Passer au contenu
;

AFGH Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document







CANADA

Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan


NUMÉRO 007 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 28 avril 2010

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Bonjour, tout le monde. C’est la septième réunion du Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. Nous sommes le mercredi 28 avril 2010.
    Nous aurons un timbre à 17 h 15, puis un vote à la Chambre à 17 h 30. Je demande donc aux membres s’il est possible d’aborder les travaux du comité entre 16 h 45 et 17 heures. Nous avons beaucoup de questions à examiner.
    Nous avons prévu pour aujourd’hui un groupe de deux témoins, à qui nous souhaitons la bienvenue.
    Nous poursuivons notre étude sur le transfert des détenus afghans. Nous avons comme témoins, du ministère de la Défense nationale, M. Gavin Buchan, ancien directeur des affaires politiques de l’Équipe de reconstruction provinciale à Kandahar, et, à titre personnel, le major-général à la retraite Timothy Grant, ancien commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan.
    Je crois savoir que vous avez tous deux des exposés préliminaires à présenter et que vous répondrez ensuite aux questions des membres du comité. Nous ferons un ou deux tours de questions.
    Je vous souhaite la bienvenue à tous deux. Je vous remercie de votre présence. Nous avons hâte d’entendre vos exposés.
    À vous, monsieur Buchan.
    Monsieur le président, honorables membres du comité, permettez-moi tout d’abord de me présenter et de vous expliquer brièvement la nature de mon rôle dans le dossier afghan.
    J’ai travaillé pendant 18 ans pour l’administration fédérale, dont 15 ans au ministère des Affaires étrangères et trois à la Défense nationale. J’ai travaillé sur le dossier des détenus afghans à trois titres distincts. D’abord, au début de 2005, j’ai été directeur adjoint de la Direction des relations de sécurité et de défense au MAECI. Entre avril 2006 et juillet 2007, j’ai été directeur politique de l’Équipe de reconstruction provinciale du Canada à Kandahar, sauf pendant les mois de mai et juin 2006, où j’ai été remplacé par Richard Colvin. À mon retour d’Afghanistan, j’ai été muté au MDN, où j’ai été directeur de l’unité responsable de la politique sur l’Afghanistan d’octobre 2007 à février 2009.
    J’aimerais parler de ces trois affectations dans l’ordre chronologique.
    En 2005, j’ai participé à des réunions interministérielles sur les options qui s’offraient relativement au traitement des futurs détenus en Afghanistan. La décision de baser notre régime sur le transfert des détenus aux autorités afghanes a été prise principalement parce que nous nous attendions à ce que la plupart des détenus soient des citoyens afghans pris en territoire afghan. Le fait de transférer les détenus au gouvernement hôte était une question de respect de la souveraineté afghane.
    J’aimerais souligner qu’en 2005, les ministères étaient conscients du fait que le système de détention afghan présentait de graves lacunes. Comme le risque existait que les prisonniers soient maltraités, des mesures ont été prises pour réduire ce risque. Le Canada a demandé au gouvernement de l’Afghanistan et obtenu de lui l’assurance qu’il respecterait les normes internationales de traitement et donnerait accès à la fois au Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, et à la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan ou CIDHA. Cependant, il est clair aujourd’hui, avec le recul et compte tenu de l’expérience pratique acquise à Kandahar, que ce n’était pas suffisant.
(1535)

[Français]

    Avec l'accord en place, entre février 2006 et avril 2007, nous avons eu peu d'informations quant aux détenus que nous avons transférés. Il a été allégué que, durant cette période, les autorités canadiennes savaient que les détenus transférés aux prisons afghanes étaient soumis à la torture. Cela n'est corroboré ni par le souvenir que j'ai du temps passé à Kandahar, ni par les documents écrits que j'ai passés en revue pour préparer ma présentation d'aujourd'hui.

[Traduction]

    Avant avril 2007, mon travail en ce qui concerne les détenus mettait l’accent sur le renforcement des capacités. Je n’avais aucun mandat pour exercer des fonctions de surveillance. Néanmoins, dans le cadre de mes fonctions à Kandahar, j’ai eu des entretiens avec le CICR et la CIDHA. J’ai rencontré des juges, des procureurs, des responsables des prisons et des agents de police afghans. Je me suis également entretenu avec des personnalités politiques, des aînés de villages et des fermiers. J’ai rencontré des fonctionnaires de l’ONU, des représentants d’ONG et des alliés membres de l’OTAN. J’ai même rencontré le Conseil des érudits religieux de Kandahar. Aucun de ces contacts ne m’a permis de recueillir des renseignements indiquant que les détenus transférés par le Canada étaient maltraités ou que les autorités afghanes ne respectaient pas l’accord conclu avec nous au sujet des détenus. Si j’avais obtenu de tels renseignements, je l’aurais signalé à Ottawa et recommandé un plan d’action.
    Je crois savoir que le comité est au courant du fait que des messages ont été envoyés par l’ambassade de Kaboul au sujet des détenus entre février 2006 et mars 2007. Ayant par la suite passé en revue les documents relatifs à cette période — je précise bien « cette période » —, j’ai pu constater qu’ils n’ajoutaient rien de significatif à ce que nous savions déjà en 2005. Ils confirmaient simplement le risque d’abus auquel étaient exposés les détenus en Afghanistan. Aucun de ces documents ne contenait des renseignements précis sur le traitement des détenus transférés par le Canada. Aucun ne donnait des renseignements spécifiques sur les installations auxquelles le Canada transférait les détenus. Et, ce qui est plus important, aucun de ces messages de l’ambassade ne recommandait d’apporter des changements de fond à la politique concernant les détenus.
    Il est possible qu’il y ait d’autres documents dont je ne connais pas l’existence. Il est possible que des événements se soient produits sans que je sois au courant, pendant que je faisais partie de l’équipe de reconstruction provinciale.

[Français]

    Toutefois, à ma connaissance, la première allégation d'abus des détenus transférés par le Canada est apparue dans le contexte des articles de presse publiés en avril 2007. Ces articles contenaient de multiples allégations de torture qui auraient eu lieu à l'établissement de la Direction nationale de la sécurité, la DNS,

[Traduction]

en anglais, la NDS...

[Français]

dans la ville de Kandahar.

[Traduction]

    Ces allégations ont été prises très au sérieux, tant à l’administration centrale que sur le terrain, et un échange de vues énergique a eu lieu sur ce qu’il convenait de faire. Une intervention rapide a également été mise en œuvre. Dans les 48 heures, j’ai été envoyé avec un collègue du Service correctionnel du Canada pour mener une enquête préliminaire sur l’établissement concerné de la DNS.
    Durant cette visite, deux allégations d’abus m’ont été communiquées directement. Des démarches ont alors été faites aux échelons les plus élevés. Le CICR et la CIDHA ont été avisés et, dans les dix jours suivants, un nouvel accord a été conclu avec le gouvernement de l’Afghanistan. Cet accord supplémentaire a donné aux surveillants canadiens le pouvoir d’effectuer des visites sans donner d’avis préalable et de s’entretenir sans témoins avec les détenus. Dans le cadre de cet accord, le gouvernement afghan s’engageait en outre à enquêter sur les allégations et à engager des poursuites sur leur base et à apporter plusieurs autres améliorations importantes.
    L’accord supplémentaire du 3 mai 2007, bien qu’il établisse un régime beaucoup plus robuste, n’est pas une panacée. Sa mise en œuvre intégrale n’est pas une tâche facile. Toutes les visites de surveillance passent par des rues de Kandahar qui mènent à un lieu facile à prévoir qui est observé de près, et parfois attaqué, par les insurgés. Chaque déplacement met en danger la vie des membres de l’équipe de surveillance et des membres de l’équipe de sécurité. On puise dans les ressources très limitées de l’équipe de reconstruction provinciale, ressources qui ne sont alors plus disponibles pour les patrouilles destinées à faire avancer les projets canadiens ou à établir des contacts avec les villageois des districts. Tout appel de surveillance implique des compromis. Toutefois, dans l’ensemble, l’accord supplémentaire compte parmi les plus fermes de l’OTAN en ce qui concerne le traitement des détenus.

[Français]

    Par contre, sa mise en oeuvre intégrale a soulevé quelques difficultés qui m'ont été révélées en novembre 2007, après mon retour à Ottawa. À ce moment-là, comme le sait le comité, des allégations convaincantes de torture avaient causé la suspension des transferts. Il a fallu plusieurs mois, une augmentation considérable de la surveillance et un engagement intensif auprès de la DNS pour être à nouveau convaincus que les détenus que nous transférions ne couraient pas de risques considérables d'abus.
(1540)

[Traduction]

