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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 053 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 8 mars 2023

[Enregistrement électronique]

(1645)

[Traduction]

    Avant d'aller plus loin, je tiens, au nom de tous mes collègues et en mon nom personnel, à souhaiter à tous — et particulièrement à nos collègues féminines et aux témoins qui sont avec nous aujourd'hui — une excellente Journée internationale de la femme. Nous ne manquerons pas de garder cette considération à l'esprit dans nos travaux d'aujourd'hui.
    Bienvenue à la 53e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 30 janvier 2023, le Comité se réunit afin de poursuivre son étude du système canadien de mise en liberté sous caution.
    La réunion d’aujourd’hui se déroule sous forme hybride, conformément à l’ordre de la Chambre adopté le jeudi 23 juin 2022. Les députés peuvent participer en personne ou à distance, avec l’application Zoom.
    Pour garantir le bon déroulement de la séance, j’aimerais transmettre certaines consignes aux témoins et aux députés.
    Avant de prendre la parole, attendez que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l’icône du microphone pour activer votre micro. Veuillez vous mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas. En ce qui concerne l’interprétation, ceux qui sont sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre la transmission du parquet sans interprétation, l'anglais et le français. Ceux qui sont dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et choisir le canal désiré.
    Je vous rappelle que toutes les observations des députés et des témoins doivent être adressées à la présidence. Les députés présents dans la salle qui souhaitent prendre la parole doivent lever la main. Les députés sur Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier du Comité et moi-même ferons de notre mieux pour tenir à jour une liste des intervenants, et nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
    Je dois vous rappeler que la décision rendue le 7 mars dernier par le président de la Chambre concernant les réunions virtuelles s'applique depuis mardi. M. Rota a notamment précisé que « les interprètes ne pourront offrir de services d’interprétation simultanée si les députés, et les témoins, dans le cas des comités, participant virtuellement n’utilisent pas les casques d’écoute approuvés par la Chambre. »
    Merci. Nous poursuivons donc notre étude du système canadien de mise en liberté sous caution.
    Nous allons ainsi entendre aujourd'hui le témoignage à titre personnel de Mme Nicole Myers, professeure agrégée à l'Université Queen's où j'ai moi-même étudié. Nous accueillons, par vidéoconférence, Mme Emilie Coyle, directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Nous recevons enfin, également par vidéoconférence, Mme Jennifer Dunn, directrice générale du London Abused Women's Centre.
    Nous vous souhaitons la bienvenue et nous nous réjouissons de vous accueillir aujourd'hui. Vous aurez droit à cinq minutes chacune pour nous présenter vos observations préliminaires, après quoi les membres du Comité vous poseront leurs questions. Je vous présenterai ce carton jaune lorsqu'il vous restera une trentaine de secondes, et ce carton rouge lorsque votre temps sera écoulé. Je vous demanderais de bien vouloir conclure à ce moment‑là de telle sorte que je n'ai pas à vous interrompre.
    La même consigne s'applique aux députés.
    Bienvenue au Comité, madame Vecchio.
    Je suis de la vieille école; j'utilise des petits cartons.
    Nous allons d'abord entendre Mme Myers pour les cinq premières minutes.
(1650)

[Français]

     Monsieur le président, j'aimerais m'assurer que les tests de son ont été effectués.

[Traduction]

    Les tests de son ont été effectués, et tout est en ordre, monsieur Fortin.

[Français]

