INST Rapport du Comité
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CHAPITRE 4
LE CONFLIT D'INTÉRÊTS ET L'ACCÈS AU GOUVERNEMENT
Ce qui est important, c'est de s'assurer que l'élaboration des politiques est aussi ouverte et transparente que possible. De cette façon, les gens savent qui est impliqué, qui est en train de donner les renseignements et les conseils, et savent qu'il est possible de contester quelque chose à la lumière de ce qu'ils savent. [John Chenier, 14:17:00]
Le Comité a examiné la question du conflit dintérêt sous plusieurs angles. Le sujet est lié à celui de laccès au gouvernement. Essentiellement, le conflit dintérêts fausse le processus décisionnel public et, par conséquent, mine la confiance du public dans les institutions du gouvernement. En effet, les parties au conflit sont en mesure dobtenir certains « avantages » ou de contourner les « règles » normales. Ces règles, auxquelles tout le monde est assujetti, sont conçues pour que les décisions du gouvernement soient prises en conformité avec les principes de la saine gestion et du mandat public. Cest pourquoi le conflit ¾ et lapparence de conflit ¾ doivent absolument être combattus pour empêcher quils naltèrent la confiance des citoyens dans le processus de prise de décisions des pouvoirs publics.
Un deuxième aspect du problème est lié à lidée d« information ». Celle-ci est peut-être l« apport » le plus crucial au processus décisionnel. Quil sagisse de la simple attribution dun contrat, (p. ex. choisir une soumission lors dun appel public), ou de la conception dune réglementation compliquée qui touchera toute une industrie, il est extrêmement important que les décideurs disposent dune information sûre, à jour et complète. Lintégrité du processus décisionnel public repose donc aussi sur la transparence des échanges dinformation entre le gouvernement et les intéressés. La politique publique doit nécessairement assurer léquilibre entre les intérêts concurrentiels. Or, cela est impossible si plusieurs ou la totalité ne sont pas représentés. Le conflit dintérêts entrave les échanges de renseignements, puisquil suppose quune personne ¾ avec son opinion, son projet, sa soumission, etc. ¾ puisse mettre sa position de lavant, à lexclusion de celles des autres. À terme, cela mine la confiance du public dans le gouvernement.
Pour rétablir celle-ci, il faut donc agir sur trois fronts : premièrement nous devons continuer à empêcher les conflits dintérêts de survenir. Cet aspect est traité dans la Loi actuelle et dans le Code de déontologie des lobbyistes. Deuxièmement, et tout aussi important, nous devons ouvrir encore plus le processus délaboration des politiques; veiller à supprimer tous les obstacles aux échanges dinformation entre le public et le gouvernement; et enfin encourager activement tous les intéressés à participer à léchange didées. Bref, il faut instaurer un débat vraiment public sur les politiques publiques.
La première question a été soumise comme suit à la considération du Comité par lun des témoins :
[ ] la capacité de la profession de représenter des intérêts différents de manière transparente, sans compromettre les avis et les services qui peuvent être donnés à des clients ayant des intérêts opposés. [John Scott, 12:09:30]
La communauté des lobbyistes nest pas nombreuse. Des conflits dintérêts peuvent se produire, par exemple, lorsque deux lobbyistes dun même cabinet travaillent sur un même dossier, mais dans deux camps différents, soit quils sopposent, soit quils viennent lun après lautre, ou lorsque les services dun cabinet ont été retenus pour conseiller le gouvernement sur une question, et quils le sont à nouveau pour faire des représentations au nom du secteur privé dans le même dossier ou dans des dossiers connexes. Dans ces cas-là, des précautions sont généralement prises pour quaucune information confidentielle ne soit échangée.