    Dans le contexte afghan, nous ne pourrons jamais éliminer complètement le risque de torture. Toutefois, lorsqu’il est appliqué dans son intégralité, l’accord supplémentaire constitue un bon moyen de dissuasion et, le cas échéant, de détection des violations. De ce fait, il a grandement contribué à modifier le fonctionnement de la DNS à Kandahar, ce qui a profité non seulement aux détenus transférés par le Canada, mais aussi aux autres détenus confiés à la DNS.
    J’aimerais conclure sur une note personnelle. Depuis les audiences du comité en novembre dernier, j’ai de sérieux doutes. On a affirmé qu’au cours de la période qui a précédé mars 2007, les autorités canadiennes savaient que nous envoyions des détenus à la torture. J’étais le représentant du MAECI sur le terrain. C’est moi qui rencontrais les représentants locaux de la CIDHA et du CICR. Toutefois, c’est seulement en avril 2007 que j’en suis venu à la conclusion que notre accord sur les détenus ne fonctionnait pas. Je me suis donc demandé si j’avais omis de tenir compte de renseignements que j’aurais dû voir. Si tout le monde était au courant, qu’avais-je manqué? L’examen des documents auquel j’ai procédé en prévision de cette réunion m’a un peu rassuré. Je n’ai rien trouvé dans le dossier jusqu’en mars 2007 qui indiquerait que des détenus transférés par le Canada étaient victimes d’abus, rien qui modifiait sensiblement ce que nous savions en 2005, lors de la conclusion de l’accord initial. De plus, le dossier montre très clairement que lorsque des allégations sérieuses ont été faites en avril 2007, des mesures fermes ont rapidement été prises.
    Sur la base de l’expérience acquise en travaillant sur ce dossier, je sais qu’il y a d’importantes leçons à tirer de ces événements, des leçons qui méritent d’être examinées pour qu’on en tire parti à l’avenir. Cependant, dans l’ensemble, j’ai pu observer le travail d’un groupe dévoué de civils et de militaires qui ont fait de leur mieux pour s’assurer que les détenus étaient traités d’une façon humaine conforme aux obligations internationales du Canada. Ils l’ont fait dans des conditions difficiles et souvent dangereuses. De plus, dans l’esprit des meilleures traditions canadiennes, ils ont, chaque fois qu’ils ont été confrontés à des problèmes, fait tout leur possible pour les régler. Ce fut pour moi un privilège de travailler à leurs côtés.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup, monsieur Buchan.
    C’est maintenant à vous, général Grant.
    Je m’appelle Tim Grant. Du 1er novembre 2006 jusqu’au 1er août 2007, j’ai été commandant de l’effectif militaire canadien faisant partie de la mission en Afghanistan. Mes fonctions comprenaient des responsabilités nationales ainsi que d’autres responsabilités liées à mon rôle de commandant des opérations terrestres de combat de l’OTAN dans la province de Kandahar.
    Comme vous l’ont dit d’autres témoins, les pertes militaires ou civiles ainsi que le traitement des détenus étaient considérés comme des secteurs possibles d’échec stratégique de la mission canadienne. De ce fait, j’ai accordé beaucoup d’importance à ces deux sujets dès mon arrivée et pendant toute la durée de mon affectation.
    Parmi les premiers documents que j’ai lus à mon arrivée à Kandahar, il y avait les ordres permanents de la Force opérationnelle concernant le traitement des détenus. Pour nous, c’était la bible à appliquer entre la capture et le transfert ou la libération. J’ai veillé à ce que tous mes subordonnés lisent ce document et en comprennent le contenu.
    À mesure que nous en apprenions plus sur l’environnement de nos opérations, nous apportions des mises au point à ces ordres permanents en fonction des leçons apprises. Je suis donc persuadé que les bonnes personnes prenaient les bonnes décisions, au bon moment et au bon endroit.
    Je dirais, pour situer le contexte, qu’en novembre 2006, le groupement tactique s’était acquitté de l’opération Medusa. L’opération avait réussi, mais nous avions subi d’importantes pertes. Les compagnies étaient essentiellement déployées dans la région de Panjwai, entre les centres de district de Zhari et Panjwai. Dire que les soldats vivaient dans des conditions spartiates est probablement en dessous de la vérité. Beaucoup de ces jeunes gens et jeunes femmes avaient passé plus d’un mois sans douches, sans eau courante pour les toilettes et sans lessive, s’alimentant uniquement de conserves. De plus, ces postes avancés étaient souvent attaqués par les insurgés.
    Il nous incombait d’empêcher ces insurgés, qui ne portaient pas d’uniforme, de réinfiltrer la région où les agriculteurs locaux essayaient de cultiver leurs champs. Ces agriculteurs étaient justement ceux que nous cherchions à protéger. Cette tâche est en fait devenue plus difficile à mesure que nous réussissions à repeupler la région au début de 2007. Les questions tactiques posées par les soldats sur le terrain étaient un moyen vital d’obtenir les renseignements nécessaires aux décisions à prendre pour protéger la population de l’influence et de la menace des insurgés.
    Certains se sont demandé pourquoi nous prenions des prisonniers. Permettez-moi de vous donner un peu de contexte, car cela semble avoir manqué jusqu’ici.
    Je vais vous présenter trois brefs scénarios. Premièrement, des soldats entrent en contact avec l’ennemi, des coups de feu sont échangés, les deux parties se battant pour leur vie, ce qui entraîne la capture d'insurgés. Deuxièmement, prenons le cas d’un convoi qui saute sur un engin explosif improvisé: des Canadiens sont tués ou blessés et on constate qu’un Afghan blessé par la déflagration et en train de recevoir des premiers soins est en possession d’une arme. Troisièmement, une attaque de haute précision est déclenchée contre une fabrique de bombes où des individus sont trouvés en possession d’explosifs. Tous ces cas sont réels et, dans chaque cas, les soldats canadiens examinent les conditions et les indices avant de décider de prendre des prisonniers.
    Une fois qu’un individu est considéré comme une menace, il est détenu. Les détenus passent par un processus administratif, sont examinés par un médecin, puis sont envoyés dans une installation de détention établie sur le terrain d'aviation de Kandahar. Là, les détenus subissent d’autres examens médicaux et administratifs destinés à vérifier les renseignements recueillis sur le terrain.
    Enfin, deux décisions sont prises: d’abord, y a-t-il des motifs de transfert et, ensuite, est-il indiqué de les transférer? Des décisions de ce genre étaient en moyenne prises chaque semaine.
    J’espère que vous vous rendez compte de l’importance critique qu’il y avait à soutenir nos soldats sur le terrain en établissant un système permettant de retirer rapidement et en toute sécurité les insurgés et d’autres suspects du champ de bataille. Pour moi, cette tâche avait pour premier objectif de protéger nos hommes et nos femmes, les détenus eux-mêmes et, bien sûr, le peuple afghan.
    Comme vous le savez, la décision de transférer les détenus incombe au commandant. Autrement dit, elle m’incombait. Je savais combien il était important de déterminer s’il y avait de bonnes raisons de croire que le détenu risquait sérieusement d’être torturé ou autrement maltraité s’il était remis aux autorités afghanes. Je comprenais que c’était ma responsabilité de me tenir au courant des conditions dans lesquelles les détenus étaient transférés. Je surveillais le trafic de communications, je lisais les messages électroniques et je parlais à ceux que j’estimais capables de m'aider à prendre des décisions.
    Ce n’était pas une affaire ponctuelle. J’accordais constamment beaucoup d’attention à cette question. Il n’y a pas de doute que l’information provenant de l’ambassadeur et de l’ambassade était importante, mais je m’entretenais aussi avec nos alliés, avec la Croix-Rouge, avec la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan et avec les Nations Unies. J’ai eu recours à toutes les sources possibles d’information, y compris des juristes spécialisés, pour prendre des décisions éclairées.
(1545)
    Avant avril 2007, personne ne m’avait jamais fait part de préoccupations concernant les transferts. M. Colvin ne l’a jamais fait, même s’il a eu souvent l’occasion de m’en parler. Je me suis entretenu avec le représentant local de la Croix-Rouge dans les trois semaines qui ont suivi mon entrée en fonction et régulièrement par la suite. Aucun rapport faisant état de préoccupations de la Croix-Rouge n’a jamais été porté à mon attention. Je suis pourtant persuadé que de tels rapports m’auraient été transmis s’ils avaient existé, compte tenu de mes relations positives, ouvertes, franches et fréquentes avec les représentants de l’organisation.
    Lorsque les allégations ont été faites en avril, des mesures ont rapidement été prises afin d'en vérifier la véracité et de déterminer ce qu’il convenait de faire pour remédier au problème au besoin. En fin de compte, la décision de transférer des détenus n’a jamais été prise à la légère ou sans contexte.
    Même si j’étais particulièrement conscient des points d’échec stratégiques et si j’étais informé de l’action des soldats canadiens sur une base quotidienne, je savais que mes responsabilités de commandant allaient au-delà des hommes et des femmes en uniforme. J’ai établi de solides relations avec les autres membres de l’équipe pangouvernementale. Elle comprenait les membres de la GRC qui entraînaient la police, les agents du Service correctionnel du Canada qui travaillaient dans les prisons et le personnel de l’Agence canadienne de développement international qui aidait certaines des régions les plus dénuées de la province. De plus, j’avais des contacts avec les organisations internationales, y compris la mission d’assistance des Nations Unies et l’Agence de développement international des États-Unis, pour ne nommer que ces deux. Les problèmes et les défis étaient évidents pour tous et nous y étions tous soumis. Par conséquent, nous nous entraidions, et nous recevions régulièrement des directives et des conseils de nos chefs à Ottawa.
    J’ai également établi de bonnes relations de travail avec les ambassadeurs Sproule et Lalani. Il n’y a pas de doute qu’ils dirigeaient l’effort canadien en Afghanistan. Ils représentaient le gouvernement du Canada dans le pays. J’appuyais donc leurs efforts. De leur côté, ils m’aidaient à mieux comprendre l’environnement politique et de sécurité de l’Afghanistan, qui est complexe et toujours en évolution, ainsi que le comportement des principaux joueurs représentés à Kaboul.
    Toutefois, la personne sur laquelle je comptais le plus pour comprendre la dynamique politique à Kandahar, c’est l’homme assis à mes côtés. Gavin était le directeur politique de l’équipe de reconstruction provinciale. Je ne dis pas cela parce qu’il est présent aujourd’hui. Je crois vraiment qu’il avait une vision particulièrement éclairée de tous les aspects politiques de la situation dans la province.
    La signature de l’accord supplémentaire a constitué un événement important de mon commandement. Tout le long de l’élaboration de l’accord, mes adjoints et moi-même avons collaboré étroitement avec l’équipe pangouvernementale et la hiérarchie militaire. Nous avons révisé les ordres permanents de la Force opérationnelle et avons confirmé le rôle de tous les membres de l’équipe avant, durant et après les transferts.
    Vous avez entendu parler des relations spéciales qui existent entre les Forces canadiennes et les dirigeants des forces de sécurité afghanes, y compris la police, l’armée, la police frontalière et la Direction nationale de la sécurité ou DNS et le gouverneur. Je reconnais volontiers que nous avions de bonnes relations, et je ne m’en excuse pas. J’ai favorisé des relations étroites avec les organisations avec lesquelles nous collaborions pour combattre les insurgés. La vie de mes soldats en dépendait. J’avais des réunions hebdomadaires de sécurité avec les généraux afghans et le gouverneur pour discuter des problèmes communs. J’ai trouvé ces contacts extraordinairement utiles, mais il ne s’agissait pas de réunions fermées, placées sous le sceau du secret militaire. J’ai insisté pour que mon conseiller politique et les cadres supérieurs de l’équipe de reconstruction provinciale, y compris Gavin, soient présents. Je me suis d’ailleurs servi de ces rencontres pour montrer aux Afghans que militaires et civils pouvaient et devaient travailler ensemble.
    Bref, j’ai eu la chance de faire partie d’une équipe de professionnels dévoués qui ont fait tout leur possible pour agir dans les règles. Chacun connaissait son rôle et ses responsabilités et s’en acquittait avec une compétence exceptionnelle. J’étais vraiment fier de chacun des membres de l’équipe.
(1550)
    Merci beaucoup, général Grant.
    Nous allons maintenant entreprendre notre premier tour de questions.
    Monsieur Rae.
    Merci beaucoup, monsieur Buchan et général Grant. Je suis très heureux de cette occasion.
    Monsieur Buchan, j’aimerais vous demander une précision. Quand vous dites par exemple, à la page 5 de votre exposé, que dans le contexte afghan, on ne pourra jamais éliminer complètement le risque de torture, qu’entendez-vous exactement par l’expression « dans le contexte afghan »? Que voulez-vous vraiment dire par là?
    C’est une bonne question. J’aurais tout aussi bien pu dire qu’il est impossible d’éliminer le risque de torture dans le contexte canadien, parce que c’est vraiment impossible.
    Diriez-vous que les conditions au Canada et en Afghanistan sont semblables?
    Pour être précis, le contexte afghan diffère du contexte canadien. Nous parlons en effet d'un pays où les gens sont à 90 p. 100 analphabètes, où le niveau de développement dans la bureaucratie est très faible et où la tenue de dossiers ne fait pas en général partie de la culture organisationnelle. L’Afghanistan connaît des défis que nous essayons de l’aider à surmonter, mais quand on part d’un contexte aussi sous-développé, dans un pays qui a connu trois décennies de guerre, on ne peut pas s’attendre à trouver une culture respectueuse des droits de la personne.
    C’est vrai.
    Nous avons récemment entendu Mme Olexiuk, qui vous a précédé en Afghanistan. Elle nous a dit qu’en fonction de sa connaissance des conditions du pays — elle y était avant 2005 —, elle pensait que la torture et les sévices physiques étaient, à sa connaissance, assez courants dans le système carcéral afghan.
    En fait, un certain nombre de documents très publics provenant du gouvernement des États-Unis, du secrétaire général des Nations Unies et d’autres sources affirment que les sévices physiques — prisonniers battus, etc. — étaient répandus dans les prisons afghanes. Il s’agit là de documents publics que Mme Olexiuk et d’autres ont cités.
    Trouvez-vous ce que je dis assez proche de la réalité?
    Il est certainement vrai qu’il y a eu dans le passé des problèmes de torture et de mauvais traitements en Afghanistan. Si on considère la période de l’invasion soviétique ou même la période républicaine qui l’a précédée ou encore le temps de la monarchie, la situation à cet égard n’était pas très brillante.
    Ce qui importe maintenant, c’est qu’avec l’aide de pays comme le Canada et les programmes de création de capacités que nous mettons en place, la situation évolue. Le changement ne se produit cependant pas du jour au lendemain. Ce n’est pas comme si on pouvait tourner un commutateur pour changer tout le système en un clin d’œil. Nous devons faire de la formation et améliorer les installations. Nous avons mis en œuvre les ressources nécessaires à cette fin.
    En fait, voilà où je voulais en venir: étiez-vous au courant de discussions quelconques sur la possibilité de faire un autre choix?
    Je pourrais peut-être poser la même question au général Grant. A-t-on jamais envisagé sérieusement de ne pas transférer les prisonniers, mais plutôt de créer une prison dirigée par le Canada ou l’OTAN? Avons-nous envisagé d’établir une installation indiquant que nous nous inquiétions suffisamment des risques en fonction des renseignements recueillis dans le passé et de notre perception de la situation, que nous n’étions pas en mesure en ce moment de transférer les prisonniers et que nous préférions plutôt aider les Afghans à réorganiser leur système carcéral, mais qu’en attendant qu’ils aient fait des progrès à cet égard, nous allions simplement garder nous-mêmes les détenus?
    A-t-on jamais envisagé cette approche? On y fait allusion dans les documents, dans le contexte de discussions avec les Néerlandais ou ailleurs. Vous avez tous deux l’avantage d’avoir eu en main des documents non caviardés que je n’ai pas eu la possibilité de voir jusqu’ici. La vérité finira peut-être par éclater un jour, mais, pour le moment, je ne suis pas en mesure de voir les passages caviardés que vous avez pu lire. Vous pouvez peut-être me renseigner là-dessus.
(1555)
    Monsieur Buchan.
    Si vous permettez, je vais commencer à répondre à cette question parce que j’ai une certaine connaissance du contexte historique.
    M. Bob Rae: Oui.
    M. Gavin Buchan: Nous avons examiné la question en 2005.
    Je vais commencer par vous présenter mon évaluation personnelle. Il n’y avait que trois options possibles concernant le traitement des détenus. Le Canada aurait pu assumer pleinement leur responsabilité, ce qui comprend non seulement la détention, mais les poursuites et l’incarcération à long terme. Nous pouvions également trouver une tierce partie qui aurait accepté de s’en occuper, ou alors nous pouvions les transférer au gouvernement hôte. Dans ce contexte, parmi ces trois options, c’est la troisième qui respectait la souveraineté afghane. Nous ne sommes pas une puissance occupante. Nous sommes en Afghanistan à l’invitation de son gouvernement. Lorsque les premières discussions avaient eu lieu à Ottawa, c’est le facteur déterminant qui a mené...
    Mais n’est-il pas également vrai que c’est la décision qui, en fonction de l’information dont nous disposions, comportait le plus grand risque de sévices physiques pour les détenus? N’est-ce pas vrai?
    Il est raisonnable de dire que nous étions conscients de l’existence d’un risque de sévices contre les détenus. En 2005, nous n’ignorions pas la situation. Nous connaissions les faits. Ce que nous avons fait, dans le cadre de l’accord de 2005, c’est mettre en place des mesures visant à réduire ce risque.
    Oui, je comprends cela.
    Nous avions le CICR et...
    Non, mais je ne veux pas perdre de vue... Je suis au courant de cela. Je ne veux pas vous interrompre, mais notre temps est compté d’une façon très serrée.
    Pourriez-vous vous concentrer sur les deux autres options possibles? L’une consistait à transférer les détenus à un pays tiers, comme les États-Unis. Je crois que les Américains disposaient des plus grandes installations. L’autre aurait consisté à agir, seuls ou de concert avec d’autres pays de la FIAS, pour essayer de trouver un autre moyen de s’occuper des détenus.
    Si nous avions établi une installation de ce genre, il se serait agi d’une initiative à court terme et non d’une solution permanente. Nous devions partir à un moment donné et remettre alors les détenus aux autorités carcérales afghanes. Par conséquent...
    Eh bien, ce serait quand même une initiative à assez long terme, compte tenu du point où nous en sommes. Cela est discutable.
    Monsieur Rae, vous avez demandé une réponse du point de vue militaire.
    Je n’ai pas participé à l’élaboration de la politique initiale en 2005, mais je peux vous dire que, durant la période que j’ai passée sur le terrain, je n’ai été témoin d’aucune discussion portant sur l’éventualité d’établir une prison avec nos alliés. En fait, il était très clair pour moi, en fonction de mes contacts avec la hiérarchie, que ce n’était pas une option à laquelle les militaires s’intéressaient. Nous n’avions tout simplement ni les capacités ni l’expertise pour le faire.
    Est-ce parce que cette option aurait impliqué davantage de coûts et de responsabilités?
    Je ne suis pas sûr des raisons, mais il était clair pour moi que cette option n’était pas envisagée.
    Voulez-vous dire par là que quelqu’un d’autre vous l’a dit clairement?
    Je vous remercie.
    On m’a fait savoir par la voie hiérarchique que les militaires ne souhaitaient pas participer à une initiative de ce genre. Nous n’avions pas les compétences nécessaires pour le faire.
    Ainsi...
    Merci, général Grant.
    Nous passons maintenant à la question suivante.