    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci.
    Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui.
    Je m'appelle Nicole Myers et je suis professeure agrégée à l'Université Queen's. Voilà près de 20 ans que j'étudie les questions liées à la mise en liberté sous caution et à la détention préventive.
    Lorsqu'un événement tragique a lieu, il est tout à fait compréhensible que les gens, et tout particulièrement les policiers, soient indignés et préoccupés et souhaitent trouver une façon d'éviter qu'une telle chose puisse se reproduire. Je conviens que le moment est venu de revoir notre système de mise en liberté sous caution et d'apporter les correctifs qui s'imposent.
    Bien qu'un incident tragique puisse être à l'origine de notre désir de procéder à un examen de la loi et du fonctionnement du système, nos conclusions quant à l'état de la situation et aux orientations à prendre pour apporter les changements requis doivent pouvoir s'appuyer sur un processus systématique de collecte de données empiriques. Lorsqu'il est question de mise en liberté sous caution, nous devons garder à l'esprit les principes fondamentaux de notre système de justice pénale ainsi que les droits inscrits dans notre Charte des droits et libertés, y compris la présomption d'innocence et le droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable.
    La Cour suprême du Canada a insisté sur le fait qu'il fallait faire preuve de retenue dans la décision concernant la mise en liberté sous caution, la position de base devant être que l'inculpé sera libéré sans condition. Pour qu'un individu puisse répondre de ses actes et être sanctionné pour son comportement, il faut d'abord que l'on établisse qu'il est coupable de l'infraction dont il est accusé.
    Que savons-nous exactement de la situation? Nous savons que le taux de criminalité au Canada, y compris l'incidence des crimes avec violence, demeure au plus bas niveau jamais atteint. Il n'en reste pas moins que ceux qui déterminent les conditions de mise en liberté sont généralement plus restrictifs et moins enclins à prendre des risques. À titre d'exemple, depuis 2005‑2006, le nombre d'individus en détention avant procès au Canada a dépassé le nombre de ceux qui ont été trouvés coupables et qui purgent une peine dans un établissement provincial. En 2021‑2022, 70,5 % de la population carcérale provinciale au pays était en détention préventive. Le taux de recours à la détention avant jugement a plus que doublé au cours des 40 dernières années, et le nombre de personnes en détention préventive a quadruplé pendant cette période.
    Le nombre et la proportion d'individus en détention provisoire montrent bien que le Canada ne fait pas preuve de laxisme en la matière. Bien des gens sont en effet détenus avant d'avoir été trouvés coupables.
    Le problème vient en grande partie du fait qu'il n'existe pas de moyen précis et fiable de savoir qui va aller commettre un acte criminel ou une infraction grave avec violence. On ne peut pas et on ne devrait pas s'attendre à ce que notre système de justice pénale puisse cerner, traiter et éliminer tous les facteurs de risque. Toute tentative de prévoir les risques est à la fois peu fiable et discriminatoire, surtout à l'encontre des Autochtones, des Noirs et des membres des autres communautés racisées.
    La loi prévoit d'ores et déjà des mécanismes permettant de garder des prévenus en détention avant leur procès lorsque la situation l'exige, et notamment aux fins de la sécurité publique.
    Les individus gardés en détention préventive ne peuvent plus circuler dans la collectivité, ce qui peut procurer certains avantages à court terme du point de vue de la sécurité publique. Il s'agit toutefois d'une protection temporaire dont les effets sont neutralisés par des répercussions négatives sur la sécurité publique à plus long terme.
    Non seulement la détention est-elle extrêmement dispendieuse, mais elle est également criminogène. Même de très courtes périodes de détention font augmenter, et non baisser, les risques qu'un individu commette d'autres infractions.
    La proposition visant à créer davantage de situations où le fardeau de la preuve serait renversé n'est pas un outil pouvant nous aider dans notre quête d'une plus grande sécurité publique. Les mesures prévoyant un tel renversement sont problématiques et inutiles, car elles ne tiennent pas compte de l'inégalité des pouvoirs et des ressources dont disposent respectivement l'inculpé et l'État. Lorsque la liberté d'une personne est en jeu, il faut imposer à l'État le fardeau de prouver que sa détention est justifiée, plutôt que de demander à l'inculpé de démontrer que l'on devrait le libérer.
    Si l'inculpé représente un risque significatif pour la société, la Couronne fait valoir ses arguments en ce sens au tribunal qui peut décider qu'il sera gardé en détention. Si l'on choisit de le libérer, il doit respecter certaines conditions et être soumis à une surveillance au sein de la collectivité. Il est risqué de vouloir rendre notre régime plus restrictif alors même que nos prisons provinciales sont déjà remplies d'individus dont la culpabilité n'a pas été judiciairement établie. Le resserrement de notre régime de mise en liberté sous caution avec un recours accru à la détention préventive aura des effets discriminatoires sur les membres de notre société qui sont les plus marginalisés, qui font l'objet d'une surveillance policière plus soutenue ou qui sont incarcérés dans une mesure disproportionnée. On les placera ainsi dans une position encore plus vulnérable en obtenant l'effet inverse de celui recherché, à savoir rendre nos collectivités plus sûres.
    La solution à privilégier réside dans un examen approfondi des principes qui sous-tendent la loi avec la participation des intervenants du système judiciaire et de la collectivité. Il s'agirait d'examiner les objectifs de la mise en liberté sous caution en vue d'assurer un juste équilibre entre le respect des droits et la sécurité publique. À ce titre, nous pourrions renoncer à modifier l'article 515 du Code criminel et prendre un peu de recul pour plutôt revoir complètement notre loi sur la mise en liberté sous caution, à la lumière des récents jugements de la Cour suprême du Canada, en énonçant explicitement les principes, les objectifs et les orientations devant guider les différentes instances dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire.
    Nous devrions mettre en place les conditions nécessaires pour inciter les corps policiers à utiliser leur pouvoir de libération en ayant notamment recours aux citations à comparaître pour manquement qui ont été instaurées au moyen du projet de loi C‑75. Si moins de causes mineures se retrouvent devant le tribunal des cautionnements, celui‑ci aura davantage de temps et de ressources à consacrer aux cas les plus risqués ou les plus graves.
    Nous devons rendre le traitement des dossiers plus efficient, notamment du point de vue de l'accès à la justice. Un financement accru de l'aide juridique contribuera à réduire le nombre d'individus gardés en détention ainsi que la durée de leur détention et de la période pendant laquelle ils doivent respecter des conditions dans la collectivité. Nous devons réfléchir à des mécanismes fondés sur des principes pour réduire le recours à la détention.
(1655)
    La crise que traverse notre régime de mise en liberté sous caution n'est aucunement attribuable à la trop grande clémence ou au laxisme exagéré du système. Il s'agit à n'en pas douter d'événements tragiques. Les allégations de violence, surtout dans les cas de récidive, sont particulièrement préoccupantes. L'occasion est belle pour réfléchir à ces enjeux et apporter les changements nécessaires. Il faut toutefois déterminer quelles sont nos priorités. Est‑ce davantage la sécurité publique à court terme ou à long terme qui nous intéresse? Je vous encourage tous à faire le nécessaire pour sauvegarder les limites et les principes bien établis de notre droit pénal en accordant la priorité au long terme.
    Merci.
    Merci, madame Myers.
    Nous allons maintenant entendre Emilie Coyle de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
    Merci beaucoup. Je vais lire mes notes à l'écran, mais je jetterai un coup d'œil de temps à autre pour voir si vous me présentez un carton jaune.
    Bonjour à tous. Je suis ravie d'être des vôtres cet après-midi. Comme vous êtes nombreux à le savoir, le travail accompli depuis 1978 par l'ACSEF, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, a grandement contribué à façonner l'offre de services et la stratégie d'intervention au bénéfice de la population canadienne de femmes et de personnes de diverses identités de genre qui purgent une peine fédérale ou risquent l'incarcération. Nous accomplissons tout cela en rêvant d'un monde formé de collectivités fortes et bien équipées où chaque personne trouvera ce dont elle a besoin.
    Je vous parle aujourd'hui depuis le territoire traditionnel du peuple Lenape, un endroit que l'on appelle aujourd'hui Manhattan.
    L'ACSEF s'emploie à lutter contre les tendances systémiques qui font en sorte que les femmes et les personnes de diverses identités de genre touchées par la criminalisation se voient dépossédées de leur humanité et laissées pour compte par la société. Il est essentiel de s'interroger sur l'efficacité de notre système de mise en liberté sous caution dans un contexte où bon nombre des femmes et des personnes de diverses identités de genre que nous accompagnons sont ainsi déshumanisées et exclues de la collectivité du fait qu'il leur est impossible de bénéficier d'une telle remise en liberté après leur criminalisation.
    Si vous voulez un exemple probant à ce sujet, je peux vous citer une discussion qui m'a été rapportée récemment concernant le déménagement du tribunal des cautionnements au palais de justice de la rue Finch à Toronto. Certains ont applaudi cette décision, car on se retrouvait ainsi plus près de la prison Vanier, le centre de détention provincial pour les femmes. On aurait par conséquent moins de chemin à parcourir pour y amener celles auxquelles on refuse une mise en liberté sous caution. J'estime que le message ne saurait être plus clair.
    Je suis vraiment heureuse de témoigner aujourd'hui en même temps que Mme Nicole Myers. Si vous avez visité notre site Web récemment, vous savez que l'ACSEF a envoyé à la fin janvier, de concert avec l'Association canadienne des libertés civiles et Mme Myers, une lettre à ce sujet au premier ministre et au ministre de la Justice. Je vais traiter de certains des éléments que nous avons abordés dans cette lettre en plus de vous faire part d'autres réflexions à ce propos.
    Nous avons exprimé nos réserves quant à la lettre des premiers ministres provinciaux concernant la réforme du régime de mise en liberté sous caution. Nous avons tenté de faire ressortir les contradictions dans l'orientation que les premiers ministres semblent vouloir imprimer à cette réforme. Nous sommes particulièrement préoccupés du fait que l'on semble totalement faire fi des nombreuses recherches documentant le recours actuel à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire au Canada.
    Comme Mme Myers l'a déjà souligné, il y a maintenant plus de gens en détention avant procès que de détenus purgeant une peine d'emprisonnement dans nos établissements provinciaux et territoriaux. Nous tenons à rappeler que notre système judiciaire est fondé d'abord et avant tout sur la présomption d'innocence. Cette présomption s'accompagne du droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable. La triste réalité c'est que trop de gens se retrouvent en détention avant d'avoir été trouvés coupables.
    Je ne saurais trop insister sur l'importance de cette présomption d'innocence. Nous en sommes d'autant plus conscients que nous sommes à même de constater la très grande influence qu'exerce l'État dans la vie de ces personnes avec lesquelles nous travaillons. Celles‑ci n'ont elles-mêmes que très peu de moyens à leur disposition. Elles se font carrément emporter par le tourbillon du système de justice pénale sans avoir la possibilité de prendre leur destinée en main.
    Dans ce contexte, il y a une mise en garde qui s'impose. Il convient ainsi de faire montre d'une grande prudence dans la réforme de notre droit pénal, car tout changement apporté pourrait avoir des conséquences non désirées, en particulier pour les personnes déjà marginalisées. Lorsqu'on propose un renversement du fardeau de la preuve, comme le font les premiers ministres provinciaux dans leur lettre, on néglige de prendre en compte cet énorme déséquilibre des pouvoirs entre l'État et les personnes inculpées. Des décisions de cette importance ne devraient jamais être prises à la légère ou en réaction à un événement quelconque.
    Enfin, notre lettre fait un survol de quelques-unes des données les plus importantes concernant le fonctionnement du régime de mise en liberté sous caution au Canada. Je ne vous en dirai pas plus pour l'instant, mais je serai ravie de répondre à toutes vos questions à ce sujet. De fait, je suis persuadée que Mme Myers sera mieux à même de vous éclairer relativement à ces enjeux.
    Par ailleurs, je m'en voudrais de ne pas parler également de toutes ces personnes qui perdent la vie en détention alors qu'elles sont en attente de leur procès. En Ontario seulement, plus de 280 personnes sont mortes de cette manière depuis 2010. Le lien entre ces décès pendant la détention et la réforme du régime de mise en liberté sous caution est indéniable. On peut en effet affirmer qu'il y a un lien direct entre le grand nombre de personnes incarcérées qui sont en détention provisoire, soit plus des trois quarts de la population carcérale en Ontario, et les décès qui surviennent dans ces conditions.
    Comme on le souligne dans un rapport sur les décès survenus chez les détenus en Ontario, qui a été rendu public en décembre 2022, la détention provisoire accroît les risques qu'une personne perde la vie, et ce, pour différentes raisons. Il y a notamment un risque plus élevé de suicide — quatre fois supérieur à celui enregistré chez les personnes en détention après condamnation — et de surdose de drogue. Le rapport nous en dit davantage sur ces motifs en parlant notamment des difficultés d'adaptation, de l'incertitude, du sevrage d'alcool ou de drogue, de la perturbation des relations avec les proches, de l'isolement, des conditions restrictives et du fait qu'on est incarcéré pour une première fois.
(1700)
    Je vais m'arrêter là, mais je répondrai volontiers à toutes vos questions. J'espère pouvoir en profiter pour exprimer le reste de mes observations.
    Je vous remercie de votre attention.
    Merci, madame Coyle.
    J'espère que les députés vous donneront l'occasion de présenter plus en détail le reste de vos observations.
    Nous passons maintenant à Jennifer Dunn, du London Abused Women's Centre.
    Merci, monsieur le président, et merci au Comité de m'avoir invitée ici aujourd'hui. Je suis très heureuse de vous revoir tous.
     Je m'appelle Jennifer Dunn. Je suis directrice exécutive du London Abused Women's Centre, ou LAWC, qui est situé ici, à London, en Ontario. Notre centre est une organisation féministe qui réclame et favorise des changements personnels, sociaux et systémiques visant à mettre fin à la violence des hommes à l'encontre des femmes et des filles.
    Le LAWC est une organisation non résidentielle qui offre aux femmes et aux filles âgées de plus de 12 ans qui ont été victimes d'abus, d'agressions, d'exploitation ou de traite, ou qui ont subi des tortures non étatiques, l'accès immédiat à des services de thérapie, de défense et de soutien à long terme, axés sur les femmes et sensibles aux traumatismes.
    Nous savons qu'en vertu de la loi canadienne, une personne accusée d'un crime est présumée innocente jusqu'à preuve de culpabilité. La mise en liberté sous caution permet à la personne de rester hors de prison pendant le processus judiciaire. Nous savons aussi que le processus judiciaire peut durer des mois.
    J'ai lu qu'il en coûte beaucoup plus cher de garder une personne accusée en détention que de la surveiller dans la collectivité pendant qu'elle attend son procès, mais je pose la question suivante: à qui cela coûte‑t‑il beaucoup plus cher? Quel en est le coût pour une femme qui doit purger une peine de prison à vie pour avoir été brutalement agressée par un homme pendant qu'il était en liberté sous caution?
    Au London Abused Women's Centre, nous avons un groupe de femmes qui en ont vécu l'expérience et qui sont payées pour nous conseiller dans notre travail. Il y a quelques semaines, j'ai eu le privilège de passer une heure avec ce groupe de femmes. Je leur ai proposé de parler un peu du système canadien de mise en liberté sous caution. J'ai pris le temps d'écouter toutes les histoires qu'elles voulaient bien me raconter. Avec leur permission, je vous en livre quelques-unes aujourd'hui.
    Je cite: « Ils lui ont offert tous les aménagements possibles. Ils voulaient lui donner la possibilité que cela n'interfère pas avec son travail. C'est un homme d'affaires bien établi. »
     J'ai parlé avec une victime dont l'agresseur est en liberté sous caution. Il est autorisé à aller travailler. Je précise qu'elle travaille au même endroit que lui. Il est censé être surveillé au travail. Il est censé se tenir à une certaine distance d'elle, mais ce n'est tout simplement pas le cas. Comme cet homme occupe une position hiérarchique très élevée, l'entreprise semble détourner le regard. Des conditions de mise en liberté sous caution plus fermes dans cette situation pourraient aider cette femme à aller travailler sans crainte. Ce n'est pas elle qui est en tort. Elle ne devrait pas avoir à se trouver un autre emploi pour se sentir en sécurité.
    Je cite à nouveau: « C'est à la victime qu'il incombe de se protéger, et non à l'agresseur de respecter ses conditions. » Une autre femme me disait ceci: « En tant que victime, j'ai l'impression de devoir prouver que je suis la victime plus qu'il n'est accusé de ses actes. »
    Une femme a raconté ce qui suit: « Mon agresseur a été arrêté dans l'entrée devant chez moi pour violence conjugale. Moins de 12 heures plus tard, il était libéré sous caution. Ces violences duraient depuis des années, mais je ne les avais jamais signalées avant. Il a enfreint ses conditions tous les jours et n'en a jamais vraiment subi les conséquences. »
    Lundi dernier, le ministre de la Justice David Lametti a déclaré que « les Canadiens méritent d'être et de se sentir en sécurité ». J'ai lu que le ministre a déclaré qu'il était « important de noter que les lois sur la mise en liberté sous caution indiquent clairement que la détention d'un accusé est justifiée si elle est nécessaire pour protéger la sécurité du public », mais sur le terrain, d'après ce que nous constatons au London Abused Women's Centre, cela n'a pas particulièrement de sens.
    Il arrive même que la police lance des avertissements pour la sécurité publique, mais qu'un récidiviste soit tout de même libéré sous caution. Je pense à un ancien policier qui a passé plus des deux tiers de sa carrière suspendu avec salaire pour des accusations criminelles et des fautes professionnelles. Il a été accusé d'agression sexuelle, d'agression sexuelle avec étouffement, d'agression sexuelle causant des lésions corporelles, de séquestration et la liste est encore longue. C'est en décembre que la police a émis pour la première fois un avertissement pour la sécurité publique avec sa photo et certains des noms qu'il utilisait en ligne. Il doit maintenant répondre d'accusations concernant quatre femmes différentes et a plaidé coupable d'avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution. La semaine dernière, le 27 février, il a de nouveau été libéré sous caution.
    Nous voyons constamment le système de privilèges à l'œuvre, de sorte que les agresseurs qui ont les moyens de s'offrir les meilleurs avocats sont ceux qui en bénéficient le plus. Même le système de cautionnement est fait pour les gens qui ont de l'argent. La facilité avec laquelle un délinquant peut être libéré sous caution est souvent considérée comme si on lui excusait ses actes, comme si l'on ne responsabilisait pas les délinquants et comme si l'on minimisait les crimes violents.
    Les femmes à qui j'ai parlé ont peur. Elles ont peur non seulement de leurs agresseurs, mais aussi du système qui est censé les protéger. J'en cite une: « Il marque des points, il est bien établi, il est connu. La mise en liberté sous caution ne devrait pas se fonder sur les privilèges, mais c'est parfois le cas. »
    Pour conclure, le London Abused Women's Centre et les femmes que nous servons aimeraient recommander au Comité de s'assurer de prendre la perspective des personnes les plus vulnérables. Pensez à la violence faite aux femmes lorsque vous étudiez le système canadien de mise en liberté sous caution. Le gouvernement doit donner la priorité aux droits des victimes.
    Je vous remercie de votre attention.
(1705)
    Merci, madame Dunn, et merci encore de comparaître devant le Comité.
    Nous entamons maintenant la première série de questions.
    Accueillons Mme Vecchio pour cinq minutes.
    Merci beaucoup de m'avoir invitée à participer à cette séance du Comité aujourd'hui.
    Il est très important de nous assurer de protéger les gens quand on veut réformer le système de mise en liberté sous caution, le système de justice pénale, protéger les victimes de violence, mettre un terme à l'exploitation sexuelle et régir tout ce qui touche la vie des femmes et influence la façon dont nous vivons.
    Madame Dunn, j'ai eu l'occasion de travailler avec vous à plusieurs reprises sur des sujets tels que la traite de personnes et l'exploitation sexuelle. Nous en avons déjà parlé.
    Vous avez parlé de certaines de vos clientes et vous nous avez dit qu'elles ont peur. Lorsqu'on parle de réforme de la mise en liberté sous caution, nous savons déjà qu'il est très difficile pour les femmes de passer à l'action et de faire... Nous savons déjà qu'il est difficile d'aller voir la police, mais dans une perspective de réforme de la mise en liberté sous caution, quand on sait que ces gens sont remis en liberté, c'est aussi très... Elles se sentent perdues. Elles ont l'impression que personne ne les écoute.
    Qu'entendez-vous d'autre de ces femmes, madame Dunn, quand leur conjoint ou leur agresseur est libéré sous caution? Pouvez-vous me donner un exemple du nombre de fois où ils sont libérés sous caution? Est‑ce une, deux ou trois fois? De quels types de données disposez-vous à ce sujet?
    C'est un plaisir de vous voir, madame Vecchio.
    Nous entendons tous les jours de nombreuses histoires que nous pourrions citer ici et qui illustrent parfaitement le phénomène.
    Il y a celui que j'ai donné dans mon exposé, celui de l'ancien policier qui a fait la une des journaux ces derniers temps, dans cette ville. Il fait l'objet de quatre accusations de quatre femmes différentes. Il a été libéré sous caution à maintes reprises, même après avoir plaidé coupable d'infraction à ses conditions. C'est problématique, parce qu'il y a des femmes qui accèdent à nos services tous les jours, qui sont constamment en train de regarder par-dessus leur épaule, qui ne se sentent pas en sécurité et qui ne savent pas ce qui va se passer ensuite. Là est le problème.
    Vous avez mentionné le fait que parfois, les femmes ne portent pas plainte. C'est parfois très délicat pour les femmes de le faire, parce que quand elles voient dans les médias ou ailleurs que cela arrive — peut-être à des personnes qu'elles connaissent —, qu'un individu est libéré après avoir fait quelque chose d'absolument horrible ou qu'il semble que justice n'a pas été rendue, il est encore plus difficile pour une femme de sentir qu'on lui fera confiance quand elle décidera de raconter son histoire.
    Merci.
    Madame Dunn, j'aimerais simplement vous poser une question, parce que vous en avez parlé. Dans le projet de loi C‑75, il est question du renversement du fardeau de la preuve. Vous avez parlé de ce policier qui doit montrer son bon comportement et du fait que selon le renversement du fardeau de la preuve, il devrait prouver qu'il ne recommencera pas. N'entendons-nous pas exactement le contraire, cependant, dans l'histoire de ce policier et d'autres personnes au sein de notre propre collectivité?
    D'après ce que nous voyons sur le terrain ici, au London Abused Women's Centre, dans l'exemple de cet ex‑policier, je ne pense pas qu'il puisse prouver qu'il va faire mieux. Parce qu'il est qui il est, il arrive à s'en tirer malgré ce qui s'est passé dans cette situation.
    Dans la plupart des histoires que nous entendons, et j'en ai fait mention dans mon allocution, ces hommes sont en position de pouvoir — j'ai donné l'exemple de l'homme d'affaires — ou dans des positions qui leur donnent l'impression qu'ils peuvent s'en tirer comme ils le veulent.
    Ce que nous savons grâce à notre travail, c'est que le meilleur prédicteur d'un comportement futur est le comportement passé. La plupart du temps, c'est comme si notre système judiciaire mettait l'accent sur la réaction plutôt que sur la prévention, donc...
(1710)
    Je suis désolée, madame Dunn. Je n'ai pas beaucoup de temps, mais j'ai beaucoup de questions.
    Je voudrais interroger Mme Nicole Myers. Lorsqu'on parle de renversement du fardeau de la preuve dans le contexte du projet de loi C‑75, êtes-vous favorable au renversement du fardeau de la preuve lorsqu'il s'agit de personnes qui ont été exploitées sexuellement ou ont été victimes de traite de personnes et de violence conjugale? Qu'en pensez-vous, si vous voulez bien me répondre?
    La difficulté concernant les dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve, c'est qu'on en parle en essayant de les faire appliquer à des circonstances très précises. La Couronne a tous les outils nécessaires pour présenter des arguments en faveur de la détention d'une personne, qu'elle soit celle qui porte le fardeau de la preuve ou que ce soit l'accusé qui porte le fardeau de la preuve.
    L'une des difficultés qui se posent alors, c'est que quand on réfléchit au principe lui-même et à la différence de moyens entre l'État et l'accusé, si l'on veut priver quelqu'un de sa liberté, c'est peut-être à l'État qu'il devrait incomber de présenter des arguments pour le justifier.
     Je comprends très bien. Je pense qu'une partie du problème est que dans les cas d'abus, il y a souvent un, deux, voire trois cas de récidives. Madame Coyle, vous souhaiterez peut-être commenter cette situation. Nous sommes conscients du fait que malheureusement, le système judiciaire ne fonctionne pas toujours. Nous espérons que le projet de loi C‑233 concernant la formation des juges soit adopté, mais nous savons que l'enjeu posé par les récidivistes n'est pas toujours pris en considération.
    Vous avez mentionné que 70,5 % des agresseurs présumés se trouvent en détention préalable au procès. Savez-vous combien d'entre eux sont des agresseurs présumés de femmes et d'enfants?
    Malheureusement, ce type de données n'est pas accessible à grande échelle aux fins de la recherche universitaire.
    Serait‑il possible d'obtenir des données par rapport à ce sujet? Savez-vous si ce genre de renseignements est disponible?
    Je ne pourrais vous dire, mais ce serait formidable. L'accès à des données de haute qualité recueillies de manière systémique est l'un des plus grands défis qui se posent à nous dans le cadre de ce type d'analyses.
     Merci beaucoup. La dernière chose souhaitable, c'est qu'un plus grand nombre de femmes soient maltraitées à nouveau par un agresseur qui n'est pas passé par le système judiciaire comme il se doit.
    Merci beaucoup.
    Merci, madame Vecchio.
    Nous passons maintenant à Mme Brière pour six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie l'ensemble de nos témoins d'être avec nous aujourd'hui. Permettez-moi de poser mes questions en français. Ma première question s'adresse à Mme Coyle.
    Je suis heureuse de vous revoir.

