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NRGO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON NATURAL RESOURCES AND GOVERNMENT OPERATIONS

COMITÉ PERMANENT DES RESSOURCES NATURELLES ET DES OPÉRATIONS GOUVERNEMENTALES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 28 mars 2000

• 1108

[Traduction]

Le président (M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.)): Mesdames et messieurs, merci beaucoup de votre patience. Je pense qu'il y a quorum, et je déclare donc la séance ouverte.

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, notre ordre du jour prévoit l'étude des pratiques d'aménagement forestier au Canada dans une perspective de commerce international.

Nos témoins d'aujourd'hui représentent l'Association nationale de foresterie autochtone. Il s'agit de M. Harry Bombay, directeur exécutif, qui est accompagné de Mme Rebecca McKay, de la même association.

Je crois savoir que c'est vous, monsieur Bombay, qui allez présenter l'exposé.

M. Harry M. Bombay (directeur exécutif, Association nationale de foresterie autochtone): C'est exact.

Le président: Bien. Cela a peu d'importance, mais vous pouvez parler l'un après l'autre, si cela vous convient.

Voici comment le comité fonctionne, au cas où vous n'auriez jamais comparu auparavant: nous donnons à nos témoins une dizaine de minutes pour faire un résumé de leur mémoire et ensuite, nous entamons un dialogue entre les membres du comité et les témoins. Les députés vous poseront donc des questions, ce qui vous conviendra peut-être mieux. De toute façon, à vous de décider.

M. Harry Bombay: Oui, j'aimerais dire quelques mots, et je me réjouis de participer à un dialogue sur toutes les questions que je pourrais soulever ou qui vous intéressent dans le cadre de vos délibérations.

• 1110

Le président: Nous allons essayer de procéder de façon ordonnée, monsieur Bombay. Nous vous écoutons. Vous avez la parole.

M. Harry Bombay: Merci.

Je voudrais tout d'abord remercier les membres du comité de nous avoir invités à comparaître.

La question des pratiques d'aménagement forestier dans une perspective de commerce international revêt une importance croissante pour les Autochtones du Canada.

J'aimerais, d'entrée de jeu, dire quelques mots au sujet de l'Association nationale de foresterie autochtone. Notre association est un organisme non gouvernemental, apolitique, sans but lucratif et bénévole, qui a pour mandat de promouvoir la participation accrue des Autochtones à l'aménagement forestier au Canada, et de s'assurer que les Autochtones profitent des avantages économiques découlant du secteur forestier.

L'association se compose d'environ 270 membres, parmi lesquels des Premières nations, des conseils tribaux, des entreprises forestières autochtones, des établissements d'enseignement et certaines organisations non gouvernementales, ainsi que des particuliers.

L'association compte un petit personnel basé à Ottawa. À l'heure actuelle, il se compose de quatre ou cinq personnes, mais parfois moins, selon notre capacité de mobiliser des fonds et de faire face à nos dépenses.

Comme je l'ai déjà dit, l'association a pour but premier de promouvoir la participation des Autochtones. Ce qui nous préoccupe dans l'industrie forestière, c'est que, à l'heure actuelle, elle ne tiens pas suffisamment compte des questions propres aux Autochtones ni des valeurs des collectivités autochtones d'un bout à l'autre du pays. Nous mettons donc l'accent sur la mise au point d'outils d'aménagement forestier destinés aux collectivités autochtones, et nous nous efforçons d'influer sur la politique dans ce domaine à tous les paliers de gouvernement, ainsi que dans les secteurs non gouvernementaux, pour faire en sorte que l'on tienne compte des intérêts autochtones dans nos forêts.

L'aménagement forestier revêt une extrême importance pour les collectivités autochtones car notre culture et notre mode de vie dépendent de l'existence de forêts saines.

En ce qui a trait à l'aménagement forestier durable, nous estimons que cette activité doit être intégrée à notre mode de vie et respecter nos rapports avec notre mère nourricière, la Terre. Si les pratiques d'aménagement forestier ne vont pas dans ce sens au Canada, alors elles ne peuvent pas être considérées comme durables.

À l'heure actuelle, les collectivités autochtones sont aux prises avec la question du développement et la mesure dans laquelle elles comptent sur des économies traditionnelles ou adoptent des modèles industriels en vue d'améliorer leurs conditions socio- économiques. La plupart des collectivités autochtones du Canada estiment qu'il est possible de réaliser un équilibre en menant des activités modernes de développement économique, mais tout en préservant certaines activités traditionnelles relatives à l'utilisation des terres.

L'aménagement forestier durable, tel que défini au Canada dans la stratégie nationale sur les forêts, par exemple, comporte un engagement à l'égard d'une approche intégrée, c'est-à-dire qui, en théorie, doit prendre en compte les intérêts des Autochtones.

Notre association a participé à de nombreuses initiatives politiques et nous avons insisté pour que l'aménagement forestier tienne compte de toutes ces valeurs, surtout celles qui importent pour les peuples autochtones et dans la mesure où les considérations commerciales nous empêchent de mener nos activités traditionnelles et de procéder au développement économique de l'espace forestier.

La nouvelle politique en matière de commerce international nous préoccupe. Nous sommes convaincus que cette politique commence à se répercuter sur la façon dont les Autochtones utilisent les forêts, dont ils sont tributaires.

Parmi les grandes tendances du secteur forestier qui ont une incidence sur les Autochtones, mentionnons la mondialisation. Au Canada, celle-ci s'est traduite par des fusions et acquisitions de grandes sociétés, de sorte qu'aujourd'hui, les sociétés forestières sont moins nombreuses mais beaucoup plus importantes. En outre, le progrès technique a eu pour effet de réduire le nombre d'employés dans cette industrie. Il y a moins de nouveaux emplois, même si les niveaux de coupe sont restés les mêmes, ou ont même augmenté. Le nombre d'emplois créés par mètre cube de bois coupé a diminué. Pour les Autochtones, cette tendance signifie moins de possibilités de créer leurs propres entreprises, étant donné que leurs capitaux de placement sont restreints et qu'il y aura moins d'emplois disponibles pour les Autochtones, en raison des progrès techniques.

• 1115

Les grandes entreprises qui dominent l'industrie forestière deviennent aussi plus exigeantes, car elles veulent garantir leur approvisionnement et protéger leurs investissements.

En outre, les gouvernements provinciaux confient de plus en plus de responsabilités en matière d'aménagement forestier à ces grandes entreprises, ce qui constitue une autre tendance. La délégation de responsabilités entre les gouvernements provinciaux et les entreprises forestières a pour effet de transférer ou de céder des fonctions essentielles liées à l'aménagement forestier pour lesquelles, par le passé, les autochtones traitaient avec les gouvernements. Et, comme les sociétés forestières assument de plus en plus de responsabilités en matière d'aménagement forestier, nous constatons que nous devons traiter avec elles, et non plus avec les gouvernements, de façon à faire respecter nos droits ancestraux et issus de traités, ainsi que les valeurs qui nous sont propres.

La demande d'approvisionnement en bois a accru la concurrence dans ce secteur pour ce qui est de l'accès aux ressources forestières. Il nous faut obtenir des garanties d'accès aux ressources forestières pour préserver nos activités traditionnelles en matière d'utilisation des terres, et pour créer des entreprises commerciales qui donneront de l'emploi aux membres de notre collectivité.

Il faut considérer l'industrie forestière comme l'un des principaux secteurs de développement économique autochtone. Quatre- vingts p. 100 de toutes les collectivités des Premières nations se trouvent dans des régions forestières du pays. Le développement économique axé sur la foresterie représente l'une des rares possibilités qu'ont les Autochtones de participer de façon avantageuse à l'économie canadienne.

Voilà donc les questions qui nous préoccupent.

Il y a toutefois une chose qui nous paraît positive, à savoir l'intérêt qu'on semble accorder à l'aménagement forestier durable, en vertu d'initiatives comme la Stratégie nationale sur les forêts et les critères et les indicateurs d'aménagement forestier durable, adoptés par le Conseil canadien des ministres des forêts. En vertu du principe d'aménagement forestier durable, les organismes autochtones doivent participer à la planification, au processus décisionnel et à l'aménagement forestier.

La Stratégie nationale sur les forêts renferme 18 engagements visant à remédier aux injustices actuelles inhérentes au secteur forestier. Il y a toutefois un problème lié à cette stratégie: même si les engagements pris dans le cadre de cette stratégie s'appliquent à l'échelle nationale, et sont le fait de l'initiative du gouvernement fédéral, la responsabilité de l'aménagement forestier relève de la compétence des provinces. Par conséquent, nous constatons un manque d'uniformité dans les stratégies adoptées dans tout le pays relativement à des questions qu'il faudrait régler à l'échelle nationale. Je veux parler ici des questions autochtones, des droits ancestraux, des titres de propriété autochtone, des droits issus de traités et de la nécessité de prendre en compte, de façon logique, les valeurs autochtones concernant les forêts.

La certification est un autre aspect de l'aménagement forestier durable. Nous savons que, au Canada, il y a deux grands systèmes qui commencent à s'intéresser à la certification grâce à des initiatives axées sur le marché. Il y a le Forest Stewardship Council, lequel exige que l'on reconnaisse et respecte les droits coutumiers des peuples autochtones de posséder, d'utiliser et de gérer leurs terres, territoires et ressources. Par ailleurs, le système de certification de l'Association canadienne de normalisation exige des preuves que l'on prend en compte les droits ancestraux issus de traités et que les Autochtones participent aux débouchés économiques dans le domaine forestier.

Étant donné les rapports qui existent entre la certification et le commerce international, nous estimons que celle-ci ne devrait pas être considérée comme un obstacle commercial non tarifaire. Les systèmes de certification sont souhaitables dans la mesure où ils contribuent à l'aménagement forestier durable, de façon à s'assurer que les pratiques forestières permettent un aménagement forestier dans l'intérêt des générations futures, les Autochtones comme les autres.

On assiste, à l'échelle internationale, à un mouvement en vue de libéraliser les échanges commerciaux, grâce à des organismes comme l'Organisation mondiale du commerce et bon nombre des organismes onusiens. Cette tendance nous préoccupe, surtout lorsqu'elle entraîne une concentration accrue dans l'industrie et une augmentation de l'investissement étranger dans l'industrie forestière canadienne.

