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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 14 juin 2000

• 1536

[Traduction]

Le président (Mr. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. C'est la 59e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-244, Loi permettant le prélèvement d'échantillons de sang au profit des personnes chargées de l'application et de l'exécution de la loi et des bons samaritains et modifiant le Code criminel.

Nous continuons notre audition des témoins et nous avons le privilège, aujourd'hui, de recevoir Gerald Chipeur, qui comparaît à titre personnel, le Réseau juridique canadien VIH-sida représenté par Richard Elliott, l'Association canadienne des policiers et policières, représentée par Dale Kinnear et Isobel Anderson, ainsi que le Dr Steven Shafran, de l'hôpital de l'Université de l'Alberta.

Je suppose que vous connaissez tous la façon dont nous procédons habituellement. Chaque groupe a dix minutes pour faire une déclaration liminaire, après quoi les membres du comité poseront des questions. Avez-vous décidé de procéder selon l'ordre figurant sur l'avis de convocation? Si c'est le cas, la première personne sur ma liste est M. Chipeur.

M. Gerald Chipeur (témoignage à titre personnel): Monsieur le président, si vous êtes d'accord, je voudrais laisser M. Kinnear commencer, après quoi nous pourrons continuer dans l'ordre où nous sommes assis.

Le président: Je suis parfaitement d'accord, si vous l'êtes aussi.

M. Dale Kinnear (directeur, Relations de travail, Association canadienne des policiers et policières): Merci, monsieur le président et membres du comité. Je m'appelle Dale Kinnear et je comparais devant vous aujourd'hui au nom des 30 000 membres de l'Association canadienne des policiers et policières. Je tiens à remercier le président et les membres du comité de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui au sujet du projet de loi C-244. L'Association canadienne des policiers et policières a remis un mémoire au greffier. Vous y trouverez une copie de ma déclaration de même que d'autres renseignements de base.

Je possède plus de vingt années d'expérience aux services généraux de la police et je tenterai de vous présenter le point de vue du personnel policier de première ligne à l'égard des risques et des réalités de l'exposition aux maladies transmissibles que subissent les policiers et policières dans l'exercice de leurs fonctions de maintien de la suprématie du droit.

Je ne crois pas que les experts ici présents aient besoin d'expliquer à votre comité l'escalade des incidents de VIH et d'hépatite B ou C dans la population. Je ne crois pas avoir besoin de vous apprendre qu'un grand nombre de personnes porteuses de ces maladies transmissibles, représentant un risque élevé, se trouvent dans toutes les régions du pays, dont les toxicomanes utilisant des seringues, les prostitués des deux sexes et la population carcérale. Pour des raisons évidentes, les groupes susmentionnés sont susceptibles d'interaction plus fréquentes avec la police, en tant que victimes d'actes criminels ou à la suite d'une intervention policière occasionnée par une activité criminelle. Je suis persuadé que ces interactions laissent pressentir un nombre croissant d'incidents impliquant des piqûres de seringues, des agressions délibérées et d'autres formes d'exposition qui mettent nos membres en péril. À l'onglet 6, vous trouverez divers articles de journaux qui en témoignent.

Nous sommes heureux que la législation proposée, susceptible de répondre aux préoccupations de nos membres, soit confiée à votre comité aujourd'hui. Nous félicitons M. Strahl d'avoir soumis ce projet de loi.

• 1540

Nous sommes les premiers à admettre que, sous sa forme actuelle, le projet de loi n'est pas parfait. Il y a certaines autres questions à examiner, particulièrement l'équilibre entre le droit de savoir du policier et les droits de l'intéressé en ce qui concerne ces tests. Néanmoins, pour toutes ces raisons, nous sommes heureux de constater que le Comité de la justice se penche sur la question et qu'il a convoqué des témoins pertinents, de sorte que toutes les préoccupations soient entendues. Nous avons sollicité ce genre de législation pendant plusieurs années.

Nous avons consulté des experts en médecine et nous nous rendons compte que certains membres de la profession médicale ne partagent pas notre enthousiasme relativement à la législation envisagée. Je crois que vous avez entendu récemment des experts de Santé Canada. Leurs arguments selon lesquels les précautions universelles et le traitement post-exposition devraient suffire ne vont pas nécessairement calmer les craintes de nos membres.

Nous savons que des protocoles post-exposition sont en place. Nous les avons favorablement accueillis à leur instauration et nous avons félicité les juridictions responsables de leur mise en oeuvre. L'ACP et ses associations membres ont joué un rôle actif dans la conception et l'élaboration de ces protocoles. Dans une large mesure, il ne s'agit rien de plus que de diligence raisonnable et de gestion du risque de la part des gouvernements, des employeurs et des responsables de la santé publique.

Nous n'en condamnons ni l'esprit ni les résultats. Bien qu'ils fournissent des renseignements utiles sur la post-exposition au personnel médical, aux employeurs, aux cadres et aux employés, nous ne sommes pas convaincus que ces protocoles soient suffisamment rigoureux pour régler les problèmes réels que pose une exposition concrète.

Les policiers et policières exposés ont besoin d'être convenablement informés afin de pouvoir prendre des décisions médicales en pleine connaissance de cause. Le cocktail chimique administré après l'exposition entraîne ses propres risques pour la santé. L'agent Isobel Anderson, du service de police d'Ottawa—Carleton qui s'est trouvée elle-même obligée de prendre ce cocktail chimique, vous en parlera. Elle pourra mieux vous expliquer que moi les effets secondaires que cela entraîne.

