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JURI Rapport du Comité

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CHAPITRE 2 : CONTEXTE LÉGISLATIF

INTRODUCTION

Conduire en état d'ivresse un véhicule à moteur constitue une infraction en vertu du Code criminel du Canada depuis le début du siècle, même s'il a fallu attendre longtemps pour que la conduite avec facultés affaiblies soit identifiée comme une cause majeure évitable de morts et de lésions sur les routes canadiennes. Depuis la fin des années 60, toutefois, on a consacré beaucoup d'efforts à prévenir, à repérer et à poursuivre en justice les cas de conduite avec facultés affaiblies, afin de réduire le nombre élevé des accidents de voiture causant au Canada la mort ou de sérieuses blessures. Le présent chapitre passera en revue la réponse du Parlement à ce problème au cours des 30 dernières années, de même que quelques-unes des mesures législatives et administratives prises par les provinces et les territoires.

LA CONDUITE AVEC FACULTÉS AFFAIBLIES ET LE CODE CRIMINEL1

Le Code criminel interdit à quiconque de conduire un véhicule lorsque sa capacité de le faire est affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue. C'est également une infraction de conduire lorsque son alcoolémie dépasse 80 mg/100 ml de sang. S'il y a condamnation, les sanctions comprennent une interdiction obligatoire de conduire en plus de l'amende ou de la peine d'emprisonnement applicable, les récidivistes encourant des peines croissantes. Les condamnations pour conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort peuvent entraîner des peines sensiblement plus graves. Pour permettre aux organismes d'application de la loi de recueillir des preuves, le Code criminel habilite la police à exiger un échantillon d'haleine ou de sang, lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un conducteur est en état d'ébriété. Comme incitatif, le défaut ou refus de fournir un échantillon constitue une infraction punissable de la même façon que la conduite avec facultés affaiblies ou avec une alcoolémie supérieure à la limite légale. Depuis que l'analyse d'haleine est devenue partie intégrante du droit criminel au Canada, il y a 30 ans, la mesure législative a fait l'objet de quelques raffinements. Ainsi, les policiers peuvent maintenant exiger un échantillon d'haleine sur place, s'ils soupçonnent un conducteur d'être enivré. Ils peuvent également réclamer la délivrance d'un télémandat les autorisant à faire prélever des échantillons de sang d'un conducteur impliqué dans un grave accident si ledit conducteur est incapable de donner son consentement en raison de son état.

ANTÉCÉDENTS LÉGISLATIFS FÉDÉRAUX

La conduite d'un véhicule à moteur sous l'influence de l'alcool a été ajoutée au Code criminel en 1921 en tant qu'infraction punissable par procédure sommaire2. En 1925, la disposition était modifiée de façon à établir comme infraction punissable par procédure sommaire le fait de conduire en état d'ébriété sous l'influence d'un narcotique3. En 1930, la conduite en état d'ébriété ou sous l'influence d'un narcotique est devenue une infraction hybride, la Couronne pouvant procéder par mise en accusation pour les cas les plus graves4. L'article précurseur du 253 tel qu'il existe actuellement dans le Code criminel a été adopté en 1951 sous la forme d'une infraction hybride de conduite avec facultés affaiblies par l'effet de l'alcool ou d'une drogue5. La peine prévue pour une première infraction était une amende d'au moins 50 $ et d'au plus 500 $ ou 3 mois d'emprisonnement, ou les deux. Pour une deuxième infraction, la peine variait entre 14 jours et 3 mois d'emprisonnement, alors qu'une infraction subséquente était punissable d'un emprisonnement allant de 3 mois à une année.

Des modifications exhaustives ont été apportées en 1969 au Code criminel, lorsque le Parlement a adopté l'infraction « proprement dite », la conduite avec une alcoolémie supérieure à 80 mg/100 ml de sang6. Le refus de fournir un échantillon d'haleine à la demande d'un policier a été criminalisé au même moment, les deux occurrences étant à l'origine des infractions punissables par procédure sommaire entraînant une amende minimale obligatoire de 50 $. On en a fait en 1976 des infractions hybrides assorties de sanctions identiques à celles de la conduite avec facultés affaiblies, des peines plus graves étant prévues pour la récidive7. Par la même occasion, les appareils de détection sur place ont été autorisés, ce qui habilitait un policier à ordonner la prise d'un échantillon d'haleine s'il avait des motifs raisonnables de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme d'un conducteur. Le refus d'obtempérer est devenu une infraction hybride assortie de sanctions identiques à la conduite avec facultés affaiblies. La même législation a engendré l'absolution pour désintoxication, mesure du Code criminel que l'on retrouve maintenant au paragraphe 255(5).