Officiellement, selon le directeur de lenregistrement, les lignes directrices de lAssociation du Barreau canadien sur les mesures de cloisonnement suffisent à prévenir les conflits éventuels. Toutefois, comme la souligné le conseiller en éthique :
Le cloisonnement est très difficile à maintenir. Je ne remets pas en cause le fait que le Code sur les conflits dintérêts ait recours au cloisonnement. Quelquefois, il faut mettre des cloisons en place pour protéger lintégrité de certaines informations. Cest un problème sérieux pour les cabinets juridiques et les entreprises comptables, et plus les cabinets grossiront, pire ce sera. [Howard Wilson, 5:16:50]
Si quelques participants de lindustrie considèrent les lignes directrices comme « parfaitement opportunes sagissant de contentieux judiciaires et de protection des preuves présentées en tribunal », certains ont dit craindre quelles ne soient défectueuses du fait quelles « interdisent tout contact entre la personne en conflit et ses collègues travaillant sur le dossier de la partie adverse ». Toutefois,
Dans la profession de lobbyiste, il ne sagit pas tant disoler la personne que disoler le travail effectué. Les lignes directrices de lAssociation du Barreau canadien ne sont ni pratiques ni pertinentes dans ce contexte. [John Scott, 12:09:30]
Cest pourquoi certains cabinets de lobbyistes ont créé leurs propres protocoles sur les conflits. Le groupe Government Policy Consultants (GPC), par exemple, sest doté dun code de ce genre qui, à son avis :
[ ] « respecte pleinement le Code de déontologie des lobbyistes, mais qui applique des restrictions plus praticables dans la profession de lobbyiste. Surtout, le protocole GPC a laval de nos clients, les personnes les plus concernées. Ils considèrent quil protège entièrement leurs intérêts, tout en préservant lexcellence et lintégrité du service qui leur est fourni. [John Scott, 12:09:30]
De cette affirmation découlent deux commentaires importants. Premièrement, le conflit dintérêts, sil entraîne indéniablement des conséquences pour le débat sur les politiques publiques, concerne avant tout les clients dont les intérêts sont représentés. Dans la profession juridique, lorsquun avocat représente ou conseille des clients ayant des intérêts concurrents, il doit faire état de ce conflit et ne peut poursuivre son travail que sil obtient le consentement des clients. Le lobbying, comme le droit, suppose que lon plaide la cause dun client; le lobbying diffère surtout par la nature des services rendus et du fait que lune des parties est le gouvernement du Canada et, au bout du compte, le contribuable canadien. Cela signifie-t-il que chaque contribuable doit être informé de chaque conflit éventuel et prié de donner son consentement éclairé? Certains pensent que tel devrait être notre objectif. Cest une question épineuse, essentiellement liée à la notion de gouvernement représentatif.
Les Canadiens élisent des députés pour que ceux-ci fassent des lois en leur nom et quils dépensent leurs impôts de manière avisée et conformément au mandat public. Toutefois, lampleur et la complexité des administrations publiques modernes exigent que le Parlement délègue une partie de son pouvoir; en habilitant lexécutif, cest-à-dire « le Ministère », en lautorisant à établir des règlements, à formuler des politiques et à acheter des biens et des services, afin dassurer le fonctionnement constant et efficace du gouvernement au service des Canadiens. Ce travail suppose dinnombrables transactions individuelles et la participation de milliers demployés des secteurs public et privé. Dans ce processus, il peut survenir des conflits, réels ou apparents. Jusquoù devons-nous aller pour assurer que le processus se déroule dans lintégrité? Installerons-nous des caméras vidéo ou des magnétophones dans tous les bureaux? Les fonctionnaires et les représentants élus doivent-ils faire lobjet dune surveillance constante? Devons-nous exiger que tous les fonctionnaires et tous les représentants élus décrivent dans le plus grand détail leur emploi du temps quotidien, leurs appels téléphoniques, leurs conversations? Si oui, pourquoi nous arrêter en si bonne voie? Pourquoi ne pas leur demander de fournir la liste de leurs amis et des membres de leurs familles? Daucuns pensent que tel devrait être notre objectif, mais le Comité ne partage pas cet avis et ne souscrit pas à la prémisse qui le sous-tend ¾ à savoir que les fonctionnaires sont foncièrement corrompus ou corruptibles et que, pour le bien public, ils doivent être tenus sous surveillance constante.
