l'assentiment des communautés. Si la prostitution n'est pas de compétence fédérale mais de compétence provinciale, serait-il possible de prévoir des variations à l'intérieur de la loi?
    Ce sont deux vastes questions.

  (1055)  

[Traduction]

Mme Frances Shaver:
    Je vais me lancer la première et tenter de répondre à votre question.
    Je suis heureuse que vous ayez eu l'occasion de regarder le tableau 1. Ce que j'ai voulu y dire est que si nous décriminalisons la prostitution, cela retranchera la question du domaine fédéral. Cet aspect a également été soulevé par Mme Pacey et elle aurait peut-être elle aussi des remarques à faire en la matière. Cela impose moins de restrictions quant aux types de lois pouvant être élaborées par des gouvernements provinciaux et municipaux et c'est certainement là source d'inquiétude pour ceux d'entre nous qui plaidons en faveur de la décriminalisation.
    C'est pourquoi j'ai, dans le cadre de mes commentaires, tenté de fournir non pas toutes les réponses... mais au moins une mise en garde au comité : bien que vous soyez, j'en suis certaine, au courant, il nous faut y réfléchir et faire de la consultation quant aux moyens d'aborder le problème. Ceux d'entre nous qui appuyons la décriminalisation voudront veiller à ce qu'advenant que ce soit cette solution que l'on retienne, cela ne débouche pas sur de nouveaux régimes quasi-pénaux ou punitifs avec l'imposition d'amendes ou de pénalités au niveau soit provincial ou municipal, soit local. Je ne sais comment veiller au mieux à ce que les préceptes de base de la décriminalisation se trouvent reflétés à tous les paliers de gouvernement, mais je sais que c'est là une préoccupation.
    Mme Pacey a laissé entendre qu'une amélioration de la communication aux niveaux municipal et provincial pourrait aider, ou alors que des groupes au niveau local pourraient être chargés de communiquer avec les municipalités pour voir à quoi cela pourrait ressembler tout en assurant la protection et des travailleurs du sexe et des résidents et de toute autre personne pouvant être affectée par ce changement à la loi et y avoir quelque inquiétude. Il nous faut donc traiter de ces préoccupations.
    Je me demande également dans quelle mesure la Charte ne pourrait pas être utile ici. Je sais que le droit à l'avortement est prévu dans la Charte et je sais que cela veut dire que ni les provinces ni les municipalités ne peuvent interdire l'avortement dans leurs localités. Je sais que ce n'est pas dans toutes les localités qu'il existe des cliniques d'avortement, et je sais que c'est le cas à l'Île-du-Prince-Édouard, mais ce n'est pas que la province peut interdire l'avortement, car le droit à l'avortement est protégé par la Charte. Que ce soit là une autre avenue à explorer ou non, je ne sais pas, mais si nous allons opter pour la décriminalisation au palier fédéral, alors il nous faut travailler sur le plan éducation et autre aux niveaux municipal et provincial—certainement aux niveaux davantage locaux, où les choses vont se passer.
    Certains de mes collègues ont fait ici des suggestions au sujet de pratiques exemplaires qui ont fonctionné et qui ont réussi, et qui n'ont pénalisé ni les travailleurs du sexe ni les résidents, ainsi que d'autres choses qui pourraient être examinées et partagées. Mais cela exigera sans doute une certaine part de bonne volonté et une compréhension du fait qu'un certain travail d'éducation devra se faire si nous voulons éliminer certains des stigmates et de la marginalisation, car la bonne volonté ne va pas venir spontanément du simple fait d'avoir décriminalisé la prostitution et les activités qui s'y rattachent.
    Ce que je viens de vous dire ne constitue pas une réponse, mais cela vous donne le détail de ce qui pourrait être fait... au lieu de dire tout simplement que c'est une préoccupation et que la collectivité, en consultation avec d'autres qui sont de plus grands experts dans le domaine, devraient s'y pencher plus attentivement. Comme je le disais, je pense que Katrina Pacey aurait peut-être elle aussi des suggestions à faire.

  (1100)  

Le président:
    Madame Mooney.
Mme Maurganne Mooney:
    J'aimerais discuter de certaines mesures de prévention, de sorte que si nous décriminalisons la prostitution, nous puissions maintenir cela comme un choix, pour être aussi près possible de l'idéal.
    Il y a, tout d'abord, le problème des drogues et de l'alcool. Je conviens à 100 p. 100 que la toxicomanie et l'alcoolisme sont dévastateurs pour les collectivités. Ce sont des fléaux mortels. Dans la ville de Toronto, la police et les groupes communautaires ont convenu qu'il s'agit d'un problème de santé. Il y a des comptables qui sont des accrocs du crack; on en trouve dans toutes les catégories sociales. L'alcoolisme et la toxicomanie ne sont pas discriminatoires. N'importe qui peut y sombrer, quels que soient sa classe sociale, son mode de vie et sa profession.
    Il nous faut un meilleur accès à des lits en service de traitement, en désintoxication. Une personne peut aller en soins de désintoxication pour deux à cinq jours et ensuite attendre un mois ou deux pour aller dans un centre de traitement. Un financement dans ce domaine serait donc très bénéfique pour ces gens, car il faut souvent plusieurs tentatives avant qu'une personne réussisse à se sevrer. Les programmes de réduction des préjudices contribuent certes eux aussi à sauver des vies. Il ne s'agit pas de promouvoir la consommation de drogues mais d'aider les gens à rester en vie une fois que leur maladie les a fait plonger jusqu'au fond.
    Le deuxième aspect c'est la protection des jeunes. Je travaille à la cour pour jeunes Autochtones au 311 de la rue Jarvis, à Toronto, et un grand nombre de mes clients sont pupilles de la société d'aide à l'enfance. Lorsqu'une cellule familiale éclate, lorsqu'il y a abus d'enfants, il faut qu'il y ait encouragement de la part de notre société, de telle sorte que les survivants soient encouragés à dénoncer leurs agresseurs et que les agresseurs soient tenus responsables des traitements infligés aux enfants, au lieu que l'enfant soit stigmatisé du fait de s'être déclaré victime de maltraitance.
    Il nous faut également aider nos jeunes à se loger. En cas de désintégration familiale, il n'y a dans ce pays personne qui souffre plus qu'un jeune de 14 ans, car celui-ci n'a aucun droit, aucun moyen de gagner un revenu et il ne va pas être beaucoup aidé par la SAE. Ce jeune disparaît entre les mailles du filet. Si nous voulons empêcher la prostitution chez les jeunes, alors il nous faut trouver des moyens d'aider les jeunes à s'aider eux-mêmes ou alors créer des foyers de groupe ou multiplier le nombre de familles d'accueil qui sont prêtes à accepter des enfants plus âgés.
    Merci.
Le président:
    Merci.
    Nous allons maintenant entendre Lee Lakeman.
Mme Lee Lakeman:
    Vous avez devant vous le spectre d'une jeune de 14 ans qui se protège avec les lois en matière de travail. En Colombie-Britannique, cette possibilité est tout à fait concevable.
    Je tiens à dire que lorsqu'on parle compétence, il nous faut regarder au-dessus et en dessous. Il est clair pour tout le monde au niveau des Nations Unies que nous sommes aux prises avec un commerce international qui vaut dans les millions de dollars. Ainsi, il est parfaitement ridicule de ramener la question à celle de savoir quel doit être le choix individuel par rapport à cette industrie.
    Clairement, le fait qu'il y ait des variations d'une province à l'autre ou d'une ville à l'autre à l'intérieur du pays est une balkanisation qui abandonne complètement l'aspect égalité des femmes. C'est un abandon total. Nous constatons depuis 1995 ce qu'amène cette balkanisation. Vous ne pouvez pas réclamer le développement social auprès du palier fédéral tout en réclamant en même temps la balkanisation du droit pénal, car c'est tout ce qu'ont les femmes à l'heure actuelle en matière de violence faite aux femmes.
    La Charte exige une certaine normalisation. Les femmes luttent pour qu'il y ait des obligations positives dans la Charte, des obligations positives exigeant que le gouvernement offre un certain soutien économique, un certain accès à la protection policière, une certaine normalisation en droit pénal, un certain accès au logement, certaines attitudes anticolonialistes, et nous continuons d'insister là-dessus.
    Comparer l'avortement et la prostitution suit une logique très douteuse. Clairement, les féministes parlent des droits génésiques, qui englobent l'obligation positive du gouvernement en matière de développement social et qui supposent un choix de la part des femmes prises individuellement, mais il ne faut pas ramener cela à une question de choix individuel à la manière de cette analogie. La prostitution, pour nous, n'est pas le contrôle de son propre corps; c'est plutôt la perte du contrôle exercé sur son propre corps. Pour moi, cette analogie est tout simplement absurde.

  (1105)  

Le président:
    Monsieur Poulin.

[Français]

M. Richard Poulin:
    Je vais essayer de répondre à votre question. C'est un peu énigmatique étant donné qu'habituellement les États vont réglementer plutôt que de déréglementer. S'il y avait décriminalisation totale, ce serait la déréglementation totale de la prostitution. Cela veut dire — et Mme Shaver l'a bien noté — que, par exemple, l'article de la loi contre le proxénétisme disparaîtrait. Ainsi, le proxénétisme deviendrait de facto au Canada une activité légale, ou tout au moins non illégale, et ce sont d'autres lois qui s'appliqueraient, comme celle sur l'extorsion. Par exemple, un commerçant nous extorque. Dites-moi quelle est la part d'extorsion dans la prostitution. Est-ce 50 p. 100, 60 p. 100, 70 p. 100? On ne le sait pas et on ne pourrait pas le définir. Ce serait assez problématique. Certains proxénètes prennent jusqu'à 100 p. 100 des revenus de la personne prostituée, alors que d'autres en prennent 50 p. 100, 40 p. 100 ou 70 p. 100. C'est environ 90 p. 100 dans le cas des trafiquants, qui laissent un peu d'argent à la personne prostituée pour qu'elle puisse se nourrir.
    Cela me pose un problème éthique ainsi qu'un problème en lien avec les conventions internationales pour lesquelles le Canada s'est engagé. Le proxénète est défini comme celui ou celle qui vend la prostitution d'autrui. Le proxénétisme est considéré comme moralement inacceptable et comme portant atteinte à la dignité de l'être humain. Le terme « dignité » est dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je m'oppose donc à ce qu'on retire du Code criminel l'article sur le proxénétisme. Je suis d'avis qu'il faut renforcer cet article au lieu de l'enlever.
    La décriminalisation totale rendrait en quelque sorte possibles toutes les activités reliées à la prostitution et une partie des activités reliées à la traite, la traite entre les provinces, par exemple, dans les différents secteurs. Cela veut dire que les bordels pourraient être légaux. Cependant, le Canada, avec ses politiques, s'est surtout attaqué à la prostitution de rue. Les salons de massage sont rarement attaqués. Les clubs d'escortes ne le sont jamais. De temps en temps, il y a eu des raids policiers dans des bordels illégaux où les femmes, notamment des Philippines ou de Thaïlande, étaient victimes de la traite internationale. Il y a eu un de ces cas à Toronto. Il y a ici une loi et une pratique. La pratique est très différente de la loi, parce qu'on n'applique pas la loi sur le racolage ou sur la communication aux salons de massage. Dans les Pages jaunes, il y a plein d'annonces de clubs d'escortes. On n'applique pas la loi à ce niveau, mais on l'applique dans la rue. C'est cela, le problème. C'est la prostitution visible qui, jusqu'à présent, a été le problème.
    Pour moi, il faut une politique visant l'abolition de la prostitution, et c'est possible. L'abolitionnisme vient de la lutte pour l'abolition de l'esclavage, et l'abolition de l'esclavage a été possible. Qui dit abolitionnisme dit deux choses: lutter contre ceux qui profitent des personnes prostituées, donc les proxénètes, le crime organisé et les clients, et prendre les moyens nécessaires pour permettre aux personnes prostituées de se sortir de la prostitution, c'est-à-dire prévoir les crédits nécessaires pour des centres de réinsertion professionnelle, etc. C'est cela, la position abolitionniste. La Convention de 1949, ce n'est pas plus que cela.
    Je trouverais relativement dommageable pour notre société qu'on considère que le proxénétisme peut être combattu uniquement par la loi sur l'extorsion ou par des trucs comme celui-là. Cela n'a aucun sens. Cela légitime le proxénétisme. Ce ne sont que les pires abus qui seront combattus, et non pas le proxénétisme lui-même. C'est inacceptable.

