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CC38 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité législatif chargé du projet de loi C-38


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 8 juin 2005




¹ 1530
V         Le président (M. Marcel Proulx (Hull—Aylmer, Lib.))
V         L'hon. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell, Lib.)
V         Le président
V         L'hon. Don Boudria
V         Le président
V         L'hon. Don Boudria
V         Le président

¹ 1535
V         Mme Évangéline Caldwell (porte-parole, Coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints et conjointes de même sexe)

¹ 1540
V         M. Claude Côté (membre, Coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints et conjointes de même sexe)

¹ 1545
V         Le président
V         M. Peter Lauwers (avocat, Miller Thomson LLP, à titre personnel)

¹ 1550

¹ 1555
V         Le président
V         M. Michael Brown (membre, Bureau de défense des intérêts publics, Vaad Harabbonim of Toronto)

º 1600
V         Le président

º 1605
V         M. Vic Toews (Provencher, PCC)
V         M. Peter Lauwers
V         M. Vic Toews
V         M. Peter Lauwers

º 1610
V         M. Vic Toews
V         M. Michael Brown
V         M. Vic Toews
V         M. Peter Lauwers
V         M. Vic Toews
V         M. Peter Lauwers
V         M. Vic Toews
V         M. Peter Lauwers
V         M. Vic Toews
V         M. Peter Lauwers
V         Le président
V         M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ)
V         Mme Évangéline Caldwell

º 1615
V         M. Réal Ménard
V         M. Claude Côté
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Réal Ménard
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Claude Côté

º 1620
V         M. Réal Ménard
V         M. Claude Côté
V         M. Réal Ménard
V         Le président
V         M. Bill Siksay (Burnaby—Douglas, NPD)
V         M. Claude Côté
V         M. Bill Siksay
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Bill Siksay
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Claude Côté

º 1625
V         M. Bill Siksay
V         Le président
V         M. Bill Siksay
V         M. Michael Brown
V         M. Bill Siksay
V         M. Michael Brown
V         M. Bill Siksay
V         Le président
V         M. Bill Siksay
V         Le président
V         M. Michael Savage (Dartmouth—Cole Harbour, Lib.)

º 1630
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Claude Côté
V         M. Michael Savage
V         M. Peter Lauwers

º 1635
V         M. Michael Savage
V         M. Peter Lauwers
V         M. Michael Savage
V         Le président
V         M. Brian Jean (Fort McMurray—Athabasca, PCC)
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         M. Claude Côté
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean

º 1640
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Claude Côté
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Brian Jean
V         Mme Évangéline Caldwell
V         Le président

º 1645
V         Mme Françoise Boivin (Gatineau, Lib.)
V         Le président
V         Mme Françoise Boivin
V         M. Claude Côté
V         Mme Françoise Boivin
V         Mme Évangéline Caldwell
V         Mme Françoise Boivin
V         Mme Évangéline Caldwell
V         Mme Françoise Boivin

º 1650
V         M. Peter Lauwers
V         Mme Françoise Boivin
V         M. Peter Lauwers
V         Mme Françoise Boivin
V         M. Peter Lauwers
V         Mme Françoise Boivin
V         M. Peter Lauwers
V         Mme Françoise Boivin
V         Le président
V         M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ)

º 1655
V         M. Michael Brown
V         M. Richard Marceau
V         M. Michael Brown

» 1700
V         Le président
V         M. Richard Marceau
V         Le président
V         Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.)
V         M. Michael Brown
V         Mme Anita Neville
V         M. Michael Brown
V         Mme Anita Neville
V         M. Michael Brown
V         Mme Anita Neville
V         Mme Évangéline Caldwell

» 1705
V         Mme Anita Neville
V         M. Peter Lauwers
V         Mme Anita Neville
V         M. Peter Lauwers
V         Le président
V         Mme Anita Neville
V         Le président
V         M. Bill Siksay
V         Le président
V         L'hon. Don Boudria

» 1710
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Don Boudria
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Don Boudria
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Don Boudria
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Don Boudria
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Don Boudria
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Don Boudria
V         Le président
V         M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC)

» 1715
V         M. Peter Lauwers
V         M. Rob Moore
V         Le président
V         L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.)

» 1720
V         M. Claude Côté
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Peter Lauwers
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         Le président
V         Le président
V         M. Richard Marceau

» 1725
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Richard Marceau
V         M. Claude Côté
V         M. Richard Marceau

» 1730
V         Mme Évangéline Caldwell
V         M. Richard Marceau
V         Le président

» 1735










CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-38


NUMÉRO 015 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 8 juin 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¹  +(1530)  

[Français]

+

    Le président (M. Marcel Proulx (Hull—Aylmer, Lib.)): Bon après-midi.

[Traduction]

    Bienvenue au Comité législatif chargé du projet de loi C-38.

    Avant d'aborder les travaux prévus à notre ordre du jour, je voudrais faire un bref rappel aux membres du comité. Le comité a adopté la motion suivante à sa première réunion :

Que les projets d'amendement du projet de loi soient remis au greffier du comité 48 heures avant l'étude article par article.

    De plus, le comité a convenu de faire l'étude article par article le mercredi 15 juin à 15 h. 30.

    En vertu de cette règle, vous devrez donc déposer votre amendement ou vos amendements au bureau du greffier au plus tard le lundi 13 juin.

[Français]

    Lors de sa réunion d'organisation, le comité a adopté la motion suivante:

Que les amendements au projet de loi soient soumis au greffier du Comité 48 heures avant le début de l’étude article par article.

    De plus, le comité a décidé de procéder à l'examen article par article le mercredi 15 juin à 15 h 30.

    Donc, conformément à ces directives, il vous faudra déposer vos amendements au bureau du greffier au plus tard le lundi 13 juin.

    M. Boudria invoque le Règlement.

+-

    L'hon. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell, Lib.): Je voudrais simplement clarifier ce que vous venez de nous dire pour la gouverne de tous les parlementaires.

    Cela peut paraître absurde, mais la définition de « 48 heures » de la Chambre des communes n'est pas la même que celle du monde ordinaire. En effet, à la Chambre, quand on doit déposer un document 48 heures avant le début d'une réunion qui a lieu le mercredi, peu importe à quelle heure, il faut le déposer au plus tard à 18 heures le lundi. Devons-nous déposer les amendements au plus tard à 15 h 30 le lundi 13 juin, ou à 18 heures? Nous devons nous entendre afin que nous puissions fonctionner selon les mêmes règles des deux côtés de la table.

+-

    Le président: Monsieur Boudria, on me dit que ce sera lundi dans la journée.

+-

    L'hon. Don Boudria: Donc, c'est la règle de 18 heures.

+-

    Le président: C'est lundi.

+-

    L'hon. Don Boudria: D'accord. Ce sera comme à la Chambre des communes. Merci.

+-

    Le président: Revenons à notre réunion d'aujourd'hui. Nous entendrons des représentants de la Coalition québécoise pour le mariage civil des couples de même sexe, puis Me Peter Lauwers, qui témoignera à titre personnel, et enfin deux représentants de Vaad HaRabbonim of Toronto.

¹  +-(1535)  

[Traduction]

    Je suis sûr que vous êtes déjà au courant de notre mode de fonctionnement au comité, c'est-à-dire que chaque témoin dispose de 10 minutes pour faire ses remarques liminaires. Ensuite nous allons procéder au premier tour de questions, commentaires et réponses. Le premier tour sera de sept minutes, y compris les questions, les commentaires et les réponses, et les tours suivants seront de cinq minutes.

[Français]

    Nous commencerons par la Coalition québécoise pour le mariage civil des couples de même sexe.

    Madame Caldwell, monsieur Côté, vous avez 10 minutes.

+-

    Mme Évangéline Caldwell (porte-parole, Coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints et conjointes de même sexe): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Je voudrais vous signaler, tout d'abord, que l'exposé de la Coalition québécoise sera présenté en français, mais que nous serons très heureux de répondre à vos questions en anglais ou en français.

[Français]

    Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi de vous présenter les représentants de la Coalition québécoise pour le mariage civil des couples de même sexe qui ont pu assister aux audiences d'aujourd'hui: M. Claude Côté, président de la Table de concertation des lesbiennes et des gais du Québec; M. Jean-Pierre Leclerc, représentant de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la FTQ; et moi-même, Évangéline Caldwell, coordinatrice de la coalition et représentante de la Fédération des femmes du Québec.

    La Coalition québécoise pour le mariage civil des couples de même sexe a été fondée en 1998 pour éliminer la discrimination systémique envers les couples gais et les couples de lesbiennes et leurs familles dans les lois et les politiques sociales, ainsi que sur le marché du travail.

    La coalition regroupe, en plus des organismes de promotion et de défense des droits des gais et lesbiennes, des acteurs importants de notre société civile. Tous les membres de tous ces organismes représentent plus d'un million de personnes au Québec. Chaque organisme a voté une motion d'appui au mariage civil des couples de même sexe.

    Nos membres sont: l'Alliance des professeures et des professeurs de Montréal; l'Association des mères lesbiennes du Québec; la Centrale des syndicats du Québec, la CSQ; la Confédération des syndicats nationaux, la CSN; le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN; Gai Écoute; la Fondation Émergence; Égale Canada; la Fédération des femmes du Québec; la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la FTQ; la Fédération du personnel de soutien scolaire de la CSQ; le Syndicat canadien de la fonction publique, section Québec, affilié à la FTQ; le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes; et la Table de concertation des lesbiennes et des gais du Québec.

    Nous sommes venus vous parler aujourd'hui de la réalité canadienne en 2005. Nous savons aujourd'hui que l'intégration des mariages civils des couples de même sexe dans le tissu social canadien s'est faite avec une grande facilité. De plus, nous savons que la liberté religieuse est respectée, car aucune religion refusant de célébrer les mariages de couples de même sexe n'a été contrainte de le faire. De fait, nous vivons aujourd'hui un consensus selon lequel il appartient à chaque religion de décider si, oui ou non, elle veut célébrer les mariages des couples de même sexe. C'est aussi la position de la Coalition québécoise.

    Nous le savons vraiment,  car il s'agit d'une réalité canadienne que nous vivons depuis déjà deux ans. Je ne vous parle pas ici d'hypothèses, mais bien de faits. Nous avons défait une discrimination qui plaçait les gais et les lesbiennes dans une position d'infériorité, tout en respectant les libertés religieuses. Pourtant, le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Dans les faits, outre une plus grande égalité entre citoyennes et citoyens de la société canadienne, il n'y a pas eu beaucoup de changements.

    Il y a plus d'un an, le 19 mars 2004, cinq juges de la Cour d'appel du Québec, dans un rare jugement unanime, nous donnaient raison et permettaient aux couples québécois de même sexe de se marier, jugeant l'interdiction injuste et discriminatoire en vertu de la Constitution qui nous gouverne.

    Selon l'Institut de la statistique du Québec, 307 couples de même sexe, c'est-à-dire 182 couples gais et 125 couples de lesbiennes, se sont mariés. En exprimant leur amour l'un pour l'autre, ils se sont juré soutien et fidélité jusqu'à ce que la mort les sépare. Nous n'avons d'autre choix que de saluer ce bel engagement et de les féliciter.

    Vous parler des joies de l'égalité est incontournable, mais il nous faut aussi vous parler de nos blessures. Il nous faut vous parler de notre espoir et de notre désespoir. Il nous faut surtout vous parler de notre amour.

    C'est mon collègue M. Côté qui a su trouver les mots. Je vous propose de l'écouter, et je vous remercie de votre attention.

¹  +-(1540)  

+-

    M. Claude Côté (membre, Coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints et conjointes de même sexe): Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les gais et lesbiennes forment le seul groupe au Canada qui ne jouit pas des mêmes droits que les autres citoyens canadiens. Il n'y a également pas d'autres communautés au Canada qui fassent, en 2005, ouvertement l'objet de discrimination sociale et systémique avec l'assentiment d'une aussi importante partie de la population.

    Encore aujourd'hui, de nombreux jeunes qui manifestent des comportements ou exhibent une personnalité associés à des stéréotypes homosexuels, ou qui ont précocement le courage d'afficher leur homosexualité sont la cible d'insultes et de sarcasmes, et sont victimes de harcèlement physique et psychologique, dans la classe comme dans la cour d'école, sans que les éducateurs interviennent pour les défendre ou mettre fin à une telle injustice. D'autres sont littéralement mis à la porte de leur demeure familiale parce qu'ils se sont ouverts à leurs parents et ont révélé leur identité à ceux qui sont censés les aimer le plus au monde. Parmi ces jeunes, certains tentent de survivre de leur mieux, souvent en abandonnant leurs études et donc toute chance d'un avenir prometteur. D'autres acceptent ce verdict dévastateur que leur entourage a prononcé sur leur personne, retournent cette homophobie, cette haine ambiante contre eux et mettent fin à leurs jours. Il s'agit en fait de l'un des plus grands tabous de notre société.

    De plus, il arrive encore aujourd'hui que des gais et des lesbiennes perdent leur emploi pour avoir osé être honnêtes avec eux-mêmes et avec leurs collègues de travail, ou pour avoir banalement amené l'amour de leur vie à une soirée de bureau, comme leurs collègues le font d'ailleurs sans arrière-pensée. Les causes officielles du congédiement sont évidemment tout autres.

    Enfin, il arrive encore aujourd'hui que des gais et des lesbiennes soient victimes de harcèlement psychologique et de violence physique, souvent de façon aléatoire, pouvant mener jusqu'à l'invalidité et à la mort, simplement parce qu'ils sont différents. Nous n'avons pas cru nos yeux et nos oreilles lorsque certains parlementaires canadiens ont osé se lever en Chambre l'année dernière pour dire qu'il s'agissait là de crimes comme les autres et qu'il ne valait pas la peine qu'on s'attaque à leurs racines systémiques et sociétales.

    Les gais et lesbiennes, et particulièrement les gens de ma génération et de celles qui l'ont précédée, ont grandi en se faisant dire qu'ils ne méritaient pas d'aimer et d'être aimés. Lorsque certains d'entre nous ont tout de même réussi à surmonter ce mensonge et à trouver l'être aimé, des Canadiens et des Canadiennes, et parmi eux de trop nombreux parlementaires, nous ont dit que nous ne devrions pas avoir le droit de voir cet amour reconnu, célébré et sanctionné par notre propre État, notre propre gouvernement. Le seul fait que nous tombions amoureux ou amoureuses d'une personne du même sexe suffit, selon eux, à nous disqualifier de l'une des institutions les plus fondamentales et les plus vieilles de notre société, celle du mariage civil. Ils affirment à tort que les relations conjugales de personnes gaies et lesbiennes qui désirent se marier ne sont pas aussi vraies, aussi pures, aussi aimantes, aussi engagées et aussi chargées de sens que les relations conjugales de personnes de sexe différent.

