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INDU Rapport du Comité

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CHAPITRE 7 :

POUVOIR D'INTERDICTION

Je pense que le commissaire doit convaincre une instance autre que lui-même que l’on va commettre un tort irréparable. [Donald McFetridge, 46:9:50]

[S]ur la question des ordonnances provisoires, j’ai bien peur qu’il s’agisse là d’une modification majeure de l’institution qui confère au commissaire des pouvoirs de décision indépendants qui ont force de loi. Si vous décidez de le faire, prenez garde de ne pas oublier les protections accordées par la loi. [Lawson Hunter, 46:9:35]

[C]e pouvoir de faire cesser certaines activités [...] bouleverse totalement la politique de concurrence. Nous avons institué une procédure judiciaire depuis l’adoption de la Loi sur la concurrence, et tous les autres grands pays ont fait de même; je pense que cela a donné de bons résultats et que la population canadienne a été bien servie. [Roger Ware, 52:9:50]

Lors de ses témoignages récents devant des comités de la Chambre des communes, y compris le Comité de l’industrie, le commissaire à la concurrence a plaidé pour qu’on modifie la loi afin de lui accorder de nouveaux pouvoirs de délivrer des ordonnances d’interdiction sans donner à la partie visée le droit de se faire entendre avant que l’ordonnance soit rendue et sans aucune autorisation du Tribunal de la concurrence. Le commissaire croit que ces pouvoirs extraordinaires sont nécessaires parce que les procédures et/ou les recours dont dispose actuellement le Bureau contre la menace des prix d’éviction sont insuffisants.

[N]ous avons réclamé [le pouvoir de rendre des ordonnances d’interdiction] dans le [cas des] compagnies aériennes. Cette proposition figure dans le projet de loi [C-472]. C’est une piste qu’il faudrait explorer. Le problème avec les cas d’abus de position dominante, c’est que le processus est très long. Très souvent, avant que le Bureau ne termine son enquête et que des poursuites ne soient engagées, le plaignant a quitté le marché ou, encore, décidé qu’il a été suffisamment pénalisé et qu’il est inutile d’aller de l’avant avec la poursuite. Il ne veut pas une poursuite qui va s’étendre sur deux ans. Il se conforme donc aux règles que le joueur en position dominante essaie d’imposer. [Konrad von Finckenstein, 43:9:25]

Rôle du Tribunal

Le Tribunal de la concurrence a été créé en 1986, lorsque le Parlement a effectué des réformes majeures de la législation sur la concurrence au Canada et remplacé la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions par la Loi sur la concurrence. Il s’agit d’un tribunal spécialisé dont les membres connaissent bien l’économie, les affaires et le droit, et qui instruit toutes les demandes soumises aux termes des parties VII.1 et VIII de la Loi sur la concurrence et rend des décisions à leur sujet aussi informellement et rapidement que les circonstances et l’équité lui permettent. Le Tribunal a un pouvoir strictement décisionnel et ses activités sont indépendantes de tout ministère. Il ne possède pas de pouvoirs d’enquête et ne donne pas de conseils au gouvernement. Sa fonction se limite à instruire les demandes et à rendre des ordonnances.

Le Tribunal ne comprend pas plus de quatre membres judiciaires, nommés parmi les juges de la section de première instance de la Cour fédérale, et pas plus de huit autres membres. Ceux-ci sont nommés par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre de l’Industrie.

Dans le domaine de la concurrence et plus particulièrement dans le cas des affaires susceptibles d’examen au civil aux termes de la partie VIII, le commissaire exerce son pouvoir de direction en tant qu’enquêteur et poursuivant. Par l’exercice de son pouvoir judiciaire, le Tribunal contrôle ce pouvoir de direction pour empêcher qu’il ne soit mal utilisé, consciemment ou par inadvertance. Le commissaire peut donc être considéré comme l’enquêteur et le poursuivant, et le Tribunal comme le juge. Pour faire cesser certains agissements, le commissaire a recours au Tribunal, à qui il fait valoir, en s’appuyant sur la prépondérance des probabilités, que les circonstances justifient le recours demandé.