Les dispositions sur la conduite avec facultés affaiblies ont de nouveau fait l'objet d'une modification en 1985 de façon à autoriser les télémandats pour l'obtention d'échantillons de sang, lorsqu'un suspect impliqué dans un accident ayant causé des lésions corporelles ou la mort est incapable de consentir au prélèvement. En même temps, les peines maximales pour la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles et la conduite avec facultés affaiblies causant la mort sont passées respectivement à 10 et à 14 ans d'emprisonnement8. Les modifications de 1985 ont établi des peines encore en vigueur aujourd'hui pour la conduite avec facultés affaiblies, l'infraction de responsabilité absolue de conduite avec une alcoolémie de 80 mg/100 ml de sang et le refus de fournir un échantillon d'haleine. La peine obligatoire minimale rattachée à l'une ou l'autre de ces infractions est de 300 $ d'amende pour la première infraction, de 14 jours d'emprisonnement pour une seconde infraction et d'un emprisonnement de 90 jours pour chaque infraction subséquente. Les peines maximales sur déclaration par procédure sommaire ou mise en accusation sont l'emprisonnement pour six mois et cinq ans respectivement. C'est aussi en 1985 qu'ont été adoptées les actuelles interdictions obligatoires minimales de trois mois, six mois et une année respectivement pour la première infraction, la deuxième et les subséquentes. Même si une interdiction maximale de conduire pendant 3 ans était possible depuis 19389, les modifications de 1985 ont augmenté la période maximale d'interdiction à 10 ans après condamnation pour conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort.

C'est en 1985 qu'a lieu le dernier grand remaniement des dispositions sur la conduite en état d'ébriété du Code criminel, mais d'autres modifications ont été apportées dans les années 90. Ainsi, la limite initiale de deux heures pour l'obtention de télémandats à l'égard des échantillons de sang a été portée à quatre heures10. Des modifications subséquentes ont permis de préciser que les interdictions de conduire ne commencent pas à courir avant que le contrevenant n'ait purgé toute peine d'emprisonnement imposée pour la même infraction11. Malgré l'évolution de la législation fédérale, bon nombre de participants au processus d'examen du Comité ont fait valoir que la loi dans son état actuel était inefficace et boiteuse. Comme on le verra plus loin, ces personnes ont recommandé de nombreuses modifications au Code criminel à l'égard de problèmes précis.

MESURES PROVINCIALES ET TERRITORIALES

Une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies en vertu du Code criminel peut en soi entraîner de graves conséquences, mais l'accusé s'expose régulièrement à des sanctions supplémentaires. En effet, la plupart des provinces et des territoires ont institué des contrôles ou des peines administratives afin de pouvoir sévir contre les conducteurs ivres présumés et reconnus, certaines de ces mesures pouvant prendre effet immédiatement et indépendamment de toute condamnation en vertu du Code criminel.

A. Suspension du permis de conduire

Ainsi, la plupart des administrations imposent une suspension de permis d'au moins un an par suite d'une condamnation aux termes du Code criminel12. En outre, certaines appliquent, indépendamment d'une condamnation pour infraction au Code criminel, une suspension à court terme par suite d'un échec ou d'un refus concernant l'alcootest. Au Manitoba, le Code de la route impose une suspension administrative automatique de trois mois aux conducteurs qui refusent de se soumettre à un alcootest ou à ceux dont l'alcoolémie est supérieure à 0,0813. De même, le Motor Vehicle Act de la Colombie-Britannique autorise un agent de police à imposer une interdiction de 90 jours pour un refus d'obtempérer ou une alcoolémie supérieure à 80 mg/100 ml de sang. L'interdiction prend effet 21 jours après le fait, intervalle au cours duquel le conducteur peut demander révision14. Le Code de la route de l'Ontario contient des dispositions semblables, qui viennent tout récemment d'être confirmées par la Cour d'appel de l'Ontario.

