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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 7 décembre 1999

• 0942

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Pouvons-nous ouvrir cette séance, mesdames et messieurs? Nous poursuivons nos travaux sur la situation en Colombie.

Nous recevons aujourd'hui des représentants du ministère des Affaires étrangères et de l'ACDI. Il est temps de nous mettre en train.

Je suis désolé de ce petit retard. Il est dû au fait que personne ne trouvait la salle. Et je l'ai choisie exprès, car tout le monde m'accuse d'arriver en retard, et au moins comme cela je ne suis pas le seul, c'est la faute de quelqu'un d'autre.

Ceci est la salle du conseil de guerre?

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Oui, la salle du conseil de guerre.

Le président: Donc, lorsque nous passons cette porte, nous pourrions déclarer la guerre à quelqu'un? Parfait, très bien. Ne déclarons pas la guerre à la Colombie. Ou bien, si nous déclarons la guerre, laissons l'amiral décider à qui—quelque part où la marine peut se rendre et combattre.

Monsieur Durand, vous êtes notre premier témoin. Merci beaucoup d'être venu, nous vous en sommes reconnaissants.

J'aimerais vous poser une question qui m'est venue en chemin. Vous savez que nous n'avons aucun témoin de la Colombie elle-même, indépendamment des ONG—je veux dire du gouvernement colombien—pour cette étude. Vous pourriez nous dire si cela pose un problème d'ordre diplomatique ou non, dans le courant de votre exposé, ou bien si nous devrions inviter un représentant de la Colombie.

En règle générale, notre comité n'invite pas les ambassadeurs étrangers à témoigner, même à titre de courtoisie, car nous ne jugeons pas approprié que des gouvernements étrangers interviennent à notre comité par le biais de leurs ambassadeurs. Mais étant donné que nous entendons des témoignages sur la situation dans un pays étranger, peut-être les membres pourraient-ils tirer profit de quelques observations de la part d'une source gouvernementale. Vous voudrez peut-être y réfléchir. Je ne vous demande pas de réponse immédiate, mais vous pourriez y songer, comme étant l'une des dimensions de ce que nous essayons de faire ce matin.

M. Paul Durand (directeur général, Bureau de l'Amérique latine et des Caraïbes, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Il serait certainement utile, monsieur le président, que vous invitiez à comparaître l'ambassadeur de Colombie, mais si ce n'est pas la tradition, ce pourrait être inopportun. Mais nous avons ce qui s'en rapproche le plus, avec la présence ici de Nick Coghlan, qui vient d'arriver hier soir de Bogotá, excepté qu'il est Canadien.

Le président: Oui. Je ne sais pas si cela satisfera les Colombiens.

Vous avez la parole.

M. Paul Durand: Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.

• 0945

Je pense qu'il est approprié que nous parlions de la Colombie dans la salle du conseil de guerre, car ce pays se trouve virtuellement plongé dans un état de guerre. Mes remarques liminaires seront brèves, car je veux laisser le maximum de temps à mes collègues Nick Coghlan, notre Premier secrétaire et chef de la Section politique de notre ambassade à Bogotá, et Joanne Goulet, qui est la Directrice des programmes de l'ACDI pour la région.

La Colombie est sans aucun doute le pays le plus mal en point de l'Amérique latine. C'est peut-être le seul pays du monde aux prises avec un mouvement de guérilla actif. Ses problèmes ne se limitent pas à la guérilla.

Les autres fléaux sont le trafic de drogue, un mouvement paramilitaire brutal, une corruption omniprésente, la violence sociale, le taux d'enlèvements le plus élevé du monde, un système judiciaire inopérant qui autorise une impunité presque totale, et la pire crise économique de son histoire. Et elle a un régime de gouvernement qui ne répond pas et n'a jamais répondu aux besoins du peuple colombien et n'a même jamais réellement fait sentir sa présence dans la plus grande partie du pays. Tous ces phénomènes sont évidemment liés entre eux.

S'il faut féliciter le gouvernement colombien de sa volonté de mettre en marche un processus de paix, il faut bien reconnaître que ce n'est là qu'une partie d'une problématique immense. Seule une solution globale, qui s'attaque à tous les maux que je viens de mentionner, pourra assurer une paix réelle en Colombie. Cela prendra du temps, beaucoup de temps, et de patience et de ressources.

[Français]

Cette situation existe malgré la présence de nombreuses personnes de bonne volonté au sein du gouvernement et de nombreux civils qui sont honnêtes, courageux et attachés à leur pays. Mais ces personnes sont tout simplement dépassées par l'accumulation d'erreurs et de manquements au cours de l'histoire colombienne.

Le président Pastrana s'est rendu au Canada en mai dernier et a impressionné fortement ses interlocuteurs par sa volonté inflexible de ramener la paix dans son pays. Malgré les problèmes, les relations entre le Canada et la Colombie sont positives et constructives. Nos relations diplomatiques datent de 1953.

Les volumes d'échanges sont importants. Le commerce bilatéral atteignait 800 millions de dollars l'an dernier, les investissements augmentent depuis quelques années et les entreprises canadiennes jouent un rôle majeur dans le secteur des télécommunications, des oléoducs et de la transformation des produits alimentaires, pour ne citer que ceux-là.

[Traduction]

Sur le plan des droits de la personne, notre ambassade ne cède le pas à personne, de par son activisme et son militantisme. Ses interventions auprès du gouvernement, son soutien aux organisations de défense des droits de la personne, sa connaissance de première main de ce qui se passe réellement sur le terrain dans les régions les plus éloignées et les plus terrifiantes—tout cela est dû en grande partie aux efforts et au dévouement de Nicholas Coghlan, que nous avons la chance d'avoir parmi nous aujourd'hui.

Je sais que vous souhaitez entendre quelques récits de première main de M. Coghlan, et je vais donc lui céder la parole. Il revient juste, en fait, d'un éprouvant voyage dans la région de Darien. Il accompagnait un groupe de réfugiés qui rentraient chez eux, pour voir s'ils pouvaient se réinstaller dans de bonnes conditions de sécurité. La conclusion a été que tel n'était pas le cas, et ils ont donc dû repartir.

Là-dessus, monsieur le président, je m'efface devant M. Coghlan. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Durand.

Monsieur Coghlan, s'il vous plaît.

[Français]

M. Nicholas Coghlan (premier secrétaire, Ambassade du Canada à Bogotá): Merci beaucoup. Je me nomme Nick Coghlan et je suis premier secrétaire à l'ambassade du Canada à Bogotá; je suis là depuis le mois de juillet 1997. Si vous me le permettez, avant de commencer ma présentation formelle, je voudrais faire quelques commentaires de nature plutôt personnelle sur la vie d'un diplomate en Colombie.

Le plus stressant, ce ne sont pas les bombes à Bogotá, le climat d'insécurité ou d'autres choses comme celles-là. Ce sont les incidents que m'ont relatés des gens que j'ai rencontrés un peu partout en Colombie durant les deux ans et demi que j'y ai passés. Ces incidents me touchent encore. Je vais vous mentionner trois ou quatre petits incidents, puis je vais faire ma présentation formelle.

[Traduction]

Le premier incident que je mentionnerai est celui que j'ai vécu en octobre 1997, lorsque je suis descendu dans une petite ville du Llanos orientales, la plaine orientale de la Colombie, une ville du nom de Villavicencio. C'est une ville qui dessert de gros ranchs d'élevage bovin et abritait à cette époque, en quelque sorte, un grand nombre de réfugiés ayant fui un massacre particulièrement horrible commis dans un lieu du nom de Mapirepàn en mai 1997.

• 0950

C'était là le premier de toute une série de massacres commis par les paramilitaires. J'ai passé la plus grande partie de la soirée à parler aux survivants, aux membres des familles. Un millier de personnes avaient été déplacées suite à cette épisode. Pendant toute la soirée, nous étions assis sur la place et la conversation a connu une pause.

L'une des mères qui était là a poussé sa fille au premier plan, et cette dernière avait manifestement préparé ce qu'elle voulait dire. Elle a raconté ce qui s'est passé ce soir-là à Mapirépan. La famille s'était mise au lit vers 8 h ou 9 h du soir. Il n'y a pas d'électricité dans la bourgade, et ils se couchent donc tôt. À environ 10 h 30, ils ont entendu des coups de feu, des gens frappaient aux portes, criaient des noms, et leur propre porte a soudainement été enfoncée. Des paramilitaires en tenue de combat, lourdement armés, ont fait irruption et ont demandé si c'était la maison de Senor...le nom de la famille. Ils sont allés dans la chambre du fond, ont tiré le père de famille du lit et, devant sa femme et la fille de 14 ans, l'ont décapité sur place. C'est la fille de 14 ans qui a dû tirer un drap sur la cadavre de son père.

Le lendemain, ils ont retrouvé la tête sur le terrain de football, où les paramilitaires l'avaient abandonnée.

La fillette—elle n'avait que 13 ou 14 ans—nous a raconté tout cela d'une voix complètement inexpressive, monotone. Pas de larmes, rien. Après un tel récit, on ne sait plus quoi dire.

Un autre incident quelques mois plus tard—je me trouvais à Putumayo, qui est la province du sud de la Colombie, frontalière de l'Équateur. Elle est largement dominée par le mouvement rebelle FARC. Nous avions là un petit projet de l'ACDI en train, consistant à installer avec le prêtre local un émetteur radio, pour mettre sur pied une petite station de radio communautaire pour discuter de problèmes de santé, etc.

Nous avons donc passé presque toute la journée à parler du projet, à rencontrer les campesinos du coin, à conférer avec le maire et ainsi de suite. Nous avons déjeuné avec lui et avons noué connaissance avec presque toute la population locale.

Environ huit mois plus tard, j'ai entendu un jour à la radio que, pendant qu'il disait la messe un dimanche soir, devant une quarantaine ou une cinquantaine de ses paroissiens, deux jeunes sont arrivés en moto, casqués. L'un est resté près de la moto, l'autre est entré dans l'église et l'a abattu de 17 balles, le tuant évidemment sur le coup. Son péché apparent—et je souligne «apparent» car on ne sait jamais réellement ce qui se passe en Colombie—était d'avoir fait un sermon demandant à tous les acteurs armés, c'est-à-dire les guérilleros et les paramilitaires, de ne pas mêler la population civile au conflit. Dans ce cas particulier, il semble qu'il ait été exécuté par le FARC. Le FARC est le plus important de deux mouvements rebelles.

Le troisième incident en est un assez courant. Comme vous le savez, et comme vous le verrez plus loin dans la présentation, nous avons un programme d'asile politique assez important. J'ai reçu la visite d'un jeune fiscale. Un fiscale est un enquêteur d'État qui travaille pour le bureau du Procureur général. Il s'agissait d'une femme de 24 ou 25 ans. Elle est arrivée dans mon bureau avec son mari. Ils avaient laissé leur garde du corps à la porte de l'ambassade, parce que nous n'autorisons pas les armes à feu, et elle m'a raconté son histoire.

Elle avait été affectée à une affaire particulièrement délicate mettant en jeu un militaire de haut rang accusé de collusion avec un mouvement paramilitaire d'extrême-droite illégal. Une demi-heure après qu'on lui ait confié le dossier—et ces enquêteurs sont affectés à ces affaires de manière anonyme afin de les protéger—elle a reçu un appel sur son téléphone cellulaire de ce même officier, qui lui a dit très poliment: «Je suis ravie que vous ayez été saisie de mon dossier. Venez me voir quand vous voudrez. Je me ferais un plaisir de vous aider de mon mieux». Bien entendu, son identité était censée être entièrement secrète.

Lorsqu'elle est allée faire son enquête sur le terrain, elle est arrivée sans avoir été annoncée du tout. Or, ce militaire de très haut rang l'attendait avec un hélicoptère—«Montez donc. Allons déjeuner». À partir de là, elle a commencé à recevoir des appels téléphoniques chez elle, très courts. Le correspondant disait simplement: «Vous avez un bébé ravissant» ou «C'est une jolie petite Fiat rouge que vous avez là», et la communication était coupée. Cela la poussait évidemment au désespoir le plus complet, et elle est venue nous voir pour demander l'asile politique, qui lui a été accordé.

• 0955

Le quatrième incident—vous voyez sans doute que j'essaie de vous donner une idée de la complexité de la situation—est survenu il y a un an environ, lorsque j'accompagnais le responsable du secteur Colombie du ministère des Affaires étrangères, qui voulait voir un peu de la campagne colombienne. Nous sommes allés jusqu'à un camp de réfugiés à Urabà, dans le nord-ouest de la Colombie, et nous y parlions à des personnes déplacées. Nous avions un hélicoptère à l'extérieur.

En ressortant, il n'y avait rien d'inhabituel, hormis ce bruit étrange, un bruit que je n'avais jamais entendu auparavant. Il s'agissait de rafales de mitrailleuse. On tirait dans la jungle à environ un kilomètre du camp de réfugiés. Plus tard, nous sommes allés parler au jeune lieutenant d'un petit détachement de 12 soldats qui se trouvait là.

Le lieutenant avait peut-être 21 ans. Il était très détendu. Ses hommes couraient en tout sens, déplaçant des munitions, chargeant des choses, et il leur lançait de temps en temps des ordres: «Vous, montez sur cette colline, vous, allez là-bas, creusez là». Mais il voulait surtout nous montrer les photos de sa petite amie, qu'il espérait voir dans une semaine. Et il nous posait des questions sur le Canada, s'il y faisait froid, et disait avoir entendu que nous avions une guerre chez nous. Je lui ai répondu: «Eh bien, pas tout à fait». Toute cette conversation était plutôt surréaliste.