    Le discours de la Coalition québécoise pour le mariage civil des couples de même sexe et de ses membres a toujours été centré sur l'amour et le respect: l'amour d'abord, puisqu'il est au coeur du mariage et que c'est lui qu'il célèbre avant tout; le respect ensuite, notamment celui de ne jamais avoir voulu transposer nos efforts pour obtenir l'accès au mariage civil sur le terrain du mariage religieux. Nous avons toujours tenu à respecter profondément les croyances de tous nos concitoyens et concitoyennes, lesquelles sont même partagées par des personnes d'orientation homosexuelle. Après plusieurs années consacrées à la cause qui nous est chère, monsieur le président, je n'arrive pas encore à comprendre le degré d'animosité, d'hostilité et d'aversion, certes plus souvent qu'autrement exprimées de façon insidieuse avec des termes souvent voilés et sophistiques, qu'une simple demande comme la nôtre a pu susciter. Je me demande encore pourquoi certaines personnes veulent nier aux autres le bonheur qu'elles ont été privilégiées de vivre. Je me demande en quoi leur vie peut être affectée de façon négative par le bonheur de gens qu'elles ne connaissent même pas. Je me demande pourquoi un père et une mère célébreraient dans la joie le mariage de leur fille, mais refuseraient de célébrer le mariage de leur fils homosexuel.

    Malgré cela, et malgré le fait que le mariage soit déserté en masse par les couples d'orientation sexuelle majoritaire — vous noterez ici l'ironie —, nous avons cherché à avoir accès au mariage civil afin de pouvoir affirmer haut et fort que nous étions des citoyens et citoyennes à part entière et que nous pouvions désormais jouir d'une égalité juridique totale avec tous nos compatriotes.

    Cette égalité, nous l'avons obtenue au Québec il y a un an, et nous ne saurons tolérer aucun retour en arrière, d'autant plus que nous comptons fortement sur elle pour atteindre l'égalité sociale que nous souhaitons par-dessus tout.

¹  +-(1545)  

    Notre but ultime est en effet d'éliminer toute forme d'homophobie et de discrimination à notre endroit afin d'éviter aux générations futures, peu importe où elles se trouvent, les drames humains que plusieurs d'entre nous ont vécus. C'est pourquoi nous souhaitons ardemment que nos élus à la Chambre des communes prennent le relais des cours de justice, fassent preuve de vision comme de courage, s'il en faut, et adoptent le projet de loi C-38 dans les meilleurs délais.

    Je vous remercie de votre attention.

+-

    Le président: Merci.

[Traduction]

    Nous passons maintenant à M. Lauwers.

+-

    M. Peter Lauwers (avocat, Miller Thomson LLP, à titre personnel): Merci.

    Je m'appelle Peter Lauwers et je suis avocat spécialisé dans les questions d'éducation. J'ai aussi comparu devant la Cour suprême du Canada dans le cadre du renvoi sur le mariage gai pour défendre le droit à la protection des autorités religieuses et la nécessité de protéger la propriété religieuse.

    J'ai soumis un mémoire au greffier, et il porte sur la question que je compte aborder avec vous aujourd'hui, soit l'impact du projet de loi C-38 sur l'éducation publique.

    La modification de la définition du mariage qui est proposée influerait sur les programmes d'études de l'ensemble des écoles publiques du Canada. Pour être très direct avec vous, la Charte conjuguée au projet de loi C-38, forceront les écoles publiques à enseigner à leurs étudiants que le mariage entre couples de même sexe est l'équivalent moral du mariage entre partenaires hétérosexuels, que les relations sexuelles entre couples de même sexe sont équivalentes sur le plan moral à celles entre couples hétérosexuels, et dans la mesure où ces concepts sont examinés d'un point de vue mécanique, si je puis dire, dans les cours de santé et d'éducation physique, l'exploration devra être équivalente. Sinon on soutiendra que toute autre approche est discriminatoire et contraire aux droits à l'égalité prévus à l'article 15 de la Charte et aux décisions judiciaires qui ont conduit au dépôt du projet de loi C-38.

    Il ne fait aucun doute que les députés doivent bien comprendre que, vu le peu d'appui dont jouit cette modification de la définition du mariage au sein de la population générale, cette nouvelle réalité ne serait pas bien accueillie. Voilà ce dont parleront à la maison les enfants et petits-enfants des personnes ici réunies. La tolérance des Canadiens est telle qu'ils peuvent peut-être accepter que des adultes aient des relations homosexuelles à certains endroits et à certains moments, mais il est peu probable qu'ils acceptent que les écoles publiques de leur localité transmettent aux enfants des enseignements qui sont radicalement différents des valeurs morales de leurs parents.

    La tradition a toujours voulu que l'éducation publique se concentre sur les questions qui font l'objet d'un consensus général au sein de la société. Tout le reste était laissé au soin des parents, de l'église, ou d'autres institutions. La stratégie fondamentale du système a toujours été la même. Tout ce qui peut susciter des controverses d'ordre moral est à éviter, si bien que l'éducation publique porte sur les éléments restants qui font l'objet d'un commun accord. Le problème critique auquel nous sommes confrontés, c'est que ces éléments deviennent de plus en plus rares, ce qui crée un véritable dilemme pour le système d'éducation public et la régie de ce système.

    Dans mon mémoire, je présente un certain nombre de postulats, si vous voulez. Le premier est évidemment que la population a le droit d'avoir un système d'éducation financé par les deniers publics, postulat qui se passe d'explication.

    Deuxièmement, les écoles publiques existent pour transmettre les connaissances et les valeurs de la société d'une génération à l'autre. Les écoles sont efficaces, ce qui explique pourquoi elles constituent une pomme de discorde aussi importante. Un militant, entre autres, affirme que les établissements d'enseignement sont considérés, évidemment, comme ayant tout à fait le pouvoir d'influencer et d'orienter l'avenir. Ces derniers déterminent ce que deviendra la société au cours des prochaines générations. Ce sont les principales institutions à établir et à perpétuer certaines valeurs, surtout dans un contexte où l'influence des diverses confessions est en baisse. Ce même militant continue en formulant la critique suivante au sujet des écoles publiques :

Le plus important facteur sous-tendant la perpétuation de l'homophobie et la marginalisation des homosexuels, y compris la haine de soi chez les homosexuels, est l'intense endoctrinement à l'hétérosexisme dont font l'objet les enfants. Une bonne partie de cet endoctrinement se produit dans les établissements d'enseignement. Cet hétérosexisme fait partie intégrante de la volonté d'empêcher les enfants de vivre les effets de l'homosexualité.

    Donc, dans cette bataille qui vise les écoles publiques, les lignes de combat sont bien claires dans les remarques que je viens de faire.

    Le troisième postulat, qui a été généralement accepté dans les milieux d'éducation jusqu'à tout dernièrement, veut que le rôle des parents dans l'éducation soit respecté et appuyé. Ce principe est d'ailleurs clairement énoncé dans les documents des Nations Unies. Dans l'affaire Jones c. La Reine, la Cour suprême du Canada a dit ceci :

Ceux qui appliquent la réglementation de la province en matière d'éducation ne doivent pas le faire d'une manière qui empiète de façon déraisonnable sur le droit des parents de donner à leurs enfants un enseignement conforme à leurs convictions religieuses. La justification de l'atteinte doit pouvoir se démontrer.

    Ce principe fait à présent l'objet d'un différend en raison de ce qui est récemment arrivé au sein de notre société, y compris le dépôt du projet de loi C-38. Le quatrième postulat veut que chacun qui émet une opinion dans le contexte de ce débat est de bonne foi. Ainsi le projet de loi qualifie ceux qui sont contre cette modification de sectaires. Le point qui est au coeur du conflit entre les deux camps est le fait qu'un comportement que certains considèrent comme étant fondamental à leur identité est considéré par d'autres comme étant immoral. Les parents qui y voient quelque chose d'immoral ne souhaitent pas que leurs enfants soient exposés à des enseignements qui sont contraires à leurs propres valeurs. Ils ne veulent pas que l'école se serve de son autorité morale pour saper les valeurs enseignées aux enfants à la maison.

    Il y a aussi la question du choix du moment. Comme cela est mentionné dans les affaires en question, il y a tout un débat sur l'âge auquel il convient de transmettre certaines informations aux enfants. Est-il approprié de parler de sexualité dans la classe à des élèves du primaire?

¹  +-(1550)  

    Est-il approprié d'exposer les adolescents, qui peuvent être en quelque sorte les victimes de leurs hormones et d'une certaine confusion sexuelle, à des pratiques et des modes de vie qui peuvent les tenter? Est-il déraisonnable de permettre que le poids moral de l'école soit utilisé de façon à saper la foi et les valeurs enseignées par les parents à la maison?

    Pour les parents, c'est ça le véritable enjeu. Appartient-il à l'école de soutenir la famille ou lui appartient-il de saper la famille? Ce ne sont pas des questions superficielles. Le projet de loi C-38 laisse entrevoir à nouveau cette possibilité puisqu'il cherche à redéfinir une institution fondamentale de la société canadienne qui correspond en réalité aux assises de la vie familiale de nombreux Canadiens.

    Le cinquième postulat, c'est que les valeurs entérinées dans la Charte et la législation doivent être reflétées dans notre système d'éducation public. Tout un débat est en cours à l'heure actuelle sur la nature et l'objet de l'éducation publique dans une société pluraliste comme celle du Canada. En redéfinissant le mariage, le projet de loi C-38 sera le prochain défi qu'aura à relever le système d'éducation public.

    L'affaire Chamberlain, qui concerne des textes de la Colombie-Britannique, constitue peut-être le point de départ de cet exercice. Certains affirment vivement que l'objet de l'éducation publique est d'assurer l'intégration des enfants. Ceci est considéré comme un antidote nécessaire à l'hétérogénéité culturelle et religieuse grandissante. L'idée centrale, c'est que les écoles publiques, où des enfants de cultures, de langues et de religions différentes reçoivent ensemble leur éducation, favorisent quelque part la tolérance. De même, on soutient que la séparation des enfants favorise des fissures inacceptables au sein de la société.

    L'idée selon laquelle l'État est le protecteur légitime d'un mode de vie particulière et que sa fonction consiste à engendrer et à protéger une façon d'être, par-dessus tout le reste, est à la base de notre attachement idéologique aux écoles publiques laïques. Je dirais qu'il s'agit là d'un concept fondamentalement non libéral.

    L'affaire Chamberlain qui a été décidée devant la Cour suprême du Canada concerne les droits des parents. Dans cette affaire, les juges dissidents ont soutenu que la primauté des droits des parents repose sur la présomption selon laquelle les parents doivent prendre les décisions importantes qui concernent leurs enfants, étant donné que les parents sont plus susceptibles de savoir quels sont les véritables intérêts des enfants et parce que l'État est mal placé pour prendre lui-même de telles décisions.

    Or dans cette affaire, la défense des droits parentaux du juge Gonthier, qui s'appuyait pourtant sur des arguments bien réfléchis, n'a pas été prise en considération ou a plutôt été réfutée par le juge en chef McLachlin. Voilà ce qu'elle a dit :

En outre, bien que la participation des parents soit importante, elle ne doit pas compromettre le respect des valeurs et des pratiques de tous les membres de la collectivité… L'opinion des parents, si importante soit-elle, ne peut l'emporter sur l'obligation des écoles publiques de la Colombie-Britannique de refléter la diversité de la collectivité et d'enseigner la tolérance et la compréhension des différences.

    En effet, c'est l'État qui l'emporte sur les droits des parents. Si cette opinion est rigoureusement respectée, les parents dont les opinions sont écartées pourraient ne pas avoir envie de continuer à avoir affaire au système d'éducation public.

    Existe-t-il un recours? Eh bien, l'option de non-participation est un recours, essentiellement. Cependant, la juge en chef du Canada estime que la non-participation est une mauvaise idée et ne devrait pas être autorisée.

    J'arrive maintenant à mon sixième postulat. Il existe un désaccord fondamental sur la nature du pluralisme au Canada. Je voudrais parler du fait que cette modification de la définition du mariage que propose le projet de loi C-38 n'est pas neutre. Là l'État prend parti dans ce débat moral. Voilà qui soulève un dilemme fondamental, qui sous-tend notre législation et notre système politique et auquel personne n'a voulu jusqu'à présent être directement confronté.

    Je trouve intéressant que le professeur John Gray fasse l'observation suivante—et là j'arrive à la fin de mon exposé :

Le libéralisme repose sur deux philosophies. Dans un cas, la tolérance est justifiée puisqu'elle constitue un moyen de connaître la vérité. Dans cette optique, la tolérance est un instrument du consensus rationnel et une diversité de modes de vie est supportée dans l'espoir qu'elle est vouée à disparaître. Dans l'autre cas, la tolérance est valorisée comme une condition nécessaire pour avoir la paix et reconnaître des façons différentes…

    Je me suis trompé, et je m'en excuse.

    Il y a deux concepts. Premièrement, que la tolérance soit une façon d'assurer la convergence de toutes les valeurs pour l'ensemble de la société. L'autre, c'est que la tolérance est une façon de permettre à d'innombrables modes de vie de continuer d'exister à tout jamais—un modus vivendi si vous voulez.

    Le véritable combat s'articule autour de la nature du pluralisme au Canada. On insiste de plus en plus pour imposer ce que la Cour suprême du Canada qualifie de conformité idéologique forcée. À mon sens, le champ de bataille sera les écoles publiques du Canada.

    Merci.

¹  +-(1555)  

+-

    Le président: Nous passons maintenant au représentant du Vaad Harabbonim de Toronto. Excusez ma prononciation. Monsieur Anisfeld ou monsieur Brown, vous avez 10 minutes.

+-

    M. Michael Brown (membre, Bureau de défense des intérêts publics, Vaad Harabbonim of Toronto): Je m'appelle Michael Brown. Je vis et je travaille à Toronto. Je suis là à titre de représentant d'une coalition d'organisations juives orthodoxes qui comprennent le Vaad Harabbonim de Toronto, l'Agudath Israel de Toronto, Mizrachi du Canada, l'Orthodox Union of America, le Grand Rabbinat du Québec, et le Vaad Harabbonim de Montréal.

    Dans le contexte de l'examen par le Parlement du projet de loi C-38, nous, une coalition d'organismes juifs orthodoxes représentant des dizaines de milliers de personnes affiliées au judaïsme traditionnel, vous exhortons respectueusement à retirer ce projet de loi. Nous tenons à préciser, en guise d'introduction à notre exposé proprement dit, que les membres de notre communauté respectent ceux qui occupent des postes d'importance au sein du gouvernement et qui sont donc confrontés tous les jours à des questions sociales épineuses.

    En l'occurrence, le dilemme de votre gouvernement est le résultat d'une cour militante composée de juges non élus qui semblent vouloir à tout prix redéfinir les valeurs morales de notre société. Nous nous considérons comme de vrais Canadiens, qui sommes fiers de notre pays et de ses valeurs—des valeurs qui s'appuient sur une sagesse profonde et ancienne et que nous cherchons à transmettre à nos enfants, futurs citoyens de ce grand pays.

    En tant que membres d'une minorité—une minorité qui connaît malheureusement trop bien la discrimination—la communauté juive est naturellement réticente à défendre une position qui aurait pour résultat d'enfreindre les droits d'un citoyen, quel qu'il soit. Par contre, il est évident que tout privilège ne constitue pas un droit et que tout changement ne représente pas non plus un véritable progrès. Le projet de loi C-38 est une nette manifestation de ce truisme.

