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CIMM Rapport du Comité

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RÉVOCATION DE LA CITOYENNETÉ : UNE QUESTION
D’APPLICATION RÉGULIÈRE DE LA LOI ET DE
RESPECT DE LA CHARTE DES DROITS

INTRODUCTION

Lorsque le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes s’est réuni pour la première fois au début de la présente législature, les membres ont établi que leur grande priorité serait une étude des lois canadiennes sur la citoyenneté. L’actuelle Loi sur la citoyenneté est entrée en vigueur en 1977 et, même s’il est généralement reconnu qu’il faudrait revoir cette loi depuis la fin des années 1980, les tentatives pour l’amender et la mettre à jour ont échoué. Un document de travail du gouvernement a mené à la publication par le Comité d’un rapport en 1994. Ont ensuite suivi une série de projets de loi qui sont tous morts au Feuilleton, le dernier étant le projet de loi C-18 déposé durant la 37e législature. Au début de la 38e législature, la ministre de l’époque, Judy Sgro, a demandé l’avis du Comité avant de déposer un nouveau projet de loi qui devait être déposé ce printemps. En novembre 2004, le Comité a déposé un rapport intitulé Actualiser la loi sur la citoyenneté au Canada : questions à traiter. Dans ce rapport, le Comité a établi une liste des problèmes de citoyenneté qu’il a jugés comme étant les plus urgents.

Malheureusement, à ce jour, le gouvernement n’a pas décidé de présenter un projet de loi. Comme son prédécesseur, le nouveau ministre Joseph Volpe a demandé l’avis du Comité sur diverses questions. Plus précisément, dans le contexte de la révocation de la citoyenneté, il a demandé : «  Quelles raisons justifieraient une révocation de la citoyenneté et quel processus serait le plus approprié?1  ». Le présent rapport traite de cette question.

Le Comité a décidé de faire rapport uniquement sur la révocation de la citoyenneté avant l’ajournement pour l’été de la Chambre des communes. Il a toutefois l’intention de produire un rapport complet sur toutes les questions de citoyenneté à son retour l’automne prochain. Étant donné l’importance de la question de la révocation, il a jugé nécessaire de donner son avis le plus tôt possible.

L’ÉTUDE

Le 28 octobre 2004, le Comité a adopté une motion, à savoir: «  Que les témoignages et les documents présentés au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration durant la 2e session de la 37e législature et de la 36e législature au sujet de son étude concernant la citoyenneté canadienne soient réputés reçus par le Comité dans la session courante  ». Nous avons examiné ces documents dont s’inspire notre rapport de novembre 2004. Depuis ce temps, nous avons aussi entendu à Ottawa les exposés de témoins, dont des représentants de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et, en avril 2005, le Comité a parcouru le pays, visitant toutes les capitales provinciales ainsi que les villes de Calgary, Montréal, Vancouver et Waterloo. Même si la citoyenneté n’était qu’une des trois questions à l’étude au cours de notre consultation pancanadienne, beaucoup de Canadiens nous ont fait part de leurs vues sur une nouvelle Loi sur la citoyenneté. Nous avons entendu au total 131 témoins sur la question de la citoyenneté durant la présente législature.

LE PROCESSUS ACTUEL DE RÉVOCATION DE LA CITOYENNETÉ

L’actuelle Loi sur la citoyenneté prescrit que le gouverneur en conseil peut prendre un décret ayant pour effet de révoquer la citoyenneté d’une personne qui a obtenu sa citoyenneté ou sa résidence permanente au moyen d’une fausse déclaration, d’une fraude ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Le décret peut seulement faire suite à la présentation d’un rapport du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. La Loi énonce la procédure que le ministre doit suivre, à commencer par la communication d’un avis à la personne concernée. Celle-ci peut demander que le ministre renvoie l’affaire devant la Cour fédérale. Dans ce cas, avant que le ministre puisse présenter un rapport au Cabinet, le juge de la Cour doit déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, la personne a obtenu sa citoyenneté par des moyens inacceptables.