Tandis que nous parlions, deux OV-10, qui sont des bombardiers légers Bronco, sont apparus—et encore une fois, je n'avais jamais entendu cela pour de vrai, uniquement au cinéma, ce bruit de tonnerre. Ils bombardaient à un ou deux kilomètres de distance.

Pendant que je parlais au jeune lieutenant, il a dit: «Hier soir nous avons détecté 11 transmissions radio distinctes, et nous pensons qu'il y a là une assez grosse unité du FARC». Je lui ai demandé: «Combien sont-ils?» Il m'a répondu 700 ou 800 hommes. À quelle distance? Juste sur l'autre versant de la colline, à deux kilomètres. Nous avons donc décidé qu'il était temps de partir et pendant toute la nuit nous pouvions voir les fusées éclairantes dans le ciel. Nous avons appris ultérieurement que tout le détachement de 12 ou 15 hommes a été soit tué, soit capturé par le FARC.

Le dernier incident, juste pour vous donner une optique un peu différente, est beaucoup plus récent.

En août, une personnalité de télévision très populaire, du nom de Jaime Garzon, a été assassinée. Il animait des émissions de télévision comparables à This Hour has 22 Minutes, ce genre de satire politique. Il interviewait des personnalités politiques pour les embarrasser, etc. Il a été tué par un commando dans les rues de Bogotá.

Cela a déclenché une stupéfaction nationale—c'est le seul mot qui me vienne à l'esprit. La Colombie a vu beaucoup de choses, mais cet assassinat était le comble. J'ai assisté aux cérémonies de funérailles sur la grande place. Il y avait là 250 000 personnes. Il y a eu un service funéraire très bref et ensuite, pendant des heures, les gens sont restés là, pratiquement sans parler, avec leur petit drapeau blanc, les drapeaux du mouvement de la paix colombien, avec l'inscription No mas!, qui signifie «ça suffit». C'était une scène très émouvante, qui trahissait un sentiment de désespoir, d'impuissance. Ces gens se tenaient simplement là et agitaient leur drapeau. Ils ne savaient absolument pas quoi faire.

[Français]

Je me souviens constamment de ces incidents; il y en a presque toutes les semaines. Ce que je veux illustrer par ces petites histoires, c'est la complexité de la situation en Colombie. Ce ne sont pas seulement les paramilitaires et la guérilla qui sont les mauvais; tout est gris en Colombie. C'est un pays de victimes. La situation est tragique dans tous les sens. C'est un pays vraiment très triste.

[Traduction]

La situation des droits de la personne en général—je vais passer en revue mes notes assez rapidement—est sans aucun doute la pire de cet hémisphère. Les violations les plus graves interviennent dans le contexte du conflit entre le gouvernement, les guérillas gauchistes de deux armées distinctes et d'un nombre de mouvements plus petits, et les organisations paramilitaires de droite illégales.

• 1000

Des pourparlers de paix ont débuté. Ils ont commencé le 24 octobre de cette année. Les choses avancent très lentement et, très franchement, les chances d'une issue heureuse à court terme sont très minces. Comme mon collègue, M. Durand, l'a dit, tout cela se déroule dans le contexte de la plus grave récession économique que la Colombie ait connue.

Pour passer en revue rapidement les différentes catégories de violations des droits de la personne, selon la définition classique de ces derniers, les violations directes par les acteurs d'État—c'est-à-dire l'armée et la police—sont en recul et représentent maintenant une proportion assez faible du total, peut-être 5 p. 100 ou moins. Mais les gros problèmes ne sont pas les atteintes directes, c'est la collusion—active ou passive—entre l'armée et les paramilitaires de droite, ces derniers étant responsables des pires abus.

Il y a aussi des violations majeures de la part des guérilleros, qui ne prêtent guère attention à la notion de droits de la personne ou au droit humanitaire international. La vaste majorité des enlèvements du pays sont le fait des mouvements de guérilla. Cette année, on enregistrera probablement 2 800 enlèvements signalés en Colombie, les mouvements de guérillas étant responsables de 60 à 75 p. 100 d'entre eux. Trois Canadiens ont été enlevés cette année. Comme avec cet autre incident en Équateur, il reste évidemment à savoir qui en est responsable.

Nous avons également eu des détournements d'avion—deux cette année, tous deux commis par les guérillas. Les deux groupes recrutent routinièrement des enfants—des mineurs—et toutes sortes d'abus sont actuellement commis dans la soit-disant zone démilitarisée, qui est en fait contrôlée par le FARC, dans le sud-est de la Colombie.

Au total, on peut blâmer les mouvements de guérilla d'environ 20 à 25 p. 100 des violations les plus graves.

[Français]

Les paramilitaires sont responsables des autres gros abus, disons de 70 p. 100 d'entre eux. Typiquement, leur victime, c'est la population civile, qu'ils perçoivent comme une alliée de la guérilla. C'est la dimension tragique de la situation en Colombie. Les deux parties au conflit, la guérilla et les paramilitaires, attaquent toutes les deux la population civile. Ils ne se combattent pas directement. La population civile est un peu prise entre les deux feux.

[Traduction]

Par ailleurs, des activistes des ONG, des syndicalistes et les dirigeants d'initiatives telles que les Communautés pour la paix sont des cibles privilégiées du mouvement paramilitaire. Ce dernier est bien entendu totalement illégal, mais le gros problème, comme je l'ai dit, c'est la collusion, par commission ou par omission, avec les forces armées.

Ensuite il y a les méfaits des criminels. Le trafic de stupéfiants est évidemment omniprésent en Colombie, en dépit de la disparition des cartels de Cali et de Medell«n. Le trafic et la production de drogue sont à leur plus haut niveau et continuent de se développer. Cette industrie corrompt tout en Colombie. C'est principalement elle qui fait vivre les mouvements de guérilla et paramilitaires. On demande souvent pourquoi ce mouvement de guérilla parvient à durer depuis si longtemps. C'est parce qu'il est entièrement autofinancé. Il n'a pas besoin de soutien externe.

Le président: Autofinancé par la vente de drogue?

M. Nicholas Coghlan: Pas directement par la vente. Je m'explique. Ils ne sont pas un cartel comme les cartels de Medell«n et de Cali, en ce sens qu'ils ne commercialisent pas la drogue. Mais ils protègent et taxent le trafic. J'ai vu, par exemple, dans le sud de la Colombie, la liste de leurs tarifs. Pour l'atterrissage, la protection et le décollage d'un avion léger de trafiquants, il en coûte 18 000 $US. La guérilla perçoit un pourcentage sur l'essence et le ciment acheminés—ce sont là des matériaux cruciaux pour la production de cocaïne.

Donc, les mouvements de guérilla ne vendent pas, ils n'ont pas de contacts à l'étranger, mais ils taxent l'industrie.

Le président: C'est un impôt.

M. Nicholas Coghlan: La principale conséquence sociale de la guerre, ce sont les déplacements de population massifs. Cette année, un quart de million de civils ont dû se réfugier. Les responsables de ces déplacements de population sont principalement les paramilitaires, suivis de près par les guérilleros. Les forces armées viennent en troisième position.

Pour ce qui est de la réaction du gouvernement à tout cela, il s'est doté d'une stratégie intégrée des droits de la personne, un peu tardivement. Toutefois, ces organismes de protection des droits manquent de crédits et de personnel. Le gouvernement collabore pleinement avec les organisations des Nations Unies en Colombie et je citerai en particulier un organisme gouvernemental qui fait un excellent travail, le Fiscal«a—c'est le bureau du procureur général. C'est à lui qu'appartenait, par exemple, la juge que j'ai mentionnée. Ces juges d'instruction font un travail très solitaire, en pionnier. Au cours d'une année typique, de 15 à 30 juges ou enquêteurs sont tués parce qu'ils s'approchent de trop près d'officiers militaires ou de police ou même de politiciens.

• 1005

La collusion entre officiers de rang inférieur et moyen relève bien entendu de la responsabilité de l'État. C'est probablement l'atteinte aux droits de la personne la plus grave dont la faute puisse être imputée au gouvernement. Typiquement, ce qui se passe lorsque l'armée et la police sont informées d'une opération paramilitaire, c'est qu'ils ne vont tout simplement rien faire, car ils l'approuvent. Les paras s'attaquent aux guérillas. Les paras commettent donc leurs forfaits, et encore une fois il n'y a pas de suites.

Il y a un mouvement d'ONG croissant, qui va en se renforçant. Cette année, le développement du mouvement No mas!, ou «Ça suffit!», est particulièrement prometteur. Il a commencé comme mouvement contre les enlèvements et s'est depuis élargi. Ses revendications actuelles sont un cessez-le-feu immédiat, la fin des enlèvements et des violations du droit humanitaire international de la part des mouvements de guérilla et paramilitaires. Ce sont là les trois principales revendications. Dans ce qui me paraît être un phénomène ou une réalisation sans précédent, le 24 octobre de cette année, 12 millions de Colombiens ont défilé à l'appui de ces trois positions.

[Français]

Parlons des actions du Canada. Ma collègue Mme Goulet va vous décrire un peu les différents programmes de l'ACDI. En termes généraux, on soulève la question des droits de la personne dans toutes les rencontres à haut niveau. Quand le président est venu ici au mois de mai ou au mois de juin de cette année, la question a été abordée par le premier ministre et le ministre Axworthy.

Au niveau de l'ambassade, on fait des démarches constantes.

[Traduction]

À l'ambassade, nous tenons une comptabilité de nos démarches et lettres ou interventions verbales sur les droits de la personne. Au cours des trois dernières années, nous avons soulevé 63 groupes de cas. Certains sont des cas individuels, d'autres sont collectifs. Nous avons un dossier là-dessus et archivons toute la correspondance à l'ambassade. Si quelqu'un veut jeter un coup d'oeil sur cette correspondance tout à l'heure, j'en ai apporté un échantillonnage. Donc, chaque semaine ou tous les dix jours, nous ouvrons un dossier ou un autre. Nous publions également régulièrement des communiqués de presse condamnant des atteintes particulières, etc.

Nous essayons de circuler dans le pays autant que possible pour montrer le drapeau et afficher notre solidarité avec les ONG locales et internationales. Je suis ravi de voir dans la salle un vieil ami des Peace Brigades International. Cette organisation fait un énorme travail en Colombie. Nous essayons d'aller sur le terrain et de manifester notre appui. Notre seule présence physique, la présence d'un diplomate sur le terrain, peut-on espérer, dissuade un peu les acteurs armés. J'ai moi-même accompagné, en particulier, ce que l'on appelle les «administrateurs du retour», qui travaillent avec les réfugiés et essaient de garantir la sûreté de ceux qui retournent.

Que pouvons-nous faire de plus? Que devrions-nous faire de plus? Du point de vue de l'ambassade, soyez assurés que les droits de la personne sont au coeur de notre dialogue avec le gouvernement colombien. Je dirais même qu'ils en sont le pôle. Nous travaillons également avec le gouvernement colombien à l'élaboration d'un programme de sécurité humaine bilatéral et à diverses activités coopératives, certaines avec le soutien de l'ACDI. Un certain nombre d'activités seront partagées. L'objectif de tout cela est l'instauration d'un climat de paix.

Nous avons notre Programme de réfugiés dans le pays d'origine. En 2000, si nos objectifs sont remplis, nous donnerons l'asile politique à 450 réfugiés colombiens. Il s'agit essentiellement de syndicalistes, de militants des partis de gauche, de personnes qui travaillent dans les ONG oeuvrant pour les droits de la personne et de gens menacés de mort par l'un ou l'autre des groupes belligérants. En gros, ce sont des personnes qui ne survivraient pas si elles restaient en Colombie tout en poursuivant une activité parfaitement légitime. Cela signifie que nous accepterons davantage de réfugiés politiques que toutes les autres ambassades occidentales réunies.

Qu'est-ce que la Colombie pourrait ou devrait faire de plus? La plupart des lois voulues ont été adoptées. Je dois légèrement rectifier mon texte. En effet, il y a juste quatre jours, la Colombie a finalement adopté une législation criminalisant les disparitions forcées. Cela faisait 11 ans qu'elle avait été déposée, et elle a finalement été adoptée il y a quatre jours. Nous avons fait pression pour cela pendant longtemps, tout comme les Nations Unies.

• 1010

Le président: Voulez-vous dire qu'auparavant ce n'était pas un délit criminel que d'enlever quelqu'un en Colombie?

M. Nicholas Coghlan: Enlever et tuer. Auparavant, pour parler crûment, il fallait un corps...

Le président: Un cadavre.

M. Nicholas Coghlan: ... oui, pour pouvoir intenter des poursuites.

Pour ce qui est des disparitions forcées, je donne des chiffres plus loin dans mon mémoire. Environ 200 personnes—c'est là une expression très latino-américaine—«ont été disparues» cette année. Cela signifie qu'elles sont enlevées, souvent par des paramilitaires et parfois des agents de l'État, et disparaissent purement et simplement. Tout porte à croire qu'elles ont été tuées. Mais ce n'était pas là réellement un délit criminel jusqu'à il y a quatre jours.

