Passer au contenu
;

SSLR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
PDF

38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 20 avril 2005




¼ 1835
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD))
V         Mme Pamela Downe (département de l'étude de la condition féminine et de l'étude sur les sexes, Université de la Saskatchewan)

¼ 1840

¼ 1845
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC)
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger

¼ 1850
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         M. Art Hanger
V         Mme Pamela Downe
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         M. Art Hanger

¼ 1855
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         Mme Pamela Downe
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ)
V         Mme Pamela Downe
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Pamela Downe
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Pamela Downe
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Pamela Downe
V         Mme Paule Brunelle

½ 1900
V         Mme Pamela Downe
V         Mme Paule Brunelle
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Pamela Downe
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee

½ 1905
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         Mme Paule Brunelle

½ 1910
V         Mme Pamela Downe
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Pamela Downe
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         M. Derek Lee

½ 1915
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         Mme Pamela Downe
V         M. Derek Lee
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         Mme Pamela Downe

½ 1920
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         Mme Pamela Downe
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Pamela Downe

½ 1925
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)
V         Mme Pamela Downe
V         La vice-présidente (Mme Libby Davies)










CANADA

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 026 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 20 avril 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¼  +(1835)  

[Traduction]

+

    La vice-présidente (Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD)): Je déclare ouverte la 26e séance du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile.

    Madame Downe, toutes nos excuses pour le retard, nous avions un vote à la Chambre.

    Ce soir, nous accueillons un seul témoin—Mme Downe, professeure au département de l'étude sur la condition féminine et de l'étude sur les sexes de l'Université de la Saskatchewan.

    Bienvenue. Nous vous invitons à faire un exposé d'environ 10 minutes, puis nous vous poserons des questions et nous vous demandons de bien vouloir y répondre. Notre réunion durera environ une heure. Sur ce, je vous cède la parole.

+-

    Mme Pamela Downe (département de l'étude de la condition féminine et de l'étude sur les sexes, Université de la Saskatchewan): Merci beaucoup. Je suis honorée d'être parmi vous et de pouvoir vous faire part de mes observations.

    Je fais des recherches dans le domaine de la prostitution et de l'industrie du sexe depuis 13 ou 14 ans. La plus grande partie de mes recherches a une portée internationale, quoique depuis huit ans je fais de plus en plus de recherches à l'échelle canadienne. Pour commencer, j'aimerais en quelques mots vous donner les grandes lignes des principaux projets de recherche auxquels j'ai participé afin de vous donner une idée des renseignements que je pourrais vous fournir à mesure que vous progressez dans votre tâche.

    Comme vous l'avez signalé, je suis professeure au département de l'étude sur la femme et de l'étude sur le sexe à l'Université de la Saskatchewan. Mon doctorat en fait est en anthropologie. J'ai également une formation en épidémiologie et en biostatistique. Une très grande partie de ma recherche a porté plus particulièrement sur les questions de santé concernant les jeunes prostituées.

    Mon travail est de nature anthropologique, ce qui signifie que je me concentre beaucoup sur les réalités et les défis de tous les jours que rencontrent les jeunes femmes qui oeuvrent dans différents secteurs de l'industrie du sexe. Je m'intéresse à la façon dont elles décrivent les défis qu'elles rencontrent. Je m'intéresse à la place qu'occupe l'héritage culturel dans leurs expériences dans la rue et dans d'autres endroits où se déroulent les activités liées à l'industrie du sexe. Je m'intéresse à ce qu'elles voient comme récompense de leur travail, une partie des aspects positifs, ainsi qu'à ce qu'elles voient comme étant particulièrement violent.

    Mes méthodes reposent sur des techniques d'entrevue très exhaustives. J'ai tendance à interviewer les femmes au moins deux fois, et nos entrevues durent habituellement de six à sept heures chaque fois. Donc, nous passons une journée entière, ou plusieurs jours, ensemble.

    Je passe beaucoup de temps avec elles dans leurs heures de loisirs. Je passe beaucoup de temps avec les organisations qui offrent des services à ces jeunes femmes. Je tiens également à dire que j'ai rencontré plusieurs—je n'irai pas jusqu'à dire beaucoup, mais plusieurs—jeunes hommes qui oeuvrent dans le domaine de la prostitution. Par contre, ma recherche a porté principalement sur les jeunes femmes, surtout à cause de l'accès. Ce sont elles qui sont les plus intéressées à collaborer avec moi, et nous entretenons une bonne relation.

    J'ai commencé mon travail en 1992-1993, et j'ai effectué une étude auprès de 53 jeunes femmes à San José, au Costa Rica. Comme vous le savez sans doute, le Costa Rica a légalisé la prostitution. C'est prévu par la loi là-bas, mais avec des contrôles très rigoureux. J'ai donc travaillé auprès de 53 jeunes femmes, dont trois étaient inscrites comme travailleuses du sexe—donc, elles travaillaient en toute légalité—et 50 n'étaient pas inscrites ou étaient des prostituées illégales à l'époque. Leur âge variait entre 16 et 27 ans.

    En 1994-1995, j'ai travaillé auprès de 72 femmes à San Salvador, au El Salvador, à l'époque qui a suivi immédiatement la guerre civile dans ce pays. Le gouvernement du El Salvador, c'est-à-dire le ministère de la Santé, m'avait invitée à faire ce travail, afin que j'examine tout particulièrement la façon dont les perturbations civiles avaient marginalisé un très grand nombre de jeunes filles autochtones, qui se sont retrouvées dans les rues de San Salvador pour y gagner leur vie.

    De 1998 à 2000, j'ai travaillé auprès d'un groupe de jeunes femmes métisses, de descendance métisse, autochtone, à Saskatoon, en Saskatchewan.

    De 1999 à 2001, j'ai travaillé auprès de 54 femmes adultes qui ont fait l'expérience de la prostitution juvénile ou qui avaient été de jeunes prostituées dans les Prairies—Manitoba, Saskatchewan, Alberta. J'étais principalement chargée du volet Saskatchewan de cette recherche qui était financée par Condition féminine Canada, soit le « Girl Child Project ». J'étais chargée d'élaborer le protocole de la Saskatchewan à cet égard. Les femmes avec lesquelles nous avons travaillé étaient âgées de 18 à 36 ans. J'ai personnellement travaillé auprès de 11 organisations dans toute la Saskatchewan, de 13 jeunes femmes, toutes des Autochtones, et elles m'ont fait part de leurs expériences dans le domaine de la prostitution.