Le Comité est convaincu que, pour les milliers dhommes et de femmes qui travaillent pour la « fonction publique », celle-ci nest par un employeur ordinaire ¾ cest une idée : lidée que, lorsquon travaille pour le gouvernement, on travaille pour tous les Canadiens. On est au service du public. Selon le Comité, à très peu dexceptions près, les hommes et les femmes de la fonction publique canadienne comprennent et respectent la notion de mandat public et exécutent leurs fonctions avec honnêteté et bonne foi. Cest là laxiome le plus fondamental du gouvernement représentatif : nous avons raison daccorder notre confiance à nos fonctionnaires.
Le Code de déontologie des lobbyistes interdit clairement et sans équivoque aux lobbyistes de représenter des intérêts concurrentiels ou conflictuels, sans avoir obtenu le consentement éclairé de ceux dont les intérêts sont en cause. Mais qui sont ces derniers? Au sens le plus large, ce sont les contribuables canadiens. Toutefois, dans la pratique, nous ne pouvons être appelés à donner notre feu vert à chaque décision. Nous faisons confiance aux fonctionnaires, avec lespoir quils agiront comme il le faut, quils exécuteront avec honnêteté et diligence les missions que le public leur a confiées. Voilà donc ceux à qui, dans la pratique, le conflit doit être déclaré, et ceux sur qui nous comptons pour veiller à ce que les intérêts du client ultime, le contribuable canadien, soient protégés.
Dautre part, les lobbyistes consultants sont tenus de donner lassurance aux titulaires de charges publiques quils ont fait part à leurs clients de tout conflit dintérêts « réel, possible ou apparent » et quils ont obtenu de ceux-ci un consentement éclairé les autorisant à continuer. De plus, le Code des lobbyistes affirme que les lobbyistes ne doivent pas placer les fonctionnaires dans une situation de conflit dintérêts en proposant ou en faisant une action susceptible de « constituer une influence répréhensible ». Le Comité est davis que les principes énoncés dans le Code de déontologie des lobbyistes sont suffisants pour que, lorsquun conflit potentiel survient, celui-ci soit résolu dune manière digne de la confiance du public.
Démocratie en surveillance a fait un certain nombre de recommandations visant à éviter que des conflits réels ou potentiels ne se présentent. Le Comité craint quelles ne soient pas proportionnées au problème. Parmi les nombreuses recommandations de cet organisme, trois visent directement à éviter le conflit ou lapparence de conflit :
[ ] les lobbyistes devraient être tenus de divulguer le travail quils ont effectué dans le passé ou quils effectuent en ce moment pour des gouvernements, des partis politiques ou des candidats à des charges publiques fédérales. [Aaron Freeman, 8:15:45]
En quoi la divulgation de ces renseignements préviendrait-elle les conflits? La chose nest pas évidente. On semble supposer quune personne, lorsquelle travaille auprès de partis politiques ou du gouvernement, accède à des renseignements confidentiels de grande valeur, dont elle peut tirer un avantage immérité. Mais, peut-on dire que tout engagement par un particulier auprès du « gouvernement » ou de « partis politiques » comporte un échange de renseignements confidentiels ou la promesse dune « rémunération pour services rendus »? Jusquoù la divulgation envisagée devrait-elle remonter dans le temps? Pendant combien de temps un renseignement garde-t-il sa « grande valeur »? Combien de temps faut-il pour que les « contacts » se refroidissent? Le Comité a entendu dire quen politique, les contacts et les renseignements vieillissent très vite :
[D]ans la vraie vie, on sait que quand on quitte un emploi, tout ce quon peut avoir appris sera connu du public dans les six mois qui suivent. Quil sagisse de marchés publics ou dautre chose, tout le monde est au courant après six mois ¾ les secrets du Cabinet, et ainsi de suite. Tout cela finit par se trouver dans le domaine public. Alors il faut reconnaître que lavantage lié à la connaissance de ces éléments disparaît vite. Dans certains cas, cest disparu en deux semaines. Je pense pouvoir affirmer que dans la plupart des cas, après six mois, on ne détient aucune connaissance qui ne soit pas accessible à des personnes qui connaissent bien le système et qui sont prêtes à faire le travail nécessaire. [Scott Proudfoot, 15:10:50]
De toute façon, les renseignements de ce genre ¾ sils représentent une valeur quelconque ¾ sont largement disponibles ailleurs. Pour toutes ces raisons, le Comité ne souscrit pas à cette recommandation. Une autre des recommandations de Démocratie en surveillance voudrait quil soit interdit aux lobbyistes
[ ] doccuper des postes élevés dans les équipes de campagne des partis politiques ou des candidats. [Aaron Freeman, 8:15:45]
M. Freeman a fait remarquer qu« une telle interdiction existe dans deux États américains ». Donc, la chose doit être tolérée dans les 48 autres. La recommandation comporte un certain nombre de difficultés conceptuelles, dont la moindre nest pas son effet sur la liberté dassociation des individus, un droit garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. On semble laisser entendre ici que le lobbyiste « politique » sera capable dobtenir des faveurs des amis quil aura aidés à faire élire. On comprendra que le Comité ne soit guère daccord avec cette façon de considérer les représentants élus.