Parmi les nombreuses mesures de redressement possibles, on a régulièrement recours à une injonction permanente ou provisoire (« ordonnance d’interdiction » ou « ordonnance de cesser et de s’abstenir »). Les ordonnances provisoires sont rendues dans trois cas :

1. Conformément à l’article 33, le procureur général peut demander à un tribunal de rendre une ordonnance en attendant que les procédures prévues à la partie VI (Infractions relatives à la concurrence) ou relatives à la violation d’une ordonnance rendue conformément à la partie VII.1 (Marketing trompeur) ou à la partie VIII (Affaires que le tribunal peut examiner) soient engagées ou achevées. Dans ce cas, le commissaire doit convaincre le Tribunal, d’après la prépondérance des probabilités, que si l’ordonnance n’est pas rendue, il en résultera, pour la concurrence, un préjudice auquel il ne peut être adéquatement remédié en vertu d’une autre disposition de la Loi et qu’une personne subira vraisemblablement des dommages dont elle ne pourra obtenir juste réparation et l’évaluation comparative des inconvénients favorise le demandeur.

2. Selon l’article 104, pour ce qui est des affaires visées à la partie VIII, lorsqu’une demande d’ordonnance lui a été faite, le Tribunal rend l’ordonnance qu’il considère justifiée conformément aux principes normalement pris en considération par les cours supérieures lorsqu’elles accordent un redressement. Pour rendre une ordonnance provisoire la cour doit premièrement conclure qu’un préjudice irréparable sera subi si l’injonction n’est pas prononcée. Au cours de cette première étape, il s’agit seulement de déterminer si le refus d’accorder un redressement fera subir un préjudice qui ne pourrait être réparé si la décision éventuelle sur le fond ne s’accorde pas avec le résultat de la demande. Un préjudice est irréparable lorsqu’il ne peut être évalué sur le plan monétaire ou qu’il ne peut être réparé, habituellement parce qu’une des parties ne peut réclamer le versement de dommages de l’autre. Si ce premier critère est respecté, il faut deuxièmement déterminer laquelle des parties subira le préjudice le plus grave par suite de l’injonction ou du refus de celle-ci, en attendant de régler le différend par une décision sur le fond.

3. En vertu de l’article 100 — dans le cas de fusions seulement — quand le commissaire n’a pas soumis la fusion au Tribunal mais qu’une ordonnance provisoire peut être rendue en vertu de l’alinéa 10(1)b) relativement à une infraction possible visée aux parties VI ou VII et qu’il faut plus de temps pour l’achever. Dans ce cas, il faudrait que l’absence d’une ordonnance provisoire réduise sensiblement l’aptitude du Tribunal à remédier à l’influence de la fusion proposée sur la concurrence. L’ordonnance provisoire prévoit ce qui, de l’avis du Tribunal, est nécessaire et suffisant pour parer aux circonstances de l’affaire, et sa durée ne peut dépasser 30 jours.

On a souvent soulevé la question importante du temps qu’il faut pour obtenir une ordonnance provisoire d’interdiction du Tribunal. Si on convenait généralement qu’il faut attendre longtemps un jugement définitif, on ne s’entendait pas entièrement sur la rapidité avec laquelle le Tribunal rend une ordonnance provisoire. Selon les estimations d’un avocat ayant une vaste expérience du droit de la concurrence, il faut entre une heure et deux semaines.

On se présente devant le Tribunal et on l’obtient dans l’heure. Il ne faut pas deux ans. [...] Il faut qu’il dispose d’un pouvoir, mais je pense qu’on peut le faire par ce moyen. [Warren Grover, 46:11:20]

Ainsi que son nom le laisse entendre, cette ordonnance interdit à la personne visée un comportement donné. Elle peut être rendue en se basant sur les principes normalement pris en considération par les cours supérieures lorsqu’elles accordent un redressement interlocutoire. Dans le cas de prix d’éviction, il y a préjudice irréparable si leur but est de vendre des produits moins chers qu’un concurrent de façon à forcer ce dernier à mettre un terme à ses activités dans son industrie.

Sous réserve des dispositions de la Loi qui limitent expressément la durée de l’ordonnance, les effets et la durée de l’application de l’ordonnance provisoire dépendent de ce que le Tribunal estime nécessaire dans les circonstances. Après que l’ordonnance provisoire est rendue, le commissaire est tenu de compléter les procédures aussi rapidement que possible.

