FAIT Rapport du Comité
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GÉRER NOS RELATIONS DANS UN CONTEXTE DE
SÉCURITÉ ACCRUE
En matière de politique étrangère, il est devenu banal daffirmer que nos relations bilatérales avec les États-Unis sont les plus importantes de toutes et que les décideurs canadiens doivent accorder une priorité constante à leur bonne gestion. Pourtant, à lexception dune prise en compte occasionnelle dans certaines études en matière de politique étrangère à caractère général, les relations canado-américaines nont récemment fait lobjet daucun examen détaillé de la part du Parlement. De surcroît, depuis dix ans que le Canada sest joint au Mexique et aux États-Unis dans lALENA, aucune enquête parlementaire approfondie na été menée sur lévolution rapide du contexte nord-américain, qui risque davoir une incidence considérable sur la politique étrangère. Cest en partie pour combler cette lacune quavait été décidée, avant même les tragiques événements du 11 septembre, la présente étude du Comité sur les relations canado-américaines et le défi nord-américain.
Les suites des attentats terroristes sans précédent survenus aux États-Unis, dans lesquels des citoyens canadiens ont aussi perdu la vie, rendent cet examen dautant plus important et opportun. Dans le contexte dune sécurité accrue, alors que la protection du public, comme la dit un témoin, est le premier souci des États-Unis, il est plus essentiel que jamais de bien mener les relations canado-américaines. Parallèlement, le moment est venu de commencer à envisager de façon plus générale les effets de la nouvelle donne sur quelques autres enjeux naissants de la coopération nord-américaine. Les conséquences commerciales et économiques à court terme ne sont pas les seules qui méritent dêtre examinées sans délai. Il faut également nous attaquer à des problèmes fort complexes qui sinscrivent dans le long terme.
Le présent rapport nest donc que la phase préliminaire dune étude beaucoup plus vaste, qui se poursuivra tout au long de lannée prochaine. Le Comité compte entendre des citoyens de toutes les régions et dialoguer directement avec des protagonistes américains et mexicains de premier plan avant de déposer son rapport final, en 2002.
Le document qui suit repose sur une première série de témoignages entendus à la fin de novembre, lorsque le Comité a tenu sept panels et reçu 30 témoins. Outre les exposés de hauts fonctionnaires provenant de sept ministères et organismes ayant des responsabilités bilatérales, le Comité a recueilli lavis de plusieurs grands experts canadiens et américains. Ces interlocuteurs ont fait la lumière sur les priorités en matière de politiques et lattitude du Canada, aussi bien dans ses relations bilatérales courantes que dans les affaires nord-américaines en évolution.
Le
Comité a également tiré profit de lexcellent travail de son Sous-comité du
commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux, qui a eu
loccasion de tenir trois rencontres sur les retards à la frontière
Canada-États-Unis, au cours de la deuxième moitié doctobre, pendant que le
Comité lui-même se penchait sur des projets de loi. Adopté le 21 novembre, le rapport
du Sous-comité, Vers une frontière
sûre et propice à lefficacité commerciale, se fonde sur les témoignages
entendus. Ses recommandations, revues par le Comité et déposées à la Chambre le
30 novembre, portent principalement sur les aspects commerciaux et économiques
immédiats des problèmes frontaliers, qui reçoivent une attention considérable depuis
le 11 septembre.
Bien entendu, ces importantes facettes de la politique bilatérale feront lobjet dun examen soutenu et constant des gouvernements de nos deux pays, étant donné les extraordinaires proportions et le caractère inédit et incertain des actuels problèmes de sécurité. Nous ne savons pas de quoi seront faits les semaines et les mois qui viennent, mais, à ce stade préliminaire, lobjectif du Comité est de mettre en lumière certaines grandes préoccupations, en tenant compte des difficultés ambiantes. Ce faisant, nous espérons en même temps ébaucher le cadre dun programme de politique étrangère capable de faire avancer les intérêts et les valeurs du Canada dans le contexte trilatéral mouvant des relations canado-américaines et canado-mexicaines du continent nord-américain. Le Comité invite le public canadien à participer au processus délaboration du futur programme nord-américain, si capital pour notre sécurité et notre prospérité communes.