[Français]

    Monsieur Bachand, vous avez sept minutes.
    Combien de temps, avez-vous dit?

[Traduction]

    Vous avez sept minutes.

[Français]

    Bienvenue au major-général Grant et à M. Buchan.
    J'ai en main une chronologie des événements touchant le dossier des détenus afghans, date par date. Je me suis arrêté à la période où vous, major-général Grant, étiez là. Quant à vous, monsieur Buchan, vous connaissez très bien la question, vous êtes allé en Afghanistan, mais vous avez aussi travaillé aux Affaires étrangères, donc j'estime que vous serez peut-être en mesure de répondre à mes questions.
    Je commence par la date du 4 décembre 2006. Je vais lire la citation en anglais parce que, malheureusement, le document est en anglais.
    Une voix: Malheureusement?
    M. Claude Bachand: Malheureusement, oui.
    On dit:
(1600)

[Traduction]

Un rapport venant de Kaboul fait état de la crainte des alliés de l’OTAN que les détenus puissent « disparaître sans laisser de traces » après leur transfert aux autorités afghanes et du risque qu’ils « soient torturés ».

[Français]

    Monsieur Grant ou monsieur Buchan, avez-vous vu ce rapport de 2004 des gens de l'OTAN qui se disaient préoccupés par cette question?