[Français]

     Pouvez-vous commenter les effets de la détention provisoire sur la vie personnelle des femmes?
    Dans un deuxième temps, pouvez-vous aussi nous donner les effets de cette détention provisoire sur les femmes souffrant d'une maladie mentale ou de toxicomanie?

[Traduction]

     Il est important de se rappeler que parmi les personnes placées en détention préalable au procès se trouvent des personnes qui ont elles-mêmes subi des préjudices des centaines, voire des milliers de fois au cours de leur vie. Le préjudice causé par la détention est un enjeu auquel nous ne pensons pas souvent. En effet, la détention et les répercussions qu'elle a sur la vie de personnes déjà très marginalisées et vulnérables est un sujet qui n'est pas assez souvent abordé.
     Un séjour en prison, ne serait‑ce que de deux semaines, peut avoir des conséquences inimaginables sur la vie d'une personne. Les individus placés en détention préalable au procès pendant ce que certains pourraient considérer comme de très courtes périodes sont à risque de perdre leur emploi et leur logement. Par ailleurs, de nombreux parents avec lesquels nous travaillons perdent la garde de leur enfant.
     Comme beaucoup d'entre vous le savent, au sein du système fédéral, la moitié de la population avec laquelle nous travaillons dans les prisons réservées aux femmes sont d'origine autochtone. Cette proportion est encore plus élevée dans les établissements correctionnels provinciaux et territoriaux, notamment dans les Prairies.
     Vous êtes tous très conscients des efforts que nous déployons pour lutter contre les effets de la colonisation au pays. La réforme du cautionnement fait en sorte que davantage de personnes se retrouvent en détention préalable au procès, ce qui entrave nos efforts pour lutter contre les séquelles de la colonisation. En effet, nous nous retrouvons aux prises avec une épidémie d'enfants autochtones séparés de leurs parents. En réalité, le système de libération sous caution s'inscrit dans un vaste contexte de pauvreté, de discrimination et d'incarcération. Nous sommes d'avis que ce cycle pourrait être brisé grâce au soutien communautaire, et par la mise en place de services sociaux appropriés. Comme l'a affirmé un autre témoin, la prévention joue un rôle essentiel.
    L'autre élément à retenir, si je peux me permettre... Ou souhaitiez-vous me poser une question? Je comprends que votre temps est limité.
(1715)
    La santé mentale et la toxicomanie.
    Je vous remercie.
     La plupart des détenues avec lesquelles nous travaillons souffrent de toxicomanie et des problèmes qui en découlent. Les personnes qui sortent de prison voient souvent leur probation suspendue ou révoquée pour des infractions liées à la toxicomanie et à la pauvreté qui en résulte; elles se retrouvent ainsi prises dans un cercle vicieux au sein du système judiciaire.
    Par ailleurs, nous constatons que les problèmes de santé mentale sont très répandus chez les détenues. Nous ne disposons pas de suffisamment de services pour soutenir les personnes aux prises avec un problème de santé mentale dans nos collectivités. Ce serait formidable de posséder de telles ressources et de pouvoir étudier plus en profondeur ce phénomène.

[Français]

    Merci.
    Madame Myers, les principes de Gladue aident à assurer la prise en compte du racisme systémique et de la discrimination à l'égard des personnes accusées.
    Est-ce que vous pouvez commenter l'importance de ces mesures, et expliquer en quoi la race et les antécédents d'un accusé en général influencent une décision dans le système de mise en liberté sous caution?

[Traduction]

    Comme nous le savons très bien, les principes de l'arrêt Gladue ont historiquement été davantage axés sur l'étape de la détermination de la peine. Nous constatons aujourd'hui un désir d'appliquer davantage ces principes à l'étape de la mise en liberté sous caution. Bien que nous voulions réfléchir à l'importance de la... De telles dispositions sont censées avoir un caractère réparateur. Elles sont censées cibler, traiter et comprendre nos pratiques coloniales de longue date centrées sur les interventions policières excessives et le nombre excessif d'incarcérations de personnes issues des communautés autochtones, ainsi que tous les préjudices qui en découlent.
    Néanmoins, la Cour suprême a également précisé qu'il ne s'agissait pas de favoriser ce que l'on pourrait appeler familièrement un laissez-passer pour sortir de prison. Il faut effectuer une analyse minutieuse qui tient compte du contexte plus large et de l'historique de chaque personne avant de prendre une décision appropriée. Nous constatons que ces décisions sont tout aussi applicables à l'étape de la détermination de la peine qu'au stade de la mise en liberté sous caution, car il est question de la liberté des personnes et des préjudices qui découlent du temps passé en détention, que ce soit à l'étape présentencielle ou postsentencielle.
    Je m'excuse. Je pense que votre question comportait un deuxième volet qui n'est pas tout à fait lié à l'arrêt Gladue.

[Français]

    Je voulais savoir en quoi la race et les antécédents d'un accusé peuvent influencer la décision de le mettre en liberté sous caution.

[Traduction]

    Le casier judiciaire est l'un des éléments les plus importants pris en compte par la Couronne et par le juge lorsque vient le temps de se prononcer sur une potentielle mise en liberté sous caution. On examine la gravité des accusations portées contre un individu, ainsi que son casier judiciaire, le cas échéant. On tente ensuite de parvenir à un équilibre avec un principe important dicté par la Cour suprême, soit de se rappeler qu'un individu est présumé non coupable et peut être libéré sans condition.
    Merci, madame Brière.
    Nous passons maintenant à M. Fortin pour six minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Madame Coyle, je comprends votre position. À votre avis, quelles circonstances justifieraient la prolongation de la détention provisoire d'un individu en attendant son procès, et devraient être ajoutées?

[Traduction]

    Je n'ai rien à ajouter. Je pense que nous devons chercher à rendre la réforme de la mise en liberté sous caution moins restrictive, et non pas plus restrictive.
(1720)

[Français]

    D'accord.
     Madame Dunn, je vais maintenant vous poser la question inverse: comparativement à la situation actuelle, dans quelles circonstances devrait-on libérer un individu plutôt que de le maintenir en détention préventive?

[Traduction]

    Je peux parler de certaines situations particulières que les femmes à qui nous offrons nos services nous ont rapportées.
    C'est difficile, parce que comme je l'ai dit à Mme Vecchio, aucune femme ne devrait avoir à vivre dans la crainte de façon permanente, en allant faire son épicerie ou lors d'un rendez-vous, par exemple. Ici, au centre, nous avons dû gérer une situation dans laquelle l'agresseur d'une de nos clientes la suivait dans un stationnement. L'homme avait purgé sa peine et avait été libéré. Cependant, il semble que parfois, cela n'ait pas d'incidence sur le comportement de ces individus, d'où les cas de récidives.
    Jusqu'où devons-nous aller pour protéger les victimes dans ce genre de situation? Nous devons toujours penser à l'intérêt des victimes lorsqu'il est question de criminalité et de mise en liberté sous caution, alors je ne...

[Français]

    Pardonnez-moi de vous interrompre, mais mon temps de parole est compté.
    J'aimerais que vous répondiez à la question que vous nous avez posée, à savoir dans quelles circonstances on devrait ou pourrait mieux protéger les victimes.
    La présomption d'innocence est évidemment un principe sur lequel j'imagine qu'on s'entend tous, mais la règle veut qu'on garde une personne en détention avant son procès lorsqu'on juge qu'il y a des risques qu'elle ne s'y présente pas ou lorsqu'on considère que la sécurité du public pourrait être compromise si cette personne est mise en liberté.
    Vous dites au Comité qu'il faudrait détenir davantage de personnes. Je vous comprends, parce que des victimes constatent que des individus mis en liberté sous caution commettent des crimes. Toutefois, quelles sont ces circonstances? Que devrait-on changer dans la Loi pour que ces victimes puissent marcher sans avoir à craindre de récidive de leur agresseur? Pour quels crimes ou dans quelles circonstances devrait-on être plus sévère en matière de détention préventive?

[Traduction]

    Pour être honnête avec vous, je pense que nous devons impérativement examiner ce genre d'enjeux sous l'angle de la violence faite aux femmes. Compte tenu de nos connaissances, de notre expérience et du travail que nous accomplissons, c'est la réponse que je peux vous donner.
    En ce qui concerne la situation que j'ai présentée, celle de l'ex‑policier qui est actuellement en liberté sous caution, l'individu est soumis à un dispositif de suivi par GPS et n'a pas le droit d'utiliser certains moyens de communication. Ce sont des situations de ce type. Nous ne pouvons pas le savoir avec certitude parce que ces technologies sont récentes, mais peut-être que la mise en place de telles mesures aurait permis d'empêcher cet individu libéré sous caution de récidiver. Dans ce cas particulier, l'individu a dû en arriver à sa quatrième inculpation avant que ce genre de mesures n'entrent en jeu.
    Chaque cas est différent, et il n'existe pas d'approche universelle lorsqu'il est question de violence familiale, d'agressions sexuelles et de ce type de crimes. Comme chaque situation est complètement différente, il est difficile de déterminer une approche globale...

[Français]

    Je suis désolé de devoir vous interrompre à nouveau, mais mon temps est compté et il me reste moins d'une minute.
    Madame Myers, je comprends de votre allocution que vous nous dites que les règles actuelles sont bonnes. Cependant, vous avez entendu Mme Dunn, entre autres, nous dire qu'il faut mieux protéger les victimes. Selon vous, dans quelles circonstances pourrait-on augmenter le fardeau de la preuve dans des cas de mise en liberté? Quelles mesures pourrions-nous prendre pour assurer la sécurité des victimes?

[Traduction]