  (1110)  

[Traduction]

Le président:
    Merci, monsieur Poulin.
    Madame Pacey.
Mme Katrina Pacey:
    J'aimerais répondre sur plusieurs points et j'essaierai d'être brève.
    Ce que j'aimerais dire au sujet de la disposition sur l'extorsion, c' est qu'elle contient des termes très importants qui sont absents de la disposition sur le proxénétisme, à savoir le fait « d'induire quelqu'un par menaces, accusations ou violence » et c'est cela la différence entre les deux dispositions. Nulle part dans la disposition sur le proxénétisme n'est-il question de comportement coercitif, menaçant ou violent. Quiconque joue le rôle de gestionnaire, d'entremetteur ou de fournisseur de services de soutien à un travailleur du sexe tombe sous le coup de cet article. C'est pourquoi nous disons que l'application est trop large et c'est pourquoi la disposition sur l'extorsion traduit bien l'objectif poursuivi par les gens autour de cette table, à mon avis, soit protéger les travailleurs en général, mais plus particulièrement les travailleurs du sexe, contre les menaces et la violence.
    La question du partage des pouvoirs entre différents paliers de gouvernement est complexe, de toute évidence, et ce partage est de nature constitutionnelle et il y a donc une limite à ce que ce sous-comité fédéral peut faire sous forme de recommandations contraignantes sur des lois relevant d'autres niveaux de gouvernement.
    Mais nous devons souligner que les dispositions du Code criminel relatives à la prostitution représentent actuellement une barrière pour les travailleurs du sexe qui veulent se prévaloir des législations provinciales ou municipales. Ainsi, par exemple, les travailleurs du sexe qui travaillent dans des salons de massage à Vancouver ne peuvent saisir la Commission des relations de travail ou le Conseil des normes d'emploi pour se plaindre de leur patron s'ils sont contraints de faire des choses qu'ils ne veulent pas—fournir un service sexuel qu'ils refusent, céder une plus grande part de leur salaire qu'ils ne le souhaitent, travailler dans des conditions qui ne leur conviennent pas. Ils sont donc totalement démunis de toutes les protections en matière d'emploi ou de normes de travail offertes à tous les autres travailleurs de la Colombie-Britannique. Si la décriminalisation intervient, une bonne part de cette responsabilité passera aux gouvernements provinciaux, car ce sont eux qui sont responsables des normes de travail et d'emploi dans la province.
    Aussi, ce qu'il nous faut faire, en tant que défenseurs, en tant que personnes qui analysent le problème et comme militants pour les droits des travailleurs du sexe, c'est de réellement partir de la législation à ces niveaux et, avec les recommandations de décriminalisation, espérons-nous, travailler ensuite avec les gouvernements aux niveaux provincial et municipal afin d'examiner de très près cette législation et demander aux travailleurs du sexe, aux juristes, si cette législation assure le genre de protection en matière de travail et d'emploi dont les travailleurs du sexe ont besoin, afin que ces lois puissent protéger ces travailleurs contre des conditions de travail inéquitables et inacceptables tout en favorisant une relation positive entre employeur et employé dans l'industrie du sexe, une relation qui existe déjà et continuera d'exister? Ce qu'il faut, c'est habiliter les travailleurs du sexe dans le contexte de cette relation afin qu'ils puissent déterminer les conditions de travail et leurs conditions de vie.
Le président:
    M. Vrbanovic.
M. Berry Vrbanovic:
    Merci, président Maloney.
    J'ai déjà indiqué que la FCM, plus particulièrement en ce qui concerne la question de Mme Brunelle, n'a pas adopté de position sur la décriminalisation mais je suis prêt à en saisir notre comité et demander à notre personnel d'y travailler au cours des prochains mois afin que la FCM puisse formuler une position officielle pour la suite de cette discussion.
    Cependant, plusieurs d'entre vous avez déjà indiqué que si l'on va engager la décriminalisation, il faudra le faire par un dialogue avec les trois ordres de gouvernement, et je suis totalement d'accord avec cela.
    Vous qui siégez ici à Ottawa, vous savez bien que la Fédération des municipalités canadiennes réclame depuis longtemps un siège à la table lorsqu'on discute de ce genre de problème, et nous sommes très heureux d'être ici et de participer à cette table ronde. Mais je peux vous dire aussi que nos associations provinciales soeurs réclament la même chose à tous les gouvernements provinciaux et territoriaux de ce pays.
    On peut prendre comme exemple la concertation entre le gouvernement fédéral et les municipalités pour l'élaboration de la stratégie sur les drogues des municipalités canadiennes. Celle-ci a remporté quelques succès et si l'on va s'engager vers la décriminalisation, cette démarche ne portera fruit que si l'on établit un véritable partenariat et une stratégie nationale mettant en jeu tous ceux ayant un intérêt acquis. Je veux simplement souligner de nouveau ce point. C'est absolument indispensable si l'on veut s'assurer de l'adhésion de tous les paliers de gouvernement et donc, des habitants de nos collectivités.

  (1115)  

Le président:
    Madame Ross.
Mme Rene Ross:
    Je veux souligner l'importance de la concertation avec les travailleurs du sexe comme celle que conduit Stepping Stone. Nous offrons des stratégies de sortie et c'est un élément très important de notre travail. Mais il faut tout autant collaborer avec les utilisatrices du programme encore en activité. Selon notre expérience et d'après des recherches effectuées dans notre région, ce sont les travailleurs du sexe qui font l'éducation d'autrui sur les pratiques sexuelles sûres et la consommation de drogues. C'est même ainsi que nombre de nos usagers viennent chez nous. Ils entendent parler de nous par le bouche à oreille. J'ai mentionné tout à l'heure qu'une de nos clientes avait vu une personne dans la rue. Elle l'avait vue parce qu'elle est allée la voir pour lui remettre des condoms, pour être sûr qu'elle en ait.
    Par ailleurs, pour ce qui est des MST, etc., ce sont les clients qui, dans la majorité des cas, réclament un rapport non protégé, et non pas l'inverse. Concrètement, ce sont les usagers de notre programme et les travailleurs du sexe qui éduquent leur clientèle sur les pratiques sexuelles sans risque et qui refusent les rapports non protégés.
    Cela m'amène au point suivant. Encore une fois, comme je l'ai dit plus tôt, je ne suis pas une ancienne prostituée ni actuellement une prostituée, mais j'ai une tâche très importante ici, aujourd'hui. Je suis la voix des usagers du programme et des travailleurs du sexe de Halifax et ce n'est pas une tâche que je prends à la légère. Je sais que s'ils étaient là aujourd'hui avec moi, ils diraient : « Rene, tu dois répondre à cette citation disant que la prostitution c'est la perte de contrôle sur notre corps. Ce n'est pas vrai ». Elles décident des tarifs. Elles décident si elles vont avoir un rapport oral ou génital. Lorsqu'elles sortent, ce sont elles qui décident leurs heures de travail. La plupart contrôlent pleinement tout ce qu'elles font et elles veulent préserver ce contrôle.
    Et à cet égard, je vois beaucoup de similitudes entre ce débat et celui sur l'avortement. Il faut regarder les choses en face. S'il ne s'agissait pas de sexe, ce débat serait beaucoup moins chaud. La société s'y intéresserait beaucoup moins. Les médias ne vendraient pas autant de journaux s'il n'était pas question de sexe. Il est très important de parler clairement, car je sais que des personnes autour de cette table disent qu'il s'agit d'une question morale. Ce n'est pas une question morale; la question, c'est de protéger tous nos citoyens, quel que soit leur métier ou quoi qu'ils doivent faire pour survivre ou quoi qu'ils choisissent de faire librement.
    Merci.
Le président:
    Certains ont demandé une deuxième intervention. Est-ce qu'il y en a qui n'ont pas encore participé à la première réponse et qui souhaiteraient intervenir? Sinon, nous allons passer à ceux figurant sur ma liste, et ensuite nous demanderons à Mme Davies de poser ses questions.
    Je donne donc la parole à Frances Shaver pour une deuxième tour.
Mme Frances Shaver:
    Merci.
    J'ai trois remarques à faire et elles seront plutôt brèves. Elles renforcent certaines choses déjà dites.
    Je veux souligner que la décriminalisation de la prostitution ne signifie pas du tout que les femmes ne seront plus protégées contre la violence. Il y a toujours tous ces articles du Code criminel qui protègent les femmes, les enfants et les hommes contre la violence.
    Je pense également que certains des programmes éducatifs que j'ai suggérés dans mon mémoire—notamment concernant les relations entre la police et les travailleurs du sexe et d'autres—avec les indications recueillies ailleurs signifieront que davantage de travailleurs du sexe oseront porter plainte et seront ainsi protégés contre la violence d'une manière qui n'existe pas aujourd'hui car ils n'osent pas se déclarer. Je voulais donc souligner cela.
    Je voulais également revenir à la question de la décriminalisation et des problèmes éventuels à différents paliers de gouvernement. Même si j'ai présenté cela comme un problème, je ne veux pas nécessairement que la possibilité d'effets fortuits, dont certains négatifs, soit invoquée comme raison de ne pas avancer. Je veux simplement nous rappeler, et vous rappeler, que toute réforme, et probablement toute législation, a quelques effets plus ou moins imprévus—certains positifs, la plupart peut-être négatifs—mais nous ne pouvons laisser cela nous paralyser. Il s'agit donc d'identifier quels effets non voulus sont acceptables et lesquels ne le sont pas, dans la mesure où on peut les prévoir, et il faut certainement intégrer dans la mesure d'ensemble des recherches et un mécanisme de révision afin de pouvoir apporter les changements appropriés lorsque ces effets imprévus et non désirés apparaissent.
    Avec l'article sur la communication, lorsqu'il a été mis en place en 1985, on avait prévu un mécanisme de recherche et de révision pour suivre ce qui allait advenir. Une bonne partie des recherches que John Lowman nous a communiquées est une conséquence directe de cela. Mais je ne suis pas sûr que nous ayons donné suite aux résultats ou pris au sérieux toutes les recherches visant à déterminer si cette loi a accru la violence contre les hommes et les femmes et d'autres travaillant dans l'industrie du sexe.
    La dernière remarque vise juste à renforcer la notion que nous avons besoin d'une coopération entre tous les niveaux de gouvernement. C'est important. Les recherches que j'ai menées avec le groupe de défense des prostituées et de recherche sur le commerce du sexe qui a comparu devant vous a clairement établi, comme l'ont déjà montré certaines anecdotes et exemples cités ici, que la criminalisation signifie que les travailleurs du sexe ne peuvent se prévaloir des lois déjà existantes en matière de normes de travail et d'emploi, car ils sont considérés comme impliqués dans une activité criminelle ou quasi illégale.
    Nous tous ici à cette table devons assumer une part de responsabilité à ce sujet, mais je répète qu'il faut envisager une coopération entre tous les paliers de gouvernement. Ce qui se passe au niveau fédéral a des répercussions sur ce qui peut et ne peut pas être fait aux paliers provincial et municipal.
    Merci.

  (1120)  

Le président:
    Monsieur Poulin.

[Français]

M. Richard Poulin:
    Nous allons parler d'un exemple de déréglementation au Canada. Il a trait à la danse nue. Je considère que cette déréglementation est dans la droite ligne des politiques néo-libérales et de leur acceptation. Dans le domaine de la danse nue, il y a eu une déréglementation importante. Que s'est-il passé? Il n'est pas apparu de syndicat de danseuses nues. Les conditions de travail ne se sont pas améliorées. Au contraire, elles se sont dégradées à un point tel qu'on fait maintenant appel à la main-d'oeuvre étrangère parce que les personnes d'ici ne veulent plus danser nues.
    Vous vous rappelez le scandale entourant la ministre Sgro et les 500 visas accordés à des danseuses nues de Roumanie? Pourquoi fait-on tout d'un coup appel à la « main-d'oeuvre étrangère »? J'ai fait une enquête sur les danseuses nues au début des années 1980. Elles recevaient le salaire minimum des serveuses, des serveurs, en plus des pourboires pour danser à la table. Aujourd'hui, ces mêmes personnes ne reçoivent plus de salaire minimum du propriétaire du bar; elles sont des travailleuses autonomes qui doivent même payer pour aller danser. Il y a donc eu une dégradation de leurs conditions salariales, si on peut dire. Certaines payent pour danser et font de l'argent, d'autres ne font pas un cent, mais sans perdre d'argent. Les propriétaires de bars peuvent maintenant avoir 40 ou 50 danseuses, car ils n'ont plus à payer. Ce sont elles qui paient pour aller danser. En plus, il y a dégradation de leurs conditions de travail. Elles doivent maintenant aller dans les isoloirs pour faire de l'argent et elles sont tripotées par les clients. Vous vous souvenez des témoignages de Mmes Parent et Bruckert. Elles n'ont pas inclus dans leurs témoignages la liste des blessures des danseuses tripotées dans l'isoloir. Cela devient dangereux. Parce que c'est devenu dangereux et parce que les conditions se sont dégradées, il faut faire venir des gens du tiers monde, de Thaïlande, des Philippines ou de l'Europe de l'Est.
    C'est ce qui se produira le jour où l'on déréglementera la prostitution au Canada. On a l'exemple extrêmement éclairant de la danse nue. Partout dans le monde où on a déréglementé, où on a légalisé la prostitution, on a constaté qu'il y avait eu une dégradation des conditions d'exercice de la prostitution, que le prix des passes était tombé, etc.
    Cela n'aide pas du tout les personnes prostituées. Au contraire!

  (1125)  

[Traduction]