• 1120

En outre, il s'ensuit que nos pratiques d'aménagement forestier deviennent l'objet de négociations avec nos partenaires commerciaux. À notre avis, au Canada, c'est à l'échelle interne qu'il faut régler les questions importante pour les Autochtones. Les droits ancestraux issus de traités doivent faire l'objet de discussions entre les Premières nations et les gouvernements fédéral et provinciaux. La question de savoir comment ces droits sont reconnus, et prévus dans la politique forestière de notre pays, n'a rien à voir avec notre politique de commerce international.

Les questions environnementales sont de plus en plus intégrées à la politique commerciale. Le Canada, lorsqu'il négocie, et participe à des discussions sur la politique commerciale, avec d'autres pays, devrait préserver un intérêt pour les droits des peuples autochtones. Ces derniers devraient être à l'ordre du jour des discussions, à l'initiative du Canada, mais toutefois ne pas faire l'objet des négociations. Tout comme pour les questions environnementales, nous craignons que les droits ancestraux et les questions touchant les droits autochtones ne soient dilués lors de ces négociations commerciales.

Un autre aspect du commerce international est lié au fait que les peuples autochtones, tout comme les autres Canadiens, souhaiteront développer leur économie en fonction des débouchés du secteur forestier. En conséquence, nous voudrons également accroître notre commerce extérieur. Il n'est que logique de supposer, lorsque nous créerons ces entreprises, que nous voudrons accroître nos débouchés commerciaux, comme les autres secteurs de l'industrie forestière qui dépendent du commerce extérieur.

Nous avons constaté que, jusqu'ici, les accords commerciaux n'ont pas fait état des questions autochtones ni de nos besoins en matière de commerce extérieur. L'Accord sur le bois d'oeuvre résineux, par exemple, ne fait nullement état des questions autochtones. En 1996, lors de l'entrée en vigueur de l'accord, les questions autochtones n'étaient pas à l'ordre du jour des discussions. Cet accord ne tient pas compte du fait que nous possédions des entreprises forestières qui avaient besoin d'un contingent de bois d'oeuvre résineux pour exporter vers les États- Unis.

Depuis 1996, le nombre de sociétés forestières autochtones désireuses d'exporter des produits de bois d'oeuvre vers les États- Unis a considérablement augmenté. À l'heure actuelle, il y a une quarantaine de sociétés autochtones de produits forestiers. Une vingtaine d'entre elles sont touchées par la question des contingents visant le bois de résineux.

Ces entreprises ne peuvent pas réaliser leur potentiel en matière de production et de commercialisation parce qu'elles n'ont pas accès à un contingent pour le bois d'oeuvre résineux. Bon nombre de ces sociétés tournent actuellement à 40 p. 100 ou 50 p. 100 de leur capacité parce qu'elles n'ont pas de contingent d'exportation. La production a été réduit et les collectivités autochtones en cause n'ont donc pas pu tirer parti des avantages de ces scieries.

Il y a actuellement des entreprises qui fabriquent des produits à valeur ajoutée. Nous cherchons des façons d'accroître le commerce extérieur grâce à nos entreprises qui s'occupent elles- mêmes de la commercialisation de leurs produits. Je soulève cette question parce que bon nombre de nos entreprises forestières participent actuellement à des activités conjointes avec les principales sociétés forestières du pays.

L'Accord sur le bois d'oeuvre résineux est donc une source de préoccupation importante pour nous. Si un autre accord qui fait suite à celui-ci est signé entre le Canada et les États-Unis, nous estimons que les Premières nations, étant donné leur besoin de développement, devraient être dispensés d'obtenir un contingent.

• 1125

Si les échanges commerciaux sont tout à fait libres et que les États-Unis décident de percevoir des droits compensateurs à l'égard des produits forestiers canadiens, il nous faudra demander une exemption de l'application de ces droits pour nous assurer que les collectivités autochtones sont traitées sur un pied d'égalité relativement à l'accès au marché américain du bois d'oeuvre résineux.

Nous avons eu des discussions avec M. Doug Waddell au sujet de l'Accord sur le bois d'oeuvre résineux. Il est le deuxième responsable à l'ambassade du Canada à Washington, et il s'occupe également des négociations entourant l'Accord sur le bois d'oeuvre résineux. Nous avons abordé ces questions avec lui. Nous lui avons signalé que, lors des prochaines négociations entourant cet accord, les Autochtones devaient participer aux discussions. Nous avons eu l'occasion de présenter nos arguments, et il nous faut collaborer avec le gouvernement fédéral pour faire en sorte que les dispositions de l'accord ne nous empêchent pas de participer à l'exportation de produits forestiers vers les États-Unis.

Il y a d'autres questions d'ordre commercial qui sont importantes pour nous—par exemple, la tentative du Canada de créer un climat propice à l'expansion du commerce extérieur grâce à diverses initiatives, comme une convention internationale sur les forêts. Le Service canadien des forêts et le ministère des Affaires étrangères et du commerce international ont tenu des discussions, à l'échelle internationale et par le biais des Nations Unies, pour préconiser l'élaboration de cette convention. Elle vise à uniformiser les règles du jeu pour les sociétés forestières canadiennes.

Nous souhaitons également que cette convention fasse en sorte que les Autochtones soient sur un pied d'égalité si la convention doit être adoptée et mise en vigueur. Il faut que l'on prenne en compte les intérêts des Autochtones, et notamment le fait que les Autochtones auront peut-être besoin de subventions gouvernementales pour développer leur économie axée sur la forêt. Nous n'avons tout simplement pas les capitaux requis à l'heure actuelle.

Ce genre d'initiatives devraient tenir compte du fait que les subventions au développement économique autochtone axé sur les forêts, ne devraient pas être considérées comme des pratiques commerciales déloyales. Le gouvernement canadien devrait admettre l'utilité de ces subventions, et nos partenaires commerciaux ne devraient pas les considérer comme des mesures déloyales mais plutôt comme un moyen de donner aux Autochtones une certaine latitude pour rattraper leur retard.

Les députés présents aujourd'hui sont sans doute au courant des positions adoptées par les Autochtones au Canada. Le Grand conseil des Cris du Québec a intenté des poursuites contre le gouvernement du Québec relativement aux pratiques d'aménagement forestier. Il estime que ces pratiques, au Québec, violent les dispositions de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et menacent le mode de vie des Cris.

Comme je l'ai dit plus tôt, nous estimons que l'aménagement forestier doit non seulement faciliter le développement commercial, mais aussi respecter le mode de vie traditionnel des peuples autochtones.

À mon avis, le gouvernement canadien devrait appuyer ces poursuites et les injonctions demandées par les Cris à l'égard des pratiques forestières au Québec, dans l'intérêt de l'aménagement forestier durable. Le Grand conseil des Cris, pour promouvoir ses intérêts, a décidé de constituer une alliance, dans des conditions très générales, avec la Lumber Coalition for Fair Lumber Imports des États-Unis, laquelle a cherché à...

Le président: Monsieur Bombay, le Grand conseil des Cris doit témoigner juste après vous.

M. Harry Bombay: Ah bon! Alors ils vous en parleront eux- mêmes.

Le président: Merci.

M. Harry Bombay: Cela donne une bonne idée de l'incidence que les questions liées au commerce international ont sur les pratiques forestières au Canada et, partant, sur les Autochtones.

Voilà certains des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Il faut admettre que, si nous participons à l'industrie forestière, nous créerons des entreprises forestières qui produisent du bois d'oeuvre et nous chercherons à exporter principalement aux États-Unis. Notre développement est fonction de l'utilisation continuelle de la forêt.

• 1130

Sur ce, je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président: Très bien, monsieur Bombay.

Je vais commencer par l'opposition. Monsieur Duncan, voulez- vous commencer?

M. John Duncan (Vancouver Island Nord, Alliance canadienne): Oui, bien sûr.

J'allais vous poser une question au sujet de l'Accord sur le bois d'oeuvre résineux, car je sais, d'après notre dernière conversation, que la question du contingent vous inquiète. Le Free Trade Lumber Council a-t-il contacté votre association pour obtenir son aval en vue d'un retour au libre-échange?

M. Harry Bombay: Oui. J'ai rencontré à deux reprises les responsables du Free Trade Lumber Council, et je sais qu'ils ont également rencontré des représentants de l'Assemblée des premières nations. Ils ont insisté pour que les Premières nations appuient leur position, en faveur du libre-échange. Jusqu'ici, nous ne lui avons pas donné notre appui. Nous estimons qu'il faut poursuivre les discussions sur ce point avec certaines sociétés que nous représentons. En fait, je dois participer à une de ces réunions, le 13 avril prochain, avec certaines entreprises de l'Ouest, en Colombie-Britannique, pour connaître leur position à l'égard du bois d'oeuvre résineux et du libre-échange par opposition au commerce administré dans ce secteur. Nous n'avons pas encore pris position à ce sujet, pas plus que l'APN.

Lors de toute cette discussion, nous essayons de déterminer ce qui convient le mieux aux sociétés forestières autochtones. Nous cherchons à établir lequel de ces deux scénarios leur conviendra le mieux. D'une façon générale, certaines entreprises de l'Ouest sont favorables au libre-échange, je pense. Cela s'explique par le fait qu'un grand nombre d'entre elles participent à des coentreprises avec certaines grandes sociétés forestières de l'Ouest. Leur position est donc prévisible.

M. John Duncan: Rien n'empêche les membres de l'association, indépendamment, d'avaliser la position du Free Trade Lumber Council, et certains des membres de votre association ont peut-être décidé de collaborer de façon générale avec la Coalition for Fair Lumber Imports. Est-ce que je me trompe?

M. Harry Bombay: Nous essayons de dégager un vaste consensus sur cette question, mais il est évident que nous n'avons pas à imposer le silence à nos membres en attendant de prendre officiellement position. Nous savons que le Grand conseil des Cris a adopté une position et que certaines entreprises forestières de l'Ouest en ont adopté une autre. Cela est fonction du niveau de développement et de participation à l'industrie forestière.

M. John Duncan: Ce que cherche à savoir notre comité, avant tout, c'est l'incidence qu'ont certaines campagnes internationales menées contre les produits forestiers canadiens sur le marché international. Il va sans dire que cela peut avoir d'énormes répercussions sur toutes les parties prenantes, dont votre association. Votre organisme a de l'expérience sur la scène internationale. Avez-vous des idées précises quant aux mesures à prendre pour lutter contre ces campagnes de dénigrement dont font l'objet les produits forestiers canadiens?