    De 2001 à 2005, j'ai travaillé auprès de 11 jeunes femmes de 14 à 23 ans des Caraïbes orientales. Ces femmes migrent d'une île à l'autre, certaines parce qu'elles font l'objet de la traite, d'autres parce qu'elles sont assujetties à des formes plus subtiles de coercition et enfin d'autres parce qu'elles choisissent de travailler dans l'industrie lucrative du sexe touristique à divers festivals ou carnavals culturels.

¼  +-(1840)  

    Un travail qui m'a particulièrement intéressée est celui du Crop Over Festival de la Barbade. Ce travail est financé par le CRSH depuis 2003, et l'étude se poursuit. Je participe aussi à un autre projet financé par Condition féminine Canada, intitulé « Intersecting Sites of Violence in the Lives of Girls ». Dans le cadre de cette recherche, je me concentre sur l'expérience des jeunes femmes autochtones qui se sont retrouvées dans des situations marginalisées qui souvent, en particulier dans les Prairies, font intervenir la prostitution et l'industrie du sexe.

    Ce ne sont pas toutes les jeunes femmes et toutes les filles qui travaillent avec moi à ce projet qui ont une expérience de l'industrie du sexe, mais un grand nombre d'entre elles l'ont.

    Je tiens à souligner certains problèmes reliés aux jeunes femmes et filles autochtones avec qui j'ai travaillé. Premièrement, leur implication dans la prostitution et l'industrie du sexe est très racialisée. Elles ont vécu des expériences uniques qui découlent d'un historique de colonialisme, et on fait fausse route à essayer de dégager leur expérience personnelle de l'histoire de leur peuple.

    Elles ont tendance à être plus jeunes que la plupart des autres travailleuses de la rue, et elles ont de ce fait des besoins spéciaux. Elles sont plus susceptibles que leurs collègues non autochtones d'être confrontées à des problèmes de toxicomanie, et leur implication dans la prostitution est souvent associée à une toxicomanie.

    Les filles autochtones sont moins susceptibles que les autres filles qui oeuvrent dans le domaine de la prostitution à avoir quitté une famille d'origine. Je veux dire par là que les filles autochtones arrivent habituellement dans la prostitution tout à fait par hasard et de façon sporadique, et, en général, elles viennent de foyers d'accueil, d'un milieu de détention ou d'autres établissements de détention de l'État.

    Souvent, les jeunes filles autochtones considèrent la prostitution non pas comme un problème, mais comme une solution—une solution à un désenchantement culturel et à une toxicomanie. Cependant, les problèmes associés à leur implication dans la prostitution sont habituellement reconnus plus tard. Ce n'est pas qu'elles la considèrent comme une solution sans problèmes; c'est tout simplement qu'elles la considèrent comme préférable.

    J'ai récemment pris contact avec un grand nombre de jeunes femmes qui ont participé à mon projet de recherche. Je leur ai dit que je venais témoigner devant votre comité et je leur ai demandé ce qu'elles voulaient que je dise et comment elles voulaient que je les représente. Elles ont toutes voulu souligner que le fait de modifier les lois concernant la prostitution ou de décriminaliser cette dernière ne sera bénéfique que si ces modifications s'accompagnent d'un changement dans les stratégies policières et de meilleures relations raciales entre les peuples autochtones et non autochtones.

    Encore une fois, je tiens à souligner que je présente un point de vue propre aux Prairies. Je viens de Saskatoon, là où les stratégies policières sont reconnues pour être passablement racistes à l'occasion. Il y a des agents de police merveilleux qui travaillent avec les filles. Mais nous avons l'héritage des « tours crépusculaires », où les hommes autochtones étaient conduits à l'extérieur de la ville par temps froids et abandonnés à une mort certaine. Ces histoires, les jeunes filles qui ont souvent maille à partir avec les policiers s'en rappellent.

    Je m'en tiendrai à cela et je répondrai avec plaisir à toutes vos questions.

¼  +-(1845)  

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Merci beaucoup.

    Monsieur Hanger.

+-

    M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci, madame Downe, de votre exposé. Je trouve intéressant que vous ayez une expérience des Caraïbes et du Costa Rica. Je suppose que dans ces pays on traite la question d'une façon un peu différente. Je ne sais pas si je veux parler de cela maintenant, étant donné que notre comité examine davantage le problème sous son angle canadien.

    À votre avis, est-ce que tout ce qui concerne la prostitution dans le Code criminel devrait être abrogé?

+-

    Mme Pamela Downe: Demandez-vous si elle devrait être décriminalisée?

+-

    M. Art Hanger: Oui.

+-

    Mme Pamela Downe: En tant qu'universitaire, mon problème est que je dis « par ailleurs » beaucoup trop; j'ai tendance à voir le gris et à m'y investir beaucoup trop pour vous donner des réponses bien précises.

    On me demande souvent si la prostitution devrait être décriminalisée et j'ai tendance à hésiter, comme je le fais en ce moment, parce que je crois qu'on devrait la décriminaliser. Je pense que ce sera plus utile que nuisible, mais cela ne revient pas à dire qu'il n'y aura pas des préjudices, parce que je ne crois pas que la décriminalisation soit la grande solution aux problèmes que vivent ces jeunes prostituées. La décriminaliser sans autres initiatives risque de ne pas offrir de véritables avantages, en particulier pour les jeunes filles autochtones.

    Très souvent, la décriminalisation débouche sur des milieux de travail plus libres, plus sécuritaires pour un grand nombre de femmes. Cependant, je ne pense pas que ce soit le cas pour toutes les femmes. Lorsque vous la décriminalisez de cette façon, vous pouvez souvent supprimer un certain nombre des systèmes informels de soutien que les femmes retrouvent dans la rue; par exemple, de nombreuses femmes plus âgées veillent sur les plus jeunes. Lorsque vous la décriminalisez, et que vous imposez probablement des restrictions relatives à l'âge, et que vous continuez à faire de l'exploitation sexuelle des jeunes une activité criminelle, cela entraîne souvent les jeunes encore plus loin, où vous ne pouvez les voir. À ce moment-là, cela signifie qu'elles sont encore plus loin de leurs réseaux informels de soutien de la rue, dans des studios de massage, etc.

    Si vous tordiez le bras, je répondrais oui, que je suis davantage en faveur de la décriminalisation.