Le président:
    Merci.
    Madame Mooney.
Mme Frances Shaver:
    Si vous le permettez, j'aimerais simplement dire qu'une autre analyse veut que...
Le président:
    Excusez-moi, madame Shaver, mais Mme Mooney a la parole.
Mme Frances Shaver:
    Désolée.
Mme Maurganne Mooney:
    Dans ma dernière réponse à la question de M. Poulin sur ce qu'il adviendrait après la décriminalisation, je m'en voudrais de ne pas parler de la problématique autochtone. Il faut avoir les voix de femmes autochtones et de transgenres autochtones dans toutes les réunions, à tous les niveaux, où seront prises des décisions les concernant. Trop souvent, des non-Autochtones parlent pour les Autochtones comme si nous étions des enfants... ne sachant pas quels sont nos besoins. Nous avons des solutions culturelles pour la guérison des membres de notre communauté. Il faut simplement nous mettre en situation de pouvoir et nous écouter.
    J'ai nommé mon rapport « Invisible Tragedy » parce que nous sommes hautement représentées parmi les morts et les détenus. Les femmes indiennes inscrites ont une probabilité d'incarcération 131 fois supérieure à celle des femmes non autochtones. Maintenant que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a été promulguée, les prisons pour adolescents sont devenues des prisons pour adolescents autochtones. Alors que les mesures extrajudiciaires sont appliquées et donnent de bons résultats avec toutes les autres cultures, pour je ne sais quelle raison, les effets ne sont pas au rendez-vous dans les communautés autochtones. Aussi, lorsque l'on envisage la décriminalisation, je n'aimerais pas que tous les efforts déployés... s'il s'avère que nous sauvons la vie de tous les autres mais que les femmes autochtones continuent de mourir.
    Je recommande que le Canada donne suite aux conclusions du rapport d'Amnistie Internationale Stolen Sisters.
    Merci.
Le président:
    Mme Clamen, puis Mme Shaver. Nous passerons ensuite à Mme Davies pour d'autres questions.
    Madame Clamen.
Mme Jennifer Clamen:
    J'aimerais juste éclairer un peu la situation des danseuses, du moins à Montréal.
    Ce n'est pas parce que les clubs de danse ont été déréglementés que les conditions de travail des filles ont empiré. C'est plutôt dû au fait que les patrons ont été libérés de toute responsabilité à l'égard de ces travailleuses, et maintenant il y a des danseuses qui travaillent comme indépendantes et ne sont pas reconnues comme employées. Aussi, les patrons n'ont aucun intérêt à chercher à améliorer les normes de travail. Les filles n'ont pas de contrat. Il n'y a aucune norme de propreté ou de norme sanitaire en général. Il n'y a aucune reconnaissance de leurs droits comme travailleuses indépendantes et, encore une fois, c'est pourtant là où le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pourraient jouer un rôle utile car aujourd'hui le mouvement syndical ne s'occupe pas des travailleurs indépendants et nombre des femmes dans ce pays sont des travailleuses indépendantes. Je sais que cela n'est pas un problème que le comité peut régler, mais il faut reconnaître les travailleurs indépendants.
    Je voulais juste apporter ce renseignement.
Le président:
    Madame Shaver.
Mme Frances Shaver:
    Merci.
    J'interviens pour renforcer ce qu'a dit Mme Clamen, car la situation décrite par M. Poulin en est une de réforme légale isolée. Nous tous ici faisons valoir que la réforme légale, même s'il s'agit d'une simple déréglementation comme dans le cas des clubs de danse, ne doit pas être effectuée seule, mais accompagnée de programmes d'intervention sociale. Ces derniers engloberaient la suppression du stigmate et de la marginalisation et permettraient aux travailleurs du sexe, ou même aux danseuses nues, de fonctionner comme des employées qui ont des patrons et ces patrons seraient obligés d'appliquer aux employées de ces clubs la législation provinciale en matière de travail.
Le président:
    Madame Quinn, s'il vous plaît.
Mme Kate Quinn:
    Merci.
    J'ai écouté avec grand intérêt et je trouve matière à réflexion dans les interventions de chacun ici.
    Je veux commencer par approuver Maurganne lorsqu'elle dit qu'il nous faut sérieusement honorer et prendre en compte ce que disent les Autochtones des agglomérations et collectivités rurales de tout le pays. Edmonton a fait un petit pas en avant avec l'élaboration de l'accord concernant les Autochtones urbains. Je pense que dans tout ce que nous faisons, il est vital d'accroître la participation de la collectivité autochtone à tous les niveaux. Il est vrai qu'à Edmonton plus de moitié de la population vivant dans la rue sont des Indiens, des Métis ou des Inuits.
    Je n'ai pas l'érudition de ceux d'entre vous qui êtes criminologues ou avocats. Je ne peux que parler de notre expérience directe. Le problème est très ardu et complexe. J'essaie de réfléchir à la distribution des pouvoirs entre les paliers fédéral, provincial et municipal, car c'est à ce dernier que revient l'action concrète. Selon mon expérience, la tâche incombe aux collectivités et aux municipalités, et c'est là où nous sommes les plus proches les uns des autres et où nous devons régler les problèmes, avec des soutiens appropriés des niveaux provincial et fédéral tant sous forme de crédits que de lois et politiques.
    J'aimerais vous relater quelques expériences. Samedi, je me suis rendue à notre bureau, qui est situé en plein milieu de l'un des quartiers chauds. La plupart des femmes assassinées ces dernières années ont disparu dans un rayon de quelques rues de notre bureau. Une femme se tenait devant notre bureau et je suis allée lui parler. Au fil d'une longue conversation, elle a dit plusieurs choses que j'aimerais vous rapporter. Je lui ai demandé : « De quoi avez-vous besoin dans l'immédiat? » Elle a dit « Eh bien, une cigarette, un sandwich et j'ai réellement besoin d'un toit ». Je pouvais l'aider avec la cigarette et le sandwich, mais je ne pouvais rien faire pour le toit car les gouvernements fédéral et provincial ne collaborent pas. Des crédits fédéraux ont été alloués à une maison de transition pour personnes transgenres et des femmes mais la province n'a pas débloqué d'argent pour maintenir le foyer. Nous avons ainsi perdu 15 lits de transition en juin dernier. Quatre femmes ont été assassinées à Edmonton depuis.
    Dans notre bureau, nous jouons un rôle unique au sein de la collectivité car nous sommes un organisme mixte. J'ai personnellement déboursé 4 500 $ pour un logement d'urgence, en paiement partiel de loyer. J'ai rédigé un chèque de 1 000 $ samedi pour aider une femme et sa fille. Elles sont Autochtones. Toutes deux se sont prostituées. Il y a trois petits-enfants en jeu et elles sont menacées par un gang. Tout cela est réel. Elles se sont enfuies en catimini pendant la nuit. D'ex-membres de gang nous ont dit que les femmes y sont qualifiées de matelas. Nous vivons avec cette réalité.
    Je ne sais pas si Edmonton est différente des autres villes, mais je peux vous dire que l'aliénation des jeunes les pousse à s'intégrer à des gangs et à se faire mal entre eux. C'est une réalité. À Edmonton, le trafic de drogue dans la rue est un gros facteur.
    J'aimerais vous relater une autre chose que m'a dite la femme devant mon bureau. Je lui ai demandé ce qu'elle aimerait faire d'autre dans sa vie. Elle a répondu : « J'aimerais travailler avec le projet KARE. J'aimerais vraiment trouver la solution à ces meurtres ». Ensuite elle a dit : « J'aurais bien voulu me marier et avoir des enfants ». Ensuite j'ai dû la quitter et elle devait suivre son chemin. Elle m'a dit : « Je vais me trouver un client ce soir et peut-être me donnera-t-il assez d'argent pour payer une chambre d'hôtel ».
    Un autre cas dont je me suis occupée ces trois derniers jours est celui d'une femme à laquelle vous avez d'ailleurs parlé dans notre bureau lorsque votre sous-comité était à Edmonton et elle m'a donné la permission de vous raconter son histoire. Elle vivait dans mon quartier il y a 20 ans, lorsqu'elle avait cinq ans. Je l'ai probablement rencontrée au magasin du coin. Elle a été molestée à l'âge de cinq ans, et à 11 ans elle vendait son corps pour nourrir ses frères et soeurs. Elle est métisse. Aujourd'hui, sa fille de 13 ans, touchée par le syndrome de l'alcoolisme foetal et d'autres difficultés, s'est enfuie de la maison parce qu'elle veut faire la fête.

  (1130)  

    Cette jeune femme est maintenant dans mon quartier. Je ne connais que trop bien les risques qu'elle encoure, tout comme sa mère, qui les connaît de manière très intime, dans son corps et son esprit.
    Cette gamine de 13 ans refuse de dire à sa mère où elle est, mais elle l'appelle de temps en temps. Elle vit dans un appartement et dit qu'elle travaille pour un centre d'appel. Une gamine de 13 ans? Je ne crois pas qu'un employeur engagerait une fille de 13 ans. La police essaie de la trouver avant qu'il ne lui arrive encore plus de mal.
    Je ne puis que vous parler de ce que je connais. Je sais qu'à Edmonton, dans ma communauté, des enfants, des femmes, des transsexuels et des hommes souffrent chaque jour. Tout ce que je sais, c'est que je veux faire partie d'une société humanitaire qui offre des perspectives à ses membres. Je veux faire tout ce qui figure sur votre liste, et plus encore.
    Je veux que nos villes et localités soient saines et sûres. Je peux vous dire qu'il est très difficile de vivre à côté d'une fumerie de drogue. Je peux vous dire qu'il est très dur de voir ses enfants menacés sur le chemin de l'école. Il est très dur pour les femmes de se faire harceler aux arrêts d'autobus. Il est très dur pour moi d'appeler « travailleuses du sexe » ces jeunes filles de 18 et 19 et 20 ans qui ont été assassinées l'an dernier à Edmonton. Lorsqu'elles avaient moins de 18 ans, elles étaient victimes de sévices sexuels à enfant. Le jour de leur 18e anniversaire, elles sont devenues des délinquantes aux yeux de la loi et travailleuses du sexe aux yeux des autres.
    J'accepte qu'il y ait des personnes qui se considèrent comme travailleurs du sexe et que l'on en trouve dans beaucoup d'endroits. J'admets cela comme membre d'une société pluraliste. Cependant, en accolant l'étiquette travailleur du sexe à tout le monde, on occulte certaines réalités réellement brutales. Et je pense que c'est rendre un mauvais service à ceux qui rêvent d'autres choses pour eux-mêmes et qui voudraient des perspectives et participer pleinement à notre société.
    Nous avons donc un gros défi devant nous et il n'y a pas de solution facile. Je crois que nous pouvons commencer, comme notre très petite organisation l'a fait. Une multitude de voix ont créé cette proposition de loi, disant que nous voulons décriminaliser la prostitution tout en nous attaquant à ceux qui en profitent et exploitent les personnes vulnérables. Nous avons soumis ce texte au sous-comité et je crois que c'est ce qu'il nous faut faire, au moins dans les dix prochaines années. Il faut proposer une vision différente et dire qu'il est inacceptable d'exploiter les gens et que notre société ne va pas le tolérer. Nous pourrons alors revoir la situation dans dix ans et faire le point. Ce que je vois autour de moi à Edmonton ne doit pas continuer.
    La mère de la gamine de 13 ans m'a dit : « Kate, vas-y et parle pour nous, les petites gens ». Je parle donc pour elle aujourd'hui et pour sa mémoire. J'espère et je prie que la police trouvera sa fille de 13 ans avant qu'elle devienne une autre victime de meurtre ou avant qu'elle soit entraînée plus loin dans l'exploitation sexuelle et dans tout ce qui l'attend.
    Merci.

  (1135)  

Le président:
    Mme Lakeman, puis Mme Davies.
Mme Lee Lakeman:
    J'aimerais réitérer l'argument de Katrina lorsqu'elle dit que le délit de proxénétisme ne requiert pas la preuve légale de l'emploi de force. C'est exactement son intérêt pour moi. Il est déjà extrêmement difficile en droit canadien pour les femmes de prouver qu'elles ont été victimes de violence criminelle. Il est nécessaire d'avoir cette protection supplémentaire qui ne requiert pas une preuve aussi lourde, car nous ne parvenons pas à prouver la violence faite aux femmes en cour criminelle.
    Deuxièmement, la distribution des pouvoirs entre les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux est un facteur très important, comme vous le demandiez. Je crains que l'on offre aux villes des crédits touristiques en échange de la tolérance de la prostitution, au lieu qu'on leur offre un vrai développement social. Je crains que les provinces, dans ce contexte, ne soient pas intéressées à réprimer cette violence faite aux femmes. Et je m'inquiète de voir un gouvernement fédéral qui cède déjà au néo-libéralisme, qui abandonne sa poursuite de l'égalité et du développement social à ce niveau. Je crains donc une collusion entre les trois paliers de gouvernement en faveur de la prostitution.
    Je conviens totalement que les femmes autochtones et les femmes criminalisées doivent être au premier plan de ce débat, tout comme les femmes menacées par la prostitution. Mais je vous rappelle que les associations féminines revendiquant l'égalité ne sont pas en faveur de la décriminalisation. L'AFAC vous a demandé une criminalisation accrue des clients. Les seuls de l'ACSEF qui aient parlé appartenaient à une organisation locale de la côte Est et ils ont demandé une criminalisation accrue des clients et le bureau national a appuyé cela. J'ai vérifié ces choses. J'ai fourni une liste dans mon mémoire des groupes féminins qui se sont prononcés là-dessus. Il n'y a aucun doute. Les associations féminines nationales qui militent pour l'égalité des femmes demandent une criminalisation accrue, et non pas moindre.

  (1140)  

Le président:
    Merci.
    Madame Davies, s'il vous plaît.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD):
    Tout d'abord...
Mme Lee Lakeman:
    Excusez-moi, peut-être m'accorderez-vous une dernière seconde. L'auteur du rapport d'Amnistie Internationale qui a été mentionné est la présidente actuelle de l'AFAC et elle est en faveur de la criminalisation.
Le président:
    Libby.
Mme Libby Davies:
    Tout d'abord, j'aimerais remercier vous tous d'être venus aujourd'hui.
    Pour que les choses soient claires, monsieur le président, nous allons chacun poser une question. Lorsque j'aurai fini avec la mienne, allons-nous avoir davantage un échange aller-retour? Est-ce là le plan?
Le président:
    C'est le plan.
Mme Libby Davies:
    D'accord.
    Je veux réellement vous remercier tous d'être venus. Vous êtes tous des témoins de haute importance, à mon avis.
    Savez-vous quoi? Je pense que vous vous attaquez là probablement au problème le plus ardu que connaisse la société canadienne. Je suis totalement étonnée par le genre de débat et les divergences d'opinions que nous avons entendues. C'est probablement l'une des choses les plus importantes dont nous parlerons jamais et j'espère que nous parviendrons à une conclusion. Je ne vois pas encore vers quoi nous nous dirigeons, mais je trouve que le débat a été incroyablement important.
    Plusieurs d'entre vous avez fait remarquer qu'il a fallu 20 ans pour qu'un comité parlementaire revoie cette question après le Comité Fraser, pour que se déroule un débat réellement sincère, même si les points de vue divergent. Je tiens réellement à vous en remercier. Je pense qu'il faut beaucoup de courage pour mettre ses positions sur la table, quelque soit le point de vue que l'on épouse. Nous avons tous appris qu'en s'attaquant à cette question, il faut tout remettre en question. Ce sont toutes nos croyances les plus fondamentales, à tant de niveaux, qui sont mises en jeu. Je voulais simplement en donner acte.
    À mes yeux, l'une des choses les plus importantes que nous ayons faites a été de donner la parole aux travailleurs du sexe eux-mêmes. Ces voix ont été incroyablement importantes. Les opinions divergent aussi au sein de ce milieu. Ce n'est pas nécessairement une voix uniforme, et pourquoi le serait-elle? Elle n'est pas uniforme s'agissant des autres groupes, alors pourquoi celle des travailleurs du sexe le serait-elle?
    Mais la façon dont j'essaie d'aborder cela, c'est du point de vue tant des droits que de l'égalité. C'est pourquoi j'ai réellement du mal avec la position abolitionniste. Je sais, Lee, vous en êtes sans doute l'avocate la plus intransigeante.
    Nous avons entendu de la bouche de tant de femmes et d'hommes—peu d'hommes, mais il y en a eu—travaillant dans le commerce du sexe qu'il existe différents niveaux, différents aspects, et que des choix sont possibles. Il me semble que la plus grosse difficulté que nous ayons est de savoir comment distinguer entre ce qui est néfaste, coercitif et exploitant et ce qui ne l'est pas. À mes yeux, tout revient à cela.
    Nous sommes d'accord sur beaucoup de choses. Tout le monde est d'accord pour refuser l'exploitation sexuelle des enfants, en gros des moins de 18 ans. Nous sommes à peu près d'accord sur la nécessité d'une intervention de l'État sous forme de soutien au changement de vie, de prévention et d'éducation et de réduction des méfaits. Nous ne cessons de le répéter. Il y a, en fait, un assez large consensus, à mon sens. Là où nous achoppons, c'est sur la possibilité de faire la part des choses et de s'accorder sur ce qui est néfaste et ne l'est pas. Et je dois dire que les voix de ces travailleurs eux-mêmes sont très importantes dans ce débat.
    Je pose donc en fait deux questions.
    Premièrement, dans quelle mesure l'expérience de ces personnes doit-elle compter? Je vous pose la question à vous, Lee, car vous adoptez une position très intransigeante. Je dois dire que nous avons entendu beaucoup de féministes et d'organisations féminines qui croient en l'égalité et en les droits mais qui n'épousent pas le point de vue abolitionniste. Je sais que vous représentez un certain point de vue, mais d'autres féministes ont dépassé ce stade, en partie sous l'influence de ces voix que nous avons entendues. Comment peut-on donc concilier ces divergences?
    Deuxièmement, s'agissant de distinguer ce qui est néfaste et coercitif, sommes-nous d'accord pour...? Nous utilisons ce mot « prostitution », le commerce du sexe, mais il me semble qu'il se compose de différents éléments, que l'on utilise le mot « esclavage », que l'on utilise le mot « survie » ou que l'on utilise les mots « travail sexuel ». Sommes-nous d'accord? Je devrais peut-être plutôt demander qui n'est pas d'accord. Y a-t-il des personnes ici qui n'admettent pas que l'on peut distinguer ces éléments, à tout le moins? Et peut-être y a-t-il d'autres subdivisions encore.
    Voilà les deux questions que je vous lance.
    Lee, peut-être voudriez-vous commencer.