[Traduction]

    Monsieur Buchan.
    Oui, je connais ce document qui, je crois, porte l’indication « Kabul-0160 ».
    C’était dans le contexte d’une décision du gouvernement afghan sur la manière dont il s’occuperait de ses détenus et sur le ministère qui en serait principalement responsable. Je ne crois pas pouvoir parler en public de cette décision qui relève des affaires intérieures de l’Afghanistan. Toutefois, si on s’intéresse aux questions soulevées dans le document, je dirai qu’il parlait du fait que les détenus n’avaient pas de statut légal. Dans le passage que vous avez cité, je crois, si vous allez plus loin dans votre lecture, qu’on insiste en fait sur le risque que les prisonniers devant être également détenus puissent quitter le système, soit en achetant leur liberté soit en recourant à un autre moyen illégal.
    Si je m’en souviens bien, le document n’était pas centré sur la question des sévices. Il traitait plutôt de la possibilité que les gens puissent échapper au système. Est-ce exact?

[Français]

    Oui, mais s'ils disparaissent... D'ailleurs, ce n'est pas la seule citation au sujet des disparitions. Cela veut donc dire que quand on transfère les détenus aux autorités afghanes, ils peuvent disparaître, ce qui n'a rien de rassurant. Ils n'ont probablement pas pris l'avion pour aller faire du tourisme au bord de la Méditerranée.
    Monsieur Grant, je pense que vous avez été commandant des Forces canadiennes pendant cette période. Avez-vous vu ce rapport?

[Traduction]

    N’ayant pas le document en main, je ne suis pas sûr si je l’ai vu ou non, monsieur Bachand.

[Français]

    D'accord. Je continue.

[Traduction]

Fin décembre 2006: L’ambassade du Canada écrit dans son rapport 2006 sur les droits de la personne que la « torture » est courante dans les prisons afghanes. Le mot « torture » revient à plusieurs reprises. Ce rapport a été rédigé en grande partie par Catherine Bloodworth, agente politique... du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, qui s’était occupée des dossiers relatifs aux droits de la personne, à la justice et à la lutte antidrogue.

[Français]

    Avez-vous vu ce rapport de Mme Bloodworth? La question s'adresse à vous deux.

[Traduction]

    Monsieur Buchan.

[Français]

    Oui, j'ai vu le rapport. J'ai également vu les rapports de 2005 et 2004 qui comportent les mêmes références. Cela ne représentait pas un grand changement par rapport à notre connaissance de la situation en Afghanistan. Vraiment, c'était quasiment le même rapport que celui de l'année précédente et c'était semblable à celui de 2004.
     Je crois que ce qu'il est très important de retenir de ce rapport, c'est qu'à la fin, dans la section où il y a des recommandations, il n'y en a aucune au sujet d'un changement de politique vis-à-vis des détenus.
    Avez-vous lu ce rapport, monsieur Grant?

[Traduction]

    Oui, je l’ai lu.

[Français]

    Et ces deux rapports n'étaient pas suffisants pour conclure qu'il y avait des risques imminents et pour demander un arrêt des transferts? Ce sont des rapports de notre propre personnel qui disent qu'il y a des risques. Je veux simplement vous rappeler que la Convention de Genève prévoit qu'on ne peut pas faire de transferts s'il y a des risques aussi élevés.
    On a dit aussi, en mars 2007:

[Traduction]

Les trois détenus afghans dont le cas fait l’objet d’une enquête de la CEPPM n’ont pas pu été retrouvés après un mois de recherches des enquêteurs, ce qui est contraire à l’accord sur le transfert.

[Français]

    Vous étiez sur place à ce moment-là, monsieur Grant. Cela s'est passé sous votre commandement. Saviez-vous que la police militaire avait cherché ces trois détenus pendant au-delà d'un mois sans jamais les trouver? Vous rappelez-vous cela?

[Traduction]

    Je savais que le Service national des enquêtes procédait à des investigations. Je n’ai pas été informé de tous les détails, mais je sais qu’à cause de l’environnement qui régnait à Kandahar, le Service avait des difficultés à retrouver ces individus. Dans certains cas, les enquêteurs réussissaient, dans d’autres cas, ils n’y arrivaient pas. Ils avaient très peu de liberté de mouvement à l’extérieur des camps et trouvaient très difficile de faire ce qu’au Canada on appellerait une enquête policière normale.
(1605)

[Français]

    D'accord. Monsieur Buchan, êtes-vous au courant de cette situation?
    Ce n'est pas un cas particulier que je connaisse.
    D'accord.
    On continue. On a annoncé ceci, en avril 2007:

[Traduction]

Le Globe and Mail signale que 30 détenus transférés par le Canada ont été « battus, fouettés, affamés, frigorifiés, étranglés et soumis à des chocs électriques au cours des interrogatoires ».

[Français]

    Avez-vous lu cet article du Globe and Mail paru en avril 2007?
    Oui, j'ai lu l'article. Je crois que quasiment tout le monde qui va comparaître devant le comité a lu ces articles. De plus, j'ai parlé avec l'auteur de ces articles durant cette période. Quarante-huit heures après la parution de ces articles, je suis allé au sous-sol de la Direction nationale de sécurité pour parler avec les détenus dans le but de déterminer ce qui s'était passé. Ce n'était pas une enquête. On n'avait ni les moyens ni l'expertise pour tenir une enquête. La réaction du gouvernement a été quasiment immédiate. C'était compréhensible. On a réagi pas seulement à Kandahar, mais également à Kaboul où les démarches ont été présentées au plus haut niveau. Je crois que, comme bureaucrate canadien, je peux être fier du fait que lorsqu'on nous a soumis une allégation sérieuse de ce genre, nous avons réagi avec tant de rapidité et nous avons eu tant d'influence. Les changements dans le système ont suivi.

[Traduction]

