Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Questions touchant la présidence : commentaires mettant en cause l’intégrité et l’impartialité de la présidence — vice-président adjoint des comités pléniers — question de privilège paraissant fondée à première vue

Débats, p. 17404-17405

Contexte

Le 16 mars 1993, M. Gilles Bernier (Beauce) soulève une question de privilège au sujet de propos qu’aurait tenus M. Benoît Tremblay (Rosemont) à l’égard du vice-président adjoint des comités pléniers (M. Charles DeBlois). Les remarques en question ont été faites à l’occasion d’une réunion publique et publiées dans l’édition du 14 mars 1993 de l’hebdomadaire Beauport-Express. M. Tremblay aurait dit : « Charles DeBlois, qui est un des vice-présidents de la Chambre, est devenu l’instrument de collusion pour limiter le droit de parole de notre parti à Ottawa ». M. Bernier soutient que M. Tremblay doit retirer ses propos et présenter des excuses pour avoir semé le doute quant à l’intégrité et à l’impartialité de l’institution de la présidence. Le Président déclare que puisque M. Tremblay n’est pas présent à la Chambre, il convient sans doute qu’il s’entretienne d’abord avec lui, après quoi on pourra donner suite à la question à la Chambre[1].

Le 23 mars 1993, le Président informe la Chambre qu’après certaines discussions, il estime approprié d’entendre M. Tremblay. Ce-dernier indique que la phrase en question a été citée hors contexte dans le journal. Il ajoute qu’il a aussi dit, au cours de cette réunion, qu’en acceptant sa nomination, le vice-président adjoint des comités pléniers « se retrouvait en position d’appliquer des règles de non-reconnaissance du Bloc québécois, qui ont été votées par les partis politiques traditionnels ici ». En ce qui a trait à l’utilisation du mot « collusion » dans la phrase citée, M. Tremblay concède qu’il aurait peut-être dû utiliser « coalition », étant donné que « collusion » fait appel à une entente plutôt secrète. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell) et M. Bernier s’élèvent tous deux contre la déclaration de M. Tremblay. Compte tenu du refus de ce dernier d’admettre son erreur ou de retirer ses propos, M. Bernier présente à la Chambre le texte d’une motion portant renvoi de la question à un comité, motion qu’il a l’intention de proposer si le Président considère que la question de privilège paraît fondée à première vue. D’autres députés interviennent également à ce sujet[2]. Le Président rend immédiatement une décision, reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Naturellement, une situation comme celle-ci est nettement difficile, non seulement pour le Président et pour le député, mais aussi pour la Chambre.

J’ai écouté avec soin l’intervention de l’honorable député de Rosemont. Je pense qu’il a peut-être donné une explication des circonstances selon lesquelles il a fait les remarques qui ont été citées dans le journal en question.

J’ai toutefois une certaine difficulté avec les faits, car il est clair que si nous ne considérons que les mots cités dans le journal, ceux-ci, à mon avis, sont inacceptables pour la Chambre. Si nous ne considérons que les mots, il s’agit clairement d’un cas prima facie se rapportant à la dignité de cette Chambre et de notre collègue, parce que notre collègue en est un officier. Comme l’honorable député de Glengarry—Prescott—Russell l’a déclaré, il est, au même titre que le Président, un officier de cette Chambre, et une attaque contre l’intégrité de la personne occupant cette position est une attaque contre cette Chambre.

Comme je l’ai dit, j’ai écouté l’intervention de notre collègue, l’honorable député de Rosemont. À mon avis, le problème origine probablement de la situation concernant la position du Bloc parmi tous les autres députés. Je comprends bien qu’il y ait eu continuellement des plaintes de certains députés du Bloc québécois concernant leur position, leur statut comme parti dans cette Chambre.

Il est toutefois absolument nécessaire que tous les députés, et le public également, comprennent bien que la décision concernant le statut des membres du Bloc québécois n’a pas été prise par le Président, pas plus que par notre collègue.

Si l’honorable député de Rosemont voulait maintenant accepter cette distinction et par conséquent peut-être retirer ce matin ces remarques faites à l’endroit du Président — et je suis votre Président comme je le suis pour tous les autres députés — cela serait acceptable.

Mais compte tenu des circonstances, je crois que pour la relation entre les députés du Bloc et les autres députés de la Chambre, il serait tout à fait approprié de retirer absolument les propos cités dans le journal.

Si nous avons une telle rétractation, il serait préférable qu’elle soit faite ici. Donc, j’inviterais l’honorable député de Rosemont à prendre en considération les remarques du Président et peut-être qu’après un moment de réflexion il lui serait loisible de retirer absolument les remarques qui ont été citées dans le journal.

Note de la rédaction

M. Tremblay soutient ensuite qu’il a fait savoir clairement qu’il ne blâmait pas le Président d’avoir décidé de ne pas reconnaître le Bloc québécois. Il ajoute qu’il n’accepte pas que le vice-président adjoint des comités pléniers ait sciemment choisi d’accepter cette position, ce qui reviendrait à appliquer les règles qui ne permettent pas la reconnaissance du Bloc québécois[3]. Le Président poursuit.

M. le Président : Tout d’abord, je tiens à remercier l’honorable député pour son intervention, ainsi que son explication, mais il subsiste encore un problème. Je pense que nous faisons face à une situation dans laquelle se trouve l’honorable député de Rosemont, avec certaines raisons, certes, — et il n’est peut-être pas impossible de les comprendre, spécialement en politique — mais, à mon avis, je pense que nous sommes confrontés à une situation qui, à sa face même, est difficile pour la Chambre.

Par conséquent, puisque j’ai constaté qu’il y a présomptions suffisantes, je soumettrai donc la motion du député de Beauce à la Chambre. Le comité et la Chambre devront alors prendre une décision. Le député de Rosemont aura, bien entendu, l’occasion de discuter de la question avec ses collègues à la Chambre et au comité.

Il se pourrait que cette discussion soit fructueuse en ce sens qu’elle pourrait modifier l’attitude générale des députés entre eux. Je crois vraiment que c’est à la Chambre de décider.

Note de la rédaction

Le Président met aux voix la motion suivante de M. Bernier appuyée par M. Jean-Marc Robitaille (Terrebonne) :

Que la question des propos tenus par M. Tremblay, député de Rosemont, à l’endroit de M. DeBlois, député de Beauport-Montmorency-Orléans et vice-président adjoint des comités pléniers de la Chambre, tels que rapportés dans l’édition du 14 mars 1993 du journal Beauport-Express, soit renvoyée au Comité permanent de la gestion de la Chambre[4].

Immédiatement après l’adoption de la motion, M. Tremblay interroge le Président sur les raisons de sa décision. Le Président déclare :

M. le Président : Mon collègue, l’honorable député de Rosemont comprendra qu’il n’est pas approprié pour le Président de donner une explication après qu’il ait rendu sa décision. Je peux toutefois ajouter que je l’ai invité à retirer ses remarques, telles qu’elles ont été rapportées dans le journal. Le député peut ne pas être d’accord avec la suggestion de la présidence, mais sans une déclaration précise de sa part, qui est de retirer ses paroles, je crois donc approprié de donner à la Chambre ainsi qu’au comité l’occasion de considérer cette question. L’honorable député a tout à fait le droit de s’expliquer, et il aura amplement l’occasion de le faire en comité. Je pense qu’après cette brève explication, la situation est close. Après que le comité aura déposé son rapport, la Chambre aura peut-être la possibilité de considérer à nouveau la situation. Mais pour l’instant, l’incident est clos.

Post-scriptum

Le 25 mars 1993, M. Tremblay annonce à la Chambre qu’il veut « retirer les propos jugés offensants ». Le Président l’en félicite et dit espérer que l’affaire soit réglée[5]. Rien n’indique que le Comité permanent de la gestion de la Chambre ait examiné l’affaire.

F0118-f

34-3

1993-03-23

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[1] Débats, 16 mars 1993, p. 17027.

[2] Débats, 23 mars 1993, p. 17403-17404.

[3] Débats, 23 mars 1993, p. 17404-17405.

[4] Journaux, 23 mars 1993, p. 2688.

[5] Débats, 25 mars 1993, p. 17537.