Privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : avis de projet de marché qui aurait anticipé une décision de la Chambre

Débats, p. 1576–1577

Contexte

Le 19 septembre 2011, Wayne Easter (Malpeque) soulève une question de privilège relativement à un avis de projet de marché concernant la Commission canadienne du blé. M. Easter soutient que le texte de l’avis porte le public à croire que l’abrogation de la Loi sur la Commission canadienne du blé et la dissolution de la Commission canadienne du blé sont le fait d’une décision de la Chambre. Il déclare qu’en réalité, aucun projet de loi n’a été présenté en ce sens, aucune loi fédérale n’a été adoptée et aucun comité n’a examiné un quelconque aspect de la Commission canadienne du blé. Il estime que la présomption du gouvernement a l’effet que la Loi sur la Commission canadienne du blé serait abrogée et que la Commission canadienne du blé serait dissoute constitue un outrage à la Chambre. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[1].

Le 23 septembre 2011, David Anderson (secrétaire parlementaire du ministre des Ressources naturelles et pour la Commission canadienne du blé) déclare que l’avis faisait partie des efforts de planification du gouvernement en vue de présenter un projet de loi et qu’il ne portait pas ombrage à la décision finale du Parlement. Après d’autres interventions ce jour-là et le 26 septembre 2011, le Président prend de nouveau la question en délibéré[2].

Résolution

Le 28 septembre 2011, le Président rend sa décision. Il déclare que selon lui, le libellé de l’avis de projet de marché ne revêt pas un caractère certain et qu’il présente un scénario hypothétique qui ne présume pas du résultat de mesures législatives. En outre, il estime que l’avis fait partie d’un processus de planification auquel on pourrait s’attendre si l’on envisageait l’abrogation possible de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Il conclut qu’il n’y a pas outrage à la Chambre ni, de prime abord, matière à question de privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 19 septembre 2011 par le député de Malpeque au sujet d’un avis de projet de marché concernant la Commission canadienne du blé.

Je remercie le député d’avoir soulevé cette question, de même que le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes, les députés de Winnipeg-Centre et de Winnipeg-Nord ainsi que le secrétaire parlementaire du ministre des Ressources naturelles et pour la Commission canadienne du blé de leurs interventions.

Avant d’examiner les arguments présentés en l’espèce, il conviendrait peut-être d’expliquer brièvement aux députés en quoi consiste un outrage au Parlement. Si, d’un côté, les privilèges dont jouissent les députés à titre individuel et la Chambre à titre collectif sont circonscrits et peuvent être classés, il est, à l’opposé, impossible d’énumérer ou de classer les outrages.

Il est précisé aux pages 82 et 83 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, que la Chambre revendique le droit de punir, au même titre que l’outrage, tout acte qui ne porte pas atteinte à un privilège précis, mais qui fait obstacle à la Chambre ou à un député dans l’exercice de ses fonctions ou qui transgresse l’autorité ou la dignité de la Chambre. Bien que chaque atteinte aux privilèges constitue un outrage au Parlement, ce ne sont pas tous les outrages au Parlement qui constituent une atteinte aux privilèges, et la Chambre des communes dispose d’une très large marge de manœuvre lorsqu’il s’agit de protéger sa dignité et son autorité par l’exercice de ses pouvoirs en cas d’outrage.

Comme il est mentionné à la page 85 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, [deuxième édition], et je cite :

La plupart des questions de privilège soulevées à la Chambre des communes ressortent à ce qui est perçu comme un outrage à l’autorité et à la dignité du Parlement et de ses députés.

Dans le cas qui nous occupe, le député de Malpeque soutient qu’il y a outrage du fait qu’« on présume ici que l’abrogation de la Loi sur la Commission canadienne du blé, qui ne peut se faire que par l’adoption d’une loi fédérale en ce sens, se réalisera ». Cette présomption, avance-t-il, ressort d’une mention claire dans l’avis de projet de marché affiché le 11 août 2011 sur le site Web des marchés publics canadiens de MERX. À l’appui de son allégation, le député de Malpeque a cité une phrase de l’avis, ainsi rédigée :

La vérification a pour but de donner une assurance raisonnable concernant l’impact financier total de l’abrogation de la Loi sur la Commission canadienne du blé et de la dissolution ou liquidation de la Commission canadienne du blé après la fin de la dernière période de mise en commun (prévue le 31 juillet 2012).