M. Harry Bombay: Comme je l'ai déjà dit, les Autochtones de tout le pays ne participent pas de la même façon à l'industrie forestière. Certaines de nos entreprises sont assez grandes. NorSask Forest Products, par exemple, qui appartient au Conseil tribal de Meadow Lake, est une entreprise assez importante qui exporte sans doute 85 p. 100 de ses produits aux États-Unis. Sa position à ce sujet est, sans doute, tout à fait différente de celle des parties qui demandent un boycott contre les produits forestiers canadiens, mais c'est une question liée au niveau de participation à cette industrie, comme je l'ai dit.

• 1135

Les Premières nations et groupes autochtones du pays qui, depuis des années, essayent de participer davantage au secteur forestier sur leurs territoires, et qui se heurtent à un refus dû à un manque de compréhension de la part des gouvernements provinciaux, ou à un manque de compréhension de leurs problèmes, estiment qu'ils n'ont pas d'autres moyens de recours que de soulever le problème à l'échelle internationale. Un certain nombre de groupes l'ont fait.

Cela reflète les disparités régionales dans la façon dont les questions sont prises en compte dans le secteur forestier. Dans certains endroits du pays, il nous est impossible de mettre le pied dans la porte lorsqu'il s'agit des possibilités commerciales ou des perspectives d'emploi, ou lorsque nous essayons de faire valoir les questions de l'aménagement forestier et de notre utilisation traditionnelle des terres. Bon nombre de ces campagnes expliquent les différences qui existent entre les régions du pays et la façon dont les gouvernements provinciaux ont accepté volontiers la participation des Autochtones à l'industrie forestière, ou l'ont rejeté.

Le président: Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Un des enjeux, auquel nous sommes confrontés, découle du rapport de compétence entre les provinces et le gouvernement fédéral. C'est une préoccupation constante. Vous avez dit que dans certaines provinces, les rapports étaient meilleurs que dans d'autres. Avez-vous été en mesure de dire quelles sont les provinces qui ont de bons résultats et celles qui traînent de l'arrière relativement à ce rapport?

M. Harry Bombay: Oui. Il y a un gouvernement provincial qui a apparemment établi de bonnes relations de partenariat avec les Premières nations, c'est celui de la Saskatchewan. J'ai dit que le Conseil tribal de Meadow Lake est propriétaire de l'entreprise NorSask Forest Products. C'est sans doute le plus gros producteur de bois d'oeuvre de la province à l'heure actuelle, et cette entreprise appartient à une Première nation.

Il y a d'autres Premières nations dans la province qui ont créé des partenariats avec le gouvernement provincial. Je parle ici de certaines Premières nations du territoire du Grand conseil de Prince Albert. La Nation crie de Peter Ballantyne, par exemple, est sur le point d'obtenir un accord sur la licence d'aménagement forestier à l'égard de terres situées au nord-est de la province et qui coïncide avec le territoire traditionnel de cette Première nation.

En vertu de l'accord conclu avec la province, la Première nation gèrera l'accord sur la licence d'aménagement forestier et créera des entreprises forestières. La Nation crie de Peter Ballantyne participe déjà à une coentreprise avec deux autres Premières nations et Weyerhaeuser avec une entreprise appelée Wapawekka Lumber, qui a ouvert ses portes au printemps dernier. Cet automne, cette Première nation, celle de Peter Ballantyne, doit ouvrir une deuxième scierie appelée Meetoos. C'est un partenariat en coentreprise avec Ainsworth.

Tout cela est possible grâce à une attitude réceptive de la part du gouvernement provincial qui désire travailler en partenariat avec les Premières nations, parce qu'il est logique et rentable du point de vue économique, de collaborer de cette façon avec les Premières nations. La province reconnaît également que les Premières nations doivent être parties prenantes dans cette industrie, au même titre que les autres intervenants.

Il y a donc quelques bons exemples de ce que l'on peut faire, de la façon d'envisager une stratégie intégrée à l'égard des forêts, les droits ancestraux issus de traités et l'établissement de partenariats ou de coentreprises avec les Autochtones dans le secteur forestier.

• 1140

Il y a d'autres bons exemples dans d'autres régions du pays également. Dans certaines régions de la Colombie-Britannique, les Premières nations participent activement aux mesures d'aménagement forestier. Il y a quelques bonnes coentreprises, comme la Société West Chilcotin Forest Products, à Anahim Lake, en Colombie- Britanique, une coentreprise tripartite à laquelle participe la collectivité autochtone, soit la Première nation Ulkatcho, la municipalité de Anahim Lake, qui est la collectivité non Autochtone et leur associé industriel, Carrier Lumber. Ces trois parties détiennent un tiers des intérêts dans l'entreprise West Chiscotin Forest Products. Elles ont réussi à intégrer les intérêts autochtones et non autochtones à l'égard des forêts et gèrent une entreprise forestière prospère. Toutefois, elle se heurtent à certains problèmes en raison du contingent visant les bois d'oeuvre résineux.

Cela prouve qu'il existe des moyens d'élaborer des partenariats de façon à prendre en compte les intérêts des Autochtones dans ce domaine.

M. Julian Reed: Pourriez-vous nous dire dans quel secteur les problèmes sont les plus criants? Voulez-vous en parler? Vous n'êtes pas obligé de le faire, mais je suis curieux.

M. Harry Bombay: Dernièrement, nous avons analysé les partenariats en vigueur dans l'industrie forestière, auxquels participent des Autochtones. Nous avons constaté que, dans certaines provinces, les Premières nations et les partenaires industriels adoptent une approche très commerciale et créent des coentreprises pour atteindre leurs objectifs communs.

Dans d'autres provinces par contre, il continue d'exister une attitude très paternaliste à l'égard des Autochtones. En Ontario, la plus grande province qui compte le plus d'Autochtones, il y a très peu d'exemples de partenariat avec des représentants des Premières nations. Apparemment, dans cette province, on ne comprend pas comment ces deux groupes peuvent travailler en collaboration. Le gouvernement provincial n'a pas fait grand-chose pour promouvoir une politique propice à la participation des Autochtones et qui tienne compte des principaux problèmes, comme les droits issus de traités en Ontario. Ce refus de s'attaquer aux problèmes clés a entravé sérieusement l'élaboration de ce genre de partenariat.

À mon avis, l'Ontario vient au troisième rang dans le pays pour ce qui est des produits forestiers, et grâce à de bonnes initiatives politiques dans la province, on pourrait renverser la vapeur. Dans cette province, certaines discussions se déroulent au nord du 50e parallèle et on s'efforce de discuter de l'aménagement forestier de façon plus sérieuse avec les Autochtones. Pourtant, rien ne nous permet de conclure, pour le moment, que la province soit prête à mettre en place les mesures qui s'imposent.

Le président: Merci.

Monsieur Schmidt.

M. Werner Schmidt (Kelowna, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

Merci beaucoup, monsieur Bombay et Rebecca, d'être venus. Vous avez fait un exposé très solide et plutôt utile.

Je voudrais entendre vos commentaires sur ceci. D'une part, vous demandez de participer aux négociations à l'OMC, aux ententes sur le bois d'oeuvre, aux accords commerciaux internationaux, etc. D'autre part, vous faites des suggestions au sujet du règlement des revendications territoriales des Autochtones et de la façon dont tout cela s'arrangerait au Canada. Avez-vous un plan établissant comment vous pourrez fonctionner sur ces deux fronts, presque simultanément tout en étant cohérent dans votre approche et utile au gouvernement?

Nous avons tous confrontés à un problème semblable. Votre situation n'est pas particulière. Nous sommes tous dans le même cas. Compte tenu de vos antécédents, de la réflexion que vous avez faite là-dessus et de la déclaration que vous avez faite ce matin, j'ai l'impression qu'il faudrait vous donner l'occasion de nous dire exactement quel processus vous préconisez pour y parvenir.

M. Harry Bombay: Je ne pense pas que les deux éléments que j'ai mentionnés sont le moindrement incompatibles. Ce que j'ai dit, c'est qu'il faut décider, ici même au Canada, comment les droits des Autochtones issus des traités doivent s'appliquer dans le secteur forestier. Mais quand nous négocions sur la scène internationale, je crois que nous devons nous réserver le droit de régler cette question à l'échelle nationale, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas faire l'objet de négociations à la table de négociation. Quand nous négocions et que nous nous engageons à prendre certaines mesures, dans le cadre d'accords commerciaux internationaux, nous devons prévoir des dispositions pour la mise en oeuvre nationale de questions qui sont des éléments clés pour les Autochtones.

• 1145

Je dis donc que les négociateurs doivent toujours garder à l'esprit que les questions autochtones doivent demeurer purement nationales et doivent être réglées dans le contexte du Canada.

Pour ce qui est d'un plan, je pense que nous devons assurément faire participer les Autochtones à la négociation de ces droits et de leur signification dans le contexte d'un aménagement forestier durable.

Quant à savoir comment réaliser cela sur la scène internationale, je pense que les Autochtones doivent faire partie des équipes de négociations internationales, de sorte que, lorsque des questions pertinentes sont soulevées, une personne compétente soit sur place pour travailler avec le gouvernement canadien et présenter le point de vue des Autochtones.

M. Werner Schmidt: J'ai une deuxième question. Peut-être suis- je mal informé. Si c'est le cas, veuillez me reprendre et donner des précisions. Les Autochtones n'ont-ils pas amorcé un mouvement en vue de boycotter l'achat de bois d'oeuvre du Canada jusqu'à ce que les négociations sur les traités soient terminées? Est-ce bien le cas?

M. Harry Bombay: Je pense qu'on l'a proposé. Que je sache, on ne réclame pas de façon généralisée un tel boycott parmi les Autochtones et les Premières nations. En réponse à la question de M. Duncan, j'ai signalé que des Autochtones avaient incité certains groupes de Premières nations à prendre cette position parce qu'ils n'étaient pas arrivés à s'entendre avec d'autres niveaux de gouvernement. C'est bien possible qu'à l'avenir, si l'on ne donne pas satisfaction à nos besoins en matière de développement et d'utilisation traditionnelle du territoire, un tel mouvement devienne plus généralisé d'un bout à l'autre du pays. À l'heure actuelle, il semble circonscrit à une ou deux régions du pays.

Le président: Monsieur St. Denis.