Voici une troisième recommandation de Démocratie en surveillance :
Les lobbyistes devraient se voir interdire de faire du travail pour les ministères gouvernementaux auprès desquels ils font du lobbying. [Aaron Freeman, 8:15:45]
Cette recommandation vise à empêcher le conflit dintérêts qui résulterait dune divulgation non autorisée de renseignements confidentiels entre associés dun même cabinet travaillant sur un même dossier, mais dans des camps opposés. De nos jours, les ministères sont des organismes de grande taille, qui comptent des centaines, voire des milliers demployés. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un ministère peut décider de recourir à un lobbyiste. Souvent, cela tient aux grandes connaissances que celui-ci possède sur des questions de fond. Selon le Comité, une interdiction généralisée irait à lencontre du but visé. Il arrive fréquemment aux conseillers en politiques des ministères dêtre aux prises avec des problèmes techniques très pointus, alors que seules quelques personnes au Canada sont en mesure de leur fournir une analyse éclairée. Linterdiction suggérée aurait très probablement pour effet dexclure, pour motif de conflit, tous les experts existants et de les empêcher de dispenser leurs conseils aux ministères.
Pourtant, il nest pas impossible que certaines situations donnent lieu à ces conflits. Deux témoins, qui ne sont par ailleurs pas souvent du même avis, ont soulevé la question suivante :
[ ] il y a peut-être un problème du fait que les gouvernements ou les fonctionnaires font appel aux services de consultation des experts-conseils et que ces derniers prennent part eux-mêmes aux consultations. On peut considérer de ce fait que les experts-conseils sont en conflit dintérêt. [Jayson Myers, 7:09:20]
M. Freeman a appuyé cet avis, en lillustrant de surcroît :
[ ] lorsque le Conseil du Trésor a décidé délaborer les lignes directrices à lintention du secteur de la haute technologie et dembaucher un lobbyiste du secteur ¾ un lobbyiste représentant les sociétés de haute technologie ¾ pour faciliter lélaboration de ces lignes directrices, le résultat final était-il un résultat pro-industrie? Daucuns diraient oui, dautres non. [Aaron Freeman, 8:16:00]
Lattention du Comité a été particulièrement retenue par ce qui semble être une tendance croissante à laffermage des études sur les politiques et du travail de consultation à des cabinets dexperts-conseils du secteur privé. Certes, le nom du cabinet est cité dans les documents publics, mais lidentité précise des personnes qui conseillent les experts-conseils demeure floue. Comme lexplique Sean Moore, cette tendance est peut-être particulièrement flagrante dans lélaboration des politiques scientifiques :
Dans le domaine des sciences [ le] lobbyisme nest jamais aussi compliqué, difficile et frustrant que lorsquil sagit de sciences et de santé. [Il est] possible dacheter à peu près nimporte quelle donnée scientifique, et [quelle] transparence [y a-t-il] dans ce domaine? Est-ce que nous devrions exiger plus de détails sur les gens qui sont censés fournir des données scientifiques, est-ce quil faudrait savoir qui les a payés? [Sean Moore, 14:17:05]