B. Limites inférieures d'alcoolémie

La plupart des provinces ont également autorisé l'imposition de courtes périodes de suspension de permis pour les personnes dont l'alcoolémie est supérieure à 50 mg mais inférieure à la limite de 80 mg prévue au Code criminel15. Cette façon de procéder a pour but de permettre aux policiers de suspendre un permis de conduire sur place pour une période allant jusqu'à 24 heures, dans l'espoir d'éviter une infraction de conduite avec facultés affaiblies. En outre, plusieurs provinces imposent la règle de tolérance zéro dans le cadre de leur programme de permis de conduire par étapes, l'Ontario étant apparemment la seule administration qui prévoit une limite d'alcoolémie inférieure également pour les conducteurs surveillants16. Les conducteurs ontariens débutants qui enfreignent cette règle sont passibles d'une suspension de 30 jours et d'une amende17. Pour leur part, les conducteurs québécois risquent une suspension de permis de 15 jours18.

C. Saisie et mise en fourrière d'un véhicule

La majorité des provinces ont par ailleurs adopté des mesures de saisie et mise en fourrière des véhicules conduits par des personnes sous le coup d'une interdiction de conduire ou d'une suspension de permis19. Même si d'ordinaire elles ne ciblent pas précisément les conducteurs ivres, cette mesure est considérée comme un important outil pour assurer la conformité aux restrictions fédérales et provinciales découlant souvent des condamnations pour conduite avec facultés affaiblies. Depuis 1989, le Code de la route du Manitoba autorise la saisie et la retenue pendant 30 jours du véhicule à moteur des conducteurs suspendus20. L'Ontario a adopté le 16 février 1999 de semblables contre-mesures visant les conducteurs sous le coup d'une suspension21. Depuis décembre 1997, le Code de la sécurité routière du Québec prévoit la saisie immédiate et la mise en fourrière d'un véhicule routier pour une durée de 30 jours, lorsque le conducteur est sous le coup d'une sanction visant son permis de conduire relative à la capacité de conduire avec facultés affaiblies22.

D. Évaluation et traitement

Un certain nombre d'administrations exigent maintenant une évaluation ou un traitement pour alcoolisme ou toxicomanie comme condition du rétablissement du permis, après une période de suspension découlant d'une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies. Au Manitoba, par exemple, les conducteurs doivent se présenter à la Fondation manitobaine de lutte contre les dépendances pour y subir une évaluation et suivre le traitement éventuellement exigé, avant d'être autorisés à récupérer leur permis une fois expirée la suspension imposée par le Code de la route23. Le Code de sécurité routière du Québec exige que le conducteur reconnu coupable de capacité de conduire avec facultés affaiblies réussisse un programme d'éducation concernant la consommation d'alcool et de drogue; en cas de récidive, le contrevenant doit passer avec succès une évaluation avant la délivrance d'un nouveau permis24. En Ontario, les contrevenants primaires condamnés après le 30 septembre 1998 doivent réussir un programme d'éducation avant de ravoir leur permis. Les récidivistes doivent pour leur part faire l'objet d'une évaluation et suivre un programme d'éducation ou subir un traitement25.

E. Dispositifs antidémarrage

Lorsqu'un dispositif de verrouillage du système de démarrage est installé dans un véhicule à moteur, le conducteur doit fournir un échantillon d'haleine avant de pouvoir démarrer. Si l'échantillon révèle que l'alcoolémie du conducteur dépasse une limite préétablie, le système sera bloqué et le véhicule ne pourra être mis en marche. Les premiers modèles de ces dispositifs étaient peut-être faciles à déjouer, mais les récents développements technologiques semblent avoir réglé les problèmes26. Selon un représentant du fournisseur, l'utilisation d'antidémarreurs « fait généralement partie d'un programme de contrôle et de supervision étroite, administré par des fonctionnaires de la cour en vertu d'une ordonnance de probation ou par une autorité des permis de conduire, et dont le respect est une condition du rétablissement du droit de conduire »27. En 1990, l'Alberta lançait le premier programme pilote canadien d'antidémarrage avec ethylomètre pour les récidivistes. Les résultats préliminaires d'une évaluation du programme par la Fondation de recherches sur les blessures de la route (FRBR) révèlent un important effet positif, les participants affichant un taux de récidive plus faible et de plus fortes probabilités de survie que les autres contrevenants28. Le programme est maintenant offert à quiconque est reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies en Alberta, une fois terminée la période d'interdiction imposée par le tribunal (Code criminel) alors que le conducteur est toujours sous le coup d'une suspension provinciale de son permis29. Depuis décembre 1997, le Code de la sécurité routière du Québec prévoit la possibilité de l'émission d'un permis restreint à la condition que le véhicule du contrevenant soit muni d'un dispositif pouvant mesurer le taux d'alcool et empêcher la mise en marche30.