    Par le passé, les juifs ont toujours été les défenseurs des droits humains et de l'égalité. En même temps, nous représentons un segment de la communauté juive qui est résolu à préserver les traditions religieuses juives telles qu'elles nous ont été transmises par la Thora—ce qu'on appelle communément le Vieux Testament, je suppose—et la tradition juive. Ainsi, nous estimons que nous sommes mandatés à déclarer haut et fort que ce projet de loi est gravement incompatible avec les valeurs juives. En ce qui nous concerne, la redéfinition de l'institution historique du mariage qui deviendrait, d'après ce projet de loi, un privilège accordé aux couples de même sexe, constitue une erreur morale grave qui est contraire à la volonté de Dieu relativement à l'humanité.

    Selon nous, la législation actuelle assure une protection suffisante et garantir l'égalité de tous les citoyens du pays. L'institution du mariage—et ne parlons pas de mariage civil—demeure, toutefois, une institution foncièrement religieuse dont l'un des éléments de base est l'inviolabilité de l'union ou de la relation entre un homme et une femme. Cette conviction n'est pas unique à notre tradition religieuse, puisqu'elle est partagée par d'autres communautés confessionnelles qui représentent une grande proportion, sinon la majorité, des citoyens du pays. En soi, cela devrait être une raison suffisante pour le gouvernement de retirer ce projet de loi. Nous soumettons néanmoins que d'autres raisons valables devraient inciter le gouvernement à réexaminer les raisons pour lesquelles il veut faire adopter le projet de loi C-38.

    Premièrement, la légalisation du mariage entre couples de même sexe bouleversera notre patrimoine moral commun. De par ce projet de loi, le Parlement communique un message à la fois clair et puissant selon lequel les leçons éternelles de la moralité sont fausses et dépassées. La position du judaïsme traditionnel et d'autres confessions dont les traditions s'appuient sur le judaïsme et la Bible est que les relations entre de même sexe ne peuvent constituer un mariage. Nous craignons que la priorité ne consiste plus à promouvoir l'égalité. Nous y voyons une tentative par voie législative pour forcer certains à accepter ou à rejeter certaines croyances.

    Si la crainte de la discrimination ou le désir de garantir la légalité des uns et des autres étaient les véritables motifs dans tout cela, le concept de l'union civile adopté par bien d'autres pays aurait été tout à fait satisfaisant. En redéfinissant le mariage, les citoyens qui sont adeptes de confessions traditionnelles seront forcés de changer leur système de valeurs ou de se retirer de la société. Comme vous le disait M. Lauwers, les manuels scolaires devront désormais présenter le mariage de façon neutre ou, pire encore, le présenter de telle manière à inciter les futures générations à rejeter la définition traditionnelle du mariage.

    L'adoption du projet de loi C-38 aura pour résultat d'exclure les communautés religieuses du consensus canadien. Il est inévitable que des membres de communautés religieuses qui adhèrent à des définitions traditionnelles et à des modes de vie traditionnels seront désormais qualifiés de sectaires. Nous et nos enfants seront traités comme des étrangers et ne pourront donc plus s'identifier aux institutions et au tissu de la société à laquelle nous appartenons.

    Deuxièmement, la légalisation du mariage entre couples de même sexe serait préjudiciable à la société. Le refus de reconnaître le mariage central comme la clé de voûte de la vie familiale dans notre société aura une effet dévastateur sur les membres les plus vulnérables de la société : nos enfants. L'effondrement des normes de la société a déjà eu de lourdes conséquences sociales et financières pour tous les paliers de gouvernement et, en fin de compte, pour nous tous, en tant que contribuables.

    Le projet de loi C-38 communique le message à nos jeunes que la procréation dans le contexte du mariage ne constitue pas une valeur fondamentale et ne cadre même pas avec les normes de la société. Les lois d'une société ne sont pas qu'une série de règlements; elles influencent l'organisation de la société et les valeurs que cette dernière décide de perpétuer et de favoriser. En déclarant que l'institution du mariage vise désormais des relations qui ne sont pas fondées sur la procréation, le gouvernement risque de compromettre encore l'important lien entre le mariage et la procréation. Nous acceptons mal que ce soit ça l'héritage que nous souhaitons laisser aux générations futures.

º  +-(1600)  

    Et troisièmement, la légalisation du mariage entre conjoints de même sexe aura une incidence juridique sur les communautés religieuses. Le projet de loi C-38 n'est certainement pas anodin, et encore moins neutre, du point de vue de son effet pratique. Au contraire, ce dernier contraste vivement avec la position des institutions religieuses et sociales et contient en germe la possibilité de conflit avec elles. Bref, c'est un jeu à somme nulle. En déclarant son ambivalence face aux valeurs fondamentales des institutions religieuses, le gouvernement communiquera à la population un message on ne peut plus dangereux, à savoir que les systèmes religieux sont malsains pour la société, de sorte que les organes religieux et les personnes qui y sont associées seront de plus en plus attaqués par l'entremise de l'appareil judiciaire.

    Le statut des institutions religieuses et de leurs organes connexes a été progressivement diminué par les lois de protection des droits de la personne et la jurisprudence dans ce domaine qui prime typiquement sur les droits religieux.

    Si le projet de loi C-38 est promulgué, le gouvernement fédéral laissera entendre que dans l'intérêt public, des institutions qui ont toujours été protégées par le gouvernement devront désormais se conformer à une nouvelle échelle de valeurs. Cette volonté de libéralisation et de laïcisation à outrance de nos politiques nationales constitue en réalité une attaque directe contre les institutions religieuses.

    Des interprétations encore plus libérales du projet de loi C-38 donneront lieu à des attaques encore plus acharnées contre nos institutions et contre notre capacité de jouir de la liberté de religion et d'assurer les importants services sociaux que nous fournissons à l'heure actuelle. Si nous nous fondons sur ce qui s'est passé en Colombie-Britannique—et là je fais allusion à la décision du British Columbia Human Rights Tribunal concernant Deborah Chymyshyn, Tracey Smith et les Chevaliers de Colomb de Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, et celle rendue en Alberta par la Alberta Human Rights Commission par suite de la plainte déposée contre l'évêque Fred Henry—il est manifeste que cette crainte n'est pas sans justification. Les organes religieux ne devraient pas être forcés d'intenter une action judiciaire chaque fois qu'une personne qui s'oppose à leurs croyances souhaite se servir de la loi pour passer à l'attaque.

    Une communauté comme la nôtre, qui assure une vaste gamme de services essentiels, y compris les écoles religieuses, les salles de réunion et de réception, les sociétés de prêts gratuits, les organismes de services funéraires, et les organismes de bienfaisance, fera l'objet d'un examen public de plus en plus rigoureux et pourrait par conséquent finir par perdre son statut d'organisme de bienfaisance. Nous avons déjà été témoins de cette nouvelle attitude au sein de l'appareil fédéral, lorsque l'Agence de revenu du Canada a contesté le droit de certains organismes d'être considérés comme des organismes de bienfaisance lorsque leurs objectifs ne cadraient pas avec les politiques du gouvernement.

    Nous vous exhortons donc respectueusement et de manière urgente à voter contre le projet de loi C-38. Sur une question morale comme celle-ci, nous estimons que tous les députés, y compris les ministres, devraient au moins être libres de voter selon leur conscience, leurs traditions, et leur foi.

+-

    Le président: Nous passons maintenant au premier tour de questions, qui sera de sept minutes. Le premier intervenant sera le représentant du Parti conservateur, M. Toews.

º  +-(1605)  

+-

    M. Vic Toews (Provencher, PCC): Merci infiniment pour vos exposés.

    Monsieur Lauwers, je vais vous adresser ma première question, surtout en raison des préoccupations que vous avez exprimées au sujet de l'incidence de ce projet de loi sur les écoles publiques. Je sais que les organismes juifs ont exprimé la même préoccupation en ce qui concerne l'éventuel effet sur leurs propres organismes. Ce qu'il faut comprendre, c'est que de plus en plus les gens décident de se retirer tout simplement du système, et ce dans l'ensemble du pays. Les gens estiment qu'ils ne peuvent plus continuer à fréquenter les écoles publiques.

    Pour ma part, je suis membre d'une confession qui avait reçu au départ la garantie du gouvernement fédéral qu'elle aurait droit à ses propres écoles. Mais le gouvernement nous les a enlevées, et je suis donc bien placé pour savoir ce que peuvent faire les gouvernements quand il s'agit d'écoles indépendantes.

    Ce que nous constatons de plus en plus, c'est que le retrait du système public devient une solution de plus en plus réaliste pour bien des gens, de sorte que les parents sont de plus en plus nombreux à décider d'envoyer leurs enfants dans des écoles confessionnelles indépendantes, qu'ils soient juifs, protestants ou catholiques. En même temps, le fait que ces écoles dans bien des provinces—peut-être même dans tout le Canada—jouissent du statut d'organisme de bienfaisance suscite des préoccupations.

    Deuxièmement, bon nombre de provinces reçoivent ce financement directement de l'État. Par exemple, la province du Manitoba reçoit 50 p. 100 des crédits nécessaires pour supporter les frais de fonctionnement directement de l'État. Plusieurs témoins, y compris les représentants de l'Église unitarienne du Canada, ont soutenu devant le comité qu'il y a des similitudes entre le racisme et l'opposition au mariage entre conjoints de même sexe. Si tel est le cas, comment le gouvernement peut-il promulguer une loi qui continue d'accorder le statut d'organisme de bienfaisance à ces écoles? Comment peut-il verser des subventions directes à ces écoles?

    À un moment où la non-participation au système d'éducation public devient le choix exercé par la plupart des parents qui se trouvent confrontés à ce dilemme—ce qui signifie nécessairement qu'il y a une plus forte demande pour les places ailleurs—le financement dont bénéficient les écoles confessionnelles indépendantes semble de plus en plus menacé.

    Monsieur Lauwers, voyez-vous une faille dans mon raisonnement?

+-

    M. Peter Lauwers: Non, pour moi, vous avez très bien présenté la situation. Je ne peux pas ajouter grand-chose. La menace qui pèse sur les écoles confessionnelles en ce qui concerne leur capacité de conserver leur statut d'organisme de bienfaisance, et la nécessité de se conformer à cette nouvelle orthodoxie, pose vraiment un problème.

    J'ai eu qualité pour agir dans l'affaire de Marc Hall en Ontario, où un conseil scolaire catholique était forcé de permettre à un jeune étudiant homosexuel d'amener son partenaire de même sexe au bal des finissants. Cette affaire n'est pas passée au tribunal. Sinon, j'aurais eu gain de cause, parce que—et c'est un fait intéressant—la décision renversait un jugement de la Cour suprême du Canada. Comme vous le voyez, il existe une grande hostilité contre les valeurs traditionnelles dans la jurisprudence que vous avez examinée et dont je cite des extraits dans mon mémoire.

    Mais il y a un autre aspect de ce refus de participer au système d'éducation public dont il faut tenir compte. Il ne s'agit pas simplement de se retirer complètement du système scolaire ou d'opter pour des écoles financées partiellement par les deniers publics; c'est aussi la possibilité de ne pas participer aux cours enseignés dans le système d'éducation public, et d'avoir la possibilité de ne pas y assister lorsque l'enseignement dispensé ne cadre pas avec les valeurs morales des étudiants concernés. Cela me paraît tout à fait normal, mais c'est un concept qui est vraiment contesté.

+-

    M. Vic Toews: Je trouve remarquable que dans l'affaire Marc Hall, le tribunal ait rendu une ordonnance d'injonction contre l'Église catholique romaine, même si dans la province de l'Ontario, cette dernière et ses écoles jouissent d'une protection constitutionnelle. Mais lorsque les droits à l'égalité que prévoit la Charte se trouvent en conflit avec la liberté de religion que garantit la Loi constitutionnelle de 1867, c'est la Charte qui semble toujours primer. C'est une tendance dont j'ai été témoin dans toutes les régions du Canada. Selon moi, il existe une hiérarchie des droits, les droits religieux étant tout à fait au bas de l'échelle. Ce sont les droits à l'égalité—la nouvelle religion des tribunaux, en quelque sorte—qui semblent toujours primer. Êtes-vous d'accord ou non avec cette analyse?

+-

    M. Peter Lauwers: Dans l'affaire relative au projet de loi C-30, la Cour suprême du Canada a statué que la Constitution, en ce qui concerne le droit de l'Église catholique romaine d'avoir des écoles séparées en Ontario, primait sur la Charte. Dans l'affaire Marc Hall, la Cour a déclaré que c'est la Charte qui l'emporte. C'est pour cette raison que j'ai dit tout à l'heure que cette décision renversait le jugement de la Cour suprême du Canada. Cette décision était erronée. On peut résumer la situation en disant qu'elle était erronée.

    Mais vous avez raison de parler d'une hiérarchie des droits. La Cour suprême du Canada a déclaré à plusieurs reprises qu'elle ne souhaite pas que la jurisprudence relative à la Charte finisse par créer une hiérarchie des droits. Mais chaque fois que les droits à l'égalité se trouvent en conflit avec un autre droit, y compris le droit à la liberté de religion, ce sont les droits à l'égalité qui l'emportent. Par conséquent, dans la hiérarchie des droits garantis par la Charte, les droits à l'égalité deviennent de fait les droits les plus prioritaires.

º  +-(1610)  

+-

    M. Vic Toews: Je voudrais inviter les représentants des organismes juifs ici présents à réagir également.

+-

    M. Michael Brown: Je voudrais insister sur ce que Peter vient de dire. À mon avis, la liberté de religion n'est pas vraiment garantie dans la loi, telle qu'elle existe actuellement. Elle est plutôt mentionnée dans le préambule. Comme il a été question de toutes ces causes où, malgré le fait que la loi prévoit clairement le droit à la liberté de religion, droit qui n'a pas été respecté, il me semble que quand ce droit est énoncé dans le préambule seulement—qui existe uniquement pour guider l'interprétation de cette loi—cela m'inquiète, personnellement, et je crains donc que l'on puisse empiéter sur les droits religieux.

+-

    M. Vic Toews: À l'article 3 du projet de loi, il est question de la célébration du mariage. On dit ici que ni les tribunaux ni le gouvernement ne pourra compromettre les droits des autorités religieuses à cet égard. Mais le fait est que dans l'affaire qui faisait l'objet du renvoi devant la Cour suprême du Canada, cette dernière a statué que cette disposition était inconstitutionnelle—non seulement si c'était une disposition de fond, mais aussi s'il s'agissait simplement d'une disposition déclaratoire. Malgré tout, le gouvernement a jugé bon de mettre cette disposition dans le projet de loi. J'avoue ne pas comprendre ce qui l'a motivé à le faire. Ce faisant, il ne tient absolument aucun compte des déclarations de la Cour suprême du Canada à ce sujet.

    Monsieur Lauwers, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

+-

    M. Peter Lauwers: Pour moi, le texte comporte une nuance qui va peut-être permettre au gouvernement d'éviter le problème que vous venez de soulever.

+-

    M. Vic Toews: Et quelle serait cette nuance?

+-

    M. Peter Lauwers: Le texte se lit : « Il est entendu que les autorités religieuses sont libres de refuser », et non pas « Il est déclaré que les autorités religieuses sont libres de refuser ».

+-

    M. Vic Toews: Il reste que cet énoncé est tout de même de nature déclaratoire. La reconnaissance correspond tout de même à une déclaration.