Propositions d’accorder de nouveaux pouvoirs d’interdiction

Il est proposé dans le projet de loi C-472 des modifications à la Loi sur la concurrence qui accorderaient au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances provisoires d’interdiction (qui demeureraient en vigueur pour une période ne dépassant pas 80 jours), sans solliciter au préalable l’autorisation du Tribunal si le commissaire estime que les mesures ordonnées sont nécessaires pour ne pas nuire à la concurrence ou pour éviter de causer des dommages à une autre personne ». Il faudrait aussi que les conditions suivantes soient remplies : 1) le commissaire a commencé une enquête en vue de déterminer si les agissements de la personne ont donné lieu à une situation visée à l’article 79; 2) le commissaire estime qu’en cas de non-prononcé de l’ordonnance, la concurrence subira vraisemblablement un préjudice auquel le Tribunal ne pourra adéquatement remédier ou un concurrent sera vraisemblablement éliminé ou une personne subira vraisemblablement une réduction importante de sa part de marché, une perte importante de revenus ou des dommages auxquels le Tribunal ne pourra adéquatement remédier; 3) le commissaire peut rendre l’ordonnance sans préavis et sans donner au préalable à qui que ce soit la possibilité de présenter des observations. Une personne visée dans une ordonnance provisoire du commissaire peut s’adresser au Tribunal pour la faire annuler ou modifier.

Les témoins se sont montrés largement en faveur du principe d’accorder rapidement le redressement relatif à des prix d’éviction; toutefois, l’idée d’accorder au commissaire de nouveaux pouvoirs d’interdiction s’est heurtée à une grande opposition. Les arguments contre sont résumés dans les paragraphes suivants.

La partie contre qui est dirigée une demande d’ordonnance n’aurait pas le droit d’être avisée de la demande. Celle-ci serait entendue sans qu’elle ait l’occasion d’exposer des arguments ou de présenter une preuve. Cette façon de faire créerait vraisemblablement des difficultés pour les tribunaux canadiens :

S’il n’y a pas d’avis, c’est parce que le commissaire émet lui-même une ordonnance. Les tribunaux détestent cela et, dans notre tradition judiciaire, les demandes d’ordonnance ex parte sont très rares. [Stanley Wong, 48:11:25]

Sans avis, la partie visée serait mise devant le fait accompli, obligée de se conformer à une ordonnance qui aurait la même force qu’une ordonnance judiciaire, sous peine d’une amende ou de l’emprisonnement. Une fois l’ordonnance prononcée, cette partie pourrait présenter une demande en vue de la faire annuler.

Le fardeau de la preuve serait renversé; autrement dit, plutôt que le commissaire ait à prouver que l’ordonnance doit être rendue, ce serait la personne visée par cette ordonnance qui devrait prouver que l’ordonnance doit être annulée. Cela serait sans doute contraire aux principes d’une procédure équitable, et exposerait la Loi à une révision judiciaire aux termes de l’article 7 de la Charte des droits et libertés.

Il y aurait un autre risque de révision judiciaire, parce que le commissaire serait à la fois poursuivant et juge. Des principes similaires ont été mis en jeu dans l’affaire Hunter c. Southam, fondée sur la Charte.

Le problème de fond, c’est celui que le juge en chef Brian Dickson a indiqué dans l’affaire Hunter c. Southam, qui est devenu un arrêt clé de la Cour suprême du Canada : il ne convient pas qu’un agent de maintien de la loi ait la capacité juridique d’intervenir dans la même affaire. Autrement dit, on ne devrait pas autoriser qui que ce soit à rendre des ordonnances dans le cadre de ses propres enquêtes. [Tim Kennish, 44:9:20]

Dans cette affaire, le directeur des enquêtes et recherches (prédécesseur du commissaire) était habilité par la Loi à effectuer des fouilles et des perquisitions dans les lieux où un mandat l’y autorisait. Mais le mandat de perquisition n’avait pas été donné par un juge, sinon par la Commission sur les pratiques restrictives du commerce. Ainsi, une direction de la Commission avait mené l’enquête et une autre avait décerné le mandat. Au nom du banc unanime de la Cour suprême, le juge en chef Dickson a conclu que cela était contraire aux dispositions relatives aux « fouilles, perquisitions ou saisies abusives » de l’article 8 de la Charte. La Cour a conclu qu’une autorité judiciaire indépendante doit décerner le mandat (c.-à-d. un organisme qui ne participe pas à l’enquête) et qu’elle doit le faire en se basant sur une preuve soumise par le requérant. Le directeur, en tant qu’enquêteur et poursuivant, était tenu de prouver devant un organisme judiciaire indépendant qu’il était nécessaire de décerner le mandat de perquisition.