La vaste majorité des témoins ont soutenu que ce processus semble trop politique du fait que la décision finale en matière de révocation appartient au gouverneur en conseil. La plupart conviennent qu’il faut transférer le pouvoir de révocation du Cabinet aux tribunaux. Le Comité est d’accord. Après mûres délibérations, le Comité a relevé les principaux problèmes que pose le processus de révocation et fait les observations et les recommandations suivantes.

LA SIGNIFICATION DE LA CITOYENNETÉ

La citoyenneté — et en particulier la perte éventuelle de la citoyenneté — suscite des réactions très émotives. Au cours de nos audiences, bien des témoins nous ont raconté avec passion ce que la citoyenneté canadienne signifiait pour eux. Les Canadiens naturalisés qui ont témoigné devant le Comité ont exprimé avec emphase leur attachement au Canada et leur crainte que leur statut de citoyen soit considéré quelque peu différemment de celui des personnes nées au pays.

Même si la citoyenneté comporte certains droits et devoirs, elle a aussi quelque chose de hautement symbolique. C’est une expression des valeurs communes et des aspirations collectives. Pour le Comité, il ressort clairement que la citoyenneté canadienne est une question qui ne peut être traitée à la légère et que, par conséquent, il convient de rejeter avec autant de discernement que possible le principe de la révocation de la citoyenneté.

Text Box: Il peut être acceptable de rendre l’acquisition de la citoyenneté difficile, mais il est inacceptable de rendre la révocation de la citoyenneté facile. — Mémoire

LA PROPOSITION DU COMITÉ

A.  Motifs de révocation

Le Comité est d’avis que les motifs de révocation ne devraient pas être modifiés. Il faudrait continuer de maintenir comme motif de révocation de la citoyenneté toute fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels dans une demande de citoyenneté ou dans une première demande de résidence permanente.

Les témoins qui ont comparu devant le Comité étaient presque tous unanimes : la conduite d’une personne qui a obtenu sa citoyenneté ne devrait pas être prise en considération. Il semblerait que certains pays permettent la révocation au motif d’infractions telles que la trahison et le terrorisme, mais la majorité des membres du Comité sont d’avis que, une fois la citoyenneté dûment accordée, toute conduite ultérieure devrait relever de la compétence du système canadien de justice pénale. Si la citoyenneté est légitimement accordée, une personne qui ne commet aucune infraction telle une fraude dans sa demande et qui commet un crime par la suite est un criminel dans notre pays.

RECOMMANDATION 1

La révocation devrait être fondée sur une fausse déclaration, une fraude ou la dissimulation intentionnelle de faits essentiels dans la demande de citoyenneté ou la demande de résidence permanente d’une personne. La conduite d’une personne qui a obtenu sa citoyenneté ne devrait pas être prise en considération dans la révocation.

B.  Procédure

On a longtemps débattu de la procédure à établir pour la révocation de la citoyenneté. Selon la plupart des témoins, la loi actuelle pose un problème du fait que le pouvoir de révocation appartient au gouverneur en conseil. Le Comité est d’avis qu’une procédure entièrement judiciaire serait préférable. En laissant la décision finale au Cabinet, le processus donne une impression de manque d’équité et de transparence.

Nous notons également que le gouvernement a signifié son intention d’aller dans ce sens dans le projet de loi C-18, qui retirait au gouverneur en conseil tout pouvoir en matière de révocation. Toutefois, le projet de loi C-18 et ses deux précurseurs accordaient aussi un nouveau pouvoir dont l’exercice était laissé à la discrétion du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : le pouvoir d’annuler la citoyenneté. Le projet de loi prévoyait un délai pour l’exercice de ce pouvoir — cinq ans suivant la décision initiale d’accorder la citoyenneté — et la personne concernée était avisée de l’éventuel décret; à l’expiration de l’avis, elle pouvait faire des représentations auprès du ministre. Aucune audience officielle n’aurait été tenue et aucun appel du décret d’annulation n’aurait été permis.

Comme nous l’avons fait remarquer dans notre rapport de novembre 2004, si l’intention est d’en arriver à un processus de révocation entièrement judiciaire dans le but d’éliminer l’impression d’injustice que pourrait laisser le système actuel, il semblerait anormal d’accorder un pouvoir administratif de révocation qui ne permettrait aucun appel.