Dans l'exercice de leurs pouvoirs constitutionnels en matière de permis de conduire et de voies publiques, plusieurs administrations ont adopté des contre-mesures détaillées. Même s'ils sont loin d'être uniformes au Canada, ces programmes législatifs et administratifs viennent compléter les sanctions du Code criminel en imposant des contrôles supplémentaires au besoin et en fournissant de solides incitatifs pour un changement de comportement chez les conducteurs ivres.


1 L.R.C. 1985, ch. C-46.

2 Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1921, ch. 25.

3 Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1925 ch. 38.

4 Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1930, ch. 11.

5 Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1951, ch. 47.

6 Loi modifiant le droit pénal, S.C. 1968-1969, ch. 38.

7 Loi de 1975 modifiant le droit criminel, S.C. 1974-1975-1976, ch. 93.

8 Loi modifiant le droit pénal, S.C. 1985, ch. 19.

9 Loi modifiant le Code criminel, S.C. 1938, ch. 44.

10 Loi modifiant la législation pénale, S.C. 1994, ch. 44.

11 Loi de 1996 visant à améliorer la législation pénale, S.C. 1997, ch. 18.

12 « La conduite avec facultés affaiblies au Canada, 1996 », Juristat, Statistique Canada, catalogue no 85-002-XPF, vol. 7 no 12, p. 11.

13 Ministre de la Justice et procureur général du Manitoba, mémoire au Comité, p. 1.

14 Roger Cutler, avocat de la Couronne, mémoire au Comité.

15 « La conduite avec facultés affaiblies au Canada, 1996 », Juristat, Statistique Canada, catalogue no 85-002-XPF, vol. 17 no 12, p. 11. À partir d'octobre 1997, des suspensions temporaires sur place pouvaient être imposées en Saskatchewan à 40 mg.

16 Stan Griffin, Bureau d'assurance du Canada, procès-verbal du 2 mars 1999, 1000.

17 Ministre des Transports de l'Ontario, mémoire au Comité, p. 16.

18 Ministre de la Sécurité publique du Québec, mémoire au Comité, p. 1.

19 « Conduite avec facultés affaiblies au Canada, 1996 », Juristat, Statistique Canada, catalogue no 85-002-XPF, vol. 17, no 12, p. 12.

20 Ministre de la Justice et procureur général du Manitoba, mémoire au Comité, p. 3.

21 Ministre des Transports de l'Ontario, mémoire au Comité, p. 15.

22 Ministre de la Sécurité publique du Québec, mémoire au Comité, p. 2.

23 Ministre de la Justice et procureur général du Manitoba, mémoire au Comité, p. 2. Le conducteur frappé d'une suspension doit également payer les 270 $ que coûte l'évaluation.

24 Ministre de la Sécurité publique du Québec, mémoire au Comité, p. 1.

25 Ministre des Transports de l'Ontario, mémoire au Comité, p. 15. Le conducteur sous le coup d'une suspension assume le coût du traitement.

26 Alcohol Ignition Interlocks, Fondation de recherches sur les blessures de la route, février 1996, p. 1.

27 Ian Marples, Guardian Interlock Systems, procès-verbal du 9 mars 1999, 0950.

28 D.J. Bierness, P.M. Marques, R.B. Voas, et S. Tippets, Evaluation of the Alberta Ignition Interlock Program: Preliminary Results, septembre 1997, p. 5.

29 Ministre de la Justice et procureur général de l'Alberta, mémoire au Comité, p. 2.

30 Ministre de la Sécurité publique du Québec, mémoire au Comité, p. 1.