Un principe analogue s’appliquerait, semble-t-il, dans le cas du prononcé d’une ordonnance provisoire : le commissaire pourrait rendre une ordonnance si, d’après lui, le Tribunal ne fournit pas un redressement adéquat. Dans ce cas, le commissaire ferait non pas une, mais deux déterminations judiciaires : 1) le Tribunal ne fournit pas de recours adéquats; 2) la perpétration d’une infraction a été suffisamment prouvée pour qu’une injonction soit délivrée. Cela soulève certaines questions chez les témoins : sur quels critères le commissaire se fonde-t-il pour décider que le Tribunal a agi adéquatement? quel contrôle serait exercé pour prévenir l’exercice de ce pouvoir à mauvais escient? Seule la partie visée par l’ordonnance pourrait l’exercer; après que l’ordonnance a été rendue (fait accompli), cette partie pourrait présenter une demande au Tribunal et prouver qu’elle doit être annulée. Elle ne pourrait s’adresser qu’à ce tribunal et à aucun autre tribunal civil pour demander l’examen de l’utilisation du pouvoir d’interdiction par le commissaire. Si un délai s’écoulait avant que le Tribunal n’instruise la demande, le demandeur subirait donc un préjudice.

Un troisième argument contre a trait aux conséquences négatives possibles de l’exercice du pouvoir d’interdiction. Si une simple accusation d’avoir pratiqué des prix d’éviction suffisait à permettre au commissaire d’accorder une injonction provisoire, un intervenant de l’industrie pourrait engager le commissaire à rendre en toute bonne foi une ordonnance avec un effet doublement négatif : 1) maintenir des prix élevés pour les consommateurs et 2) protéger une entreprise non compétitive des effets d’une saine concurrence. Naturellement, le commissaire mènerait une enquête complète sur la question, s’il en avait le temps. Mais c’est précisément parce que le temps est un facteur essentiel et que celui dont il dispose ne lui permet pas de mener une enquête complète que le commissaire affirme qu’il a besoin de nouveaux pouvoirs. Si le commissaire avait le temps de mener une enquête complète, il soumettrait simplement les résultats de celle-ci au Tribunal, ainsi qu’il est actuellement tenu de le faire. Il serait donc possible que le commissaire, n’ayant pas eu le temps de compléter une enquête, rende une ordonnance en se basant sur une accusation de pratique de prix d’éviction dont le bien-fondé n’a pas été prouvé. Bien sûr, si des prix d’éviction ont effectivement été pratiqués dans une industrie, cette ordonnance aurait pour effet de remédier à un préjudice manifeste. Mais selon certains économistes, les données recueillies au Canada et aux États-Unis au sujet des facteurs économiques indiquent qu’on cherche rarement à pratiquer des prix d’éviction et qu’on réussit encore moins souvent à le faire. Si aucun prix d’éviction n’est pratiqué, l’effet de l’ordonnance serait de protéger une entreprise non compétitive et de maintenir des prix élevés pour les consommateurs, du moins à court terme.

La seule chose que je tiens à dire[,] c’est qu’il ne faut pas oublier le résultat[,] d’augmenter les prix et non pas de les abaisser. Nous allons demander aux consommateurs de payer [...] davantage pour protéger un concurrent parce que nous croyons qu’à long terme, cela entraînera une baisse des prix. C’est très bien si c’est effectivement ce qui se passe, mais si cela n’a d’autre effet que de protéger un concurrent, augmenter les prix pour le consommateur alors que nous n’avions pas nécessairement à le faire… [...] Je ne pense pas que les consommateurs doivent s’en trouver pénalisés. [Margaret Sanderson, 48:11:25]

Il faudrait donc se demander à quelle fréquence les prix d’éviction sont effectivement pratiqués, par opposition au nombre de fois où on a prétendu qu’ils l’étaient. Le Comité a entendu là-dessus le témoignage de plusieurs économistes. Ils ne s’entendaient pas parfaitement sur la fréquence de cette pratique prédatoire, mais étaient d’accord qu’elle est alléguée beaucoup plus souvent qu’elle n’est prouvée. C’est-à-dire que la pratique existe, mais que la difficulté de s’acquitter du fardeau de la preuve en matière pénale (« hors de tout doute raisonnable ») peut empêcher le commissaire de soumettre un dossier au Tribunal. De plus, comme les budgets réservés à l’application de la Loi sont grevés, le commissaire doit choisir les affaires où il a le plus de chances d’avoir gain de cause. Ainsi, il se peut bien que plusieurs cas de prix d’éviction ne fassent pas l’objet de poursuites (la dynamique des prix d’éviction est étudiée plus en détail au chapitre 3).