+-

    M. Art Hanger: Eh bien, tout d'abord, la prostitution en soi est déjà légale.

¼  +-(1850)  

+-

    Mme Pamela Downe: Oui.

+-

    M. Art Hanger: Je parle des lois sur le racolage, des lois sur les maisons de débauche, de quelqu'un qui en profite, ou en vit, et tout ce qui y est associé, c'est-à-dire les lois qui viseraient certainement ceux qui se trouvent en coulisse, si je peux m'exprimer ainsi—les proxénètes, le crime organisé et même, dans une certaine mesure, les clients.

    Donc, estimez-vous que tout cela devrait être ouvert de sorte que ces niveaux d'activités puissent exister sans restrictions ou avec peu de restrictions?

+-

    Mme Pamela Downe: Je crois qu'il devrait y avoir des sanctions contre les proxénètes.

+-

    M. Art Hanger: Quelles sortes de sanctions?

+-

    Mme Pamela Downe: On devrait continuer de considérer cette activité comme criminelle, mais je ne suis pas tout à fait certaine de la façon pour vous de légiférer cela; je ne le sais pas.

+-

    M. Art Hanger: Donc, les lois sur les maisons de débauche, vivre des fruits de la prostitution, seraient...?

+-

    Mme Pamela Downe: Vivre des fruits de la prostitution ne pose aucun problème, parce que cela permettrait aux femmes de vivre des produits de leur propre travail sexuel et, au besoin, de mettre en commun cet argent. Je pense donc que cela ne poserait aucun problème.

    Je n'ai jamais vu un modèle positif de proxénétisme qui pourrait profiter, d'une certaine façon, aux femmes qui oeuvrent dans le domaine de la prostitution.

+-

    M. Art Hanger: Qu'en est-il des clients?

+-

    Mme Pamela Downe: Ils devraient être décriminalisés.

+-

    M. Art Hanger: Donc, si je comprends bien ce que vous dites, ceux qui exploitent une « écurie de filles », si vous me permettez l'expression, qui est souvent celle que l'on utilise dans ce milieu, ne devraient pas être autorisés à faire cela?

+-

    Mme Pamela Downe: Exact.

+-

    M. Art Hanger: Ils devraient subir les rigueurs de la loi et être chassés de la rue et ne plus gagner ainsi leur vie.

+-

    Mme Pamela Downe: Eh bien, je pense que les personnes qui exploitent une écurie de filles, comme vous le dites, devraient de toute évidence être considérés comme des criminels et en subir les conséquences. Quant à la forme réelle de cette sanction, je m'en remets aux spécialistes du droit qui en connaissent plus que moi sur le sujet.

    Je sais par contre que pour les filles, cela ne leur profite jamais d'avoir un proxénète qui détermine les conditions dans lesquelles elles travaillent. Elles devraient avoir l'indépendance de le faire elles-mêmes.

+-

    M. Art Hanger: Vous avez mentionné dans votre exposé qu'il serait plus sécuritaire s'il y avait décriminalisation totale, ou que si la prostitution en soi et les actes qui en découlent étaient décriminalisés, ce serait plus sécuritaire pour elles. Pouvez-vous me donner un exemple?

+-

    Mme Pamela Downe: Je ne suis pas certaine d'avoir effectivement dit cela dans mon exposé.

+-

    M. Art Hanger: C'est ce que vous avez dit.

+-

    Mme Pamela Downe: Que cela serait plus sécuritaire si...? Je pense que j'ai dit que les filles autochtones avec lesquelles je travaille ont dit qu'elles appuieraient la décriminalisation si elle était accompagnée de changements dans les stratégies policières ainsi que dans les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones.

+-

    M. Art Hanger: Je me reportais à ce que vous avez dit plus tard dans votre exposé. Quoi qu'il en soit, je suppose que j'essaie d'avoir une idée de la façon dont vous voyez tout cela se faire. Un grand nombre des jeunes femmes qui en réalité ne viendraient jamais dans cette salle pour témoigner sont des toxicomanes; elles sont exploitées d'un point à l'autre. Je suppose que j'aimerais que vous m'expliquiez comment on pourrait s'occuper des jeunes femmes qui sont exploitées. Les autres témoignages qui nous ont été présentés, les autres exemples qui nous ont été donnés, tout cela nous indique que cela ne prend pas fin avec la décriminalisation. La situation empire.

+-

    Mme Pamela Downe: Je ne suis pas certaine que la situation empire, mais...

+-

    M. Art Hanger: Elle empire.

+-

    Mme Pamela Downe: ... je suis tout à fait d'accord avec vous qu'elle ne s'améliore pas nécessairement. Voilà pourquoi j'ai dit que je ne considère pas la décriminalisation comme la solution magique, et de loin. Je ne pense pas que la décriminalisation serait une solution automatique pour la grande majorité de jeunes femmes et filles avec qui j'ai travaillé au Canada, car ce sont des filles autochtones qui sont marginalisées au plan racial et qui doivent faire face à toutes sortes de défis liés à la toxicomanie.

    Je pense que le fait de créer un milieu dans lequel elles s'estiment moins stigmatisées et moins vulnérables aux arrestations policières du fait de leur implication dans l'industrie du sexe et la prostitution pourrait en fait améliorer leurs aptitudes à chercher officiellement de l'aide pour leur toxicomanie, leurs problèmes de santé que j'ai étudiés dans le cadre d'autres projets à venir, les grossesses non voulues, etc.

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Merci, madame Downe.

    Je donne maintenant la parole à Mme Brunelle.

    En fait, votre temps est écoulé. Nous aurons un autre tour.

+-

    M. Art Hanger: Oui, je sais. Mais j'invoque le Règlement, madame la présidente, car je dois quitter et je voulais tout simplement m'excuser auprès de notre invitée. Je dois quitter pour une autre raison.

¼  +-(1855)  

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Très bien. Merci de nous le faire savoir.

+-

    Mme Pamela Downe: Merci de vos questions.

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Madame Brunelle.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Bonjour, madame.

+-

    Mme Pamela Downe: Bonjour.

+-

    Mme Paule Brunelle: C'est un plaisir de vous rencontrer. Arrivez-vous aujourd'hui de Saskatchewan?

+-

    Mme Pamela Downe: Oui.

+-

    Mme Paule Brunelle: Merci d'être là. Je trouve vos expériences et vos études intéressantes, particulièrement lorsque vous nous parlez du Salvador.