RECOMMANDATION 2

Le processus de révocation de la citoyenneté devrait être un processus exclusivement judiciaire.

RECOMMANDATION 3

La loi ne devrait contenir aucune disposition qui accorderait un pouvoir administratif d’annuler la citoyenneté.

C.  La norme de preuve

Il a été capital pour le Comité de convenir de la norme de preuve à appliquer dans une procédure de révocation. Certains témoins se sont dits en faveur du maintien de la présente norme civile de la prépondérance des probabilités. D’autres ont invoqué les affaires Oberlander et Odynsky2 et soutenu que la norme civile de preuve donnait lieu à des décisions inéquitables; dans les deux cas, le tribunal a établi que rien ne prouvait que l’un ou l’autre avait participé personnellement à des atrocités, mais qu’il était «  plus probable que moins  » qu’ils n’avaient pas répondu avec franchise aux questions qui leur avaient été posées sur leurs activités en temps de guerre. Certains témoins et membres du Comité sont d’autant plus inquiets que la loi actuelle ne permet pas d’en appeler de la décision de la Cour fédérale.

Text Box: …une personne accusée de vol à l’étalage jouit d’un plus grand nombre de droits en vertu de notre loi qu’un citoyen menacé de voir sa citoyenneté révoquée. — Témoignage

Selon la majorité des membres du Comité, la norme de preuve actuelle n’est pas assez rigoureuse. En privant quiconque d’un droit aussi fondamental pour son identité que sa citoyenneté, nous estimons que le gouvernement devrait être tenu d’assumer une responsabilité plus grande. Certains témoins ont soutenu qu’une loi imposant une norme civile plus rigoureuse devrait être adoptée et ont proposé qu’il faudrait exiger «  une preuve claire et convaincante  » de fraude. D’autres ont prôné l’adoption d’une norme criminelle de preuve au-delà de tout doute raisonnable. Étant donné l’importance de la citoyenneté — certains témoins ont indiqué qu’ils préféreraient la prison plutôt que de perdre leur citoyenneté — la majorité des membres du Comité ont convenu que la norme criminelle serait appropriée. En effet, la Loi sur la citoyenneté prévoit déjà qu’il y a infraction en cas de fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, indépendamment des dispositions relatives à la révocation. Une accusation en vertu de l’article 29 de la Loi entraînerait une poursuite judiciaire au criminel. La majorité des membres du Comité sont d’avis que c’est cette procédure qu’il convient d’évoquer pour la révocation, et ils recommandent que la révocation devrait être liée à des infractions telle une fausse déclaration, une fraude ou la dissimulation intentionnelle de faits essentiels dans une demande de résidence permanente ou de citoyenneté.

Text Box: Je demande aux membres du comité qui sont nés à l’étranger s’ils voudraient eux faire l’objet d’un processus politique qui pourrait détruire leur famille et tout ce qu’ils ont bâti depuis qu’ils sont arrivés au Canada en toute bonne foi. En tant que résident permanent, le risque que je cours d’être séparé de mon épouse et mes enfants nés au Canada sur la base d’allégations fabriquées de toutes pièces est beaucoup trop grand pour envisager à ce stade-ci d’échanger ma citoyenneté européenne de première classe pour une citoyenneté canadienne de seconde classe. — Témoignage

RECOMMANDATION 4

Pour révoquer la citoyenneté, il faudrait prouver au-delà de tout doute raisonnable devant un tribunal pénal qu’il y a eu fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

La question de l’applicabilité de la Charte canadienne des droits et libertés au mécanisme de révocation — en particulier l’article 7 — a aussi été abordée lors de nos audiences. Concernant l’argument selon lequel la révocation ne porte pas atteinte à la sécurité de la personne et ne met donc pas en cause l’article 7 de la Charte, le Comité est en désaccord et cite à cet égard un extrait de la récente décision de l’honorable R. D. Reilly, juge de la Cour supérieur de l’Ontario3 :

Il n’y aucun doute que la révocation de la citoyenneté, surtout dans les circonstances de la présente affaire, met en cause l’article 7 de la Charte. La révocation de la citoyenneté met en cause les droits à la liberté et à la sécurité de la personne…En somme, je ne peux penser à aucune conséquence, autre qu’une peine de plusieurs années d’emprisonnement dans un établissement carcéral, qui pourrait être plus dure pour un citoyen responsable que la perte de sa citoyenneté.