Plusieurs membres du Comité ont mis en relief des cas de pratiques prédatoires possibles et souligné leur effet dévastateur sur les petites et moyennes entreprises (PME). Des économistes ont fait ressortir au Comité que la perte d’un seul concurrent ne nuit pas nécessairement à la concurrence, mais qu’elle peut certainement avoir cet effet :

Toute plainte adressée au Bureau de la concurrence dans des cas de pratiques abusives émane d’un concurrent. C’est toujours une histoire terrible; quelqu’un qui est sur le point de faire faillite. [Q]uelqu’un est en train de se plaindre d’une faillite imminente. Cela ne causera pas nécessairement de tort aux consommateurs [...] [Margaret Sanderson, 48:11:15]

Évaluer la concurrence dans un marché donné ne consiste pas simplement à dénombrer les entreprises. En effet, l’exemple de Coke et de Pepsi illustre qu’il peut y avoir une vive concurrence même s’il n’y a que deux participants au marché. Le calcul de l’impact de la perte d’un concurrent demande une analyse détaillée de la situation particulière de l’industrie, notamment de l’emprise sur le marché, de l’existence et de la proximité de substituts, de l’élasticité de la demande par rapport aux prix et des obstacles à l’entrée. Les PME risquent davantage de se casser les reins dans un marché de plus en plus dominé par des grosses entreprises qui, réalisant de plus grandes économies, sont en mesure d’offrir aux consommateurs des prix qui sont hors de portée des PME. Il en résulte, du moins à court terme, une baisse des prix à la consommation. À long terme, toutefois, il y a un risque qu’une fois qu’elles auront évincé les petits concurrents, les grosses entreprises augmenteront les prix pour récupérer les pertes qu’elles ont encourues pour y parvenir. Si les obstacles à l’entrée sont petits, bien sûr, les prix en hausse attireront de nouveaux venus, et la concurrence les fera baisser à nouveau. Ainsi, si la perte d’un concurrent peut nuire à la concurrence, elle n’a pas nécessairement cet effet. Des témoins experts ont souligné que la Loi sur la concurrence protège la concurrence et non les concurrents. Ce qui ne veut pas dire que la Loi ne servira jamais à protéger un concurrent si sa faillite portait préjudice à la concurrence. En bout de ligne, cependant, le critère est l’impact de la faillite sur la concurrence et non sur l’entreprise.

L’argument le plus convaincant contre l’octroi de nouveaux pouvoirs au commissaire est peut-être que le même résultat — intervention rapide contre des prix d’éviction — pourrait être obtenu plus facilement par une modification relativement simple en deux étapes, qui protégerait le droit de toutes les parties. La première étape consisterait à accélérer le processus du Tribunal pour le prononcé d’ordonnances provisoires; la deuxième, à modifier l’article 100 de la Loi pour augmenter le nombre de circonstances où le commissaire peut demander une injonction provisoire.

[Selon] l’article 100, le commissaire certifie qu’il a entamé une enquête au terme de l’article 10, [...] qu’il a des raisons de croire qu’une ordonnance est justifiée, qu’il a besoin de plus de temps pour terminer son enquête [...] et que la concurrence va subir des torts auxquels le Tribunal ne pourra remédier. [S]i vous généralisez… Je suis étonné. Je l’ai dit directement au commissaire et je ne parle donc pas derrière son dos. Il faudrait s’orienter vers un pouvoir généralisé. Vous obtiendrez exactement ce que vous voulez et cela répondrait à toutes ces exigences. [Stanley Wong, 48:11:30]