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Downe: Je m'excuse, je n'étais pas branchée au bon canal. Pourriez-vous répéter? Merci.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Vos recherches m'intéressent particulièrement, parce que vous avez travaillé au Salvador. Vous dites que les troubles civils ont des répercussions importantes sur les jeunes femmes autochtones. L'étude que vous menez présentement pour le compte de Condition féminine Canada est composée d'expériences faites auprès des jeunes femmes autochtones, et elle met en lumière des problèmes causés par le racisme et le colonialisme.

    Ce comité s'intéresse beaucoup à la question des femmes autochtones, doublement victimes et marginalisées parce qu'elles sont autochtones et prostituées. Il souhaite éliminer cette violence. Vos études vous permettent-elles d'établir des liens entre la situation actuelle au Salvador et celle de nos femmes autochtones? La trame de fond est-elle le colonialisme ou le racisme? Cela nous apporte-t-il un supplément d'information?

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Downe: Merci beaucoup de votre question.

    Je pense qu'il est évident que le colonialisme est à la base d'un grand nombre des problèmes que les filles autochtones, tant au El Salvador qu'au Canada, rencontrent. J'ajouterais qu'un autre facteur important est celui du déplacement. Évidemment, au El Salvador, le déplacement était attribuable beaucoup plus à la violence militaire récente, à l'invasion des collectivités, au déplacement. Mais au Canada, ce genre de déplacement se fait depuis l'époque des pensionnats—arrestation des enfants dans les années 60 et 70—et l'héritage de cette situation se vit d'une façon très réelle aujourd'hui chez les filles autochtones.

    Donc, bien que nous n'ayons certainement pas connu récemment cette sorte de militarisation ou de terreur militaire qu'ils ont au El Salvador, et c'est là une distinction vraiment importante qu'il faut faire, nous avons connu ce déplacement, des personnes enlevées de leurs collectivités, qui se retrouvent marginalisées, et se retrouvent vraiment dans des milieux racistes où, lorsque vous êtes une fille autochtone dans les rues de Saskatoon, de Calgary ou de Winnipeg, on vous traite très différemment des filles non autochtones.

    Ce n'est pas une province exclusive d'une catégorie à traiter différemment. C'est quelque chose que l'on retrouve dans toutes les catégories. Je peux vous donner un exemple très personnel. J'ai deux jeunes filles Cries—en fait, elles ne sont plus si jeunes, mais elles l'ont été—et je peux voir qu'elles sont traitées d'une façon très différente. Elles font plus l'objet d'un harcèlement sexuel public que leurs amies non autochtones. C'est quelque chose que l'on retrouve dans toutes les catégories, c'est quelque chose qu'elles vivent tous les jours.

    Donc, je suis vraiment convaincue qu'il y a des problèmes sociaux plus vastes. Et l'entraînement dans les gangs, le goût d'avoir le sentiment que vous faites partie du groupe, que vous n'êtes pas la seule personne différente au plan physique de toutes les autres autour de vous, c'est très important.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Est-ce qu'on pourrait dire que l'effritement du tissu social attribuable au déplacement des gens et le fait que ces femmes n'ont plus de points de repère — un milieu social où on peut avoir une même culture, une même langue — est la cause de ces situations difficiles?

    Je suis plutôt à la recherche de solutions, car on devra trouver des solutions pour ces femmes autochtones victimes.

    Est-ce que vous pensez que cela passe par des mesures sociales vigoureuses, pour reconstituer ce sentiment d'appartenance, ce tissu social? Quelles sont vos solutions pour régler le problème de la violence que subissent les prostituées autochtones, entre autres?

½  +-(1900)  

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Downe: C'est une très bonne question, et j'aimerais vraiment avoir la réponse. Je pense que je serais une universitaire très connue si j'avais la réponse, je peux vous en assurer.

    Je peux vous dire que de nombreuses études ont révélé—pas nombreuses, mais plusieurs, le travail de Michael Chandler tout particulièrement—que dans des régions, en particulier en Colombie-Britannique, où les collectivités des Premières nations assument le contrôle de leurs propres ressources, vous voyez une diminution du nombre de suicides chez les jeunes Autochtones, vous voyez une diminution de la consommation de drogues chez les jeunes Autochtones, et vous voyez une diminution de l'implication dans la prostitution.

    Donc, travailler avec les gouvernements autochtones, je pense, est l'un des éléments clés. Encore une fois, je ne pense pas qu'il nous faille nous empresser de faire cela comme s'il s'agissait d'une solution magique—que cela va tout régler—car il y a de nombreuses femmes autochtones qui disent, attendez un instant, nous empresser d'avoir l'autonomie gouvernementale ne répondra peut-être pas à nos besoins, car un grand nombre des chefs eux-mêmes ont des problèmes qu'il faut régler.

    Mais nous savons, suite à d'excellentes études qui sont en cours, que de permettre à des collectivités de déterminer leurs propres circonstances a vraiment une incidence sur les conditions de vie des jeunes. Autrement, je suis convaincue que les ressources visant à aider à composer avec les problèmes de toxicomanie, l'éducation qui a trait à leur héritage culturel, et permettre des processus visant à rétablir le lien avec les collectivités de résidence sont des éléments vraiment fondamentaux et importants. Je sais que tout cela semble très universitaire, mais j'appuie vraiment ces initiatives.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Est-ce que j'ai encore du temps?

[Traduction]

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Il vous reste environ 35 secondes. Très rapidement.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Vous avez parlé de la nécessité de modifier les stratégies d'intervention de la police envers les prostituées. Dans quel sens?

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Downe: Plus particulièrement, je pense que l'on devrait recruter davantage d'agents autochtones. Je pense qu'on ne devrait pas recruter uniquement des agents autochtones, mais aussi des agents qui représentent les diverses nations qui composent nos provinces.

    Donc, en Saskatchewan, je pense qu'il y aurait des agents cris, métis, saulteaux et dénés parce qu'il y a des différences entre les diverses nations. Je pense qu'il devrait y avoir plus d'agentes, et je pense qu'il devrait y avoir une plus grande collaboration avec les aînés autochtones.

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Merci beaucoup, madame Brunelle.

    Monsieur Lee.

+-

    M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci.

    L'un de nos principaux objectifs est de fournir ou de localiser des mécanismes qui permettraient de réduire l'exploitation, la violence ou la toxicomanie que l'on retrouve souvent parmi les travailleurs et les travailleuses du sexe. Donc, en partant, d'après votre expérience, y a-t-il une loi précise que vous pourriez nous recommander d'abandonner, ou de décriminaliser, pour atteindre ces objectifs?