    Merci, monsieur Buchan.
    Allez-y, général Grant.
    J’ajouterais simplement que c’était la première fois qu’une allégation vraisemblable était faite. Nous l’avons prise très au sérieux. Malgré quelques erreurs assez importantes sur les faits, nous avons pris ce rapport très au sérieux.
    Comme M. Buchan l’a dit, nous nous sommes rendus dans la prison. En compagnie de M. Buchan, j’ai eu un entretien direct avec le chef de la DNS à Kandahar. Peu de temps après, nous avons eu des réunions avec le directeur de la DNS et la présidente de la Commission indépendante des droits de l’homme de l’Afghanistan. Nous avons réagi rapidement lorsque nous avons eu connaissance d’une allégation crédible.
    Merci, général.
    Nous passons maintenant au côté du gouvernement. À vous, monsieur Obhrai.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie, Gavin Buchan et général Grant, d’avoir comparu devant le comité pour nous donner votre point de vue.
    Monsieur Buchan, lorsque vous avez pris la suite de M. Colvin, vous avez dû recevoir de lui des notes d’information ou de transition. Est-ce que l’un quelconque de ces documents faisait état de sévices subis par des détenus transférés par le Canada dans les prisons de Kandahar?
    Dans la note de transition que j’ai reçue à mon arrivée à Kandahar en juillet 2006, il n’y avait absolument aucune mention de la question des détenus.
    Absolument aucune mention.
    Il y avait une liste de points dont je devais faire le suivi. Il y avait une affaire de personnes disparues, qui n’avait rien à voir avec la politique de détention du Canada, mais il n’y avait absolument rien sur les détenus, comme problème à suivre dans l’exercice de mes fonctions à Kandahar.
    Général Grant, vous avez entendu des témoignages antérieurs selon lesquels, en 2006 et au début de 2007, des avertissements répétés ont été donnés concernant des détenus torturés et maltraités. Vous êtes arrivé en Afghanistan en novembre 2006. Vous dites que vous avez trouvé un avertissement dans l’article du Globe and Mail, mais pouvez-vous dire au comité si Richard Colvin ou un autre fonctionnaire canadien vous a mis au courant d’allégations crédibles relatives à des tortures ou à des sévices subis dans les prisons afghanes par des détenus transférés par le Canada?
    Non. Entre mon arrivée et la parution de l’article du Globe and Mail, je n’ai jamais été averti par quiconque de l’existence de préoccupations sérieuses. Personne ne m’a jamais dit que je devais interrompre ou envisager d’interrompre le transfert des détenus, ni M. Colvin ni personne d’autre.
    Je dois vous dire que les déclarations de M. Colvin m’ont vraiment laissé perplexe.
    Je vous remercie.
    Général Grant, saviez-vous, avant d’être envoyé en Afghanistan et pendant votre séjour dans le pays, que vous aviez d’importantes obligations envers les détenus transférés par le Canada en vertu du droit international? Croyez-vous vous être acquitté de votre mieux de ces responsabilités?
(1610)
    Je me suis occupé pour la première fois de l’Afghanistan le 11 septembre 2001, ou quelques heures plus tard, lorsque nous avons commencé à planifier la contribution canadienne. De plus, j’ai participé à la formation de quatre groupes devant être déployés sur le terrain, y compris la première équipe de reconstruction provinciale. Dans chacun de ces scénarios de formation et de planification, le traitement des détenus figurait en bonne place dans le programme.
    Je crois que j’étais très conscient des obligations internationales. Je savais bien ce que je devais faire et, ce qui est encore plus important, je crois avoir pris les mesures nécessaires pour me tenir au courant et être en mesure de prendre des décisions.
    Monsieur Buchan, pouvez-vous nous dire quelles mesures vous avez prises lorsque vous avez été informé pour la première fois d’allégations crédibles concernant des détenus transférés par le Canada qui auraient été torturés ou maltraités dans les prisons de Kandahar?
    Il s’agit de la période en avril que nous avons déjà mentionnée en réponse à d’autres questions. Une série complète de mesures ont été prises.
    Au niveau local, nous avons fait le suivi en visitant l’établissement, comme je l’ai déjà dit. Nous avons eu des entretiens avec les responsables afghans à Kandahar, comme l’a mentionné le général Grant. Nous avons rencontré le directeur de la DNS et le gouverneur. Nous avons informé la Commission indépendante des droits de l’homme de l’Afghanistan en veillant à ce qu’elle dispose des détails des allégations. En fait, j’ai dû organiser une réunion conjointe de la DNS et de la CIDHA dans la même pièce pour régler un différend qu’elles avaient concernant l’accès.
    À Kaboul, il y a eu des réactions tout aussi fortes. Des démarches ont été faites aux plus hauts niveaux de la DNS et du gouvernement afghan afin d’exprimer très clairement la position du Canada et d’insister pour obtenir des réponses et des progrès. Comme vous avez pu le constater, 10 jours à peine après la parution des allégations, nous avions déjà en place un nouvel accord supplémentaire qui nous donnait de très importants pouvoirs, comme je l’ai expliqué dans mes déclarations.
    Très bien, je vous remercie.
    Me reste-t-il encore du temps?
    Oui, vous avez sept minutes.
    Général Grant, vous souvenez-vous de la première fois où vous avez été averti d’inquiétudes précises concernant des détenus maltraités dans les prisons de Kandahar après leur transfert par le Canada? Pouvez-vous préciser les mesures que vous avez prises?
    C’est à peu près la même chose que ce qu’a dit M. Buchan. En tout premier, nous avons essayé de confirmer la véracité des allégations faites dans l’article de Graeme Smith. Nous avons agi rapidement en parlant aux Afghans détenant des postes d’autorité pour bien comprendre ce qui se passait et assurer la sécurité des détenus transférés par le Canada s’ils couraient des risques. Nous avons pris contact avec l’ambassadeur Lalani et les hauts fonctionnaires d’Ottawa tandis que nous progressions dans l’élaboration de l’accord supplémentaire. Une fois cet accord en place, nous avons pris des mesures pour pouvoir en assurer une application adéquate à tous les niveaux et par tous les membres de l’équipe pangouvernementale à Kandahar.
    Monsieur Buchan, vous avez dit à un moment donné, dans votre témoignage, que lorsque vous êtes allé visiter les prisons et le reste, votre vie était en danger parce que vous deviez emprunter des routes qui étaient constamment le théâtre d’attaques.
    Pouvez-vous expliquer la situation au comité et nous dire si vous aviez l’impression d’être en danger de mort pendant que vous faisiez ces visites?
    Chaque fois que nous nous déplacions dans la ville ou la province de Kandahar, nous devions mobiliser plusieurs véhicules et un service de sécurité. Il fallait envoyer des patrouilles sur les routes et organiser des séances d’information. Nous devions modifier chaque fois l’itinéraire suivi parce que nous étions très conscients d’être des cibles potentielles d’attentats-suicide. Il y avait des sentiments personnels qui s’ajoutaient dans mon cas parce que j’avais remplacé Glyn Berry, qui avait trouvé la mort dans un attentat-suicide.
    Chaque fois qu’on sortait, on courait des risques. Les risques étaient particulièrement grands lors de la visite des deux établissements de détention parce que nous savions qu’ils intéressaient les insurgés, qui les avaient déjà attaqués dans le passé. De plus, c’est quand les déplacements devenaient prévisibles que les risques étaient les plus élevés parce que l’ennemi pouvait alors mieux préparer son attaque.
(1615)
    Merci, monsieur Buchan.
    C’est maintenant au tour de M. Harris. Vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président. Je vous remercie également, messieurs, de vous être joints à nous aujourd’hui.
    Monsieur Buchan, lorsque vous êtes allé en Afghanistan, vous avez occupé les fonctions de Glyn Berry, qui avait été tué en faisant le travail que vous avez assumé peu après. Nous sommes conscients de votre dévouement et du fait que vous étiez disposé à vous acquitter de ces tâches pour le Canada.
    Je dois cependant vous poser des questions au sujet d’une impression qui commence à devenir évidente, du moins pour moi. Vous dites qu’avant avril 2007, vos fonctions étaient centrées sur la création de capacités, mais que vous n’aviez pas le mandat de faire de la surveillance. Est-il exact de dire qu’en fait, aucun représentant du MAECI en Afghanistan n’était chargé de faire de la surveillance avant avril 2007?
    C’est exact.
    Quand vous vous occupiez de planification en 2005, le gouvernement avait décidé — je suppose que c’était la décision des responsables politiques d’Ottawa — de se contenter de l’assurance donnée par les Afghans qu’ils ne tortureraient pas les gens que nous leurs remettions. C’était bien l’hypothèse sur laquelle se fondait le premier accord, n’est-ce pas?
    L’accord de 2005 se fondait en fait sur trois séries de sauvegardes. La première était l’assurance donnée par le gouvernement afghan, que vous venez de mentionner. La seconde est le rôle particulier que devait assumer le Comité international de la Croix-Rouge. La troisième était la garantie d’accès accordée à la Commission indépendante des droits de l’homme de l’Afghanistan. Du moins en principe, nous avions trois lignes de défense.
    D’accord. Vous admettrez que les trois ont échoué. Les autorités afghanes ne se sont pas conduites comme on s’y attendait. La Commission indépendante des droits de l’homme de l’Afghanistan a indiqué qu’elle n’avait pas eu accès aux prisons. De plus, le Comité international de la Croix-Rouge présentait des rapports non au Canada, mais aux autorités afghanes. La procédure établie a donc échoué et, comme vous l’avez indiqué, il a fallu la modifier.
    Je ne veux pas vous en attribuer la responsabilité, monsieur Buchan, mais j’ai bien l’impression qu’on se défend en affirmant qu’il n’y avait pas eu d’allégations « crédibles » — le gouvernement s’est toujours servi de ce qualificatif pour justifier la situation — établissant que les détenus transférés par le Canada — voilà une autre précision constamment utilisée par le gouvernement — avaient été torturés. Toutefois, d’après les témoignages de Mme Olexiuk, de M. Colvin et d’autres, tout le monde savait que les prisonniers étaient torturés en Afghanistan. C’est ce qu’ils font, a affirmé M. Colvin. Tout le monde semblait être au courant — je suis sûr que vous l’étiez aussi — de la situation des détenus afghans.
    Je veux savoir pourquoi il a fallu attendre qu’un journaliste du Globe and Mail aille en Afghanistan faire sa propre enquête et prendre toutes sortes de risques — les mêmes, je suppose, que nous aurions dû prendre pour faire la surveillance nécessaire — pour écrire l’article qui a amené le gouvernement à agir. C’est bien ainsi que les choses se sont passées, n’est-ce pas?
    Il y a quelques éléments qui doivent quand même être précisés. Le premier concerne le rôle du CICR. Le Comité ne présente pas de rapports au Canada, mais cela ne l’empêche pas de faire de la surveillance. C’est l’une de ses principales fonctions. Le CICR avait accès aux prisons afghanes pendant toute cette période.
    Le second élément, c’est que, pendant la période que j’ai passée à Kandahar, la CIDHA avait ce que j’appellerais un accès intermittent aux prisons jusqu’à ce que nous l’aidions en exerçant des pressions. Toutefois, la commission ne nous a pas parlé de ses problèmes d’accès pendant la plus grande partie de cette période. De toute évidence, elle avait aussi des problèmes de capacités, mais le Canada faisait de son mieux pendant toute cette période pour renforcer ses capacités. Dans ce contexte, la commission devait être informée du nom de chaque détenu que nous transférerions. Nous avions mis en place...
    La commission s’est pourtant plainte de l’insuffisance de cette information.
    Vous nous avez également dit que lorsque vous avez eu connaissance de la situation, par suite des révélations de Graeme Smith, vous n’aviez ni les moyens ni l’expertise nécessaires pour mener l’enquête. Est-ce exact?
(1620)
    Non, je ne suis pas d’accord sur cette observation.
    Il n’y a donc pas eu d’enquête.
    Ce qui s’est produit en avril 2005 au cours de cette première visite, qui a précédé la négociation de l’accord supplémentaire...
    Vous voulez dire 2007, je suppose.
    Oui, 2007. Nous avions alors procédé à une inspection des installations, au cours de laquelle nous avons observé les détenus en présence d’un agent de la DNS. Toutefois, aux termes de l’accord supplémentaire, nous avons été autorisés à interroger les détenus en privé. Par conséquent, au cours des visites suivantes, nous avons eu la possibilité — moi-même compris — de nous entretenir avec des détenus transférés par le Canada dans une pièce fermée, en présence d’un interprète, et d’avoir une évaluation franche des conditions d’incarcération et du traitement dont ils faisaient l’objet. Bref, dès mai 2007, nous disposions d’une entente beaucoup plus solide.
    Pour revenir à vos observations de tout à l’heure, je dirais que, dans la période qui a précédé avril 2007, l’accord mis en place pour obtenir des réactions et de l’information n’avait pas produit les effets escomptés. Nous n’étions donc pas conscients du fait que la première ligne de défense — c’est-à-dire l’assurance que les prisonniers seraient bien traités — ne fonctionnait pas très bien.
    Vous pouvez poursuivre, monsieur Harris. Il vous reste encore une minute.
    Le brigadier-général Ken Watkin nous a dit qu’aux termes du droit international et du droit humanitaire, vous ne pouviez pas faire de transferts s’il existait un risque réel de torture. Je crois que nous acceptons tout cela. Il a cependant ajouté que cela s’appliquait aussi bien en cas d’intervention de votre part dans une guerre civile interne ou dans des combats directs.
    Il me semble que le Canada a décidé que la souveraineté de l’Afghanistan était un motif suffisant pour se décharger sur lui de ses responsabilités malgré le risque de torture. Je voudrais rapporter une déclaration que Louise Arbour, ancienne juge à la Cour suprême du Canada, a faite il y a quelques jours au sujet de l’Afghanistan:
Quand vous vous engagez dans ces opérations, vous devez comprendre qu’il vous faut une stratégie légalement conforme [aux conventions internationales], ce qui est très sensé. Cela fait partie des obligations complexes qu’on assume en livrant des combats dans de tels théâtres d’opérations.
    Elle a ajouté que nos activités ont révélé un manque de prévoyance et de cohérence dans notre politique.
    Croyez-vous maintenant que le Canada a eu tort de prendre la décision initiale de transférer les détenus aux autorités afghanes?
    Je vous prie de répondre en 20 secondes.
    Je crois qu’il est raisonnable de dire que le système mis en place en 2005, tout en respectant nos obligations juridiques internationales — du moins, c’est ce que m’a dit un avocat —, n’était pas assez solide pour résister aux réalités pratiques de Kandahar, réalités dont nous ne connaissions pas grand-chose à l’époque.
    Maintenant, nous sommes au courant. Depuis avril 2007, nous savons ce qu’il en est. Ce n’était pas le cas auparavant.
    Merci, monsieur Buchan.
    À vous, monsieur Hawn.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les deux témoins de leur présence aujourd’hui.
    Général Grant, je voudrais aborder rapidement l’article du Globe and Mail puisqu’on en a souvent parlé ici.
    Vous — ou peut-être M. Buchan — avez dit avoir eu des doutes quant à l’exactitude de certains faits mentionnés dans l’article. Pouvez-vous nous donner brièvement des précisions à ce sujet, ou peut-être un ou deux exemples?