I. RELEVER LE DÉFI DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE APRÈS LE 11 SEPTEMBRE
Il est certain que les attentats terroristes ont eu sur la conduite des relations internationales un effet considérable qui perdurera. Les Canadiens, tout particulièrement, en sont profondément conscients, et nulle part cet effet nest plus sensible que dans les relations canado-américaines elles-mêmes. Comme la fait remarquer au Comité M. James Wright, sous-ministre adjoint, Politique mondiale et sécurité, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) : « [ ] après les États-Unis, cest au Canada que limpact a été le plus fort, que la réaction nationale a été la plus générale et que lidentification entre les deux peuples a été la plus entière. La simple proximité matérielle et linterdépendance de nos peuples, de nos cultures et de nos économies sont des phénomènes quon ne retrouve pas ailleurs dans le monde. [ ] Le résultat de tout cela, cest une relation encore plus étroite, à tous les niveaux ». 1
Dautres témoins ont constaté cette intensification et cette accélération des rapports intergouvernementaux bilatéraux. Le fait que le Canada soit de nouveau sur lécran radar de Washington est considéré à la fois comme une chance et un défi pour les décideurs canadiens. Tout en louant les mesures prises jusquà ce jour par le Canada, M. Christopher Sands, fellow et directeur du « Canada Project » au Centre for Strategic and International Studies de Washington, estime que la politique étrangère américaine subit actuellement un remaniement fondamental et quune « révolution semblable dans la façon canadienne daborder la politique étrangère est également requise. La clé pour le faire est de concilier les relations bilatérales du Canada avec les États-Unis et sa politique à légard du reste du monde, de façon que les deux se complètent mieux ».2
Néanmoins, la crise actuelle comporte des aspects attribuables aux incidences plus étroitement continentales des préoccupations américaines en matière de sécurité nationale dans lesquels la « défense du territoire » est liée à la sécurité de lAmérique du Nord , qui viennent ranimer certaines vieilles considérations de prudence dans la politique étrangère du Canada. Comme laffirme le professeur Stephen Clarkson, dans un mémoire soumis au Comité : « le Canada se retrouve une fois de plus dans cette position quil connaît bien et qui consiste à prendre place directement sous laile protectrice de son voisin superpuissant ».3 Le fait que les États-Unis aient soudainement décidé, le 3 décembre, de déployer des moyens militaires à la frontière canado-américaine, quoique de façon limitée et temporaire, corrobore nettement cette position. Des soupçons ayant été soulevés dans lesprit du public américain à propos de la sécurité de la frontière septentrionale, à juste titre ou non, il faudra les prendre en compte directement, et gérer plus soigneusement lensemble des relations frontalières, dans le dessein de renforcer la coopération bilatérale et de reconstruire la confiance mutuelle. Dans le même temps, comme la déclaré au Comité le professeur Denis Stairs, il importe de garder les choses en perspective et de procéder de manière réfléchie « Létablissement de politiques à long terme dans des circonstances très dramatiques à court terme entraînera des erreurs ».4
Il semble évident que, des deux côtés de la frontière, les gouvernements nétaient pas prêts à affronter des événements aussi démesurés que ceux du 11 septembre et quils font des efforts considérables pour apporter des réponses et améliorer la coordination interne aussi bien quexterne. Des fonctionnaires fédéraux nous ont assurés que de vastes initiatives avaient été prises pour relever les défis en matière de politique. De plus, ont-ils ajouté, dans les dossiers comportant une dimension bilatérale, un dialogue très poussé a été engagé avec nos homologues américains. Le Comité entend suivre tout cela de près au fil de son étude et faire en sorte que les Canadiens soient tenus au courant de lévolution des choses.
Dans quelle mesure la situation mondiale a-t-elle changé Sans contredit, le nouveau discours américain en matière de sécurité pourrait avoir des conséquences très lourdes, y compris des effets collatéraux, pour le Canada. Nous voyons, du moins dans lavenir prévisible, limage dun État militant qui prend des mesures pour projeter son pouvoir à létranger, avec lintention jusquici de former des alliances et des partenariats multilatéraux. Il existe des possibilités pour le Canada dexercer une influence positive. Et, comme la fait valoir le professeur John Kirton dans son témoignage du 22 novembre, il na pas besoin pour autant dadopter une nouvelle série de priorités en matière de politique étrangère. Toutefois, il doit se fixer des objectifs clairs et faire la preuve quil est en mesure de les atteindre. M. Kirton exhorte le Canada à se montrer proactif pour ce qui est de proposer des solutions, et de ne pas se contenter dattendre avant de réagir aux initiatives américaines.5
Dautres témoins jugent souhaitable que le Canada soit en mesure de soutenir sa propre approche face la situation à laquelle se confronte la communauté internationale. Maintenir une perspective multilatéraliste à léchelle mondiale tout en favorisant la coopération nord-américaine, voilà le conseil du professeur Houchang Hassan-Yari, du Collège militaire royal du Canada et de M. Jean Daudelin, de lInstitut Nord-Sud, recueilli par le panel du 22 novembre. Le Comité accepte cette prudence dans lévaluation de la situation et prend note de laffirmation suivante de M. Wright : « Nous avons adopté une vision élargie de la sécurité qui met en évidence des approches permettant de sattaquer aux causes profondes des conflits et de linstabilité. Sur la scène internationale, nous avons une certaine influence qui na pas souffert des effets dun passé colonial ou dune politique de superpuissance ».6 La meilleure façon dillustrer nos idées, cest par lexemple. En outre, le Canada possède maintenant des compétences diplomatiques et des instruments de politique étrangère qui peuvent apporter une contribution spécifique à la communauté internationale si les moyens nécessaires sont en place pour permettre la réalisation de nos engagements.
Plusieurs témoins, en particulier Andrew Cohen, de lUniversité Carleton, ont rappelé les récents commentaires faits publiquement par le ministre Manley, lorsquil a reconnu le déclin des capacités internationales du Canada, par suite des réductions budgétaires cumulées de la dernière décennie. Nos interlocuteurs sentendent pour dire que le Canada, alors quil se prépare à recevoir le sommet du G-8 lannée prochaine, doit réinvestir dans ses capacités internationales de la défense à laide internationale, de la collecte de renseignements au recrutement deffectifs au MAECI, pour ne citer que quelques exemples sil désire que sa voix soit prise au sérieux dans les instances internationales. Une politique étrangère « à rabais » ne suffira pas à sauvegarder et à avancer les intérêts et les valeurs du Canada dans ce monde plus dangereux. Bref, le Canada ne peut pas continuer de « jouer dans la cour des grands » et dassumer le rôle que les Canadiens attendent de lui, celui dune vraie puissance internationale, sans se doter des outils nécessaires.
Le Comité continuera de réfléchir à la nature précise des instruments qui devraient être mis en place pour développer une politique étrangère spécifiquement canadienne, dans le cadre nord-américain et dans le monde. Nous sommes néanmoins convaincus que le gouvernement canadien doit annoncer clairement dans son prochain budget quil renforcera les capacités du Canada en matière de politique étrangère, afin que nous puissions nous engager fermement dans la réalisation à long terme des objectifs de la sécurité internationale, dans sa dimension la plus large. Cest là une considération de fond qui constitue notre message primordial, en cette étape préliminaire.