  (1145)  

Le président:
    Lee va commencer.
Mme Lee Lakeman:
    Pour ce qui est de la première question, quelles sont les expériences de ces personnes, tout d'abord, je crois que vous vous êtes leurrée vous-même avec le choix de ceux que vous écoutez. Vous ne réalisez manifestement pas que chaque foyer de transition et chaque centre d'accueil des victimes d'agression sexuelle du pays voit défiler des femmes qui ont été prostituées. Je travaille depuis 1973 dans des maisons de transition et des foyers d'accueil et je reste une travailleuse de première ligne. Il ne s'est pas passé une semaine pendant tout ce temps où je n'ai pas eu affaire à des femmes qui ont été violentées dans la prostitution.
    Tout d'abord, il y a de très, très, très nombreuses voix de femmes parlant de la prostitution au sein du mouvement anti-viol.
    Je crois que vous devez également vous demander si vous n'auriez écouté que les voix des femmes battues si vous aviez imposé que seules les femmes battues vivant toujours dans le foyer conjugal puissent parler?
Mme Libby Davies:
    Excusez-moi, je ne comprends pas ce que vous dites.
Mme Lee Lakeman:
    Celles qui ont échappé à la prostitution disent clairement quelque chose de très différent.
Mme Libby Davies:
    Non.
Mme Lee Lakeman:
    Oh si. Je vous renvoie non seulement à tous les groupements féminins nationaux... Vous ne pourrez pas nommer un seul groupe féminin national qui prône la décriminalisation. Il n'y en a pas un seul.
    À l'évidence, les femmes qui oeuvrent dans le domaine de la violence faite aux femmes voient des prostituées violentées chaque jour, chaque semaine. Oui, c'est vrai qu'il existe un petit nombre de femmes, un très petit nombre, qui réussissent à vivre dans la prostitution et ne la considèrent pas comme de la violence. Je vous l'accorde, mais elles sont très peu nombreuses. Mon problème, c'est que la majorité des femmes sont violentées, sont mises en danger, subissent des dommages, et je vous rappelle que c'est là votre centre d'intérêt. Vous vous êtes donné pour tâche de protéger les femmes qui font le trottoir, les femmes qui trinquent le plus. C'est clairement l'oeuvre de votre vie. C'est d'elles que nous parlons. Donc, pour moi, cela détermine largement la problématique.
    Il importe également de savoir si l'on peut ou non faire un tri dans les dommages. À mes yeux, la nature intrinsèque de la prostitution, c'est la violence. Je ne connais personne qui a été impliqué dans la prostitution pendant plus longtemps que quelques semaines et qui n'a pas été violenté. Je sais qu'il y en a un petit nombre, mais croyez-moi, ce n'est pas la norme. Ce n'est absolument pas la norme. De toute façon, il n'est pas nécessaire d'avoir l'imagination très fertile pour réaliser que de vendre ou d'être vendu dans les parties les plus intimes de son être constitue en soi une violation. Personne ne devrait être obligé de faire cela pour manger et avoir un toit. C'est tout simplement une conception totalement inacceptable des droits humains. Je pense que le droit international réprouve ce concept, comme M. Poulin l'a fait remarquer. Il réprouve.
    Je crois que nous cherchons tous désespérément à protéger les femmes qui sont dans la rue et à protéger les plus aliénées d'entre nous, plus particulièrement celles qui sont colonisées et forcées de migrer des localités rurales vers le coeur des villes, où elles se retrouvent abandonnées, sans ressources et la proie des trafiquants internationaux de chair fraîche. À mes yeux, voilà le problème qu'il faut régler et je ne considère pas la légalisation comme une solution.
    On prétend pouvoir décriminaliser sans légaliser. C'est de la pure imagination. Ce n'est tout simplement pas possible. Quelqu'un va réglementer et enregistrer, va suivre à la trace ces femmes. Prétendre qu'il n'en sera pas ainsi ne fait pas avancer le débat, à mon avis.
Le président:
    Monsieur Lowman.
M. John Lowman:
    Je suis prisonnier de la recherche et, pour tenter de comprendre la prostitution, je l'ai étudiée dans son entier, à tous ses niveaux, et s'il y a certes des femmes qui ont vécu des expériences terribles pendant leur vie de prostituée, ce n'est pas le cas de beaucoup d'autres. J'en suis maintenant convaincu, m'étant concentré ces dernières années sur la couche supérieure du commerce du sexe.
    C'est la prostitution bourgeoise. Toutes sortes de clivages se recoupent ici—la race, la classe sociale, le sexe. On ne parle pas suffisamment de la dimension classe en jeu ici. Ce sont toujours les femmes prostituées de basse classe qui essuient le gros des efforts de répression policière.
    Si je regarde ce que le lobby de la criminalisation offre comme solution à ces femmes, je vois une consécration encore plus grande du système des classes érigé par la législation en matière de prostitution. Si l'on va s'en prendre aux entremetteurs, si l'on va s'en prendre aux clients, qui va-t-on finir par poursuivre? Si l'on veut s'attaquer aux clients, on va s'en prendre aux prostituées de rue. Pourquoi? Parce que c'est là où vous pouvez mettre une policière comme leurre. Qu'allez-vous faire d'autre, mettre une policière dans un bordel en état de marche? Elle sera découverte très rapidement. On n'aura pas beaucoup de clients devant les tribunaux de cette façon. Que vont faire les autorités, ouvrir des maisons closes elles-mêmes et donc avoir un bordel géré par la police? Je crois que c'est ce que l'on appelle de la provocation policière.
    Si je regarde les conséquences de la criminalisation des clients, je vois les femmes les plus vulnérables se faire marginaliser de plus en plus, poussées dans une situation où elles doivent travailler dans des endroits de plus en plus dangereux, car elles ne peuvent voir les programmes sociaux, les solutions à la toxicomanie et toutes ces choses dont elles ont besoin. Et je ne m'attends pas à les voir très bientôt.
    Le mieux que nous puissions faire pour elles, à mon avis, c'est veiller, en attendant que toutes ces autres choses soient en place, qu'elles ne se fassent pas ramasser par Gary Ridgway ou M. Pickton, s'il est coupable, ou quelqu'un d'autre—d'où l'idée des terrains de stationnement. Tout le monde va dire que c'est de la folie, demander où on va les mettre, mais je laisse cela aux politiciens, car ce sont eux les dirigeants et ils doivent faire preuve de leadership politique à cet égard.
    Et qu'en est-il des exploiteurs? J'entends dire de tous côtés qu'il faut s'attaquer aux exploiteurs. Très bien. S'agit-il de quiconque est impliqué dans la prostitution comme tierce partie facilitant le commerce? Selon les dispositions actuelles sur le proxénétisme, oui, c'est le cas. Mais regardez où notre problème a commencé. Regardez où le problème a commencé, avec la nécessité du Comité Fraser en premier lieu. Cela a commencé à Vancouver lorsque la police a fermé le Penthouse Cabaret et jeté la prostitution à la rue, et il a commencé à Toronto lorsque le pauvre petit Emmanuel Jack, le petit cireur de 14 ans, a été tué sur le toit d'une maison close. Ce qui s'est passé à Toronto, c'est que la police a mis la prostitution sur le trottoir.
    Ensuite nous avons eu le discours sur l'élimination—les journaux, les politiciens... il faut se débarrasser des prostituées. Cela n'a pas été dit de cette façon, mais c'est le message qui a été entendu. Et en faisant cela, on a donné aux hommes prédateurs, misogynes, une excuse de plus pour aller tuer des prostituées. On a épinglé une cible dans le dos des prostituées de rue, et regardez ce qui s'est produit.
    Qu'allez-vous faire? Vous en prendre aux gens qui gèrent les bordels? Vous allez remettre la prostitution dans la rue. Vous allez les renvoyer dans les champs de la mort. Vous allez créer davantage de nuisances. On voudra encore davantage se débarrasser des prostituées. Cela ne fera que perpétuer le problème.
    S'il vous plaît, ne recommandez pas cela.

  (1150)  

Le président:
    Avec votre permission, je vais faire une pause de quelques minutes. Le déjeuner est arrivé et il est chaud. Je pense que nous avons tous besoin d'une petite pause, et si nous pouvions prendre...
Mme Libby Davies:
    Vous permettrez néanmoins au panel de répondre à ma question?
Le président:
    Oui.
    Au risque de briser la continuité du débat, je pense qu'il nous faut une pause. Nous siégerons depuis 9 h et il est presque midi.
    Je vous demande de revenir dans une dizaine de minutes.

  (1154)  


  (1214)  

Le président:
    Nous allons reprendre la séance.
    Nous allions entendre Mme Mooney. Vous avez la parole.
Mme Maurganne Mooney:
    Je voudrais répondre à la question de Mme Davies concernant les divergences d'opinion au sein du mouvement féministe. J'ai fait beaucoup de travail en première ligne, comme je l'ai dit, dans le domaine de la violence faite aux femmes. Je sais qu'en Ontario nous avons fait beaucoup de travail d'éducation et au sein de cercles à l'intérieur des organisations féministes.
    D'après ce que je sais du mouvement féministe, les organisations féminines respectent le droit d'une femme—admettent qu'elle est l'experte de sa propre réalité. Lorsque je conseille une femme au téléphone, je peux bien penser qu'elle devrait quitter son mari qui la maltraite, mais je ne lui dirai jamais : « Pars. Ne vois-tu pas que c'est réellement mauvais pour toi? » Peut-être sait-elle qu'il est plus sûr pour elle de rester dans l'immédiat, et c'est une stratégie pour sauver sa vie. Moi, je ne sais pas. C'est elle qui vit la réalité de ses choix. Chaque fois que je conseille une femme dans ce rôle, c'est elle qui détermine ses choix et la façon de réagir à la situation qu'elle vit.
    Je suis également militante. J'ai appuyé mes soeurs lesbiennes dans leur lutte pour l'égalité et leur droit de choisir leur préférence sexuelle et de vivre sans discrimination. Mon travail avec les travailleurs du sexe m'a montré qu'il y a parmi elles des femmes qui mènent une vie indépendante et qui font le travail féminin le mieux rémunéré de tous. Si nous voulons changer cela, il faudra aussi envisager d'accroître les salaires des femmes. Nous payons les travailleuses en garderie 10 $ de l'heure. Nous ne disons pas aux femmes qui choisissent de travailler en garderie : « Comment osez-vous travailler en garderie? C'est un travail stupide ». Nous ne faisons pas cela, au sein du mouvement féministe. Bien sûr, c'est un sujet émotivement très chargé et je respecte toute femme qui a une opinion sur la question. Mais je respecte aussi le droit ultime d'une femme de choisir et déterminer ce qu'elle fait de la situation dans laquelle elle se trouve.
    Merci.

  (1215)  

Le président:
    Kate Quinn, s'il vous plaît.
Mme Kate Quinn:
    J'aimerais aborder deux questions, sans être sûre d'avoir les réponses.
    Je pense qu'il est vital d'écouter l'expérience des femmes et des hommes et des personnes transgenres, où qu'elles se situent sur l'éventail de la participation, et d'admettre que les choses peuvent apparaître très différentes selon le lieu et le moment où on les regarde. Par conséquent, il importe d'écouter les voix de ceux qui sont toujours actifs dans la prostitution et de ceux qui l'ont quittée, et ne pas prétendre que tout est pareil.
    Pouvons-nous disséquer les différents éléments et en séparer les méfaits? C'est là où j'ai du mal. Encore une fois, mon expérience première est au niveau de la rue, mais je peux vous dire que je reçois aussi dans notre bureau des appels et des visites de femmes qui travaillent dans des salons de massage et services d'escorte qui demandent de l'aide pour en sortir. Elles me disent qu'elles ne maîtrisent pas assez leur milieu de travail et certaines se sont présentées en disant qu'elles voulaient travailler avec nous pour empêcher d'autres femmes, surtout des jeunes, de se laisser entraîner. Je me débats avec tout cela.
    Il semble que je vois surtout les méfaits—et c'est la réalité. Encore une fois, beaucoup tourne autour des problèmes financiers. Une femme est venue nous voir, le visage abîmé par les coups de l'homme avec lequel elle vivait, qui l'obligeait à travailler dans un salon de massage. Elle est venue nous demander de l'aide, une bourse. Nous ne pouvions payer les 11 000 $ dont elle avait besoin, mais nous avons pu l'aider un peu. Elle ne pouvait obtenir un prêt d'études car elle avait essayé quelques années auparavant et omis de rembourser, et est donc prise au piège.
    J'aimerais réellement que l'on se concentre davantage sur les barrières qui empêchent les femmes de réaliser leur intégrité et leur rêve et moins sur ce que j'appellerais des stratégies de survie. Certaines mesures dont nous parlons ici ne sont guère que des stratégies de survie. Il faut toujours la réduction des méfaits, mais on ne peut s'en tenir à cela.
    J'ajouterais que nous avons eu des défis à Edmonton. Nous avons essayé de réglementer les salons de massage, les services d'escorte et la danse exotique en 1994 en réaction à la prostitution de rue. On disait que les conditions seraient ainsi plus sûres pour les femmes, que cela permettrait à la police d'éviter que des mineures soient employées et que cela permettrait à la police de réprimer la criminalité organisée. Tous ces établissements sont maintenant réglementés comme des commerces.
    Lorsque ceux d'entre nous qui se préoccupent de la santé et de la sécurité des femmes avons demandé à la municipalité d'organiser un cours informant ces femmes de leurs droits comme employées, des responsabilités de l'employeur en matière d'hygiène et de sécurité et des obligations fiscales, on nous a dit non, car nous les traitons maintenant comme des entreprises et nous ne faisons pas cela pour les autres entreprises. Nous ne pouvions rien faire pour réduire les méfaits car on nous a dit que ces établissements étaient tout simplement des commerces comme les autres.
    Je ne crois donc pas que la protection des personnes contre les méfaits sera facile, même lorsqu'on fait un choix intentionnel.