    Le problème, c'est que le renversement du fardeau de la preuve ne risque pas d'être une mesure efficace. Personne ici ne s'oppose au renforcement de la sécurité publique. Nous voulons tous protéger les personnes les plus exposées aux infractions les plus sévères. Ce que nous devons faire, c'est de concentrer nos efforts et nos ressources sur les cas les plus graves tout en réduisant le nombre de cas mineurs où l'accusé ne présente pas le même degré de dangerosité.
    Nous pourrions également envisager d'améliorer le traitement des dossiers afin de faire évoluer les gens à travers le système, plutôt que d'essayer de tout régler en amont. Notre devoir est de protéger les personnes vulnérables, mais nous devons également prendre du recul et cesser de nous concentrer sur des cas spécifiques. Nous devons réaliser que des milliers et des milliers d'individus se trouvent en ce moment en détention provisoire, mais que plusieurs d'entre eux ne devraient pas y être. Concentrons-nous sur les cas les plus graves, et trouvons les moyens de faire sortir du système les individus qui ne présentent pas un risque élevé.
(1725)
    Merci, monsieur Fortin. Nous allons maintenant céder la parole à M. Garrison pour six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
     Ma question s'adresse à Mme Coyle, directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Je sais que votre association gère des programmes communautaires de supervision des libérations sous caution. Il est question ici du manque de services, et du trop grand nombre de personnes qui finissent en détention, avec toutes les répercussions négatives qui en résultent.
    Pourrions-nous aborder cet enjeu en consacrant des ressources supplémentaires aux programmes communautaires de supervision des libérations sous caution?
     Ma réponse courte, c'est oui.
    Ma réponse un peu plus longue, c'est que...
    On m'indique que ma connexion est instable. Pouvez-vous m'entendre?
    Oui, nous vous entendons bien, madame Coyle.
    Excellent.
    L'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, ou l'ACSEF, regroupe 23 sociétés membres locales à la grandeur du pays. Ces sociétés membres mènent des activités essentielles sur le terrain en offrant du soutien aux personnes marginalisées. Plusieurs sociétés membres se sont dotées de programmes d'hébergement, mais la plupart n'en ont pas, et c'est un problème.
    Aucune société membre de l'Association Elizabeth Fry n'est présente dans le nord du Canada. Il existe très peu de ressources destinées aux personnes qui pourraient être libérées sous caution dans leur collectivité dans le nord. Pourtant, ces personnes ont souvent besoin d'avoir accès à un site d'hébergement pour pouvoir être libérées sous caution.
    Vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'on ne compte que quatre sites d'hébergement pour les femmes en liberté provisoire à Toronto, la métropole canadienne. Les places sont réservées aux femmes autochtones. Le fait que notre métropole ne compte pas plus de sites d'hébergement pour les femmes en liberté provisoire est problématique. Au nord de l'Ontario, nous avons établi quelques sociétés membres comportant des programmes d'hébergement, mais elles n'ont pas les ressources adéquates pour répondre à la demande. Il est évident que l'ACSEF et la clientèle qu'elle dessert bénéficieraient grandement de ressources supplémentaires.
     Je me tourne vers Mme Myers.
    En ce qui concerne la sécurité publique, la population a certes l'impression que les personnes libérées sous caution ne sont pas assez bien surveillées, mais nous mettons cela en parallèle avec vos observations très valables selon lesquelles on pourrait condamner les gens plus rapidement... Ce serait utile.
    Pensez-vous que le recours à des programmes de surveillance des personnes libérées sous caution dans la collectivité aiderait à accroître la sécurité publique et pas seulement à améliorer la perception qu'a la population de la sécurité publique?
    En un mot, oui. Tous les efforts qui sont déployés pour que les gens restent dans la collectivité nous permettront d'avoir de meilleures mesures de sécurité publique — en imposant des conditions très strictes à ceux qui doivent rester en détention et en en laissant d'autres sortir, en fournissant le type de supervision et de soutien dont les gens peuvent avoir besoin. Néanmoins, je pense que nous devons également nous préoccuper des risques que certains individus soient surveillés à l'excès ou soumis à des conditions trop strictes dans la collectivité. Nous risquons de faire en sorte que les gens échouent et retournent dans le système.
     Encore une fois, si moins de causes mineures se retrouvaient devant le tribunal, nous pourrions nous concentrer sur les cas plus graves et surveiller ces personnes de manière efficace.
     Dans ce qui a été présenté aux membres du Comité, il y a des données sur les taux très élevés de violation des conditions de la liberté sous caution. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cela se produit habituellement pour ces conditions?
     Les conditions de libération posent de nombreuses difficultés. Elles sont généralement très nombreuses. Par exemple, on a en moyenne six ou sept conditions différentes qui créent une toute nouvelle infraction criminelle une fois que c'est intégré à une ordonnance judiciaire. Bon nombre de ces conditions ne sont pas nécessairement adaptées aux individus. Pourquoi? Parce que les tribunaux sont occupés. Ils sont dépassés par le nombre d'affaires qu'ils doivent gérer et traiter.
     Encore une fois, il s'agit de prendre le temps qu'il faut pour fixer avec attention des conditions à respecter qui soient raisonnables et qui soient liées aux motifs de détention ainsi qu'aux allégations, plutôt que d'imposer simplement des conditions qui nous plaisent ou qui modifient le comportement, ce qui, selon la Cour suprême, ne correspond pas à ce que les conditions sont censées accomplir.
    Je reviens à Mme Coyle.
    En ce qui concerne les conditions imposées, le projet de loi C‑75 était censé favoriser l'amélioration de ce lien entre les conditions, les infractions et les raisons de la détention dont Mme Myers a parlé.
    Pensez-vous que c'est ce qui se passe sur le terrain, ou continue‑t‑on à imposer des conditions générales d'abstinence à des personnes qui ont des problèmes de dépendance et à les entraîner ainsi vers un échec? Est‑ce toujours le cas?
(1730)
    Oui, c'est toujours le cas. Cela nous ramène à une question précédente sur le nombre de personnes qui entrent dans le système en raison d'un trouble de santé mentale ou d'un problème de consommation, qui sont indéniablement liés dans le travail que nous faisons. Les sciences sociales nous diront qu'il y a une raison pour laquelle les personnes qui souffrent de traumatismes et de troubles de santé mentale consomment des substances, à savoir que nous ne disposons pas des ressources qu'il faut pour les aider dans leur parcours de mieux-être. Elles essaient de surmonter leur souffrance de la seule manière dont elles le peuvent.
     Les conditions de libération sévères continuent d'être un problème [difficultés techniques]...
    Vous avez des difficultés techniques.
    ... la vaste majorité [difficultés techniques] avocat de la défense qui travaille...
    Oh, je suis désolée. Avez-vous entendu ce que j'ai dit?
    C'est bon. Cela a été rattrapé. Vous pouvez donc continuer.
    Je m'en excuse. On aurait cru qu'Internet est bon à New York, mais il semble que ce ne soit pas le cas.
    Je disais simplement que l'un des avocats de la défense qui travaille avec l'une de nos sociétés Elizabeth Fry disait que les gens attendaient parfois jusqu'à deux semaines avant la tenue d'une audience sur la libération sous caution. Je pense que c'est inacceptable. C'est quelque chose qui perturbe la vie des gens, parfois de façon irrémédiable.
    Merci.
    Merci, monsieur Garrison.
    Nous passons à des interventions de cinq minutes. C'est M. Caputo qui commence.
    Par souci de transparence, je veux dire que ma femme et Mme Coyle travaillent pour la même organisation. J'essaierai donc de ne pas poser de questions difficiles.
     Je voudrais revenir sur un point. Je pense que nous nous entendons tous à cet égard et je demanderai simplement que quelqu'un réponde par oui. La Constitution garantit à une personne le droit de se présenter devant un juge dans les 24 heures.
    Madame Myers, c'est bien cela?
    Mme Nicole Meyers: Oui.
    M. Frank Caputo: Si quelqu'un attend deux semaines pour une audience sur la libération sous caution, ce n'est pas habituellement la responsabilité du procureur. Un procureur peut généralement obtenir une détention provisoire de trois jours, mais au‑delà de cela, c'est un délai imputable à la défense, en général, si la personne attend deux semaines. Je ne vois pas comment cela pourrait se produire autrement. Pouvez-vous imaginer un scénario dans lequel ce serait la responsabilité du tribunal ou de la Couronne?
     Oui, c'est la responsabilité du tribunal et de la Couronne. Dans de nombreux cas, ces ajournements sont demandés pour obtenir les services d'un avocat de la défense. C'est surtout parce que les gens veulent obtenir une mise en liberté sur consentement, ce qui est compréhensible, plutôt que d'aller à une audience de justification.
     La Couronne est l'élément fondamental du processus décisionnel en matière de libération sous caution. Elle exige que les personnes aient une caution ou participent à un programme de mise en liberté sous caution ou qu'elles respectent toute une série de conditions. Souvent, ces ajournements ont lieu pour permettre aux gens de trouver un avocat qui les représentera à l'audience ou d'essayer d'élaborer le type de plan de mise en liberté sous caution qui répondra aux exigences de la Couronne.
     De nombreuses études montrent que dans la plupart des cas, les ajournements sont le fait de la défense de l'accusé. Les ajournements visent à répondre aux exigences de la Couronne.
    Cela ne pose problème que si les exigences de la Couronne sont déraisonnables. Êtes-vous d'accord avec moi?
    Oui.
    Si nous avons un système qui fonctionne correctement, un certain nombre de questions qui ont été soulignées ne poseront pas autant problème.
     Nous nous entendons tous pour dire que la sécurité publique est primordiale, et je pense que tous les témoins sont du même avis. Pouvons-nous tous convenir que c'est la priorité? Je l'espère. J'espère que c'est le cas.
    Il y a également le fait — et certains des témoins d'aujourd'hui l'ont souligné — que des personnes de différents calibres se retrouvent dans une salle d'audience. D'après mon expérience, certaines personnes ne devraient pas être dans un tribunal. Elles franchissent ces portes. Elles peuvent avoir commis une erreur. Elles peuvent avoir commis quelques erreurs, mais le tribunal n'est pas leur place.
    Comprenez-vous ce que je veux dire? Ce n'est pas un milieu convivial. Comprenez-vous cela?
    Je me tourne vers vous, madame Myers, car vous êtes ici.
    Oui, je pense que nous sommes de cet avis.
    Certainement.
     Dans une ville comme Kamloops, d'où je viens, qui compte environ 100 000 habitants, la plupart du temps, nous pouvons en convenir, en particulier lorsqu'il s'agit de crimes violents, un très petit groupe de personnes commet de manière disproportionnée bon nombre des infractions.
     Seriez-vous également de cet avis, madame Myers?
(1735)
    Je crois que c'est ce que les données empiriques indiquent, oui
    Certainement.
    Si nous acceptons cette conclusion, nous devons viser la libération sous caution pour ce petit groupe de personnes. Est‑ce une hypothèse raisonnable?
    Ce serait une façon raisonnable de procéder.
     Là où je pense qu'un certain nombre de personnes divergeront probablement d'opinion à cet égard, c'est lorsqu'un groupe dangereux entre en jeu.
    Est‑ce que vous êtes d'accord avec moi?
    Oui. Il est très difficile de dire qui sont ces personnes avec précision.
    Il est difficile de le faire avec précision, mais il existe des indicateurs objectifs. On examine les gens — et je pense que vous seriez probablement d'accord avec moi — et le meilleur indicateur d'un comportement futur est le comportement passé. Cependant, ce n'est pas fiable à cent pour cent, et il n'y aura jamais d'indicateur fiable à cent pour cent.
     Est‑ce exact?
    Oui. Cela dépend de la question de savoir comment on se sent à l'idée de se tromper et d'incarcérer des personnes qui ne devraient pas être incarcérées.
    Ou à l'idée de se tromper et que quelqu'un d'autre subisse un préjudice grave. C'est le revers de la médaille. Si l'on a un délinquant dangereux avec une arme à feu et qu'on se trompe en ce qui concerne sa libération, il pourrait en résulter que quelqu'un est abattu.
     Il ne s'agit pas seulement de se tromper et de placer quelqu'un en détention par erreur. Il y a aussi le revers de la médaille, c'est‑à‑dire que l'on se trompe et que quelqu'un soit victime d'un crime.
    Absolument. Cela peut également se produire après que la personne a été reconnue coupable et condamnée.
    C'est tout à fait vrai, mais après la condamnation et le prononcé de la peine, l'État n'a plus aucune possibilité d'exercer un contrôle.
    Comprenez-vous ce que je veux dire?
     Je comprends parfaitement. Je dis simplement qu'à ce stade, nous l'avons prouvé.
    Madame Coyle, je suis désolé. Allez‑y, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup.
     Je voulais simplement dire que lorsque nous parlons de sécurité publique, dans le cadre de notre travail, nous ne devons pas oublier que les personnes avec lesquelles et aux côtés desquelles nous travaillons — les nombreuses personnes criminalisées, les femmes et les personnes non binaires qui sont souvent en prison — font également partie du public. En disant simplement que la mise en détention d'une personne... Il y a beaucoup plus que cela dans cette simple déclaration.
    Nous craignons que des personnes causent des torts irréparables. Nous craignons que l'État cause des torts irréparables. C'est un point essentiel pour nous. Si quelqu'un est mis en prison et qu'il a été condamné injustement — nous connaissons de nombreux exemples d'une telle situation dans notre pays, et beaucoup d'autres qui ne sont pas rendus publics —, alors l'État a causé un tort irréparable dans ce cas.
    Merci.
    Aller en prison pendant deux semaines, c'est une dure épreuve dans la vie des gens.
    Je ne suis pas en désaccord avec vous. Je peux vous dire que quand j'étais avocat de la défense, j'ai été saisi d'un cas que je considérais comme une condamnation injustifiée, et cela m'empêche encore de dormir la nuit, alors personne ne contestera ce que vous dites à ce sujet.
    Mon temps est écoulé. Je vais donc m'arrêter ici.
    Merci.
    Merci, monsieur Caputo.
    Nous passons maintenant à M. Naqvi, qui dispose de cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les trois témoins pour leur présence et leurs exposés.
    Mes questions s'adresseront à Mme Myers et à Mme Coyle.
     Je poserai les deux mêmes questions, parce que je veux seulement comprendre très clairement votre point de vue et l'analyse que vous faites en fonction de votre expérience dans le cadre de notre étude sur le système de mise en liberté sous caution.
    Pour ma première question, je commencerai par vous, madame Myers. Quels sont, selon vous, les problèmes auxquels nous sommes confrontés au Canada lorsqu'il s'agit de notre système de mise en liberté sous caution à l'heure actuelle, à la fois sur le plan pratique et sur le plan juridique peut-être?
    Nous sommes confrontés à toute une série de problèmes. Il n'y a pas qu'une seule réponse à votre question.
    Beaucoup trop de causes mineures se retrouvent devant les tribunaux, en premier lieu, et on pourrait résoudre ce problème en partie en incitant les corps policiers à exercer leur pouvoir de libération, à recourir aux citations à comparaître pour manquement, ce qui, du moins d'après mon expérience, ne se fait pas de manière généralisée.
     Nous rencontrons également des difficultés liées à une réticence à prendre des risques dans les tribunaux, ce qui est compréhensible, car lorsque des incidents comme celui‑ci se produisent, lorsque des policiers sont tués par quelqu'un qui est censé avoir été libéré sous caution à ce moment‑là... De plus, nous sommes très préoccupés par la violence que subissent les femmes. Nous sommes à juste titre préoccupés par ce qui arrive aux victimes, mais nous devons néanmoins prendre du recul et réfléchir à la meilleure façon d'assurer la sécurité de ces personnes.
     Garder davantage de personnes en détention et les libérer en leur imposant des conditions qui ne peuvent raisonnablement pas être respectées n'améliorera pas notre sécurité publique. Nous devons être conscients que nos moyens se limitent à ce que nous pouvons faire au début du processus, parce que nous devons maintenir au centre du système la présomption d'innocence, le droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable et la position selon laquelle la libération sous caution est censée se faire sans condition.
(1740)
    Très bien. Merci.
    Pouvez-vous également nous dire brièvement ce que vous recommandez à ce comité dans le cadre de son étude sur la mise en liberté sous caution? Si nous devions apporter des changements, quelles seraient vos deux ou trois principales recommandations?
     Il s'agirait de fournir une meilleure orientation et des conseils clairs aux décideurs sur ce à quoi nous voulons qu'ils réfléchissent et ce sur quoi nous voulons qu’ils se concentrent lorsqu'ils exercent leur pouvoir discrétionnaire.
     Nous pourrions également envisager des mesures pour réduire le recours à la détention, quelque chose de similaire à ce que nous voyons dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, en sachant, bien sûr, que les jeunes sont différents des adultes, mais en réfléchissant à la question de savoir qui nous voulons garder en détention et qui nous voulons laisser sortir.
     Par exemple, nous pourrions essayer de concentrer notre attention sur les gens qui ont été accusés d'infractions particulièrement graves et qui ont un casier judiciaire témoignant d'un modèle de comportement de ce type.
     Peut-être voulons-nous réfléchir à la peine que les personnes recevraient probablement si elles étaient condamnées. Si la peine est inférieure à six mois de détention, devrions-nous les libérer dans la collectivité?
     Dans le cas des personnes qui sont accusées de ne pas avoir respecté une condition de leur libération, il convient de voir si elles ont commis une nouvelle infraction substantielle en même temps, ou si cette condition de libération a causé un préjudice à une victime identifiable.
     Nous pourrions également réfléchir à la manière de fournir le meilleur soutien possible aux gens au sein de la collectivité, si nous savons que non seulement cela coûte moins cher, mais aussi que cela contribue à réduire les risques que les gens commettent des infractions. Comment soutenir les individus? Comment aidons-nous les collectivités pour que les gens puissent rester dans la collectivité, maintenir leurs liens avec elle et continuer de s'y investir, en réduisant plutôt qu'en augmentant les risques qu'ils commettent d'autres infractions?
    Merci beaucoup.
    Madame Coyle, je case les deux mêmes questions en une minute et demie. D'après votre expérience professionnelle dans les sociétés Elizabeth Fry, quelles sont, d'après vous, les difficultés que pose notre système canadien de mise en liberté sous caution, d'un point de vue juridique et, plus particulièrement, quelles recommandations formuleriez-vous pour le Comité?
    Merci.
    Au‑delà des propos de Mme Myers, qui l'a très bien exprimé, à mon avis, je m'inquiète pour l'accès à l'aide juridique. Je crains manifestement pour l'accès de notre clientèle à une représentation convenable.
    Concrètement, je reviens toujours à l'investissement dans les ressources en amont des communautés: aider les personnes en situation de pauvreté; s'assurer de ne pas punir les demandeurs de la mise en liberté sous caution sous le prétexte de la précarité de leur occupation d'un logement; améliorer les mesures de soutien par l'aide sociale et investir davantage dans l'instruction et les soins de santé — essentiellement maintenir les gens dans la communauté et s'assurer qu'ils possèdent les appuis nécessaires pour leur éviter le déracinement complet qui survient à la détention, même courte.
    Merci. Je pense qu'il ne me reste plus de temps.
    Merci, monsieur Naqvi.
    Les deux prochains intervenants ont chacun droit à deux minutes et demie.
    Monsieur Fortin, vous êtes le premier.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    Madame Myers, au début de votre exposé, vous nous parliez de la proportion de personnes détenues avant procès. Ai-je bien compris que nous parlons de plus de 70 %?