En conséquence :
Le Comité recommande que le gouvernement se serve du budget de décembre pour présenter un plan concret visant à fournir les importants moyens dont le Canada a besoin pour rehausser ses capacités en matière de politique étrangère, afin de répondre aux défis et aux attentes que comporte le nouveau contexte de la sécurité internationale.
II. IMPÉRATIFS POUR BIEN GÉRER LA RELATION CANADO-AMÉRICAINE
Voici ce qua indiqué au Comité le directeur général de lAmérique du Nord au MAECI et témoin partant à laudience du 20 novembre, Jon Allen : « Lampleur des liens qui unissent nos deux pays sur le plan de la sécurité économique et de lenvironnement a toujours donné à la gestion des rapports canado-américains une importance névralgique dans la politique intérieure et étrangère. » Et si cétait déjà le cas avant les attentats terroristes du 11 septembre, ce lest encore plus maintenant. Denis Stairs a souligné ce point au Comité le 27 novembre : « Entretenir des rapports efficaces avec les États-Unis est le seul véritable impératif de la politique étrangère canadienne ».7
Il incombe dès lors au gouvernement du Canada de prendre immédiatement des mesures pour protéger les Canadiens et rassurer comme il se doit les États-Unis. Comme la indiqué le ministre des Affaires étrangères, John Manley, au Comité :
Il nous faudra déployer des efforts extraordinaires pour convaincre les Américains que nous ne constituons pas une menace pour eux, mais plutôt que notre amitié ainsi que le commerce transfrontalier sont des atouts quils doivent chérir et dont ils doivent tenir compte au moment de prendre des décisions en matière de sécurité.
8
Certes, il faut prendre des mesures proactives pour tenir compte de la nature asymétrique de la relation et de la priorité que le Canada doit lui attribuer, mais il faut maintenir, dans la politique étrangère, un équilibre général qui reflète aussi la prise en considération du point de vue du Canada concernant ses intérêts internationaux. Dans son témoignage, le professeur Stairs a répété ce quil avait écrit : « Nallons pas si vite. Les attentats du 11 septembre sont une tragédie. Mais ils nont pas changé le monde. Il ny a pas lieu dadopter à la hâte des solutions mélodramatiques. Il faut se ressaisir et garder la tête froide ». Il a ajouté que même si le Canada détenait maintenant un levier unique dans sa relation avec les États-Unis, « vous devez savoir ce que vous voulez
9 ». Un des grands objectifs du rapport final du Comité consistera précisément à aider les Canadiens et leur gouvernement à décider ce quils veulent dans le contexte nord-américain.À court et à moyen terme, une des choses à faire, il va sans dire, est de corriger les fausses informations ou impressions auxquelles lAméricain moyen a été exposé. Mais surtout, le Canada devra agir pour prouver quil est partie prenante dans la solution à cet effet, la dernière des 77 recommandations du rapport publié le 3 décembre par la Coalition pour une frontière sécuritaire et efficace sur le plan commercial demande au gouvernement fédéral de faire preuve de leadership en élaborant une stratégie des communications visant à obtenir des appuis, au Canada et aux États-Unis, pour une position canadienne unifiée qui porte à la fois sur la sécurité économique et matérielle.
10Il faut aussi songer à faire un effort plus concerté et plus soutenu pour informer les législateurs et les citoyens américains de nos politiques et de nos points forts, et contribuer ainsi à ce que Thomas dAquino, du Conseil canadien des chefs dentreprises, a appelé une « zone de confiance » entre les deux pays. Nous avons relevé lemploi de cette même expression par lambassadeur des États-Unis, Paul Cellucci, qui expliquait que lobjectif nétait pas laméricanisation ni même lharmonisation des politiques canadiennes, mais plutôt laménagement dun climat de confiance mutuelle. M. Charles Doran, directeur des Études canadiennes à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies, à Washington, a insisté sur ce point lorsquil a fait valoir au Comité, le 29 novembre, que les Américains ne sattendent pas à ce que le Canada adopte des politiques identiques; ce qui compte, cest « lefficacité » équivalente des politiques canadiennes dans leffort fait pour empêcher la répétition des attentats terroristes en Amérique du Nord.
Étant donné la méconnaissance généralisée du Canada dans bien des régions des États-Unis, mentionnée par le collègue de Washington du professeur Doran, M. Christopher Sands, du Center for Strategic and International Studies, lidée avancée par M. Denis Stairs recueille un certain nombre dappuis : « Il faut une grande campagne de publicité et de relations publiques aux États-Unis pour corriger les fausses.12
La relation Canada-États-Unis a toujours été gérée au quotidien par les bureaucrates professionnels du Service extérieur, qui relève du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, moyennant une orientation politique de haut niveau lorsque nécessaire. Comme le Comité la entendu dans la première série dexposés, la réaction du MAECI et des autres porte-parole canadiens à la tragédie du 11 septembre a été immédiate et appréciée par les Américains, car une concertation plus étroite avec les responsables américains simposait de toute urgence.
Dans les semaines qui ont suivi les attentats, le gouvernement canadien a injecté de nouvelles ressources dans les ministères et organismes clés qui soccupent de la sécurité et des questions connexes. Mais comme le Comité la déjà fait remarquer, il faut investir tout autant dans le Service extérieur canadien, et notamment dans les services qui soccupent des relations Canada-États-Unis à Ottawa, à notre ambassade à Washington et dans les consulats ailleurs aux États-Unis. En plus de remonter le moral et de rebâtir le noyau de compétences du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, cela permettra de rendre la politique étrangère plus holistique en ce sens que nos préoccupations nord-américaines ne seront pas séparées de nos préoccupations mondiales. Le nombre demployés du Service extérieur canadien en affectation aux États-Unis étant demeuré relativement constant depuis une dizaine dannées malgré la multiplication phénoménale des liens commerciaux et économiques, il se pourrait aussi quon doive envisager daccroître le nombre de Canadiens en affectation là-bas.