+-

    Mme Pamela Downe: Je suppose que des lois portant sur le fait de vivre de la prostitution et la disposition sur la communication en seraient certainement deux... Car, d'après mes recherches, les femmes en parlent le plus sévèrement.

    Maintenant, savoir si c'est l'interprétation de ces lois est exacte ou non est autre chose. Je laisse à un juriste, beaucoup plus compétent que moi en la matière, le soin de se prononcer à ce sujet, mais elles pensent que le fait de vivre de la prostitution les empêche de mettre en commun l'argent qu'elles gagnent grâce au commerce du sexe et de créer une sorte de coopérative. Voilà pour une loi.

    L'autre concerne la communication, car elles croient que cela leur fait courir le risque d'être arrêtées par la police.

+-

    M. Derek Lee: L'aspect de la communication est la clé de l'aspect de l'exécution de la loi. Donc, si nous abandonnons cet aspect de communication, nous abandonnons essentiellement le racolage...

+-

    Mme Pamela Downe: C'est exact.

+-

    M. Derek Lee: Donc, c'est de la décriminalisation.

+-

    Mme Pamela Downe: C'est de la décriminalisation. C'est la raison pour laquelle je dis que j'y suis plus favorable. Je ne pense pas que ce soit une solution miracle, mais j'y suis plus favorable.

+-

    M. Derek Lee: Voulez-vous recommander de nouvelles lois?

½  +-(1905)  

+-

    Mme Pamela Downe: Non.

    Je répète « d'autre part » trop souvent. Veuillez m'en excuser.

+-

    M. Derek Lee: Aucun problème. Nous pouvons rejeter de nouvelles lois et en adopter. De toute façon, vous n'en recommandez aucune.

+-

    Mme Pamela Downe: C'est exact.

+-

    M. Derek Lee: En fait, le cadre législatif que nous avons, avec toutes les lacunes qu'il comporte, comme vous l'avez souligné, sert quand même à quelque chose...

+-

    Mme Pamela Downe: Oui.

+-

    M. Derek Lee: ... en permettant aux travailleurs et travailleuses du sexe d'avoir accès à des services médicaux ou sociaux. C'est en fait une relation à deux sens, vraiment : la société a accès à ces travailleurs qui ont eux-mêmes accès aux services sociaux.

    Que diriez-vous si je vous disais qu'il importe peu, maintenant, ce que sont les lois? Ce genre de problème global, partout dans le monde, semble insoluble. Laissez les lois telles quelles sont et essayez seulement de réduire les méfaits chez les travailleurs et travailleuses du sexe., Utilisez les lois comme cadre de travail et concentrez-vous sur la réduction des méfaits dans toute sa complexité ou créativité.

+-

    Mme Pamela Downe: Oui.

+-

    M. Derek Lee: Qu'en pensez-vous?

+-

    Mme Pamela Downe: Je pense que ce pourrait être une voie à suivre plausible et possible.

    Comme je l'a dit, je suis plutôt en faveur de la décriminalisation. Mais, je n'en suis pas persuadée, peut-être parce que je crois qu'une structure juridique permettant des poursuites criminelles, particulièrement de ceux qui exploitent les jeunes et qui enfreignent les lois sur le proxénétisme, est encore possible. Elle nous offre une structure; si nous étudions cette structure d'une manière un peu plus approfondie qu'à l'habitude, surtout les policiers ayant un parti pris racial, je crois alors qu'il serait vraiment possible de réduire les méfaits liés à la prostitution.

    J'ajouterais d'autres choses, par exemple, un plus grand accès à des soins immédiats, plus de fourgonnettes pour soigner d'urgence les blessures offrir des endroits sûrs où dormir et se nourrir convenablement.

    Au cours de toutes mes recherches, je n'ai jamais entendu dire que, dans le domaine de la santé, le VIH/sida, l'hépatite-C ou les maladies transmises sexuellement étaient le premier souci des prostituées. elles se préoccupent surtout de la fatigue, de la malnutrition, de l'accoutumance, des blessures—c'est ce qu'elles mentionnent couramment—et très souvent, l'accès aux services. Elles savent ce qu'il faut dire. Elles savent dire « J'ai des problèmes » ou « Je suis infectée », mais, dès qu'elles reçoivent des soins, elles commencent à demander de la nourriture, du café chaud—surtout dans les Prairies où les hivers sont rudes—elles demandent des choses qui les protègent du froid, des gelures, etc.

+-

    M. Derek Lee: C'est très courant.

+-

    Mme Pamela Downe: Oui.

+-

    M. Derek Lee: Est-ce que la plupart de vos commentaires concernaient des femmes prostituées ou s'appliquaient-ils aux deux genres ou bien voulez-vous faire des distinctions à ce niveau?

+-

    Mme Pamela Downe: Je peux certainement mieux parler des prostituées femmes, car c'est surtout avec elles que j'ai travaillé. Je pense qu'un bon nombre de commentaires s'appliquent aussi aux hommes, mais je ne peux pas le dire en toute certitude, car j'ai surtout travaillé avec des femmes.

+-

    M. Derek Lee: Est-ce que des politiques de réduction des méfaits, qui méritent d'être signalées car elles sont particulièrement efficaces ou utiles, sont en vigueur dans la région où vous travaillez?

+-

    Mme Pamela Downe: Aucune politique n'est appuyée par le gouvernement, mais il y a des programmes; ce serait bien d'en faire des politiques. Transformer un bon programme en une politique pour fournir des services de cette façon.

    À Saskatoon, nous avons un programme d'approche appelé EGADZ pour les jeunes qui vivent dans la rue. C'est un excellent programme.

+-

    M. Derek Lee: C'est-à-dire?

+-

    Mme Pamela Downe: Des médecins soignent immédiatement des blessures d'individus dont les bras ou les jambes sont fracturés et qui, souvent, ne sont pas soignées. L'un de mes jeunes participants, par exemple, s'est elle-même fait des points de souture après s'être battue au couteau avec une autre prostituée. Elle a utilisé du fil à coudre de sa mère et s'est carrément cousue le visage elle-même. Le programme offre ce type de services et il le fait souvent sans demander beaucoup de renseignements personnels, sans que les jeunes femmes aient la sensation d'être examinées, interrogées—comment cela vous est-il arrivé? Dites-moi comment vous avez eu cela?—et sans l'intervention de travailleurs sociaux, de policiers ou autres. Ce n'est qu'un exemple.