Il ny a pas de solution facile au problème :
[ ] Cest toute une chaîne alimentaire à suivre, finalement, pour savoir quel genre de renseignements sont utilisés et fournis au gouvernement. Faut-il fournir le détail de tout le travail humain quil a fallu effectuer pour produire cette recherche? Je ne sais pas. [Sean Moore, 14:17:05]
John Chenier a convenu que ce travail « serait peut-être pénible et peut-être pas à toute épreuve » :
Ce qui est important, cest de sassurer que lélaboration des politiques est aussi ouverte et transparente que possible. De cette façon, les gens savent qui est impliqué, qui est en train de donner les renseignements et des conseils, et ils ont la possibilité de contester à la lumière de ce quils savent. Néanmoins, il se peut quactuellement, les personnes qui sont consultées, les personnes impliquées, ne soient pas bien connues des autres parce que le processus de consultation est fermé. Cest là que se trouve le problème. [John Chenier, 14:17:10]
Toutefois, une fois le problème cerné, aucune solution claire na été proposée. Il est douteux que laccroissement des obligations en matière de divulgation dans le cadre de lenregistrement des lobbyistes ne soit une solution. Ici encore, la question à se poser est la suivante : quelle devrait être la portée de lexigence de divulgation?
Je ne crois pas quon doive demander aux gens sils ont déjà travaillé pour la compagnie de tabac R.J. Reynolds, ou leur poser des questions de ce genre, les obliger à déclarer ce quils ont fait il y a 15 ans, quelque chose qui entachera tout leur témoignage. Je ne pense pas quun tel processus soit souhaitable. [John Chenier, 14:17:10]
Le Comité est conscient des conflits qui peuvent se présenter lorsque des experts-conseils du secteur privé se prononcent sur lélaboration des politiques gouvernementales. Le sujet est particulièrement inquiétant parce que les effets réels des conflits sur lorientation des politiques publiques ne sont pas nécessairement visibles et, surtout, parce quils sont difficiles à déceler pour le public. Toutefois, lexamen complet de ce problème nouveau et important déborde du cadre de la présente étude, si bien que le Comité ne peut pas formuler de recommandation à ce sujet. Cependant :
Recommandation 23 :
Le Comité recommande que le rôle des experts-conseils du secteur privé dans lélaboration des politiques gouvernementales fasse lobjet dun examen plus approfondi par le Parlement, dans le dessein de favoriser la transparence et déviter lapparition de conflits dintérêts.
Un autre aspect du problème des conflits dintérêts est celui de la « période de restriction » après-mandat à laquelle sont tenus certains titulaires de charges publiques lorsquils quittent leur poste. En effet, le Code sur les conflits dintérêts restreint la capacité dun ex-fonctionnaire dexercer des activités de lobbying après avoir quitté son emploi. Le Comité est conscient que les problèmes soulevés par lapplication du Code sur les conflits dintérêt débordent la portée de la présente étude; encore une fois, toutefois, le double rôle du conseiller en éthique tend à estomper les limites et, pour cette raison, plusieurs témoins ont évoqué le Code des lobbyistes.