Lintérêt politique de haut niveau ne fera certainement pas défaut dans le sillage immédiat du 11 septembre, mais le manque de structures bilatérales efficaces à ce niveau a été relevé par un certain nombre de témoins. La création du Comité spécial sur la sécurité publique et lantiterrorisme, présidé par le ministre des Affaires étrangères, John Manley, a contribué à rassurer les Américains en montrant que lattention politique des Canadiens est axée sur la sécurité commune ainsi que des questions connexes. Le défi pour les dirigeants politiques canadiens consistera à canaliser et à soutenir lintérêt politique américain au fil du temps. Étant donné que « nous pouvons satisfaire ladministration américaine à laide dune collaboration solide de tous les jours », comme la fait remarquer M. Denis Stairs, lessentiel sera de générer et de susciter lintérêt au Congrès américain.
En plus davoir suggéré une campagne dinformation énergique, le professeur
Andrew Cooper de lUniversité de Waterloo a laissé entendre que pour envoyer
un message clair et convaincant, les Canadiens devraient peut-être repenser certaines 13 prémisses vénérables qui avaient cours
avant le 11 septembre comme « la plus longue frontière non défendue au
monde ». Le conseil donné par le professeur Maureen Molot, directrice du
Norman Patterson School of International Affairs de lUniversité Carleton, dans son
témoignage du 27 novembre, est de se concentrer sur la création de coalitions
efficaces à bien des niveaux (secteur privé ainsi que gouvernemental) entre des
homologues des deux pays. Les témoins ont également insisté sur la nécessité de
posséder une connaissance réaliste du système politique américain pour pressentir le
Congrès.
Le Comité est davis quune créativité et une persévérance renouvelées simposent dans la gestion de notre plus importante relation de politique étrangère. Nous croyons fermement aussi que les législateurs canadiens doivent avoir les moyens de contribuer à cette entreprise individuellement et par le truchement de nos institutions parlementaires. En plus de réexaminer la façon dont les ressources parlementaires sont affectées à ce travail, les parlementaires voudront peut-être aussi envisager la création de nouveaux mécanismes de coopération avec leurs homologues américains.
III. Resserrer la coopération en matière de sécurité, de renseignement et de contre-terrorisme
Les gouvernements nont pas de responsabilité plus grande que celle dassurer la sécurité de leurs citoyens, et à cet égard les attentats du 11 septembre ont complètement transformé le contexte de la coopération canado-américaine. Les structures sont en place pour accroître la coopération déjà étroite qui existe entre les deux pays en matière de sécurité, de renseignement et de contre-terrorisme, et dans le premier lattention sest tournée principalement vers notre frontière commune. Au-delà des questions techniques, lenjeu consiste, du moins en partie, à faire en sorte que les citoyens et les dirigeants politiques des deux pays soient conscients de lampleur de cette coopération et de sa contribution à notre sécurité commune. Quel que soit le risque objectif, la perception de sécurité est essentielle. M. Stephen Flynn, du Council on Foreign Relations, a signalé au Comité que le sentiment dinsécurité encourage les individus à accepter, au nom de la sécurité, des réactions exagérées qui peuvent compromettre les libertés civiles.
Depuis des dizaines dannées, le Canada et les États-Unis travaillaient en étroite collaboration à la défense militaire de lAmérique du Nord, au contre-terrorisme et à dautres questions de sécurité publique. Sur le plan militaire, les deux pays ont signé depuis 1940 plus de 2 500 accords pour renforcer leur défense commune les plus notoires ayant trait à la Commission permanente mixte de défense et à la défense aérospatiale du continent par le Commandement de la défense aérospatiale de lAmérique du Nord (NORAD). Le major-général Cameron Ross, des Forces canadiennes, le militaire le plus haut gradé de la Commission permanente mixte de défense, a fait ressortir la nature vraiment intégrée de cette coopération lorsquil a fait remarquer au Comité, le 20 novembre, que non seulement un Canadien était le commandant en chef adjoint du NORAD, mais quun marin canadien était lofficier en devoir le plus haut placé à Cheyenne Mountain le 11 septembre.
Quant à lavenir de la coopération bilatérale dans la défense de lAmérique du Nord, le Canada devra continuer de se tailler des rôles qui lui permettront de démontrer sa capacité opérationnelle et sa fiabilité comme partenaire de cette alliance. Comme la dit au Comité, le 22 novembre, le professeur Albert Legault, directeur du Forum sur la sécurité et la défense à lInstitut québécois des hautes études internationales de lUniversité Laval, la seule stratégie raisonnable qui soffre au Canada consiste à explorer, avec les États-Unis, des domaines précis où notre contribution pourrait se révéler décisive. Nous devons aussi faire en sorte que ces questions bénéficient régulièrement dune attention politique de haut niveau au Canada. Dans son témoignage du 29 novembre, le professeur Wesley Wark de lUniversité de Toronto a recommandé une participation ministérielle du Canada aux travaux de la Commission permanente mixte de défense. Le Canada doit mettre de lordre dans ses affaires et corriger ses propres faiblesses sil aspire à une présence crédible à la table internationale.