  (1220)  

Le président:
    Monsieur Poulin.

[Français]

M. Richard Poulin:
    J'aimerais revenir sur la question de l'égalité. Je pense que c'est une question tout à fait fondamentale dans le débat sur la prostitution.
    Mes sensibilités politiques sont plus près des vôtres, madame Davies, que de celles d'autres qui sont ici. Pourtant, dans le domaine de la prostitution, j'ai l'impression qu'on ne s'entend pas du tout. Il me semble que la condition préalable à l'égalité était l'abolition de l'esclavage. Pour moi, la condition préalable à l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas la légalisation ou la décriminalisation de la prostitution. Cela va à l'encontre même du concept de l'égalité. La prostitution est un système qui favorise les hommes, tant les proxénètes que les clients, au détriment des femmes. Les femmes y sont exploitées, comme on l'entend souvent dire, et c'est pour le plaisir masculin. Il n'y a rien de plus loin de l'égalité. Le jour où on légalisera ou décriminalisera totalement la prostitution, on va connaître une « prostitutionalisation » du tissu social.
    En présentation, je vous disais qu'entre 10 et 14 p. 100 des hommes avaient recours à des prostituées au Canada et dans d'autres pays similaires, soit occasionnellement, soit régulièrement. Par contre, dans les sociétés où on a légalisé la prostitution, il y a eu une croissance du nombre de clients. Vous pensez que les hommes qui ont recours aux services de prostituées, qui exploitent la sexualité d'autrui, ne voient pas les femmes d'une façon différente, n'ont pas des rapports inégalitaires avec les femmes? Je pense que oui. Cela a une influence globale sur les rapports entre les hommes et les femmes. Par exemple, en Thaïlande, 75 p. 100 des hommes ont maintenant recours aux services de prostituées, ce qui n'était pas le cas voici 30 ans. Il s'agit de la « prostitutionalisation » du tissu social.
    On vit dans une drôle de société. Avec la mondialisation néo-libérale, on arrive maintenant à la privatisation du vivant. J'imagine que le NPD s'oppose à la privatisation de l'eau, par exemple, du moins je l'espère. On arrive à la privatisation du vivant, à la marchandisation des corps, de parties du corps, au trafic d'organes, et on accepterait également la marchandisation du sexe. Il me semble qu'un parti social-démocrate devrait s'opposer à cette marchandisation justement à cause de valeurs démocratiques, sociales et, surtout, d'égalité et de justice sociale.
    La position que vous développez depuis quelque temps m'échappe complètement. Je comprends, parce que tout le monde est préoccupé par le même phénomène. Ce sont les personnes prostituées qui subissent les meurtres, les viols, la violence. Il faut donc trouver un moyen d'empêcher ces meurtres, cette violence, ces agressions que subissent les personnes prostituées ou, plus globalement, les personnes dans l'industrie du sexe. Cependant, je vous assure que ce n'est pas en légalisant ou en décriminalisant la prostitution qu'on va y arriver. Au contraire, lorsqu'on décriminalise ou qu'on légalise la prostitution, on permet aux hommes d'acheter, d'exploiter, de vendre des femmes et des enfants. Il n'y a rien qui soit plus loin de l'égalité entre les hommes et les femmes dans ce domaine. Je rappelle que le système de la prostitution est fait pour les hommes, proxénètes et clients, et non pour les personnes prostituées. Ce ne sont pas elles qui, même lorsqu'il y a légalisation, profitent de cette légalisation du système de la prostitution.
    Donc, je crois que si on vise l'égalité, il faut combattre le système de la prostitution.

  (1225)  

[Traduction]

Le président:
    Merci.
    Frances Shaver, s'il vous plaît.
Mme Frances Shaver:
    Merci.
    Je vais essayer de répondre aux questions que vous soulevez, madame Davies, concernant la séparation entre ce qui est néfaste et ce qui ne l'est pas. Ce n'est pas une tâche facile. L'une des raisons pour lesquelles vous voyez des divergences autour de la table sur ce qui est néfaste et ne l'est pas tient largement à la façon dont les recherches sont faites et les données recueillies.
    Ce n'est certes pas une surprise pour moi d'entendre que Mme Quinn et Mme Lakeman sont confrontées principalement aux méfaits. Si j'ai bien saisi, d'après leurs explications, elles travaillent pour l'essentiel avec des gens qui demandent de l'aide à différents niveaux et qui sont en crise. Bien sûr, si vous allez calculer sur la base de données provenant de personnes en crise, ce que vous allez entendre, pour l'essentiel, ce sont les préjudices.
    Pour ceux d'entre nous qui sommes chercheurs—et peut-être, comme John Lowman l'a exprimé, prisonniers de la recherche—nous faisons une réelle tentative de recueillir des données d'une manière qui couvre à la fois ceux qui sont en crise et ceux qui ne le sont pas.
    Dans notre recherche—et je parle ici de la recherche que j'ai effectuée sur la prostitution de trottoir—nous avons constaté, en examinant les données, que, oui, un certain nombre sont en crise, mais la vaste majorité, même des prostituées de rue, n'agissent pas d'une manière qui traduit une crise, ou ne recherchent pas l'aide de groupes et d'associations bureaucratiques—qu'il s'agisse du Centre Le Portage, ou de CACTUS ou, à Montréal, la Clinique pour les jeunes dans la rue, ou tout autre service social ou groupes de soutien—et d'autres formes d'aide pour surmonter la crise qu'elles vivraient.
    De fait, lorsque j'examine les données, peut-être 16 p. 100, au plus, sont en contact avec des organismes d'aide officielle. Les autres obtiennent de l'aide auprès de la famille et d'amis et d'autres réseaux utilisés par nombre d'entre nous qui ne sommes pas en crise. Je crois que cela renforce ce que John Lowman disait précédemment, à savoir que, même dans la rue, le tableau est plus complexe. Dans la rue, on trouve ce genre de diversité, avec la prostitution volontaire, par consentement, et aussi peut-être de la prostitution non volontaire.
    Je pense qu'il est important de bien distinguer ces différences sur le plan des méfaits, et reconnaître que même dans la rue il y a ces différences, entre ce que certains autour de la table qualifient d'esclavage sexuel et ce que d'autres considèrent comme du travail sexuel entre adultes consentants.
    C'est donc ce que j'attends du comité et s'il a besoin d'aide pour distinguer entre ce qui est néfaste et ne l'est pas, il y a des spécialistes autour de cette table et ailleurs dans les grandes provinces et municipalités auxquelles ils peuvent s'adresser pour obtenir un meilleur échantillonnage.
    Même ceux d'entre nous qui préconisent la décriminalisation ne prônent pas la poursuite des méfaits et nous avons cherché à intégrer dans nos positions des moyens de réduire également ces méfaits, que ce soit par le recours aux sanctions qui existent déjà dans le Code criminel—et en trouvant de meilleures façons de les appliquer efficacement... Si, comme l'implique Mme Lakeman, elles ne sont pas utilisées efficacement pour protéger les femmes et d'autres contre la violence, alors il faut examiner ces lois et voir pour quelle raison elles ne peuvent être utilisées efficacement pour protéger celles qui ont besoin d'être protégées lorsqu'elles sont victimes de sévices et de violence.
    Je saisis cette occasion également pour mentionner une chose que j'ai déjà dite lors de ma comparution en mars, car il semble que nous allions opter pour le modèle suédois et protéger les femmes en ne criminalisant pas les vendeurs et vendeuses de services sexuels mais en frappant durement les clients et proxénètes : les données disponibles semblent indiquer que les choses ne sont pas si simples. Du côté des travailleurs du sexe, je vous ai fourni les données montrant que les travailleurs du sexe suédois se sentent plus en danger, du fait de ces lois qui sont censées les protéger.

  (1230)  

    Il est plus difficile d'évaluer et de trouver du temps pour trier les clients et il semble que cela ouvre clairement le champ à d'autres pour arranger ces rencontres. Les travailleurs du sexe hésitent toujours à chercher une protection légale et ne veulent pas non plus à être forcés à dénoncer le client, alors que des pressions s'exercent en ce sens. Les réseaux informels ont été affaiblis et, selon certaines données, ce sont les mauvais clients qui continuent à sévir dans la rue alors que les bons sont partis ailleurs.
    Il n'y a pas que les travailleurs du sexe à affirmer ces choses. Il existe également un rapport de police national qui dit que la loi empêche dans une certaine mesure de poursuivre les proxénètes. Un autre problème que les policiers eux-mêmes mentionnent dans ce rapport est que l'on peut forcer les travailleurs du sexe à témoigner en cour et que dans ce genre de situation ils ne jouissent ni des droits de l'accusé ni des droits de la victime.
    Je voulais vous soumettre certaines de ces données car il faut les évaluer également lorsqu'on cherche à distinguer ce qui est néfaste et ce qui ne l'est pas.
Le président:
    Merci, madame Shaver.
    Jennifer Clamen, puis M. Lowman.
Mme Jennifer Clamen:
    Je voudrais juste ajouter que ce qui est réellement insultant dans ce débat—et j'appelle cela un débat car je crois que c'est un affrontement d'idéologies—c'est que la plupart du temps, lorsque l'on parle de l'abolition du commerce du sexe et présente tous les travailleurs du sexe comme des victimes, cela vient de gens qui n'ont jamais fait une passe de leur vie et qui n'ont pas idée de la réalité. Tout un mouvement s'est créé pour contrer le mouvement qui lutte pour les droits des travailleurs du sexe. C'est insultant.
    Il est aussi complètement paradoxal à mes yeux que ce mouvement soit issu des mouvements féministes. C'est une structure patriarcale et qui donne aux hommes beaucoup de pouvoir. Elle positionne les femmes comme victimes, alors même que vous avez des femmes qui disent ne pas l'être. Il est paradoxal que nous attribuions ce pouvoir aux hommes en disant que les femmes sont des victimes, en réduisant les femmes à leur sexe.
    Nous vendrions nos corps; on parle de vendre son corps et non de vendre un service. C'est hautement insultant et non fondé sur la réalité, et c'est pourquoi je recommande au comité de se tenir loin des débats qui devraient être cantonnés dans les tours d'ivoire et les universités... et pas nécessairement déboucher sur des recommandations pour la vie des travailleurs du sexe.
Le président:
    Merci.
    Monsieur Lowman.
M. John Lowman:
    J'aimerais remettre au sous-comité un article qui est sur le point d'être publié et qui traite de certaines de ces questions. Il parle de l'organisation de la recherche et des résultats produits en fonction de la méthodologie biaisée des auteurs.
    En fait, je vous remettrai deux articles. Ils sont tous deux de Ronald Weitzer. Il n'est pas particulièrement satisfait du terme « travail sexuel », tout comme il n'est pas satisfait de termes comme « prostituées », mais je crois que son analyse sera utile au sous-comité.
Le président:
    Merci, monsieur Lowman.
    Rene Ross.
Mme Rene Ross:
    Je voudrais commencer par remercier Mme Clamen de ses propos. Je pense que vous avez touché juste. Si j'avais gagné à la loterie la semaine dernière, vous auriez eu beaucoup d'utilisateurs du programme avec nous aujourd'hui. D'ailleurs, vous en connaissez beaucoup. Ils auraient bien voulu être là aujourd'hui.
    Je fais de la recherche et je suis dans le milieu universitaire, mais j'ai appris à connaître ce problème de première main en écoutant les voix des usagers de notre programme, à Stepping Stone. Ces personnes ont été une ressource précieuse pour moi, notre conseil d'administration et la collectivité dans son ensemble. Par conséquent, leurs expériences et leurs voix doivent être à l'avant-plan dans ce débat, cela ne fait aucun doute. Pouvez-vous imaginer que nous discutions de racisme autour d'une table sans la présence d'aucun Noir ou Autochtone; si nous discutions des crimes de haine contre les gais et les lesbiennes sans personne de cette collectivité? Il faut les placer sur le devant de la scène et Stepping Stone milite très fort pour cela.
    Je sais qu'il y a eu beaucoup de discussions sur les méfaits. Je veux dire qu'un autre méfait n'a pas été abordé aujourd'hui, et c'est celui de la pauvreté. Je viens de Nouvelle-Écosse. Comme je l'ai dit souvent, nous ne sommes pas l'une des provinces riches de ce pays. Peu de gens dans ma province le contesteraient. Mais il faut dire également que, à mon avis, ce n'est pas une coïncidence que nombre des jeunes filles débarquant à Halifax viennent des petites localités et régions pauvres de la province, particulièrement du Cap-Breton.
    Il est vrai que la recherche établit que certaines prostituées ont été victimes de viol à un jeune âge ou ont été maltraitées par leur famille. Il y en a qui viennent de familles pauvres, d'autre non, mais la chose importante, c'est que toutes n'ont pas le même vécu. On ne peut pas simplement les regrouper en une seule catégorie. La vie de chacune est différente. Toutes ont abouti à la rue ou à la prostitution pour des raisons différentes. L'une de ces raisons, je crois, est la pauvreté.
    Stepping Stone est mon travail bénévole. Dans mon emploi rémunéré, je fais actuellement de la recherche sur les taux d'assistance sociale en Nouvelle-Écosse. Je peux dire qu'à l'heure actuelle les taux d'assistance sociale de la Nouvelle-Écosse donnent aux femmes un budget insuffisant pour vivre et cela se répercute sur le commerce du sexe de nombreuses façons. Le salaire minimum en Nouvelle-Écosse a également une influence. Nombre des usagères de notre programme ont décidé de quitter le métier. Elles occupent des emplois au salaire minimum, mais elles y gagnent moins qu'auparavant.
    Pour en revenir aux méfaits de la pauvreté, les assistées sociales touchent un montant limité pour les médicaments de leurs enfants. Elles n'ont pas les moyens de payer le voyage à Halifax pour des rendez-vous avec des spécialistes à l'Hôpital pour enfants. Je ferais la même chose. J'ai un bébé, âgé de sept mois. Elle mange avant moi. Beaucoup de femmes en Nouvelle-Écosse souffrent de faim car elles n'ont les moyens que de nourrir leurs enfants, mais pas elles-mêmes.
    La pauvreté a effectivement un impact très direct non seulement sur la santé mentale et psychique des femmes de notre pays, et particulièrement de notre province, mais aussi sur leur santé physique. C'est un facteur à examiner. La Nouvelle-Écosse vient d'augmenter le salaire minimum—je crois que d'ici la fin de l'année, ce sera 60 cents de plus. C'est un début, mais cela ne va certainement pas régler le problème. Je crois qu'il y a là des connexions.
    Encore une fois, nous avons un certain nombre de femmes qui ne travaillent pas en ce moment et qui continuent à s'impliquer dans le programme. À Stepping Stone, nous employons d'anciennes usagères du programme. Elles ont cette expérience et peuvent faire ce travail, mais pour les femmes sans qualification, il leur est très difficile de ne pas sombrer de nouveau parce que leurs options économiques sont si piètres.
    Je veux également ajouter que si vous criminalisez les clients, vous ne ferez que pousser les femmes dans une plus grande pauvreté. Vous leur enlèverez cette source de revenu. Aussi, Stepping Stone est totalement opposé à la criminalisation des clients. Au bout du compte, cela ne fera qu'accroître la souffrance des prostituées.
    Merci.