La principale mesure que le gouvernement pourrait et devrait prendre serait une action énergique et décisive pour couper tous les liens entre l'armée et les paramilitaires. Il y a eu quantité de déclarations présidentielles à cet effet. La réalité est que la collusion et l'omission subsistent très largement.

Il faut également une plus grande volonté de protéger les syndicalistes et les militants des droits de personne, ainsi que les initiatives telles que les Communautés pour la paix, de même qu'une stratégie intégrée concernant cet énorme phénomène des réfugiés de l'intérieur. À l'heure actuelle, les politiques officielles sont tout simplement chaotiques.

Nos recommandations aux mouvements de guérilla et paramilitaires sont, tout d'abord, qu'ils acceptent le cessez-le-feu immédiat prôné par le gouvernement. Avec un peu de chances, nous pourrions avoir un cessez-le-feu temporaire d'ici Noël. Évidemment, ils doivent mettre fin aux enlèvements, respecter les principes fondamentaux du droit international et humanitaire et rejeter toute participation au trafic des stupéfiants.

Que peuvent faire les autres acteurs? J'hésite à dire ceci, car manifestement le mouvement des ONG fait ce qui lui plaît et c'est bien ainsi, mais nous aimerions que davantage d'ONG canadiennes s'intéressent à la Colombie. Nous aimerions qu'elles collaborent et nouent des relations avec les ONG colombiennes. Par-dessus tout, nous voudrions voir davantage de membres de la société civile canadienne mieux informés de la complexité du problème de la Colombie.

Nous encourageons aussi fortement les parlementaires à nouer des liens. Je pense que Mme Beaumier devait prendre part dans dix jours à une conférence au Sénat colombien, mais elle avait d'autres engagements. L'ambassade est ravie de recevoir les délégations et d'organiser des visites. Ne vous inquiétez pas trop de la sécurité.

[Français]

Mme Debien nous a déjà visités, et elle vous racontera des choses. Mais elle est ici, bien vivante.

Des voix: Ah, ah!

Le président: Mme Debien est féroce. Elle porte toujours une mitrailleuse, même lorsqu'elle vient ici au comité.

Mme Maud Debien: C'est ma langue.

[Traduction]

M. Nicholas Coghlan: Ma principale recommandation est de n'épargner aucun effort pour appréhender la complexité de la situation en Colombie. Je ne puis exagérer cette complexité. Il y a très peu de blanc et de noir. Il est très difficile d'expliquer en quelques minutes pourquoi la Colombie est ce qu'elle est.

[Français]

Je vous remercie de votre temps et de votre attention.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur, de ce passionnant compte rendu de première main, directement de la source, en quelque sorte. J'apprécie.

[Français]

Madame Goulet, vous allez ajouter votre point de vue à propos du sida et aussi de l'ACDI.

Mme Joanne Goulet (directrice, Brésil, Cône sud, Colombie, direction de l'Amérique du Sud, Agence canadienne de développement international): Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie beaucoup de fournir à l'ACDI l'occasion de venir témoigner devant vous et de participer à cette rencontre. Je ne saurais égaler les témoignages que vous avez eus des gens des ONG la semaine dernière ou de mon collègue ici présent, M. Coghlan. Je ne peux qu'admirer le travail que font les gens directement en contact et qui s'exposent eux-mêmes à la violence. J'aimerais vous présenter un peu ce que fait l'ACDI, particulièrement dans des projets directement ou indirectement reliés aux droits de la personne. J'aimerais mettre l'accent sur les projets de droits de la personne, mais je mentionnerai aussi au passage quelques autres projets.

Le programme de l'ACDI en Colombie appuie actuellement trois objectifs. Ces objectifs ont été énoncés comme suit: faire progresser l'équité et le respect des droits de la personne, améliorer la bonne gouvernance et favoriser une croissance économique durable.

• 1015

En plus des projets qui ont été élaborés pour viser particulièrement ces trois objectifs, il y a un fonds de conversion de la dette. Le Canada a effacé la dette de la Colombie en permettant que les remboursements soient versés directement à un fonds local qui finance des projets locaux sur l'environnement, élaborés et réalisés par les institutions locales, dont l'objectif est d'améliorer la gestion des richesses naturelles du pays et de promouvoir le respect de l'environnement. Le fonds favorise également la participation accrue des groupes autochtones et de l'ensemble des populations démunies au processus décisionnel dans le domaine de l'environnement.

[Traduction]

Le président: Monsieur Robinson.

M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Désolé d'interrompre le témoin, monsieur le président, mais vu le temps qui passe, je me demande si elle a l'intention de lire toutes les cinq pages, ligne par ligne, ou si elle ne pourrait pas résumer les éléments saillants de l'exposé. Nous aurions ainsi un peu de temps pour un dialogue. Je ne sais pas quelle est sont intention, mais nous pouvons lire ce texte nous-mêmes.

Mme Joanne Goulet: N'ayant jamais fait ce genre de choses—en fait, c'est ma première comparution—j'avais peur d'oublier quelques points importants. Mais si vous voulez, je peux essayer de résumer ce texte en cinq minutes et sauter quelques passages.

Le président: Ce serait bien. Puisque nous avons votre texte, madame, nous vous en serions très reconnaissants. Autrement, nous n'aurons que 35 minutes pour les questions, car M. Good est prévu pour 11 h.

Si vous pouviez donc comprimer un peu, nous aurons davantage de temps pour entrer dans les détails avec nos questions.

Mme Joanne Goulet: Très bien. Je ferai de mon mieux.

Le président: Merci. J'apprécie.

[Français]

Mme Joanne Goulet: Si vous me le permettez, je terminerai en parlant de l'aide humanitaire que l'ACDI fournit aux victimes du conflit armé dans le cadre du programme. On essaie de retirer le maximum des programmes d'assistance humanitaire internationale et du fonds de la paix pour essayer de mousser un peu le programme de coopération que nous avons. Vous savez tous qu'il y a eu des restrictions budgétaires assez importantes dans le budget de l'ACDI.

Donc, dans le contexte d'un pays qui changeait beaucoup, notre programmation avait été élaborée en 1994 et en 1995. Nous avions alors établi des objectifs précis et avions regroupé des projets pour étoffer cette programmation. Mais, depuis 1994 et 1995, le conflit s'est de beaucoup intensifié. Le nombre de personnes déplacées a augmenté. Nous avons donc essayé d'utiliser toutes les sources de financement possibles en les regroupant et en utilisant le fonds de consolidation de la paix et l'aide humanitaire pour compléter nos projets.

Nous sommes présentement en voie de revoir notre programmation. Nous reconnaissons que certaines choses ne sont pas à jour et que d'autres doivent être changées. Même si beaucoup d'éléments de base restent fondamentaux et peuvent servir au règlement de la problématique de la Colombie d'aujourd'hui, nous reconnaissons que certaines choses doivent changer. Nous espérons que des ressources seront allouées aux programmes et pourront être utilisées pour accroître, par exemple, la programmation dans le domaine des droits de la personne et de l'aide aux personnes touchées par le conflit armé.

Il est difficile de savoir exactement quoi faire en Colombie. C'est pourquoi on cherche autant que vous à comprendre cette problématique qui est très complexe. Il ne convient pas de dire tout simplement que nous allons envoyer un chèque à la Colombie pour l'aider à solutionner ses problèmes. Les ressources de l'ACDI ne seront jamais suffisantes pour avoir un impact important. Nous essayons donc de voir dans quels domaines elles pourrait faire toute la différence.

Où est le savoir-faire canadien? Quel savoir-faire canadien pourrait venir en aide aux Colombiens dans l'élaboration de leurs propres solutions? Nous sommes à la recherche de ce genre d'idées. La présentation de la semaine dernière et celle d'aujourd'hui, nous l'espérons, vont mousser cette réflexion.

Nous avons présentement deux personnes sur le terrain en Colombie. Les personnes qui s'occupent du programme de la Colombie sont là pour rencontrer divers acteurs du gouvernement de la Colombie, d'autres donateurs et les ONG qui sont présentes, et essayer d'obtenir d'eux de l'information qui permette de tirer les grandes lignes de ce que pourrait être notre programmation. Nous espérons avoir d'ici quelques mois une idée de ce que sera notre programmation future.

• 1020

[Traduction]

M. Robinson m'a fait dérailler.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Vous vous débrouillez très bien. N'ayez pas peur de M. Robinson.

Mme Joanne Goulet: J'aimerais faire ressortir encore quelques points. Lorsque nous parlons des difficultés du développement en Colombie, il faut considérer aussi le développement humain et la sécurité humaine. Au-delà de la satisfaction des besoins élémentaires, lorsque nous parlons de développement humain—et je sais que cela figure dans mon mémoire mais je tiens à le dire quand même—nous devons nous pencher sur les questions d'équité.

Nous parlons de l'accès équitable à toute la gamme des ressources, non seulement la terre et les richesses naturelles, mais aussi l'emploi, la prise de décisions politiques et les télécommunications, de façon à pouvoir communiquer à l'échelle du pays.

Comme on l'a vu la semaine dernière, nous consacrons des sommes considérables à nos programmes en matière de pétrole et de gaz et de télécommunications. Sur ce dernier plan, il ne s'agit pas seulement de considérer le titre des projets, il faut en voir le contenu.

Dans le domaine des télécommunications, nous collaborons avec la Colombie pour l'aider à ouvrir son industrie, à rendre les télécommunications largement accessibles. La libéralisation a accru par un multiple de plusieurs centaines l'accès aux télécommunications, que les terroristes cherchent justement à couper. La désinformation est un excellent outil pour les terroristes. Nous cherchons à travailler dans ces domaines pour les rendre plus largement accessibles.

Je pense qu'il importe de bien considérer le contenu de nos projets, et pas seulement leur titre. Vous avez une liste des activités que nous entreprenons par le biais de divers projets financés par le Canada, dans toutes sortes de domaines. Nous avons des douzaines de projets. Beaucoup sont de petite envergure, mais certains sont plus gros.

L'un, en particulier, que j'aimerais mentionner est en cours depuis quelques années. Nous le réalisons en collaboration avec le Comité international de la Croix-Rouge de Genève, le CICR. Ce dernier collabore, à un autre niveau, à la formation des militaires de tous les pays d'Amérique du Sud en matière de droit humanitaire international, afin d'intégrer ce dernier à leur formation.

Le raisonnement est que si nous pouvons toucher les auteurs de violence en cours, en les formant à un jeune âge, en en faisant des alliés du CICR—et c'est un Canadien qui dirige ce programme pour le CICR—, alors nous pouvons peut-être exercer une certaine influence à l'avenir.

Nous faisons beaucoup sur le plan des droits de la personne, bien que cela ne suffise jamais, et nous avons l'intention de continuer à travailler avec la Colombie. Toutes vos idées seront les bienvenues.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, madame Goulet. Je pense que vous avez très bien exprimé les choses lorsque vous avez dit que nous devons chercher à mettre à profit l'expérience et le savoir-faire canadien d'une manière qui permette aux Colombiens de trouver des solutions adaptées à leur situation, cette dernière étant malheureusement très difficile à comprendre, comme le témoin précédent l'a indiqué. C'est une situation très complexe.

Le comité est à la recherche de façons positives d'améliorer la situation en Colombie, et si vous avez des recommandations à cet égard, nous serions très intéressés à les entendre, dans vos réponses à nos questions.

[Français]

Madame Debien, avez-vous des questions?

Mme Maud Debien: Oui, monsieur Graham.

Bonjour, madame et messieurs. Soyez les bienvenus à notre comité. Je vous remercie de la qualité de vos témoignages. Ce que vous nous avez dit ressemble grandement à ce que la plupart des ONG sont venues nous raconter la semaine dernière, elles aussi de façon dramatique. Comme vous, nous nous interrogeons sur ce qu'il faut faire et ce sur quoi on doit miser concernant le Mexique.

Monsieur Durand, vous nous avez dit dans votre intervention que le gouvernement colombien avait abdiqué et que, malgré tous les efforts de négociations de paix, la situation était presque inextricable.

• 1025

Vous nous avez dit également que, bien que tous les gens de bonne foi là-bas essaient d'agir, ils sont souvent dépassés par les événements. La situation est complexe, comme tout le monde ne cesse de nous le répéter. La semaine dernière, un intervenant, un jeune Colombien qui travaillait dans le cadre d'une ONG en Colombie, disait qu'il y avait trois scénarios possibles: soit l'exclusion ou la guerre permanente, soit une intervention militaire de pacification du pays, soit des solutions politiques négociées.

J'ai demandé à M. Garzon, qui représentait la semaine dernière une des ONG, pourquoi la Colombie ainsi que la société civile de la Colombie refusaient une intervention de pacification. M. Garzon ne m'a pas répondu directement, mais il a répété à la fin de son intervention ce qu'il avait dit depuis le début, à savoir que la situation chez lui était épouvantable et qu'il tenait, lui personnellement, à une intervention politique négociée.

J'aimerais avoir votre avis. On a quand même vu des situations ailleurs dans le monde—je pense à Haïti, par exemple—qui étaient sensiblement les mêmes. Le contexte était différent, bien sûr, mais on en était arrivé à une situation aussi dramatique qu'en Colombie, et il y a eu une intervention de pacification. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus. Quel est votre avis concernant une intervention des forces du maintien de la paix ou une tentative de pacification, ou encore—appelons-là comme on voudra—une ingérence humanitaire? Notre ministre des Affaires étrangères parle souvent de sécurité humaine. Est-ce qu'on peut assimiler cela à une question de sécurité humaine, d'ingérence humanitaire? J'aimerais entendre votre opinion là-dessus.