J'ajouterai que nous suivons le cas d'un policier en service aux Maritimes, en Nouvelle-Écosse, à qui quelqu'un a craché dans la bouche et qui a dû prendre le cocktail chimique. Un mois et demi ou deux mois après avoir suivi le traitement, il a commencé à perdre la vue. Nous ne pouvons pas prouver le rapport de cause à effet, mais ce policier n'avait jamais éprouvé de troubles visuels avant ce traitement.

Nous pensons qu'il existe déjà des précédents, et le juriste qui est ici aujourd'hui témoignera en ce qui concerne la comparaison entre les prélèvements dans les cas de conduite avec facultés affaiblies et les prélèvements d'ADN. C'est un sujet sur lequel je ne vais pas m'étendre.

Nous reconnaissons que la charte des droits peut avoir une certaine incidence. Certaines lois permettent de faire des prélèvements dans d'autres circonstances. Encore une fois, vous entendrez l'avis du juriste. Le droit pénal empiète, dans certaines circonstances, sur les droits des Canadiens et les tribunaux ont estimé que c'était justifié.

Nous avons entendu des arguments et des explications ayant trait à des tests de dépistage du VIH donnant de faux résultats positifs et négatifs. Je laisserai le Dr Shafran répondre à cela. Nous savons qu'il existe maintenant de nouvelles méthodes et de nouveaux protocoles. Dans notre mémoire, il est question d'un nouveau test mis au point à Londres qui permet de dépister le VIH chez des patients que des tests conventionnels ont déclarés exempts de VIH. Un autre nouveau test de dépistage permet maintenant d'obtenir des résultats en l'espace de 15 minutes. Je voudrais poser une question au comité. Envisage-t-on d'utiliser ces nouveaux tests dans notre propre système de santé? Je n'en ai encore trouvé aucune preuve. J'espère que oui.

Nous espérons que ces progrès étayent nos arguments voulant que les tests obligatoires constitueraient une limite raisonnable aux droits et libertés des personnes susceptibles de subir des tests en application des dispositions de ce projet de loi.

À notre avis, il faudrait également des dispositions pour les personnes qui aident les policiers dans l'exercice de leurs fonctions. J'ai remarqué, dans la transcription des témoignages que vous avez entendus hier, qu'on a parlé continuellement de l'utilité du test, du risque de contamination, en insistant surtout sur le cas d'une personne blessée qu'un policier vient secourir.

Mais le problème ne se limite pas à cela. Comme vous pouvez le lire dans certains articles de journaux, si des policiers sont attaqués par des gens qu'ils tentent d'arrêter ou à qui ils se trouvent confrontés, il y a un lien très clair avec les dispositions du droit pénal qui s'appliquent aux policiers qui ont été agressés ou qui se sont blessés dans l'exercice de leurs fonctions ou qui ont été blessés par la personne qu'ils tentaient d'arrêter.

• 1545

Nous pensons que c'est justifiable dans certaines circonstances. Nous ne voulons pas que l'on soumette toute la population à des tests de dépistage. La question se posera seulement dans des circonstances très limitées où il faudra établir ce lien avec le droit pénal. Je crois que c'est justifié dans ce genre de situation.

N'oubliez pas que la demande sera soumise à un juge de paix. Également, dans la plupart des cas, si vous allez à l'hôpital, un médecin va intervenir. Il donnera son opinion et, si du sang a simplement été en contact avec une peau intacte, le médecin indiquera quels sont les risques de contamination en pareil cas. Je crois qu'avec l'intervention du médecin, du juge de paix ou du juge, selon le cas, il y aura suffisamment de garanties. La police ou l'État ne vont pas faire subir ces tests à tort et à travers.

Comme vous le verrez dans mon mémoire, à son congrès de 1998, l'Association médicale canadienne s'est prononcée sur les tests de dépistage pour les travailleurs de la santé qui risquaient d'être contaminés. Le Dr Shafran vous en parlera.

La dernière question que je voudrais aborder brièvement est celle du partage des pouvoirs dont il a été question lors des témoignages d'hier. Je voudrais dire que certains éléments de ces mesures sont peut-être du ressort des provinces, mais que le gouvernement fédéral ne voudrait sans doute pas voir dix lois provinciales différentes à ce sujet, surtout lorsque cela touche les droits de la personne. Vous auriez en Colombie-Britannique une loi différente de celle de l'Île-du-Prince-Édouard. Comme certaines questions relatives à la Charte ont été mentionnées ici hier, le gouvernement fédéral doit établir la primauté du Code criminel à cet égard. Je crois que c'est dans la législation fédérale qu'il faut résoudre ce problème.

Si vous examinez notre mémoire, vous y trouverez des exemples d'attaques délibérées contre des policiers qui se sont fait asperger d'urine, de sang ou de salive. Je vous ai parlé du cas où un détenu a craché exprès dans la bouche d'un policier pendant que ce dernier parlait. Ces prélèvements nous paraissent tout à fait justifiés dans ce genre de situation.

Nous vous demandons votre aide. Un policier ne peut pas refuser de travailler dans des conditions dangereuses. Nous devons intervenir dans certaines situations qui sont très différentes de celles du bon samaritain.