  (1235)  

Le président:
    Merci.
    Katrina.
Mme Katrina Pacey:
    J'aimerais juste faire une brève remarque en réponse à ce qui a été dit plus tôt.
    Je sais que nul autour de cette table n'est en faveur de la prostitution. Nous faisons valoir qu'il y a des protections dans le Code criminel en dehors des articles 210 à 213 et que, en fin de compte, la meilleure façon d'améliorer les conditions de vie et les options des personnes qui aimeraient renoncer à la prostitution est d'offrir des services sociaux adéquats, des prestations d'aide sociale et des logements.
    Chez Pivot, nous avons consacré notre première année presque exclusivement aux travailleuses du sexe de downtown east side. Je suis heureuse d'annoncer que nous avons maintenant débordé de ce seul quartier et commencé à travailler avec les prostituées d'autres milieux. Cependant, au cours de ces premières années, nous avons eu affaire à une forte population de travailleuses du sexe de ce quartier, et nombre de ces femmes auraient quitté le métier si elles en avaient eu l'occasion. C'est une réalité que nul ne conteste.
    Cependant, ce qui est unanime chez ces femmes, chez ces femmes et ces hommes avec lesquels nous travaillons maintenant, qu'ils travaillent pour des agences d'escorte de luxe, des salons de massage ou comme indépendants, c'est que tous veulent des conditions de travail sûres. Les travailleurs du sexe à qui nous parlons disent vouloir des conditions de travail sûres, qu'ils se prostituent pour un jour ou pour 300 jours ou pour le restant de leur vie. S'ils pensent sortir du travail sexuel la semaine suivante, très bien—mais pour l'instant, ils veulent être en sécurité et être en mesure de se créer des conditions de travail sûres pour eux-mêmes, ce qui facilitera leur sortie du métier car ils seront ainsi moins endommagés par le travail.
    C'est comme tout : conduire une voiture s'accompagne de méfaits. Le but est donc de passer en revue toutes les activités dans la société et demander quels méfaits y sont liés et comment on peut les réduire? Les travailleurs du sexe demandent la possibilité de faire leur propre réduction des méfaits et de déterminer leurs propres conditions de travail, car ils savent quels sont les méfaits connexes et comment les réduire.

  (1240)  

Le président:
    Merci.
    À ce stade, j'aimerais inviter nos chercheurs à poser quelques questions qui les intéressent.

[Français]

Mme Lyne Casavant (attachée de recherche auprès du comité):
    Ce matin, on nous a fait part d'une liste d'incidences négatives des lois sur les travailleuses du sexe. Pouvez-vous nous donner la liste des effets positifs de la criminalisation, soit la criminalisation telle qu'on la connaît aujourd'hui, soit la criminalisation des clients seulement, c'est-à-dire le modèle néo-abolitionniste?
    Ma deuxième question s'adresse à M. Poulin. Vous avez présenté une statistique lors de votre passage devant le comité. Vous disiez que 92 p. 100 des femmes qui sont présentement dans le monde de la prostitution sortiraient de ce milieu si elles en avaient le choix. Croyez-vous que le fait d'adopter une approche de décriminalisation changerait cette donnée, ou que, peu importe l'approche législative, les personnes voulant s'en sortir iraient chercher les outils nécessaires pour le faire?

[Traduction]

Le président:
    M. Poulin, pourriez-vous répondre en premier car la question s'adressait à vous?

[Français]

M. Richard Poulin:
    Ce chiffre de 92 p. 100 vient d'une enquête du Conseil du statut de la femme et n'a pas été jusqu'à présent invalidé. Tout le monde s'entend pour dire que c'est une donnée relativement réaliste. Il est difficile de répondre à votre question. Quelles sont les motivations des 92 p. 100 qui veulent s'en sortir? Elles peuvent être de plusieurs ordres.
    Certaines disent qu'elles n'ont pas le choix, qu'elles font une prostitution de survie et que, si elles avaient d'autres moyens, elles ne le feraient pas. Pour d'autres, c'est leur intégrité physique et morale qui est atteinte. Nous n'en avons pas discuté ici, mais il y a beaucoup d'enquêtes qui ont été publiées sur les effets de la pratique de la prostitution sur l'intégrité de la personne après un certain temps. Une femme médecin qui travaille avec le Bus des femmes, à Paris, a fait une thèse de doctorat sur le phénomène de la décorporalisation. Ces gens n'ont plus de sensations dans leur corps. Elle raconte des histoires comme celle d'une personne atteinte de cancer terminal qui s'aperçoit qu'elle est malade à la dernière minute parce que son corps ne ressent plus rien. Comme elle est trop habituée de vivre avec la douleur, elle est devenue insensible à sa propre douleur. Il y a donc plein de facteurs qui peuvent expliquer les raisons pour lesquelles ces femmes veulent s'en sortir.
    Le malheur, au Canada, c'est qu'on n'a pas les moyens d'aider celles qui veulent s'en sortir, c'est-à-dire 92 p. 100 de ces personnes. Rien n'est fait pour permettre à ces personnes de s'en sortir. Au contraire, la criminalisation des personnes prostituées fait que celles-ci se retrouvent souvent avec un dossier criminel. Il leur est plus difficile de trouver un emploi ordinaire, quel qu'il soit, parce qu'elles ont un dossier criminel. Donc, tout est fait pour empêcher les femmes de s'en sortir plutôt que de les aider à s'en sortir.
    Dans mon document, j'ai avancé un certain nombre de pistes de solutions. Je suis du même avis que Lee Lakeman sur le fait que la prostitution est une sorte de violence à l'égard des femmes. On pourrait donner les crédits nécessaires pour créer des maisons d'accueil pour ces personnes, comme celles qui existent pour les femmes victimes de violence, ou donner plus de crédits aux maisons existantes pour les victimes afin qu'elles puissent s'ouvrir aussi aux personnes prostituées, financer des centres de réinsertion professionnelle, etc. Il y a plein de mesures que les gens connaissent, qui ont été expérimentées ailleurs et qu'on peut reprendre. Bien sûr, cela exige un peu d'argent, et le gouvernement doit allouer l'argent nécessaire.
    Cette statistique que vous avez énoncée, on la retrouve dans d'autres pays. Selon moi, il est peu utile de parler de prostitution volontaire  et de prostitution non volontaire. L'âge d'entrée dans la prostitution est de 13 ans aux États-Unis et de 14 ans au Canada. Parler de prostitution volontaire dans ces conditions m'apparaît assez absurde. Il y a des contraintes psychologiques, économiques, sociales qui font qu'on entre dans la prostitution. Dans la société, personne n'a envie d'être marginalisé, et encore moins d'être stigmatisé. Ce n'est donc pas un choix qu'on fait comme cela. Il y a des contraintes qui amènent les personnes à faire ce choix. Remarquez qu'il y a beaucoup de contraintes dans notre vie qui nous amènent à poser des choix.
    Mme Davies a déjà parlé des mineurs ici. Ce n'est pas rigolo. Personne ne veut travailler dans une mine. Ces gens sont aussi contraints, mais pas de la même façon. C'est le marché qui les contraints. Il faut gagner de l'argent pour pouvoir se nourrir. Dans le domaine de la prostitution, cela va plus loin que la seule contrainte du marché, et les enquêtes le prouvent. La dernière enquête québécoise a démontré que 85 p. 100 des personnes prostituées avaient été victimes de violence sexuelle pendant leur enfance et que pour 15 p. 100 de ces personnes, la prostitution était banalisée: soit qu'on pratiquait déjà la prostitution dans la famille, soit qu'elles étaient dans des quartiers où la prostitution était banale et devenait donc une piste possible de vie. La banalisation de la prostitution est aussi un des facteurs.

  (1245)  

Mme Lyne Casavant:
    En quoi la criminalisation des clients ou le statu quo a-t-il un effet positif sur les femmes qui travaillent actuellement dans le domaine du sexe?
M. Richard Poulin:
    Je pense qu'il n'y a pas d'effet négatifs ni positifs directs. La criminalisation des clients est une conception de la prostitution. C'est comme la criminalisation des proxénètes. Si on veut surtout lutter contre la prostitution des jeunes filles, si on veut protéger ces jeunes personnes, il faut peut-être s'attaquer à la source même, à la cause même de la prostitution. Dans ce cas, ce sont surtout les hommes, clients et proxénètes.
    Évidemment, si on s'attaque à une des causes de la prostitution, il y aura moins de clients, etc. Il y aura donc un effet sur les personnes prostituées et sur leur revenu. Par contre, si cela n'est pas accompagné de mesures de réintégration sociale, de réinsertion professionnelle, etc., il est certain que la seule criminalisation des clients est une mesure tout à fait arbitraire, aléatoire qui n'en vaut pas la peine. Il faut non seulement une mesure, mais un plan d'ensemble de lutte contre le système prostitutionnel. Je rappelle aux membres du comité que ce système est largement contrôlé par le crime organisé. C'est lui qui en bénéficie le plus, comme le démontrent toutes les données du PNUD, de l'ONU, de l'Organisation internationale du Travail. Si on ne s'attaque pas à ce système avec un plan d'ensemble, qui pourra comprendre la criminalisation des clients, on va rater le coche, on va rater la cible.
    J'espère avoir bien répondu à la question.

[Traduction]

Le président:
    Peut-être pouvons-nous ouvrir la question à nous tous, de même que la première partie de la question : y a-t-il quelque chose de positif dans notre législation actuelle en matière de prostitution?

[Français]

M. Richard Poulin:
    Y a-t-il quelque chose de positif? Oh, oui.

[Traduction]

Le président
    Passons peut-être d'abord à Mme Shaver et nous pourrons ensuite revenir à M. Poulin.
Mme Frances Shaver:
    Permettez-moi de clarifier la question, si je puis, car il me semblait qu'elle portait davantage sur les aspects positifs pouvant sortir de la décriminalisation ou du modèle abolitionniste, ce qui semble être une référence au modèle suédois. Était-ce là votre question?

[Français]

Mme Lyne Casavant:
    Je disais qu'on avait entendu ce matin beaucoup de remarques sur les effets négatifs de la loi qui criminalise actuellement les travailleuses du sexe. Je veux savoir si cette loi a des effets positifs, selon vous.