Selon certains témoins, si importante que soit lexistence dune équité réelle dans le système, il importe également que celui-ci soit perçu comme équitable. Un des membres du Comité a parlé de la grande inquiétude des Canadiens face à ce quil considère comme « la familiarité des rapports entre certains lobbyistes et des décideurs de premier rang » et « les relations qui peuvent souvent exister entre les décideurs et les lobbyistes qui avaient lhabitude de participer au processus décisionnel ». Le conseiller en éthique a évoqué lobjectif de la « période de restriction » :
Les dispositions concernant laprès-mandat figurent dans le Code sur les conflits dintérêts précisément en raison des préoccupations dont vous avez parlé. On peut avoir limpression quau cours de la première année qui suit leur départ, certaines personnes peuvent profiter de leurs relations pour faire du lobbying. Voilà pourquoi nous avons prévu cette période dattente dun an, que ce soit avant daccepter un emploi auprès dune entreprise avec laquelle vous avez eu des rapports directs et officiels importants, ou avant de faire du lobbying auprès des ministères avec lesquels vous avez eu des rapports directs et importants. [Howard Wilson, 5:16:45]
Le conseiller en éthique a aussi souligné limportance et la difficulté quil y a à trouver le point déquilibre :
Cest une question déquilibre. Il faut que les gens ne soient pas en mesure de profiter indûment de leur dernière année en poste, mais en même temps, si vous ne leur laissez pas loccasion de profiter de leur expérience pour bâtir leur avenir, il sera très difficile dattirer les gens dans la vie publique. [Howard Wilson, 5:16:45]
Le conseiller en éthique a évoqué sa propre expérience des règles régissant les conflits dintérêts :
Jai constaté ces dernières années quelles avaient donné dassez bons résultats. Par exemple, nous rencontrons souvent des adjoints politiques qui, lorsquils poursuivent leurs relations avec le gouvernement, ont certainement des contacts avec des ministres et des hauts fonctionnaires. Ces mesures peuvent être assez restrictives [ ] Cest surtout le cas sil y a dimportants changements à la suite dune élection. Je crois que le Code des lobbyistes fonctionne bien, puisque chaque année nous communiquons avec toutes les personnes qui y sont assujetties. Nous leur parlons, avant leur départ, des restrictions qui les visent, de ce quelles peuvent et ne peuvent pas faire. Je peux vous dire que les interdictions dont vous parlez, en ce qui concerne les emplois que lon peut accepter et les personnes auprès de qui on peut faire du lobbying, peuvent être très restrictives. [Howard Wilson, 5:16:50]
Ce nest pas lavis de Démocratie en surveillance :
Deux ans, cest trop court. Habituellement, il ny a pas délections au cours de cette période de deux ans. Il ny a pas de changement de gouvernement, sans parler de la fonction publique, et lancien ministre a encore des rapports trop étroits avec les hauts fonctionnaires. [Duff Conacher, 8:16:25]
Toutefois, selon John Chenier :
Il est très difficile dempêcher quelquun de gagner sa vie. Quelquun quitte une carrière pour une autre. Comment pouvez-vous dire : « Je suis désolé, mais vous ne pouvez pas travailler pendant 12 ou 18 mois, ou deux ans. [John Chenier, 14:16:35]
Voici aussi lavis de Scott Proudfoot :
Alors il faut se poser la question, quest-ce quon essaie de faire ¾ est-ce quon veut simplement punir les gens? Est-ce quon cherche vraiment à mettre des obstacles devant quelquun qui quitte la vie publique pour reprendre sa carrière comme avocat, par exemple, et lui rendre la vie aussi difficile que possible? Qui alors voudrait se présenter aux élections? Il faut réfléchir à tout ce qui peut décourager les gens de participer à la vie publique. Nous sommes toujours en train dinventer de nouveaux obstacles. [Scott Proudfoot, 15:10:55]
Cest aussi lavis du Comité. Il est vrai que le bien-fondé de la « période de restriction » imposée par le Code régissant les conflits dintérêts et laprès-mandat sappliquant à la fonction publique déborde le cadre de la présente étude, mais le Comité estime quil faut la considérer comme faisant partie des réalités de la vie de ceux qui quittent la politique. Dans bien des cas, les perspectives demploi des anciens parlementaires ne sont pas innombrables. Toutefois, sil est une chose que les députés ont acquise au cours de leur mandat sur la Colline, cest une bonne compréhension du processus par lequel les politiques sont traduites dans les lois. Il nest pas déraisonnable de sattendre à ce quun ancien parlementaire souhaite gagner sa vie avec ces connaissances acquises légitimement, en travaillant au service des Canadiens. Il faut néanmoins veiller à ce que ceux qui reviennent sur la Colline en tant que lobbyistes se conduisent de manière à maintenir lintégrité des institutions du Parlement et du gouvernement.