+-

    M. Derek Lee: Je pensais que les travailleurs sociaux et les policiers étaient supposés être du bon côté, faire partie de l'infrastructure.

+-

    Mme Pamela Downe: Ils sont supposés l'être.

+-

    M. Derek Lee: Mais dans votre coin de pays, ils ne le sont pas toujours.

+-

    Mme Pamela Downe: Pas toujours. Et je veux de nouveau souligner qu'il s'agit de cas isolés. Je peux vous donner l'exemple d'un policier communément connu sous le nom d'officier Ernie. Il est merveilleux. Les filles lui font confiance. Elles l'aiment bien. Mais, ses collègues le critiquent beaucoup.

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Merci beaucoup. Cela fait exactement sept minutes. Très bien.

    Madame Brunelle, voulez-vous poser d'autres questions?

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Oui.

    Vous semblez vous être intéressée surtout aux jeunes femmes et aux enfants. À votre connaissance, les jeunes femmes et les enfants choisissent-ils de se prostituer? Croyez-vous que le crime organisé est vraiment à la source de tout cela? Avez-vous eu l'impression que ces jeunes prostituées étaient associés à des proxénètes?

½  +-(1910)  

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Downe: Presque toutes les jeunes femmes avec lesquelles j'ai travaillé au Canada ont un proxénète ou un tenancier. Certaines y sont forcées, pas nécessairement par le proxénète lui-même—le proxénète est toujours un homme—mais par leurs amies. Malheureusement, cela est souvent rejeté car on estime qu'il n'y a pas de coercition quand il s'agit d'une amie, c'est comme si je vous disais « Allons faire un tour en ville. » Non, ils font vraiment des menaces : « Je te ferais du mal, je ferais du mal à ton animal domestique, à ton petit frère, je ferai du mal [...] ». C'est ce genre de coercition dont elles sont victimes.

    C'est vrai pour environ 20 p. 100 des cas que j'ai étudiés. Pour les autres 80 p. 100, c'est un choix, mais je dois souligner que c'est un dernier choix. C'est perçu comme quelque chose avec laquelle ces jeunes femmes peuvent vivre. Elles pensent qu'il n'y a pas d'autre solution. Elles n'en ont pas vraiment et ce n'est pas parce qu'elles n'essayent pas, mais tout simplement parce qu'elles n'ont pas les moyens.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Vous avez travaillé au Costa Rica et vous avez dit que l'industrie du sexe y était légalisée, mais soumise à un contrôle sévère.

    Pouvez-vous nous parler un peu plus de ce modèle? Comment fonctionne-t-il?

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Downe: Oui. Ça a commencé au milieu des années 80 avec la décriminalisation. Comme au Canada, la prostitution proprement dite n'est pas illégale là-bas, mais toutes les activités qui y sont liées le sont. Le Costa Rica a éliminé ces restrictions pour découvrir qu'un plus grand nombre de femmes pauvres employées dans les plantations de café dans des conditions terribles ou dans les plantations de la United Fruit Company dans des conditions aussi terribles, ont quitté ces emplois pour aller dans les villes—surtout dans la province de Limon du côté des Antilles et dans la capitale, San José—où elles ont commencé à travailler. De plus en plus, à cause surtout des pressions exercées sur le gouvernement par les organisations de résidents de quartier qui construisaient des maisons plus belles dans plusieurs endroits et qui voulaient que l'on impose de plus en plus de restrictions sur les femmes, cette situation est devenue un modèle de légalisation.

    Le gouvernement s'est aussi intéressé à l'imposition de taxes sur les profits gagnés par ces femmes dans la prostitution, il a donc exigé qu'elles aient une carte indiquant qu'elles étaient des prostituées. Il exigeait aussi qu'elles subissent des examens médicaux. Au départ, ces examens étaient fixés tous les six mois, puis à cause de l'épidémie du sida du début des années 90, les examens sont devenus mensuels. Les policiers pouvaient arrêter les travailleurs et travailleuses du sexe et leur demander de présenter leurs cartes. Souvent, les policiers ne croyaient pas que les certificats médicaux étaient valides. Donc ils les arrêtaient, les mettaient en prison et s'assuraient que l'examen médical était fait. Très souvent, cela menait à une agression sexuelle de la part des policiers eux-mêmes qui prétendaient avoir les connaissances médicales nécessaires pour faire ces examens; ils les faisaient et les femmes étaient blessées.

    Cela a évolué vers une légalisation, mais il s'est passé que la grande majorité des femmes ne s'enregistraient pas comme prostituées. Donc, elles travaillaient illégalement dans le commerce du sexe dans les rues de San José ce qui en fait augmentait le risque d'harcèlement de la part des autorités.

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Merci, madame Brunelle.

    Monsieur Lee.

+-

    M. Derek Lee: Votre point de vue est, dans une large mesure, celui des Premières nations—bien que je sois sûr que vous avez une expérience dans l'étude d'autres formes de prostitution—j'aimerais que vous abordiez la question du point de vue des Premières nations, c'est-à-dire le thème de vos travaux aujourd'hui.

    Je ne veux pas lier la question ou le problème à des critères raciaux, bien que vous y ayez fait allusion, car je ne veux pas d'une solution liée à des critères raciaux—qui peut faire partie du problème. Au risque d'être perçu comme approchant très près de cela, y a-t-il un aspect du phénomène plus large du commerce du sexe qui, à votre avis, lié au point de vue des Premières nations pourrait nous aider à trouver des solutions?

    Autrement dit, est-ce qu'un conseil de bande a fait quelque chose d'utile ou d'inutile? Est-ce que les femmes autochtones ont plus conscience de la possibilité d'un problème ou d'une solution? Se passe-t-il quelque chose de ce genre qui nous échappe, à nous qui vivons dans de grandes collectivités urbaines au Canada?

½  +-(1915)  

+-

    Mme Pamela Downe: C'est une très bonne question. Je pense vraiment que les besoins des jeunes femmes et des garçons autochtones dans les rues devraient être considérés très différemment, car je crois que leur expérience est unique et distincte à cause de leur histoire coloniale.

    Je ne connais pas de programmes d'approche ou de recours organisés au niveau de la bande, mais je sais que la Métis Nation of Saskatchewan a activement étudié le problème et cherche des solutions.