M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.): Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Bombay, d'être présent. Je voudrais d'abord poser une brève question avant d'aborder mon sujet principal. Avez- vous une idée du pourcentage des Autochtones dans l'effectif total de l'industrie forestière, que ce soit dans les scieries ou tout autre emploi du secteur forestier? Dans toute cette industrie qui vaut des milliards de dollars, avez-vous une idée du pourcentage que vous représentez?

M. Harry Bombay: C'est une question assez difficile. Je crois qu'à l'heure actuelle, près de 300 000 personnes travaillent dans le secteur forestier. Nous estimons qu'environ 12 000 Autochtones y sont employés.

M. Brent St. Denis: Ce serait donc à peu près 4 p. 100.

M. Harry Bombay: En termes d'effectif, oui.

Il y a de grandes différences dans les diverses régions du pays. Dans l'Atlantique, nous représentons probablement moins que cela et il y a probablement d'autres régions du pays où c'est encore moins. Ailleurs, par exemple en Saskatchewan, nos pourcentages sont nettement plus élevés.

Pour ce qui est de la participation à l'avoir propre, notre pourcentage est beaucoup plus bas. Comme je l'ai dit, nous possédons environ 40 scieries, en totalité ou en copropriété. Mais ce sont de petites scieries dont la plupart emploient probablement entre 10 et 50 personnes. Il y en a une ou deux qui emploient 300 ou 400 personnes.

M. Brent St. Denis: Donc, habituellement—je vous demande de répondre par oui ou par non—la participation autochtone se fait dans le cadre d'un partenariat avec une autre compagnie plus importante et non autochtone. C'est le scénario le plus commun.

M. Harry Bombay: Oui, c'est en effet la situation la plus courante actuellement.

• 1150

M. Brent St. Denis: Bien.

Je voudrais maintenant aborder la question de la certification. Nous avons demandé à divers témoins de nous dire quel pourrait être, à leur avis, l'aboutissement de tout cela. Vous avez mentionné la CSA, ISO et FSC. Je suppose que les Européens sont en train de mettre au point un système pour toute l'Europe, et il y en a d'autres.

Certains ont dit qu'il est préférable d'avoir de nombreux systèmes différents et que la communauté forestière mondiale devrait élaborer une sorte de protocole qui établirait un lien entre eux. Au lieu d'avoir un seul et unique système pour le monde entier, que ce soit FSC ou ISO ou un autre, il serait préférable d'avoir de nombreux systèmes et une sorte de protocole qui ferait le lien. L'autre solution est d'avoir un seul système.

Vous avez raison de dire que la certification, le commerce international et l'adaptation aux consommateurs, tout cela est fonction du degré de mise au point du système de certification, mais, d'après vous, sur quoi tout cela va-t-il déboucher?

M. Harry Bombay: Oui, je crois en effet qu'il est probable qu'il y aura de nombreux systèmes. Je pense toutefois qu'il faut un chef de file, quelqu'un qui donne le ton et qui soit tout à fait indépendant à la fois de l'industrie et des gouvernements. Comme c'est une initiative lancée par le marché lui-même, elle devrait tenir compte des valeurs des consommateurs et intégrer un vaste éventail de dossiers environnementaux et autochtones.

Je pense que la tendance à la certification va se poursuivre. De plus en plus de gens vont l'exiger. J'espère aussi que les questions autochtones vont demeurer un élément important de la certification. Les gens qui ont demandé le boycott des produits forestiers, verront-ils peut-être qu'il vaut la peine de travailler dans le cadre des systèmes de certification, pour obtenir satisfaction.

M. Brent St. Denis: Vous voulez dire au lieu de travailler avec les médias.

M. Harry Bombay: Oui. Je pense qu'il faut parfois le faire. Tout le monde le fait, et je ne vois pas pourquoi les Autochtones devraient s'en priver. Mais je pense que la question du boycott est liée à la certification parce qu'il s'agit de faire savoir au grand public que les questions qui intéressent les Autochtones sont un élément de l'aménagement forestier durable.

Le président: Bien, merci beaucoup. Je dois mettre fin aux questions parce que c'est tout le temps que nous avions à consacrer à ce groupe de témoins et nous devons passer au groupe suivant.

Monsieur Bombay, je vous remercie infiniment d'avoir répondu aussi directement à toutes les questions. Je peux vous assurer que votre exposé sera pris en compte dans le cadre de nos délibérations, avant de tirer nos conclusions. Je vous remercie beaucoup d'être venu et je vous remercie également, madame McKay.

M. Harry Bombay: Merci beaucoup.

Le président: Chers collègues, nous allons faire une pause d'au plus deux minutes, pour permettre au groupe suivant de prendre place.

• 1154




• 1157

Le président: Nous sommes de retour.

Chers collègues, nous avons devant nous le Grand conseil des Cris. Comme ils ont déjà entendu la façon dont nous procédons, permettez-moi de vous les présenter; Romeo Saganash, directeur, Relations Québec; M. Jeff Quaile, analyste environnemental; et Robert Epstein, conseiller.

[Français]

M. Guy St-Julien (Abitibi—Baie-James—Nunavik, Lib.): J'aimerais faire appel au Règlement.

Le président: D'accord, j'entendrai votre appel au Règlement

[Traduction]

pendant que je lis les noms.

[Français]

M. Guy St-Julien: J'aimerais que lors de nos discussions présentes et futures, nous appelions Me Romeo Saganash comme tel. Il exerce la profession d'avocat et il est un excellent avocat au Canada. Tout comme nous mentionnons le fait que certains témoins sont des docteurs, il faudrait appeler notre témoin Me Romeo Saganash.

Le président: C'est un bon appel au Règlement. Les documents que j'ai en main n'indiquent toutefois que le nom de Romeo Saganash. J'ai dit M. Romeo Saganash, M. Jeff Quaile et M. Robert Epstein puisque rien n'indique qu'ils sont avocats ou docteurs et que je ne savais pas si c'était le cas ou non. Ces témoins ont tous leur valeur et nous les acceptons tels qu'ils sont.

Merci, monsieur Guy St-Julien.

[Traduction]

Merci à vous trois, messieurs. J'ai remarqué que vous étiez à l'arrière. Je m'apprêtais à dire, avant ce rappel au Règlement, que vous aviez sans doute entendu que nous aimerions vous donner l'occasion de parler pendant environ dix minutes. Il vous faudra peut-être un peu plus ou un peu moins de temps. À vous de décider. Notre comité préfère engager un dialogue, de sorte que plus vous parlez longtemps, moins il reste de temps pour les questions et les réponses. À vous de choisir. Nous limitons habituellement les questions et réponses à environ cinq minutes pour chaque intervenant, selon le nombre de questions qu'il y a. Voilà donc certaines des contraintes de temps. Vous avez maintenant la parole.

Je crois comprendre, monsieur Romeo Saganash, que c'est vous qui prendrez la parole. Est-ce que les autres se joindront à vous?

M. Romeo Saganash (directeur, Relations Québec, Grand conseil des Cris): Peut-être pour les questions et réponses.

Le président: Pas pour l'exposé comme tel? Très bien. Vous avez la parole.

M. Romeo Saganash: Merci, monsieur le président.

Wachyia et bon après-midi.

[Le témoin parle dans sa langue autochtone]

Au nom des membres du Grand conseil et de la nation crie, nous aimerions remercier l'ensemble des membres de la Commission de nous avoir invités à leur présenter nos opinions sur les pratiques d'aménagement forestier et le commerce international.

Nous avons reçu cette invitation deux jours après une réunion privée entre les représentants du Grand conseil, le représentant adjoint aux échanges commerciaux des États-Unis et le directeur des Affaires canadiennes afin de discuter de ce même sujet: les échanges et les pratiques forestières non durables qui en découlent.

Avec tout le respect que nous vous devons, monsieur le président, il nous semble que lorsqu'on commence à s'élever contre les injustices sociales et environnementales au Canada, dans les couloirs des gouvernements étrangers, les portes commencent à s'ouvrir chez nous.

• 1200

Ce sont des faits importants. Le même jour où nous avons reçu l'invitation pour aujourd'hui, nous avons aussi reçu un appel du président du Canadian Lumber Council. Au cas où vous ne seriez pas au courant, il s'agit de la même personne qui est à la tête de la société Tembec, une des 27 entreprises forestières contre qui le Grand conseil a intenté une poursuite. Il nous semble ironique de constater que, malgré le fait que nous ayons engagé des poursuites contre cette société en raison du rôle qu'elle a joué quant aux dommages de quelque 500 millions de dollars causés aux forêts, et malgré la décision de la Cour supérieure du Québec, qui a catégorisé comme «inopérantes et inconstitutionnelles» les activités québécoises de cette société, son plus haut dirigeant a choisi de communiquer directement avec le Grand conseil seulement après que nous ayons critiqué les pratiques de cette industrie, à Washington.

La réaction nationale à ce voyage aux États-Unis, le premier de plusieurs dans les mois à venir, confirme ce que nous croyons depuis toujours. Les pratiques non durables d'aménagement forestier au Canada sont plus qu'une question de commerce international. Ces pratiques concernent les droits de la personne et la sécurité de l'environnement mondial. Et, compte tenu des mesures récentes prises par le gouvernement fédéral de se joindre au gouvernement du Québec et à l'industrie forestière pour récuser un juge dans un cas qui menace le statu quo forestier, il est évident que les pratiques d'aménagement forestier sont maintenant liées à l'intégrité de notre système judiciaire.

Il est important de préciser que nos activités aux États-Unis et en Europe sont survenues après que nous ayons épuisé toutes les voies existantes à l'intérieur du pays. Par exemple, il y a six ans, nous avons fait un exposé devant le Comité parlementaire permanent des ressources naturelles au sujet des effets de la foresterie sur les chasseurs cris. Nous avons dit alors:

    Note présence aujourd'hui devant votre comité démontre que les mécanismes compris dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois

—notre traité avec le Canada et le Québec—

    n'ont pas réussi à traiter des questions de foresterie et, je crois que ce n'est sûrement pas dû à un manque d'efforts de notre part. Nous avons présenté nombre de mémoires, mais les autorités fédérales et québécoises n'en ont pas tenu compte. Et pendant ce temps, chaque année, presque tout un territoire de chasse familial a disparu et disparaît toujours.