  (1250)  

[Traduction]

Mme Frances Shaver:
    La réponse brève, c'est non. Si vous parlez de la criminalisation, du statu quo que nous avons actuellement, non, je ne pense pas qu'il y ait des effets positifs. J'en ai déjà parlé en 1985 lorsque j'ai comparu devant le Comité Fraser et les détails sont bien résumés dans la version abrégée qui a été publiée.
    Je serais ravie de vous parler des effets positifs de la décriminalisation par comparaison au modèle suédois, mais ce n'était pas là votre question, et j'attendrai donc que vous posiez celle-ci et inviterai d'autres à y répondre même si elle n'est pas posée.
Le président:
    Monsieur LaFosse.
M. Darrell LaFosse:
    Merci beaucoup.
    Tout le monde semble rechercher un résultat positif de la criminalisation actuelle. Nous avons constaté, non seulement dans le domaine de la prostitution mais relativement à toutes les lois, lorsqu'on veut pratiquer la justice réparatrice ou appliquer des mesures alternatives, que « c'est la porte qui vous fait entrer dans le système». Tout part de là.
    Dans le système de justice réparatrice ou les mécanismes de mesures alternatives sous le régime de la LSJPA ou de l'ancienne loi sur les jeunes contrevenants, une fois l'accusation portée ou même avant, le procureur est mis en jeu, les services sociaux sont mis en jeu, des rapports présentenciels interviennent et toute cette sorte de choses. Dans le cas d'un adolescent, si la jeune personne ne respecte pas les conditions imposées, alors bien sûr elle finit par comparaître devant un juge. Vous pouvez en tirer toutes les conclusions que vous voulez, mais du point de vue du maintien de l'ordre, l'inculpation pour infraction ou délit criminel constitue la porte d'accès.
Le président:
    Quelqu'un d'autre?
    Jennifer Clamen.
Mme Jennifer Clamen:
    Juste au sujet de l'idée que d'être dans le système soit considéré comme une porte d'accès positive, ou quelque chose de positif. Cette même porte d'accès est aussi ce qui empêche les travailleurs du sexe de voyager une fois qu'ils ont un casier judiciaire, de jouir d'une protection policière par la suite—de fait, on les harcèle encore plus qu'auparavant—les empêche de trouver un travail autre, etc. Est-ce une porte d'accès positive? Je dirais plutôt le contraire.
M. Darrell LaFosse:
    Je n'ai pas dit porte d'accès « positive »; j'ai dit que c'était la porte d'accès.
Le président:
    Mme Mooney, puis Mme Shaver.
Mme Maurganne Mooney:
    Pour ce qui est de la criminalisation, on dispose d'une abondante littérature. Une foule d'études ont été faites sur l'incarcération qui ont abouti à la conclusion que l'incarcération ne réhabilite pas les gens.
    Si vous considérez que les femmes qui se prostituent sont des victimes, le fait de les mettre en prison ne change pas leur réalité. Le Dr Leschied a publié un article fouillé sur les études portant sur la réhabilitation des femmes comparée à celle des hommes. Notre système carcéral actuel applique les mêmes méthodes de réhabilitation aux femmes qu'aux hommes. Or, cette recherche a prouvé que les femmes diffèrent à cet égard des hommes et qu'il faut modifier les pratiques de réhabilitation pour refléter ce besoin.
Le président:
    Mme Shaver, puis Mme Pacey.
Mme Frances Shaver:
    J'ai décidé que je possède une réponse à la question. Je suis réticente à certains égards à vous en faire part, mais je pense que la criminalisation et tous les aspects négatifs qui l'accompagnent, y compris les meurtres dont on parle tant, sont ce qui nous a amenés ici. C'est l'une des choses très positives apportées par la criminalisation. Nous sommes là, nous discutons et débattons de certains des problèmes.
    Ce que nous cherchons réellement à faire ici, c'est cerner les enjeux entourant une législation efficace et décider si nous voulons une législation efficace produisant les effets sociaux désirés et réglant le problème, ou bien si nous voulons une législation symbolique plutôt que de réellement produire les changements visés.
    Donc, oui, un effet positif est que nous sommes là, merci beaucoup. La motion a été adoptée.
Le président:
    M. Poulin, puis Mme Pacey et M. LaFosse.

[Français]

M. Richard Poulin:
    D'après moi, ce n'est pas tant la loi telle qu'elle existe au Canada — il y a les articles contre le proxénétisme et contre le fait de tenir une maison de débauche — qui pose problème, que la philosophie de mise en pratique de la loi. C'est cette philosophie qui doit être changée. Cela pose problème au niveau des forces policières, au niveau du système judiciaire, etc. Cela pose problème sur le plan de l'axe qui est donné. C'est aussi un problème relatif à la question des juridictions du pays.
    On peut avoir une bonne loi à l'échelon fédéral, mais la mise en application de la plupart de ces lois en matière de prostitution se fait à l'échelon municipal. Cela dépend donc des crédits des municipalités, de leurs priorités. Si elles décident de faire le nettoyage de la rue et de procéder à l'enlèvement des sans-abri et des personnes prostituées, c'est la police qui a le mandat de le faire. On a donc là un problème.
    Je crois qu'il faut s'attaquer à la question de la philosophie de la loi. C'est pourquoi je propose que le Canada adhère à la Convention de 1949 qui, à l'instar de la loi canadienne, ne rend pas la prostitution illégale, mais rend illégales certaines activités liées à la prostitution, par exemple le fait de tenir une maison de débauche ou le proxénétisme.
    En ce sens, le Canada n'est pas très loin, sur le plan pratique, de la Convention de 1949. Sur le plan de la philosophie, par contre, le Canada devrait s'inspirer de cette convention qui donne une philosophie d'ensemble non seulement en matière d'intervention des forces policières et du système judiciaire, mais aussi en matière d'intervention sociale, de réinsertion sociale et de protection des témoins.
    Lorsque des personnes prostituées veulent témoigner contre leur proxénète ou contre le réseau criminel qui les contraints à la prostitution, il faut des mesures pour protéger ces témoins, sinon on n'aura jamais de plaintes de la part de ces personnes. Ce ne sont pas elles qui vont aller dans des associations comme Stella au Canada ou Cabiria en France. Ces gens sont complètement isolés et sont soumis à des réseaux. Il faut donc un système pour les protéger, un système qui puisse les amener à témoigner s'ils le désirent, ou bien qui puisse les enlever de ce système afin de les protéger. Il faut un système surtout pour prévenir, pour protéger et pour réinsérer les victimes de la prostitution.
    On n'a pas cette philosophie pour encadrer nos lois.

  (1255)  

[Traduction]

Le président:
    Merci.
    M. LaFosse, puis Mme Pacey et Mme Ross.
M. Darrell LaFosse:
    Merci beaucoup.
    Je devrais peut-être demander à M. Poulin s'il cherche un emploi, car son point de vue est tout à fait en phase avec le mien.
    L'un des défis supplémentaires que le comité va devoir relever—et ils sont nombreux—consiste à offrir quelques outils, une fois que tout sera dit, à ceux qui travaillent en première ligne. Remarquez que je n'ai pas mentionné la police et que je n'ai pas mentionné les pouvoirs. Mais il faut offrir quelques outils, afin que lorsqu'une collectivité comme North Vancouver ou une localité comme Arichat, au Cap-Breton, s'adresse aux travailleurs sociaux ou à la police et leur dit qu'il se pose un problème et qu'ils aimeraient collaborer pour résoudre ce problème, qu'il y ait des mécanismes facilitant une solution. Qu'il s'agisse donc de faciliter une stratégie de sortie pour cette proportion donnée qui veut quitter ce mode de vie particulier, qu'il existe les outils et les moyens pour cet agent de police, ou ce travailleur social, cet enseignant, ce professeur—qui vous voudrez—d'agir.
    Il n'y a absolument rien de pire que d'avoir une collectivité s'adressant à ces groupes pour demander de l'aide ou des conseils et de se heurter à un mur. Je vous implore donc d'apporter ces outils, ces facilités, ces facilitations.
Le président:
    Madame Pacey.
Mme Katrina Pacey:
    Je veux juste dire brièvement que la manière dont l'administration de la justice a évolué, particulièrement autour de l'article 213, qui est une simple infraction, et vu le financement de l'aide juridique—et là je parle particulièrement pour la Colombie-Britannique—c'est que les personnes inculpées pour infraction de communication n'ont pas droit à l'aide juridique. Ce qui se passe donc, c'est que les personnes à faible revenu inculpées pour infraction en vertu de l'article 213, donc principalement des prostituées, ne sont pour la plupart pas admissibles à l'aide juridique et se retrouvent dans le système sans être défendues.
    Pour ce qui est de la déjudiciarisation et de la justice réparatrice ou des mesures alternatives, je suis généralement en faveur de cette tendance au sein du système de justice pénale. Cependant, dans ce cas-ci, du fait du manque d'accès à l'aide juridique et à la représentation, vous vous retrouvez avec des gens qui ne comprennent pas ce que c'est d'entrer dans un programme de déjudiciarisation. Ils pensent que c'est une sorte de mesure de remplacement ou de contournement du système de justice pénale. Mais ce que les clients et travailleurs du sexe ne comprennent pas... Et je dis travailleurs du sexe en sachant qu'en réalité il y a très peu de programmes spécifiques concrets de déjudiciarisation pour les travailleurs du sexe, mais il existe « l'école des clients », qui est un programme de déjudiciarisation pour les clients. Ils suivent ce programme et ont l'impression, me dit-on, qu'il y a un acquittement à la fin. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que c'est un simple sursis de poursuite. Donc, en pratique, sur leur casier judiciaire, pendant tout le reste de leur vie, figure « communication aux fins de la prostitution—suspension des poursuites »; ils ne sont pas acquittés. C'est quelque chose qui reste dans leur casier et c'est un fait qui reste ignoré, du fait, à mon avis, d'un manque de représentation légale.
    J'essayais d'expliquer que je ne vois aucun avantage à l'article 213, en particulier. Au contraire, je pense qu'il est extrêmement néfaste, comme je l'ai dit. Mais j'exhorte particulièrement le comité à appuyer aussi le financement de l'administration de la justice dans les provinces, au niveau de l'aide juridique, et aussi des procureurs généraux, qui pourraient ainsi utiliser leurs ressources pour intenter plus efficacement des poursuites pour agression sexuelle et extorsion.

  (1300)  

Le président:
    Mme Ross, puis Mme Quinn, puis Mme Mooney.
Mme Rene Ross:
    Je veux juste dire que Stepping Stone vient juste de recevoir des crédits pour du travail de soutien en cour auprès de nos usagers qui sont actuellement dans le système. Nous n'avons jamais été aussi occupés et nous avons du mal à suivre. Mais notre travail commence réellement à payer. Ce peut être une porte d'accès—et excusez ma rudesse—mais je crois que c'est une porte d'accès à l'enfer. Une fois qu'ils sont dans le système, ils sont dans le système.
    J'aimerais savoir ce que pensent la société et les contribuables de ce pays. Qu'ils soient d'accord ou non avec la prostitution, que pensent-ils du fait que l'argent de leurs impôts va à la police, qui passe tout son temps à asticoter les gens pour traversée illégale de la chaussée et abandon de détritus et néglige les autres crimes ou d'autres problèmes plus urgents dans nos collectivités? Quoi qu'ils pensent de la prostitution, je suis sûre que la majorité des contribuables préféreraient que la police concentre ses efforts sur d'autres domaines.
    En dépit de ma critique de la police et du système judiciaire, il importe que nous collaborions sur ces problèmes et communiquions, car il y a un grand fossé de communication. Celui-ci est devenu si grand que la police de notre région nous menace d'obstruction de la justice parce que nous distribuons des condoms et des seringues propres pendant nos sorties—car nous faisons des tournées dans les quartiers. La police menace notre agence, qui est là pour faire le bien.
    Vous êtes nombreux à savoir qu'à Halifax nous avons le Groupe de travail sur la prostitution, qui a maintenant été réduit en nombre. Je crois que ce groupe de travail ne comprend maintenant plus que deux membres. Comme je l'ai indiqué, il fait beaucoup de bon travail. Il établit les contacts avec nombre des usagers de notre programme et leur offre de l'aide. Nous avons évidemment des divergences entre nous, en ce sens qu'ils sont là pour sauver les prostituées, comme ils disent, les retirer de la rue, et ils ne les appuient pas dans leur métier. Mais au moins ils sont là pour communiquer avec l'escouade mondaine avec qui nous avons eu quantité de frictions dans le passé. Cette dernière se livre à toutes sortes de harcèlement.
    Lorsque vous avez ces deux paradigmes au sein du même service, cela peut devenir très déroutant pour les utilisatrices de notre programme. Mais si ce groupe de travail allait disparaître, il n'y aurait plus personne pour sensibiliser les policiers aux raisons qui font que ces hommes et ces femmes se prostituent et quelle est la réalité de la vie pour eux.
    Voilà ce que je voulais dire. Merci.
Le président:
    Merci.
Mme Libby Davies:
    Avant de passer à quelqu'un d'autre, sachez que je dois aller rencontrer quelqu'un à 13 heures. Je sais que vous allez déborder un peu et j'essaierai d'être de retour aussi rapidement que possible. Je dois vous quitter pour un tout petit moment.
Le président:
    Merci, madame Davies.
    C'est le tour de Mme Quinn, puis de Mme Mooney et puis de Mme Lakeman.
Mme Kate Quinn:
    Merci.
    J'aimerais réagir à certaines choses dites au sujet des programmes de déjudiciarisation et l'application de la loi.
    Pour ce qui est du programme de déjudiciarisation que nous avons pu mettre en place à Edmonton, nous le devons au fait d'avoir écouté la voix des femmes, d'avoir collaboré avec les procureurs de la Couronne et la police. Avec ce programme, les accusations sont retirées et ne figurent pas dans le casier judiciaire. Nous avons pu également l'élargir à toutes autres accusations corollaires à la prostitution.
    Par exemple une femme qui était accusée de vol à l'étalage a pu se prévaloir du programme. Elle avait volé parce que son souteneur lui refusait de l'argent pour acheter des aliments pour bébé. Nous avons donc pu grouper tous les défauts de comparution et violations et aider la femme à concevoir sa propre stratégie de sortie, si bien qu'en fin de compte elle a une deuxième chance et les accusations sont retirées. Je recommande cela à toute autre ville qui envisage un programme de déjudiciarisation, que les accusations soient retirées du casier.
    Je confirme également ce que vous disiez, Rene. Une chose que nous avons pu faire avec ce programme, c'est entreprendre quelques recherches et en utiliser les résultats pour bouleverser les idées reçues, les nôtres comme contribuables et aussi contester nos systèmes.
    Par exemple, il en coûte 64 $ par jour et par personne pour ce foyer de transition que le gouvernement provincial a refusé de continuer à financer l'an dernier. Or, un détenu dans nos prisons coûte 103 $ par jour et par personne. Voilà donc ce que nous avons cherché à faire et nous sommes en quête de solutions. J'aimerais réellement que le sous-comité examine ce que vous, dans vos recommandations, pourriez dire aux Canadiens, aux décideurs et aux élus sur la meilleure utilisation de l'argent du contribuable. Voulons-nous l'investir dans une population et des collectivités saines, ou bien voulons-nous construire de plus en plus de prisons à un coût de plus en plus élevé?
    Les autres questions tournent autour de l'application de la loi, comme M. Poulin l'a indiqué. Nous mettons à l'essai un nouveau modèle où la police travaille avec les femmes dans le cadre du projet KARE à Edmonton, avec pour seule fonction dans la rue de construire des relations de confiance. La police collabore également avec la collectivité selon des modalités nouvelles. Je pense qu'il y a de nombreux défis autour des pratiques policières à travers le pays. Voyons quelle leçon on peut tirer de l'expérience du projet KARE.
    Ce n'est jamais facile. Moi-même, je ne préconiserais pas cela, mais je vous répète que tant les femmes que les hommes inculpés en vertu de l'article 213, lorsque ces accusations étaient couplées à un programme de justice réparatrice ou de déjudiciarisation, ont dit : « Merci. C'est un rappel à l'ordre salutaire. Je réalise que ma vie était en train de déraper ». Mais il faut que les deux aillent de pair. Vous ne pouvez pas juste arrêter les gens sans offrir d'alternative.
    Encore une fois, beaucoup de femmes, en particulier, ont pâti de l'application de l'article 213 et je ne veux donc pas préconiser l'arrestation des femmes pour qu'elles aient accès à des ressources. À Edmonton, nous avons pris acte très concrètement de l'action policière. Nous avons donc travaillé très fort pour créer ce programme de diversion et le programme des prostituées contrevenantes et nous avons tous beaucoup appris de cette manière.
    Nous participons également à l'offre d'un tribunal pour drogués car à Edmonton—je ne parle que de notre expérience—face aux effets du trafic de drogue, nous créons un tribunal pour drogués tels que les personnes arrêtées en rapport avec la drogue ne seront pas incarcérées mais bénéficieront d'un soutien si elles veulent s'en prévaloir.
    Je concluerais en disant qu'il faut réfléchir au rôle de la dissuasion et au rôle de la vision. Nous avons demandé aux hommes qui suivaient l'école des clients ce qu'ils pensaient de la saisie des véhicules ou du retrait des permis de conduire des clients, une mesure proposée en Alberta. Ce sont des citoyens, ils ont le droit d'exprimer leur opinion. Plus de 80 p. 100 des hommes suivant ce programme disaient que ce serait une très bonne dissuasion. L'existence de cette sorte de loi les dissuaderait.