    La Métis Nation of Saskatchewan—d'après les résultats de ma première étude au Saskatchewan—affronte un problème très particulier, car bon nombre de programmes pour les jeunes des Premières nations ciblent les Cris ou les Saulteaux. Les programmes excluent les personnes ayant un double patrimoine et les Métis. Pa conséquent, les Métis n'y ont pas accès. Ils estiment que le racisme des programmes provient plus des Canadiens d'origine européenne. Ils se sentent perdu dans le concert des Premières nations car leur patrimoine de Métis ne les a pas habitués à des choses comme les cérémonies de suerie, le port des peintures traditionnelles, des choses tout à fait différentes de leur propre patrimoine culturel.

    Les chefs de la Métis Nation of Saskatchewan étudient actuellement le problème et essaient de trouver des façons uniques qui leur permettront de régler ce problème.

+-

    M. Derek Lee: Si le sous-comité arrive à élaborer des suggestions constructives, pensez-vous que nous pourrions y arriver seulement en considérant le pays comme un ensemble et en trouvant des solutions qui pourraient avoir un effet positif sur les Premières nations? Ou allez-vous nous dire, non, vous n'avez aucune chance, vous devez élaborer une solution spécifique aux Autochtones, car ils sont différents et vous devez régler ce problème directement?

+-

    Mme Pamela Downe: Vous pourriez envisager une approche pan-canadienne axée exclusivement sur les problèmes des Premières nations et des Métis. Et il serait probablement préférable de laisser les diverses collectivités des Premières nations et des Métis interpréter elles-mêmes à leur manière ces recommandations.

+-

    M. Derek Lee: D'accord, merci.

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): J'aimerais poser une petite question. Il nous reste environ 15 minutes.

    En ce qui concerne ce que vous avez dit au sujet du Costa Rica, où ils sont passés de la décriminalisation à la légalisation, avec l'enregistrement, je dois dire que nous avons parlé à pas mal de travailleurs et travailleuses du sexe partout dans le pays, dans des réunions publiques et à huis clos, et ils n'étaient pas en faveur de la légalisation, mais de la décriminalisation. En fait, ils ont parlé de la flétrissure des permis, des examens médicaux, des maisons de prostitution dirigées par l'État ou quelque chose de ce genre, il est donc intéressant d'entendre ce qui s'est passé à Costa Rica. Je comprends que vous soyez en faveur de la décriminalisation, mais elle doit faire partie d'un ensemble d'autres mesures.

    Au plan des lois en vigueur, il est sûr que la disposition portant sur la communication a été énorme, mais l'autre est la disposition sur les maisons de débauche. Je ne me souviens pas si vous en avez parlé, mais êtes-vous aussi en faveur de l'élimination de cet article? Beaucoup de gens, y compris des travailleurs et travailleuses du sexe nous ont dit que si nous éliminions la restriction sur la disposition sur les maisons de débauche, cela pourrait en fait assurer un environnement plus sûr. D'autres ont dit qu'il y aura toujours du commerce du sexe dans la rue même si nous éliminions la disposition sur les maisons de débauche.

    Donc, je serais curieuse de savoir si vous pouvez nous parler des expériences de ces jeunes femmes autochtones. Si elles quittaient les rues et qu'elles se sentaient dans un environnement plus sûr où elles ne seraient pas arrêtées par la police, croyez-vous que cela est possible ou allons-nous toujours voir la prostitution dans les rues et les problèmes qu'elle entraîne?

+-

    Mme Pamela Downe: Je pense qu'il y aura toujours de la prostitution dans les rues, mais éliminer, réécrire ou contester la disposition sur les maisons de débauche sous sa forme actuelle serait un avantage pour un grand nombre de ces jeunes femmes autochtones. Je crois que cela leur donnera un endroit à l'intérieur plus sûr pour travailler, à condition que ces restrictions sur les proxénètes et les tenanciers soient appliquées pour éviter qu'un grand tenancier gère une maison de travailleurs et travailleuses qui seraient alors séparées d'autres travailleurs et travailleuses qui pourraient leur offrir un soutien informel.

    Le fait de se trouver dans une maison augmente dans certains cas les risques, car la personne est séparée des autres qui lui offrent un soutien. Je crois que c'est particulièrement le cas pour les jeunes travailleurs et travailleuses dans les rues; les autres travailleurs et travailleuses qui les voient peuvent intervenir et protéger les plus jeunes dans la rue. Dans une maison, cette aide peut diminuer, donc, je crois qu'on aurait de meilleurs résultant en offrant certaines restrictions à l'égard des proxénètes et des tenanciers tout en autorisant un espace à l'intérieur sûr.

½  +-(1920)  

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): À certains égards, je suppose que c'est une façon de considérer la réduction des risques et des méfaits, même si nous n'avons pas été capables de créer l'environnement idéal. D'après ce que j'ai entendu, beaucoup de gens considèrent que la disposition portant sur la communication est très dangereuse, car si les femmes montent dans des voitures et qu'on les conduit ailleurs, il y a un risque et elles sont en danger. C'est une chose d'être dans la rue avec ses collègues, qui peuvent noter le numéro d'immatriculation de la voiture, mais dès qu'elles montent en voiture et partent, les risques augmentent.

+-

    Mme Pamela Downe: Ils augmentent et le meurtre de Pamela George à Regina en Saskatchewan en 1995 montre bien ce qui peut arriver quand une femme monte dans une voitures pour l'emmener dans un autre endroit.

    L'une des jeunes femmes avec lesquelles j'avais commencé à travailler en 1998 a disparu et personne ne sait où elle est. J'ai tout fait pour la retrouver mais je n'y suis pas arriver. Chaque fois que j'entends aux nouvelles qu'un corps a été retrouvé, j'ai des frissons car je crains...

    Cette fille était l'une des premières à m'approcher dans ce projet de recherche et à me demander de l'aide. Je crois qu'elle aurait pu arriver à recevoir de l'aide dans ce réseau informel, nous saurions où elle serait aujourd'hui.

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Je pense que nous avons le temps de poser encore deux ou trois questions.

    Madame Brunelle.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Au fur et à mesure qu'on interviewait des prostituées, on se rendait compte que la prostitution de rue était avant tout ce qui causait problème. J'aimerais que vous me disiez si, dans les Prairies, il y a des problèmes à l'égard d'autres formes de prostitution, que ce soit les escortes, les danseuses nues, les salons de massage ou autres.

    J'aimerais aussi savoir un peu plus exactement quels sont les besoins des jeunes prostituées dans les Prairies, entre autres. Y a-t-il des besoins particuliers auxquels on devrait répondre? On pourrait essayer de voir lesquels sont les plus urgents.