Ma deuxième question concerne les entreprises canadiennes. C'est M. Durand qui nous a dit que les entreprises canadiennes étaient très actives en Colombie dans les domaines des télécommunications, je crois, des mines et des hydrocarbures. Vous savez qu'il y a eu, à l'origine de ce développement des mines et des hydrocarbures, ce qu'on appelait à l'époque le Plan Pacifico. Je ne sais pas si on le désigne encore ainsi. Il y a eu une opposition très importante des peuples autochtones au Plan Pacifico pour l'exploitation minière et d'hydrocarbures dans une vaste région.

Dans le document de l'ACDI, on semble dire—enfin on ne le dit pas clairement—qu'il y a eu un processus de consultation des collectivités noires et autochtones. J'ai entendu dire, de mon côté, que ces consultations avaient été des consultations bidons. J'aimerais vous entendre là-dessus également.

Ma troisième question concerne...

Le président: Je crains qu'il n'ait pas le temps de vous répondre.

Mme Maud Debien: J'ai fini, mais je reviendrai parce que j'en ai encore plusieurs.

Le président: Il n'aura pas le temps de répondre si vous posez une troisième question. Vous avez employé cinq minutes pour les questions. Que reste-t-il pour les réponses?

Mme Maud Debien: D'accord, mais j'ai 10 minutes.

Le président: Oui.

M. Paul Durand: À la première question sur l'intervention de paix en Colombie, je dirai qu'une telle intervention n'aurait aucune chance de succès. Il n'est pas possible de faire une intervention de l'extérieur pour contrôler la situation en Colombie. C'est absolument impossible. Donc, je pense que personne ne songe sérieusement à une telle solution pour la Colombie.

Mme Maud Debien: Mais pourquoi?

M. Paul Durand: C'est un pays immense où le terrain est très accidenté, formé de jungles et de montagnes. De grandes régions ne sont même pas sous le contrôle du gouvernement de la Colombie. Il y a des régions auxquelles on ne peut accéder. Ce serait donc tout à fait impossible.

• 1030

Il y a quelques mois circulaient des rumeurs selon lesquelles les Américains pensaient à faire une intervention. J'ai parlé à des Américains qui mènent une lutte antidrogue et qui m'ont confirmé qu'ils n'avaient jamais songé à une occupation en Colombie. Les Colombiens ne paient même pas assez d'impôts pour se doter d'une armée assez disciplinée et assez bien équipée et faire les choses eux-mêmes. Les fils de l'élite en Colombie ne font pas leur service militaire, préférant s'y soustraire en offrant des pots-de-vin. Il n'y a pas beaucoup de motivation. Après le Vietnam, on ne fait plus de telles interventions.

Vous aviez des questions au sujet des compagnies canadiennes qui oeuvrent en Colombie.

Mme Maud Debien: Oui.

M. Paul Durand: Vous aviez mentionné le Plan Pacifico en vue de la construction d'un nouveau canal.

Mme Maud Debien: Oui.

M. Nicholas Coghlan: Le dernier président de la Colombie, le président Samper, avait présenté en 1995, si je me souviens bien, le Plan Pacifico. Je connais un peu la zone de la péninsule Darien, où on se proposait de construire ce canal dont on parle depuis 80 ans et qui est lié à la route panaméricaine. Je pense franchement qu'aucun investisseur ne serait intéressé à investir dans un tel projet. Il serait tout à fait fou. Ce projet est resté en plan et, à ce que je sache, plus personne n'en parle.

Vous avez toutefois raison de dire que circulaient des rumeurs selon lesquelles de grandes compagnies multinationales auraient démontré un intérêt. La région de la péninsule Darien est en état de guerre. Un investisseur étranger n'investirait jamais dans le contexte actuel. Il semble que ces rumeurs aient créé beaucoup de faux espoirs quant à la valeur des terres avoisinantes. Certaines personnes croient que ce type de spéculation aurait pu motiver l'entrée des paramilitaires dans cette région. Personnellement, je ne spéculerais pas sur la valeur de ces terres-là.

Mme Joanne Goulet: Votre dernière question portait sur les consultations avec les peuples autochtones. Le processus de consultation dont on parlait en Colombie n'en était pas véritablement un. On rassemblait les gens et on leur donnait de l'information. Voilà ce qu'on appelait un processus de consultation.

Nous avons fait des interventions et entre autres participé à la rédaction du dernier code minier. Grâce à nos efforts, il est maintenant obligatoire, au plan juridique, de tenir des consultations réelles et d'arriver à une entente avec les peuples visés. C'est un premier pas. Afin de faire avancer ce processus, nous enseignons actuellement, dans le cadre d'ateliers, le modèle canadien en matière de consultation.

Le président: Merci.

Monsieur Robinson.

M. Svend Robinson: Merci, monsieur le président. Je partage aussi les préoccupations de Mme Debien, tout particulièrement celles qui touchent le rôle des sociétés canadiennes en Colombie.

[Traduction]

J'aimerais remercier les témoins de leur présentation, et en particulier M. Coghlan d'être venu directement de Colombie pour nous faire part avec beaucoup d'éloquence de ses observations personnelles concernant la tragédie que vit ce pays et signaler le travail très important fait par l'ACDI dans le domaine des droits de la personne. Je suis impatient de lire le mémoire.

J'ai des questions sur trois ou quatre domaines. Je serai très bref et vais poser les questions directement. La première concerne notre politique de contrôle des exportations, en particulier de matériel militaire.

Lorsqu'il a comparu la semaine dernière, le CIETHAL nous a rappelé qu'en février 1999 le gouvernement canadien favorisait activement la vente de matériel aéronautique aux forces policières et militaires de la Colombie. On nous a parlé de la répression exercée par ses forces armées, ce qui est inquiétant vu la possibilité que nous leur vendions des hélicoptères. J'aimerais savoir ce que fait l'ambassade canadienne pour assurer que, pour reprendre les termes de notre politique de contrôle des exportations, il n'y a pas de risque raisonnable que ces appareils soient utilisés contre la population civile. Faisons-nous un suivi de ces ventes d'hélicoptères? Savons-nous à quels bataillons ils sont confiés, comment ils sont utilisés? J'aimerais une réponse très précise à cette question.

• 1035

Sur le plan des droits de la personne en général, je me souviens avoir participé à des conférences de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies à Genève, à la fin des années 80 et au début des années 90. Des groupements religieux, des ONG et les Nations Unies elles-mêmes suppliaient le gouvernement canadien de s'exprimer sur ces problèmes et nous avons gardé le silence. Ce n'est qu'en 1995 que le Canada est finalement intervenu à ce sujet à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Je salue cet activisme récent, mais je pense qu'il faut le replacer en ce contexte.

Mme Debien a mentionné les consultations avec les peuples autochtones. Nous avons entendu ici même, vers le milieu du mois dernier, un témoignage très émouvant d'un membre de la Nation Embera Katio sur les répercussions pour son peuple d'un barrage financé en partie par notre Société pour l'expansion des exportations. On a commencé depuis lors à remplir la retenue d'eau, avec des conséquences désastreuses pour cette population.

Étant donné notre participation financière, que fait notre gouvernement pour que les Emberas soient à tout le moins indemnisés? Sommes-nous partie prenante à des pourparlers à ce sujet?

Les recommandations de deux tribunaux, celui de Toronto et de Montréal, appelaient le gouvernement du Canada à intervenir pour traduire en justice les responsables de l'affreux massacre de Barrancabermeja. Quelle est la réponse du gouvernement à ces importantes recommandations visant à traduire en justice les auteurs de ce massacre?

Le président: Voilà trois questions. Qui veut répondre à la première?

M. Paul Durand: Nick, je pense que vous pouvez parler du matériel aéronautique.

M. Nicholas Coghlan: Comme vous le savez, cette question se pose depuis un certain nombre d'années, depuis la première vente en 1994-1995, je crois. Je peux dire qu'il y a là un problème fondamental en ce sens que la loi actuelle est telle que toutes ces ventes intervenues jusqu'à présent n'étaient pas soumises au régime de contrôle des exportations, si vous voulez. Autrement dit, elles ne sont pas passées entre les mains de nos responsables du contrôle des exportations aux Affaires étrangères, la raison étant que tous ces appareils étaient certifiés comme civils, tels que les hélicoptères Bell de Mirabel.

À moins que ces appareils soient de nature telle qu'ils sont classés comme militaires, la loi actuelle ne nous donne aucun droit de regard sur ces ventes. En d'autres termes, la loi ne couvre pas ce cas particulier.

M. Svend Robinson: Mais la loi n'empêche pas l'ambassade de faire un suivi pour voir si ces hélicoptères ont été rééquipés avec du matériel militaire. Sont-ils employés, en réalité, contre la population civile? Si nous ne faisons pas de suivi, comment savoir s'il n'y a pas un risque raisonnable qu'ils soient utilisés contre la population civile?

M. Nicholas Coghlan: Je pense qu'il est entièrement possible qu'ils soient maintenant équipés de planchers blindés, de sièges blindés et peut-être de mitrailleuses. Les hélicoptères sont utilisés principalement par la police nationale pour protéger les avions de pulvérisation des cultures.

M. Paul Durand: C'est pour l'éradication de la cocaïne.

M. Nicholas Coghlan: Oui, la pulvérisation des cultures de coca et de pavot. Malheureusement, les activités d'éradication exigent des escortes armées. La police colombienne perd en moyenne plusieurs centaines d'hommes sous les tirs qu'elle essuie lorsqu'elle entreprend de pulvériser les cultures ou de saisir des laboratoires. Lorsqu'elle rencontre de la résistance, il lui faut des planchers blindés.

M. Svend Robinson: Mais avons-nous l'assurance qu'ils ne sont pas utilisés par d'autres bataillons militaires?

M. Nicholas Coghlan: Oui. Nous savons qu'ils ne sont pas utilisés par les forces armées elles-mêmes. Ils sont peints de couleurs différentes. Les hélicoptères de la police sont employés spécifiquement par les bataillons anti-stupéfiants de la police, et ils sont peints en blanc avec des rayures vertes. Ces hélicoptères ne sont pas mis à la disposition des militaires.

• 1040

Le président: Merci. C'est très utile, car il est difficile dans ces situations de savoir qui est civil et qui ne l'est pas. Mais je pense que nous serons tous d'accord s'ils sont employés pour combattre le trafic de drogue, ou du moins dans des opérations de police légitimes. C'est ce que je retire de la réponse.

M. Svend Robinson: Si nous pouvions peut-être avoir confirmation écrite de ce qu'est exactement cette politique, ce serait utile.

Le président: C'est très utile. Merci.

Deuxième question.

M. Paul Durand: Vous avez parlé du barrage partiellement financé par la SEE. Je pense que ce financement équivalait à peu près à 3 p. 100 de la valeur totale du projet et couvrait quelques turbines et autres matériels électroniques.

À ma connaissance, lorsqu'elle a accordé ce financement, c'était sous la réserve que des négociations soient ouvertes avec la population touchée. Effectivement, ces négociations ont eu lieu et je crois savoir que 50 p. 100 des personnes touchées ont accepté l'offre du gouvernement colombien, l'autre moitié la refusant. La SEE, à ma connaissance, n'est pas intervenue dans ce processus et je ne suis pas sûr qu'elle y soit obligée.

Je pense que la SEE jouit généralement d'une bonne réputation, en ce sens que lorsque se présente une situation délicate, que ce soit sur le plan de l'environnement ou des droits de la personne ou autre, elle se montre très prudente.

M. Svend Robinson: J'apprécie que la SEE soit partie prenante à ce processus, mais cela n'empêche pas le gouvernement du Canada, peut-être par l'intermédiaire de l'ambassade, d'exhorter le gouvernement colombien à verser une indemnisation acceptable et à ne pas violer plus avant les droits des Emberas. Cela ne peut-il être l'une des initiatives que prend l'ambassade?

M. Paul Durand: Eh bien, si 50 p. 100 l'ont acceptée, peut-être est-elle acceptable.

Le président: Au moins 50 p. 100 des messieurs qui sont venus nous voir pensaient que c'était un désastre pour la population, mais indépendamment de cela, des pressions étaient exercées par des paramilitaires qui venaient massacrer des gens. Ce n'était pas une question de négociation, c'était...

M. Paul Durand: À prendre ou à laisser.

Le président: ... à prendre ou à se faire tuer. En tout cas, c'est ce que nous ont dit les témoins. Je ne sais pas si vous êtes au courant de cette situation particulière.

M. Svend Robinson: Peut-être M. Coghlan...

M. Nicholas Coghlan: J'ajouterais que cette région en général, toute la région de Cordoba, est une forteresse du mouvement paramilitaire en Colombie. C'est là qu'il est né.

Lorsque les paramilitaires se livrent à leurs multiples tueries... On en arrive à un relativisme macabre en Colombie, mais il est difficile de dire exactement quels sont les motifs derrière un massacre donné. Il y a certainement eu beaucoup de déplacements de population forcés dans la région et des menaces, mais les procédés employés ne sont pas aussi simples. Les paramilitaires ne débarquent pas un jour en disant: «Déguerpissez d'ici ou nous vous tuons, car nous voulons dégager le terrain pour le barrage». Si c'était le cas, nous aurions des motifs d'intervention, si vous voulez.