+-

    M. Peter Lauwers: Oui, c'est vrai. Mais la Cour suprême du Canada a dit que toute cette question relève de la responsabilité des provinces, et non du gouvernement fédéral. Et l'exactitude de cette déclaration n'est certainement pas en doute.

+-

    M. Vic Toews: Donc, au fond cette disposition n'a pas de véritable valeur?

+-

    M. Peter Lauwers: Non, aucune.

[Français]

+-

    Le président: Merci.

    Nous passons maintenant au Bloc québécois. Monsieur Ménard.

+-

    M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ): Merci, monsieur le président.

    Bienvenue à tous nos témoins.

    Je voudrais commencer par un échange avec un organisme qui porte le dossier de l'égalité depuis plusieurs années déjà. Je crois même que ses antécédents en matière de représentation publique remontent au moins au Sommet québécois sur la Justice, du temps où Gil Rémillard était ministre.

    Je voudrais que vous nous rappeliez d'abord l'importance de votre représentation. Vous représentez une coalition d'organismes, des syndicats, des gens d'organismes à large rayonnement. Pour que l'on comprenne bien, et surtout à l'intention de nos amis du Canada anglais à qui votre type d'organisation est moins familier, je voudrais que vous expliquiez qui est derrière vous.

    J'aurai ensuite des questions plus techniques.

+-

    Mme Évangéline Caldwell: La grande majorité d'entre nous est hétérosexuelle. Cela peut sembler surprenant, mais les grandes organisations, ce qu'on appelle au Québec les grandes centrales syndicales, sont à majorité hétérosexuelle. C'est de cela qu'on parle quand on parle de la société civile: ce sont des gens de partout. Ce sont des gens qui se lèvent, qui ont des familles, qui vont au boulot, qui retournent au travail et qui reviennent à la maison.

    Je tiens à vous donner l'assurance que chaque groupe a reçu un mandat. Il y a eu des processus de consultation, de débat et de vote. Tous les membres de la coalition ont voté en faveur du mariage civil des couples de même sexe.

    En ce moment, c'est certainement la plus grande coalition au Québec qui existe relativement à un dossier spécifique. Nous travaillons depuis 1998. Nous avons beaucoup travaillé pour la Loi instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, et nous avons été des intervenants dans la cause Hendricks-LeBoeuf, la cause pour le mariage de conjoints de même sexe, dans les cours du Québec. Nous nous sommes présentés devant la Cour suprême du Canada pour le renvoi, toujours avec l'intention et la détermination d'obtenir l'égalité avec tous nos concitoyens.

º  +-(1615)  

+-

    M. Réal Ménard: L'un des arguments, évoqué par différentes organisations, que l'on entend souvent à ce comité est que le gouvernement aurait pu emprunter la voie de l'union civile.

    Évidemment, c'est un argument dont la Cour suprême a assez facilement disposé. Cela m'amène néanmoins à vous demander de développer deux sujets.

    J'ai bien aimé le témoignage de M. Côté, et étant donné vos racines et votre connaissance du dossier que vous mentionnez, j'aimerais que vous nous parliez d'un aspect. Au-delà de la statistique que vous avez avancée — vous disiez que le Bureau de la statistique du Québec parlait d'un peu moins de 500 mariages contractés au Québec, au moment où l'on se parle —, j'aimerais que vous nous disiez pourquoi c'est important, du point de vue de la citoyenneté, du point de vue de la reconnaissance. J'aimerais que vous nous disiez concrètement ce que cela va changer dans la vie des gens.

    Je vous poserai ensuite une deuxième question.

+-

    M. Claude Côté: Veux-tu commencer?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Oui, bien sûr.

    Il est difficile d'expliquer en quoi cela améliore la vie des gens, et ce n'est pas parce que je parle français. Il est évident que je suis anglophone, mais c'est aussi difficile à expliquer en anglais qu'en français.

    J'ai 52 ans, et c'est la première fois de ma vie que je suis votre égale, mesdames et messieurs. C'est la première fois que je peux m'asseoir à une table avec vous et me dire que, parce que le mariage des couples de même sexe existe au Québec, cette discrimination est éliminée. Je ne suis plus exclue. Je peux me présenter à la table comme citoyenne à part entière et je peux participer à part entière.

    Si je me mariais, si j'avais des enfants, c'est avec grande fierté que je leur dirais qu'ici, au Canada, l'égalité existe. Les gens sont traités de façon respectueuse et égalitaire dans leurs relations amoureuses, qui sont quand même des relations fondamentales pour chaque personne.

    Sur un plan plus communautaire, on entend maintenant ce qu'on n'entendait jamais: « Penses-tu te marier un jour? » Cette question était totalement évacuée. Elle ne pouvait pas se poser. Ce n'était pas possible.

+-

    M. Réal Ménard: Le choix va exister maintenant.

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Le choix existe. La dignité de faire son propre choix existe aussi. L'État me dit que j'ai les moyens et les valeurs pour faire un choix éclairé, pour décider si je veux me marier avec une conjointe ou non. L'importance de ce choix est difficile à exprimer par des mots.

+-

    M. Claude Côté: Je veux ajouter que, pour plusieurs d'entre nous, c'est fondamentalement une question de principe et une question de symbole. Comme vous le savez, les symboles ont beaucoup de portée et de signification. Nous avons derrière nous un drapeau qui en témoigne.

    Je dois dire que le mariage est une première étape pour nous, une étape fondamentale de l'atteinte de notre objectif ultime, qui est celui de l'égalité sociale. Comme Évangéline le disait, il est évident que, dans la communauté, on nous demande souvent pourquoi nous voulons nous marier. Cette égalité est très importante pour nous. Nous voulons qu'on reconnaisse que nous sommes des citoyens à part entière, dans tous les sens du mot, même si nous avons des relations amoureuses différentes.

    En septembre de l'année dernière, la Table de concertation des lesbiennes et des gais du Québec, dont je suis le coprésident, a organisé à Québec des états généraux qui s'intitulaient: « De l'égalité juridique à l'égalité sociale ». Nous avons obtenu l'égalité juridique en mars de l'année dernière. Ces états généraux portaient sur la manière d'atteindre l'égalité sociale à tous les points de vue.

    Nous poursuivrons notre bataille jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de distinction et de discrimination, jusqu'à ce que tous les parents disent d'un enfant qui vient de naître que tout ce qui importe est qu'il soit heureux, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel.

º  +-(1620)  

+-

    M. Réal Ménard: Tant que vous n'aurez pas cela, vous ne serez pas un homme complètement heureux.

+-

    M. Claude Côté: Absolument.

+-

    M. Réal Ménard: Ai-je le temps de poser une dernière question?

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Siksay.

+-

    M. Bill Siksay (Burnaby—Douglas, NPD): Merci, monsieur le président, et merci à tous nos témoins d'être présents cet après-midi.

    Permettez-moi de vous dire, tout d'abord, que la coalition que vous représentez est fort impressionnante, et je suis bien content que Réal vous ait demandé de nous expliquer quels groupes vous représentez pour que nous ayons une idée de l'ampleur de cette coalition qui est active au Québec dans ce domaine. C'est très impressionnant.

    Vous avez dit que 500 mariages de couples de gais et de lesbiennes ont été célébrés au Québec jusqu'à présent. Selon vous, y a-t-il une différence entre les gais et les lesbiennes qui vivent en couple en ce qui concerne les valeurs qu'ils associent au mariage et leur compréhension des responsabilités et obligations du mariage, et ce en quoi consiste l'engagement qui sous-tend le mariage?

+-

    M. Claude Côté: Je dirais que non; il n'y a aucune différence.

+-

    M. Bill Siksay: Et s'agissant de l'attitude des gais et lesbiennes pendant qu'ils grandissent—à votre avis, acquièrent-ils une compréhension différente du mariage? À cause de leurs particularités, ont-ils…?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Oui, sûrement, parce que nous n'avions aucunement la possibilité de nous marier. Nous étions exclues pour la vie mais maintenant que le mariage devient possible pour les couples, les jeunes couples s'intéressent davantage à l'institution du mariage et veulent savoir davantage ce que c'est que le mariage. Quand vous n'avez pas la possibilité de faire quelque chose, pourquoi s'y intéresser? Vous savez que cela ne vous concernera jamais.

    Mais cette attitude est de moins en moins présente, vu l'intérêt grandissant pour le mariage dans toutes ses particularités. En fait, certains membres de la communauté gaie sont vraiment devenus des experts sur l'histoire du mariage. Ils ont mené de grandes études.

    Je peux vous dire aussi que cela a un impact sur les gens individuellement, car lorsqu'une porte qui a toujours été fermée s'ouvre tout d'un coup, l'acte qui vous permet de franchir le seuil de cette porte devient d'autant plus important, sérieux et solennel. Que vous décidiez ou non de franchir le seuil de cette porte, c'est tout de même un acte sérieux et solennel. Donc, en ce qui concerne les changements qui se sont opérés ou les différences qui existent maintenant, en l'an 2005, je peux vous affirmer que ça c'est l'un des moyens par lesquels nous évoluons vers une attitude généralement plus favorable à l'égard du mariage. Les enfants qui naissent aujourd'hui pourront tenir pour acquis qu'ils seront en mesure de se marier. Mais nous sommes encore en train d'évoluer vers une telle réalité.

+-

    M. Bill Siksay: D'aucuns ont laissé entendre que certains gais et lesbiennes décident de se marier pour des raisons de publicité ou pour atteindre des objectifs purement politiques. Est-ce le cas des couples que vous connaissez au Québec, par exemple?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Non, pas du tout.

+-

    M. Claude Côté: Absolument pas, et je dirais même que les couples qui se marient sont ensemble depuis très longtemps. Nous sommes tous au courant de la réputation qu'a acquise le mariage au sein de la société; la plupart des gens l'évitent et optent plutôt pour une union civile ou de fait. Si l'on prend l'exemple du couple Hendricks-Leboeuf, par exemple, qui ont amené les tribunaux à se prononcer là-dessus en intentant leur action, ils sont ensemble depuis 33 ou 34 ans, si je ne m'abuse.

    Si vous me permettez d'ajouter une petite chose à laquelle je viens de penser en ce qui concerne les différences dont vous parliez tout à l'heure, l'une des différences serait que les garçons et les filles sont élevés de nos jours…et les parents disent à leur garçon qu'il va rencontrer la fille de ses rêves un jour et qu'il va l'épouser—et bien entendu, c'est l'inverse pour les filles. Voilà justement la véritable définition de l'hétérosexisme.

    Pour moi, M. Lauwers a mal utilisé le terme « hétérosexisme », puisque l'hétérosexisme correspond davantage à l'attitude de ceux et celles qui présument que tout le monde est hétérosexuel et que leurs enfants le seront également. Donc, voilà quelque chose qui nous a été refusé très tôt.

º  +-(1625)  

+-

    M. Bill Siksay: Oui. En grandissant, je me rappelle d'avoir toujours été à l'affût du moindre signal que quelqu'un serait éventuellement près à m'appuyer comme jeune homme gai, même si je n'avais déclaré mon homosexualité à personne. Je me souviens d'une fois où j'étais encore adolescent, et que j'écoutais un sermon à l'église où le pasteur avait mentionné un peu en passant qu'un membre de sa famille était gai. Je me suis souvenu de cette remarque, en me disant qu'un jour il faudrait peut-être que j'aille lui parler. Personne d'autre ne l'aurait remarqué, à mon avis, étant donné la façon dont il l'avait dit pendant le sermon, mais pour moi qui était très conscient du manque d'appui pour ce que j'étais et de la nécessité de savoir qui pourrait éventuellement m'appuyer, c'était bien important.

    Vous dites que vous avez du mal à comprendre pourquoi l'idée que d'autres puissent connaître le même bonheur ne soit pas bien acceptée par certains. Il me semble que nous vivons dans un monde où nous avons justement besoin du genre d'engagement que les gens sont prêts à prendre lorsqu'ils se marient. Et si les gens sont prêts à se battre pour avoir accès à cette institution et pour pouvoir prendre de tels engagements, nous devrions tous les encourager à le faire.

    Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?

+-

    Le président: Il vous reste encore une minute et demie.

+-

    M. Bill Siksay: D'accord. Je voudrais poser une question à M. Brown de Vaad Harabbonim.

    Monsieur Brown, vous avez parlé de tribunaux activistes. Or ce n'est pas quelque chose qui a été instigué par les tribunaux. L'initiative a plutôt été prise par des couples gais et lesbiennes qui avaient un grief contre la société, qui se sentaient exclus d'une grande institution de la société, et qui estimaient qu'on avait refusé de reconnaître leurs droits à l'égalité. Est-ce quelque chose que vous trouvez normal de refuser aux gens—c'est-à-dire le droit de soumettre leurs griefs au système judiciaire?

    Vous avez parlé du couple de Coquitlam à qui l'on a refusé le droit d'utiliser la salle des Chevaliers de Colomb pour leur réception de mariage, en laissant entendre que ce n'était pas tout à fait normal qu'ils aient déposé une plainte pour protester cette violation de leurs droits—et que ce n'était pas non plus normal que certains aient déposé une plainte contre l'évêque Henry. Êtes-vous d'avis que les gens ne devraient pas avoir droit de déposer de telles plaintes ou de demander de tels recours lorsqu'ils ont l'impression d'avoir été lésés par quelque chose qui s'est produite au sein de la société?

+-

    M. Michael Brown: Nous estimons que les tribunaux existent pour nous protéger. Notre commentaire sur l'activisme des tribunaux concernait le fait que la Cour suprême a rendu sa décision au moment même où la question était examinée par le Parlement, et a donc court-circuité tout le processus. Mais nous-mêmes sommes souvent passés par les tribunaux pour demander la protection. Nous ne voudrions jamais faire de la discrimination contre quiconque, et à mon avis, la notion traditionnelle qui sous-tend les valeurs judéo-chrétiennes est justement celle consistant à défendre et à protéger son prochain. Donc, nous ne serions aucunement contre l'idée que les tribunaux interviennent dans ce contexte. Ce que nous craignons, c'est que l'on ait recours aux tribunaux pour réprimer les enseignements religieux.

+-

    M. Bill Siksay: Le mariage civil pour les couples gais et lesbiennes existe en Ontario depuis quelque temps. Je crois savoir que vous êtes de Toronto. Avez-vous observé un effet quelconque sur vos congrégations, c'est-à-dire que les tribunaux vous auraient obligés à marier un couple gai ou lesbienne? A-t-on pris des mesures contre vous pour vous forcer à le faire? Au cours de cette période, vous a-t-on obligé à faire quelque chose qui est contraire à vos croyances religieuses?

+-

    M. Michael Brown: Jusqu'à présent? Non, je ne crois pas mais il n'est pas non plus faux de croire, vu les décisions judiciaires rendues en Colombie-Britannique et en Alberta, que ce mouvement va traverser les plaines et se manifester un de ces jours à Toronto et dans d'autres communautés confessionnelles du Canada.

+-

    M. Bill Siksay: Pour vous, y a-t-il une différence entre…

+-

    Le président: Excusez-moi de vous interrompre.

+-

    M. Bill Siksay: Mon temps est écoulé? D'accord. Merci.

+-

    Le président: Nous passons maintenant aux Libéraux.

    Monsieur Savage.

+-

    M. Michael Savage (Dartmouth—Cole Harbour, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Je voudrais vous souhaiter à tous la bienvenue au comité et vous remercier d'être parmi nous à Ottawa en plein mois de juin dans une salle sans climatisation. Vous faites preuve d'un dévouement exceptionnel.