Parallèlement, le défi extérieur pour le Canada et les autres pays est de faire en sorte que les États-Unis demeurent engagés sur la scène mondiale alors que les attentats ont amené les Américains à adopter une stratégie de « défense du territoire ». Sur la scène internationale, cette tendance pourrait avoir un impact sur leur volonté de se doter dun bouclier antimissile, encore que des impératifs moins pointus sur le plan technologique grugent déjà les ressources disponibles. Il reste à voir quelles seront toutes les répercussions de cette stratégie américaine de « défense du territoire » pour la défense commune du continent. En plus des appels lancés au Canada pour quil augmente la somme consacrée à la défense, les deux pays ont déjà commencé à revoir les structures et arrangements militaires bilatéraux.
Le renseignement est le fondement de la sécurité, et les attentats du 11 septembre ont été largement perçus comme un échec des services de renseignement américains et même alliés. Le professeur Wark a dit au Comité que quelle que soit la nature de léchec des services de renseignement à légard du 11 septembre, il contenait de la « dynamite politique ». Des études approfondies suivront certainement mais leffet immédiat a été daugmenter les ressources consacrées à ces organismes, daccroître leur efficacité et dassurer une plus grande coopération entre eux. Comme les auteurs dun rapport important du Center for Strategic and International Studies à Washington lont fait remarquer en novembre 2001 : « Avec un bon service de renseignement, tout est possible; en son absence, rien nest possible »14[Traduction]. À cet égard, un certain nombre de questions réclamant une plus grande attention politique ont été cernées par les autres témoins siégeant au panel du Comité du 29 novembre sur la coopération Canada-États-Unis en matière de renseignement de sécurité, le professeur Martin Rudner, directeur de lAssociation canadienne pour létude de la sécurité et du renseignement, et M. David Rudd, directeur de lInstitut canadien des études stratégiques. M. Rudner a fait valoir un argument solide, auquel le Comité souscrit entièrement, au sujet de la nécessité absolue davoir lappui éclairé du public, et un droit de regard parlementaire adéquat en ce qui a trait aux opérations de collecte et de partage du renseignement qui sont mises sur pied dans la foulée du 11 septembre.
La principale contribution de politique étrangère du Canada à la campagne internationale contre le terrorisme avant le 11 septembre consistait à rallier un vaste consensus dans les instances internationales et régionales comme lONU, le G-8 et lOrganisation des États américains (OEA). La tenue du prochain sommet du G-8 au Canada sera bien sûr loccasion de continuer de le faire sur cette tribune. Pour ce qui est du renseignement, les organismes canadiens comme le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) nont jamais eu la taille de leur pendant américain (ou britannique), mais ils ont collaboré étroitement avec eux et joué un rôle dans la coopération alliée du renseignement et du contre-terrorisme avant les attentats. Le gouvernement a décidé daugmenter leurs budgets quelque peu dans les semaines qui suivirent mais les ressources ne constituent pas lunique solution. Comme la fait remarquer le professeur Charles Doran, de lUniversité Johns Hopkins, « une bonne partie du problème déchange dinformation se situe à lintérieur de chaque pays Sachant cela, chaque gouvernement doit faire de lordre chez lui faute de quoi les conséquences ne sont pas seulement nationales mais internationales ».15
Certains témoins, dont le professeur Wesley Wark et le professeur Andrew Cohen, ont fait valoir avec force quil faut faire davantage dans le domaine du renseignement de sécurité canadien, notamment investir dautres ressources, faire des examens internes et externes, et même envisager de développer de nouvelles capacités comme créer un service secret étranger. Expliquant que la valeur dallié du Canada dans ce domaine était compromise, le professeur Wark a recommandé dexaminer en premier lieu nos capacités de renseignement et daméliorer notre système de liaison avec les alliés.
Le Comité est daccord avec la recommandation du professeur Wark selon laquelle le gouvernement du Canada devait dabord faire un examen urgent de ses capacités de renseignement et de ses systèmes de liaison pour relever le défi posé par les nouvelles menaces à la sécurité en Amérique du Nord si lon veut asseoir solidement toute coopération alliée. Le gouvernement devrait également montrer une volonté de dégager les ressources nécessaires à cette fin et de très bien informer les Canadiens des mesures prises pour améliorer la sécurité commune.
Le Canada et les États-Unis coopèrent depuis longtemps pour échanger des renseignements et lutter contre le terrorisme. Lambassadeur Paul Cellucci a fait remarquer récemment en entrevue que la collaboration des services de police et de renseignement, déjà très bonne avant le 11 septembre, peut être qualifiée dextraordinaire en ce moment.16 Paul Kennedy, du ministère du Solliciteur général, a exposé au Comité les principaux mécanismes consultatifs bilatéraux de collaboration antiterroriste entre le Canada et les États-Unis particulièrement le « Cross-Border Crime Forum » et le « Bilateral Consultative Group on Counter-Terrorism ». Si utiles quils soient, les nouveaux mécanismes créés pour centrer lattention dans ces domaines et mettre en relief leur caractère urgent pourrait aussi compléter le travail des organismes existants.