Les paramilitaires obéissent à quantité de motifs. Parfois, ils agissent pour le compte des propriétaires terriens, et il y a également des intérêts de narco-trafiquants. Il y a certainement eu par le passé des allégations contre de grosses sociétés—BP les a combattus pendant de nombreuses années—voulant qu'elles soient de mèche avec les paramilitaires.

M. Svend Robinson: Je demande simplement que le gouvernement canadien aborde ces préoccupations dans ses discussions avec le gouvernement colombien. N'est-ce pas possible?

Le président: Monsieur Coghlan, nous vous enverrons le compte rendu des témoignages que nous avons eus sur le sujet de la SEE. Vous pourriez peut-être aborder la question lorsque vous serez de retour...

M. Nicholas Coghlan: J'en ai personnellement discuté avec le ministre de l'Environnement il y a dix jours encore, soit le jour où il a signé l'autorisation d'inonder. Il a dit qu'il n'était pas très à l'aise avec la décision, mais qu'il avait tout bien pesé et passé en revue tout le processus, et ainsi de suite. Lui-même est un ancien d'une ONG. Il a dit qu'il n'était pas à l'aise avec la situation, mais estimait que le gouvernement colombien avait rempli toutes ses obligations aux termes de la loi, et a signé l'autorisation.

M. Svend Robinson: Vous allez donc suivre cette affaire.

M. Nicholas Coghlan: Oui.

Le président: La troisième question.

M. Svend Robinson: Il s'agit de la dernière question, soit la recommandation du tribunal. Il y a en fait deux tribunaux.

M. Nicholas Coghlan: Trois, si vous comptez celui cité dans la réponse.

• 1045

Si vous le permettez, je vais lire là quelques passages, car ce sont là des questions juridiques et je ne suis pas juriste moi-même. J'ajouterais que toute cette audience devant le tribunal a été incroyablement positive, portant à l'attention du public ce problème particulier de la collusion de l'armée et de la police avec les paramilitaires. La presse en a beaucoup parlé en Colombie et c'était à la première page du Spectador, le deuxième plus grand quotidien, pendant plusieurs jours de suite. Cela donc été extrêmement précieux en ce sens.

Si je puis vous apporter quelques précisions de nos conseillers juridiques—excusez-moi de ce formalisme—en vertu de l'article 7 du Code criminel, le Canada n'a compétence pénale sur les personnes soupçonnées du massacre et des disparitions de Barranquilla qui si on les «trouve sur le territoire canadien». La personne trouvée en territoire canadien n'aura manifestement pas reçu en connaissance de cause un visa de séjour au Canada. Elle sera donc arrivée illégalement.

La deuxième observation des avocats est que, pour traduire en justice des personnes soupçonnées de crime—commis en l'occurrence à Barranquilla—le forum choisi doit être le plus susceptible de conduire à une condamnation. Toute irrégularité procédurale et légale pouvant empêcher la poursuite d'aboutir doit donc être évitée. Parmi ces irrégularités figure l'absence d'un fondement juridique pour le transfert au Canada. Autrement dit, si une personne est arrivée au Canada illégalement, nous aurions apparemment des difficultés à la juger.

Les juristes ont ajouté que la plus grande chance de succès d'une poursuite contre ces personnes réside en Colombie, où les crimes ont été commis et où se trouvent tous les témoins et toutes les preuves. Ils ajoutent que la ratification du statut de Rome de la Cour pénale internationale par la Colombie donne aux autorités colombiennes une option utile pour la poursuite des crimes les plus graves à l'avenir.

La Colombie a effectivement ratifié.

Le président: Merci.

J'ai sur ma liste Mme Augustine et M. Patry.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

Je dois dire combien je suis heureuse d'entendre les témoins. Je veux également ajouter des mots de bienvenue et souhaiter à M. Coghlan un bon retour là-bas.

M. Nicholas Coghlan: Je vais probablement me faire dévaliser en sortant d'ici.

Mme Jean Augustine: Oh, cela arrive. L'un de nos collègues a été agressé tout récemment...

Le président: Vous n'étiez pas à Seattle la semaine dernière, par hasard?

Mme Jean Augustine: J'ai quelques questions.

En écoutant les groupes d'ONG parler la semaine dernière du niveau des violations en Colombie, je me suis demandé comment la Colombie pouvait être l'un de nos plus grands partenaires commerciaux en Amérique du Sud, avec tous les échanges de biens et de services que nous avons avec elle, face à tous ces abus. J'essaie de m'y retrouver dans tout cela.

Comment pouvons-nous mettre à profit ces intérêts économiques pour promouvoir les droits de la personne, à la lumière de nos propres intérêts économiques? C'est une question que le grand public nous pose sans cesse. Que faisons-nous à transiger avec ces régimes affreux, tous ces pays où des exactions horribles sont commises?

Je me débats avec cette question. Je connais la réponse, en un sens, mais il est réellement très difficile de concilier les deux choses.

Deuxièmement, qu'en est-il des États voisins, car je suis sûre que les réfugiés ne cherchent pas seulement l'asile politique dans des pays comme le Canada. Ils doivent franchir les frontières vers les pays voisins. Est-ce que l'ACDI contribue à l'accueil des réfugiés dans les États voisins? Aidons-nous les réfugiés à se rendre dans des pays voisins au lieu de venir directement au Canada?

J'ai allumé la radio l'autre jour à la fin d'une émission, et j'aimerais quelques explications sur le sujet qui était traité, quelque chose du nom de Plan Colombie. On y disait que les États-Unis et l'Europe devaient avancer avec prudence, et le Canada aussi. Pourriez-vous nous expliquer un peu de quoi il s'agit. Qu'est-ce que le Plan Colombie et l'ACDI y joue-t-elle un rôle?

• 1050

Le président: Monsieur Durand.

M. Paul Durand: En ce qui concerne d'abord les échanges commerciaux, madame Augustine, je comprends vos préoccupations. Il est très difficile de garder la Colombie en perspective, mais c'est un pays de 39 millions d'habitants et la plupart mènent ce qui est pour eux une vie normale. Ils ont un gouvernement démocratiquement élu, qui est certes inefficace à bien des égards, mais qui fait de son mieux avec les problèmes qu'il a.

Les sociétés canadiennes traitent avec la vaste majorité des Colombiens, qui sont des gens honnêtes, respectueux de la loi et de bons partenaires commerciaux. Le gouvernement estime qu'il vaut mieux commercer avec des pays que de les tenir à l'écart de la vie et du commerce quotidiens. Nous ne voyons donc pas de lien direct entre les échanges et les atteintes, mais je comprends votre point de vue. On a scrupule à commercer avec un pays où se passent des choses aussi répréhensibles, mais je pense qu'il faut savoir en faire abstraction dans une certaine mesure.

M. Nicholas Coghlan: Pour ce qui est du passage de réfugiés dans des pays voisins, il y a à l'heure actuelle un petit nuage à l'horizon, mais c'est un problème croissant ou un problème potentiel. Là où je me trouvais il y a juste une semaine, dans la région de Darien, il y avait là un groupe dont une partie a fui en 1997 de l'autre côté de la frontière, au Panama, pour échapper aux incursions paramilitaires. Ce problème n'a pas été traité de manière très satisfaisante ni par les autorités colombiennes ni par les panaméennes. En gros, ces gens ont été rapatriés de force dans une région différente, relativement sûre. Mais les choses ne se sont certainement pas très bien passées.

Il y a également eu, plus récemment, quelques déplacement de population à plus grande échelle vers le Venezuela à cause des incursions paramilitaires dans le département de Santander—des groupes de 2 000 ou 3 000 personnes qui franchissaient la rivière vers le Venezuela.

Habituellement, dans la plupart des cas jusqu'à présent, la préférence de ces populations était le retour. Nous n'avons pas à l'heure actuelle le phénomène de camps permanents dans les pays voisins. Mais il est concevable qu'à l'avenir, si la violence va croissant, ces réfugiés estiment que leur meilleure option est la relocalisation permanente en dehors de Colombie. À l'heure actuelle, ce n'est pas le cas.

Par exemple, dans les cas que nous voyons à l'ambassade, avec notre programme de réfugiés, nous ne recevons normalement pas les campesinos, les paysans, les paysans déplacés. Ils espèrent toujours pouvoir rentrer chez eux. Bien entendu, c'est là aussi la politique internationale en matière de réfugiés. C'est la politique du HCUNR, le Haut Commissariat aux réfugiés, de toujours mener cette option aussi loin que possible. Cela dit, ces réfugiés demandent le retour vers un lieu sûr, et il y a très peu de lieux sûrs dans la campagne colombienne. C'est donc certainement un problème à l'horizon.

Le Plan Colombie: c'est un plan très ambitieux, de 7 milliards de dollars, en gestation depuis environ un an. Il a récemment connu une accélération avec l'aide considérable du Département d'État américain, qui y a beaucoup contribué. Il prévoit, comme je l'ai dit, un investissement de 7 milliards de dollars dans toute une série de domaines, depuis l'infrastructure, les ponts, les écoles, la santé, jusqu'aux projets de développement alternatif et aux télécommunications, etc. C'est en gros un plan de développement qui vise, comment dire, à supprimer la raison d'être idéologique des guérillas, soit la pauvreté et la privation sociale dans les régions les plus éloignées de Colombie. Il s'agit de saper l'élément idéologique qui sous-tend sans aucun doute, au moins en partie, les mouvements de guérilla.

C'est un plan très ambitieux—7 milliards de dollars. Le gouvernement colombien lui-même a dit son intention d'en financer la moitié. Les 3,5 milliards de dollars restants viendront de l'aide étrangère. Jusqu'il y a un mois, les États-Unis avaient... Les États-Unis avaient pratiquement promis 1,5 milliard de dollars. Mais le crédit a été bloqué au Congrès, et je crois que la plus grande part de cet argent est maintenant allé aux Nations Unies. Néanmoins, le président Clinton a donné son engagement et le maintient.

On ne nous a pas demandé directement de signer un chèque, non. Mais comme Mme Goulet pourra vous le dire, nous examinons certains éléments du Plan Colombie pour voir quelle aide nous pourrions apporter.

• 1055

Mme Joanne Goulet: C'est juste. Mais pour ce qui est de l'aide aux réfugiés dans les pays voisins, à ma connaissance, non. Mais je vais vérifier, car je peux me tromper et je vous répondrai par écrit, si vous le permettez.

Le président: Merci.

Mme Joanne Goulet: Deuxièmement, au sujet du Plan Colombie, comme M. Coghlan l'a indiqué, nous examinons actuellement les parties du plan où nous pensons avoir quelque chose à offrir, au moment où nous remanions et réorientons notre programme pour mieux l'aligner sur les besoins actuels. Nous examinons donc des domaines tels que les droits de la personne, les populations déplacées, et discutons avec le gouvernement de Colombie pour voir avec lui où nous pourrions être les plus utiles.

Le président: Merci.

Bernard Patry.

[Français]

M. Bernard Patry: Merci beaucoup, monsieur le président. Je félicite les témoins qui ont comparu ce matin de l'excellence de leur travail et surtout de la qualité de leurs commentaires.

Je veux revenir brièvement à la Société pour l'expansion des exportations, dont des témoins et mes collègues ont parlé la semaine dernière. Des autochtones représentant les Premières Nations sont venus ici, au Parlement canadien, nous parler de ce fameux barrage de 700 millions de dollars dans lequel le Canada a investi 18 millions de dollars.

Je conviens que le développement économique dans un pays devrait toujours être lié aux droits de la personne et à la protection de l'environnement. Certaines personnes sont même allées plus loin et nous ont dit que le gouvernement canadien, par l'entremise de l'ACDI, ne devait pas investir, que ce soit au plan économique ou humain, dans les pays où les droits de la personne sont bafoués.

La question que je vous adresse en votre qualité de fonctionnaire, d'attaché à l'ambassade et de premier secrétaire est la suivante. Lorsque des Canadiens veulent investir dans un projet de développement économique auquel le Canada est associé, par exemple par le biais de la SEE, est-ce que vous êtes consultés? Est-ce qu'on vous demande de préparer un rapport ou de faire une évaluation au sujet du respect des droits de la personne ou est-ce que cela n'est vraiment pas de votre ressort?

Vous avez dit au tout début que le Canada avait complètement effacé la dette, mais qu'on remboursait certaines ONG ou organismes colombiens qui veillent, par exemple, à la protection de l'environnement. J'aimerais en savoir un peu plus. Je ne savais pas auparavant qu'on ne remboursait pas le Canada, mais qu'on remboursait des Colombiens.

M. Nicholas Coghlan: Il est évident que certains investisseurs canadiens nous consultent, tandis que d'autres ne le font pas. On nous demande surtout des conseils relatifs à la sécurité, et nous en profitons pour les mettre en garde contre certains dangers. Par exemple, lorsqu'une compagnie minière va travailler à la campagne, nous lui expliquons toujours la dynamique qui prévaut à la campagne. Nous lui conseillons tout particulièrement de ne pas payer ce qu'on appelle des vacunas à la guérilla et de n'avoir aucun contact avec cette dernière ou avec les paramilitaires. Nous soulignons aussi l'importance de respecter toutes les lois. Nous n'avons pas de pouvoir d'enquête et nous ne sommes donc pas en mesure de vous dire jusqu'à quel point les compagnies suivent nos conseils. Mais nous faisons toujours cet effort.