Les plaideurs privés — si l’accès privé au Tribunal était accordé (voir le chapitre 6) — pourraient aussi profiter de la procédure simplifiée d’injonction. Les victimes de pratiques prédatoires ne dépendraient plus de la décision du Bureau pour instituer un recours en justice. Comme il en a été question au chapitre 6, la décision de soumettre une affaire au Tribunal n’est peut-être pas prise en fonction du bien-fondé de la plainte, mais plutôt de l’argent disponible pour l’application de la Loi. Le plaideur privé, qui connaît bien les circonstances de l’affaire, est plus à même de constituer un dossier convaincant en temps opportun. Ce droit d’accès donnerait à une entreprise les moyens de réagir rapidement pour se défendre contre le prédateur. Bien sûr, elle le ferait à ses propres frais et risques, mais ce facteur n’empêcherait pas la présentation des plaintes légitimes.

Solutions de rechange

Plusieurs témoins ont laissé entendre qu’en apportant quelques modifications à la Loi actuelle, on pourrait élargir les règles relatives aux ordonnances provisoires pour accélérer le processus du Tribunal dont la lenteur préoccupe le Comité.

En vertu de l’article 100, le commissaire peut demander une ordonnance provisoire à l’égard d’une fusion lorsqu’il : 1) a entrepris l’enquête prévue à l’article 10; 2) a besoin de plus de temps pour achever l’enquête; et 3) que le Tribunal constate qu’en l’absence d’ordonnance sa capacité de remédier aux conséquences de la fusion envisagée serait passablement réduite. Il a été suggéré qu’en « généralisant » cet article pour permettre au commissaire de présenter une demande pour toute affaire — non seulement une fusion —à l’égard de laquelle il a entrepris une enquête, on réaliserait le même objectif (c.-à-d. une action rapide contre ceux qui pratiquent des prix d’éviction), tout en garantissant une procédure régulière.

Le fardeau de la preuve dont doit s’acquitter le demandeur pour obtenir une ordonnance est une question dont il faudrait s’occuper. En accordant une injonction, le Tribunal présuppose qu’une infraction a été perpétrée et qu’elle continuerait de l’être sans l’injonction. Si l’instruction ultérieure révèle qu’il n’y a pas eu infraction, la partie contre qui est dirigée l’injonction aura été empêchée à tort de poursuivre une activité commerciale légitime et aura probablement subi des pertes importantes en conséquence. Pour cette raison, quand une action normale au civil donne un tel résultat, la partie demanderesse doit payer les dommages subis par la partie visée. Pour la même raison, le Tribunal devrait exiger que le demandeur établisse, à tout le moins, la présomption de l’infraction au moment de la demande. S’acquitter du fardeau de la preuve dans une affaire de prix d’éviction serait difficile : la pratique constitue actuellement une infraction d’ordre pénal qui doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Établir la présomption d’une infraction pénale exige beaucoup plus qu’établir la présomption d’une infraction susceptible d’examen au civil, où le fardeau de la preuve consiste à montrer la prépondérance des probabilités. Toutefois, en modifiant la Loi pour faire des pratiques prédatoires une infraction susceptible d’examen au civil (voir le chapitre 3), le critère moins exigeant du droit civil s’appliquerait.

Il importe aussi de noter que d’établir la présomption, ou cause probable d’action, est beaucoup moins exigeant que d’établir la preuve d’une infraction présumée selon la prépondérance des probabilités :

« Le seuil » n’est pas très élevé. Qu’est-ce qui constitue généralement une cause probable d’action? Il suffit d’avoir certaines preuves d’une influence sur le marché. Est-il nécessaire de se livrer à une évaluation approfondie? Non. Vous pensez que certaines personnes ont une part importante du marché et qu’il y a d’assez gros obstacles à surmonter pour entrer sur ce marché. C’est tout. [Margaret Sanderson, 48:11:30]

Ayant entendu les témoignages et étudié les mémoires de tous les témoins, le Comité estime qu’il y a lieu:

15. Que le gouvernement du Canada, en consultation avec les intervenants, étudie plus à fond la possibilité de modifier l’article 100 de la Loi sur la concurrence (et d’autres dispositions de la Loi en conséquence) afin qu’il s’applique aux affaires susceptibles d’examen au civil par le Tribunal et à l’égard desquelles soit une enquête a été amorcée aux termes du paragraphe 10(1) soit une demande a été déposée par une partie privée dans le sens de la constatation no 14.