Lorsque Isobel vous fournira ses explications, elle pourra vous dire les répercussions que cela peut avoir non seulement sur l'intéressé, mais également sur sa famille. Nous vous demandons de venir en aide aux policiers qui se trouvent dans cette situation. Il ne s'agit pas seulement de calmer les angoisses des gens. Il s'agit de respecter leur droit d'être informés, en tenant compte des limitations découlant de la Charte.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Anderson.

Mme Isobel Anderson (policière, Service de police d'Ottawa—Carleton, Association canadienne des policiers et policières): Je suis ici aujourd'hui pour essayer de défendre de mon mieux les intérêts des personnes les plus touchées par ce problème. Je vous apporte mon témoignage personnel, car j'ai été sérieusement exposée à des risques, j'ai cherché une solution et des réponses et j'ai vécu le cauchemar de voir la source du risque refuser de fournir un échantillon sanguin.

Comme j'ai joué un rôle actif pour essayer de corriger cette contradiction entre deux droits, je sais que mon expérience n'est pas unique. En fait, des centaines de gens ont vécu avant moi ce cauchemar, et il continue de se produire.

Au cours du témoignage que les ministres de la Justice et de la Santé ont donné hier, on a laissé entendre qu'il faudrait avant tout prendre des précautions universelles pour les premiers intervenants. Il faut toutefois reconnaître que, dans la plupart des cas, nous n'avons ni le temps, ni la possibilité de faire quoi que ce soit pour réduire ou éliminer le risque. La première priorité d'un policier, lorsqu'il répond à un appel, est d'éliminer le risque pour assurer la sécurité de la collectivité.

Le 1er octobre 1997, je suis intervenue dans un cas de vol à main armée perpétré à quelques coins de rue d'ici. Je suis arrivée sur les lieux quelques minutes après l'appel. Après avoir vérifié que personne n'avait de blessures graves, j'ai cherché à localiser le suspect. À quelques pâtés de maisons à l'ouest de la pharmacie, j'ai trouvé un individu répondant à la description. J'avais dans ma voiture de patrouille un témoin qui a immédiatement identifié le suspect. J'ai procédé à une arrestation à haut risque étant donné qu'on m'avait dit plus tôt par radio que le suspect était armé d'un pistolet.

• 1550

J'ai passé les menottes au suspect et, avant de le fouiller, je lui ai demandé à trois reprises: «Avez-vous des seringues, des couteaux, des armes à feu, ou quelque objet qui pourrait vous blesser ou me blesser?» Et il a répondu non à trois reprises.

On a publié dans les journaux que j'avais mis la main dans la poche du suspect, mais je tiens à souligner que je ne l'ai pas fait. Je l'ai fouillé comme mes instructeurs m'avaient enseigné à le faire, c'est-à-dire que j'ai retourné les poches du suspect, mais ce faisant, j'ai été piquée par une seringue qui contenait du sang frais. Je me suis rendu compte avec horreur de ce qui venait de se produire. Je me souviens d'avoir pensé: «Mon Dieu, j'ai le sida!»

Heureusement, l'unité de renfort est arrivée, ce qui m'a permis d'aller me faire traiter à l'hôpital. À mon arrivée à l'hôpital, les médecins m'ont dit que j'avais de 2 à 36 heures pour prendre un cocktail chimique dont on dit qu'il réduit ou élimine le risque de contracter le VIH. On m'a dit ensuite que si le suspect acceptait de se soumettre à un test de dépistage et si les résultats du test étaient négatifs, je pourrais cesser de prendre le médicament étant donné que ce médicament risquait d'être nocif pour moi si je le prenais pendant une période prolongée.

Mais ces paroles m'ont rassurée un peu, et j'ai appelé le poste de police pour demander que le suspect soit emmené à l'hôpital pour subir le test.

On m'a informée au bout d'une demi-heure environ qu'il avait refusé. J'étais désespérée. J'ai commencé à prendre le médicament et, dans les 10 minutes qui ont suivi, j'ai commencé à éprouver des nausées. Je me suis arrêtée au poste de police pour remettre mon équipement avant de rentrer chez moi et on m'a dit alors que le suspect avait changé d'avis et qu'il était en route vers l'hôpital pour subir un prélèvement sanguin.

J'ai demandé pourquoi il avait changé d'avis, et on m'a informée qu'heureusement pour moi il avait faim. Il avait négocié avec les policiers pour qu'ils lui achètent un Big Mac s'il acceptait de se soumettre à une prise de sang.

Le test s'est révélé négatif pour le VIH mais positif pour l'hépatite C. Je ne pourrais vous décrire le soulagement que j'ai éprouvé en apprenant les résultats, même si je savais que je risquais d'avoir contracté l'hépatite C. Je savais alors que je pouvais me préparer mentalement et physiquement à relever les défis qui m'attendaient. Le monstre avait maintenant un visage. Je n'étais plus confrontée à l'inconnu. Je savais, en ce qui concerne le VIH, que même si le test était négatif, et si je risquais encore moins de contracter le VIH, je devais quand même faire preuve de prudence en passant régulièrement des tests pendant un an.

Heureusement, mes tests de dépistage du VIH et de l'hépatite C ont été négatifs. Et je suis reconnaissante de cette nouvelle chance qui m'a été donnée par la vie.