Une autre idée intéressante a été avancée par le professeur Doran, qui a suggéré de « mettre sur pied dici deux ans une commission canado-américaine formée de membres indépendants qui seraient chargés dexaminer les mesures de lutte contre le terrorisme prises par chaque gouvernement afin de déterminer les problèmes et les domaines qui exigent une attention supplémentaire ou une réforme ».17 Il est possible et essentiel de faire davantage pour améliorer cette collaboration même si lessentiel, toujours selon le professeur Doran, est que « lharmonisation des règles et des procédures à appliquer face au terrorisme des deux côtés de la frontière ne signifie pas que ces règles et procédures doivent reposer sur des techniques ou des approches identiques. Mais leur efficacité doit être identique ».18
IV. AUTRES CONSIDÉRATIONS SUR LOUVERTURE DE LA FRONTIÈRE ENTRE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS
La frontière nest plus une
simple ligne le fut-elle déjà? Mais, quelle que soit la forme quelle prend,
la frontière existe pour nous protéger et non pas pour nous empêcher de réaliser ce
que nous voulons, en tant que pays ou que peuple. [
]En travaillant de concert,
pouvons-nous éloigner la frontière dun endroit où un terrorisme ou une autre
menace à la sécurité pourrait se présenter, en repérant les terroristes avant
quils ne montent à bord dun avion et viennent sur ce continent? Cela signifierait de semployer à assurer une plus grande
convergence des politiques et des procédures. Pourrions-nous créer de nouvelles
efficiences et réduire les doubles emplois en disposant de zones internationales? Et, de la même façon
que nous prédédouanons les passagers à destination des États-Unis dans les aéroports
canadiens, ne pouvons-nous pas prédédouaner les marchandises dans la salle
dexpédition de lusine? Au moyen de la
technologie et de meilleures infrastructures, pourrions-nous aussi créer des couloirs de
commerce nord-américains? Ces approches ne limiteraient pas notre souveraineté;
elles constituent lexercice éclairé de notre souveraineté dans notre propre
intérêt. Nous avons les instruments, nous avons la volonté. Nos limites sont celles de
notre créativité. La communauté internationale na aucun
moyen crédible de détecter et dintercepter en permanence les personnes et les
marchandises illicites ou dangereuses lorsque ces personnes ou les porteurs de ces
marchandises sont résolus à traverser les frontières. Ils déjouent nos systèmes de
gestion des frontières. Il ne fait aucun doute quil faut envisager un périmètre
nord-américain plus vaste et non un qui soit exclusivement canadien. Il nexiste pas
dempêchement logique à une collaboration totale entre le Canada et les États-Unis
au sujet de la frontière, mais il sera difficile, en cours de route, de protéger
lautonomie des politiques canadiennes de limmigration et des droits de la
personne. Sans mettre en danger leurs droits et libertés et sans entraver
la libre circulation des biens et des personnes à la frontière canado-américaine, le
Canada et les États-Unis doivent renforcer leurs propres règles, procédures et
institutions de façon à ce que les terroristes et les criminels ne puissent pas menacer
la sécurité des citoyens. Les modalités actuelles à la frontière touchant la gestion
des questions communes de commerce, de sécurité et dimmigration ne suffisent pas
compte tenu des impératifs. Le Canada et les États-Unis doivent désormais
sadapter aux circonstances nouvelles.[...] Toute initiative portant sur la
frontière et les questions connexes en matière de commerce, dinvestissement,
dimmigration et de sécurité doivent venir du Canada [... et] être de portée
vaste et ses résultats doivent être intégrés à un accord formel. |
Comme nous lavons déjà dit, notre Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux vient de déposer à la Chambre un rapport dans lequel il formule neuf recommandations portant en particulier sur les préoccupations économiques quont grandement aggravées les retards à la frontière entre le Canada et les États-Unis après le 11 septembre. Les rapports déposés récemment par les comités des finances et de lindustrie de la Chambre contiennent également des analyses de la situation et recommandent diverses solutions opportunes. De toute évidence, tous sentendent pour dire, notamment les gens daffaires et divers groups professionnels, que la situation avant les événements nétait pas satisfaisante et que les circonstances extraordinaires daujourdhui devraient créer la volonté politique nécessaire pour adopter des solutions de vaste portée aux problèmes tant anciens que nouveaux, solutions qui devraient aider le Canada, répondre aux attentes des Américains et assurer une étroite coordination entre les deux pays. Certains analystes canadiens, comme MM. Hart et Dymond, auteurs de la nouvelle étude citée ci-dessus, estiment que les six prochains mois constitueront une période très propice à la conclusion dune telle entente bilatérale.
Le Comité sait que le gouvernement du Canada mène des pourparlers à propos des questions frontalières avec ses homologues fédéraux de Washington, ministres et hauts fonctionnaires. Il souligne également lannonce récente selon laquelle chaque pays nommerait des coordonnateurs des frontières pour faciliter cette collaboration. Comme M. Jon Allen nous la dit le 20 novembre, le Canada a nommé M. Robert Fonberg, membre du Conseil privé, sous-secrétaire du Cabinet (Planification et consultation), au poste de responsable canadien des questions de gestion de la frontière. Son homologue américain devrait relever du gouverneur Tom Ridge, directeur du nouveau Bureau de sécurité nationale (Homeland Security).19 Qui plus est, le ministre Manley a fait savoir quun comité ad hoc du Cabinet sur la lutte contre le terrorisme, quil préside, continuera son travail lan prochain et sattachera tout particulièrement aux questions liées à la frontière.
Les choses bougent et des pressions sexercent des deux côtés de la frontière. Le 3 décembre, la Coalition pour une frontière sécuritaire et efficace sur le plan commercial, qui représente plus de 45 entreprises et associations de gens daffaires, a publié un deuxième document de travail, Rethinking Our Borders : A Plan for Action, qui propose 77 recommandations pour améliorer tous les aspects de la gestion et la sécurité de la frontière canado-américaine. Le même jour, le procureur général des États-Unis, M. John Ashcroft, était à Ottawa pour signer une déclaration conjointe de coopération sur la sécurité de la frontière et les migrations régionales, avec le solliciteur général du Canada, M. Lawrence MacAulay, et la ministre de la Citoyenneté et de lImmigration, Mme Elinor Caplan. Dautres ententes ont été signées sur léchange dempreintes digitales et sur lélargissement du programme de lÉquipe intégrée des mesures dexécution à la frontière (EIMEF). Chacun des deux pays a réaffirmé son respect pour la souveraineté de lautre et sest engagé à faire de la frontière canado-américaine « un modèle de coopération ». Dans le même temps, certains craignent que les politiques canadiennes ne suivent de trop près celles des États-Unis, tandis que dautres sinterrogent devant la décision des États-Unis dinstaller quelques effectifs de sa garde nationale et des hélicoptères militaires à sa frontière avec le Canada.