[Traduction]

    C'est exact, oui.

[Français]

    Quel est le chiffre exact?

[Traduction]

    Ça concerne 14 414 personnes.

[Français]

    Pardon, je parlais du pourcentage exact.

[Traduction]

    Au Canada, il est de 70,5 %.

[Français]

    D'accord. C'est pour tout le Canada, et non l'Ontario, n'est-ce pas?

[Traduction]

    Oui. C'est le pourcentage canadien. En Ontario, il est d'environ 77 %.

[Français]

    D'accord, je vous remercie.
    Madame Myers, en réponse à une question précédente, vous avez parlé de l'optique que nous devons avoir et vous nous avez suggéré de nous concentrer sur la gravité des accusations.
    C'est un peu notre travail, ici. Nous devons chercher un compromis entre protéger adéquatement les victimes et éviter qu'un innocent se retrouve derrière les barreaux. Je continue à me demander comment nous allons concilier les deux choses et je ne trouve pas cela simple.
     Vous dites que nous devrions peut-être nous concentrer sur la gravité des accusations, mais nous savons très bien que ce n'est pas parce qu'on est accusé d'un crime grave qu'on en est obligatoirement coupable. En effet, des innocents sont accusés de crimes graves.
    Est-ce que vous pouvez nous aider davantage? Sur quoi devrions-nous nous concentrer? Que devrions-nous étudier et changer dans la loi actuelle pour mieux protéger les victimes tout en évitant les erreurs judiciaires?
(1745)

[Traduction]

    Ce serait de donner des orientations et des conseils clairs sur les modalités précises des prises de décisions par les décideurs. Où, précisément, traçons-nous la ligne? Ce n'est pas facile à déterminer. J'hésite beaucoup entre préconiser de plus nombreuses détentions avant procès ou des mises en liberté sous des conditions plus nombreuses. En soi, c'est problématique, mais si nous devons réfléchir aux lignes à tirer, en nous focalisant sur les critères les plus graves, je ne crois pas qu'il y ait de façon plus facile ni plus claire d'identifier ces personnes.

[Français]

    Je comprends donc que vous n'êtes donc pas en mesure de nous éclairer sur où tracer cette ligne claire. Notre problème n'est pas facile à résoudre.
    Puisqu'il ne me reste que quelques secondes, madame Coyle, je vous pose la même question: où tracer cette ligne? Comment protéger les victimes tout en évitant les erreurs judiciaires?

[Traduction]

    Malheureusement, monsieur Fortin, votre temps est écoulé.
    Monsieur Garrison, vous disposez de deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je crains que nous ne nous soyons un peu égarés sur la question du délai précédent l'audition de remise en liberté sous caution, car les chiffres montrent que, visiblement, la détention est parfois très longue avant le début du procès.
    Je me demande, madame Myers, si vous avez des chiffres ou des estimations sur les durées de détention entre cette audition — où la remise en liberté est refusée — et le début du procès.
    Malheureusement, je n'en ai pas sous les yeux. Mais, souvent, le délai entre l'arrestation et le règlement des accusations est supérieur à 100 jours. C'est encore une moyenne. Un petit nombre de détenus avant procès attendront très longtemps leur procès, peut-être pendant une année ou deux.
    La détention de beaucoup d'autres sera très courte, en raison de ce que j'ai appelé une culture d'ajournement des audiences sur la mise en liberté sous caution qui, chaque jour, au Canada, fait que l'issue la plus probable de l'audience sera l'ajournement. Quotidiennement, il se prend très peu de décisions de mise en liberté sous caution. Beaucoup de personnes en détention provisoire se trouvent dans une sorte d'endroit en perpétuel mouvement. Elles peuvent finir par être libérées, mais elles passeront d'abord du temps en détention. Comme nous en avons parlé — Mme Coyle notamment — même les courtes périodes de détention sont incroyablement dommageables, ce qui rend la récidive plutôt plus probable.
    Pour la dernière minute, je suppose, je reviens à Mme Coyle.
    Relativement aux services offerts aux personnes en détention provisoire avant procès — simplement pour l'expliciter de nouveau devant le Comité et dans le compte rendu —, est‑il vrai que, parmi elles, les toxicomanes et celles qui éprouvent des problèmes de santé mentale n'y ont pas vraiment accès?
    Oui, c'est vrai.
    À long terme, cela devient problématique pour la sécurité publique.
    Certainement. Cesser de consommer une substance addictive peut être dangereux. Comme je l'ai dit, beaucoup de détenus sont morts dans nos établissements des territoires et des provinces, sans susciter de tollé.
    Je suis préoccupée par le fait que les familles et les êtres chers de personnes mortes dans nos prisons, beaucoup d'entre elles en détention provisoire... Cela n'a pas justifié d'études en comité. Aucun lanceur d'alerte ne s'en est offusqué, alors qu'il aurait dû. On a organisé des vigiles, créé des baladodiffusions, envoyé des lettres d'opinion. Le gouvernement devrait certainement y prêter attention, parce que c'est le signe d'un problème beaucoup plus étendu.
    Merci, monsieur Garrison. Merci à nos trois témoins.
    Voilà qui met fin à la première série de témoignages. Je suspends maintenant les travaux, le temps d'installer le deuxième groupe de témoins.
    Merci encore d'être venues, certaines d'entre vous pour la deuxième ou troisième fois.
(1745)