Il y a six ans, lorsque nous avons présenté ce mémoire, environ 5 millions de mètres cubes de bois par an étaient coupés dans la région de la Baie James. Cela correspond, sur terre, à un cumul de plus de 400 kilomètres carrés de terres coupées à blanc par année. Aujourd'hui, la cueillette annuelle sur le territoire correspond à quelque 8 millions de mètres cubes et plus de 800 kilomètres carrés de terres sont coupées à blanc.

Notre présence ici, devant une autre commission parlementaire, est donc du déjà vu car nous livrons le même message depuis 15 ans. Les pratiques canadiennes d'aménagement forestier, surtout au Québec, ne sont pas durables au point de vue de l'environnement ou de la société. Il est évident que personne au gouvernement n'est intéressé à alléger nos préoccupations ni à entendre ce que les Cris ont à dire, mais nous nous consolons à l'idée qu'un nombre grandissant de personnes commencent à se rendre compte de l'importance de ce que nous disons depuis longtemps.

Prenons, par exemple, le rapport de l'an dernier du Sous- comité sénatorial sur la forêt boréale, intitulé Réalités concurrentes: La forêt boréale en danger, qui souligne clairement:

    «La forêt boréale du monde entier, une ressource dont le Canada est un fiduciaire important, est assiégé [...] Les récoltes de bois hautement mécanisées se font à un rythme rapide, tout comme l'exportation et l'extraction des minéraux et du pétrole. Au même moment, on demande à la forêt boréale de servir de foyer et de mode de vie pour les communautés autochtones, d'habitat à la faune et à la flore, d'attrait touristique et d'endroits où on protège la biodiversité et la ligne de partage des eaux.»

Écoutons aussi David Schindler, l'éminent expert scientifique en eau fraîche du Canada, responsable du Centre de recherche des lacs expérimentaux sur les forêts boréales dans le nord-ouest de l'Ontario pour plus de vingt ans. La semaine dernière, sur les ondes de la radio anglaise de la SRC, il nous avertissait que la coupe de bois de la forêt boréale du Canada atteignait deux fois le niveau qui correspond à un développement durable.

• 1205

Le même jour (21 mars), un chroniqueur du National Post écrivait:

    Selon les dernières données de Statistique Canada, l'industrie de l'exploitation forestière, responsable de tant de ravages, ne représente que 0,5 p. 100 du PIB. Afin de garantir ce 0,5 p. 100, nos gouvernements dépensent plus de 2 milliards de dollars par année en subventions forestières directes, à peu près ce qu'ils reçoivent en droits de coupe, et plusieurs fois ce montant en subventions indirectes. L'exploitation forestière représente donc un coût énorme, et non un bénéfice énorme, pour les provinces boisées et pour l'ensemble du Canada.

[Français]

Les Canadiens ne sont pas les seuls à parler de l'état précaire de nos forêts boréales. En effet, le mois dernier, le World Resources Institute, dont le siège social est à Washington, a publié son examen de l'état des forêts au Canada. Le rapport, intitulé Canada's Forests at a Crossroads: An Assessment in the Year 2000, énonçait sous l'en-tête de la viabilité:

    Même si, prises ensemble, ces mesures suggèrent qu'une gestion plus intensive a produit une amélioration du taux de régénération, il n'en demeure pas moins qu'on maintient les taux de cueillette actuels en coupant de grandes zones de forêts primaires et anciennes. L'expansion des activités aux nouvelles régions se bute à des contraintes car la plupart des régions qui font l'objet d'un bail font face à un certain genre de restriction quant à la foresterie commerciale. De plus, les baux s'appliquent déjà aux forêts du Grand Nord, qui exigent beaucoup de temps pour se régénérer... Selon les études de cas, il faudrait réduire de 10 à 25 pour cent le taux d'exploitation forestière dans les forêts boréales du Canada...

Pour ajouter à ce concert de protestations qui prend de l'ampleur, n'oublions pas le travail de Richard Desjardins, chansonnier québécois bien connu, dont le film L'erreur boréale a suscité un mouvement public dans la province en faveur d'une réforme des pratiques d'aménagement forestier non durables. Le mois dernier, lors d'une conférence de presse, M. Desjardins a parlé de son désir qu'on débatte la question de l'aménagement forestier au Québec lors de la prochaine campagne électorale. Cela est certainement du domaine du possible quand on voit les résultats d'un sondage récent fait par les chercheurs de l'Université Laval, qui indiquent que les travailleurs forestiers des villes forestières du Québec sont deux fois plus aptes à critiquer l'aménagement forestier actuel que ceux des centres urbains.

Plus près de la Baie James, on retrouve la déclaration suivante faite par Jean Roy, vice-président des activités forestières de Norbord, dans une publication de l'entreprise où il dit qu'il est possible que le code écrit ait un fondement juridique. J'en cite un extrait:

    Une lecture de la Convention de la Baie James et de la Loi sur les forêts et l'environnement indique qu'ils sont peut-être incompatibles. Il faut donc écouter et tenir compte de ce qu'ils soutiennent.

À l'heure actuelle, avec un si grand nombre de voix au même diapason—on pourrait certainement inclure depuis hier les opinions de Mgr Drainville, évêque d'Amos, publiées dans Le Devoir—, nous amorçons une nouvelle séance de négociations sur le commerce du bois d'oeuvre de construction entre le Canada et les États-Unis. L'industrie canadienne soutient que selon l'entente actuelle, elle encourt des pertes de l'ordre de 1 milliard de dollars par année. Ces négociations porteront donc sur des enjeux de taille.

[Traduction]

L'industrie américaine du bois prétend que les normes environnementales inférieures, les ententes monopolistiques sur les baux à long terme, les droits de coupe peu élevés pour le bois public ainsi que les mesures d'encouragement offertes à l'industrie—par exemple, dans son dernier budget, déposé il y a deux semaines, le Québec s'est engagé à verser 100 millions de dollars aux usines de pâtes—a rendu la compétition quasi impossible à cause du bois canadien à prix réduit qui inonde le marché américain.

Du côté canadien, le lobby industriel demande un retour au libre-échange, citant l'ALENA, les augmentations récentes des droits de coupe et un bon appui de l'industrie de la construction américaine comme étant des raisons pour des échanges commerciaux libres et ouverts du bois tendre de construction.

• 1210

De manière caractéristique des portes closes de l'OMC, les sièges à ce jeu de poker sont réservés aux personnes qui peuvent se payer la première mise. En d'autres mots, les négociations se limiteront à des enjeux économiques sans vision, et peu d'attention sera donnée aux personnes dont les préoccupations sont autres que les résultats financiers et les marges de profit. Des pratiques de foresterie destructrices menacent présentement l'avenir économique et culturel de la Nation crie, et pourtant, on ne veut pas qu'elle fasse partie des discussions sur des échanges commerciaux.

En 1998, l'industrie de la foresterie au Québec a exporté pour 10,1 milliards de dollars de produits forestiers, se classant bon deuxième derrière la Colombie-Britannique, comme vous le savez peut-être; 87 p. 100 de ces exportations étaient destinés aux États-Unis. Selon les documents fournis aux tribunaux par le gouvernement du Québec, près de 20 p. 100 de ce bois provient de terres couvertes par la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Ce traité, signé en 1975 par le Québec, le Canada et les Cris, fait suite à un litige entourant le développement des ressources—le projet hydroélectrique de la Baie James—et traite de l'exploitation future des ressources dans la région.

La Convention ouvre la porte à la main-d'oeuvre crie en cas de développement et rend toute exploitation future des ressources sujette à la protection de l'environnement et du mode de vie des Cris sur la terre. Voici ce que la Convention dit sous la rubrique du principe de la conservation:

    [La conservation] signifie la recherche de la productivité naturelle optimale de toutes les ressources vivantes et la protection des écosystèmes du territoire dans le but de protéger les espèces menacées et d'assurer principalement la perpétuation des activités traditionnelles des Autochtones et, en second lieu, la satisfaction des besoins des non Autochtones en matière de chasse et de pêche sportive.

Il s'agit du chapitre 24 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Cette définition de la conservation, formulée en 1975, est maintenant connue comme étant du «développement durable» et est au coeur du traité. La Constitution canadienne reconnaît notre droit à notre mode de vie dans un environnement qui peut le soutenir, ce qui passe avant les droits des entreprises d'exploiter les ressources. Par ailleurs, cela remet en question la compétence ou le droit du gouvernement du Canada d'exclure les Cris de toute négociation qui a des répercussions directes sur les droits des Cris issus des traités.

Selon le juge Croteau de la Cour supérieure du Québec:

    [...] lorsque le Parlement canadien a adopté la Constitution en 1982, ses amendements en 1983 et la Loi sur l'application de la CBJNQ (Convention de la Baie James et du Nord québécois), il décida de limiter sa souveraineté.

Ce jugement a été prononcé contre une requête du gouvernement du Canada pour l'exclure en tant que défendeur dans un dossier toujours devant les tribunaux, concernant les droits des Cris et les activités de foresterie dans le territoire de la Baie James. Les limites à la souveraineté du Canada, en ce qui a trait à ses obligations de fiduciaire envers les Cris concernant la foresterie, auxquelles fait référence le juge Croteau, doivent s'appliquer également à la participation du Canada aux négociations sur les échanges commerciaux qui auront un effet adverse sur la forêt boréale ce qui, de ce fait, contrevient aux droits constitutionnels des Cris découlant des traités.

Parce que le Canada a signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois et qu'il a adopté l'article 35 de la Constitution, le gouvernement est légalement obligé de maintenir les droits des Cris découlant de la Convention. Et pourtant, au contraire, le Canada ignore ces droits et travaille de concert avec le gouvernement du Québec et des entreprises pour promouvoir des intérêts économiques au détriment de la forêt boréale et du droit des Cris de chasser, de pêcher et de trapper dans ces forêts.

Nous croyons que nos droits issus des traités relatifs au territoire constituent un fardeau juridique en ce qui a trait aux ressources forestières et nous contestons donc le droit du Canada de négocier des ententes commerciales sur le bois tendre de construction qui comprend du bois provenant du territoire de la Baie James.

À ce jour, le dossier du Canada, quant à ses impératifs fiduciaires en notre nom, est déplorable, particulièrement son rôle dans le coup visant à retirer le juge Croteau de notre dossier de foresterie parce qu'il a eu le cran de reconnaître et d'appliquer la loi—la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

• 1215

Malgré l'entente canado-américaine sur le bois tendre de construction, les coupes sur nos terres ont augmentées de 45 p. 100. Et maintenant, les entreprises et leur lobbyistes choisis par le gouvernement au Service canadien des forêts, le Canada et le Québec s'attendent à ce qu'on avale ces sornettes sur le libre-échange. La seule liberté au sujet des échanges proposés est celle dont jouissent les gouvernements et les entreprises qui causent des dommages sans avoir à en assumer la responsabilité.