Quant à la politique d'investissement et l'aide publique au développement, comme vous le savez sans doute, nous soumettons toujours un rapport annuel sur les droits de la personne. Nous venons d'ailleurs de finir la rédaction de notre dernier rapport, que nous avons déposé il y a dix jours. Nous vous en avons remis une version abrégée. Mes collègues de l'ACDI et des autres ministères consultent ce rapport avant de prendre des décisions au nom du gouvernement.

Quant à votre question au sujet de l'organisation ECOFONDO...

Mme Joanne Goulet: Le Canada a permis à certains pays qui devaient rembourser une dette, dont la Colombie, de le faire en investissant dans un projet visant l'amélioration de la gestion environnementale. Nous ne sommes pas le seul pays à avoir agi ainsi, les États-Unis ayant également pris une telle initiative.

• 1100

L'ONG colombienne ECOFONDO a été crée pour gérer un fonds de conversion de la dette et allouer des sommes en vue de la réalisation de projets soumis par des communautés colombiennes. On ne verse pas des paiements directs à des Colombiens, mais on a mis sur pied une organisation qui doit choisir des projets, les financer, en faire le suivi sur le terrain et en faire rapport.

[Traduction]

Le président: Je pourrais peut-être poser une question complémentaire à celle de M. Patry, car cela nous amène au coeur de la revue de la SEE que nous effectuons actuellement.

La position de la SEE est qu'elle applique les politiques gouvernementales concernant les droits environnementaux et humains et d'autres atteintes. Elle est manifestement obligée aussi de suivre les règles du droit international et les conventions internationales signées par le Canada.

La question est de savoir comment fait-elle pour déterminer ce qu'elles sont? Je veux dire par là que ce barrage dont nous parlons est situé dans l'un des pires lieux de conflit en Colombie. Il me paraîtrait donc normal que quelqu'un de la SEE, à tout le moins, vous demande, à l'ambassade, de voir ce qui s'y passe, avant de s'impliquer. C'est ce vers quoi tendait la question de M. Patry. Votre réponse semble être que parfois elle le fait, parfois elle ne le fait pas. Eh bien, si elle ne le fait pas, comment sait-elle quelles sont nos politiques ou ce que nous faisons?

C'est réellement ce que nous voulons savoir, je pense, monsieur Patry, et cela concerne peut-être davantage notre étude de la SEE, mais c'est certainement pertinent.

M. Nicholas Coghlan: La SEE, étant une société d'État, a certainement une certaine autonomie, j'imagine. Ces décisions ont été prises avant mon arrivée. Elle a accès à ce document, oui, qui est normalement classé confidentiel, mais elle y a accès—ce document qui passe en revue la situation des droits de la personne. On peut espérer qu'elle l'a lu.

Le président: On peut toujours espérer.

Nous avons pris du retard. Je vois que M. Good est là. N'oubliez pas que nous avons une heure avec lui et que l'ACDI représente un gros sujet pour nous.

Monsieur Robinson.

M. Svend Robinson: Monsieur le président, juste une petite question complémentaire. M. Coghlan a parlé de deux documents. Je pense qu'il a lu un passage d'un document concernant la réponse juridique aux recommandations du tribunal. Pourrait-il déposer ce document? Il serait utile que nous en ayons connaissance.

Deuxièmement, cette analyse annuelle des droits de la personne en Colombie intéresse certainement de près notre comité, en tant que comité parlementaire. Pourrait-il également déposer ce document?

M. Nicholas Coghlan: Ce que vous avez dans le document plus épais en est une version abrégée. Je crains de ne pas avoir le pouvoir de donner suite; normalement, c'est un document confidentiel.

M. Paul Durand: Nous allons nous renseigner pour voir si nous le pouvons. La version abrégée donne beaucoup de renseignements.

M. Svend Robinson: Je sais, mais c'est un document qui est communiqué à la SEE, à l'ACDI et à d'autres. J'espère que le Parlement du Canada pourra en avoir connaissance également.

M. Nicholas Coghlan: C'est réellement une analyse sans détour, en grande partie; c'est la raison de ce livre.

Le président: Monsieur Robinson, comme vous le savez, il y a beaucoup de documents gouvernementaux circulant à l'intérieur de l'administration qui sont confidentiels, et dont la divulgation est interdite à ceux qui prêtent serment et par d'autres dispositions. Donc, le secrétaire parlementaire peut le recevoir, car il a prêté serment, etc. Nous n'avons pas nécessairement accès à tout. Nous verrons ce que nous pouvons faire.

M. Nicholas Coghlan: Je me ferai un plaisir de vérifier. Si vous pouvez le recevoir, j'en serais très heureux, car c'est un excellent document.

Le président: Il est confidentiel et classé, et si nous voulons le voir nous devrons l'examiner à huis clos et ne pas le disséminer, tout ce genre de chose.

M. Svend Robinson: Mais le département d'État effectue chaque année une analyse exhaustive de la politique des droits de la personne, et c'est un document public. Il me semble que celui-ci est similaire.

Et pour l'autre document?

M. Nicholas Coghlan: Je vais vérifier avec nos avocats.

Le président: Je sais, monsieur Robinson, avec votre sens de la convenance internationale, que vous ne nous demandez pas de suivre l'exemple américain d'extraterritorialité...

M. Svend Robinson: De transparence et d'ouverture?

Le président: Non, je ne parle pas de transparence et d'ouverture; je songe à Cuba.

Quoi qu'il en soit, merci beaucoup. Votre comparution a été très utile. Nous l'apprécions.

• 1105

Mesdames et messieurs, nous distribuerons cet après-midi au comité directeur un projet de résolution, qui sera soumis ensuite au comité plénier, sur la Colombie. Je veillerai à ce que vous en receviez un exemplaire.

Mme Jean Augustine: En avez-vous ici?

Le président: Vous en voulez davantage, Jean?

Mme Jean Augustine: Il n'y a là rien de nouveau sauf...

Le président: D'accord. Nous allons demander à M. Good de prendre place à la table. Nous allons faire une pause de deux minutes.

• 1106




• 1113

Le président: Mesdames et messieurs, nous devrions reprendre. Certains d'entre nous ont des réunions à midi et il faudrait profiter de la présence de M. Good.

Monsieur Good, Je suis ravi de vous accueillir à notre comité pour votre première comparution à titre de président de l'ACDI. Nous aurons certainement d'autres réunions avec vous, puisque nous avons un nouveau ministre responsable de l'ACDI, un nouveau dirigeant de l'ACDI, et l'affirmation faite récemment par le premier ministre que nous devrions faire davantage sur le plan de l'aide. Nous sommes donc impatients d'apprendre comment vous envisagez le rôle de l'ACDI et les nouvelles orientations que nous pourrions adopter.

Nous reconnaissons que l'ACDI est un organisme extrêmement important pour le gouvernement du Canada et les Canadiens, puisqu'il détermine comment nous sommes perçus dans le monde, et nous sommes donc heureux qu'un fonctionnaire ayant une expérience et des connaissances aussi grandes que vous soit maintenant à la tête de l'ACDI, et nous serons ravis de travailler avec vous dans les années qui viennent. Tous nos voeux vous accompagnent dans vos nouvelles fonctions.

Vous aimeriez peut-être faire une déclaration liminaire. Je sais que les membres auront quelques questions à vous poser.

M. Len Good (président, Agence canadienne de développement international): Merci beaucoup.

Je peux peut-être commencer par vous dire un peu qui je suis et d'où je viens. Je suis né en Angleterre et ai été élevé dans le sud de l'Ontario. J'ai étudié à l'université de Toronto où j'ai obtenu un baccalauréat et une maîtrise en sciences économiques, et j'ai passé un doctorat en sciences économiques à l'université Western Ontario. J'ai enseigné les sciences économiques pendant quelques années à l'université de l'Île-du-Prince-Édouard, dans les années 1969-1970.

Ensuite, j'ai travaillé exclusivement dans la fonction publique fédérale, commençant en 1973 au Secrétariat du Conseil du Trésor, avant de passer au ministère des Finances; ensuite, j'ai passé huit années au ministère qui s'appelait alors Énergie, Mines et Ressources, aujourd'hui Ressources naturelles Canada, et encore deux années au Bureau du Conseil privé comme sous-secrétaire chargé des plans; ensuite, quatre années comme sous-ministre au ministère de l'Environnement.

Après cela, j'ai passé quatre années à l'étranger, à Washington, à la Banque mondiale, où j'ai réellement commencé à me passionner pour les problèmes de développement.

• 1115

Après mes quatre années à la Banque mondiale, je suis revenu il y a un an environ et ai été recyclé sous-ministre de l'Environnement, où j'ai passé encore une autre année. Il y a trois ou quatre semaines, je suis devenu président de l'ACDI.

Voilà donc en gros mes antécédents.

J'imagine que vous souhaitez savoir quelles sont mes qualifications pour ce poste. Si je devais répondre précisément à cette question, j'invoquerais deux choses dont, bien évidemment, mes quatre années d'expérience à la Banque mondiale où j'étais directeur exécutif pour le Canada. Comme vous le savez, la Banque mondiale compte environ 180 membres et seulement 24 sièges autour de la table des directeurs exécutifs, si bien que chacun d'eux représente habituellement plusieurs pays. J'y représentais le Canada, l'Irlande et 11 pays des Caraïbes anglophones.

C'est un poste merveilleux. L'on y a, bien entendu, la possibilité de collaborer avec tous ses collègues directeurs exécutifs, avec le président de la Banque et sa haute direction, mais aussi avec tous les niveaux hiérarchiques de la Banque. C'est donc une occasion merveilleuse de voir de près si la banque est bien ce qu'elle prétend être, à savoir la première institution de développement du monde. Je pense qu'elle l'est effectivement.

Mais c'est aussi une excellente occasion de voyager. J'ai eu l'occasion de beaucoup voyager en Amérique du Sud, en Afrique, en Chine—des pays en transition—et j'ai donc été largement exposé à certains des problèmes du monde en développement. J'étais là malheureusement à un moment où les marchés des capitaux survoltés se sont effondrés, d'abord au Mexique avec une importante fuite de capitaux, puis ensuite avec tous les problèmes qui ont surgi en Asie du Sud-Est quelques années plus tard.

C'était une époque passionnante où j'ai pu voir comment les institutions multilatérales comme la Banque mondiale, le FMI et les banques de développement régionales et les prêteurs bilatéraux ont réagi à ces défis. C'était une période extraordinaire.

Au Canada, à mon retour au ministère de l'Environnement, j'ai été frappé, plus que pendant mes quatre premières années, de voir à quel point les problèmes environnementaux prennent de plus en plus une envergure mondiale. Tous les gros problèmes écologiques étaient mondiaux, depuis l'épuisement de la couche d'ozone jusqu'au changement climatique, aux espèces en danger, à la pollution transfrontalière, la désertification et le déboisement.

En me débattant avec tous ces problèmes au cours de l'an dernier, j'ai constaté presque à chaque occasion que j'avais en face de moi des interlocuteurs représentant les pays en développement épousant des positions très fermes sur ce qu'il convient de faire à l'égard des problèmes environnementaux. Leur position était presque toujours la même, à savoir que ces problèmes les préoccupaient, mais à moins que le monde développé ne les aide d'abord et surtout à surmonter les leurs, ils étaient peu susceptibles de nous offrir la coopération dont nous avons besoin.

Tout simplement, qu'il s'agisse des problèmes environnementaux ou—comme je l'ai vu à une autre occasion à Genève—qu'il s'agisse des échanges commerciaux et de leur apport avec l'environnement, une fois que vous êtes confrontés aux pays en développement et à leurs idées sur le commerce, vous constatez qu'il y a un lien très fort entre le développement et l'environnement.

Je pense donc que mon expérience tant à la Banque mondiale qu'au ministère de l'Environnement fait que je suis raisonnablement bien placé pour diriger cette institution.

Merci.

• 1120

Le président: Merci beaucoup, monsieur Good. Vous avez oublié de mentionner, bien sûr, l'un des moments les plus importants de votre carrière, soit lorsque vous avez comparu devant ce comité lorsque nous travaillions à notre rapport sur les IFI à Washington et que vous avez bien voulu venir nous parler. Et je vois que le professeur Helleiner vous accompagne aujourd'hui, lequel est un illustre économiste canadien et auteur du fameux rapport du Commonwealth sur les pays en développement. Je crois savoir qu'il a témoigné à cette même enquête, et nous retrouvons donc là une vieille équipe.

Bienvenue au comité.

J'ai Mme Debien, M. Robinson et Mme Augustine qui désirent poser des questions.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien: Bonjour, monsieur Good. Je vous souhaite la bienvenue à notre comité et vous offre également toutes nos félicitations pour votre nomination à titre de président de l'ACDI.

Dans un premier temps, je traiterai peut-être de la partie plus négative, mais il faut toujours voir les deux côtés de la médaille. On a souvent reproché à l'ACDI son éparpillement, son absence de contrôle des résultats et son côté un peu affairiste, souvent au détriment d'une réponse adéquate aux besoins fondamentaux, comme on le stipule dans la politique d'aide au développement.