Vous me demanderez peut-être à quoi il a servi de tester le suspect, mais je vous répondrai que cela m'a aidée à faire un choix plus éclairé en ce qui concerne ma santé. En obtenant les résultats de mon test et de celui du suspect dans les deux jours qui ont suivi, je n'ai pas dû soumettre mon organisme une fois de plus à l'agression brutale de cette forme de chimiothérapie intense. On m'a dit que les effets secondaires pouvaient être graves et parfois permanents. L'arrêt du traitement prophylactique m'a permis de me rétablir et de reprendre le travail plus rapidement.

Il y aussi l'aspect financier. Il en coûte environ 1 000 $ pour prendre ces médicaments pendant un mois. L'autre aspect qu'il convient de souligner, c'est que l'information pourrait être utile à la personne source si elle n'a pas encore été testée et si le résultat de l'analyse s'avérait positif. Cela pourrait la dissuader de transmettre la maladie à d'autres.

Éliminer l'anxiété est aussi une question importante. On ne peut pas imaginer tout le traumatisme affectif que cause le fait d'avoir été ainsi exposé. Le fait de devoir rajuster le degré d'intimité avec son conjoint, avec ses enfants, avec sa famille et même avec ses collègues: c'était à moi qu'il incombait de ne pas les mettre en danger.

Je me souviens que j'avais peur de retourner patrouiller dans les rues, car je savais quel risque je courais, un risque omniprésent. Je voudrais aussi vous faire part de renseignements que j'ai reçus ce matin de notre représentant des services de santé: notre service comptait à lui seul 40 personnes qui avaient été exposées en 1997 et, en 1999, le nombre était de 38. On me dit également que le nombre continue à croître. Jusqu'où cela pourrait- il aller?

Ces maladies présentent un risque très immédiat pour notre société. En ma qualité de policière, je ne peux pas choisir qui sont les personnes dont j'aurai à m'occuper. J'ai fait le serment de sauver des vies. Mais le fait que j'ai fait ce serment ne veut pas dire que ma vie ne compte pas, ni qu'elle est moins importante que celle d'un autre être humain.

Le fait le plus important, pour moi, c'est que je suis mère. Je suis mère de trois enfants et je suis la seule qui ait la garde de mes enfants. J'aimerais avoir l'assurance que, dans 20 ans, je serai là quand mes enfants se marieront, quand ils recevront leur diplôme ou je ne sais quoi encore. Il est primordial pour moi de pouvoir assurer la sécurité et la subsistance de mes enfants.

J'assume la responsabilité de mes actes, et c'est normal. De même, toute personne qui met autrui dans une situation qui présente un risque pour sa vie ne devrait-elle pas être tenue d'assumer la responsabilité de ses actes et de faire son devoir?

• 1555

Enfin, je tiens à faire remarquer que la Charte des droits et libertés visait, d'après ce que je sais, à assurer un juste équilibre entre des droits différents. Il faut trouver une solution ici pour les milliers d'hommes et de femmes qui, de façon quotidienne, mettent leur vie en danger pour que vous et moi puissions vivre en toute tranquillité et en toute sécurité.

Je vous demande de vraiment tenir compte de mes propos. Je sais que, si le projet de loi à l'étude avait été en vigueur ce soir-là, j'aurais été rassurée dès le départ, et j'aurais épargné à ma famille, à mes amis et à moi-même toute l'anxiété que nous avons vécue inutilement.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Docteur Shafran.

Dr Steven Shafran (professeur de médecine, directeur de la Division des maladies infectieuses, hôpital de l'Université de l'Alberta): Merci beaucoup, monsieur Scott. Je vous sais gré de me permettre de vous présenter mon témoignage aujourd'hui, d'autant plus que j'étais déjà à Ottawa pour participer à la réunion d'un autre comité du gouvernement fédéral. J'essaie autant que possible d'utiliser l'argent des contribuables à bon escient.

Le président: Nous aussi.

Dr Steven Shafran: Je suis ici en ma qualité de spécialiste des maladies infectieuses, de professeur de médecine et de directeur de la Division des maladies infectieuses à la Faculté de médecine de l'Université de l'Alberta.

L'expérience que j'ai du VIH remonte en fait au début de l'épidémie. J'ai fait mes études en épidémiologie de 1983 à 1986 à Vancouver, où il y avait une flambée de cas, et je travaille dans le domaine depuis: au début, nous essayions tant bien que mal de traiter les personnes infectées, puis les premiers médicaments sont arrivés et, maintenant, avec 14 médicaments à notre disposition, nous avons un impact énorme sur la vie des personnes infectées qui acceptent de se faire soigner.

Je devrais vous dire que, comme spécialiste du VIH, j'ai une pratique très variée. Dans le nord de l'Alberta, nous avons une clientèle très diversifiée. Nous avons des gais, nous avons beaucoup d'utilisateurs de drogues injectables, nous avons beaucoup d'Autochtones, et nous tenons aussi chaque mois des cliniques dans une des prisons de la province, car le taux d'infection au VIH et à l'hépatite C est très élevé dans l'ensemble du milieu carcéral canadien, et c'est là un facteur pertinent pour l'étude du projet de loi.