    Le premier élément qui m’a surpris dans cet article, c’est que Graeme Smith a cité quelqu’un en disant qu’il s’agissait du chef de la DNS à Kandahar. Le nom qu’il a donné m’était inconnu, et personne parmi les cadres supérieurs de la DNS ne semblait le connaître. Je ne suis donc pas sûr de savoir à qui il a parlé. Cela m’a quelque peu inquiété.
    Par ailleurs, il a également cité quelqu’un de la Commission indépendante des droits de l’homme de l’Afghanistan. Encore une fois, je n’avais jamais entendu parler de cette personne, même si je suppose qu’elle travaillait effectivement pour la commission. Le problème, c’est que cette personne aurait dit qu’elle s’inquiétait du fait que le Canada ne transmettait pas les noms des détenus transférés. En fait, elle a peut-être dit qu’elle aurait bien aimé que le Canada transmette ces noms. Cette déclaration m’a surpris parce que cela faisait plus de deux mois que nous le faisions. J’ai personnellement signé une entente avec la présidente de la CIDHA, le 20 février, disant que nous transmettrions ces détails. Nous l’avons fait.
    Ces deux points — mais pas l’ensemble de l’article — m’ont un peu surpris et m’ont amené à me poser des questions.
    Ainsi, sans être sûr de l’exactitude de l’article, vous avez quand même pris des mesures.
    Nous l’avons fait sans hésiter. Comme des allégations avaient été faites, nous avons agi.
(1625)
    Monsieur Buchan, nous avons parlé de l’accord et de l’accord supplémentaire. On peut conclure les meilleures ententes du monde, tout dépend quand même de ceux qui sont chargés de les appliquer. Je voudrais juste citer une déclaration de l’amiral Ludin, ambassadeur de l’Afghanistan au Canada, qui a dit hier:
Si nous n’avions pas eu de problèmes en Afghanistan, si aucune violation des droits de la personne ne s’était produite, si notre police et nos prisons avaient été parfaites, pourquoi aurions-nous eu besoin de votre aide? C’est la raison pour laquelle vous êtes venus nous aider.
    Que pensez-vous de cette déclaration? Je crois bien qu’elle confirme qu’un accord peut être excellent, parfaitement bien conçu, mais que tout dépend quand même des gens chargés de l’appliquer.
    Oui, je suis tout à fait d’accord. Tout revient à la question de la création de capacités.
    Nous avions sur le terrain une équipe du Service correctionnel du Canada, qui faisait une évaluation des besoins au cours de l’été 2006. Dans les sept ou huit mois qui ont suivi, une autre équipe du Service correctionnel est venue travailler à plein temps sur les problèmes des prisons. C’était là une importante contribution en ressources humaines et financières, qui a eu des effets considérables sur le système des prisons à Kandahar. Dans le contexte carcéral afghan, la prison de Sarposa est devenue un modèle qui suscite l’admiration. C’est aujourd’hui un établissement d’une excellente réputation grâce au travail accompli par le Service correctionnel dans le cadre des efforts de création de capacités déployés par le Canada. C’était une partie intégrante de nos opérations en Afghanistan.
    M. Bachand a cité quelques passages d’un document que vous avez vu concernant la disparition de détenus. Il sous-entendait que ces hommes avaient disparu parce qu’on leur avait fait du mal d’une façon ou d’une autre. Compte tenu de votre expérience, diriez-vous que ces disparitions pouvaient tout aussi bien être attribuables à une libération illégale ou à une autre raison?
    Compte tenu de ma propre expérience, je dirais que c’est une possibilité.
    L’avantage du transfert des détenus à la DNS, par rapport à leur envoi directement en prison, c'est qu'ils font l’objet d’un processus d’enquête et d’inculpation. Si aucune accusation n’est retenue contre eux, ils doivent être remis en liberté. Il y a donc un processus juridique qui est suivi, parfois d’une façon imparfaite, mais ce processus existe. La probabilité qu’une personne soit libérée parce qu’on n’a pas l’intention de l’inculper est très élevée. La documentation pourrait bien ne pas refléter ce fait.
    Par conséquent, les — je ne veux pas dire « allégations » parce que le mot est probablement trop fort — les citations sont en fait très sélectives et pas nécessairement exactes.
    Si je me souviens bien, ce document insistait surtout sur la possibilité que des gens échappent au système.
    Je vous remercie.
    Général Grant, nous avons entendu de troublantes allégations selon lesquelles des soldats canadiens auraient en fait empêché le CICR de faire son travail en transmettant délibérément de faux renseignements, et des officiers supérieurs auraient entravé la transmission de renseignements au CICR en temps opportun. Pouvez-vous nous dire si ces problèmes se sont effectivement posés ou s’il s’agissait de difficultés au niveau local? À votre connaissance, est-ce que le système fonctionnait bien?
    Merci, monsieur Hawn.
    Général Grant, pourriez-vous, s’il vous plaît, donner une réponse assez brève?
    Je dirais franchement que ces affirmations sont absurdes. Comme je l’ai dit, j’ai eu des entretiens avec le représentant local de la Croix-Rouge peu de temps après mon arrivée et assez souvent, par la suite. Il pouvait venir à la base quand il le souhaitait, ce qu’il faisait régulièrement. Il venait en effet visiter l’installation où se trouvaient les détenus.
    La seule question portée à mon attention au sujet de la transmission de l’information concernait en fait des renseignements qui n’étaient pas parvenus au quartier général de la FIAS. Au départ, on avait blâmé les Canadiens, mais on s’est aperçu ensuite que l’erreur était attribuable à un officier allié du quartier général du Commandement régional Sud. Il s’agissait du grand prévôt d’alors, qui n’était pas canadien et qui ne s’était pas acquitté de sa tâche. J'estime personnellement que nous avons maintenu le contact avec le CICR. Ses représentants n'avaient aucune plainte à formuler sur la façon dont nous leur transmettions l’information.
    Merci, général Grant.
    À vous, monsieur Dosanjh. Vous avez cinq minutes.
    Merci, général et monsieur Buchan.
    J’ai quelques questions à poser. La première s’adresse au général.
    Quand il a comparu devant le comité, M. Malgarai a mentionné une allégation d’après laquelle quelqu’un a tiré sur un jeune homme non armé pendant la période où vous étiez commandant de la Force opérationnelle. Étiez-vous sur le terrain à ce moment?
    Non, je n’étais pas présent.
    J’ai cru comprendre qu’il y a un article d’après lequel la famille et particulièrement les deux frères de ce jeune homme auraient demandé une enquête, et le général Natynczyk aurait indiqué qu’une enquête est en cours. Je ne sais pas si elle vient de commencer ou si elle a été ouverte il y a quelque temps déjà. Pouvez-vous nous donner des renseignements à ce sujet en fonction de ce que vous pourriez avoir appris à cause du rôle que vous avez joué?
(1630)
    Je crains fort de ne pouvoir vous donner aucun renseignement à ce sujet. Je n’ai pas eu accès à ces documents. J’ai lu la lettre que le général Natynczyk a adressée au comité, je crois, mais, à part cela, je ne me souviens de rien d’autre. Cette affaire remonte à plus de trois ans.
    Je vous remercie.
    Monsieur Buchan, lorsque l’ambassadeur Lalani a comparu devant le comité, il a convenu, si je m’en souviens bien, qu’il y avait un important risque de torture dans les prisons afghanes, et particulièrement à la DNS. Les détenus transférés par le Canada n’y auraient pas échappé. D’après tous les renseignements tirés des rapports internationaux — on peut croire à certains et en rejeter d’autres — et selon nos gens qui connaissent la situation en Afghanistan, le risque de torture était très réel. Les indices et les allégations à ce sujet s’accumulent.
    Pouvez-vous dire au comité — vous connaissez bien le droit international — si vous êtes persuadé que le Canada a respecté le critère international, surtout si on tient compte du fait que nous devions nous adresser aux tortionnaires quand nous voulions enquêter sur ces allégations? La DNS est accusée d’avoir torturé des détenus, et pourtant, c’est à elle que nous nous adressons pour lui demander de vérifier les allégations. Pouvez-vous me dire si vous êtes persuadé que nous avons respecté le critère?
    Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par « respecter le critère »? Parlez-vous de la situation de 2005, de 2007 ou d’aujourd’hui?
    Je voudrais savoir si nous avons respecté les critères pendant que vous étiez là.
    Je suis persuadé que le Canada a invariablement respecté le critère de ses obligations internationales pendant toute la période que nous avons passée sur le terrain. Cela signifie-t-il qu’aucun des détenus transférés par le Canada n’a subi des sévices? Je crois que nous pouvons dire, en rétrospective, que dans la période allant de 2006 à avril 2007, nous n’avions pas un système parfait. Il ne faut cependant pas perdre de vue que, dès que nous en avons eu connaissance, nous avons fait de grands efforts pour remédier à la situation.
    Comment pouvez-vous aboutir à cette conclusion si l’ambassadeur Lalani affirme que nos détenus étaient exposés et continuaient d’être exposés à un risque élevé de torture? Comment pouvez-vous dire que nous avons respecté le critère? Pouvez-vous nous donner des explications?
    C’est parce que nous avons pris des mesures pour réduire ce risque.
    Après que des gens ont été torturés.
    Non. Des mesures ont été prises, une procédure a été mise en place pour réduire la probabilité. Dans le cadre de l’accord de 2005, nous avions l’assurance du gouvernement de l’Afghanistan, ainsi que la surveillance exercée par la CIDHA et la notification du CICR. Il y avait donc trois mesures. Lorsque nous avons découvert qu’elles étaient insuffisantes, nous avons établi des mesures d’atténuation supplémentaires.
    D’accord.
    Pouvons-nous revenir à... Je crois qu’il y a eu une réunion sur le terrain d’aviation de Kandahar entre le CICR et des responsables canadiens. Est-ce que l’un d’entre vous était présent à cette rencontre?
    Pouvez-vous donner plus de précisions sur le moment où cette réunion a eu lieu?
    Ce serait en 2007.
    J’ai eu des réunions avec le CICR à plusieurs reprises en 2007.
    Sur le terrain d’aviation de Kandahar?
    Oui. Le représentant venait me rendre visite et visitait aussi le centre des détenus sur une base régulière.
    D’accord. Pouvez-vous nous dire — si vous avez quelque chose à nous dire — de quoi vous parliez? De quoi le CICR s’inquiétait-il?
    Je vous remercie, monsieur Dosanjh.
    Très rapidement, s’il vous plaît.
    Je dois être prudent ici. Le fait est que les renseignements que me fournissait le représentant du CICR me donnaient dans une certaine mesure l’assurance que les détenus transférés par le Canada n’étaient pas torturés ni soumis à des sévices. Même si cette information n’a peut-être pas été transmise à Ottawa par le siège du CICR à Genève, je recevais des renseignements beaucoup plus importants des représentants sur le terrain.
    Merci, général.
    Nous allons maintenant passer à M. Dechert.
(1635)
    Merci, monsieur le président.
    Messieurs, je vous remercie de votre présence au comité cet après-midi.
    Monsieur Buchan, ai-je raison de croire que M. Colvin était à Kandahar en mai et en juin 2006? Est-ce la seule période qu’il a passée à Kandahar?
    C’est la seule période pendant laquelle il était affecté à Kandahar.
    Il était donc affecté à Kandahar. D’accord.
    Il venait de Kaboul nous rendre visite, par exemple, pour accompagner des ministres ou des députés en tournée en Afghanistan.
    D’accord. Il vous a remplacé pendant un certain temps, après quoi vous l’avez vous-même remplacé à votre retour en juin 2006. C'est bien cela?
    Oui. J’ai à la fois précédé et suivi M. Colvin à Kandahar.
    Très bien. Et quand vous êtes revenu à Kandahar, avez-vous tenu une réunion avec lui pour faire le bilan de la situation?
    Nous n’avons pas été là en même temps à cette occasion. J’ai cependant reçu une note d’information écrite à l’ERP.
    Cette note contenait-elle des éléments quelconques concernant les sévices subis par les détenus?
    Non, il n’y avait rien de tel dans cette note.
    D’accord.
    Monsieur Grant, vous avez dit: « Les déclarations de M. Colvin m’ont vraiment laissé perplexe. » Je voudrais donc vous demander, à tous deux, pourquoi, à votre avis, M. Colvin n’a rien dit en 2006, puis a fait ces allégations beaucoup plus tard, en 2009? Pourquoi aurait-il agi de la sorte? Pour quelles raisons croyez-vous qu’il l’a fait?
    Je n’en ai pas la moindre idée. J’ai vu Richard à plusieurs reprises, tant quand il est venu en visite à Kandahar que quand je suis allé à Kaboul pour affaires. Contrairement au général Gauthier, je ne crois pas que j’intimidais Richard. Il n’est pourtant jamais venu me voir pour me dire: « Général, il y a un problème. »
    Il est vraiment curieux qu’il n’ait pas soulevé la question, si c’était sa responsabilité à l’époque et s’il était vraiment préoccupé. Je trouve cela très curieux.
    Monsieur Buchan, qu’en pensez-vous?
    Je ne m’aventurerai pas à parler au nom de Richard ou à me livrer à des conjectures sur ses mobiles. Tout ce que je peux dire, c’est qu’en avril 2007, il y a eu des échanges très énergiques entre l’ambassade à Kaboul et l’administration centrale du ministère, dans lesquels il a exprimé très fermement un point de vue qui, pour moi, était parfaitement légitime. Toutefois, l’élément clé est le facteur temps. Ce point de vue a été exprimé en avril 2007 et non antérieurement.
    Très bien. Que s’est-il passé ensuite quand vous avez eu connaissance de ses allégations et de ses préoccupations? Qu’avez-vous fait?
    À ce stade, il ne s’agissait pas vraiment d’allégations. Cela s’est passé après la parution de l’article dans le Globe and Mail. Il y avait alors un sérieux débat sur ce que le Canada devait faire et sur les possibilités qui s’offraient pour obtenir les meilleurs résultats. À ce stade, Richard estimait qu’on pouvait en faire plus que ce qui a été initialement proposé.
    Que s’est-il passé ensuite? Quel a été le résultat de ces préoccupations?
    En définitive, je crois que la plupart d’entre elles ont été prises en considération dans l’accord de 2007. Il croyait en particulier que nous avions besoin de surveiller nous-mêmes la situation. C’est ce que nous avons négocié et obtenu.
    D’accord.
    Monsieur Buchan, lors de la négociation de l’accord de 2005, avez-vous jamais présenté des conseils ou de l’information au ministre de la Défense ou au ministre des Affaires étrangères d’alors au sujet de cette entente?
    Non. Je devrais peut-être préciser mon rôle en 2005. À l’époque, je n’étais qu’un petit directeur adjoint à l’administration centrale. Je ne me suis occupé du dossier qu’en avril ou en mai 2005, après quoi j’ai reçu une autre affectation. Je n’ai donc pas été témoin de la fin de ce processus.
    Croyez-vous que le ministre de la Défense ou le ministre des Affaires étrangères de l’époque aurait été au courant du transfert des détenus en 2005 et de l’accord qui a été négocié puis signé avec le gouvernement afghan?
    Je ne peux vraiment pas me prononcer sur ce qu’un ministre aurait su à l’époque. Je ne peux parler que de ce que j’ai connu moi-même. J’ai simplement assisté à une discussion sur les options qui s’offraient et sur les avantages et inconvénients de différentes approches. Et je ne m’occupais plus de ce dossier quand il est passé à l'échelon politique.
    Merci beaucoup, monsieur Dechert.
    Nous allons maintenant passer à M. André. Je vous souhaite la bienvenue au comité.