Il faut donc se demander si le Canadian Lumber Council ne dit pas à ses copains des lobbys américains de l'industrie de la construction: «Ne vous en faites pas avec les dommages sociaux et environnementaux car les Cris en assumeront les frais». Et bien, monsieur le président, j'ai bien peur de vous dire que cela ne continuera pas ainsi. La Nation crie a donc décidé de régler elle- même toutes les questions qui la concernent, y compris celles qui touchent au commerce international.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Saganash.

Passons immédiatement aux questions et réponses. Monsieur Schmidt.

M. Werner Schmidt: Merci beaucoup, monsieur Saganash, pour cet excellent exposé. Vous nous avez brossé un tableau plutôt morne de la situation, et je crois comprendre que vous êtes passionné par tout ce dossier. D'après ce que je vois ici, j'en comprends certes la raison.

On vient de nous dire que les Autochtones se sont lancés dans l'industrie forestière, qu'ils ont, en fait, des scieries et qu'ils s'adonnent à l'exploitation forestière. Est-ce que vous vous intéressez surtout aux pratiques d'aménagement forestier non autochtones ou avez-vous vos propres pratiques d'exploitation forestière?

M. Romeo Saganash: Notre exposé traite principalement des pratiques non autochtones qui se font sur notre territoire, mais nous avons une société forestière sur le territoire cri. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres sociétés forestières, les activités forestières de cette société en particulier, la Société Mishtuk de Waswanipi, sont approuvées chaque année par la Nation crie. Il y a donc là un élément de consentement. Ses pratiques sont réglementées plus sévèrement que ce que prévoient les règlements actuels, de sorte qu'il est clair qu'elle se préoccupe des droits des Cris sur le territoire, plus particulièrement des droits constitutionnels.

Un élément qu'il importe de souligner ici est le fait que lorsque les Cris de la baie James ont signé la Convention de la baie James et du Nord québécois en 1975, on leur avait promis qu'ils pourraient s'adonner à leur mode de vie traditionnel, entre autres. Ce qui arrive avec l'industrie forestière et les pratiques forestières qui sont appliquées dans le territoire, c'est que nous ne pouvons plus exercer ces droits constitutionnalisés du peuple cri. Malgré le fait qu'ils aient des droits constitutionnels, lorsque la forêt est coupée à blanc et qu'il n'y a plus d'arbres, comment peut-on s'attendre à ce que la famille crie puisse exercer ses droits de chasse, de pêche et de tenderie? Les Cris dépendent des arbres sur le territoire, et c'est le principal élément contre lequel nous luttons à ce moment-ci.

M. Werner Schmidt: Monsieur le président, je voudrais déclarer que certainement moi-même, et mes collègues du comité, je pense, sommes résolument en faveur des pratiques d'aménagement forestier durables. Nous sommes tous préoccupés par cette question. Lorsque vous brossez un tableau comme celui-ci, qui montre que l'aménagement n'est pas durable, qu'il n'est pas sain sur le plan social et environnemental, et que cette assertion est vérifiable, je pense que vous avez un argument irréfutable. Nous sommes jaloux de la préservation de nos forêts et nous devons en être très conscients.

D'un autre côté, étant donné que tout propos grandiloquents fusent de part et d'autre—je suis sûr que vous en êtes conscient—on arrive parfois à se demander où est la vérité dans tout cela. En effet on se trouve parfois en présence d'exagérations contradictoires.

Je suis vraiment impressionné par la façon dont vous nous décrivez la situation, mais ce qu'il faut réellement définir, c'est ce en quoi consiste des pratiques d'aménagement forestier durables. D'après ce que vous avez dit précédemment, je crois comprendre que vous estimez y être parvenu avec votre société forestière, mais que les autres sociétés ne les appliquent pas. À votre avis, comment peut-on arriver à une certaine convergence de vues, à une entente, si vous voulez, sur les pratiques forestières?

• 1220

M. Romeo Saganash: La Convention de la baie James et du Nord québécois nous promettait un équilibre entre la mise en valeur... La mise en valeur est soumise également au régime de protection sociale et environnementale qui est prévu de l'article 22 de la convention. Il s'agit du cadre juridique et constitutionnel que les parties ont mis en place dans le territoire de la baie James depuis 1975. Or, ce cadre n'est pas respecté.

Les sociétés forestières, de même que le Canada et le Québec, permettent une telle situation. Les sociétés forestières agissent comme si les Cris n'avaient aucun droit sur le territoire. Elles agissent même comme si leurs droits étaient supérieurs à nos droits constitutionnels, et c'est le principal problème. On ne tient pas compte de l'existence des droits des Cris et du peuple cri sur le territoire de la baie James, dans l'exploitation de ce territoire. Or, il faut concilier les deux.

Le deuxième point que je veux mentionner est que le Canada a clairement une l'obligation envers le peuple cri. L'une des dispositions de la loi adoptée par le Parlement pour mettre en oeuvre la Convention de la baie James et du Nord québécois constitue une reconnaissance, un aveu que le Canada a des relations spéciales avec le peuple cri. Non seulement le gouvernement du Canada a-t-il refusé de protéger les intérêts et les droits des Cris dans ce contexte, mais il a même agi à l'encontre des droits et des intérêts des Cris, par exemple dans notre lutte contre les actuelles pratiques forestières sur le territoire.

Le Canada et le Québec ainsi que les compagnies forestières se sont tous ligués contre les Cris pour maintenir le statu quo sur le territoire. C'est incroyable, mais la situation perdure.

Le 21 décembre, nous avons enfin obtenu qu'un juge décrète que l'actuel régime forestier, qui est en place dans le territoire, est non seulement inopérant, mais aussi inconstitutionnel puisqu'il ne respecte pas les droits des Cris et qu'il ne tient pas compte des intérêts des Cris sur ce territoire. Les compagnies forestières, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada ont tenté de récuser ce juge. Nous nous sommes efforcés de respecter les règles du jeu, mais quand les tribunaux se prononcent en notre faveur, ils décident de récuser le juge.

M. Werner Schmidt: Je voudrais revenir aux pratiques forestières. Je pense que le débat est en train de glisser vers les droits des Cris. C'est une question constitutionnelle qu'il faut trancher, mais nous étudions plutôt les pratiques forestières et c'est là-dessus que je voudrais faire porter mes questions.

M. Romeo Saganash: Je soutiens que les pratiques forestières sur le territoire de la baie James ne tiennent aucun compte des droits des Cris, bien que le régime juridique et constitutionnel en place stipule que tel devrait être le cas. C'est un grave problème dans le territoire.

[Français]

Le président: Monsieur St-Julien.

M. Guy St-Julien: C'est un honneur pour moi de voir Me Saganash défendre ici, à Ottawa, les Cris de la Baie James. Je sais que vous êtes des partenaires économiques au Canada et au Québec. Puisque votre territoire est assujetti à la Convention de la Baie James, avez-vous des demandes spécifiques à l'endroit du gouvernement fédéral? On sait que nous sommes, à Ottawa, les fiduciaires de la Convention de la Baie James, qui a été signée le 11 novembre 1975. Les ministres Rémy Trudel et Guy Chevrette, ainsi que le député d'Abitibi-Est, André Pelletier, des péquistes au Québec, disent au gouvernement fédéral de ne pas s'occuper du secteur forestier puisque ce domaine est de juridiction provinciale et ne le regarde pas. Adressez-vous au fédéral des demandes spécifiques relatives à la foresterie au Québec?

M. Romeo Saganash: Je dirai essentiellement deux choses et je permettrai ensuite à mes collègues qui m'accompagnent d'ajouter certains éléments s'ils le désirent.

• 1225

Dans un premier temps, je dirai que je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que la foresterie est uniquement de compétence provinciale, parce que la foresterie et les activités forestières, que ce soit au Québec ou ailleurs, ont des impacts sur des responsabilités de compétence fédérale, dont les eaux navigables, la protection des droits des autochtones et les oiseaux migrateurs. Plusieurs domaines de compétence fédérale sont touchés par ce type d'activité ou de développement.

Une des choses que le gouvernement fédéral doit faire à l'heure actuelle, c'est appliquer non seulement la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, mais également le processus fédéral qui est prévu dans le chapitre 22 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Deuxièmement, comme je l'indiquais tout à l'heure dans ma réponse en anglais, il est scandaleux que le gouvernement fédéral, malgré ses responsabilités et obligations fiduciaires envers les autochtones, y compris les Cris en particulier, et surtout l'existence de la Convention de la Baie James, puisse agir à l'encontre de ses obligations vis-à-vis des Cris dans ce dossier précis de la foresterie. Je vous ai fait remarquer les nombreuses causes que nous avons portées devant les tribunaux, dans lesquelles s'opposent le gouvernement du Canada et les autochtones et les Cris, alors que le gouvernement fédéral a l'obligation d'agir dans nos intérêts. C'est tout à fait scandaleux, et il faudrait que ça cesse immédiatement.

Par exemple, la semaine dernière ou il y a quelques semaines, le procureur général du Canada a plaidé que, dans des cas de poursuite devant les tribunaux, il ne devait faire aucune distinction entre les citoyens canadiens ordinaires et les autochtones. Il affirmait que tout le monde était pareil. La Constitution canadienne dit le contraire et la Cour suprême, depuis fort longtemps, rend des jugements qui vont à l'encontre de cette interprétation du procureur général du Canada. Il faut que tout cela cesse immédiatement. J'espère qu'en tant que membres du gouvernement et députés au Parlement, vous pourrez transmettre ce message-là.

Le président: Monsieur St-Julien, je vous invite à poser une autre question très brièvement.

M. Guy St-Julien: Maître Saganash, il est vrai qu'on a réglé de nombreux problèmes qui affectaient les Cris, mais il faut se réveiller face à plusieurs autres dossiers et ne pas se tenir à l'arrière. J'aimerais vous parler de votre excellente revue La forêt: un mode de vie pour les Cris. Vous y traitez de l'environnement et des camps forestiers. On constate que les compagnies forestières laissent sur les chemins des tas de résidus et ne font pas de reboisement dans certains secteurs. Dans certains camps forestiers, on trouve des résidus de barils, des automobiles et des autobus. De tels résidus traînent dans vos territoires de chasse et de pêche. Que fait le gouvernement du Québec pour protéger l'environnement? Est-ce qu'il effectue des vérifications et exige qu'on mette de l'ordre? S'assure-t-il qu'on est respectueux face au territoire cri?