Je suis ici pour vous présenter la dimension médicale, avec données à l'appui, et pour me prononcer en faveur de l'orientation du projet de loi, même si je considère qu'il ne s'agit pas, dans sa forme actuelle, d'une mesure parfaite.

L'objet du projet de loi, à mon sens, est de déterminer le risque d'exposition à des pathogènes à diffusion hématogène, plus particulièrement à l'hépatite B, à l'hépatite C et au VIH, et de permettre ensuite des décisions rationnelles concernant le recours à la prophylaxie post-exposition.

Le risque de transmission de ces infections à diffusion hématogène suivant l'exposition percutanée, par une blessure avec aiguille par exemple, est d'environ 10 p. 100 à 40 p. 100 pour l'hépatite B, 5 p. 100 à 9 p. 100 pour l'hépatite C et 0,3 p. 100 pour le VIH. Le risque est moins élevé après une exposition par voie muqueuse ou par morsure humaine, mais ces deux types d'exposition peuvent manifestement transmettre l'infection. On a aussi étayé de rares cas de transmission par éclaboussures percutanées, mais la fréquence est trop peu élevée pour qu'on puisse faire des calculs exacts.

À l'heure actuelle, nous avons une prophylaxie post-exposition pour l'hépatite B et pour le VIH, mais nous n'en avons pas pour l'hépatite C. Je crois toutefois que, avant que je ne prenne ma retraite, nous aurons aussi une prophylaxie post-exposition efficace pour l'hépatite C, mais il faudra encore plusieurs années pour arriver à ce résultat.

Le seul type d'infection pour lequel nous ayons une prophylaxie pré-exposition, c'est l'hépatite B, car il existe un vaccin efficace contre cette maladie, bien qu'il convienne de signaler que 10 p. 100 des personnes vaccinées contre l'hépatite B ne produisent pas d'anticorps protecteurs et risquent donc toujours d'être infectées.

Nous avons des programmes de vaccination contre l'hépatite B dans toutes les écoles du pays. D'ici une génération, nous aurons une immunité collective relative, et le problème de l'hépatite B disparaîtra. Mais il faudra attendre encore bien des années pour cela.

Le projet de loi présente à mon avis de nombreux avantages. Le fait d'être exposé cause une anxiété considérable à cause de la crainte des virus à diffusion hématogène. J'ai lu les procès-verbaux de la réunion d'hier, et il semble que certains fonctionnaires de Santé Canada sous-estimaient l'importance du facteur anxiété. J'ai du mal à comprendre leur attitude, puisqu'il me semble que nous vivons dans une société où la maladie mentale est aussi importante que ce qu'on appelle la maladie physique.

Le fait d'être exposé cause énormément d'anxiété. Cette anxiété tient non seulement à la crainte qu'a la personne d'avoir été infectée, mais aux conséquences pour sa vie personnelle, notamment pour sa vie sexuelle. S'il s'agit de quelqu'un qui donne régulièrement du sang, il devra par exemple s'abstenir de donner un produit pourtant très précieux. Il y a donc bien d'autres ramifications.

La personne qui a été exposée doit attendre six mois pour savoir de manière certaine si elle a été infectée. L'anxiété n'est donc pas de courte durée, mais elle dure le plus souvent six mois. Il en découle donc des problèmes bien réels.

• 1600

Le projet de loi présente un avantage particulier du fait que, comme la prévalence de l'infection aux trois virus à diffusion hématogène est peu élevée au Canada, si la personne source est testée, le résultat sera négatif dans la majorité des cas et le niveau d'anxiété de la personne exposée pourrait être réduit très rapidement.

Si toutefois il y avait transmission, on saurait comment elle se serait produite, ce qui est important pour tout ce qui concerne la question des accidents de travail. J'ai eu à traiter avec la commission des accidents du travail de l'Alberta relativement à des cas d'infection à l'hépatite C au travail, et je peux vous dire qu'il faut un dossier solide pour faire la preuve que la personne a bien été infectée dans l'exercice de ses fonctions et non par ailleurs.

La prompte identification des personnes sources infectées permettra une utilisation des plus judicieuses et efficientes de la prophylaxie post-exposition, ce qui est particulièrement important dans le cas du VIH puisque la prophylaxie dont nous nous servons comprend l'utilisation de deux ou trois médicaments qui sont administrés pendant quatre semaines et dont le coût varie entre 400 $ et 1 100 $. Soit dit en passant, j'ai lu dans les procès- verbaux de la réunion d'hier le témoignage d'un fonctionnaire de Santé Canada qui disait que le traitement durait 12 semaines. Je n'ai pas la moindre idée où il a pris cette information, car la prophylaxie post-exposition ne dure jamais 12 semaines. Je ne pense pas que cette personne ait une expérience personnelle du traitement de personnes infectées au VIH ou de personnes qui ont été exposées au virus.

Ces médicaments que nous utilisons contre le VIH ont tous des effets secondaires importants, du moins chez certaines personnes; ils causent notamment des interactions médicamenteuses et ils ont des effets encore inconnus sur les enfants à naître, dans le cas de femmes enceintes. Dans certains cas, il faut donc retarder le moment d'avoir des enfants. C'est ce qui est arrivé à un certain nombre de travailleuses de la santé qui avaient été exposées et que j'ai eu à traiter au fil des ans.