(1755)
    Nous revenons à l'étude du système canadien de mise en liberté sous caution. Nous sommes à la deuxième heure.
    J'espère que le témoin en ligne a vu mes petites fiches.
    Votre qualité sonore a déjà été testée. Espérons que, pour l'interprétation, vous avez fait le bon choix entre « parquet », « anglais » ou « français ».
    Je conseille la même chose aux témoins ici présents. S'ils veulent ajuster leurs écouteurs, ils peuvent choisir le canal qu'ils préfèrent.
    Chacun de vous disposera de cinq minutes. Soyez les bienvenus.
    Accueillons d'abord M. Danardo Jones, professeur adjoint à la faculté de droit de l'Université de Windsor. Ensuite, en visio, Mme Markita Kaulius, présidente de Families for Justice. Enfin, en personne, Mme Lia Vlietstra, travailleuse de soutien au tribunal des cautionnements, Victim Services of Brant.
    Entendons d'abord M. Jones, qui dispose de cinq minutes.
    Je précise que je suis seulement doctorant, que je n'ai pas encore le grade de docteur, ce qui est pour très bientôt. Cela fait quand même plaisir de se le faire dire.
    Je vous remercie de votre invitation à participer à l'étude du système canadien de mise en liberté sous caution. Avant de répondre aux questions, j'ai trois observations à faire.
    D'abord, la libération sous caution est un droit d'origine constitutionnelle, qui trouve son expression dans l'alinéa 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés, mais elle a fait partie pendant des siècles de la common law. Ce n'est pas une nouveauté. Cela ne date pas de 1982. Cela fait partie de la tradition de la common law depuis très longtemps. Elle reconnaît que l'État a l'obligation de prouver la culpabilité de l'accusé avant de lui refuser le droit à la liberté ou d'abréger ce droit. Ce droit englobe d'autres impératifs constitutionnels — par exemple la présomption d'innocence, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité et le droit à un procès équitable. Mais, pris tous ensemble, ces droits constitutionnels constituent peut-être les plus fortes mesures de protection en matière de procédure pour les personnes accusées d'infractions criminelles.
    Je le dis, pour donner le ton au conseil suivant: nous devons faire preuve de prudence pour ne pas protéger la sécurité publique, dont l'importance est capitale, au détriment de la confiance du public dans l'administration de la justice et au coût d'une érosion de nos droits constitutionnels.
    Ensuite, la liberté sous caution n'est pas une question de bienveillance ou d'indulgence judiciaire. Cela ne l'a jamais été. En effet, dans notre jurisprudence criminelle sur la mise en liberté sous caution, le Code criminel et la jurisprudence présument la remise en liberté. Et pour cause. L'accusé est présumé innocent. La Cour suprême du Canada l'a répété à maintes reprises: pour accorder la liberté sous caution, on ne tient pas compte de questions étrangères aux exigences formulées dans le Code criminel ou la jurisprudence concernant la mise en liberté par voie judiciaire.
    La mise en liberté sous caution est question de gestion du risque. Ce n'est pas une science, c'est un art. Les facteurs à prendre en considération sont énoncés dans le Code criminel: le juge ou le juge de paix doit en tenir compte dans sa décision, mais on nous rappelle également que le principe de retenue est d'une importance capitale — l'idée de ne pas se reposer ou de se reposer excessivement sur les réactions carcérales à l'étape de la libération sous caution.
    Et pour cause. Il est impossible d'indemniser quelqu'un pour perte de sa liberté, après son acquittement ou l'avortement du procès, ce qui est fréquent. L'indemnisation est impossible. J'ai entendu quelques témoins évoquer certaines des conséquences collatérales du refus de la mise en liberté sous caution ou de se la faire accorder, mais à des conditions pénibles, que ce soit la perte d'un emploi, le bouleversement de la vie familiale et ainsi de suite.
    Enfin, je tiens à discuter des motifs des piètres résultats obtenus par ceux qui demandent la libération sous caution. Ce n'est pas que, intrinsèquement, ils présentent un risque. C'est que la société manque d'infrastructures pour leur permettre de vivre normalement dans une communauté, ailleurs, dans l'attente du procès. Souvent, c'est ce qui explique les transgressions, faute de logement et d'un accès convenable à des traitements ou aux nécessités qui favorisent la vie en société.
(1800)
    Merci.
    Merci, monsieur Jones.
    Entendons maintenant Mme Markita Kaulius, de Families for Justice.
    Merci beaucoup pour votre invitation.
    Le 27 décembre 2022, le meurtre d'un agent de la Police provinciale de l'Ontario a relancé l'examen du système canadien de mise en liberté sous caution. Avant de tuer par balles l'agent Greg Pierzchala, en Ontario, le suspect de 25 ans, Randall McKenzie, était recherché par la police pour omission de comparaître au mois d'août précédent. Il était accusé de voies de fait et il devait se défendre d'un certain nombre d'accusations de possession d'armes. Après son omission de comparaître, un juge a émis un mandat pour son arrestation.
    M. McKenzie avait été frappé par une interdiction à vie de posséder des armes à feu, après avoir été trouvé coupable d'un vol à main armée commis en 2017. Il a passé une grande partie de sa peine de près de trois ans dans un établissement à sécurité maximale pour avoir prétendument poignardé un codétenu. Pendant qu'il était en liberté conditionnelle pour des accusations de voies de fait contre un autre policier et pour avoir prétendument été en possession illégale d'une arme de poing, M. McKenzie doit maintenant répondre à une accusation de meurtre au premier degré de l'agent Pierzchala.
    Ces derniers mois, six policiers sont morts en service au Canada. Le public canadien et plusieurs corps de police sont très préoccupés et exigent de nouvelles réformes pour le système de mise en liberté sous caution.
    Le 13 janvier 2023, des premiers ministres des provinces ont réclamé du gouvernement fédéral la prise de mesures immédiates pour renforcer les réformes du système canadien de mise en liberté sous caution, ce pour quoi ils bénéficient de l'appui de plusieurs corps de police. De plus, des millions de Canadiens demandent des réformes pour ce système et exigent des lois plus rigoureuses pour la détermination des peines au Canada. Nous croyons qu'on privilégie les droits des accusés aux dépens de ceux des victimes et de la sécurité publique.
    La justice pénale sert essentiellement à priver de liberté quiconque menace dangereusement la santé publique. À cette fin, il faut apporter de véritables modifications au Code criminel, compétence exclusivement fédérale.
    Pour la plupart des Canadiens, la mesure est comble. Nous ne pouvons ne pas réagir à la mort de policiers ou à celle d'innocents. Vous, les élus, votre priorité est d'examiner les systèmes judiciaires et ceux de la sécurité publique, de vous engager à entièrement comprendre les meilleurs recours, à déterminer ce qui ne donne pas de résultats et à réclamer des changements pour que ça cesse. Il n'y aura pas de vaches sacrées, à commencer par la libération sous caution jusqu'à la détermination de la peine en passant par la pénurie chronique et croissante d'effectifs policiers.
    Des statistiques récentes sur la Colombie-Britannique montrent que 200 personnes ont été à l'origine de l'ouverture de plus de 11 000 dossiers de la police en un an seulement. Nos organismes policiers ont également signalé une augmentation importante du nombre de délinquants qui, systématiquement, enfreignent leurs conditions de mise en liberté sans conséquence pour eux, pendant qu'ils sont en liberté sous caution et qu'ils omettent de comparaître, sans conséquence non plus.
    Il y a longtemps qu'on aurait dû lancer cet appel urgent à des conditions de remise en liberté sous caution plus rigoureuses, à des conséquences et à des peines plus sévères et à une détermination plus grande de maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice en ce qui concerne les règles d'évaluation des accusations et de la liberté sous caution.
    En Colombie-Britannique, depuis 2017, le temps pris par la province pour revoir les dossiers qu'elle reçoit de la police a augmenté de 118 %, tandis que le nombre de décisions du Service des poursuites de la province de ne pas accuser les suspects pour les affaires figurant dans les dossiers de la police a augmenté de 75 %.
    Notre système de justice pénale ne fonctionne pas, et c'est vrai depuis des années. Quand on les interroge sur notre système de justice pénale, la plupart des Canadiens le qualifient de farce, en évoquant les peines inappropriées qu'il impose pour des crimes graves, et ces peines se fondent sur des précédents judiciaires. Elles englobent notamment des affaires de conduite avec les facultés affaiblies, la traque, la violence en milieu familial et les homicides.
    Le projet de loi C‑75, fédéral, adopté en 2019, visait en partie à moderniser et à rendre plus efficace le processus de mise en liberté sous caution. Mais, involontairement, il permet à plus de récidivistes de retrouver la liberté. Nous assistons maintenant à la mise en place de politiques qui facilitent la remise en liberté sous caution, qui semblent transformer les palais de justice en machines judiciaires qui règlent les cas des individus à la chaîne.
    Au Canada, on relâche à répétition les personnes arrêtées — qui ont un énorme casier judiciaire d'infractions ou de crimes violents, des récidivistes sûrs de leur impunité — ou on leur inflige des peines tout au plus minimales.
    Les Canadiens estiment qu'un coupable devrait rester derrière les barreaux [difficultés techniques] au public. Assurer la sécurité des victimes et des témoins devrait être une partie essentielle de la prise de décision dans les procédures de remise en liberté.
(1805)
    Nous aimerions voir un projet de loi proposant une réforme qui se concentre davantage sur les personnes que nous considérons comme étant des délinquants chroniques, les individus qui ont eu un comportement violent de façon répétée, qui ont fait usage d'armes à feu et qui ont commis des actes avec les facultés affaiblies par la consommation d'alcool ou de drogues. Les antécédents criminels devraient être largement pris en compte lorsqu'il s'agit de déterminer si une mise en liberté sous caution doit être accordée.
    Au nom de toutes les victimes de crimes, j'exhorte le Comité de la justice et des droits de la personne et le gouvernement du Canada à effectuer les changements nécessaires pour améliorer la réforme du système de mise en liberté sous caution afin d'assurer la sécurité de tous les Canadiens.
    Merci.
    Merci.
    La parole est maintenant à Mme Vlietstra pour cinq minutes.
    Je vous remercie de prendre le temps de m'écouter et de me donner l'occasion de m'adresser à vous au sujet de la réforme du système de mise en liberté sous caution. C'est un dossier qui a des répercussions importantes en Ontario. J'ai espoir que la présente étude donnera lieu à des changements positifs pour mieux protéger les victimes dans les collectivités.
    Je m'appelle Lia Vlietstra, et cela fait 10 ans que j'offre du soutien aux victimes à titre de travailleuse de soutien au tribunal des cautionnements au sein de l'organisme Victim Services of Brant. Mon poste est financé par Centraide Brant. Notre bureau est situé au poste de police de Brantford. Nous venons en aide à des clients de la ville de Brantford, du comté de Brant et des Six Nations de la rivière Grand.
    Dans le cadre de mes fonctions au tribunal des cautionnements, je communique avec la victime dont l'agresseur comparaît au tribunal des cautionnements afin qu'elle me fasse part de ses craintes sur le plan de la sécurité et d'autres informations qu'elle souhaiterait que je transmette au tribunal. Je présente ensuite le tout à la Couronne afin qu'elle en tienne compte au moment de proposer des conditions de libération au tribunal avant que l'accusé ne soit mis en liberté sous caution.
    Lorsque je m'entretiens avec la victime, j'effectue une évaluation des risques et des ressources dont elle pourrait avoir besoin dans l'immédiat si l'agresseur est mis en liberté sous caution. Il pourrait, par exemple, être nécessaire de changer les serrures à son domicile et d'établir un plan pour assurer sa sécurité. Après l'audience sur la libération sous caution, j'informe la victime des conditions de mise en liberté sous caution et j'offre d'autres mesures de soutien.
    Mon travail est devenu difficile dans les dernières années en raison du nombre élevé d'arrestations et de la rapidité avec laquelle les délinquants sont libérés. On l'observe particulièrement dans les cas de violence entre partenaires intimes. Il peut arriver que nous n'ayons même pas le temps de recourir aux services d'un serrurier pour changer les serrures avant que l'accusé soit mis en liberté sous caution avec la seule promesse qu'il respectera les conditions.
    Il peut s'avérer extrêmement important d'aviser la victime le plus tôt possible de la libération de l'accusé. J'ai déjà dû appeler le 911 pendant que j'étais au téléphone avec une victime de violence entre partenaires intimes, car l'accusé s'est présenté chez elle 10 minutes après avoir été libéré sous caution avec la condition de ne pas entrer en contact avec la victime.
    C'est la triste réalité de notre système de mise en liberté sous caution. C'est un système qui n'est pas adapté aux particularités de chaque cas, en raison du principe de l'échelle découlant de la décision de la Cour suprême rendue dans l'affaire R c. Antic en 2017. À l'heure actuelle, un individu accusé de violence conjugale, d'agression sexuelle ou de vol qualifié peut être libéré selon la même forme de libération qu'une personne accusée de méfait et de vol conformément...
    Je vais passer en revue les changements qui, à mon avis, devraient être apportés pour protéger la sécurité publique et la confiance du public envers le système de mise en liberté sous caution.
    Les récidivistes violents ne devraient pas avoir droit à une mise en liberté sous caution. Les trafiquants de drogues, particulièrement de fentanyl et de méthamphétamine, ne devraient pas non plus avoir droit à une mise en liberté sous caution. Il en va de même pour les personnes accusées d'avoir utilisé une arme à feu. Il faudrait avoir davantage recours à la caution financière et confisquer le montant total du cautionnement dans les cas où le délinquant est reconnu coupable d'avoir manqué aux conditions de sa mise en liberté sous caution. Les cautions doivent faire l'objet d'une vérification minutieuse en ce qui a trait à leur capacité de supervision et à leurs avoirs financiers. Dans les cas de violence entre partenaires intimes, la caution de l'accusé ne devrait pas être le nouveau partenaire intime.
    Il faut mettre en place des conditions de mise en liberté sous caution visant à réduire les facteurs de risque spécifiques à chaque cas. Par exemple, si un délinquant se présente au tribunal seulement lorsqu'il est en état d'ébriété, des conditions de supervision et de soutien doivent être imposées pour s'attaquer au problème de consommation d'alcool en tant que facteur de risque, particulièrement si les accusations concernent des actes de violence.
    Des conditions plus strictes pour assurer la sécurité de la victime doivent être mises en place. À Brantford, il n'est pas rare qu'un tribunal impose le respect d'un rayon de 50 m seulement par rapport au lieu de résidence ou de travail de la victime. Cela représente environ la distance entre deux maisons et permet à l'accusé d'habiter dans le même pâté de maisons que sa victime.
    Dans les cas de harcèlement criminel, où l'accusé n'a aucune raison de se trouver dans la même ville que la victime, une région géographique comprenant l'ensemble de la ville devrait être imposée. C'est une demande qui a été formulée dans certains cas, mais cette condition n'a pas été imposée parce qu'elle était trop contraignante pour l'accusé.
    Des motifs tertiaires devraient également être pris en considération dans les cas où l'accusé a un lourd casier judiciaire. Cela va au cœur de l'un des aspects évalués dans le cadre des motifs tertiaires, c'est-à-dire la confiance du public envers l'administration de la justice. Les programmes de supervision de la mise en liberté sous caution ne devraient pas être utilisés comme moyen de supervision dans les cas de violence, et particulièrement de violence entre partenaires intimes. Ils fonctionnent très bien, mais ils ne peuvent pas procurer la supervision nécessaire pour dissiper les préoccupations relatives aux motifs secondaires.
    En ce qui a trait aux mesures de soutien pour les délinquants, je peux dire que la plupart des contrevenants, des membres de la famille et des partenaires intimes m'ont dit souhaiter que les délinquants reçoivent l'aide dont ils ont besoin. Que ce soit pour des problèmes de dépendance ou de santé mentale, ils veulent qu'ils aient un endroit où vivre et recevoir de la médication, une évaluation de leur santé mentale, des services de counselling et un traitement. Malheureusement, on ne peut pas obtenir cela d'un tribunal des cautionnements.
    Lorsque le juge de paix procède à une évaluation au titre de l'article 493 et détermine que l'accusé appartient à une population vulnérable, il doit examiner des solutions de rechange à l'incarcération. Habituellement, cela signifie que l'accusé est libéré sur son propre engagement ou qu'il sera assujetti à un programme de supervision de la mise en liberté sous caution.
(1810)
    Il faut en faire davantage au stade de la mise en liberté sous caution pour les petits délinquants aux prises avec des problèmes de dépendance et de santé mentale. Lorsqu'une ordonnance de probation est imposée à un délinquant, il arrive qu'il fasse déjà l'objet d'une dizaine de séries d'accusations.
    Je vous remercie pour votre attention. Je suis prête à répondre à vos questions.
    Je vous remercie beaucoup.
    Nous allons commencer notre premier tour de six minutes. La parole est d'abord à M. Van Popta.
    Merci, monsieur le président, et merci à tous les témoins.
    Je vais m'adresser à vous, madame Kaulius. C'est bien de voir un visage familier de la Colombie-Britannique. Je vous remercie pour votre présence, pour votre témoignage et pour le travail important que vous accomplissez au sein de votre organisme. Je sais que vous travaillez beaucoup avec des victimes de conduite en état d'ébriété et je sais que vous avez effectué un travail très efficace à cet égard, alors ma question portera là‑dessus, et particulièrement sur les récidivistes. Pourriez-vous faire part au Comité de votre expérience sur le sujet et de la façon dont il peut avoir un lien avec la réforme du système de mise en liberté sous caution.
    Eh bien, nous avons constaté beaucoup trop souvent qu'il ne s'agit pas d'une première infraction. Les policiers nous ont dit que, pour chaque personne qu'ils arrêtent en état d'ébriété, une centaine d'autres ne se font pas prendre, et c'est pourquoi nous voyons les statistiques augmenter. Certains récidivistes ont été accusés à trois, quatre et cinq reprises de conduite en état d'ébriété, mais ils ont été libérés sous caution et ils ont fini par tuer quelqu'un. Même dans ces cas‑là, nous avons vu des accusés se voir imposer uniquement une amende de 1 500 ou 2 000 $.
    Il y a eu deux cas ici, en Colombie-Britannique, la semaine dernière, et les individus qui ont été reconnus coupables d'avoir tué une personne ont été condamnés à une peine de détention à domicile. Cela ne décourage aucunement la conduite sous l'influence de l'alcool. Pas du tout, je suis désolée. Les familles des victimes sont dévastées, sachant que les individus qui ont tué les membres de leurs familles sont à la maison et continuent leur vie. Ils ne peuvent peut-être pas sortir, mais ils ne doivent pas purger une peine d'emprisonnement.
(1815)
    Nous discutons de la réforme du système de mise en liberté sous caution dans le cadre de notre étude, alors je vais vous poser une question à ce sujet. Pensez-vous qu'il serait juste d'imposer l'abstinence quant à la consommation d'alcool en tant que condition de mise en liberté sous caution à une personne accusée de conduite avec facultés affaiblies?
    Tout à fait. Nous devons faire quelque chose. Nous enregistrons environ 1 500 pertes de vie par année attribuables à la conduite en état d'ébriété, et j'ignore quel est le nœud du problème. Je milite pour des changements depuis une douzaine d'années, et je constate qu'il reste encore beaucoup à faire, car il continue d'y avoir des pertes de vie.
    Je ne sais pas s'il faut imposer aux fabricants d'automobiles d'installer un dispositif qui empêcherait le démarrage de la voiture, comme un dispositif antidémarrage, ou s'il faudrait adopter des lois sur la détermination de la peine plus sévères, ou bien s'il faudrait établir une règle selon laquelle un conducteur en état d'ébriété qui a un accident et qui tue une personne perd son permis de façon définitive. Il faut des mesures sévères et drastiques. Les gens doivent savoir que s'ils conduisent sous l'influence de l'alcool et qu'ils causent un accident entraînant la mort d'une personne, il y aura des conséquences graves, et je crois que…
    Merci.
    Madame Vlietstra, je vais maintenant m'adresser à vous. Je vous remercie pour votre témoignage.
    Si je vous ai bien compris, vous avez dit que les récidivistes violents ne devraient pas avoir droit à la mise en liberté sous caution, tout comme les individus ayant commis des infractions liées aux drogues et aux armes à feu. Est‑ce exact?
    Oui.
    Un des témoins précédents, Mme Myers, je crois, nous a expliqué qu'il y a un pourcentage très élevé des personnes incarcérées qui n'ont pas encore été condamnées. Ce sont des personnes qui attendent d'être libérées sous caution, alors, si nous refusons la libération sous caution à davantage de personnes, cela augmentera cette population. Qu'en pensez-vous?
    Les personnes en détention que je vois ne sont pas des individus à qui on refuse la mise en liberté sous caution. Elles sont en détention parce que l'avocat de la défense a demandé un ajournement. Certaines sont peut-être dans une situation où la caution a été établie, mais elle n'a pas été respectée. La plupart sont en détention provisoire à la demande de leur avocat pour différentes raisons que j'ignore.
    Vous n'estimez pas qu'une réforme du système de mise en liberté sous caution qui rendrait le système plus ou moins sévère changera les choses, car c'est seulement la procédure à la cour qui ralentit les tribunaux des cautionnements?
    Si on refusait la mise en liberté sous caution à un plus grand nombre de personnes, davantage d'individus se retrouveraient en détention provisoire après le refus d'une libération sous caution, mais à l'heure actuelle, d'après ce que j'observe, les personnes ne sont pas en détention provisoire parce qu'on leur a refusé la mise en liberté sous caution.
    Merci.
    Monsieur Danardo Jones, je suis ravi de votre présence. Plus tôt durant notre étude, nous avons reçu le chef Darren Montour du service de police des Six Nations. C'est le service de police qui a supervisé les conditions de libération sous caution de la personne qui est maintenant accusée du meurtre de Greg Pierzchala. Le chef Montour a souligné les graves problèmes sociaux qui ont une incidence sur le système de mise en liberté sous caution et notre système judiciaire.
    Il a terminé son témoignage en disant ceci: « C'est triste à voir, mais nous avons la responsabilité » — il parle du système de justice — « de veiller à la sécurité publique dans nos communautés, car dans 99 % des cas, le prévenu est Autochtone, tout comme la victime. »
    Je suis désolé…
    Ma question est la suivante: comment concilier l'intention de ne pas vouloir causer davantage de tort à ces délinquants et assurer la sécurité publique? Peut-être que vous aurez l'occasion plus tard de répondre.
    Je suis désolé, monsieur Van Popta.
    La parole est maintenant à Mme Diab pour six minutes. J'espère que vous pourrez répondre à cette question plus tard.
(1820)
    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, et je souhaite la bienvenue à nos témoins. Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus nous aider, nous les parlementaires, à cerner les problèmes concernant notre système de mise en liberté sous caution et de formuler des recommandations.
    J'aimerais d'abord m'adresser à M. Jones à propos du sujet sur lequel il vient d'être interrogé, à savoir les facteurs Gladue, vu qu'il n'a pas eu le temps de répondre. Je vous demanderais de bien vouloir nous parler de l'importance de ces facteurs et du fait de prendre en considération la race et les antécédents de l'accusé dans le système de mise en liberté sous caution. En outre, pouvez-vous nous dire, compte tenu de votre expérience en recherche, comment ces facteurs et d'autres éléments reliés aux antécédents de l'accusé sont pondérés par rapport à d'autres facteurs lorsque vient le temps de décider de la mise en liberté sous caution?
    Nous savons que la race est un facteur extrêmement important pour déterminer qui obtient une libération sous caution, selon quelles conditions et qui est en mesure de respecter les conditions fixées, que ce soit par la Couronne, un juge ou un juge de paix.
    Comme je l'ai mentionné, la mise en liberté sous caution est une question de gestion du risque, et le risque est évalué en fonction de l'apparence de la personne. Certaines personnes ont une apparence qui donne l'impression d'un risque élevé. Il existe de nombreuses données sociologiques qui appuient ce fait. Ce n'est pas quelque chose qui échappe à nos tribunaux. La Cour suprême du Canada et la Cour d'appel, notamment, rappellent régulièrement aux juges des tribunaux inférieurs d'admettre d'office ce fait.
    Les facteurs Gladue jouent un rôle, en ce sens qu'ils rappellent aux juristes spécialisés dans les libérations sous caution que les personnes non autochtones et non racisées, particulièrement par rapport aux accusés noirs, bénéficient de possibilités qui ne s'offrent pas à ces individus. Malheureusement, ce sont ces individus qui sont accusés de façon excessive et qui se retrouvent devant les tribunaux des cautionnements.
    Prendre la race en considération entraîne l'un de deux résultats. Cela contribue à uniformiser les règles du jeu, afin que notre système soit plus équitable, ou bien, à tout le moins, cela contribue à fournir un contexte, ce qui permet à la Couronne ou à un juge de paix de prendre une décision éclairée lorsqu'il s'agit de déterminer si la libération du prévenu avant le procès présente un risque trop élevé.
    C'est tout. Il s'agit seulement de fournir le contexte nécessaire pour permettre à un juge de paix ou à un juge de prendre une décision concernant le risque.
    Je vous remercie pour votre réponse.
    Que diriez-vous aux provinces et aux territoires? Que peuvent-ils faire pour complémenter les mesures prises par le gouvernement fédéral concernant la libération sous caution?
    Eh bien, l'éducation des juges est importante. Il faut que les juges comprennent que ce n'est pas parce qu'on demande aux juges ou aux juges de paix de prendre la race en considération qu'ils doivent nécessairement faire preuve de clémence. Ce n'est pas le cas. Il s'agit de fournir le contexte, le contexte social, nécessaire à la prise de décisions justes, de décisions qui concordent avec nos valeurs constitutionnelles. Il est impossible de prendre ce genre de décisions sans tenir compte du contexte.
    Cela signifie qu'il faut éduquer les avocats de la Couronne au sujet des répercussions de la race, comme on l'enseigne aux juristes spécialisés dans les libérations sous caution, qu'il s'agisse d'un juge de paix ou d'un juge. C'est ce contexte nécessaire qui est absent.
    Je vous remercie.
    Pouvez-vous nous expliquer l'incidence du projet de loi C‑75, d'après votre expérience, et les répercussions qu'il a eues sur le système de mise en liberté sous caution?
(1825)
    Il a fourni aux juristes spécialisés dans les libérations sous caution et aux avocats de la Couronne et de la défense un libellé qui n'existait pas dans les dispositions sur la mise en liberté provisoire par voie judiciaire; par exemple, le principe de retenue, pour tenir compte des populations vulnérables, notamment les populations autochtones. C'est un élément qui manquait dans les dispositions sur la mise en liberté sous caution. Le projet de loi a fourni le vocabulaire nécessaire.
    Nous savons que la Cour suprême du Canada a dit que, chaque fois que la liberté des Autochtones est en jeu, les facteurs Gladue doivent toujours s'appliquer. Malheureusement, rien dans la jurisprudence n’indiquait si le racisme anti-noir ou le sort réservé aux Canadiens noirs devrait être au cœur des décisions de libération sous caution, ou du moins être pris en considération. L'article 493.2 a fourni le libellé nécessaire.
    Merci, madame Diab.
    Je vous remercie beaucoup.
    Je vous souhaite la meilleure des chances pour l'obtention de votre doctorat.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    La parole est maintenant à M. Fortin pour six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
     Merci aux témoins qui sont avec nous.
    Monsieur Jones, nous sommes en train de réviser les dispositions relatives à la mise en liberté sous caution et nous entendons des témoins crédibles et importants nous dire qu'il y a trop de gens qui sont libérés trop facilement. D'un autre côté, cependant, nous entendons d'autres témoins nous dire qu'il y a au contraire trop de gens en prison et que ceux‑ci devraient être relâchés. Plus tôt, un témoin nous a dit que près de 70 % des accusés étaient détenus avant leur procès, ce qui m'apparaît un peu étonnant et non souhaitable. Par contre, quand j'entends parler des problèmes que vivent les victimes dont l'agresseur récidive après avoir été mis en liberté trop facilement, je trouve cela sérieux et inquiétant.
    Selon vous, où tracer la ligne? Comment pourrions‑nous d'une part éviter que des victimes soient en danger ou que des récidivistes en liberté provisoire commettent d'autres crimes? Comment d'autre part éviter d'emprisonner des personnes innocentes qui n'ont pas encore eu droit à leur procès? Comment servir les intérêts de chacun?