    Je voudrais commencer par poser une question à M. Côté et à Mme Caldwell.

    Vous avez parlé des difficultés que rencontrent les jeunes gais et lesbiennes qui grandissent au Canada, de leurs difficultés psychologiques, surtout, et du fait qu'ils ont l'impression de ne pas bien s'intégrer à la société et, dans certains cas, d'être frappés d'ostracisme. Vous avez parlé de suicide. J'ai eu l'occasion de revoir le discours prononcé par M. Siksay à la Chambre des communes au sujet de ce projet de loi, qui était l'un des meilleurs discours que j'ai entendus depuis mon arrivée au Parlement, et lui aussi a parlé de ce problème.

    Si le projet de loi est adopté, pourriez-vous nous parler de ses éventuels effets positifs sur les jeunes gais et lesbiennes du Canada?

º  +-(1630)  

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Eh bien, je crois que nous sommes en mesure d'affirmer, étant donné que nous avons déjà un an d'expérience au Québec, que les conversations sont à présent particulièrement positives. Ce n'est pas la solution miracle qui va faire disparaître tous les problèmes. Nous avons déjà dit, d'ailleurs, qu'il y a encore beaucoup à faire. Nous revenons sans arrêt sur le fait—avec nous, c'est toujours la même rengaine… Quand on vous traite comme un citoyen égal, la situation commence à changer. Vous, aussi, vous changez. L'on est nécessairement témoin des réactions de la société. Bon nombre de ces réactions sont très positives. Beaucoup de gens sont tout à fait en faveur. Mais il y a aussi certaines inquiétudes, nous en entendons parler aujourd'hui. Mais dès qu'on vous dit que vous êtes un citoyen égal, que vous avez un accès égal aux institutions de l'État, cela ne peut que rehausser l'opinion que vous avez de vous-même, et votre sentiment de votre propre valeur, car il est vrai que ce que l'État dit de vous a un impact sur vous, et que ce que l'État dit de vous influence votre opinion de vous-même. Dans ce contexte, nous constatons que l'effet est positif.

    Encore une fois, je ne vais pas vous affirmer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais il ne fait aucun doute que ce changement est significatif. À mes yeux, c'est quelque chose que d'arriver à réaliser ce genre d'égalité et de pouvoir entendre dans la bouche d'un ami : « Ma mère m'a demandé aujourd'hui si je vais me marier un jour ». Un jeune homme gai pourrait dire ça à une personne qui a des problèmes, et qui se sent déprimé parce que sa famille accepte très mal son homosexualité. Le simple fait de savoir que ces questions sont posées dans d'autres familles qui ont une attitude favorable peut également aider.

    Donc, je peux vous garantir que cela aidera certainement les enfants, et je dirais même que cela aidera les personnes qui ne sont pas si jeunes, les adultes, les gens dans la cinquantaine, des gens comme Claude et moi, des gens qui sont plus âgés que nous, et même les membres âgés de la communauté gai et lesbienne, parce que nous avons tous été victimes de l'attitude sociale qui incite les gens à dire : « Il faut vous trouver autre chose parce que vous n'êtes pas tout à fait à la hauteur ». Éliminer ce genre d'attitude ne peut qu'être positif.

+-

    M. Claude Côté: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, cela fera une énorme différence pour les milliers d'enfants au Canada qui vivent dans des familles dirigées par un couple de même sexe. Cela leur permettra de comprendre que leurs parents sont normaux, et que leur famille est normale.

    Je suis une personne normale. Je ne fais pas partie de la majorité en ce qui concerne mon orientation sexuelle, mais je suis normale à tous les égards. Et ce que ce projet de loi fera comprendre à nous tous, et aux enfants qui grandissent avec des parents de même sexe, c'est que tout cela est normal. Ça, c'est très important.

+-

    M. Michael Savage: Merci beaucoup. Je suis tout à fait d'accord à ce sujet, et j'espère que ce projet de loi n'aura pas uniquement pour résultat de permettre aux gais et aux lesbiennes de se marier, mais qu'il aidera aussi les familles…

    J'ai déjà mentionné dans le cadre de ces audiences que je suis le parrain d'une petite fille qui a deux mères, et il est très important pour cette famille qu'elle soit reconnue comme étant tout à fait légale de n'importe quelle autre famille, et que par conséquent, qualifier cela d'union civile n'est pas lui accorder un statut légal; quand on est égal et distinct, on n'est pas vraiment égal. C'est une distinction importante.

    Je voudrais donc demander à M. Lauwers, et peut-être aussi à M. Brown ou M. Anisfeld, de répondre à la question que voici : Étant donné que nous discutons de cette question depuis des années, et au Parlement du Canada cette question est évidemment sur le tapis depuis un bon moment—nous en sommes au point où nous apportons des révisions techniques au projet de loi—et étant donné que cela fait déjà partie des lois de la plupart des provinces et territoires du Canada, qu'aimeriez-vous que nous fassions? Souhaitez-vous que l'on invoque la disposition de dérogation, ou y a-t-il un autre mécanisme que vous nous recommanderiez pour empêcher que ces mesures deviennent effectives?

+-

    M. Peter Lauwers: En ce qui concerne le projet de loi lui-même, les options sont assez claires. Vous pourriez apporter certaines corrections au projet de loi, et je crois même savoir que plusieurs amendements ont été proposés. J'ignore la teneur de ces amendements, mais voilà une possibilité. Une autre possibilité consisterait à ne pas adopter le projet de loi et de recommencer à zéro, et je pense que cela vaudrait peut-être la peine de retenir cette solution-là. Une autre possibilité consisterait à faire ce que proposent les Conservateurs, c'est-à-dire de créer un régime d'union civile qui existerait parallèlement à l'institution du mariage. Enfin, la dernière option consisterait à reprendre la définition du mariage hétérosexuel et à invoquer la disposition de dérogation.

    Voilà les possibilités qui s'offrent au Parlement du Canada.

º  +-(1635)  

+-

    M. Michael Savage: Mais quelle serait votre préférence?

+-

    M. Peter Lauwers: Ma préférence? Eh bien, j'estime que ce problème ne sera jamais vraiment réglé tant que le Parlement n'aura pas cessé de s'immiscer dans les questions qui concernent le mariage. J'estime, personnellement, que ce combat sur la nature du mariage ne devrait pas être mené sur le parquet de la Chambre des communes.

    L'État a de toute évidence un certain intérêt dans toute question intéressant les relations de longue durée, la manière de les créer et de les dissoudre, et surtout la situation des enfants. Par contre, il ne lui appartient pas directement de définir le mariage. Je dirais que cette définition relève plutôt de la responsabilité de la société civile—des diverses confessions, si les gens ont une religion, et d'autres groupes, s'ils n'en ont pas.

    Il est peut-être déjà beaucoup trop tard pour proposer une telle chose, mais dans une démocratie libérale, il me semble bien que c'est ainsi que l'on devrait régler la question. À l'heure actuelle, l'État s'est prononcé solidement en faveur d'une certaine définition du mariage, définition avec laquelle 70 p. 100 des Canadiens seraient en désaccord.

+-

    M. Michael Savage: Je ne suis pas nécessairement d'accord avec vous. À ce sujet, nous ne sommes pas du même avis.

    Mais vous êtes un Canadien instruit, et je respecte donc votre point de vue. Si vous souhaitez proposer des amendements qui vous permettraient d'accepter plus facilement ce projet de loi, je vous invite à nous les soumettre ou à les soumettre directement à un membre du comité. Nous allons en discuter la semaine prochaine. La différence fondamentale entre vous et moi, c'est que pour vous, cela réglera le problème, alors qu'à mon avis, c'est ce projet de loi qui va nous permettre de régler un problème au Canada, à savoir que les Canadiens hétérosexuels et homosexuels ne sont pas sur un pied d'égalité. Mais je vous suis reconnaissant d'être venu nous faire part de vos vues aujourd'hui.

    D'ailleurs, je tiens à remercier tous les témoins de leur présence.

+-

    Le président: Merci.

    Nous revenons au Parti conservateur. Les tours seront de cinq minutes à partir de maintenant.

    Monsieur Jean.

+-

    M. Brian Jean (Fort McMurray—Athabasca, PCC): Merci, monsieur le président, et merci à tous nos témoins.

    Mon français est très mauvais et par conséquent, je ne vais même pas faire une tentative, mais mes questions s'adressent à vos organismes et à vous-mêmes. J'ai trois questions à vous adresser.

    Premièrement, à votre avis, les institutions religieuses devraient-elles avoir la possibilité de prêcher et de déclarer que, d'après leurs croyances religieuses, la pratique de l'homosexualité est mal, selon elles?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Je crois que tout cela est couvert par le projet de loi C-250. Si je ne m'abuse, cette mesure législative prévoit clairement que s'il s'agit d'un texte religieux et vous citez des textes sacrés, cela ne peut être considéré comme de la propagande haineuse.

+-

    M. Brian Jean: Mais je vous ai demandé ce que vous pensez, vous.

+-

    M. Claude Côté: Même si nous ne sommes pas d'accord—et je ne pense pas que cela vous surprendra—comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, nous respectons les croyances des autres. Toutefois, si cette déclaration va plus loin en ce sens que je ne me contente pas de dire que moi, personnellement, trouve que c'est inacceptable, si cette déclaration a pour objectif d'inciter les gens à y donner suite en nous traitant de façon discriminatoire ou en nous faisant du tort, à ce moment-là, cela va trop loin; mais comme nous vous l'avons déjà dit, notre coalition ne s'intéresse aucunement au mariage religieux. Nous ne revendiquons que le mariage civil pour les couples de même sexe.

+-

    M. Brian Jean: Oui, je comprends, mais c'est la pratique elle-même qui m'intéresse et votre opinion à ce sujet, non pas le projet de loi C-250. Êtes-vous d'avis que les passages de la Bible qui critiquent l'homosexualité sont inacceptables et devraient donc être modifiés ou éventuellement supprimés?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Je suis désolée, je n'ai pas saisi toute la question.

+-

    M. Brian Jean: Pensez-vous que les passages de la Bible qui font explicitement référence à l'homosexualité en tant que conduite répréhensible devraient être changés, ou supprimés?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Je voudrais juste vous rappeler que nous sommes la coalition québécoise pour la reconnaissance des conjoints et conjointes du même sexe. Si je vous fais ce rappel, c'est parce que notre champ d'action est vraiment le mariage civil. Contrairement à d'autres invités ici présents, nous établissons une distinction très importante entre une institution de l'État qui garantit le mariage civil et une autre qui garantit le mariage religieux.

+-

    M. Brian Jean: Madame, je n'ai que cinq minutes. Ce que je voudrais vraiment savoir… J'ai aussi des questions à poser à M. Lauwers et à d'autres. Je vous demande donc de me dire si vous estimez que des passages de la Bible qui critiquent…?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Suis-je d'avis que la coalition québécoise devrait déclarer que tous les passages touchant l'homosexualité sont à supprimer des textes sacrés? Bien sûr que non. Ce serait insultant.

+-

    M. Brian Jean: Ce serait insultant.

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Bien sûr.

+-

    M. Brian Jean: Mais certains passages ont été publiés et certaines personnes ont fait l'objet de poursuites à cause de ces passages de la Bible qui ont été publiés. Je me demande donc ce qui devrait arriver, selon vous, à ces personnes qui ont fait valoir leurs arguments en fonction de leurs croyances religieuses. Que devrait-il arriver à ces personnes, d'après vous?

º  +-(1640)  

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Pour moi, M. Côté l'a très bien dit. C'est une chose de parler d'un passage d'un texte sacré en disant que cela correspond à la croyance des adeptes de telle religion, mais c'en est une autre d'insister sur cette croyance, d'étendre sa portée et de demander aux gens de faire du tort à d'autres à cause de cette croyance. Là, on dépasse les limites.

+-

    M. Brian Jean: Vous dites que c'est une question de motivation.

+-

    Mme Évangéline Caldwell: De motivation et de résultats. L'exemple classique serait celui qui s'appuie sur un texte sacré critiquant l'homosexualité pour dire que l'homosexualité est une abomination. C'est une chose que de dire que c'est ma croyance religieuse que je vais ensuite enseigner à mes disciples; c'en est une autre de dire que d'après ma religion, l'homosexualité est une abomination et par conséquent, il faut faire l'impossible pour empêcher les homosexuels de vivre leur vie.

+-

    M. Brian Jean: Je ne vois pas la distinction entre les deux. Ou alors ces passages sont inacceptables et vous voulez les faire modifier ou supprimer, ou les empêcher d'être publiés, ou alors ils sont acceptables et vous êtes prêts à les tolérer. Je ne vois pas…

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Je ne peux pas vous dire que c'est tout ou rien. Je ne veux pas vous faire ce genre de réponse, parce que pour moi, ce n'est pas possible. Évidemment, pour une lesbienne, certains passages, non seulement de textes sacrés chrétiens, mais de nombreux textes sacrés, sont extrêmement troublants.

+-

    M. Brian Jean: Excusez-moi de vous interrompre, mais je sais que le président va bientôt me couper la parole, et je voudrais donc savoir si vous croyez ou non que ces passages devraient être supprimés. Pensez-vous que ceux que vous trouvez blessants devraient être supprimés?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Je n'ai absolument pas le pouvoir de proposer à des autorités religieuses qu'elles suppriment certains passages de leurs textes sacrés. C'est absurde.

+-

    M. Claude Côté: Nous ne sommes partisans de la censure, premièrement.

    Deuxièmement, j'ai une amie qui est membre de l'Église unie du Canada. Elle en sait beaucoup plus que moi. Elle m'a dit qu'il n'y a aucune mention de l'homosexualité dans l'Évangile. Je ne sais pas si c'est vrai ou non, mais c'est ce qu'on m'a dit.

    Il y a certains passages de la Bible, de l'Ancien Testament, qui la mentionnent ou qui y font allusion. Il y a beaucoup de livres sur le marché actuellement qui contiennent des propos injurieux. On peut les acheter à n'importe quelle librairie—je ne suis pas en train de vous dire que la Bible fait partie de ces catégories; ce n'est pas ce que je vous dis. Mais ces écrits peuvent être contraires à mes croyances ou à mes opinions.

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Je sais, pour avoir regardé le président, que nous ne sommes pas censés poursuivre cette discussion.

    Une façon de voir la chose est de se dire que ces écrits existent dans un contexte religieux, et qu'ils font partie de ce sur quoi s'appuie cette religion. C'est la manière de s'en servir qui peut susciter des préoccupations. Et c'est un problème auquel on est confronté plutôt tôt que tard. Comment ces passages de la Bible ou ces textes sacrés sont-ils appliqués dans la vie de tous les jours, et quel est leur impact? C'est là que cela peut vraiment être une source d'inquiétude.