Les protections légales conférées par la Charte doivent s’appliquer au mécanisme de révocation.

RECOMMANDATION 5

Les protections légales conférées par la Charte canadienne des droits et libertés — en particulier les articles 7 à 14 — doivent s’appliquer au mécanisme de révocation de la citoyenneté.

D.  Questions de preuve

Comme nous avons recommandé que les causes de révocation soient entendues par un tribunal pénal, les règles normales de preuve du droit pénal devraient s’appliquer.

Le projet de loi C-18 aurait aussi permis d’établir un mécanisme spécial de révocation pour les personnes accusées de terrorisme, de crimes de guerre ou de participation au crime organisé. Il aurait garanti la confidentialité des renseignements utilisés dans les affaires où un juge statue que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le juge ne ferait établir qu’un résumé de la preuve, qui exclurait tout renseignement de nature délicate. Cette procédure correspond à celle décrite aux articles 76 à 81 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui visent à protéger la confidentialité des renseignements pour des motifs de sécurité. Comme dans le cas de la procédure de révocation «  ordinaire  », il était prévu que la décision de révoquer la citoyenneté serait rendue en fonction de la prépondérance des probabilités. En revanche, cette décision n’était pas susceptible d’appel ou de contrôle judiciaire.

Comme nous l’avons fait remarquer dans notre rapport de novembre 2004, les témoins qui ont attiré l’attention sur ce mécanisme s’y opposaient farouchement; selon eux, il viole les principes les plus fondamentaux de l’application régulière de la loi. Le Comité comprend que des actions en justice ont été intentées dans le contexte de l’immigration. Le mécanisme de révocation par la délivrance d’un certificat a été maintenu jusqu’ici, mais d’autres affaires sont en instance. Dans notre dernier rapport, nous avons proposé d’attendre les résultats des examens de la Loi antiterroriste qui sont en cours à la Chambre des communes et au Sénat4. Certains membres du Comité ont conclu que le mécanisme est si dérangeant qu’il ne devrait pas être invoqué dans les cas de révocation de la citoyenneté — en effet, certains aimeraient qu’il soit retiré de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés —, mais la majorité des membres du Comité ont décidé qu’il conviendrait d’attendre le dépôt des rapports des comités de la Chambre des communes et du Sénat qui étudient la question. En attendant leurs recommandations, le Comité rappelle qu’il ne conviendrait pas d’inclure un mécanisme de délivrance d’un certificat dans la Loi sur la citoyenneté du Canada. Toutefois, il est d’avis qu’il ne faudrait pas retarder, dans l’attente de ces rapports, l’introduction d’une nouvelle Loi sur la citoyenneté.

RECOMMANDATION 6

Les règles de preuve au criminel devraient s’appliquer dans les causes de révocation de la citoyenneté.

RECOMMANDATION 7

Le gouvernement ne devrait pas introduire un mécanisme de délivrance d’un certificat de sécurité dans les causes de révocation de la citoyenneté dans son nouveau projet de loi sur la citoyenneté, mais pourrait songer à le faire après que les comités de la Chambre des communes et du Sénat qui étudient la Loi antiterroriste auront déposé leurs rapports sur la question des certificats de sécurité d’immigration.

E.  Droits d’appel

La loi actuelle ne permet pas de faire appel de la décision d’un juge de la Cour fédérale qui a conclu qu’une personne a obtenu la citoyenneté par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Étant donné le nombre élevé de cas, fort médiatisés, de condamnations injustifiées au criminel, nous sommes très conscients qu’une erreur est possible. Le Comité ne voit pas pourquoi on interdirait de faire appel d’une ordonnance de révocation. Cela permettrait au contraire d’assurer l’intégrité du processus de révocation. Nous constatons en outre que le projet de loi C-18 aurait permis de faire appel devant la Cour d’appel fédérale et, avec autorisation, devant la Cour suprême du Canada.