Nous ne sommes pas en mesure de déterminer de façon précise l'efficacité de la prophylaxie post-exposition, mais d'après la meilleure étude que nous ayons sur le sujet et qui a été faite au Centre for Disease Control d'Atlanta, le traitement à l'aide d'un seul médicament, l'AZT que nous considérons maintenant comme l'un de nos médicaments les moins puissants, assurait une protection à 81 p. 100, c'est-à-dire que le risque de transmission par exposition suite à une blessure par aiguille était réduit de 81 p. 100 en n'utilisant qu'un seul médicament, ou demeurant peu puissant. Cette réduction est très semblable à la réduction de 68 p. 100 qu'on obtient en administrant le même médicament aux femmes enceintes pour les empêcher de transmettre le virus à leur enfant. L'ordre de grandeur est vraiment très similaire.

Pratiquement tous ceux qui travaillent dans le domaine du VIH et du sida estiment que les combinaisons de médicaments seront plus efficaces, mais personne ne croit qu'elles puissent un jour l'être à 100 p. 100. On a d'ailleurs déjà signalé des cas de transmission chez des personnes qui avaient pourtant commencé un traitement à l'aide d'un cocktail médicamenteux. Nous ne pensons donc pas que ces cocktails soient efficaces à 100 p. 100, mais nous sommes persuadés qu'ils sont très efficaces.

La prochaine question que je vais aborder avec vous est celle du caractère volontaire ou obligatoire du test de dépistage. Certains disent qu'il n'est pas nécessaire de recourir à la voie législative. Pourquoi ne pas soumettre les personnes sources à des tests de dépistage volontaire? Je crois que les partisans de la formule volontaire s'inspirent de l'expérience des hôpitaux où cette formule donne de très bons résultats. Nous avons dans les hôpitaux des programmes d'intervention dans les cas de blessure par aiguille, et nous avons un taux de consentement d'environ 99 p. 100 de nos patients qui acceptent d'être testés dans les hôpitaux.

Si les seuls cas d'exposition concernaient le personnel de santé, je ne serais pas en faveur d'un projet de loi comme celui- là. Cependant, dans des milieux autres que celui de la santé, notamment dans le milieu carcéral et policier, les règles sont différentes. Dans le domaine de la santé, il y a une relation fondée sur la coopération et la collaboration entre les patients et le personnel soignant, d'où le taux de consentement élevé. Mais dans le cas des agents de la paix et des travailleurs correctionnels, il y a manifestement une relation antagoniste.

Par ailleurs, il convient de signaler, même si on a indiqué avec raison hier que la prévalence du VIH dans les hôpitaux est plus élevée que parmi la population dans son ensemble, sa prévalence dans les prisons et chez les inculpés est bien plus élevée que dans les hôpitaux. Nous savons—et vous avez reçu des témoignages à cet effet—qu'il arrive que des détenus ou des inculpés mordent délibérément un agent de la paix ou un agent correctionnel, qu'ils crachent délibérément sur eux ou qu'ils cherchent à les exposer pour se moquer d'eux en quelque sorte ou pour les intimider. Il est clair qu'il y a des incidents de ce genre.

Je voudrais maintenant vous parler de cette question du délai, qui est très mal compris à mon avis. Le délai de dépistage du VIH court à partir du moment où la personne est infectée jusqu'au moment où l'infection est dépistée.

• 1605

Ce délai dépend en fait de la nature du test de dépistage et des principes sur lesquels il se fonde. Les tests les plus souvent utilisés pour dépister une infection au VIH sont des tests qui visent à déterminer la présence d'anticorps. Après qu'une personne ait été exposée, il faut un certain temps pour que son système immunitaire produise des anticorps. En règle générale, il faut de trois à six semaines pour que les anticorps se forment, mais le délai peut en fait varier entre deux semaines seulement et six mois. C'est pourquoi le test de détection des anticorps, celui qui est le plus souvent utilisé, n'est pas très efficace pour le dépistage d'infections récentes.

Quelques remarques s'imposent toutefois à ce sujet. Quand on tient compte à la fois de la prévalence relativement peu élevée du VIH chez la population dans son ensemble et de la probabilité que la personne ait été infectée dans les quelques semaines précédentes, on peut supposer que les cas d'infection sont très rares. Nous utilisons couramment ces tests de détection des anticorps ou ces tests sérologiques dans les cas de blessure par aiguille pour décider des mesures à prendre, et cela contrairement à ce qu'a laissé entendre Santé Canada. Dans le cadre des tests de dépistage auxquels se soumettent volontairement les patients dans nos hôpitaux, si le résultat est négatif, nous n'offrons pas de prophylaxie post-exposition. Le résultat du test est donc un facteur déterminant dans notre décision.

L'autre remarque que je tiens à faire concerne les tests autres que les tests de détection des anti-corps. Certains d'entre vous savent peut-être que c'est la Société canadienne du sang et Héma-Québec qui sont responsables de la sécurité du système sanguin. Quand elles font des analyses sanguines les deux sociétés ont recours à diverses méthodes de dépistage comme des questionnaires sur le style de vie du donneur. Elles ont aussi recours à un test de dépistage des anti-corps du VIH, le test couramment utilisé, mais également à une autre analyse appelée test des acides nucléiques. Il s'agit d'une analyse qui détecte la présence, non pas des anti-corps, mais du virus. Le délai de dépistage est ainsi ramené à moins d'une semaine. Ce test de dépistage existe donc. Il n'y a aucune raison que l'analyse des acides nucléiques ne puisse pas être utilisée pour diagnostiquer la personne source dans les cas d'exposition comme ceux que vise le projet de loi.