[Français]

    Tout comme mon collègue, j'aimerais parler des articles du Globe and Mail.
(1640)

[Traduction]

    Le 25 avril 2007, le Globe and Mail a signalé que le gouvernement avait été informé du fait que « les exécutions sommaires, les disparitions, la torture et la détention sans procès étaient très répandues » dans le cas des détenus et que le gouvernement avait censuré cette information dans les documents mis à la disposition des médias.

[Français]

    Compte tenu de tous ces rapports dont a parlé le Globe and Mail, il est clair que vous étiez au courant de ces allégations. Vous saviez que les prisonniers afghans transférés subissaient des sévices. Qu'avez-vous fait? Pourquoi n'avez-vous pas agi? Avez-vous mis au courant d'autres membres du gouvernement de cette situation? On a une impression de laisser-aller. Étiez-vous tout à fait libre d'agir? Aviez-vous des contraintes qui vous empêchaient de mettre fin véritablement aux transferts des prisonniers afghans dans ces prisons où il y avait de la torture?

[Traduction]

    Général Grant.
    J’aimerais avoir une précision. Vous avez dit, je crois, que c’était basé sur l’article d’avril 2007. Est-ce bien la période dont vous parlez?

[Français]

    Oui, c'est le 25 avril 2007, exactement.

[Traduction]

    D’accord.
    L’essentiel, c’est que nous avons agi. Nous avons très rapidement pris des mesures lors de la parution de cette série d’articles. Par conséquent, de ce point de vue, il n’y a pas de doute que nous avons agi sur le terrain d’une manière responsable et rapide.
    Quant à la question de savoir si j’ai eu la possibilité de décider des transferts, il est parfaitement clair qu’il m'appartenait de décider. Dans cette période, nous n’avons pas fait de transferts. Nous voulions nous assurer de ce qui s’était vraiment passé sur le terrain.
    Monsieur André.

[Français]

    Tu peux continuer.

[Traduction]

    Puis-je poursuivre?
    Allez-y, monsieur Bachand.

[Français]

    Au mois de mai 2007, on a écrit:

[Traduction]

Le nouvel accord sur les transferts a été signé. Il permet au Canada de faire des visites dans les prisons afghanes. Colvin dit qu’il y a peu de surveillance à cause du manque de ressources, ce qui signifie que « les détenus continuent d’être torturés après leur transfert ». Il dit en outre que « la trace documentaire concernant les détenus a été réduite » et que « les rapports sur les détenus ont commencé parfois à être censurés par la suppression de renseignements essentiels ».

[Français]

    Considérez-vous que ce que M. Colvin a dit est exact?