  (1305)  

    Donc, on supprimerait une catégorie de contrevenants par la dissuasion. Mais pour les cas plus sérieux d'hommes qui abusent chroniquement des femmes, la société devrait créer des instruments policiers différents.
    Les clients occasionnels, ceux qui en sont à leur première fois ou les hommes qui ont des problèmes dans leur vie et exploitent les femmes dans la rue et se retrouvent à l'école des clients, ceux-là disaient qu'une telle mesure serait dissuasive. Ils opteraient pour des mesures plus fortes pour les récidivistes; ils pensent que les peines devraient alors être plus dures.
    Donc, pour ma part, je ne laisserais pas les hommes s'en tirer facilement; c'est pourquoi nous insistons si fort sur l'adoption d'une loi qui sanctionne les hommes qui abusent des femmes. Il faut construire une vision qui définisse ce qu'est un homme honorable dans notre société et il nous faut imposer des normes aux hommes. Si nous disons que l'on peut exploiter les femmes de n'importe quelle façon, quelle leçon est-ce là pour nos garçons? Quelle leçons est-ce pour les hommes? Cinquante pour cent des hommes qui viennent à nos programmes sont mariés. Que disons-nous à leurs familles?
    Je m'en tiendrai là, mais je dis essayons la décriminalisation pour les femmes, les hommes et les transsexuels qui se prostituent et essayons de mettre en place cette vision différente et de criminaliser ceux qui prennent pour proie des Canadiens vulnérables.
Le président:
    Mme Mooney, Mme Lakeman, puis Mme Clamen.

  (1310)  

Mme Maurganne Mooney:
    J'aimerais répondre au sujet des programmes de justice réparatrice ou de déjudiciarisation.
    L'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Gladue reconnaissait le droit d'une personne autochtone à ce que ses conditions de vie soient prises en compte lors d'une condamnation en justice. Nous avons la déjudiciarisation autochtone et je peux l'offrir à des jeunes de façon assez régulière; il n'y a qu'un petit nombre de délits qui ne peuvent en faire l'objet.
    Cependant, selon le juge LaForme, notre premier juge autochtone de cour d'appel, alors que nous pensions avoir réglé le problème de la sur-représentation des Autochtones dans les prisons avec l'arrêt Gladue, on a au contraire constaté une majoration de 3 p. 100 de l'incarcération des Autochtones. Il y a eu donc une défaillance systémique quelque part. Cependant, cela ne signifie pas que la déjudiciarisation autochtone n'a pas eu quelques effets positifs sur les individus, car c'est la collectivité qui décide de concert avec l'intéressé ce qu'exige le voyage de guérison, et ce pour chaque type de délit qui peut être présenté à un conseil communautaire.
    Pour ce qui est des programmes de déjudiciarisation, nous en avons un à Toronto. Il a été formé dans le cadre d'une plate-forme ou stratégie politique.
    Je suis en faveur d'une forme de choix. Il faut des services qui aident à faire des choix, afin de ne pas avoir des personnes exploitées, mais encore une fois, je suis indigné de voir les gens se faire exploiter par McDonald's ou Starbucks, car ils gagnent très peu alors que la compagnie se remplit les poches. Nous avons une main-d'oeuvre exploitée.
    Pour ce qui est du cours sur la vie dans la rue, il est payé par les clients des prostituées; il payent 400 $ pour un cours d'une journée, et les femmes suivent un cours de deux semaines. À ma connaissance, cette organisation n'a pas obtenu de crédits supplémentaires pour développer ses services. Pour ce qui est des femmes qui sont réellement sous la coupe de proxénètes—je ne nie pas qu'elles existent—elles ne peuvent rien faire. Ce n'est pas quelques femmes qui vont s'attaquer au crime organisé; c'est impossible et il est irréaliste de penser qu'elles le pourraient. C'est là où nous avons besoin de l'intervention de la police pour combattre le crime organisé.
    Je voudrais parler également des quotas, car ils sont un problème. Il y a des quotas pour le nombre de contraventions pour stationnement distribuées. Une fois qu'une fille est connue de la police, elle n'a plus besoin de communiquer aux fins de prostitution, il suffit qu'on la voie dans la rue après 9 heures du soir en train de monter dans une voiture pour se faire arrêter, et j'ai entendu cela maintes et maintes fois.
    Pour ce qui est des foyers, on refuse un logement à ces femmes parce qu'elles travaillent. Les foyers devraient élaborer une politique concernant les femmes travaillant la nuit. Il ne faudrait pas être obligé de réinventer la roue, on ne devrait pas être obligé d'avoir des foyers ségrégés et des programmes de déjudiciarisation et centres d'emploi ségrégés. Pourquoi ne pas les appeler centres d'emploi tout simplement? Pourquoi ne pas donner des paquets d'argent aux centres d'emploi afin que tout le monde puisse trouver un meilleur travail?
    Je vais m'arrêter là-dessus. Merci.
Le président:
    Madame Lakeman, s'il vous plaît.
Mme Lee Lakeman:
    Quelqu'un pourrait-il me rappeler la deuxième question? J'ai noté la première, mais quelqu'un pourrait-il me rappeler la deuxième qui nous a été posée?

[Français]

Mme Lyne Casavant:
    La question concernait une statistique qui a été fréquemment présentée. On sait que la majorité des personnes qui sont présentement dans l'industrie de la prostitution en sortiraient si elles en avaient vraiment le choix. Croyez-vous que, peu importe l'approche législative qui sera adoptée, cette statistique changera? Ou croyez-vous qu'il y aura toujours des personnes qui voudront s'en sortir et qu'on va réussir à les aider à condition de mettre des programmes en place, peu importe l'approche législative adoptée?

[Traduction]

Mme Lee Lakeman:
    Merci.
    Tout d'abord, je crois que la combinaison des lois actuelles a un effet positif, car en combinaison elles expriment une désapprobation sociale et politique à l'égard du commerce de la chair des femmes et des enfants et il importe de ne pas perdre cela. La décriminalisation totale nous ferait perdre cela.
    Deuxièmement, cette combinaison a pour effet important de nous offrir un bouclier pancanadien, judiciaire, législatif contre le capitalisme et le sexisme débridé du commerce du sexe. C'est notre seul bouclier contre l'intrusion du commerce mondial du sexe, jusqu'à présent.
    Je voudrais dire également que nous n'avons pas... Il est très difficile de répondre à une partie de votre question, car nous sommes partisans d'une réponse intégrée. Nous sommes partisans de la décriminalisation des femmes concernées—il y a certainement aussi des hommes et des garçons concernés, mais ce sont surtout les femmes qui se voient criminalisées dans l'industrie du sexe. Nous voulons les décriminaliser, mais nous voulons simultanément mettre davantage de pression sur les hommes. Actuellement, cela pourrait se faire avec des stratégies d'application de la loi. Cela exigerait de l'argent, du temps et une intention de la part du gouvernement fédéral afin de réellement appliquer des stratégies de répression, mais c'est possible.
    Je vous rappelle que nous concevons cela comme un commerce mondial, et que toutes les solutions appliquées à l'intérieur du Canada doivent tenir compte du fait que c'est un commerce mondial; tout ce que nous faisons au Canada va ou accroître l'impact du commerce mondial sur nous, ou nous protéger contre le commerce mondial, ou se répercuter sur le commerce mondial des femmes dans les autres pays.
    Il me semble en effet que nous sommes confrontés là à une intersection de domination sociale, raciale et sexuelle et si moi, Canadienne privilégiée, je ne lutte pas, il n'y a guère d'espoir pour la paysanne thaïlandaise. Donc, à mes yeux, la lutte pour la protection des femmes ici a des répercussions internationales très importantes.
    Je veux dire que nous avons aujourd'hui désespérément besoin de normes nationales plus rigoureuses concernant les droits humains des résidents du Canada et la prostitution est intimement liée à cela. La perte nette de bien-être que nous connaissons depuis 1995 est absolument primordiale à cet égard et prétendre qu'il ne s'agit pas d'une lutte des classes—pas seulement au sein de l'industrie... C'est une lutte des classes au niveau le plus large et je fais partie de ceux, tout comme les groupes féminins que je viens de rencontrer, qui disent qu'il nous faut des normes nationales qui redistribuent le revenu à l'intérieur du Canada afin que les gens au bas de l'échelle ne soient pas contraints à de tels expédients.
    Quatrièmement, il est primordial de reconnaître l'existence d'une crise de violence faite aux femmes, particulièrement sous forme d'inceste, où la non-application du droit pénal à la violence contre les femmes, notamment par le biais de tours de passe-passe du type initiatives de justice réparatrice et de déjudiciarisation, fait que les femmes se font violenter avant l'âge de 14 ans, avant qu'elles aient un choix. Ensuite, c'est l'enfer.
    Je vous exhorte à considérer la question de la criminalisation comme plus facilement comparable à l'agression envers la conjointe qu'à l'exercice d'une profession, et que dans la situation des voies de faits contre la conjointe, en dépit de l'inertie profonde du système de justice pénale qui ne fait rien pour sanctionner les hommes maltraitants, en dépit de la sous-criminalisation du problème, nous avons tout de même dépassé le stade où l'on prétend que la solution soit de décriminaliser l'agression envers sa conjointe.
    Merci

  (1315)  

Le président:
    Merci.
    Madame Clamen, s'il vous plaît.
Mme Jennifer Clamen:
    J'aimerais établir une distinction nette entre l'agression contre sa conjointe et la violence faite aux femmes et le rapport sexuel des hommes avec les femmes. Je pense qu'il est temps d'arrêter de parler du travail sexuel, ou de la pénétration en général, comme d'une violence faite aux femmes. Cela cause plus de violence qu'il n'en faut et plus de violence en général.
    Je pense que ce qui se passe avec ces écoles de clients et ces programmes de déjudiciarisation, c'est que vous avez un homme—oui, la plupart des clients sont des hommes—qui désire un service sexuel, que ce soit parce qu'il est handicapé ou qu'il n'a pas facilement accès, ou parce qu'il a envie de relations sexuelles, ce qui n'est pas généralement considéré ou ne devrait pas être considéré comme une mauvaise chose. Ensuite on leur fait suivre ces programmes.
    J'ai eu la malchance, pour ainsi dire, de regarder la bande vidéo que l'on projette à ces clients—et de voir le lavage de cerveau qu'on leur fait subir dans ces écoles. On leur dit que les femmes sont des victimes, que les femmes sont faibles et qu'ils les piétinent encore davantage. En gros, on leur fait un lavage de cerveau pour leur faire penser que les femmes sont des victimes sans défense. J'aurais cru que le mouvement féministe aurait fait plus de chemin que cela et que je n'aurais pas à considérer chaque homme qui veut avoir un rapport sexuel avec une femme comme un violeur.
Mme Lee Lakeman:
    Je ne suis pas en faveur des écoles de clients.
Le président:
    D'accord.
    Avez-vous levé la main, monsieur Lowman? D'accord, allez-y. Vous pouvez utiliser les dernières minutes qui restent.

  (1320)  

M. John Lowman:
    Je réfléchissais encore à la première question. On dit qu'un certain nombre de femmes souhaitent abandonner la prostitution. Parmi les statistiques que l'on lance un peu partout, les 92 p. 100 cités par le professeur Poulin viennent d'un rapport de Condition féminine. Je me demande si c'est le rapport de 1984 que j'ai lu. Toute cette recherche portait sur des femmes faisant le trottoir. Si vous commencez à regarder les femmes à d'autres niveaux du commerce du sexe, c'est très différent.
    Mais je me demande pourquoi ces femmes veulent arrêter la prostitution. Est-ce à cause de quelque chose d'inhérent à la prostitution ou est-ce à cause du genre de choses que j'entends dans cette pièce où l'on dénigre les prostituées, où l'on fait d'elles des êtres sans libre arbitre, sans cervelle? Très franchement, on les réduit à l'état d'enfant lorsqu'on leur dit : « Nous devons vous sauver et vous soustraire aux choix que vous avez fait ». Je trouve cela une forme de logique étonnante.
    Merci.
Le président:
    Ce sera le dernier mot. Est-ce que vous leviez la main, monsieur LaFosse? Bien.
    Cela a été une séance marathon. Nous avons grandement apprécié votre comparution à notre comité lorsque nous avons siégé dans vos municipalités respectives. Merci beaucoup d'être revenus. Nous apprécions grandement que vous soyez revenus pour ce deuxième tour.
    Je ne suis pas sûr que nous ayons clarifié ou solidifié des positions ici, mais vous nous avez certainement remis une abondance d'information que nous allons devoir tenter de digérer en vue de rédiger notre rapport. Je suis sûr que vous attendez tous impatiemment de le voir.
    Là-dessus, nous allons lever la séance. Encore une fois, merci infiniment d'être venus.