+-

    M. Brian Jean: Donc, dans ce cas, il convient de se débarrasser de…

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Non. Je ne dis pas qu'il faut modifier les textes sacrés, et je ne dirai jamais cela. Ce que j'essaie de vous expliquer, c'est que nous pourrions peut-être encourager les autorités religieuses dont les textes sacrés parlent en termes assez négatifs, même très négatifs, des homosexuels et des lesbiennes à être sensibles à la façon de les utiliser. Ma préférence serait que cette éducation et cette discussion se fassent au sein de chaque communauté religieuse individuelle, parce que ce sont les autorités religieuses qui connaissent le mieux leur religion et qui ont donc l'expertise voulue. Et chaque communauté religieuse pourra déterminer si certains de ses textes sacrés présentent ou non un portrait très négatif des gais et des lesbiennes. Si c'est le cas, pourquoi les autorités religieuses ne devraient-elles pas discuter de cet aspect de leur enseignement religieux, et parler de la nécessité d'éviter, en transmettant cet enseignement religieux, de faire du tort aux gais, aux lesbiennes et à leurs familles?

+-

    M. Brian Jean: Le terme « abomination » est tout de même assez clair.

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Et c'est là qu'il devient important de discuter de ce qu'il faut faire ou ne pas faire.

+-

    Le président: Monsieur Jean? Merci.

[Français]

    Nous passons maintenant du côté libéral.

    Maître Boivin.

º  +-(1645)  

+-

    Mme Françoise Boivin (Gatineau, Lib.): J'espère qu'en termes de temps, on sera également tolérant avec moi, monsieur le président.

+-

    Le président: Je vous ferai remarquer, madame Boivin, que j'ai été tolérant avec tout le monde jusqu'à présent.

+-

    Mme Françoise Boivin: J'allais d'ailleurs commencer en disant que le mot « tolérance » est à mon avis celui qui est le moins bien utilisé. En effet, on parle beaucoup de tolérance ici, et on devrait peut-être parler un peu plus d'acceptation. C'est un commentaire qu'on m'a fait à l'occasion d'un discours qu'on livrait sur divers aspects de la Charte.

    J'ai trouvé le débat — et le terme est approprié, ici — entre M. Jean et nos invités fort intéressant. Au fait, je remercie chacun de nos invités d'être parmi nous aujourd'hui. La même image me vient sans cesse à l'esprit. Je crois fortement en l'égalité, et j'imagine que s'il y a un domaine au sujet duquel nous risquons de tous nous entendre ici, c'est bien l'égalité entre les hommes et les femmes. Je reconnais que la religion catholique n'est pas encline à accepter la prêtrise chez les femmes. Pourtant, je n'ai pas entendu parler d'une foule de poursuites destinées à forcer cette Église à accepter les femmes prêtres au nom de l'égalité des sexes au sens de la Charte.

    Cela étant dit, j'ai trois questions à poser. Je vais vous les poser sans façon, en espérant que vous aurez le temps d'y répondre.

    Madame Caldwell et monsieur Côté, vous dites que la coalition travaille à ce dossier qui, sur le plan législatif, est à l'étude depuis aussi loin que 1998, si j'ai bien compris. Or, certains de nos collègues insistent pour dire que ce dossier semble avancer avec la rapidité de l'éclair, qu'il est épouvantable de voir que des gens n'ont pas l'occasion de s'exprimer et ainsi de suite. On entend aussi abondamment ce genre de propos dans les médias.

    Vous qui semblez travailler depuis longtemps à ce dossier, que répondez-vous à ces gens?

+-

    M. Claude Côté: À mon avis, la rapidité avec laquelle ce dossier a progressé fait honneur à l'ensemble des Canadiens et Québécois. Il est vrai que les mentalités ont considérablement changé au cours des dernières années et que c'est à notre avantage. Je ne voudrais surtout pas nous en accorder tout le crédit. Je pense en fait que c'est dû en très faible part à notre action militante. Les gens évoluent. Les nouvelles technologies sont peut-être aussi un facteur. Je ne sais pas comment vous expliquer la situation, mais chose certaine, les mentalités changent. Je ne pense pas qu'un tel projet de loi pourrait voir le jour aujourd'hui si les mentalités n'avaient pas évolué.

+-

    Mme Françoise Boivin: Je vais être plus directe: trouvez-vous qu'on avance trop vite?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Je ne trouve pas que la cadence soit trop rapide. On va sans doute comprendre que nous ayons pour notre part l'impression que le dossier progresse plutôt lentement. Les choses s'équilibrent.

    Je vous dirais que le processus a été exhaustif. Nous avons retourné toutes les pierres que nous avons pu trouver sur notre chemin. Nous l'avons fait dans cette province, dans un territoire et à la Cour suprême dans le cadre d'un renvoi. C'est la deuxième fois que nous avons l'honneur de nous présenter devant un comité qui traite de ce projet de loi.

    Je pense que le débat s'est fait en profondeur et de façon exhaustive. Certains thèmes sont récurrents. Le mariage civil des couples de même sexe existe dans la plupart des provinces canadiennes. Une des choses que l'on oublie est que cela fonctionne bien. Nous ne nous sommes pas butés à la religion. Nous craignions que ce soit le cas, mais cela ne s'est pas produit. À mon avis, il y a là matière à se réjouir et à célébrer. De plus, cela donne à penser que continuer à avancer dans ce sens sera positif.

+-

    Mme Françoise Boivin: Vous ne nous proposez donc pas d'amendement au projet de loi C-38. Il vous semble correct tel qu'il est.

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Absolument. Les deux choses...

+-

    Mme Françoise Boivin: Excellent.

    J'aimerais maintenant m'adresser aux autres témoins si vous n'y voyez pas d'objection.

    Monsieur Lauwers, vous dites que le mariage civil entre conjoints de même sexe va transformer le milieu de l'éducation publique. Est-ce bien ce que vous avez dit?

º  +-(1650)  

[Traduction]

+-

    M. Peter Lauwers: Oui.

[Français]

+-

    Mme Françoise Boivin: Cette transformation n'est-elle pas déjà faite, compte tenu du fait que c'est déjà la loi dans sept provinces et un territoire, comme Mme Caldwell le disait si bien? Cela couvre environ 85 p. 100 de la population canadienne. Cela n'a-t-il pas déjà un impact sur l'éducation publique, et la société canadienne ne va-t-elle pas apprendre à incorporer de tels changements, puisqu'ils font partie du visage de notre société?

[Traduction]

+-

    M. Peter Lauwers: En réponse à votre question, je dirais que la jurisprudence a certainement évolué au cours des dernières années, mais elle n'est toujours pas uniforme d'un bout à l'autre du pays. La décision de la Cour suprême du Canada a été rendue il y a quelques mois seulement, alors que ce projet de loi est maintenant devant nous. Le fait est que le système d'éducation ne l'a pas encore rattrapée.

+-

    Mme Françoise Boivin: Et c'est ce que vous craignez, peut-être?

+-

    M. Peter Lauwers: Certains conseils scolaires abordent en classe les questions liées aux couples de même sexe. Le Conseil scolaire de Toronto en est un exemple.

+-

    Mme Françoise Boivin: J'essaie de comprendre, parce que je me rappelle que lorsque j'étais encore jeune et que je fréquentais l'école, ma mère me parlait des manuels scolaires qu'ils avaient à l'école publique où la femme était représentée comme la ménagère qui faisait la cuisine pour son mari. Le fait est que tous les manuels scolaires du système d'éducation public ont forcément évolué en fonction des changements que subit en permanence notre société.

    Qu'y a-t-il de mal à cela? Voilà ce que j'essaie de comprendre, dans votre optique.

+-

    M. Peter Lauwers: Je faisais deux choses, essentiellement. J'essayais de vous faire comprendre ce qui va arriver—c'est-à-dire, si vous n'y avez pas réfléchi, voilà ce qui va arriver—cela me semble assez clair, et mon mémoire fournit toutes les explications nécessaires.

    La question que je me pose, dans l'optique libérale démocratique, est celle-ci : est-il approprié que l'État cherche à endoctriner les enfants en ce qui concerne leurs valeurs et leurs modes de vie, alors que les parents ne sont pas d'accord à ce sujet? Voilà justement un argument qu'il convient d'étoffer, et c'est l'argument que soulève le projet de loi C-38—de même que les affaires judiciaires, d'ailleurs. Tout s'articule toujours autour de la même question. Est-il normal dans une démocratie libérale qu'un organisme étatique cherche à endoctriner les enfants et à leur inculquer certaines valeurs, alors que les parents ne sont pas d'accord?

    Voilà la question. C'est une question politique, en fin de compte, et je vous laisse le soin de la démêler.

[Français]

+-

    Mme Françoise Boivin: D'accord. Good question.

    Me reste-t-il du temps?

+-

    Le président: Malheureusement pas.

    Nous retournons au Bloc québécois, avec Me Marceau.

+-

    M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Merci aux témoins d'être venus aujourd'hui. Je m'excuse de mon retard. Vous connaissez la situation politique assez volatile qui fait en sorte que nous sommes tiraillés à gauche et à droite pour différentes choses.

    Je voudrais poser une question à M. Brown ou à M. Anisfeld sur leur présentation. J'ai eu l'occasion d'en entendre la fin, ainsi que les réponses à certaines questions qui vous ont été posées. Comme vous le savez, le titre du projet de loi et son objet sont le mariage civil. On voit une dichotomie assez remarquable entre le droit civil ou le droit de l'État et des systèmes de droit qui sont religieux, par exemple, dans votre cas, le Halachah. Il y a des règles qui sont les vôtres et qui sont complètement différentes de celles de la société civile. On peut penser au kashrout, c'est-à-dire vos règles alimentaires, qui sont complètement différentes de celles de la société civile, ou encore au divorce. Dans la société civile, le divorce a lieu devant une cour. Dans le cas des juifs orthodoxes, entre autres, pour pouvoir se remarier à la synagogue en présence d'un rabbin, une femme doit obtenir un get de son ex-mari. C'est une autre différence entre le droit civil et le droit religieux. Vous avez aussi l'interdiction du mariage exogame, c'est-à-dire l'interdiction pour un juif d'épouser un non-juif.

    Toutes ces règles, bien que distinctes de celles de la société civile, sont appliquées à l'intérieur de vos communautés de façon très claire. Elles sont respectées. Vous n'avez jamais eu de problèmes à appliquer ces règles au Canada à l'intérieur de vos diverses communautés.

    Je voudrais savoir en quoi la possibilité pour des conjoints de même sexe de se marier est un cas différent, étant donné que vous n'êtes en aucune façon obligés d'appliquer ce droit. En quoi la possibilité pour les conjoints de même sexe de se marier est-elle différente des autres règles que j'ai mentionnées dans ma question?

º  +-(1655)  

[Traduction]

+-

    M. Michael Brown: Premièrement, je voudrais vous féliciter pour vos connaissances et pour ce que vous savez du halacha juif, c'est-à-dire pour l'ensemble de droit juif transmis d'une génération à l'autre à travers les âges. Je l'apprécie beaucoup, et pour moi, cela dénote une certaine sensibilité à la situation de ceux d'entre nous qui avons parlé à la Chambre des communes. Je tiens à vous en remercier.

    Deuxièmement, nous avons remis une copie de notre mémoire au greffier, si bien que vous aurez amplement le temps de l'examiner et de bien comprendre nos vues sur la question.

    Quant à moi, je suis convaincu—et cela rejoint ce que nous avons dit en discutant d'autres questions tout à l'heure—notre système de halacha, c'est-à-dire notre système de droit, est un système que je qualifierais de factuel. Nous avons une foi intrinsèque en ce système. Il ne s'agit pas de choisir ce qui nous plaît; nous ne pouvons donc pas nous dire que nous allons vivre de telle façon tant que nous serons entre ces quatre murs, et d'une autre façon, dès que nous serons ailleurs. Comme les textes religieux sont sacrés, il faut les protéger et s'y conformer.

    Je vous dirais donc que même si nous nous conformons à une double série de lois… Nous nous marions tous. Dans chaque cas, notre mariage est célébré par le greffier du tribunal, ou encore par un rabbin à qui l'on confère ce pouvoir. Les prescriptions du Kashrut, par exemple, sont protégées par le gouvernement, par la Cour suprême du Canada, et en vertu d'autres exigences juridiques. Mais nous devons être libres de faire ce que nous avons à faire.

    Et par rapport aux observations qui ont été faites au sujet des Saintes Écritures, si nous essayons d'inculquer…et là je cherche à éviter le mot « endoctriner », mais le fait est que nous grandissons avec une certaine échelle de valeurs, et si nous voulons être libres de vivre selon cette échelle de valeurs, nous avons besoin de toute la flexibilité requise pour l'enseigner et pour essayer d'éduquer les enfants conformément à nos croyances. Nous craignons justement que notre capacité de faire cela sera gravement limitée par cette mesure législative.

    Nous vivons en Ontario. En Ontario, le gouvernement ne nous donne pas d'argent. L'unique avantage que nous possédons est notre statut d'organisme de bienfaisance. Cela nous permet de réunir des fonds, et les gens peuvent être généreux et nous faire des dons. Si nous devions perdre cela, nous ne pourrions plus assurer une éducation à nos enfants.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Je vais vous dire une chose sur ce point, monsieur Brown, bien que je ne pense pas que cela puisse vous convaincre d'appuyer le projet de loi C-38. À mon avis, la crainte de perdre le statut d'organisation charitable n'est pas fondée. Si on apportait au projet de loi un amendement qui dirait noir sur blanc qu'aucune organisation ne pourra perdre son statut d'organisation charitable si elle refuse de célébrer le mariage de conjoints de même sexe, est-ce que cela calmerait un tant soit peu la crainte qui vous habite, celle de perdre le statut d'organisation charitable, même si cela ne ferait pas de vous un partisan du projet de loi C-38, j'en suis convaincu?

    Ma position est majoritaire au sein de mon parti. Nous avons un vote libre sur cette question. Mon collègue de la Côte-Nord a une position différente de la nôtre, et il l'a exprimée. On a des débats gentils et amicaux au sein du caucus.

    Pour nous, la position essentielle est la suivante: le droit à l'égalité, qui inclut la possibilité de se marier pour les conjoints de même sexe, n'est ni plus ni moins important que la protection de la liberté de religion. Si on vous donne directement et précisément dans le projet de loi C-38 la garantie de ne pas perdre votre statut d'organisation charitable, est-ce que cela apaisera un peu vos craintes, même si cela ne les évacue pas complètement?

[Traduction]

+-

    M. Michael Brown: Je vous renvoie aux observations de M. Lauwers de tout à l'heure, et nous en avons également parlé dans notre mémoire. L'expérience a démontré que les droits à l'égalité priment sur les droits religieux, et même lorsque ces droits sont inscrits dans la loi, rien ne semble freiner la progression du rouleau compresseur des droits à l'égalité.

    Deuxièmement, je voudrais vous demander de lire le mémoire que nous vous avons soumis. Voilà notre troisième point. Je pense que vous devriez vraiment le faire. Je ne sais pas si cela va permettre de régler tous les problèmes, mais il ne fait aucun doute que cela réglerait l'un des problèmes que nous vous avons signalés, soit le troisième, même si le premier et le deuxième, que nous expliquons dans notre mémoire, nécessiteraient encore une solution.

»  +-(1700)  

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Marceau.

+-

    M. Richard Marceau: Merci.

[Traduction]

+-

    Le président: Nous allons redonner la parole aux Libéraux.

    Madame Neville, vous avez cinq minutes.

+-

    Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci beaucoup.