[Traduction]

    Pour revenir à l'observation que j'ai faite plus tôt à propos de la gestion du risque, parfois, la difficulté de calibrer l'approche appropriée pour équilibrer ces deux considérations très importantes, la sécurité publique d'une part et les valeurs constitutionnelles d'autre part... Comme je l'ai dit, ce n'est pas une science, c'est un art. Il faut que les procureurs et les juristes spécialisés dans les libérations sous caution fassent preuve de bon sens et soient attentifs, comme je l'ai dit, aux contextes sociaux nécessaires.
    Nous comprenons que nous ne voulons pas que des gens présentent d'énormes risques, et l'expression utilisée dans le Code est « risque élevé »... Comment déterminer si une personne présente ou non un risque substantiel de récidive?
    Le Code nous donne une certaine orientation. Il nous renseigne sur les antécédents, si une personne a commis ou non d'autres infractions ou a été condamnée. De plus, il nous renseigne sur le type d'infraction — la dimension normative de l'infraction —, c'est‑à‑dire s'il s'agit d'une infraction violente grave, etc. Ce sont là des considérations dont un avocat spécialisé dans les libérations sous caution tiendra compte lorsqu'il prendra une décision.

[Français]

    Êtes-vous d'accord avec la suggestion de Mme Vlietstra de refuser toute demande de mise en liberté sous caution dans le cas d'une récidive violente ou d'un crime commis avec une arme à feu, par exemple?

[Traduction]

    Je ne suis pas du tout d'accord. C'est une atteinte à notre Constitution.

[Français]

    Plus tôt, vous avez parlé de l'effet qu'a eu l'ancien projet de loi C‑75 sur la libération conditionnelle. J'aimerais vous entendre sur l'effet qu'a eu ou non l'abolition des peines minimales obligatoires sur ces libérations conditionnelles. Cela a-t-il changé quelque chose, par exemple dans l'appréciation qu'un juge a de la gravité d'une accusation?
(1830)

[Traduction]

    Les peines minimales obligatoires, si elles vont à l'encontre de l'article 12 de la Charte, ont été invalidées par les tribunaux. Ce que les tribunaux disent, c'est qu'ils sont bien placés pour imposer une peine à un accusé... ou imposer une peine proportionnelle. Ils ont l'expérience nécessaire pour le faire. Les peines minimales obligatoires retirent ce pouvoir discrétionnaire aux juges.

[Français]

    Nous nous entendons sur ce sujet, mais ma question portait davantage sur le signal. Je m'explique.
    Je suis moi aussi en faveur de laisser le juge décider des peines, parce que je pense que 99,9 % des juges en fonction font un travail souvent exceptionnel. Cela ne me pose donc aucun problème. Cependant, quand le législateur dit qu'il va abolir une peine minimale, cela envoie un message à la société, et je m'interroge sur la portée de ce message, surtout s'il est interprété comme signifiant que le crime que visait la peine minimale n'est pas si grave.
    À votre avis, ce message peut-il influencer les décisions prises en matière de mise en liberté sous caution?