Le délai de dépistage varie donc selon la technologie dont nous disposons, et cette technologie va en s'améliorant, si bien que le délai va en s'amenuisant. Je ne suis pas sûr que nous aurons un jour un test de dépistage des infections qui sera efficace à 1 000 p. 100, mais je pense qu'il faut comparer ce test-là aux nombreux autres tests que nous utilisons en médecine, et les tests de dépistage du VIH sont bien plus précis que ceux que nous utilisons dans bien d'autres domaines. Ils sont bien plus précis, par exemple, que les mammographies qui servent à détecter le cancer du sein. Ce sont donc d'excellents tests.

C'est ce qui explique que je trouve beaucoup d'avantages au projet de loi. J'ai toutefois certaines réserves sur le plan de la logistique dont j'aimerais vous faire part. La première concerne la vitesse avec laquelle il faut agir. D'après ce que nous en savons jusqu'à maintenant, la prophylaxie post-exposition est la plus efficace quand elle est administrée le plus rapidement possible après l'exposition. Nous ne savons vraiment pas quel est le délai optimal. Hier, un des fonctionnaires de Santé Canada a dit qu'il était de deux heures. Je ne sais pas trop où il a pris ce chiffre. Le Center for Disease Control recommande qu'un test de dépistage soit fait dans les 36 heures, mais, dans la plus vaste étude qui ait été faite en pratique clinique, le test a été administré dans les quatre heures dans 67 p. 100 des cas. Il est donc important d'agir vite. Si nous nous attendons vraiment à ce que les avocats représentant la personne source et la personne exposée se présentent devant un juge, la mesure ne sera d'aucune utilité dans la pratique.

L'efficacité d'une telle mesure dépend donc de la possibilité d'obtenir une ordonnance en l'espace de quelques heures. Je ne sais pas exactement comment cela pourrait se faire. Il faudrait manifestement que des services-conseil soient offerts non seulement à la personne exposée, mais aussi à la personne source pour qu'elle sache quel est le but du test de dépistage et ce que signifie un résultat positif ou négatif.

Troisièmement, il y a la question de la confidentialité et de l'accès à l'information. Il faudrait non seulement que le système protège la confidentialité des renseignements, mais aussi que la personne exposée, qui serait dans certains cas un policier, soit tenue de garder confidentiels les résultats relatifs à la personne source, surtout si la règle de la confidentialité n'est pas prescrite dans le code déontologique de la profession à laquelle appartient la personne exposée. Dans le cas contraire, la confidentialité serait déjà assurée.

Les deux derniers points que je veux soulever en ce qui a trait à la logistique sont les coûts et les questions relatives à la santé publique. En ce qui concerne les coûts, je ne sais pas qui paierait pour ces tests de dépistage; je soulève tout simplement la question. Si nous décidions d'utiliser aussi le test des acides nucléiques, ce test coûte encore plus cher que le test de détection des anticorps. Et j'ignore totalement qui paierait pour les médicaments.

L'expérience que j'en ai m'amène à dire que, quand la prophylaxie post-exposition s'avère nécessaire, très peu de personnes en ont besoin si nous permettons l'utilisation de test de dépistage, si bien que les coûts relatifs aux médicaments vont baisser considérablement pour autant que nous puissions utiliser des tests de dépistage. Par ailleurs, lorsqu'une prophylaxie est indiquée, d'après mon expérience, si la personne a été infectée dans l'exercice de ses fonctions, ces médicaments sont généralement payés par les services de médecine du travail. Cependant, quand il s'agit d'un bon samaritain, celui-ci n'est parfois pas couvert de cette façon, si bien que nous ne savons pas qui paiera pour ces médicaments qui peuvent coûter jusqu'à 1 100 $.

• 1610

Enfin, il faut mentionner les déclarations obligatoires aux autorités médico-sanitaires. Évidemment, cela relève de la compétence provinciale, mais lorsque les résultats des tests sur un sujet s'avèrent positifs pour un ou plusieurs de ces virus, il faut se conformer aux prescriptions de la législation sur la santé publique de la province ou du territoire compétent.

Le président: Merci beaucoup.

Notre témoin suivant est M. Chipeur.

M. Gerald Chipeur: Merci beaucoup. Je vais essayer d'être le plus bref possible cet après-midi pour que nous puissions examiner les questions de droit et les questions constitutionnelles qui intéressent ce comité lors de la période des questions.

J'ai fourni aux membres du comité une copie d'une lettre que j'avais envoyée à M. Chuck Strahl. Dans cette lettre j'explique, en français et en anglais, quelle est ma position.

D'autre part, j'ai également à votre disposition, si cela vous intéresse, l'article sur lequel mon opinion se fonde, un article rédigé et publié en 1992-1993. À l'époque, j'avais fait un exposé sur les analyses de sang obligatoires à l'occasion d'une conférence en Afrique du Sud. Cet exposé avait ensuite été publié dans le International Journal of Medicine and Law. J'y examinais la législation canadienne, et en particulier, une décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire La Reine c. Dyment (1988). Dans cette décision, la Cour suprême s'était penchée sur les analyses de sang obligatoires. Je disais ceci dans mon exposé:

    Dans l'affaire Dyment, l'accusé avait été impliqué dans un accident de la circulation et conduit à l'hôpital où un médecin avait prélevé un échantillon de sang sans le consentement de l'accusé ou à son insu; le médecin avait ensuite remis l'échantillon de sang à un agent de police.