    Monsieur Brown, permettez-moi de vous dire, tout d'abord, que nous n'avons pas encore reçu votre mémoire. Je présume qu'il est à la traduction, et nous sommes évidemment impatients de le recevoir.

    Pour commencer, je voudrais poursuivre la discussion entamée par M. Marceau. J'ai été frappée en vous entendant dire que vous ne choisissez pas les textes saints que vous décidez de respecter, et je voudrais justement aller un peu plus loin dans cet ordre d'idées.

    Le peuple juif sait trop bien quelles peuvent être les conséquences de l'intolérance et de la persécution. Je n'ai pas besoin de vous parler de cela. En tant que juifs, nous devrions tous faire notre possible pour éliminer les obstacles et les institutions qui favorisent l'intolérance, afin que d'autres groupes ayant le potentiel d'être persécutés ne subissent pas le même genre de préjudice qui a été causé au peuple juif au fil des ans.

    Je comprends et je respecte votre position, mais vu ce que vous avez dit au sujet des choix à faire, et vu l'histoire récente—même pas l'histoire récente, mais plutôt l'histoire du peuple juif au fil des ans—serait-il possible, selon vous, de respecter les principes religieux auxquels vous êtes si attachés, tout en assurant la protection de tous les membres de la société? Voilà ma première question.

+-

    M. Michael Brown: L'un des groupes dont je suis le porte-parole et que je représente, soit Agudath Israel Toronto, fait partie d'un grand organisme, soit Agudath Israel of America, et notre conseiller juridique, soit le rabbin David Zweibel, est en Espagne aujourd'hui pour assister à la Conférence de l'ONU sur l'antisémitisme et le racisme. Je peux vous assurer que c'est quelque chose qui nous tient à coeur. Donc, j'apprécie beaucoup vos propos.

    En même temps, je pense que ce dont parlait M. Marceau, et le concept de l'union civile auquel on a fait allusion tout à l'heure, conviendraient très bien pour garantir l'égalité. Si l'on veut que tous ceux qui veulent se marier se lient par union civile, eh bien, l'union légitime du point de vue juridique pourrait être l'union civile, alors que le mariage ne pourrait être célébré que par les institutions religieuses.

+-

    Mme Anita Neville: Ai-je bien compris que dès lors qu'on passe par une procédure civile, que les couples concernés soient hétérosexuels ou homosexuels, l'union doit être qualifiée d'union civile?

+-

    M. Michael Brown: À mon avis, oui.

+-

    Mme Anita Neville: Ainsi un couple hétérosexuel qui déciderait de ne pas se marier à l'église, à la synagogue ou au temple, contracterait une union civile, et non un mariage, étant donné que cette union n'aurait pas été sanctifiée par des autorités religieuses.

+-

    M. Michael Brown: Pour moi, l'institution du mariage est surtout de nature religieuse. Et si vous me permettez de rappeler la question de Mme Boivin de tout à l'heure, de même que cette décision précipitée, quand on y pense, on se rend compte que depuis 1998 les gens essaient de modifier la nature et la définition du mariage, et y réussissent très bien. Mais nous, nous avons une optique différente. En ce qui nous concerne, le monde existe depuis 5 765 ans, et pour cette raison, et étant donné que le monde a réussi à survivre depuis l'époque d'Adam et d'Ève—depuis le début des temps, quoi—et ce jusqu'en 1998 de l'époque moderne, il semble normal de consacrer plus de sept ans à l'examen de cette question.

    Si vous êtes évolutionniste, plutôt que créationniste, vous disposez de beaucoup plus de temps. Donc, en ce qui me concerne, nous parlons nécessairement d'un très long processus.

+-

    Mme Anita Neville: Eh bien, ce n'est pas la question que je vous ai posée, mais je vous remercie de vos commentaires.

    Madame Caldwell, voulez-vous intervenir?

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Ce qui pourrait constituer une préoccupation par rapport à la possibilité d'enlever à l'État la responsabilité du mariage… D'abord, permettez-moi de vous dire que tout le monde saurait que si on enlève la responsabilité du mariage à l'État, c'est parce que les gais et les lesbiennes vont y avoir accès, et comme il faut absolument empêcher que cela se produise, on va tout simplement éliminer toute cette institution. Je m'excuse d'être si directe, mais je pense que vous pouvez très bien comprendre pourquoi certains pourraient trouver cela répréhensible.

    Deuxièmement, si l'union civile vise tout le monde, c'est-à-dire les couples hétérosexuels et les couples de même sexe dans tout le Canada, il y aura tout de même des couples de même sexe qui opteront pour un mariage religieux parce que certaines religions acceptent de marier des couples de même sexe. Je crains que la tentative pour préserver le mariage comme l'union entre un homme et une femme ne réussisse pas, parce que différentes Églises acceptent de marier les couples de même sexe, et ce sont des mariages religieux. Donc, à mon avis, certains pourraient contester cette vision.

    Je tiens également à dire que l'union civile relève de la responsabilité des provinces. Je m'arrête là.

»  +-(1705)  

+-

    Mme Anita Neville: Allez-y, monsieur Lauwers. J'allais justement poser d'autres questions à ce sujet.

+-

    M. Peter Lauwers: Merci beaucoup.

    Je voulais m'inscrire en faux contre la position de Mme Caldwell en ce qui concerne la raison d'être de l'union civile. L'idée n'est pas de priver les couples de même sexe de la possibilité de se marier, parce que je sais très bien que la Metropolitan Community Church et d'autres confessions acceptent de marier les couples de même sexe. Mon argument était plutôt que l'État ne devrait pas être appelé à déterminer ce en quoi consiste le mariage; il faut permettre aux particuliers et aux organismes de déterminer ce en quoi consiste le mariage.

    Donc, si vous voulez enregistrer votre union civile au bureau local du registre des mariages, vous pourrez dire que vous êtes marié. Si vous allez dans une église catholique—c'est ça ma confession—pour vous marier, et que vous dites que vous êtes marié, vous serez effectivement marié. Si vous vous adressez à la Metropolitan Community Church pour faire cela, ce sera pareil. Autrement dit, nous parlons d'une description qui relève de chaque groupe particulier; chacun peut définir le mariage comme il l'entend.

    Ce que nous disons, nous, c'est que ce n'est pas l'État de prendre cette décision et d'imposer une définition particulière du mariage aux autres.

+-

    Mme Anita Neville: Oui, mais ce que vous nous dites en même temps, c'est que ceux qui décident de ne pas faire sanctionner leur union ou leur mariage par des autorités religieuses ne seraient pas mariés. Ils n'auraient qu'une union civile.

+-

    M. Peter Lauwers: Si, ils le seraient. Ils pourraient appeler cela un mariage s'il le voulait. Tout dépend de sa terminologie. Ça serait à eux de décider.

+-

    Le président: Merci.

+-

    Mme Anita Neville: Merci.

+-

    Le président: Nous revenons au NPD.

    Monsieur Siksay, vous avez la parole.

+-

    M. Bill Siksay: Je laisse passer mon tour, monsieur le président. J'ai fini.

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons passer au Parti libéral.

    Monsieur Boudria.

[Français]

+-

    L'hon. Don Boudria: Je voudrais prendre une minute pour remettre les pendules à l'heure, même si d'autres ne partageront peut-être pas mon opinion. Je trouve que l'invocation des textes bibliques est très dangereuse.

    Premièrement, ce que j'appelle la Bible et ce que mon collègue à ma droite appelle la Bible ne sont pas la même chose. La version King James qu'il utilise m'est interdite. Dans sa version, il y a le mot « divorce », qui n'existe même pas dans la Bible que j'utilise, celle de l'Église catholique. Je le dis comme catholique pratiquant.

    Deuxièmement, il y a environ deux ans, un dimanche, dans mon église, on m'a demandé de lire un texte. Cela m'arrive souvent. J'ai fait la deuxième lecture. Ce dimanche-là, on m'a fait lire le texte qui dit que la femme doit être soumise à son mari. Je ne le savais pas d'avance. Mon épouse était assise devant moi et me regardait dans les yeux pendant que je lisais ce texte. Je suis retourné à mon siège. Après la messe, j'ai demandé à ceux qui m'avaient dit de lire ce dimanche-là s'ils n'auraient pas pu choisir une autre lecture pour moi. Je leur ai dit que ce qu'ils m'avaient fait faire, à moi comme représentant de l'autorité civile, n'était pas correct, que ce n'était pas bien. Les gens l'ont reconnu. Ils m'ont dit qu'ils ne l'avaient pas fait exprès, qu'ils étaient des bénévoles comme moi. En tant que bénévole, je faisais les lectures. Eux assignaient les lectures. Tout le monde était bénévole.

    Je veux dire que chacun d'entre nous a des textes dans la Bible qu'il aime plus ou moins que les autres. Je trouve que ce n'est pas correct de vous juger, madame, parce que vous aimez certains textes moins que les autres. J'ai le même ressentiment. Mon épouse irlandaise aux cheveux roux, qui me regardait en plein dans les yeux pendant que je lisais le texte, trouvait cela encore moins drôle, ce dimanche-là. Cela nous arrive à tous, monsieur le président, de vouloir coincer les gens parce qu'ils aiment certains textes bibliques moins que les autres. Je ne joue pas à ce jeu.

»  +-(1710)  

[Traduction]

    Je voudrais maintenant aborder une autre question dans le peu de temps qu'il me reste après ma diatribe. Je veux vous parler de l'incidence de tout cela sur l'éducation, et ma question s'adresse aux témoins qui ont justement abordé cette question. Il y a quelque chose que je comprends mal. La Cour d'appel de l'Ontario a rendu son jugement à ce sujet le 10 juin 2003. Cela remonte donc à exactement deux ans. Depuis deux ans, donc, c'est ça qui est essentiellement la réalité—pas essentiellement, mais réellement—en Ontario. Autrement dit, l'adoption de ce projet de loi ne changera rien en Ontario.

    Dans ce cas, jusqu'à quel point le système d'éducation a-t-il évolué en Ontario au cours des deux dernières années? Pouvez-vous nous parler d'incidents qui prouveraient le bien-fondé des affirmations des témoins? Pourrait-on nous donner des exemples concrets?

+-

    M. Peter Lauwers: Le système d'éducation est un peu comme un grand navire. C'est-à-dire qu'il faut beaucoup de temps pour le faire virer de bord. Les réformes qu'introduisent ce projet de loi et les décisions judiciaires n'ont pas encore été complètement mises en oeuvre au niveau du système d'éducation des provinces, quelles qu'elles soient. Cela va venir. Pour ma part, je voulais simplement expliquer au comité ce que cela impliquera nécessairement.

+-

    L'hon. Don Boudria: Ceci dit, supposons que nous n'adoptions pas le projet de loi. Cela ne change aucunement le fait que la Cour d'appel de l'Ontario a déjà rendu son jugement. Supposons que j'accepte votre argument, et ce n'est pas sûr que je le fasse—en fait, il est bien évident que je ne l'accepte pas. N'est-il pas vrai que pour les sept administrations—et ce sera très bientôt huit, puisque le Nouveau-Brunswick sera appelé à juger la question, et tous les tribunaux ont rendu le même jugement jusqu'à présent—ce projet de loi ne change absolument rien à la réalité? À part si vous habitez en Alberta ou à l'Île-du-Prince-Édouard.

+-

    M. Peter Lauwers: Il ne fait aucun doute que les changements imposés par les tribunaux sont en train de s'implanter. Ce projet de loi ne fait qu'accélérer ces changements. Mais au Parlement, vous avez aussi la possibilité de changer d'orientation, si vous le souhaitez.

+-

    L'hon. Don Boudria: Oui, mais seulement en invoquant la clause de dérogation. Le fait de ne pas adopter ce projet de loi ne changera rien à la situation en Ontario, au Québec, et ailleurs. Est-ce que je me trompe?

+-

    M. Peter Lauwers: Non, vous avez raison.

+-

    L'hon. Don Boudria: Donc, pour éviter la situation que vous décrivez, il faudrait légiférer—c'est-à-dire pas seulement adopter ce projet de loi mais légiférer—et ce dans un sens contraire à celui du projet de loi.

+-

    M. Peter Lauwers: Dans un sens différent. Il y a plusieurs options. Il va sans dire que celle de l'union civile totale en est une. Les Conservateurs ont également proposé une possibilité, et la troisième consisterait à invoquer la clause de dérogation. Vous avez plusieurs possibilités, à part l'adoption de ce projet de loi, qui vous permettraient de suivre une trajectoire différente dans ce domaine.

+-

    L'hon. Don Boudria: Il reste que le fait de ne pas adopter le projet de loi ne changerait rien.

+-

    M. Peter Lauwers: À mon sens, en décidant de n'adopter que le projet de loi, vous allez permettre d'atteindre plus rapidement cet objectif qu'il ne serait possible de le faire autrement.

+-

    L'hon. Don Boudria: Partout, ou seulement dans les provinces où cela ne s'applique pas?

+-

    M. Peter Lauwers: Partout, à mon avis. Une loi promulguée par le Parlement a une valeur fortement symbolique qui va plus loin qu'une décision judiciaire, en ce qui me concerne.

+-

    L'hon. Don Boudria: Merci.

+-

    Le président: Nous allons redonner la parole à un représentant du Parti conservateur.

    Monsieur Moore.

+-

    M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Lauwers, depuis quelques jours, nous assistons à beaucoup de conjectures dans les médias concernant les amendements qui pourraient être proposés au projet de loi. Il est évident que je ne pourrais pas vous demander d'émettre une opinion à titre de juriste sans avoir pris connaissance de ces amendements, mais je voudrais vous inviter à nous faire des commentaires d'ordre général sur certaines des idées qui ont été émises jusqu'à présent.

    L'une des possibilités qui a été évoquée dans certains milieux concernait la possibilité de renforcer la protection de la liberté de religion prévue dans la Charte. J'avoue que je vois difficilement comment nous pourrions y arriver, étant donné que la Charte fait partie intégrante de notre Constitution, mais il semble que nous pourrions éventuellement profiter d'une loi du Parlement pour renforcer cette protection. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

    Deuxièmement, il serait question de prévoir, à l'égard d'installations appartenant à des organismes religieux, que ces derniers aient le droit de refuser de mettre leurs installations à la disposition de couples de même sexe qui veulent se marier. À ma connaissance, les causes pertinentes, comme celle en Colombie-Britannique, ont été jugées par des tribunaux provinciaux de défense des droits de la personne, sans s'appuyer sur des lois fédérales. Malheureusement, ce projet de loi a essentiellement pour résultat d'apporter des changements au régime fédéral alors que dans la pratique une bonne partie des mesures qui en découlent—et vous avez parlé du système d'éducation—relèvent le plus souvent de la responsabilité des provinces, si bien qu'il devient difficile de garantir de telles protections.

    Troisièmement, il est question que les écoles religieuses qui enseignent la religion, dans le sens traditionnel, seraient protégées.

    Et enfin, il y a les commissaires de mariage. C'est intéressant. Nous en avons reçu deux au comité cette semaine dont la modification de la définition du mariage a influé sur leur capacité de gagner leur vie.

    Je vous invite donc à me faire part de vos observations au sujet de ces quatre points.