M. Romeo Saganash: La réponse est très simple. C'est une question d'application de la loi. Même s'ils aspirent à la souveraineté, ils ne sont même pas souverains dans leurs forêts. Bien qu'ils aient de la difficulté à appliquer leurs lois, ils n'affectent aucune ressource pour s'assurer qu'on respecte ces lois et règlements qui visent la foresterie. De plus, ils sont allés à l'autre extrême en donnant littéralement la ressource forestière aux compagnies forestières. Il est donc question de faire respecter la loi dans le territoire.

Cela étant dit, il faut quand même se rappeler qu'on ne saurait régler ces problèmes en appliquant la loi de façon intégrale puisqu'il est nécessaire de la modifier. Le régime juridique et constitutionnel qui est en place depuis la Convention de la Baie James, soit depuis 1975, prévoit que le régime forestier doit être distinct du régime forestier dans le reste de la province, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. La Loi sur la qualité de l'environnement du Québec a deux chapitres distincts: un pour le reste de la province et l'autre pour le territoire où la convention s'applique. Il en est ainsi en raison de l'existence d'un régime juridique et constitutionnel distinct à la suite de la signature de la Convention de la Baie James.

• 1230

Nous soutenons que puisque le régime constitutionnel en place prévoit des règles et droits spécifiques pour les Cris, il faut que le régime forestier s'adapte à ces règles-là, et non pas le contraire. À l'heure actuelle, on applique d'abord la Loi sur les forêts et ensuite les dispositions de la Convention de la Baie James, alors que ce devrait être le contraire.

[Traduction]

M. Jeff Quaile (analyste de l'environnement, Grand conseil des Cris): Pourrais-je ajouter quelque chose à ce que Romeo vient de dire, et répondre à la question de M. Guy St-Julien au sujet des données douteuses qui figurent dans le document intitulé La forêt: un mode de vie pour les Cris.

D'après les statistiques du Québec, que je cite de mémoire parce que je ne les ai pas sous les yeux, la province a imposé environ 600 000 $ d'amendes en 1995. En 1998, le montant était tombé à 47 000 $. À première vue, on se dit que c'est très bien, que les compagnies forestières respectent beaucoup plus la loi. Mais en même temps, le personnel du ministère des Ressources naturelles a été réduit. Le budget et les effectifs affectés à l'application de la loi, ont été réduits de plus de 50 p. 100. Cependant, la quantité de bois récoltée a augmenté, en particulier dans le territoire cri.

Je ne vois donc pas la logique de tout cela. Je ne comprends pas que la baisse considérable des amendes coïncide avec l'augmentation des activités de coupe.

Ils n'en font simplement pas assez. C'est ça qui se passe. Les compagnies ont de plus en plus accès à la forêt et, les budgets des services gouvernementaux chargés de contrôler ces compagnies diminuent. Si vous voulez parler de pratiques d'aménagement forestier, voilà la vérité toute simple. C'est cela qui se passe au Québec, en particulier dans le Nord du Québec.

Merci.

Le président: Revenons à M. Duncan.

M. John Duncan: Je voudrais des précisions. Dans votre intervention, Roméo, vous avez fait allusion au président du Canadian Lumber Council (Conseil canadien du bois d'oeuvre). Est-ce l'organisme que je connais sous le nom de Conseil du libre-échange et du bois d'oeuvre? Est-ce la même chose? Vous répondez par l'affirmative.

Vous dites que Tembec est l'une des 27 compagnies que le Grand conseil poursuit devant les tribunaux. Je jette un coup d'oeil sur la carte. Tembec est-il connu sous un autre nom? Parce que je ne la vois pas ici. Elle n'est pas indiquée sur cette carte.

M. Jeff Quaile: Cela date de 1995. Peut-être ne l'avons-nous jamais indiquée sur notre carte—nous avons de la misère à obtenir des données du gouvernement du Québec—ou bien le nom a changé depuis lors. La compagnie n'est pas indiquée sur cette carte, mais ces activités se situent le long de la frontière orientale de l'Ontario. Elle est surtout active sur les terres communautaires de Waskaganish. C'est la localité la plus méridionale sur la côte de la Baie James, si vous regardez votre carte.

M. John Duncan: Bien, merci.

M. Jeff Quaile: Ces activités se situent sur ce territoire. Je répète que ce document n'est pas à jour. Voyez les chiffres sur la récolte: elle a augmenté de 45 p. 100 depuis que nous avons publié ce document en 1995. Il a été rédigé en 1995.

M. John Duncan: Merci beaucoup.

Le président: Merci.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.

Monsieur Quaile, je veux satisfaire ma curiosité. Ai-je bien vu votre nom associé à une organisation appelée l'Institut des ressources mondiales? Avez-vous contribué à ces études?

M. Jeff Quaile: Le Grand conseil est associé à Global Forest Watch Canada, qui travaille avec l'Institut des ressources mondiales. Global Forest Watch Canada a été constitué pour rédiger ce rapport dont nous faisons mention dans le document.

M. Julian Reed: Celui intitulé Canada's Forests at a Crossroads?

M. Jeff Quaile: Oui. Notre contribution à ce document portait sur ce qui concerne les Premières nations, et il en est fait brièvement mention quand on dit que les coupes augmentent au Québec. Et oui, vous avez effectivement vu mon nom mentionné à cet endroit; vous avez raison.

• 1235

M. Julian Reed: Bien.

M. Jeff Quaile: Nous travaillons dur.

M. Julian Reed: Je suis désolé; je n'ai pas encore lu intégralement le document.

Je cite maintenant un passage de l'exposé de M. Saganash:

    Selon les études de cas, il faudrait réduire de 10 à 25 p. 100 le taux d'exploitation forestière dans les forêts boréales du Canada.

Et si j'inversais la proposition? Cela semble indiquer que si l'on réduisait l'exploitation forestière dans cette proportion, elle serait alors soutenable. Mais qu'arrive-t-il si l'on tient compte des pratiques de régénération? Si l'on pouvait améliorer ces pratiques, et je crois que c'est possible, serait-il encore nécessaire de réduire la récolte?

M. Jeff Quaile: En partie, oui. Mais il y a autre chose qu'il ne faut pas perdre de vue quand il s'agit des Premières nations et des Cris en particulier, c'est que peu importe ce que l'on fait en matière de régénération, il n'en demeure pas moins que l'on coupe à blanc des forêts dont les Cris ont besoin pour leurs activités de chasse et de pêche.

Au rythme d'exploitation actuel, il y a tout simplement beaucoup trop de coupes à blanc. Même si les arbres repoussent en 10 ou 15 ans, conformément à ce qui est prévu dans le cycle d'exploitation actuel, les Cris qui veulent enseigner à leurs enfants leurs méthodes de survie ancestrales devront sauter une génération. Quand on fait de la coupe à blanc de cette envergure autour de nous, il importe peu que l'on revienne dès le lendemain pour planter des arbres; on perd quand même de 15 à 20 ans. En fait, les scientifiques n'en sont même pas certains, mais on perdra au moins 15 ou 20 ans pendant lesquels les Cris ne pourront utiliser ces terres pour épanouir leur culture et enseigner à leurs enfants comment survivre à même le territoire.

M. Julian Reed: A-t-on mis au point ou proposé des techniques de rechange qui permettraient une exploitation forestière durable tout en permettant le maintien du mode de vie ancestral? Ou bien dites-vous qu'il faut mettre fin à toute exploitation forestière sur le territoire cri?

M. Jeff Quaile: Je vais citer le rapport du Sénat. J'ignore si vous l'avez lu, mesdames et messieurs, mais dans le rapport, les sénateurs disent qu'il faut interdire la moindre coupe sur 20 à 25 p. 100 du territoire. Cela semble conforme à ce que d'autres groupes ont préconisé.

Mais je ne sais pas exactement s'il serait possible de poursuivre ces activités à un rythme ralenti, tout en faisant de l'argent dans la forêt boréale du Grand Nord. Vous remarquerez que, selon les chiffres que Romeo a cités au début, on dit bien que la quantité de bois coupé est passée de 5,3 millions de mètres cubes en 1995 à plus de huit millions, et que les coupes à blanc sont passées de 400 à 800 kilomètres carrés. Un simple coup d'oeil à ces chiffres et l'on se dit qu'il y a quelque chose qui cloche, parce que le territoire des coupes à blanc a doublé, tandis que la quantité totale récoltée n'a pas doublé. C'est parce que la densité des arbres est inférieure dans le Grand Nord, de sorte que plus on s'avance vers le Nord, plus il faut étendre les coupes à blanc pour obtenir la même quantité de bois.

Je ne crois pas que ce soit économiquement rentable, mais cela reste à voir.

M. Romeo Saganash: Je voudrais ajouter une précision.

L'un des éléments de la Convention de la Baie James et du Nord québécois est que toute activité de développement, y compris l'exploitation forestière, est censée faire l'objet d'évaluations environnementales et d'évaluations des répercussions sociales. Jusqu'à maintenant, les compagnies du Nord québécois ont refusé d'évaluer les répercussions environnementales et sociales de leurs activités, mais c'est pourtant ce que stipule la Convention de la Baie James et du Nord québécois et c'est l'une des questions qui sont actuellement en instance devant les tribunaux.

Évidemment, l'une des raisons pour lesquelles ce régime a été mis en place, c'est que l'on sait que les activités de développement dans ce territoire comportent beaucoup d'incertitude quant aux répercussions sur la chasse, la pêche et le piégeage, donc le mode de vie des Cris. Il y a encore des choses que nous ignorons aujourd'hui.

• 1240

Il y a un projet actuellement en cours dans le Nord québécois, celui de la forêt modèle crie de Waswanipi. On a entrepris des études pour examiner divers aspects, par exemple dans quelle mesure on peut faire de l'exploitation forestière dans un territoire de piégeage sans compromettre le piégeage, etc.