Parallèlement, lincertitude et le malaise touchant lavenir des relations transfrontalières sétendent à certains concepts comme le périmètre de sécurité commun. Le Professeur Andrew Cooper20 craint que cela ne renforce les tendances à la « forteresse » nord-américaine, laquelle limiterait la créativité dune politique étrangère multilatérale canadienne. Donc, si lon veut remanier les relations bilatérales, il faudrait mieux, selon lui, « aller au-delà des notions de périmètre et se concentrer plutôt sur des frontières intelligentes, car cela permettrait dassurer la sécurité et les échanges, mais se fonderait aussi sur des questions techniques, pour lesquelles le Canada est parfois en avance sur les Etats-Unis ».21
Au vu des témoignages dont nous citons quelques extraits au début de la présente section, le Comité a conclu quil fallait analyser plus avant certaines questions délicates qui pourraient avoir des répercussions importantes à plus long terme pour les politiques publiques nationales, autant que pour la politique étrangère. Nous avons fait allusion au risque quun alignement plus étroit entre le Canada et les États-Unis diminue le rôle traditionnel du Canada hors de lAmérique du Nord. À léchelle nationale, outre les réserves relatives à la souveraineté (qui pourraient tout aussi bien être soulevées au Congrès américain que du côté canadien), il est possible que les pressions en vue dun meilleur partage des renseignements de nature délicate soulèvent de sérieuses questions sur la surveillance de lusage qui est fait de ces renseignements, la protection de la vie privée, les libertés des citoyens, etc. Laboutissement de ces pressions prêtait déjà à controverse avant les attaques de septembre.22 Il est donc important de faire montre de prudence pour ce qui est des politiques et de tenir les Canadiens parfaitement informés.
De façon plus générale, si M. Stephen Flynn a raison à propos de la
« mondialisation » des problèmes frontaliers opinion
fermement soutenue par M. Thomas DAquino du Conseil canadien des chefs
dentreprises et appuyée par les recherches présentées par le Conference Board
nous ne devrions pas nous attendre à ce que quelques remèdes miracles utilisés le long
du 49e parallèle résoudent la situation. On peut de toute évidence
prendre certaines mesures dans limmédiat pour atténuer les
blocages critiques à la frontière. Mais le Canada doit également élaborer une
stratégie à moyen et à long terme pour la gestion de sa frontière, ce qui comporte des
démarches directes et concertées à un niveau élevé auprès des États-Unis.
Cette collaboration pourrait également finir par inclure notre autre partenaire de lALENA, le Mexique. Le Comité entend examiner cette possibilité lorsquil rencontrera des représentants mexicains, au cours de la prochaine étape de son étude. Pour linstant, nous notons que la plupart des porte-parole du secteur de lindustrie et des spécialistes que le Comité a entendus semblent partager la préférence exprimée clairement devant le Comité par le ministre Manley et les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, à savoir ladoption comme priorité absolue dune approche accélérée et concentrée entre le Canada et les États-Unis pour remédier aux problèmes de la frontière septentrionale. M. Flynn a fait observer quaprès les événements du 11 septembre, les relations entre le Canada et les États-Unis sétaient révélées « robustes » comparativement à celles quentretiennent le Mexique et les États-Unis qui demeurent en chantier. Il a aussi souligné que le resserrement des mesures à la frontière entre le Mexique et les États-Unis avait en fait rendu cette dernière moins sûre, plus chaotique et plus difficile à surveiller, ce qui en fait un piètre modèle.23 M. Randall a présenté des arguments similaires en émettant la mise en garde suivante : « Notre commerce bilatéral ne peut tout simplement pas se permettre les embouteillages et les conflits qui ont caractérisé pendant longtemps la frontière entre le Mexique et les États-Unis ».24 Cela dit, nous espérons que le Mexique pourra être invité à se joindre à une entente nord-américaine élargie lorsque le moment opportun sera venu.
Conscient de la nécessité de régler sans plus tarder les retards critiques à la frontière entre le Canada et les États-Unis, le Comité accepte largument présenté par M. Stephen Flynn selon lequel la vulnérabilité de nombreux systèmes internationaux face au terrorisme ne peut être atténuée en sattachant exclusivement au contrôle le long des frontières nationales. Nous convenons que les efforts visant à créer un modèle de gestion réussie de la frontière canado-américaine devront être suivis par dautres pays pour porter fruit. Un des moyens dy parvenir que lon a suggéré au Comité serait de faire appel au G8, au sein duquel le Canada pourrait faire preuve de leadership puisquil en sera le président et lhôte du sommet en 2002. 25
V. Les futures relations nord-américaines dans le nouveau contexte en matière de sécurité
Dernier point, mais non le moindre, quelles seront les retombées des événements
tragiques du 11 septembre pour ce qui est de lintégration amorcée de
lAmérique du
Nord ou des chances de coopération multidimensionnelle dans une communauté
nord-américaine, comme celle proposée par lancien ministre des Affaires
étrangères, M. Lloyd Axworthy, il y a plusieurs années de cela.26 Les défendeurs dune intégration accrue, dont font partie un grand
nombre de professeurs déconomie et de gens daffaires éminents, débattent
des mérites de la recherche constante dune économie nord-américaine plus
efficiente et plus interreliée. Ils estiment désormais que la réussite de la
coopération en matière de sécurité nord-américaine est liée à la vigueur et à la
santé dune économie nord-américaine intégrée. Les champions dune approche
trilatérale en matière de collaboration régionale nord-américaine sont également dans
lexpectative. Par exemple, M. Robert Pastor a déclaré que :
« Les événements du 11 septembre ont certes été une tragédie, mais ils ont
été aussi loccasion de repenser les relations entre les trois pays
dAmérique du Nord et daccélérer le processus dintégration »27.