J'imagine que vous souhaitez que l'ACDI atteigne un certain nombre d'objectifs sous votre gouverne. J'aimerais savoir quels sont ces objectifs.

M. Len Good: Premièrement, il faut comprendre ce qu'est l'ACDI. Cette institution a beaucoup souffert au cours des cinq dernières années en raison de toutes les réductions qu'elle a subies. Son enveloppe budgétaire a diminué de 3 milliards de dollars et elle n'a pas été en mesure de réaliser tous les projets qu'elle aurait souhaité mettre en oeuvre.

[Traduction]

J'ai vu à l'ACDI, comme dans d'autres ministères comme celui de l'Environnement, à quel point les coupures peuvent dévaster une institution. Dans le cas de l'ACDI, tous les programmes ou à peu près ont été amputés. Mais nous n'avons supprimé notre activité dans aucun pays, si bien qu'au cours de la période où le budget a sensiblement diminué, le nombre des projets auxquels l'ACDI participait a en fait augmenté. Et les ressources humaines ont en même temps été comprimées.

Nous avons perdu une bonne part de notre expertise scientifique et technique et ce n'est qu'au cours des 12 derniers mois, à peu près, que l'institution a eu la possibilité de souffler un peu et de commencer à réfléchir à ce qu'elle doit faire, tant dans les pays en développement qu'au niveau interne, pour devenir le genre d'institution qu'elle doit être pour réaliser les objectifs de développement que nous poursuivons tous.

[Français]

Je pourrais vous parler davantage des efforts que nous avons déployés en vue d'une mise à jour complète des systèmes informatiques dont nous disposons afin que nous puissions compiler des données qui nous permettront de faire des analyses stratégiques. Nous essayons également d'augmenter le nombre de personnes qui possèdent une expertise dans des domaines importants tels l'éducation, la gouvernance et l'agriculture. Nous ne sommes qu'au tout début de ce processus. C'est la voie vers laquelle se dirige notre institution.

[Traduction]

En même temps que nous remédions à ce genre de choses à l'intérieur, que nous édifions nos systèmes d'information de gestion, notre technologie et notre personnel technique, je pense que nous allons devoir repenser notre programme d'ensemble, les pays sur lesquels nous concentrons nos efforts, les raisons pour lesquelles nous le faisons, et nos modes de collaboration avec nos partenaires. Nous allons devoir passer en revue beaucoup de ces choses au cours de l'année prochaine, ce qui ne signifie pas nécessairement que nous ne faisons pas les choses qu'il faudrait actuellement, mais le moment me paraît venu de revoir tout cela.

• 1125

Le président: C'est tout?

Monsieur Robinson.

M. Svend Robinson: Merci.

Moi aussi je veux souhaiter la bienvenue à M. Good, et dans ce comité et dans ses nouvelles importantes fonctions de président de l'ACDI.

J'ai différentes questions. La première concerne l'impact des coupures, qui ont manifestement été dévastatrices et qui ont touché jusqu'à l'os, et nuit non seulement à la performance de l'ACDI mais aussi à notre réputation internationale, très franchement, de même qu'au moral du personnel. En parlant aux employés de l'organisation, j'ai constaté que les dernières années ont été plutôt infernales.

L'un des effets des coupures a été, crois-je savoir, un vieillissement sensible des effectifs de l'ACDI. J'aimerais savoir ce que vous projetez pour amener du sang neuf dans l'organisation avec, je l'espère, des ressources supplémentaires. Le premier ministre a personnellement parlé—je crois que c'était au Nigeria—de sa détermination à accroître les ressources. La ministre Minna s'est certainement engagée en ce sens et vous ne rencontrerez aucune opposition, en tout cas de ce côté-ci de la table, à une majoration significative de l'aide.

Mais j'aimerais savoir ce qui se fait sur le plan du moral et du vieillissement. Par ailleurs, je crois savoir que l'ACDI est l'un des ministères du gouvernement qui sous-traite le plus au secteur privé au lieu de se doter d'une expertise maison. Avez-vous des plans pour remédier à ces choses que critiquent certains analystes?

Je peux peut-être poser mes deux autres questions, ensuite de quoi M. Good pourra répondre.

Le président: Si Deepak était ici, il se féliciterait que l'ACDI sous-traite autant. Tout dépend si vous considérez la sous-traitance comme une bonne ou une mauvaise chose.

M. Svend Robinson: Il y a quelques problèmes de politique. Je sais que M. Good est au tout début de son mandat, et peut-être n'a-t-il pas eu l'occasion de se pencher sur ces aspects, et s'il ne l'a pas eu, il pourrait peut-être nous répondre plus tard.

Le premier est le rôle de l'ACDI à Cuba. Le gouvernement—le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères—ont annoncé au début de l'année ce qu'ils appellent un gel des relations avec Cuba. J'aimerais savoir quel impact cela a eu sur l'ACDI et plus particulièrement sur ses programmes à Cuba. Il y a là quelques projets excellents. OXFAM a un très bon projet. Il y en a plusieurs autres. Que cela signifie-t-il sur le plan de l'aide à Cuba?

Ma dernière question: les droits de la personne représentent l'un des six domaines prioritaires de l'ACDI. J'aimerais savoir si l'ACDI fait quelque chose sur la scène internationale en faveur des droits des homosexuels et lesbiennes, des bisexuels et transsexuels. C'est là une affaire de droits de la personne. Le Canada l'a reconnu aux Nations Unies. Plusieurs ONG font un travail très important dans ce domaine, et les difficultés ne manquent pas. Tout récemment, en Ouganda, le président Museveni a ordonné à ses fonctionnaires de rechercher et d'arrêter les homosexuels. Il y a quelques atteintes très sérieuses aux droits humains dans d'autres régions, pas seulement en Afrique. Les ONG travaillent dans ce domaine, notamment l'International Gay and Lesbian Human Rights Commission et d'autres, et j'aimerais savoir si cela fait partie de l'action de l'ACDI en faveur des droits de la personne et quels programmes elle finance aujourd'hui dans ce domaine.

M. Len Good: Pour ce qui est de la première question sur le moral et le vieillissement du personnel, vous avez raison de dire que les coupures ont atteint les employés et touché le moral. Je dois dire, cependant, que les résultats du sondage à l'échelle de la fonction publique publiés il y a quelques semaines classent l'ACDI dans le peloton des ministères. Et tout le monde, je pense, a été agréablement surpris que ces résultats soient réellement plutôt positifs. Les fonctionnaires se sont dits satisfaits de leur travail et avaient une attitude assez positive.

Évidemment, les gens étaient mécontents de certains aspects et ce à l'échelle de la fonction publique et pas seulement à l'ACDI, et nous essayons d'y apporter remède, mais de façon générale les résultats du sondage étaient bien meilleurs que ce que nous pouvions espérer par les temps qui courent.

• 1130

En tout cas l'ACDI, comme mon ancien ministère, celui de l'Environnement, oeuvre dans un domaine qui tend à attirer des gens dévoués et qui restent en place longtemps. Je dirais que la durée moyenne d'un emploi à l'ACDI, comme à l'Environnement, dépasse largement celle des autres ministères. Cela reflète l'intérêt qu'ils portent à leur travail, leur dévouement et leur capacité de garder bon moral même dans les périodes difficiles.

En ce qui concerne le vieillissement, je pense que vous avez raison. Mon Directeur des ressources humaines me disait l'autre jour que nous cherchons à recruter—et le faisons depuis deux ou trois ans, une quarantaine de jeunes diplômés universitaires chaque année, dans le cadre d'un programme de recrutement universitaire à l'échelle de la fonction publique. Cela nous apportera le sang neuf dont nous avons besoin. Je pense également que l'institution devra au fil du temps réévaluer la question du savoir-faire et des connaissances scientifiques internes. Il nous faudra probablement pour cela recruter du personnel à des niveaux autres que la sortie de l'université.

En ce qui concerne la sous-traitance, je ne suis pas bien sûr de bien comprendre votre question, car d'une certaine façon l'ACDI sous-traite tout. Nous avons 1 500 partenaires dans les universités canadiennes, les ONG, les entreprises, etc. et presque tout ce que fait l'ACDI sur le terrain est accompli par une agence d'exécution canadienne. Habituellement, cela suppose quelques relations contractuelles. Dans certains cas, il s'agit d'un contrat sur appel d'offres public, d'autres fois d'un contrat avec un fournisseur exclusif.

Comme vous le savez, les contrats inférieurs à 100 000 $ peuvent être à fournisseur unique, et ils sont assez nombreux.

Je sais qu'il y a eu un débat sur l'opportunité de procéder davantage par appel d'offres au lieu de recourir à des fournisseurs uniques pour les petits projets, et je compte que les entreprises et ONG canadiennes en parlerons abondamment au cours des prochains mois. Je compte me pencher sérieusement sur la question, mais il y a évidemment un compromis à trouver entre le nombre de marchés adjugés sur appel d'offres—une procédure assez longue—et l'efficience avec laquelle il faut s'attaquer à certains problèmes urgents et pressants. Il importe de trouver le juste équilibre. Je ne dis pas que nous ne l'avons pas aujourd'hui, mais je suis certainement intéressé à entendre les avis sur l'opportunité d'aller plus loin dans un sens ou dans l'autre.

En ce qui concerne votre question sur notre mandat en matière de droits de la personne et les droits des homosexuels et lesbiennes, je n'ai rien entendu à ce sujet au cours de mes quatre semaines à ce poste, mais cela ne signifie pas que cet aspect est exclu. Je vais certainement vérifier et je vous répondrai par écrit, si vous le voulez.

Je dois également m'excuser pour ce qui est de Cuba. Je ne suis pas réellement en mesure de vous donner une réponse précise à ce sujet.

M. Svend Robinson: J'imagine que vous pourrez nous répondre également par écrit à ce sujet.

M. Len Good: Absolument.

M. Svend Robinson: Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci.

J'ai noté le nom de Mme Augustine, et ensuite celui de M. Paradis et de M. Patry.

Mme Jean Augustine: Merci.

J'aimerais moi aussi faire part de mes voeux à M. Good dans ses nouvelles fonctions. Ma sympathie est acquise à quiconque est né en Angleterre, a fréquenté l'université de Toronto et a enseigné.

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]

Mme Jean Augustine: Eh bien, j'ai étudié à l'université de Toronto et j'ai enseigné.

Une voix: Mais il n'a pas vécu à Montréal.

• 1135

Mme Jean Augustine: Lorsqu'on commence dans un nouveau poste, on a le choix entre trois ou quatre voies. On peut faire plus de ceci, moins de cela, effectuer un virage à 180 degrés ou bien maintenir le cap. Dans quel mode êtes-vous, diriez-vous? Pourriez-nous nous indiquer quelques thèmes sur lesquels vous feriez plus ou moins, etc., d'après ce que vous avez vu et constaté jusqu'à présent?

Je crois que je vais poser ma deuxième question tout de suite, monsieur le président.

Il y a un débat en cours sur la pauvreté dans le monde, les pays donateurs et leurs responsabilités—et je vais peut-être poser ma question en termes généraux pour obtenir une réponse générale. Si l'objectif de la suppression de la pauvreté absolue est à notre portée et dans nos moyens, comment le disent le CCCI et un certain nombre d'ONG, comment envisagez-vous que l'ACDI s'y prendra pour oeuvrer dans ce sens? Qu'est-ce qui est abordable et à notre portée, et comment pouvons-nous réaliser cela?

Je m'intéresse à toutes sortes d'aspects, mais je ne les aborderai pas à ce stade, tels que le micro-crédit, l'éducation des filles, le VIH/SIDA, etc. Mais si vous pouviez commencer avec l'idée de faire plus ou moins sur tel ou tel plan, cela m'intéresserait.

M. Len Good: Lorsqu'on comparaît devant un comité comme celui-ci, le conseil est toujours de choisir ses mots prudemment et de faire attention à ce que l'on dit.

Le président: Ceci est une salle du conseil de guerre, monsieur Good.

Des voix: Oh, oh!

M. Len Good: Vous savez, je crois que je vais répondre à ces questions et à d'autres en disant la même chose qu'à ma propre équipe de gestion. En ce sens, c'est un langage brut. Je ne choisis pas particulièrement mes mots, je dis ce que je pense.

L'ACDI, à ce stade, est une institution surtout axée sur les projets. Elle mène actuellement un millier de projets en cours et je crois qu'elle contribue à tous ces domaines mentionnés dans la politique étrangère canadienne de 1995—les six priorités qui en découlent et que vous connaissez tous, j'en suis sûr.

Cela dit, lorsqu'on regarde ce qui se passe actuellement dans le monde du développement international, on décèle quelques tendances qui me paraissent encourageantes. Je crois que les deux dernières décennies d'aide au développement international ont enseigné à l'hémisphère nord en général, à nous tous, quelques leçons sur la façon de s'y prendre.

Si vous remontez au début des années 80, par exemple—ou même au-delà—il régnait alors un modèle de développement presque exclusivement axé sur le marché et l'économie. Tout au long des années 80, le FMI et la Banque mondiale ont mis en oeuvre ce modèle principalement par le biais du nouvel instrument qu'étaient les prêts à l'ajustement structurel.

Nous avons appris au fil des années 80 et du début des années 90 que la focalisation exclusive sur les marchés et l'économie est une erreur, que les pays en développement sont en fait influencé par beaucoup plus que les facteurs économiques. On ne peut ignorer les réalités sociales, on ne peut ignorer le contexte historique et on ne peut ignorer la vie politique. On ne peut ignorer l'environnement, on ne peut ignorer les femmes et on ne peut ignorer l'éducation élémentaire. Tout ce côté social était ignoré par notre modèle de développement.