[Traduction]

    Je ne dirais pas que cela a une incidence sur les décisions qui sont prises dans un tribunal des cautionnements, car ce sont des considérations différentes qui sont prises en compte, qui sont examinées, à l'étape de la détermination de la peine. Nous parlons de proportionnalité. Nous parlons de peines équitables. Qu'est‑ce qu'une peine proportionnelle?
    C'est ce que nous prenons en considération: la gravité de l'infraction, la culpabilité morale du délinquant. Nous prenons ce facteur en considération.
    Vous avez soulevé la question de la dimension communicative d'une peine. Quel message envoie‑t‑elle au public? Est‑ce qu'on dit que ce délit ou ce comportement particulier n'est pas grave s'il n'est pas assorti d'une peine minimale obligatoire?
    Ce que je vous dis, c'est que nos tribunaux sont bien placés pour envoyer un message quant aux conditions ou à la dénonciation, pour relier une peine qui exprime l'aversion de la société à un comportement particulier. Nos tribunaux sont bien placés pour le faire. Je ne pense pas que nos tribunaux aient prononcé des peines clémentes qui envoient aux criminels potentiels le message qu'ils peuvent commettre des crimes en toute impunité. Je ne pense pas que c'est ce qui se passe avec l'abolition des peines minimales obligatoires.
    Je vous remercie, monsieur Fortin.
    Monsieur Garrison, vous disposez de six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux poursuivre avec vous, monsieur Jones, et prendre un peu de recul. Je pense que vous avez soulevé vos trois arguments, mais vous n'avez pas eu l'occasion de résumer ce que cela représentait. J'imagine que vous conviendrez que le système de libération sous caution contribue au recours excessif à l'incarcération des Canadiens marginalisés et racisés.
    Je veux vous donner l'occasion de discuter la façon dont cela se produit.
    En effet. Grâce aux données en matière de sciences sociales, nous savons que les policiers font du profilage racial. À l'heure actuelle, cette affirmation n'est pas très controversée. Il en résulte des poursuites excessives à l'encontre des personnes racialisées, des Autochtones et des Noirs.
    Quand ces gens sont devant un tribunal des cautionnements, comme je l'ai dit plus tôt, en raison de la façon dont nous interprétons le risque et de la façon dont le risque est inscrit sur les corps, ces individus, que le fardeau de la preuve incombe à la Couronne ou qu'il soit inversé, sont considérées comme moins susceptibles de respecter la condition de liberté sous caution qui leur a été imposée que quelqu'un qui n'est pas dans la même situation. Nous avons certaines idées sur la question de savoir qui est le plus digne de confiance. C'est le seuil des preuves lors d'une audience de mise en liberté sous caution, à savoir des preuves crédibles et dignes de confiance. Certaines personnes, en raison de certains récits raciaux, comme je l'ai dit, sont considérées comme plus crédibles et plus dignes de confiance. Nous ne parlons pas seulement de la personne accusée, mais aussi de toutes les cautions sur lesquelles elle peut compter.
    La façon dont le risque est compris et dont nous percevons le risque sur des corps particuliers pose un problème profond. C'est là que la sensibilité, la prise de conscience ou la conscience raciale entre en ligne de compte. Est‑ce quelque chose que l'on peut légiférer? Pas nécessairement. Comme je l'ai dit, le projet de loi C‑75 nous a fourni un libellé, mais il incombe aux procureurs, aux avocats de la défense, aux juges de la paix et aux juges de commencer à prendre conscience de certaines de ces réalités raciales sur le terrain et à les incorporer dans leur prise de décision.
(1835)
    Je pense que vous avez parlé plus tôt de ce qui mène aux bris de conditions, alors je vais vous poser une question semblable. Si l'on se fie aux publications, les gens qui sont racialisés, marginalisés ou autochtones, reçoivent plus de conditions et sont plus susceptibles de ne pas être en mesure de respecter ces conditions lorsqu'ils sont libérés sous caution.
    J'imagine que vous allez nous dire la même chose, à savoir qu'il y a une raison à cela.
    Effectivement. Nous avons constaté que le système de libération sous caution, malheureusement, est utilisé comme une sorte de substitut à la peine. C'est une perversion du système de libération sous caution. C'est une atteinte à notre Constitution. C'est certainement une atteinte au paragraphe 11e).
    Je crois que c'est une tentative de transformer les audiences sur la libération sous caution en proto-procès, ou en procès avant les procès, ce qui est inquiétant, parce que ce sont des questions différentes qui sont tranchées lors d'une audience de mise en liberté sous caution. Comme je l'ai dit, il s'agit de gérer les risques. Il ne s'agit pas de prouver la culpabilité ou l'innocence. Il ne s'agit pas non plus de punir des personnes pour des actes répréhensibles. Ce sera fait plus tard. Nous ne pouvons pas coopter ou contourner le processus pour essayer de punir les gens plus tôt parce que nous pensons, ou qu'il est déjà acquis, que cette personne est coupable. Nous ne le savons pas. C'est la raison pour laquelle nous avons un système contradictoire. Un jour, la personne bénéficiera d'un procès équitable et cette décision sera prise.
    Il me reste une minute. Je peux peut-être revenir à votre déclaration initiale, où vous avez évoqué l'incapacité de pallier une perte de liberté. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les conséquences, pour ceux qui n'ont pas été condamnés et qui ne le seront pas, d'être détenus ou soumis à ces conditions?
    Certainement. Nous parlons non seulement d'une perte de liberté, mais aussi d'une perte de dignité, et nous parlons de populations qui ont historiquement été dépouillées de leur dignité. Elles n'ont plus de dignité à perdre, et c'est ce qui se passe lorsque les gens sont présumés coupables dès le départ. Ils sont considérés comme coupables dès le départ. C'est une atteinte à la dignité et, bien entendu, une atteinte à la liberté.
    C'est préjudiciable d'emblée, et nous ne pouvons pas y pallier plus tard. Je suis certain que des gens en ont déjà parlé, soit de la probabilité qu'une personne plaide coupable si on lui refuse la liberté sous caution, notamment.
    Mon temps de parole est écoulé.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie, monsieur Garrison.
    En raison du temps qu'il nous reste, notre prochaine série de questions sera limitée à trois minutes pour chaque intervenant, et ce sera notre dernier tour.
    Nous allons entendre M. Brock pour trois minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Ma première question s'adresse à M. Jones.
    Je crois savoir que vous oeuvrez dans le milieu universitaire. Vous travaillez à la faculté de droit à l'Université de Windsor. Avez-vous déjà pratiqué le droit, monsieur?
    Oui.
    Dans quel domaine?
    J'ai travaillé en droit criminel.
    S'agissait‑il de défense en droit criminel?
    C'était de la défense en droit criminel. J'ai travaillé avec des organismes d'aide juridique au Canada, à Terre-Neuve-et-Labrador, en Nouvelle-Écosse et en Ontario.
    De quelle année à quelle année?
    J'ai été admis au Barreau en 2013, et j'ai pratiqué le droit jusqu'en 2020.
    La raison pour laquelle je pose la question est que j'ai pris note de certains propos assez incendiaires que vous avez tenus qui, en tant qu'ancien procureur de la Couronne, ne reflètent pas la réalité. J'aimerais savoir d'où vous tenez vos données sur des enjeux tels que la présomption de culpabilité de la part de la Couronne dans le système au moment de la mise en liberté sous caution, le fait que les procureurs doivent être sensibilisés aux réalités des personnes marginalisées, qu'elles soient noires ou autochtones, que le système de mise en liberté sous caution est un substitut à la peine, et que les juges doivent être conscients des réalités raciales sur le terrain.
    D'où proviennent ces données?
(1840)
    La Cour suprême du Canada l'a répété à maintes reprises, et il y a aussi le...
    C'est exact, et il y a l'affaire Antic et l'affaire Zora et, de la Cour d'appel de l'Ontario, il y a l'affaire Morris, qui était une stratégie contre les Noirs.
    Êtes-vous au courant de cela?
    J'ai rédigé des articles à ce sujet.
    Oui, et les procureurs de la Couronne d'un bout à l'autre du pays reçoivent de la formation exhaustive, chaque année, une formation juridique continue. Je trouve donc plutôt offensant que vous utilisiez ce vaste volet pour catégoriser le système de la Couronne et le système judiciaire lorsqu'il s'agit de personnes marginalisées, noires et autochtones, qui ne reçoivent pas un traitement équitable dans notre système de mise en liberté sous caution.
    Ce ne sont pas des propos que j'ai tenus. Les tribunaux l'ont dit, et ils l'ont fait dès 1993 dans l'affaire R. c. Parks. Ce n'est pas moi qui le dis, que le système est profondément anti-Noirs. C'est le juge Doherty qui le dit.
    Je vous remercie, monsieur.
    Madame Vlietstra, par rapport à la courte période où M. Jones a pratiqué le droit, vous avez été sur la ligne de front, jour après jour, dans les tribunaux des cautionnements. Vous avez entendu un groupe de témoins aujourd'hui. Vous avez entendu des références à des personnes qui ont témoigné dans le passé.
    Comment réagissez-vous à ce que vous avez entendu aujourd'hui? Quelles sont les réalités? Quelles sont les réalités quotidiennes que vous voyez dans les tribunaux pénaux?
    Les réalités quotidiennes que je vois et auxquelles je fais face au nom des victimes sont que la majorité des délinquants sont libérés rapidement et de manière répétée, et ce, pour des infractions de violence conjugale et un vaste éventail de crimes violents. Ils sont libérés dès qu'ils sont arrêtés par la police et libérés sur remise de promesses, et ils peuvent avoir un casier judiciaire pour cela, des infractions antérieures, puis ils sont détenus pour le tribunal des cautionnements et souvent libérés sur consentement de la Couronne ou sur remise de promesses, avec des conditions interdisant tout contact, pas à moins de 50 mètres d'une victime, et pas d'armes. C'est là que tout commence. Ensuite, ils sont inculpés, généralement d'une infraction, ou ils peuvent être inculpés d'une infraction et d'autres délits, puis détenus et libérés, gravissant peu à peu l'échelle de la libération. Ils ne sont pas inculpés une seule fois, mais à plusieurs reprises.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Brock.
    Nous allons maintenant entendre M. Zuberi pour trois minutes.
    Bonjour, monsieur Jones, ou comme ils le disent au Québec, maître Jones.
    J'aimerais vous céder la parole pour que vous puissiez conclure vos remarques.
    J'aimerais également connaître votre expérience personnelle en tant que personne de couleur dans le monde juridique. Quelles sont les...?
    Souhaitez-vous nous faire part d'anecdotes personnelles sur la manière dont vous avez été traité ou orienté par d'autres, si vous avez constaté des interactions différentes de la part d'autres collègues d'origines diverses?
    Il est toujours malaisant de parler de race. Quand vous soulevez des enjeux liés à la race, il y aura des gens qui pensent que vous ciblez des personnes ou des institutions en particulier, mais mes données sont très fiables. La Cour suprême du Canada soutient mes données, même si ce ne sont pas mes données. Ce sont des données qui ont été compilées au cours des 30 dernières années.
    Si j'avais su que je devais apporter ces données avec moi, je l'aurais fait. Je peux les envoyer à une date ultérieure pour qu'elles figurent au compte rendu.
    Je vous demanderais de nous faire parvenir ces données.
    Ce n'est pas un problème.
    Il est difficile de parler de race. C'est l'une de ces choses. Chacun d'entre nous accepte d'avoir cette discussion ou de s'asseoir et d'entendre parler du sujet. Il ne s'agit pas seulement des procureurs de la Couronne, mais aussi des avocats de la défense et de toutes les personnes qui veillent à ce que l'administration de la justice soit équitable.
(1845)
    Certainement.
    Je pensais, lorsque j'ai posé la question... J'ai travaillé à la faculté de médecine de l'Université McGill, et l'une des universitaires avec qui je travaillais — j'étais membre du personnel — était une dame d'un certain âge. Elle m'a dit qu'on la prenait souvent pour une infirmière, ou parfois même pour le gardien ou le concierge de l'hôpital, alors qu'elle était médecin.
    Je sais que les personnes d'origine raciale différente qui exercent ces professions — en droit, en médecine, etc. — ont des interactions différentes de celles qui ne sont pas racisées.
    C'est mon expérience. Je suis entré dans des palais de justice, et malgré le fait que je pense avoir l'air d'un juriste, on m'arrête, etc. C'est tout à fait endémique et ce n'est pas quelque chose qui n'est arrivé qu'à moi. Cela arrive à beaucoup d'autres avocats racisés.
    Je dirais que, malgré la formation que les avocats, procureurs et autres membres du personnel dans le système judiciaire ont, il reste du travail à faire, et l'affaire Gladue fait avancer les choses dans la bonne direction.
    C'est exact. Comme le député l'a dit, nous voyons les tribunaux envoyer des signaux aux avocats dans des affaires comme Morris et Le...
    Avec quelqu'un comme vous — un candidat au doctorat qui obtiendra son diplôme très bientôt, j'en suis certain —, il est très intéressant de constater que des hypothèses sont émises sur vos références, vos recherches, vos antécédents et votre expertise. C'est ahurissant, pour être honnête, mais cela montre que nous avons beaucoup de travail à faire.
    Vous savez...
    Terminez votre pensée, puis nous conclurons la séance.
    J'allais simplement dire que vous avez une bonne carapace. Je sais qu'il est difficile de parler de la race...
    C'est absolument nécessaire.
    Je vous remercie, monsieur Zuberi.
    Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence et de leurs très précieux témoignages.
    Avant de conclure, je pense que le greffier voulait mentionner un événement auquel nous avons tous été invités. Je crois qu'il aura lieu vendredi. Je ne pourrai pas y assister, mais monsieur le greffier, voulez-vous lire rapidement l'invitation aux membres?
    Merci, monsieur le président. Je ne savais pas que j'aurais à faire cela maintenant.
    Nous ferons circuler une invitation à un événement à propos de l'Ukraine qui se déroulera vendredi soir. On la distribuera demain matin. Elle provient du Centre parlementaire.
    Très bien. Voilà qui conclut la réunion.
    Nous allons lever la séance, et nous vous reverrons tous après la semaine de relâche.
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