Le Comité est conscient du fait que la « période de restriction » de laprès-mandat déborde du cadre de la présente étude et il ne fait donc aucune recommandation à ce sujet. Il sait aussi que cette question et dautres sujets connexes ont été examinés dans le passé par des comités des deux chambres et feront vraisemblablement lobjet de nouvelles études dans lavenir. Il estime au demeurant que létude de ces questions devrait être confiée à un comité responsable.
4. Lintégrité et laccès au gouvernement
Au cur de toute discussion sur le lobbying se trouve la vaste question de lintégrité du gouvernement. Celle-ci est compromise dès quon laisse le conflit dintérêts sinstaller, puisquon autorise la promotion dun intérêt, ou dun point de vue, au détriment des autres. Le registre des lobbyistes contribue beaucoup à rendre le processus transparent, en exposant les éventuels conflits à lexamen du public. Les gens peuvent facilement savoir qui parle au gouvernement, qui donne des renseignements et qui influe ¾ ou cherche à influer ¾ sur lopinion des décideurs. Pour trouver ces données, il suffit de consulter Internet. Cette facilité daccès favorise lintégrité de ladministration publique, en donnant une vision claire du processus délaboration des politiques : le registre des lobbyistes indique, entre autres choses, quelles sont les questions à lexamen, lendroit exact « à lintérieur du gouvernement » où elles sont étudiées et quels sont les intérêts du secteur privé et les ONG qui cherchent à influencer ce processus. En fait, le registre des lobbyistes indique précisément où « à lintérieur du gouvernement » le débat se tient et, par conséquent, il ouvre ce débat à la participation du public. La possibilité quun lobbyiste bien placé puisse détourner le débat public à son profit, empêcher lexpression des vues opposées et bloquer larrivée dautres renseignements, semble ne plus exister dans la pratique. Cest lobjectif pour lequel le système a été créé, et il a largement été atteint. Pierre Morin pense que :
[ ] la Loi a été proposée à cause des prétendus scandales [ ]. Cela a entraîné la révision de la Loi de 1988. Mais vous essayez toujours de régler le problème de 1988. Il faudrait peut-être envisager la situation comme suit : quels sont les problèmes qui existent en 2001? Quels sont les problèmes ¾ comme la communauté électronique ¾ dont vous êtes saisis? Cest là la vraie question. Nessayez pas de remédier aux scandales de 1988. Ils nexistent plus depuis longtemps. [Pierre Morin, 15:10:30]
Cette idée a été développée par Peter Clark. Selon lui, la Loi
[ ] a été conçue essentiellement pour éviter le trafic dinfluence et la vente de contacts [ ]. Cest pourquoi nous devons déclarer chaque réunion que nous organisons [ ]. Aujourdhui nous avons affaire à un gouvernement qui table beaucoup plus sur la transparence. À cause dInternet, ce nest plus linfluence qui prime mais linformation. Les gouvernements doivent fonder leurs politiques sur linformation. Mais ce quil faut déterminer, cest doù provient linformation et qui les gens représentent. [Peter Clark, 15:10:35]
Toutefois, même si la Loi a insufflé une certaine dose de transparence dans le processus décisionnel, cela ne constitue quun élément parmi dautres. Le registre des lobbyistes sinscrit dans un cadre législatif plus large, qui vise à assurer lintégrité du processus public de prise de décisions, premièrement en rendant le processus transparent et deuxièmement en louvrant à une large participation du public. Mais, selon ce que le Comité a entendu, le processus ne peut pas encore être qualifié dintégré :
DAD : Décider, annoncer, défendre. Cest la méthode du gouvernement parlementaire ? décider, annoncer et défendre ? au lieu, devant les grandes questions, dadopter une attitude beaucoup plus ouverte et de dire : « Voici la question, voici les options, voici les avantages et les inconvénients de chacune des options ».[ Sean Moore, 14:16:40]
Démocratie en surveillance est du même avis :
La plupart des Canadiens ne comprennent pas le processus législatif. Lorsquun projet de loi est présenté, ils pensent que cest une première étape, que la porte est ouverte à des changements, quils peuvent envoyer une lettre au ministre et que celui-ci en tiendra compte. Eh bien non, à ce moment-là, toutes les décisions sont déjà prises. [Duff Conacher, 8:15:55]
De tout cela, il ressort que lintégrité du gouvernement comporte réellement deux facettes. Dune part, les Canadiens souhaitent pouvoir sassurer que leur gouvernement prend ses décisions de manière équitable et intelligente, dans le respect des bonnes pratiques de gestion et du mandat public. Dans le même temps, toutefois, ils veulent aussi participer au processus décisionnel. Les citoyens, avec raison, veulent savoir qui dirige le débat sur les politiques publiques, quels sont les facteurs qui façonnent les discussions et quelles sont les décisions qui sont prises. Mais, et cest aussi important, les gens ordinaires veulent être certains que le gouvernement tient compte de leur avis. Il ne suffit pas douvrir la porte, sans plus; nous devons encourager tous les citoyens à entrer dans la discussion.