[Traduction]

    Pas du tout. Je dirais en fait qu’à partir de ce moment, la trace documentaire s’est élargie.
    Nous avions alors mis en place un formulaire officiel, un processus permettant de noter clairement les décisions prises par le commandant. Je crois que la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire a discuté hier du fait qu’on ne retrouve pas cette documentation ou qu’il est difficile de la repérer rapidement.
    Le fait est que nous nous sommes efforcés de mettre par écrit exactement ce qui se passait. Nous versions cette information dans une base de données dont l’accès était ouvert aussi bien aux militaires qu’aux agents du ministère des Affaires étrangères. C’est de cela que j’ai parlé tout à l’heure. La mise en œuvre de l’accord supplémentaire nous a amenés à faire certaines choses différemment. Il nous a fallu environ une semaine pour régler tous les détails et nous assurer que tout était bien fait. Tout le monde a mis la main à la pâte. Il est donc faux de dire que la trace documentaire a été réduite à ce moment. C’est exactement le contraire qui s’est produit.

[Français]

    C'est bien.
    En juin 2007, on a rapporté ceci:

[Traduction]

Une équipe de reconstruction provinciale signale qu’un détenu transféré par le Canada à la prison de Sarposa a été « battu avec des câbles électriques, les yeux bandés » par des responsables de la DNS.

[Français]

    Connaissez-vous ce rapport de l'équipe de l'ERP?

[Traduction]

    Oui, je crois, mais il faudrait que je le voie pour en être sûr.

[Français]

    Puis-je vous demander de répéter la date?
    Il s'agit du 4 juin 2007. C'est une équipe de l'ERP, à Kandahar. Il s'agit d'un rapport.
    Oui, je comprends.
    Si je me souviens bien, et je crois bien que c'est le cas, cela faisait allusion à quelque chose qui avait eu lieu avant avril 2007. Il s'agissait de quelqu'un qui avait été transféré à la prison de Sarposa, qui faisait des allégations à propos d'abus qui avaient peut-être eu lieu à la Direction nationale de sécurité. Ces allégations touchent la période avant avril 2007.
(1645)

[Traduction]

    D’accord.
    Merci beaucoup, monsieur Bachand.
    À vous, monsieur Hawn.
    Merci, monsieur le président.
    Général Grant, d’après certains témoignages, les Afghans capturés ne seraient pas vraiment impliqués dans la fabrication d’engins explosifs; il s’agirait plutôt de civils innocents sans liens avec les insurgés. Que pensez-vous de ce point de vue? Est-il vrai que beaucoup ou la plupart des détenus sont pris arbitrairement ou simplement pour recueillir de l’information? Que faisions-nous de ces gens?
    Je dirais que personne n’était pris arbitrairement ou simplement pour recueillir de l’information. Les soldats étaient entraînés. Ils devaient veiller à sécuriser leur environnement. Quand ils avaient des doutes, ils recouraient aux interrogatoires tactiques pour déterminer si un individu constituait une menace pour eux et pour les civils afghans du secteur.
    Est-ce que des innocents étaient pris de temps en temps? Arrivait-il que les soldats commettent des erreurs sur le terrain? Bien sûr. Il n’en reste pas moins que les suspects étaient pris dans le cadre d’un processus contrôlé et transportés à Kandahar, où nous pouvions nous permettre le luxe de prendre une décision réfléchie et calculée sur la question de savoir s’ils constituaient ou non une menace. Je dirais, d’une façon générale, qu’environ 25 p. 100 des personnes prises étaient immédiatement remises en liberté parce qu’elles ne répondaient pas aux critères établis pour être considérées comme une menace.
    Pour moi, les soldats sur le terrain qui essayaient de faire la distinction entre les agriculteurs locaux et les insurgés prenaient de bonnes décisions. De même, sur le terrain d’aviation de Kandahar, nous prenions de bonnes décisions.
    Vous ne pouvez probablement pas nous donner trop de détails, mais quel rôle un simple test de détection de résidus de poudre pouvait-il jouer dans votre décision et quels autres facteurs étaient pris en considération?
    Revenons aux trois scénarios que j’ai décrits. Le premier avait rapport avec les conditions de l’incident. S’est-il produit après l’extinction d’un incendie? Après l’explosion d’un engin explosif improvisé ou après un attentat-suicide? Les soldats examinaient les conditions de l’incident et tenaient compte d’une série d’indicateurs. Le test de détection de résidus de poudre n’est que l’un d’entre eux. Pour des raisons de sécurité, je ne voudrais pas vous donner la liste de tous les autres indicateurs.
    Je comprends.
    Monsieur Buchan, nous avons entendu beaucoup de témoignages divergents, notamment celui de M. Colvin, qui a encore été mentionné tout à l’heure. La semaine dernière, M. Colvin a précisé qu’il avait dit non que les détenus transférés par le Canada étaient maltraités, mais qu’il s’inquiétait du fait qu’ils pouvaient facilement l’être. N’est-ce pas là une préoccupation que tout le monde a exprimée dès le premier jour? D’ailleurs, nous avons peut-être exagéré ses préoccupations puisqu’il n’a pas jugé bon de vous en faire part, à vous ou au général Grant, d’après ce que j’ai entendu.
    Oui, il est exact que Richard a exprimé des préoccupations sur la question générale du traitement des détenus dans le système afghan durant la période 2006-2007.
    Je crois que vous avez tout à fait raison, nous nous inquiétions tous du risque. Nous avions prévu des mesures pour l’atténuer et nous ne nous sommes pas aperçus que ces mesures ne donnaient pas les résultats escomptés. Une fois que nous avons pris conscience de leur insuffisance, nous avons mis en place un nouveau dispositif beaucoup plus solide, pour essayer de remédier à la situation d’une façon globale.
    Général Grant, vous avez travaillé évidemment avec des interprètes. Je suppose que c’est également votre cas, monsieur Buchan. On nous a dit que M. Ahmadshah Malgarai était l’un de ces interprètes. Je suppose, dans ces conditions, qu’il aurait voulu maintenir un profil bas pour sa propre sécurité. Ne serait-ce pas là le comportement normal d’un interprète?
    Oui, c’est exact.
    Par ailleurs, si M. Malgarai faisait des sermons dans la mosquée locale, ce qui a été confirmé, et que certains milieux l’envisageaient comme candidat possible au poste de gouverneur de Kandahar, diriez-vous qu’il agissait comme quelqu’un qui souhaitait maintenir un profil bas?
    Il a commencé à travailler en Afghanistan sous mon commandement. Je crois qu’il a interprété pour moi à une occasion. Comme je ne me suis pas senti tout à fait à l’aise avec lui, j’ai préféré revenir aux services d’un autre interprète. Si j’avais su qu’il prêchait à la mosquée, j’y aurais mis bon ordre parce que je ne crois pas que c’était indiqué.
    L’impression que j’ai gardée, c’est que 99 p. 100 des interprètes et des traducteurs étaient très dévoués au travail qu’ils faisaient en Afghanistan, mais faisaient des efforts pour maintenir un profil bas.
    Je n’ai pas laissé entendre que M. Ahmadshah Malgarai n’était pas dévoué à son travail d’interprète, il y avait d’autres questions qui se posaient.
    Monsieur Buchan, lors de la mise au point de l’accord supplémentaire, aviez-vous pu faire valoir votre point de vue et avez-vous réussi à faire en sorte que l’accord tienne compte des préoccupations de M. Colvin? Avez-vous l’impression qu’il régnait un bon esprit de coopération entre le MAECI, les militaires et les autres personnes qui ont participé à la rédaction de l’accord?
(1650)
    Oui. À ce moment, comme à d’autres occasions au cours de mon affectation sur le terrain, j’étais très satisfait du degré de coopération entre le MAECI, le MDN, l’ACDI, le Service correctionnel et la GRC. Nous avons vraiment sur place une équipe pangouvernementale.
    Nous faisons des choses que nous n’avons jamais faites dans le passé. Il nous arrive de tirer les leçons de l’expérience acquise en cours de route, mais nous obtenons des résultats concrets. Je crois que nous en avons eu la preuve en avril 2007. Nous avons eu recours aux compétences du Service correctionnel. Le MAECI a assumé le rôle d’organisme de surveillance, la GRC se tenait prête à fournir l’assistance technique nécessaire et le MDN assurait la sécurité.
    Quelle est votre réaction quand certains disent que le Canada a fermé les yeux sur la torture? Cette affirmation est-elle possible ou vraie, de près ou de loin? Qu’en pensez-vous tous les deux?
    C’est une chose qui m’affecte et me blesse. Comme je l’ai dit dans mon exposé, si j’avais eu connaissance, à un moment quelconque de mon affectation, de sévices subis par des détenus transférés par le Canada, je l’aurais signalé à l’administration centrale et je n’aurais pas eu la conscience tranquille avant que des mesures aient été prises.
    Général Grant.
    Comme j’étais responsable de la décision, je ne prenais pas de décisions générales. Chaque détenu était un cas particulier, et c’est ainsi que je le considérais. Je voulais être sûr de prendre la bonne décision chaque fois.
    Je ne peux pas parler au nom de tout le gouvernement, mais je peux parler pour ceux que j’ai connus sur le terrain. Je crois, je sais que nous avons bien agi.
    Merci beaucoup.
    Nous allons devoir nous en tenir à cela. Nous avons des votes à la Chambre, après quoi un autre témoin doit comparaître devant le comité.
    Je tiens à vous remercier tous deux de votre présence et de votre professionnalisme. Nous avons tous la plus grande estime pour les hommes et les femmes qui représentent notre pays et toutes les valeurs qui nous tiennent à cœur. Il arrive souvent que les diplomates et ceux qui travaillent en coulisse soient oubliés quand on parle des soldats. Les deux catégories sont représentées ici aujourd’hui.
    Merci pour votre longue carrière dans les Forces canadiennes, général Grant. Vous pouvez en être fier, tout comme nous sommes fiers de vous.
    Je peux dire la même chose de vous, monsieur Buchan. Merci de l’honnêteté dont vous avez fait preuve aujourd’hui ainsi que de la passion avec laquelle vous avez affirmé que le Canada a bien agi.
    Merci beaucoup.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU