Le programme quotidien / Affaires courantes

Dépôt de documents par un ministre : dévoilant les dons à un parti politique par un citoyen

Débats, p. 3224

Contexte

Le 3 novembre 2011, la Chambre approuve la nomination de Michael Ferguson à titre de vérificateur général du Canada[1].

Le 4 novembre 2011, lors de la période des Questions orales, plusieurs députés libéraux font référence à la démission de Michel Dorais du Comité de vérification du Bureau du vérificateur général du Canada en guise de protestation de la nomination de M. Ferguson. À la fin de cette période, Tony Clement (président du Conseil du Trésor et ministre de l’Initiative fédérale du développement économique dans le Nord de l’Ontario) dépose un document indiquant que M. Dorais a fait un don à l’ancien chef libéral en 2009[2]. Plus tard le même jour, Wayne Easter (Malpeque), interpelle le Président car il a le sentiment que le ministre a mal agi en déposant un document qui dévoile les dons à un parti politique par un particulier et qui ternit ainsi sa réputation. Selon lui, c’est une pratique contraire à la liberté de choix, de parole et d’affiliation politique visant la peur et l’intimidation et il s’agit d’un comportement inadmissible de la part d’un ministre. D’autres députés interviennent sur la question et le Président prend la question en délibéré[3].

Résolution

Le Président rend sa décision le 17 novembre 2011. Il clarifie qu’aucune infraction n’a été commise, puisqu’en vertu de l’article 32(2) du Règlement [4], les ministres possèdent une grande latitude en ce qui concerne le dépôt de divers documents. Il émet cependant une mise en garde à la Chambre. Il indique qu’il serait préférable d’éviter toute référence à des citoyens privés qui pourrait porter atteinte à leur réputation, puisque ceux-ci ne bénéficient pas de l’immunité parlementaire ni de la liberté de parole, privilèges impressionnants que possèdent les députés et qu’ils doivent exercer avec prudence.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 4 novembre par le député de Malpeque concernant le dépôt d’un document par le président du Conseil du Trésor.

Je remercie le député de Malpeque d’avoir soulevé cette question et je remercie également l’honorable ministre d’État et whip en chef du gouvernement ainsi que les députés de Richmond—Arthabaska et de Winnipeg-Nord pour leurs commentaires.

Voici d’abord les faits pertinents. Lors de la période des questions orales du vendredi 4 novembre 2011, on a fait allusion dans des questions à la démission d’un membre du Comité interne de vérification du Bureau du vérificateur général comme geste de protestation contre la nomination du nouveau vérificateur général. Dans l’une de ces questions, le député de Bourassa a mentionné le nom de la personne concernée. Ensuite, après la période des questions, le président du Conseil du Trésor a déposé un document faisant état d’une contribution politique versée par cette personne, en mentionnant le nom de celle-ci à deux reprises.

Lorsqu’il a soulevé son rappel au Règlement, le député de Malpeque a dénoncé l’agissement du ministre, déclarant, et je cite :

Cela encourage la culture de la peur et de l’intimidation. Les fonctionnaires et les citoyens canadiens pourraient hésiter à faire des dons à un parti politique de crainte qu’un ministre se serve de cela pour leur nuire. Cela pourrait ternir leur réputation.

En réponse, le whip en chef du gouvernement a fait remarquer que, puisque les renseignements contenus dans le document relevaient du domaine public, aucun bris de confidentialité n’avait été commis et qu’il n’y avait rien de mal à les répéter.

Avant de m’attarder au bien-fondé du rappel au Règlement soulevé par le député de Malpeque, je tiens à rappeler à la Chambre que les ministres disposent d’une grande latitude et qu’ils sont libres de déposer un vaste éventail de documents à la Chambre.

L’article 32(2) du Règlement [5] prévoit ceci, et je cite :

Un ministre de la Couronne, ou un secrétaire parlementaire agissant au nom d’un ministre, peut, de son siège à la Chambre, déclarer qu’il se propose de déposer sur le Bureau de la Chambre, tout rapport ou autre document qui traite d’une question relevant des responsabilités administratives du gouvernement et, cela fait, le rapport ou autre document est réputé, à toutes fins, avoir été déposé à la Chambre.

Par conséquent, il est clair que le président du Conseil du Trésor n’a pas enfreint le Règlement de la Chambre du fait d’avoir déposé un document destiné à renseigner les députés.

Cependant, l’information contenue dans le document déposé par le président du Conseil du Trésor, quoique publique, demeure de l’information concernant un citoyen privé. Étant donné cette situation, la présidence aimerait en profiter pour rappeler aux députés ce que mes prédécesseurs ont dit au sujet de situations similaires.

Comme l’a indiqué le Président Fraser dans une décision rendue le 5 mai 1987, la liberté de parole dont jouissent les députés est un « privilège très impressionnant », et celui-ci « permet à notre système judiciaire et à notre système parlementaire de fonctionner en toute liberté ». Il a cependant précisé, à la page 576[5] des Débats, et je cite :

Un tel privilège donne de lourdes responsabilités à ceux qu’il protège. Je songe en particulier aux députés. […] Tous les députés se rendent compte qu’ils doivent exercer avec prudence le privilège absolu qui leur confère une liberté de parole totale. C’est pourquoi de vieilles traditions visent à prévenir de tels abus à la Chambre.

La même mise en garde est mise en avant, à la page 616 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, [deuxième édition] :

Les députés doivent s’abstenir de nommer par leur nom des personnes qui ne sont pas parlementaires et qui ne jouissent donc pas de l’immunité parlementaire, sauf lorsque des circonstances exceptionnelles l’exigent, dans l’intérêt national.

Conscients de ce principe fondamental et ayant reconnu qu’il n’y a pas de règle qui empêche de faire référence à des individus par leur nom dans la Chambre, mes prédécesseurs ont mis en garde les députés contre les risques potentiels de faire mention de particuliers devant la Chambre.

Le 24 avril 2007, à la page 8586 des Débats, le Président Milliken a stipulé, et je cite :

Il incombe à tous les députés de faire preuve d’équité à l’égard de ceux qui ne sont pas en mesure de se défendre. Ainsi, la présidence ne voit aucune raison de prendre des mesures dans cette affaire.

Le 26 mai 1987, à la page 6375 des Débats, le Président Fraser est allé encore plus loin lorsqu’il a affirmé, et je cite :

[…] d’une part, ces gens peuvent être calomniés en toute impunité, sans qu’ils n’aient aucun recours, et d’autre part, le seul fait de les nommer peut laisser entendre qu’ils ont commis des irrégularités.

Par la même occasion, il a rappelé à la Chambre la vitesse à laquelle des propos sont communiqués à de larges auditoires, et je cite :

[...] nous vivons à une époque où tout ce qui se dit dans cette enceinte est répété dans tout le pays, et c’est pourquoi j’ai signalé et je répète qu’il convient de se montrer prudent et de se rappeler qu’il ne faut pas abuser de ce grand privilège qui est le nôtre.

Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer que ce qui était vérité en 1987 l’est encore plus aujourd’hui.

Ce sont donc ces judicieuses mises en garde qui ont m’ont incité à profiter de cette opportunité pour rappeler aux honorables députés de faire preuve d’une grande prudence lorsqu’ils font référence ou attirent l’attention sur un particulier qui n’a pas droit de parole dans cette Chambre, et d’éviter une telle référence à un particulier dans des circonstances où une atteinte pourrait être portée à la réputation de ce dernier sans qu’il puisse avoir la chance d’y répondre.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 3 novembre 2011, p. 2889–2890.

[2] Débats, 4 novembre 2011, p. 2973, 2980.

[3] Débats, 4 novembre 2011, p. 2986–2987.

[4] Voir l’annexe A, « Dispositions citées : Règlement de la Chambre des communes », article 32(2).

[5] Voir l’annexe A, article 32(2).