Malgré leurs efforts, les gouvernements et les « politiciens » sont parfois considérés avec suspicion :
Quand on regarde lattitude générale à légard des lobbyistes, cest comme si souvent ils font savoir aux fonctionnaires quils ne leur font pas confiance ni à eux ni aux représentants élus et cest comme si on voulait les marquer dun signe pour indiquer ce manque de confiance. Au contraire, je pense quon peut faire confiance à peu près à tout le monde dans ce milieu, à très peu dexceptions près, et ce nest pas sain davoir ce soupçon qui pèse sur tout le monde. Cela finit par coûter très cher. [Scott Proudfoot, 15:10:55]
Les raisons ne manquent pas de considérer les pouvoirs publics avec cynisme. Lune de ces raisons tient sûrement au fait que beaucoup de Canadiens estiment navoir aucune influence et pensent que leur gouvernement nest pas intéressé à entendre ce quils ont à dire. Pour renverser cette tendance et rétablir la foi dans les institutions gouvernementales, il faudra modifier considérablement la perception quont les gens de la façon dont les gouvernements établissent leurs politiques. Nous devons inciter les Canadiens à sengager plus tôt dans le processus délaboration des politiques, et à sy engager activement. Les gouvernements doivent encourager et rechercher cet engagement.
Le Comité pense également que les députés ont un rôle capital à jouer dans le processus de décision. Sean Moore, rappelant lépoque où il était lobbyiste à Washington, a évoqué la différence entre les députés canadiens et leurs « frères et surs américains » :
[ ] le rôle des législateurs dans notre pays est modeste. Cela ne veut pas dire pour autant que, lorsquil sagit de questions législatives, nous ignorons les députés, mais pour être franc, ils se trouvent généralement beaucoup plus bas sur la liste des personnes à contacter, car la genèse des lois dans notre pays commence généralement deux ou trois ans avant que la Chambre des communes nen soit saisie. [Sean Moore, 14:16:20]
Il importe de signaler que de nombreux membres du Comité nétaient pas daccord avec la manière dont M. Moore a décrit le rôle des députés dans le processus législatif.
Certains soutiennent que le scepticisme actuel à légard du gouvernement et des institutions de lÉtat procède du regard infatigable et pénétrant (certains ajouteraient cynique) des médias, en cette ère post-Watergate. Aujourdhui, ces mêmes médias pourraient offrir les moyens de rétablir la confiance du public dans le gouvernement. Aujourdhui, la technologie des communications ¾ Internet en tête ¾ permet léchange de nouvelles, dinformations et didées avec un auditoire très large et à une vitesse qui aurait été inimaginable il y a 20 ans. Le Comité a beaucoup entendu parler dInternet, de la façon dont celui-ci a commencé à modifier le mode de gouvernement et des conséquences croissantes que cela suppose. Les « consultations efficaces » deviendront peut-être autre chose quun objectif à atteindre. Elles sont peut-être à notre portée.