Vers la fin des années 80 et au début des années 90, cela a commencé à changer. Nous avons vu les institutions financières internationales—certainement la Banque mondiale et aussi les banques de développement régionales, mais peut-être un peu moins le FMI, encore que cela change—tirer ensemble les leçons de ces 15 à 20 années d'expérience. Ces leçons sont aujourd'hui rassemblées dans un document publié l'an dernier par la Banque mondiale, intitulé Un cadre de développement intégré. Il rassemble les leçons des 20 dernières années.

• 1140

Je ne vais pas les passer en revue toutes, mais parmi ces leçons figurent quelques-unes en rapport avec votre question.

L'une est que, pour que le développement marche, les donateurs doivent collaborer entre eux, collaborer avec le gouvernement du pays en développement, et collaborer avec la société civile du pays en développement. De tous ces acteurs, c'est le pays en développement qui devrait déterminer les stratégies et les programmes.

Je crains un peu que l'ACDI, orientée sur les projets comme elle l'est, ne tienne pas compte de ces leçons. En tant qu'institution, je pense que nous ne collaborons pas autant qu'il le faudrait avec les autres donateurs et avec les pays en développement. Nous le faisons, mais nous pourrions le faire plus. À ce stade, au lieu de dire simplement qu'il faudrait plus de ceci et moins de cela dans tel ou tel domaine, nous devrions prêter attention davantage à la façon dont nous collaborons avec les pays donateurs, avec la société civile. Nous devons nous concerter davantage avec eux dans les principaux pays où nous sommes présents.

Néanmoins, le Canada apporte à la table sa connaissance et son savoir-faire, par le biais de ces 1 500 partenaires dont j'ai parlé. Nous allons faire appel à ces partenaires, mais la façon dont nous nous y prendrons, la façon dont tout cela s'intégrera avec les programmes des autres donateurs, nous devrons y réfléchir davantage dans les mois à venir.

La pauvreté dans le monde représente le thème général, vous avez raison. Mais nous ne pourrons agir sur la pauvreté dans le monde avec les ressources que nous apportons à la table, qui restent relativement faibles même avec l'augmentation promise. Par conséquent, notre contribution tiendra à la façon dont nous utilisons ces ressources—des façons créatives et novatrices de faire les choses, le savoir que nous apportons. Je pense que ce sera la façon dont nous faisons les choses, la façon dont nous travaillons avec les autres partenaires, plutôt que les montants eux-mêmes, qui représenteront notre contribution majeure.

Le président: Merci.

Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry: Monsieur Good, je vous remercie d'être avec nous ce matin et je vous félicite de votre nomination. Vous avez une feuille de route très impressionnante.

Lorsque je me penche sur les documents qui nous ont été soumis et que je regarde la situation actuelle de l'ACDI, je suis complètement d'accord qu'elle a actuellement un bilan très décevant. Parmi toutes les agences du gouvernement fédéral, cette agence a probablement été celle qui a le plus subi de compressions budgétaires.

Vous nous avez dit que 0,8 p. 100 de l'aide bilatérale est investie en soins de santé, 0,9 p. 100 en démographie et 2,9 p. 100 en éducation. On constate toutefois que le Canada lie plus de 68 p. 100 de son aide bilatérale à l'achat de biens et services canadiens.

L'ACDI ne devrait-elle pas et peut-elle, selon sa régie interne, diminuer ou cesser de lier l'allocation de l'aide à la promotion des intérêts commerciaux canadiens? Si, lors du prochain budget fédéral, le Père Noël passait et que le gouvernement du Canada augmentait substantiellement son APD, quelles seraient vos priorités?

M. Len Good: Je crois que l'aide est actuellement liée à 50 p. 100 pour les pays les plus pauvres, tandis qu'elle l'est jusqu'à 33 p. 100 dans les pays moins pauvres. Il y a les deux niveaux d'aide liée. L'aide est moins liée dans le cas des pays les plus pauvres. Il est clair qu'on reconnaît le fait que l'aide liée n'est pas dans le meilleur intérêt des pays les plus pauvres.

• 1145

Depuis quelque temps, l'ACDI et le gouvernement du Canada jugent qu'il serait utile de réduire la proportion d'aide liée. Il est toutefois presque impossible de le faire unilatéralement. Nous négocions depuis un an avec les autres pays afin d'en arriver à une entente relative à sa réduction. Bien que les récentes négociations n'aient pas été fructueuses et que nous soyons dans une impasse, nous continuerons nos discussions avec les autres pays parce que nous reconnaissons que l'aide liée n'est pas vraiment dans l'intérêt des pays les plus pauvres.

[Traduction]

M. Bernard Patry: Et le père Noël? Si le père Noël augmentait le budget de l'ACDI, quelles seraient vos priorités pour l'année qui vient ou les deux prochaines années?

M. Len Good: Dans un certain nombre de discours de notre ministre Minna, encore qu'elle continue à affiner ses vues sur l'utilisation à faire des fonds supplémentaires, il est clair qu'elle met l'accent sur la santé. Elle tient beaucoup à faire plus pour lutter contre le VIH et le SIDA. Elle a beaucoup parlé de la transmission du SIDA de mère à enfant et de tous les orphelins qui en résultent. Elle a dit attacher de l'importance au financement des micronutriments.

Malheureusement, elle ne pourra prononcer son discours du déjeuner devant le CCCI, lequel vient de publier un rapport sur la réalité du SIDA et l'éducation. Dans ce discours, qui sera certainement rendu public, elle met beaucoup l'accent sur l'éducation, particulièrement primaire.

[Français]

M. Bernard Patry: Merci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Paradis.

M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Tout d'abord, je vous félicite de votre nomination et vous souhaite la bienvenue au comité. J'aimerais soulever trois points.

On connaît les liens étroits qui existent entre les pays de la Francophonie et l'ACDI. J'aimerais connaître votre vision de vos rapports avec ces pays. J'ai eu l'occasion d'assister au sommet d'Hanoi, au Vietnam, et à celui de Moncton. J'ai pu constater que l'ACDI était bien présente dans les pays de la Francophonie.

J'aimerais vous poser une question semblable au sujet de la sécurité de la personne, human security. L'ACDI est assez active dans les dossiers liés à la sécurité de la personne, y compris dans celui des mines antipersonnel. Quelle est votre vision de ces dossiers?

On retrouve au sein de l'ACDI une direction générale des communications où travaillent une cinquantaine de personnes. S'il est une chose dont les Canadiens sont fiers, c'est bien l'aide humanitaire, la présence de l'ACDI et nos réalisations à ce chapitre partout dans le monde. Je ne sais pas ce que font ces 50 personnes et j'ai l'impression que leur travail est peu connu à l'intérieur du pays. Quelles sont vos intentions par rapport aux communications internes?

M. Len Good: Je m'excuse, mais je n'ai que peu de chose à dire au sujet de la Francophonie et de notre programme en la matière. Vous avez raison de dire que nous l'appuyons fortement, et nous continuerons à le faire. Notre ministre était à Moncton et elle appuie d'emblée nos programmes dans ce domaine.

• 1150

La sécurité humaine est un sujet très intéressant et elle représente un domaine relativement nouveau pour l'ACDI. C'est un dossier que veut faire avancer le ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy. L'ACDI aborde ce défi avec enthousiasme et a l'intention de travailler étroitement avec le ministre au cours des prochaines années. Tout comme les questions liées à l'environnement et au libre-échange, il s'agit d'une possibilité d'élargissement de notre programme qui s'est manifestée en 1999. Nous examinons actuellement le programme traditionnel de l'ACDI et l'opportunité d'y apporter des changements.

En ce qui concerne les communications, vous avez raison de dire que tout le monde a l'impression qu'on n'a pas beaucoup impressionné le peuple canadien quant à nos réalisations. Nous essayons de pallier cette situation. Il faut avouer qu'à moins que ne surgisse une crise humanitaire, les médias s'intéressent peu à notre travail. Nous faisons actuellement un travail de sensibilisation auprès des jeunes dans les écoles. La ministre travaille également en collaboration avec notre personnel à l'élaboration d'une stratégie de communication afin d'améliorer la situation. Mais ce n'est pas chose facile.

M. Denis Paradis: Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Good. Je vais poser une question très injuste, après un préambule tout aussi injuste car je ne nommerai pas la source.

Un haut fonctionnaire international m'a dit récemment que l'une des raisons pour lesquelles l'aide canadienne était tellement en baisse est que les autorités n'ont pas la compétence et l'ACDI pas la capacité voulue pour administrer correctement cette aide. Selon votre expérience en tant que directeur exécutif de la Banque mondiale, diriez-vous que la Banque mondiale partage cet avis? En tant que directeur exécutif de la Banque mondiale, si vous réoccupiez ce siège, où placeriez-vous l'ACDI dans le classement des autres institutions de développement international?

Il me semble que si nous voulons que le public canadien accepte de nous ramener au niveau de 7 p. 100 et que le contribuable canadien finance cela, nous allons devoir les convaincre que nous avons le meilleur outil d'exécution possible. Ce sera manifestement votre tâche et celle de la ministre de faire cela dans les quelques années qui viennent. Peut-être pourriez-vous me dire, du haut de votre expérience à la Banque mondiale, comment l'ACDI se classe parmi les autres organismes de développement international, afin que nous sachions à tout le moins où nous en sommes.

M. Len Good: Il est vrai que sur le plan des ressources financières disponibles nous avons reculé par rapport à quelques autres pays. Nous espérons redresser cela. Évidemment, lorsqu'on descend dans l'échelle des contributions financières, on perd un peu de crédibilité et de prestige, ce qui est tout à fait indépendant de la capacité d'administrer.

En ce qui concerne cette dernière, je vais me répéter un peu mais c'est une réflexion fondamentale. L'ACDI possède une grande capacité à administrer. Nos projets sont extrêmement bien administrés. Nous avons opté pour la gestion axée sur les résultats, et selon les normes de cette dernière, vous constaterez que tous nos projets sont solides et contribuent largement aux objectifs de développement.

Comme je l'ai dit, si l'on y réfléchit un peu plus loin, la question reste quand même de savoir dans quelle mesure nous avons stratégiquement focalisé notre réflexion, nos activités et nos ressources. Je crois que cette question se pose toujours.

• 1155

Permettez-moi de vous donner un exemple, l'édification de capacité. Nous parlons de renforcer la capacité des pays en développement et un certain nombre de grands projets de l'ACDI visent cet objectif. Au fur et à mesure que nous avançons dans d'autres domaines comme l'environnement, avec tous ces accords internationaux multilatéraux sur l'ozone ou le changement climatique, les pays en développement nous disent qu'ils manquent de capacité. Nous avons la capacité de contribuer à l'édifier.

Dans un domaine comme les échanges commerciaux, la raison pour laquelle les pays en développement sont aussi désenchantés vis-à-vis de l'OMC est qu'ils ne la comprennent pas réellement; ils ne voient pas les possibilités.

Le président: Je pense qu'après Seattle, plus personne ne comprend l'OMC, et encore moins tous ceux d'entre nous qui y étaient. Quoi qu'il en soit...

Des voix: Oh, oh!

M. Len Good: Ils ont laissé passer beaucoup d'occasions qu'offrait l'Uruguay Round et ils doivent réfléchir plus avant à ce qu'ils retireront du prochain cycle de négociations lorsque celui-ci reprendra. Et encore une fois, ils ont besoin de capacités.

La raison pour laquelle je dis tout cela est que l'édification de capacité est un thème qui sous-tend beaucoup de ce que nous faisons et des besoins qu'éprouvent les pays en développement, mais je ne pense pas que, en tant que pays et institution, nous ayons donné à l'édification de capacité le profil qu'il faudrait. Le Canada n'est pas perçu, et l'ACDI n'est pas perçue, comme un chef de file en la matière.

Cela est dû en partie au fait que nos projets sont diversifiés et dispersés. Nous devons les rationaliser. Nous devons nous demander ce qui manque. Nous devons augmenter le profil. Je pense que, dans cette mesure, nous obtiendrons de meilleurs résultats et, pour en revenir à la question des communications, nous communiquerons bien mieux, car il est très difficile de communiquer les avantages de milliers de projets, et à ce stade nos six priorités recouvrent un champ très vaste.

Mais ce n'est pas un problème de capacité, monsieur.

Le président: C'est là une série de questions difficiles et nous y reviendrons à l'avenir.

Je peux vous assurer que... Vous avez peut-être vu le programme de politique étrangère que le Parti réformiste vient de publier, mais il prévoit de tailler à la hache dans l'ACDI. Mais hormis la position du Parti réformiste, vous trouverez probablement autour de cette table le désir de tous les partis de voir l'ACDI réussir et de redonner un peu de lustre à notre programme d'aide étrangère, tant sur le plan de la capacité de l'ACDI à l'exécuter que sur le plan des montants que nous y consacrons.

Nous vous souhaitons réellement bonne chance dans vos nouvelles fonctions, monsieur Good, et sommes tous désireux de travailler avec vous dans les années qui viennent.

Le comité directeur se réunit cet après-midi à 15 h 30 et le comité plénier jeudi prochain. Merci beaucoup.