Les premiers témoignages qua entendus le Comité soulèvent quelques réserves importantes et ouvrent en même temps pour le Canada plusieurs possibilités dexercer une certaine influence. Le professeur Clarkson a souligné dans son mémoire que la prépondérance économique des États-Unis rend lintégration nord-américaine plus problématique sil ny a pas de mécanisme compensatoire. Selon lui, « une économie fondée sur le principe de lintégration économique continentale sans institutions politiques continentales équivalentes est très risquée 28». Par ailleurs, M. DAquino a reconnu quimposer de grands desseins pourrait déclencher des débats interminables, quoique profitables, et quil serait peut-être plus avantageux pour le Canada davancer à petits pas.
Plusieurs témoins ont commenté cette absence relative dinstitutions ou de structures (de nature supranationale comme dans lUnion européenne) dans le contexte trilatéral nord-américain. Lancienne secrétaire dÉtat aux Affaires extérieures, Mme Barbara MacDougall a décrit un ensemble de trois relations bilatérales à des degrés divers dintégration, très limitée dans le cas du Canada et du Mexique. M. Christopher Sands a décrit les différences entre les divers partenaires de lALENA comme suit : « Ce qui peut se faire de concert avec le Canada ne peut même pas être imaginé dans les relations des États-Unis avec le Mexique. [ ] Nous aurons maintenant une Amérique du Nord à deux vitesses : les pays développés (le mien et le vôtre) marquant la cadence, tandis que le pays en développement (le Mexique) participe en visant une éventuelle convergence dici une certaine date avec de nouvelles normes et de nouveaux protocoles ».29
Le professeur John Kirton, de lUniversité de Toronto a présenté un point de vue bien différent, puisquil estime que lune des priorités du Canada après les attentats du 11 septembre devrait être « de tirer parti des avantages de lintégration nord-américaine plutôt que de rejeter toutes les réalisations accomplies depuis dix ans et chercher à retourner à des relations exclusives entre le Canada et les États-Unis, qui nous amènent à faire front commun et à laisser les Mexicains de côté. Cest là une réelle tentation. Si je puis me permettre, ce serait une erreur, car il y aurait beaucoup à faire au sein des institutions de lALENA ». Il a pris pour exemple le groupe de travail du Sous-comité des transports de lALENA chargé détudier le transport des marchandises dangereuses. Il a souligné de plus, comme plusieurs autres témoins, la possibilité dopter pour des modalités de sécurité en matière dénergie pour tout le continent. 30
Pour ce qui est de savoir si lapproche trilatérale est pleinement fonctionnelle ou encore prématurée, la plupart des témoins ont estimé quelle constituait une occasion à ne pas manquer pour consolider le partenariat entre le Canada et les États-Unis, même si cela signifie que le Canada doit montrer la voie et en évaluer avec une vigilance encore plus grande les modalités sous langle de ses intérêts. Au sujet des contrôles à la frontière, par exemple, il nous faut établir comment mettre en uvre avec efficacité et efficience les meilleures pratiques, pour pouvoir faciliter et non entraver la circulation mutuellement bénéfique des personnes, dont dépendent de plus en plus nos économies et nos sociétés. Il nous faut chercher des solutions et non des boucs émissaires.
À propos du contexte actuel en matière de sécurité, le professeur Charles Doran a émis un point de vue naturellement américain, mais exceptionnellement éclairé sur la situation du Canada et a conclu par lappel suivant :
Le moment serait bien choisi pour montrer quouvrir la frontière à la libre circulation des professionnels, des travailleurs qualifiés, de ceux qui traversent la frontière pour la journée afin de faire des achats, et des employés au-delà de ce que prévoit lALENA est désirable et possible. Cette mesure pourrait constituer la première étape dun accord de libre-échange élargi qui tirerait parti de lharmonie naturelle des intérêts sur ces questions entre le Canada et les États-Unis. Mais, pour diverses raisons politiques, il faut sentir que linitiative vient du Canada.31
Il semblerait donc que la balle se trouve dans le camp du Canada, du moins pour un moment. Mais, pour rappeler les propos empreints de prudence du professeur Stairs au Comité, cités ci-dessus il faut dabord savoir ce que lon désire. Ce qui signifie quil faut demander à la population canadienne ce quelle désire. Et ce nest jamais une question simple.
Les intérêts nationaux du Canada dans le projet dintégration nord-américain, quoi quil devienne, restent à définir. Il ne faut pas le tenir pour acquis ni savancer dans une direction de façon impulsive. Le Comité apprécie les sages conseils que lui a donnés le professeur Stairs à cet égard.
Le Comité saisit loccasion dannoncer quau cours des phases ultérieures de son étude il compte être attentif aux idées que les citoyens de toutes les régions du pays lui donneront sur les grandes options stratégiques qui concernent nos plus importantes relations avec les États-Unis et au sein de lAmérique du Nord, région en rapide mutation. Nous reconnaissons le défi nord-américain sans cesse croissant que nous devons relever. Nous aimerions ajouter quil ne faut pas que la démarche du Canada soit établie de façon restrictive, à la hâte et par une poignée de gens. Lavenir du Canada au sein dune Amérique du Nord plus sûre et tournée vers lavenir doit être une entreprise commune à laquelle participent ensemble les Canadiens.