[Traduction]

+-

    Mme Pamela Downe: En ce qui concerne les autres types de prostitution dans les Prairies, la prostitution dans les rues est évidemment la plus visible. C'est souvent celle dont on parle le plus. Mais, il y a aussi la prostitution à l'intérieur. Les filles travaillent dans des maisons très délabrées ou il n'y a souvent pas de plomberie, etc. Il y a des agences d'escorte et je dois vous avouer que je ne les connais pas trop.

    Je ne sais pas si Eleanor Maticka-Tyndale de l'Université de Windsor est venue témoigner devant vous. Elle a fait beaucoup de travail en Ontario sur les travailleuses d'agences d'escorte et elle a fait des enquêtes nationales sur ce sujet. Je ne travaille pas avec les travailleurs et travailleuses d'agences d'escorte, mais je sais qu'ils existent et qu'ils sont très actifs et très fermes quant la à mise en vigueur de la décriminalisation.

    J'ai eu la chance de rencontrer deux ou trois travailleuses, bien que je n'ai pas travailler systématiquement avec elles. Ce sont des femmes qui se sont réalisées. L'une d'elles, âgée de 26 ans, est étudiante de troisième cycle universitaire dans un domaine scientifique. Elle gagne beaucoup plus d'argent en tant que travailleuse dans une agence d'escorte qu'elle en gagnera en tant que microbiologiste, il faut le dire très honnêtement. Elle pense qu'elle devrait avoir le droit de faire ce qu'elle veut de son corps.

    C'est une situation tout à fait différent de celle des jeunes femmes autochtones avec lesquelles j'ai travaillé. En fait, c'est la nuit et le jour et je suis parfois frustrée, car nous confondons ces situations et les traitons comme si elles étaient identiques. Cette femme de 26 ans gagne plus d'argent que moi; elle est très heureuse; elle a une très belle voiture. Ce n'est pas du tout une victime, certainement pas plus que beaucoup de femmes qui, dans leurs lieux de travail, subissent du harcèlement sexuel. Donc, je crois que c'est quelque chose de tout à fait différent.

    Pour revenir aux besoins de la prostitution, je vais parler de ce qui est souvent appelé le racolage au plus bas niveau...C'est le thème de mon travail. Il s'agit de jeunes femmes qui ont des problèmes d'accoutumance. Ce sont elles qui ont le plus de chance d'être dans la rue ou dans les maisons de prostitution qui n'ont pas de plomberie et qui vivent dans leurs propres excréments.

    Leur première priorité... c'est de dormir et se nourrir. Il arrive très souvent que leur cycle de sommeil est tellement perturbé qu'elles souffrent de fatigue chronique. C'est l'objet de la recherche financée par le CRSH que j'ai étudiée : de quelle façon la fatigue aggrave tous les autres problèmes de santé existants.

    Même lorsque vous travaillez de longues heures—et vous avez travaillé de longues heures aujourd'hui—vous rentrez chez-vous et vous allez probablement dormir aussi longtemps qu'hier et qu'avant-hier. Les êtres humains sont ainsi programmés biologiquement afin d'assurer le bon fonctionnement du cerveau. Sans sommeil, tout le corps est perturbé. Il est plus susceptible aux infections, aux blessures, aux maladies des os, à la malnutrition. Même en se nourrissant convenablement, le corps qui n'a pas de repos n'absorbera pas efficacement les nutriments.

    Le sommeil est une grande priorité—un endroit sûr pour dormir—et puis elles ont, bien sûr, besoin de nourriture qui soit convenable. Elles n'ont pas besoin de frites de chez MacDonald's; elles ont besoin d'aliments contenant des nutriments. Je répète que le risque de blessures, de maladies des os, est très présent, car elles sont mal nourries.

    Elles ont besoin de possibilités de quitter la prostitution si elles le veulent. Ces possibilités devraient exister. Je crois qu'il faudrait leur offrir une sorte de résidence, une possibilité d'étudier.

    Et troisièmement, je crois toujours qu'elles ne veulent pas entendre de menaces consistant à les renvoyer chez leur famille, que ce soit une famille d'accueil, de les confier de nouveau à la garde de l'État ou de les renvoyer dans une maison où elles sont maltraitées. Elles fugueront de nouveau.

    Cette jeune femme dont je vous parlais et que l'on n'a toujours pas retrouvée. Chaque fois qu'elle était arrêtée par la police, elle était renvoyée au nord dans sa famille d'origine et elle fuguait de nouveau à cause de la violence dans sa famille.

½  -(1925)  

+-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Merci beaucoup.

    À titre d'information, la personne dont vous avez parlé qui travaille à l'Université de Windsor apparaîtra devant notre comité dans deux ou trois semaines et nous entendrons son témoignage.

    Monsieur Lee, avez-vous une dernière question? Madame Brunelle?

    D'accord, je vais peut-être poser une dernière question.

    Au début de votre déclaration, vous avez parlé du problème avec la police, nous en avons souvent entendu parler. En ce qui concerne cette situation en Saskatchewan, que pouvez-vous proposer pour améliorer ces rapports, qu'il y ait une réforme de la loi ou non? Il semble que la situation soit très grave. Avez-vous des suggestions à faire? Il semble très contradictoire que les policiers soient là pour appliquer la loi et par conséquent, c'est souvent vers eux que l'on se tourne en dernier recours lorsqu'il y a des problèmes de sécurité et de violence. Avez-vous des suggestions qui seraient très utiles?

+-

    Mme Pamela Downe: Je crois vraiment que le recrutement de policiers autochtones qui représentent la diversité des populations des Premières nations et des Métis serait probablement l'une des meilleures stratégies. Je sais que surtout les jeunes hommes dans les réserves sont très intéressés par le travail dans la police. Ils sont vraiment très intéressés. Je crois que de bonnes stratégies de recrutement pourraient répondre à cet intérêt. Je pense que ce serait une excellente façon d'établir des liens entre des situations qui se passent à l'intérieur des réserves et l'application de la loi à l'extérieur des réserves.

-

    La vice-présidente (Mme Libby Davies): Merci beaucoup d'être venue aujourd'hui de Saskatoon. Nous apprécions vraiment que vous soyez venue de si loin pour parler devant le comité et pour votre très intéressante déclaration et vos réponses à nos questions. Merci d'être venue.

    La séance est levée.