    S'agissant des commissaires de mariage, j'estime, personnellement, que dans la vie publique, ce sont eux qui écopent. Ce sont les premières victimes. Ce sont les victimes les plus évidentes de cette modification de la définition du mariage. Bien entendu, les personnes qui ne peuvent de bonne foi remplir leur rôle de commissaire de mariage en célébrant des mariages entre couples de même sexe deviennent des laissés-pour-compte de la société.

    Vous avez parlé des enseignants. À votre avis, quelles autres personnes pourraient devenir des victimes dans les prochaines années en raison de leur foi et devenir, elles aussi, des laissés-pour compte de la société, ou alors se faire dire qu'elles ne sont pas aptes à participer à la vie publique au Canada en raison leurs opinions?

»  +-(1715)  

+-

    M. Peter Lauwers: J'ai noté quatre points. Premièrement, le projet de loi permettra-t-il de renforcer la protection accordée par la Charte? En un mot, non. Les domaines où les questions liées à la Charte sont susceptibles de causer des problèmes sont tous du ressort des provinces. En ce qui concerne la célébration des mariages et l'utilisation des installations, ce projet de loi n'aura absolument aucun effet. Ce projet de loi ne peut que définir le mariage comme étant la responsabilité du Parlement du Canada.

    Deuxièmement, le projet de loi peut-il régler le problème des installations qui appartiennent à des organismes religieux en leur garantissant que ces installations ne soient pas utilisées de manière non conforme aux enseignements des autorités religieuses qui en sont propriétaires? La réponse, en un mot, est non. Il faudrait que cela passe par les lois provinciales. La Cour suprême du Canada s'est prononcée sur la question dans le cadre du renvoi sur le mariage entre couples de même sexe, en se fondant principalement sur l'argument que j'ai invoqué devant elle, à savoir que la question était trop restreinte et qu'il fallait y apporter une réponse plus large relativement à l'étendue de la protection. La Cour a donc indiqué qu'elle s'attendait à ce que les administrations provinciales étendent cette protection, en vertu de leurs codes de protection des droits de la personne, à la propriété, comme l'a déjà fait le gouvernement de l'Ontario. En Ontario, cette protection a été accordée à la fois au clergé et à la propriété des organisations religieuses. La réponse du gouvernement de l'Ontario a donc été appropriée.

    Votre troisième question portait, si je ne m'abuse, sur les écoles religieuses. Dans ce contexte, ce sont les programmes d'études qui sont en cause, et la question de savoir si les autorités religieuses ont le droit de transmettre les enseignements de cette religion selon lesquels, en l'occurrence, la pratique de l'homosexualité est immorale. A-t-on le droit d'enseigner ce genre de choses? La réponse, en un mot, est oui, puisque cela relève de la liberté de religion. Cette question n'a pas encore été jugée par les tribunaux. Quant elle le sera, nous verrons ce que les tribunaux diront à ce sujet, parce que l'égalité est une valeur primordiale qui, jusqu'ici, a essentiellement primé sur tout le reste.

    Dans l'affaire de Trinity Western, la Cour suprême du Canada a permis à Trinity Western d'adopter son propre code de moralité au sein de sa propre communauté, et cela s'est arrêté là. Il est donc raisonnable de penser qu'à l'avenir, la liberté de religion permettra aux écoles d'en tenir compte.

    Les commissaires de mariage présentent un problème d'un tout autre genre. La plupart des codes des droits de la personne en vigueur au Canada exigent que les employeurs tiennent compte des croyances religieuses de leurs employés, si bien que les personnes dont le sabbat tombe un samedi ne soient pas tenues de travailler ce jour-là, etc. Je ne sais pas pourquoi l'on n'a pas cru bon jusqu'à présent d'étendre l'application de ce concept aux commissaires de mariage, mais on devrait le faire.

    La notion d'adaptation ou d'aménagement s'arrête au point où les mesures d'adaptation entraînent des préjudices injustifiés, si bien que l'employeur a le droit de s'assurer que les services nécessaires sont disponibles. Autrement dit, s'il faut que certaines personnes soient en mesure de célébrer les mariages entre couples de même sexe, il est évident que tout le monde ne pourra pas décider de ne pas le faire. Cela pose forcément problème, mais les commissaires de mariage qui estiment en leur âme et conscience qu'ils ne peuvent célébrer de tels mariages devraient être protégés en vertu des codes provinciaux des droits de la personne.

    Quant à votre dernière question, concernant les autres victimes potentielles à l'avenir, je dois m'excuser, mais pour le moment je ne trouve pas de réponse. Il faudra que j'y réfléchisse un peu plus.

+-

    M. Rob Moore: Me reste-t-il du temps, monsieur le président?

+-

    Le président: Absolument pas.

    C'est de nouveau le tour des Libéraux.

    Monsieur Macklin, vous avez la parole.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à nos témoins de leur présence.

    Je voudrais tout d'abord me tourner vers M. Côté pour revenir sur certaines des observations qu'il a faites cet après-midi.

    Monsieur Côté, si je ne m'abuse, quand il était question des décisions judiciaires et de l'adoption éventuelle du projet de loi, vous avez dit qu'il s'agit là d'une première étape vers l'égalité. Selon vous, que faudra-t-il faire par la suite pour garantir cette égalité? Ai-je mal compris vos propos?

»  +-(1720)  

+-

    M. Claude Côté: Ce que j'essayais de vous dire, évidemment, c'est que ce projet de loi constitue pour nous la dernière étape en ce qui concerne la garantie de notre égalité en termes juridiques. Là je vous parlais plutôt d'égalité sociale, ce qui est complètement différent, et là le Parlement du Canada n'a pas son mot à dire. Seuls les députés individuels peuvent décider de la façon dont ils traiteront les gais et les lesbiennes.

    Mais quand l'État nous aura reconnus à un statut légal, cela va certainement nous aider. Les tribunaux l'ont déjà fait, mais pas le Parlement. Ainsi les gais et les lesbiennes, et les enfants de gais et de lesbiennes, pourront plus facilement vivre dans la société, sans faire l'objet d'exclusion ou de discrimination, de telle sorte que nous pourrons vivre une vie normale et apporter notre contribution à la société comme n'importe quel autre être humain normal.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Merci beaucoup d'avoir clarifié votre réflexion à ce sujet. Je sais que certains laissent entendre que les objectifs qui sont poursuivis dans ce contexte sont beaucoup plus larges. Je voulais simplement connaître vos vues sur la question.

    Monsieur Lauwers, je voudrais revenir sur ce que vous avez dit à propos de ceux qui devraient ou non avoir le droit de célébrer des mariages. Si je ne me trompe pas, vous dites que les institutions religieuses devraient avoir la responsabilité du mariage. Mais, de par la Constitution, nous sommes tenus de définir le terme « mariage ». C'est à nous qu'il incombe de contrôler cette définition.

    Deuxièmement, je voudrais savoir si j'ai bien compris votre propos, à savoir que ce serait aux Églises de se charger du mariage et que l'union civile deviendrait une sorte de mécanisme général qui serait du ressort des provinces. À votre avis, comment le mariage pourrait-il être reconnu à l'échelle internationale s'il n'existe au Canada aucune norme nationale relative au mariage?

+-

    M. Peter Lauwers: À mon avis, la question de l'union civile n'a pas été examinée en profondeur dans l'affaire soumise à la Cour suprême du Canada. Le gouvernement du Canada n'a pas jugé bon de soumettre cette question à l'examen de la Cour. L'une des parties en a brièvement parlé devant la Cour, mais les raisons citées par la Cour étaient brèves et assez superficielles étant donné que les arguments avancés à ce sujet n'étaient pas très convaincants.

    À mon avis, on peut raisonnablement soutenir que le gouvernement du Canada a la responsabilité du mariage, de même que d'un mécanisme comme l'union civile, et ce à l'échelle nationale, comme mécanisme lui permettant d'exercer son pouvoir relatif au mariage.

    Le Parlement du Canada a depuis longtemps la responsabilité du divorce, mais ce n'est qu'assez récemment, par rapport à l'histoire du Canada, que ce dernier a jugé bon d'adopter des mesures législatives touchant le divorce. Autrement dit, il n'est pas nécessaire d'avoir l'entière responsabilité d'une question pour pouvoir promulguer des lois qui sont tout à fait valables.

    Donc, j'estime que nous n'avons pas examiné suffisamment la question de l'union civile pour savoir si le Parlement du Canada pourrait raisonnablement exercer ses pouvoirs relatifs au mariage pour créer un tel mécanisme. À mon avis, ce mécanisme serait suffisant pour les fins d'une reconnaissance internationale, comme pour le mariage. Il répondrait aux deux questions.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Si je vous disais que selon moi, les tribunaux du Québec ont reconnu que le mariage civil ou l'union civile est du ressort des provinces—et uniquement des provinces—que pourrions-nous faire? Pour moi, c'est ça la réalité. Que ferions-nous à ce moment-là, si nous n'avions plus une définition nationale du mariage?

+-

    M. Peter Lauwers: À mon avis, le Parlement du Canada a le pouvoir de créer un système national d'unions civiles pour remplacer le régime actuel relatif au mariage, et ce serait tout à fait constitutionnel, quelle que soit la position de telle ou telle autre province sur la question.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Pour moi, il est clair que vous et les tribunaux ne sont pas d'accord sur ce point.

+-

    M. Peter Lauwers: Ce ne serait pas la première fois. La Cour suprême du Canada ne s'est pas encore prononcée sur la question.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Me reste-t-il du temps?

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Très bien. Merci.

+-

    Le président: Non.

[Français]

+-

    Le président: Nous retournons au Bloc québécois.

    Monsieur Marceau.

+-

    M. Richard Marceau: Merci, monsieur le président.

    J'aimerais d'abord émettre un commentaire et l'adresser à M. Lauwers. Il est rare que je sois d'accord avec les libéraux, mais il reste que j'adhère à la position de M. Macklin. Les cours ont été formelles: étant donné que le droit familial est de compétence provinciale, toute forme d'union sur laquelle voudrait légiférer le Parlement fédéral, à l'exception du mariage et du divorce, serait par le fait même inconstitutionnelle.

    Par ailleurs, ce qu'a raconté M. Boudria au sujet de sa lecture à l'église m'a fait sourire. C'était bien amusant. Cela me rappelle une question au sujet de laquelle je voudrais avoir l'avis de M. Côté ou de Mme Caldwell.

    Même s'ils le font de bonne foi, les opposants au mariage entre conjoints de même sexe donnent souvent une image assez statique de l'institution du mariage. On a alors l'impression que la définition traditionnelle du mariage implique que ce dernier n'a pas changé depuis des centaines, voire des milliers d'années.

    On sait que pendant longtemps, la polygamie était permise et qu'elle l'est encore aujourd'hui dans certaines sociétés. Jusqu'en l'an 1000 environ, sauf erreur, elle était même permise dans le cadre du judaïsme. En outre, je crois savoir que de nos jours, en Israël, certaines personnes mariées qui viennent de l'Afrique du Nord, entre autres des Séfarades, sont polygames.

    Vous venez du Québec et vous savez peut-être que ce n'est qu'il y a 50 ans que les femmes ont cessé de perdre leur statut de personne majeure en se mariant. Elles étaient à l'époque sous la responsabilité de leur mari. Cet état de chose s'inspirait probablement de l'interprétation que faisait saint Paul des relations hommes-femmes.

    Selon vous, la possibilité de donner aux conjoints de même sexe le droit de se marier équivaut-elle à un changement fondamental de l'institution du mariage ou est-elle plutôt un signe d'évolution, peut-être surprenant ou mauvais pour certains, au sein de cette institution qui n'a pas eu d'autre choix que de s'adapter à un monde en changement?

»  +-(1725)  

+-

    Mme Évangéline Caldwell: J'aimerais aborder deux points. Je vous dirais d'abord, monsieur Marceau, qu'il s'agit d'un phénomène évolutif. Je choisis d'utiliser le mot « évolutif » plutôt que « radical » ou « brisure » parce que dans le cas qui nous intéresse, le contrat de mariage entre les deux personnes et l'État est essentiellement le même. Ce qui change, ce sont les deux personnes qui se marient. De fait, le contrat entre les conjoints et l'État, soit ce qu'on appelle le mariage civil, ne change pas.

    D'après moi, le processus est à ce point évolutif parce qu'il correspond à des valeurs essentielles de la Charte canadienne des droits et libertés, en l'occurrence  l'inclusion et l'égalité. On parle beaucoup de valeurs morales, et c'est bien, mais il faudrait aussi parler de valeurs sociales ou d'autres valeurs qui sont bien enracinées dans notre Charte.

    Pour ces deux raisons, je vous dirais que c'est vraiment dans une optique de continuité que nous travaillons.

+-

    M. Richard Marceau: Monsieur Côté.

+-

    M. Claude Côté: Je voudrais ajouter que le mariage tel que nous le connaissons aujourd'hui remonte au Concile de Trente, soit vers 1545, si mes souvenirs sont exacts. Même à cette époque, la notion de couple, d'égalité entre les sexes ou d'amour filial n'existait pas. On ne se mariait pas par amour. Il est clair, donc, que cette institution a considérablement changé au cours des siècles.

    L'amour que deux personnes de même sexe peuvent avoir l'une pour l'autre est absolument identique à celui que ressentent mutuellement deux personnes de sexe différent. Elles peuvent donc entretenir des relations conjugales qui soient exactement les mêmes. C'est ce que nous tentons de faire reconnaître par le biais de notre démarche.

+-

    M. Richard Marceau: Certaines personnes ont avancé que le fait de permettre aux conjoints de même sexe de se marier représentait la fin de la civilisation, qu'il détruisait l'institution du mariage ou lui enlevait toute sa valeur.

    Parce que vous êtes du Québec, je vais vous demander si vous avez entendu parler, ne serait-ce que d'un seul cas, de couples hétérosexuels ayant décidé de divorcer parce que les conjoints de même sexe avaient maintenant accès à l'institution du mariage. Le fait que les conjoints de même sexe ont le droit de se marier a-t-il suscité un rejet de cette institution chez les hétérosexuels?

»  +-(1730)  

+-

    Mme Évangéline Caldwell: Ayant vérifié auprès de l'Institut de la statistique du Québec la semaine passée en prévision de ma comparution devant votre comité, je peux vous dire qu'aucun couple hétérosexuel n'a renoncé à se marier parce que les gais et les lesbiennes pouvaient maintenant se marier. Il y a eu autant de mariages hétérosexuels que dans les années passées. En termes statistiques, il n'y a eu aucune différence. Je ne crois pas vous apprendre quoi que ce soit. Si un couple hétérosexuel s'était présenté sur la place publique pour dire qu'il ne se mariait pas parce que les couples gais pouvaient maintenant se marier, cela aurait fait la une. On en aurait entendu parler.

    C'est une réussite. Nous avons réussi quelque chose de très beau et je pense que nous devrions en être fiers.

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    M. Richard Marceau: Merci beaucoup.

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    Le président: Merci, monsieur Marceau.

    Il est 17 h 30.

    Je remercie sincèrement les témoins de s'être déplacés pour venir nous rencontrer aujourd'hui.

[Traduction]

    Merci infiniment à tous nos témoins pour leur présence aujourd'hui. Nous nous excusons pour la chaleur, mais l'atmosphère était malgré tout très agréable.

    Je signale aux membres du comité que nous avons maintenant des votes. La prochaine réunion se tiendra 30 minutes après le dernier vote. Merci.

    La séance est levée.

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