Text Box: …tout dépend de la nature de la cause, du moment où elle est jugée et des juges qui sont appelés à se prononcer. — Témoignage

RECOMMANDATION 8

Aucun motif spécial ne devrait pouvoir limiter le droit d’en appeler d’une décision d’un tribunal qui a conclu qu’il y a eu fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

F.   L’ordonnance finale

Lorsque, selon un juge, la Couronne a démontré au-delà de tout doute raisonnable qu’une personne a acquis la citoyenneté par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, le Comité est d’avis qu’il faudrait plus de souplesse dans la détermination des conséquences. D’abord, selon la majorité des membres du Comité, une déclaration de culpabilité ne devrait pas entraîner automatiquement la révocation. Le juge de première instance devrait pouvoir ordonner la révocation de la citoyenneté ou imposer une autre peine, telle une amende ou une peine de prison, selon les circonstances particulières de l’affaire.

Bien des témoins ont aussi soutenu qu’il faudrait fixer une limite de temps pour la révocation. Ainsi, la citoyenneté d’une personne devrait être confirmée après une certaine période de résidence au Canada, et la révocation ne devrait pas être permise. Le Comité est divisé sur cette question.

Text Box: Comme citoyenne naturalisée, je vous exhorte à veiller à la justice et à l’équité pour tous les citoyens. Nous craignons qu’un jour, une règle ne soit adoptée pour nous priver de notre citoyenneté. Cette crainte est angoissante. Nous vous encourageons donc à vraiment étudier la question. — Témoignage

Comme des procédures de révocation sont rarement entreprises, certains membres du Comité estiment que les six millions de Canadiens naturalisés ne devraient pas craindre que leur citoyenneté soit révoquée. Quant aux personnes qui ont commis des crimes insignes avant d’entrer au Canada et qui ont menti au sujet de leur passé, elles devraient être constamment hantées par leurs crimes passés. Des membres du Comité opposés à toute limite de temps pour la révocation ont aussi soutenu qu’une personne coupable de fraude ne devrait pas pouvoir en tirer avantage pour la simple raison qu’elle est restée longtemps sans se faire prendre.

Par ailleurs, certains membres du Comité ont proposé qu’après un certain délai, le gouvernement devrait assumer ses responsabilités lorsqu’il a décidé d’accorder la citoyenneté. Laisser planer la possibilité de révoquer la citoyenneté chez un très petit nombre de citoyens naturalisés crée de l’incertitude chez les millions d’autres.

Text Box: On ne se sent jamais comme les gens qui sont nés ici. Chaque fois que surgit la question des conditions de révocation de la citoyenneté... la question qui vient à l’esprit, c’est combien de temps il faudra avant de devenir un vrai Canadien. J’ai des enfants qui sont nés au Canada. Ils peuvent faire n’importe quoi. Mais quand est-ce que je pourrai dire que je suis ici pour de bon? Et cette inquiétude-là me touche, c’est
vrai. — Témoignage

Le Comité constate qu’aucun mécanisme de filtrage des demandes de citoyenneté n’est parfait. Il a donc rejeté la proposition de certains témoins voulant que la citoyenneté soit totalement irrévocable une fois accordée. Lors des discussions sur l’établissement d’un délai de révocation, des membres ont proposé qu’un délai de cinq ans serait raisonnable. Toutefois, au terme des discussions, il a été convenu que, dans la mesure où la révocation doit être fondée sur une preuve au-delà de tout doute raisonnable et qu’il y a possibilité d’appel, il n’est pas urgent de fixer un délai pour entamer des procédures de révocation.

Le Comité a aussi été invité à examiner la possibilité que des personnes dont la citoyenneté a été révoquée deviennent apatrides. Comme des témoins l’ont souligné, les cas d’apatridie se sont multipliés depuis quelques années, laissant bien des gens dans un vide juridique, souvent privés de tout droit dans leur pays de résidence et de toute possibilité d’émigrer ailleurs. Selon eux, le Canada devrait jouer un rôle de premier plan pour réduire l’apatridie et notre Loi sur la citoyenneté devrait être conforme à cet objectif. Cela dit, le Comité comprend qu’il est possible en droit international — plus précisément, en vertu de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie5 —, qu’une personne devienne apatride  lorsque sa citoyenneté a été acquise par fraude.

Le Comité a décidé que la possibilité qu’une personne devienne apatride ne devrait pas empêcher d’entamer des procédures de révocation. Si une personne a obtenu la citoyenneté par fraude, elle ne devrait pas pouvoir la conserver pour la simple raison qu’elle risque de devenir apatride. Le Comité note également que le gouvernement peut accorder à des apatrides qui ne peuvent être renvoyés un statut leur permettant de travailler et d’étudier au Canada.

Enfin, le Comité a été invité à examiner la question du renvoi de personnes dont la citoyenneté a été révoquée. Actuellement, si la citoyenneté d’une personne est révoquée, un deuxième mécanisme doit être enclenché à la Division de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié : une déclaration selon laquelle la personne ne peut être admise au Canada. Le projet de loi C-18 aurait permis au ministre de demander un deuxième jugement de la Cour fédérale concernant l’inadmissibilité d’une personne après que sa citoyenneté a été révoquée par une décision, et de nombreux témoins se sont dits en faveur d’une simplification du mécanisme de renvoi. Le Comité est d’avis qu’il serait logique d’uniformiser la procédure. Lorsque la révocation est ordonnée pour cause de fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels dans une demande de résidence permanente, le juge devrait, selon le Comité, pouvoir ordonner le renvoi de la personne. Dans les autres cas, la personne recouvrerait son statut de résident permanent, et CIC pourrait entreprendre, le cas échéant, des procédures de renvoi en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Lorsque le renvoi est envisagé, le Comité veut s’assurer que le Canada continue de respecter ses obligations en vertu de la Convention contre la torture (CCT). Le Canada a ratifié la CCT qui interdit explicitement à un État partie de refouler une personne qui risque la torture, l’article 3(1) se lit comme suit :

Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

En aucune circonstance un État ne peut déroger à cette interdiction absolue, l’article 2(2) de la CCT se lit comme suit :

Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.

Human Rights Watch et Amnistie Internationale viennent de publier un rapport sur la question et le Comité des Nations Unies contre la torture s’est dit préoccupé par la pratique canadienne. Plus précisément, le Comité des Nations Unies a déclaré :

Le Comité se dit préoccupé par le fait que la Cour suprême du Canada, dans Suresh c. le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, ne reconnaît pas, dans le droit canadien, le caractère absolu de la protection de l’article 3 de la Convention qui n’est sujette à aucune exception…6

Le Comité des Nations Unies a recommandé que le Canada reconnaisse inconditionnellement le caractère absolu de l’article 3 en toutes circonstances et inscrive intégralement l’article 3 dans la loi canadienne.

Nous sommes d’avis que quiconque risque la torture ne devrait pas être renvoyé. Par conséquent, lorsque la révocation de la citoyenneté risque d’entraîner une mesure de renvoi, il faut évaluer ce risque. Le renvoi ne devrait pas être permis lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il y aura torture.

RECOMMANDATION 9

C’est au juge de première instance qu’il devrait appartenir de révoquer la citoyenneté ou d’imposer une autre peine, à sa discrétion.

RECOMMENDATION 10

Lorsque, après une déclaration de culpabilité, un juge ordonne la révocation de la citoyenneté d’une personne, il devrait aussi pouvoir ordonner son renvoi si la fausse déclaration, la fraude ou la dissimulation intentionnelle de faits essentiels se rapporte à la demande de statut de résident permanent au Canada de cette personne.

RECOMMANDATION 11

Avant de renvoyer une personne, il faut évaluer le risque de torture qui pèse sur elle. Lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il y aura torture, le renvoi ne devrait être permis en aucune circonstance.

G.  Dispositions transitoires

Un nouveau projet de loi sur la citoyenneté doit évidemment aborder la question des procédures déjà entamées en vertu de la loi existante. Faut-il les abandonner et en entamer d’autres en vertu de la nouvelle loi, le cas échéant? Dans le projet de loi C-18, le gouvernement avait proposé une disposition transitoire permettant de poursuivre les procédures de révocation entamées en vertu de la loi courante lorsque des preuves ont été reçues ou qu’une décision a déjà été rendue par la Cour fédérale.