Selon lui, l’affichage de cet avis constitue un outrage étant donné qu’aucun projet de loi n’a été déposé — et encore moins adopté — au sujet de la liquidation de la Commission canadienne du blé.

Pour sa part, le secrétaire parlementaire a souligné que, contrairement à ce qu’affirme le député de Malpeque, le fait qu’aucun projet de loi n’a encore été déposé au sujet de l’avenir de la Commission canadienne du blé et qu’aucune annonce publique n’a encore été faite à propos de la date de dépôt ou d’adoption d’un tel projet de loi vient justement prouver que le gouvernement ne présume d’aucune décision du Parlement quant à l’avenir de la Commission canadienne du blé.

Il a expliqué que le gouvernement avait simplement affiché un avis de marché demandant aux fournisseurs intéressés et qualifiés de présenter une offre en vue d’effectuer une vérification pour le gouvernement afin de lui donner des renseignements sur l’impact financier de l’abrogation de la Loi sur la Commission canadienne du blé, s’il devait y avoir abrogation, en se fondant sur certaines suppositions.

Dans son exposé, le député de Malpeque a cité quelques décisions rendues par mes prédécesseurs, les Présidents Fraser, Parent et Milliken, concernant la publication par le gouvernement d’annonces dont le libellé était considéré comme présumant de décisions que le Parlement n’avait pas encore prises. La présidence a examiné ces décisions et elle comprend pourquoi le député de Malpeque les a invoquées dans ses arguments devant la Chambre. Il ne fait aucun doute qu’elles portent sur le principe auquel il a été, selon le député, porté atteinte en l’espèce. Cependant, un examen attentif des circonstances propres à chacun des précédents invoqués démontre que le cas présent ne leur ressemble pas autant que le député l’a laissé entendre. Par exemple, dans la décision citée du Président Fraser, la controverse portait principalement sur des annonces du gouvernement indiquant clairement la date à laquelle la TPS, qui n’était alors qu’à l’état de projet, entrerait en vigueur. De plus, il faut également souligner que le document en question affiché sur le site de MERX n’a pas fait l’objet d’une publicité comparable aux annonces de la TPS de 1989.

Dans le cas présent, la présidence a examiné soigneusement le libellé de l’avis de projet de marché et n’y a trouvé aucune mention d’une date butoir pour l’abrogation de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Comme le secrétaire parlementaire l’a souligné, l’avis demande plutôt qu’une vérification soit effectuée pour donner des renseignements précis sur l’impact financier de l’abrogation de la Loi sur la Commission canadienne du blé, s’il devait y avoir abrogation, et avance certaines suppositions à partir desquelles évaluer cet impact. Une de ces suppositions veut que la dernière période de mise en commun ait lieu le 31 juillet 2012. La présidence estime que le libellé ne revêt pas un caractère certain. Le député de Malpeque a également mentionné le mandat d’un groupe de travail constitué par le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire. Bien que la présidence n’ait pas vu ce document, les passages cités par le député de Malpeque semblent utiliser le même langage conjectural.

L’avis comme tel présente un scénario hypothétique. Il n’indique pas de calendrier précis pour la prise de mesures législatives, et encore moins le résultat de ces mesures. À mon sens, l’avis et le mandat du groupe de travail font partie d’un processus de planification auquel on pourrait s’attendre dans l’éventualité du projet d’abrogation de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Je suis convaincu que le député de Malpeque ne s’attend pas à ce que la présidence fasse un suivi de tous les processus préparatoires internes que le gouvernement entreprend en vue de proposer des mesures législatives à la Chambre. En conséquence, je ne peux donc souscrire à l’affirmation de l’honorable député de Malpeque selon laquelle « [l]e gouvernement présume que la loi a été abrogée, alors que ce n’est pas le cas ». Je ne peux trouver aucune preuve étayant l’existence d’une telle présomption.

Dans le cas présent, je ne crois pas que le libellé du texte de l’avis de projet de marché affiché sur le site de MERX soit équivoque : au contraire, à mon avis, il présente un scénario hypothétique et demande des renseignements sur les conséquences de celui-ci. La présidence n’y voit là aucune atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Chambre ou de ses députés, ni à la suprématie du Parlement.

Par conséquent, je dois conclure qu’il n’y a pas outrage à la Chambre ni, de prime abord, matière à question de privilège dans le cas présent.

Je remercie tous les députés de leur attention.

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[1] Débats, 19 septembre 2011, p. 1181–1186.

[2] Débats, 23 septembre 2011, p. 1398–1401, 26 septembre 2011, p. 1453–1454.