Dans notre document, nous montrons le réseau de zones de piégeage dans le Nord du Québec. Il y en a plus de 300. Ce système de gestion de la ressource est reconnu dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois comme système de contrôle et de gestion des ressources du territoire, y compris les ressources naturelles. Donc, dans quelle mesure peut-on couper une zone de piégeage sans compromettre le gagne-pain du chasseur et piégeur cri qui dépend de ce territoire? Voilà des questions que l'on examine et il reste beaucoup de questions sans réponse dans ce domaine.

Le président: Merci.

M. Julian Reed: Ai-je le temps de poser une autre question?

Le président: Non.

M. Julian Reed: Monsieur le président, vous faites habituellement preuve de beaucoup d'indulgence.

Le président: Monsieur St. Denis.

M. Brent St. Denis: Je vous remercie pour votre exposé. Vous avez soulevé un certain nombre d'excellents arguments.

Je voudrais aborder la question de la certification, car j'ai interrogé tous les témoins là-dessus. On a tendance à voir la certification dans le domaine forestier comme essentiellement une question de commerce international. Mais c'est aussi très pertinent pour les collectivités et les régions pour qui l'exploitation forestière est importante.

Dois-je comprendre de votre présentation—car je ne me rappelle pas que vous l'ayez mentionné—que la certification dans votre territoire est inexistante, qu'aucune zone d'exploitation forestière n'a fait l'objet de certification? Si c'est le cas, pourriez-vous m'en parler un peu et me dire comment la certification, dans le cadre d'un système ou d'un autre—c'est un élément moins important de ma question—permettrait ou non de réaliser des progrès sur les questions que vous avez mentionnées?

M. Jeff Quaile: Je ne peux pas me prononcer au sujet de la norme ISO 14001. Cela peut se faire sans aucune participation des Cris, et je ne suis donc pas au courant.

Pour ce qui est de la CSA, je ne suis pas au courant d'initiatives en ce sens. En tout cas, aucune collectivité crie ne s'est vu demander de participer au processus de la CSA ou du FSC. Je crois qu'il ne s'agit pas simplement de l'étiquetage des produits et de systèmes de gestion durable. C'est beaucoup plus vaste que cela, et il y a des questions fondamentales relatives au traité qui sont en cause et jusqu'à maintenant, je n'ai vu aucun régime de certification qui aborde les problèmes qui se posent actuellement aux Cris en termes de droits issus des traités. C'est un outil qui peut être utile à l'avenir, mais il y a des problèmes fondamentaux relatifs au traité qu'il faut d'abord régler avant de discuter d'un système de certification.

M. Romeo Saganash: L'essentiel est que les droits issus des traités qui sont reconnus par la Convention de la Baie James et du Nord québécois ont préséance sur tout le reste: les règlements, les lois et certainement la certification. Tout comme les Cris doivent être partie prenante dans les négociations sur la sécession, ils doivent l'être aussi dans tous les autres dossiers, comme le libre- échange, les négociations commerciales, la certification, etc. Les Cris doivent être présents à la table. C'est aussi simple que cela.

[Français]

Le président: Merci.

Monsieur St-Julien.

M. Guy St-Julien: Merci, monsieur le président.

Le président: Je m'excuse. J'avais oublié M. Cardin.

M. Serge Cardin (Sherbrooke, BQ): Monsieur Saganash, bonjour. Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Les questions sont venues, mais certains éléments de réponse ont été donnés au cours de la discussion.

• 1245

Je vais commencer par un commentaire. Je suis très sensible à l'environnement et à l'important équilibre qu'on doit garder au niveau de la faune, de la flore et même de l'eau, comme vous le dites dans votre document. On sait cependant que des éléments importants vous opposent au gouvernement du Québec dans ce contexte. De quelle façon pourriez-vous arriver à résoudre les différends qui vous opposent présentement au gouvernement du Québec pour faire en sorte qu'il y ait à la fois une certaine activité économique, le respect de votre communauté et, avant tout, un respect de l'environnement et un équilibre à ce niveau?

M. Romeo Saganash: Merci. Je suis conscient de l'importance de la question que vous soulevez. D'abord, il faut comprendre que les Cris n'ont jamais exprimé la volonté de faire cesser les activités forestières dans leur territoire. Il est important de rappeler que les Cris n'ont jamais dit qu'ils étaient contre le développement en soi. Ils veulent que ce développement, quel qu'en soit le type, respecte leurs droits et intérêts prévus dans la convention ou ailleurs. C'est un point essentiel de la réponse à votre question.

Dans le document que nous vous avons présenté aujourd'hui, nous disons que ça fait 15 ans que nous présentons des mémoires à des comités, ici et à Québec. Nous disons essentiellement la même chose depuis 15 ans. Nous avons besoin d'un régime distinct pour le territoire de la Convention de la Baie James parce que des droits spécifiques sont reconnus aux Cris et que ces droits, qui sont constitutionnalisés depuis 1982, comme vous le savez sans doute, doivent être respectés. C'est ce que nous vous disons depuis fort longtemps.

Il y a presque deux ans, nous avons tenté de régler ces questions en nous assoyant à la table des négociations avec le gouvernement du Québec, mais, en bout de ligne, sans résultats concrets. Nous avons donc été obligés d'aller devant les tribunaux. Il est clair que la porte des Cris est toujours demeurée ouverte à n'importe quelle proposition. Ce qui est inquiétant et troublant dans ce dossier, c'est que depuis près de six mois, le gouvernement du Québec ne nous rappelle plus; il ne répond plus au téléphone. Donc, essentiellement, la porte du gouvernement du Québec est fermée, verrouillée. C'est un problème inquiétant, selon moi.

Le gouvernement du Québec, et nos jeunes en particulier le voient de plus en plus, préfère parler avec ceux qui menacent de bloquer des routes ou qui bloquent des routes et signer des ententes avec ces gens plutôt que de parler, de négocier et de s'asseoir avec des gens qui utilisent les moyens démocratiques à leur disposition pour faire valoir leurs droits et leurs intérêts, c'est-à-dire les tribunaux.

C'est un choix politique que le gouvernement du Québec a fait vis-à-vis des Cris. Je pense que c'est de la petite vengeance politique, parce que les Cris ont trop parlé et parlé trop fort lors de la dernière campagne référendaire au Québec, en 1995, en tenant leur propre référendum. C'est ce qui est malheureux dans tout cela. Je vous dis qu'on a toujours plaidé pour avoir un régime distinct pour le territoire, régime qui respecte les dispositions de la Convention de la Baie James, qui est un traité, et qui respecte les droits et les intérêts des Cris dans le territoire.

Vous me permettrez d'ajouter un élément à cette réponse. Dans le cadre des actuelles procédures judiciaires devant les tribunaux, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada, par l'intermédiaire du procureur général du Québec et du procureur général du Canada, argumentent en ce moment que la Convention de la Baie James n'est pas un traité, que ce n'est qu'une entente administrative qu'on a signée avec les Cris.

• 1250

Si c'est cela, l'argument, on peut dire que l'obligation constitutionnelle que le Québec avait de régler la question autochtone dans le nord du Québec, à la suite des annexions qui ont été faites en 1898 et en 1912, n'a pas été respectée à ce jour. Si tel est l'argument du Québec et si tel est l'argument du Canada, eh bien, on fait face à d'énormes problèmes à l'heure actuelle dans le nord du Québec.

M. Serge Cardin: Vous parliez d'un régime distinct. Serait-il basé strictement sur l'accord qui a été signé ou s'il serait aussi basé sur la réalité de la forêt du Nord, qui exige aussi un régime distinct en termes d'exploitation? Vous demandez un régime distinct en fonction de la communauté crie, mais vous avez aussi dit que la porte était ouverte. Est-ce qu'on a déjà fait des offres pour ces deux régimes? J'imagine que, quand on négocie, on est prêt à sacrifier certains éléments pour en obtenir d'autres, mais dans l'ensemble, pour une résolution globale et rapide d'un problème... Bien sûr, on ne peut pas se mettre à négocier ici, mais vous avez dit que la porte était ouverte. Avez-vous espoir que cela puisse se régler rapidement si on fait abstraction de ce que vous avez dit tout à l'heure, à savoir qu'il s'agirait quasiment de représailles? Je pense que les gens pourraient être de bonne volonté des deux côtés et en venir à une solution assez rapidement.

M Romeo Saganash: Il y a longtemps que nous avons donné le signal, et je pense que nous n'avons pas besoin de répéter cela ad vitam aeternam. Nous avons dit et nous répétons aujourd'hui devant vous que nous avons donné le signal, mais que le gouvernement du Québec n'a donné aucun signal dans ce dossier.

Notre augmentation n'est pas sans précédent. Le régime de protection de l'environnement au Québec comporte essentiellement deux volets: l'un pour le sud du Québec et l'autre pour le nord du Québec, à cause de la Convention de la Baie James. Le régime de chasse et de pêche au Québec comporte deux volets: l'un pour le sud du Québec et l'autre pour le nord du Québec, à cause de la Convention de la Baie James. Le même raisonnement vaut pour la foresterie, je pense.

Le président: Merci. Il nous reste seulement deux minutes. Monsieur St-Julien, veuillez poser une question très brève; la réponse devra aussi être brève.

M. Guy St-Julien: Maître Saganash, quelles sont vos réactions à l'égard de l'annonce faite par le ministre québécois des Ressources naturelles de reconduire temporairement les plans de récolte en attendant que les inventaires forestiers soient terminés? Pourquoi temporairement?

M. Romeo Saganash: Ce sont les avocats des compagnies qui ont essentiellement écrit le projet de loi qui est devant l'Assemblée nationale à l'heure actuelle. Cela a pour effet de contrer les arguments des Cris devant les tribunaux à l'heure actuelle. Nous argumentons que la foresterie est assujettie aux études d'impact sur l'environnement et le milieu social, tel que prévu au chapitre 22 de la Convention de la Baie James. Le projet de loi a pour effet d'annuler complètement cette possibilité. Donc, c'est essentiellement pour contrer les arguments que les Cris ont soulevés devant les tribunaux. C'est la seule raison pour laquelle le projet de loi a été présenté.

Le président: D'accord. Merci beaucoup

[Traduction]

à tous les trois, quoique dans votre cas, monsieur Epstein, nous avons constaté votre présence et vous vous êtes très bien exprimé dans ce que l'on appelle le langage corporel. Je remercie en particulier M. Saganash et M. Quaile et mes collègues du parti ministériel et des partis d'opposition.

La séance est levée.