Selon le Comité, si le Parlement, pour contrer l’impression d’iniquité de la pratique courante, juge à propos d’adopter un processus judiciaire, il serait illogique de poursuivre les procédures en cours. L’objet de la nouvelle loi sur la citoyenneté serait de toute évidence d’améliorer le système existant. Il convient donc que quiconque fait l’objet de procédures de révocation au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi puisse avoir le choix d’être assujetti à la nouvelle loi ou à la Loi sur la citoyenneté de 1977.

RECOMMANDATION 12

Quiconque fait l’objet de procédures de révocation au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi devrait avoir le choix d’être assujetti à la nouvelle loi ou à la Loi sur la citoyenneté de 1977.

CONCLUSION

Les membres du Comité espèrent qu’en choisissant de produire un rapport sur la révocation de la citoyenneté, ils feront ressortir l’importance que cette question revêt à leurs yeux et pour les témoins qui ont comparu devant eux. Le Comité continuer d’entendre des témoins concernant d’autres questions de citoyenneté et, comme il a été mentionné, il déposera un rapport complet après le congé d’été.



1La lettre du ministre Volpe au Comité est jointe à l’annexe A.
2Ministre de la citoyenneté et de l’immigration c. Helmut Oberlander, [2000] C.M.F. No 229 (première instance); ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Wasyl Odynsky, [2001] C.M.F. No 286 (première instance).
3Helmut Oberlander c. le procureur général du Canada et le ministre de Citoyenneté et Immigration, 2004, CanLII 15504 (ON S. C.) [non traduit].
4La Loi antiterroriste ne contient aucune disposition sur la révocation par la délivrance d’un certificat, mais les comités de la Chambre des communes et du Sénat ont décidé d’examiner le mécanisme dans le cadre du contexte général des mesures de lutte contre le terrorisme.
5Convention sur la réduction des cas d’apatridie, RTNU 989, p. 175, en vigueur le 13 décembre 1975. L’article 8 stipule que :
1. Les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride.
2. Nonobstant les dispositions de cet article, un individu peut être privé de la nationalité d'un État contractant :
a)dans les circonstances énoncées aux paragraphes 4 et 5 de l’article 7, dans lesquelles il est possible qu’un individu perde sa nationalité
b)s'il a obtenu cette nationalité au moyen d'une fausse déclaration ou de tout autre acte frauduleux. (Les italiques sont de nous.)
6Dans Suresh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] SCC 1, la Cour devait se prononcer sur une ordonnance d’expulsion prise contre un homme qui déclarait risquer la torture s’il retournait dans son pays d’origine. Lorsqu’elle s’est penchée sur la question, la Cour suprême du Canada a statué à l’unanimité que l’interdiction de restituer une personne à la torture constituait la norme internationale prévalente, comme le prévoit le droit international coutumier. En contradiction directe avec ce qui précède, un article de l’ancienne Loi sur l’immigration, permettait d’expulser une personne interdite de territoire et considérée comme un danger pour la sécurité du Canada dans un pays où sa vie était menacée. (Cette mesure est toujours permise sous le régime de la nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.) Essentiellement, la législation canadienne autorise dans certains cas l’expulsion d’une personne dans un pays où elle risque la torture. M. Suresh était un présumé membre et collecteur de fonds des Tigres tamouls. Bien que la Cour ait accueilli son pourvoi et il lui ait accordé une autre audience relativement à son expulsion, elle a confirmé la validité de la législation. Elle a laissé entendre que les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7 de la Charte devaient guider la nouvelle audience et que le ministre devait « généralement refuser d’expulser le réfugié lorsque la preuve révèle l’existence d’un risque sérieux de torture ». La Cour a expliqué comme suit son interprétation restrictive des circonstances dans lesquelles l’expulsion pouvait se justifier : « Nous n’excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture puisse être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis par l’art. 7 de la Charte soit au regard de l’article premier de celle-ci […] Dans la mesure où le Canada ne peut expulser une personne lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle sera torturée dans le pays de destination, ce n’est pas parce que l’art. 3 de la CCT limite directement les actions du gouvernement canadien, mais plutôt parce que la prise en compte, dans chaque cas, des principes de justice fondamentale garantis à l’art. 7 de la Charte fera généralement obstacle à une expulsion impliquant un risque de torture ».