Cela avait soulevé la question des droits à la protection des renseignements personnels, des droits en cas de fouille et de perquisition abusives qui sont prévues par l'article 8 de la Charte, et le tribunal s'était penché sur la question des droits de l'accusé lorsque l'État prive celui-ci de son droit à un test pour des raisons médicales et utilise son sang à des fins non médicales.

Le juge La Forest, qui avait rédigé la décision, avait expliqué clairement que la Charte ne tolérerait une atteinte à la vie privée comme une analyse de sang obligatoire, que lorsque le bien public l'emporte sur les droits à la protection des renseignements personnels, et uniquement lorsque des règles bien claires déterminent dans quelles conditions il y a atteinte à la vie privée. Il ajoutait que ces règles seraient, bien sûr, soumises à l'épreuve de la Charte.

Dans l'affaire Dyment, où aucune règle de ce genre n'existait, le tribunal décida qu'il y avait violation de la Charte. Je cite mon commentaire à ce sujet:

    L'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Dyment a pour effet de rendre inconstitutionnelle l'analyse de sang effectuée par le gouvernement sans le consentement de la personne, à moins qu'elle ne soit autorisée par la loi. Elle propose aussi une norme élevée pour évaluer toute loi qui autoriserait cette analyse. Les lois qui autorisent des «interrogatoires à l'aveuglette d'une grande latitude» seront probablement jugées comme étant en violation de la norme établie par la Charte.

Je concluais ensuite en mentionnant la loi et la jurisprudence en Alberta et en disant qu'effectivement certains statuts provinciaux prévoyaient des analyses de sang obligatoires dans certaines circonstances. J'observais ensuite ceci:

    Actuellement

—je rappelle que c'était en 1992-1993—

    il serait difficile de dire qu'une analyse de sang sur des patients est raisonnable au regard de l'article 8 et justifiée dans une société libre et démocratique au regard de l'article premier de la Charte.

    Cela sera encore plus difficile dans les cas où l'analyse de sang a lieu après une éventuelle exposition au VIH. Les professionnels et les universités sont pratiquement tous contre l'analyse de sang obligatoire. Toutefois, en ce qui concerne l'avis des milieux universitaires, il ne faut pas oublier l'observation de John Keown selon laquelle certains avocats peuvent être enclins à interpréter la loi sur le test de dépistage des anticorps anti-VIH «comme ils aimeraient qu'elle soit, et non pas comme elle est en réalité».

• 1615

Je disais ensuite—et c'est toujours valable dans les circonstances médicales actuelles—que «si le progrès de la science médicale à l'avenir rend plus utile le test de détection des anticorps anti-VIH après exposition, il sera peut-être plus facile de justifier l'analyse de sang obligatoire».

Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour vous dire, c'est mon opinion juridique, que nous avons atteint cette étape. À mon avis, la médecine a fait suffisamment de progrès dans l'intervalle pour que des analyses de sang obligatoires soient justifiées en dépit des dispositions de la Charte des droits et libertés dans les articles 7 et 8 concernent la protection des renseignements personnels. Le Dr Shafran vient de vous expliquer très clairement qu'il y va de l'intérêt de la société, puisque cela met en cause la santé des personnes qui sont chargées de faire respecter la loi. D'autre part, il y a la question de l'efficacité du test: autrement dit, ce test est important pour la santé des personnes qui sont chargées de faire respecter la loi.

Ces deux conditions étant remplies, il y a également une troisième condition, la nécessité d'avoir des règles bien précises. Cette loi fixe des règles, et c'est précisément une des conditions qui avaient été imposées par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dyment. La Cour avait exigé des règles, exigé qu'on donne des raisons, qu'on démontre qu'il y allait de l'intérêt de la société.

À mon avis, nous en sommes aujourd'hui à un point où la société peut justifier ce genre d'atteinte à la vie privée. Nous devons reconnaître qu'il s'agit bel et bien d'une atteinte à la vie privée, mais en même temps, nous devons tenir compte des intérêts de la société et trouver un point d'équilibre.

Avant de terminer, j'aimerais signaler un certain nombre de cas qui pourraient vous intéresser dans vos délibérations et vous aider à formuler des recommandations à la Chambre des communes. Ces décisions montrent clairement que la Cour suprême du Canada et d'autres tribunaux sont très sensibles à cette question et jugent nécessaire d'examiner les aspects moraux et légaux de la question avant d'autoriser, éventuellement, des analyses de sang obligatoires. Dans pratiquement tous les cas, les tribunaux se sont prononcés en faveur des intérêts de la société et des intérêts des personnes qui pourraient être infectées, et non pas en faveur de celles qui pourraient être une source d'infection.

Pour vous en donner une idée, je vais passer en revue rapidement quelques causes qui pourraient vous intéresser. La première est La Reine c. Cuerrier (1998) 2 SCR 371. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada s'était demandée si on pouvait poursuivre pour infraction criminelle une personne, consciente de son état, qui avait transmis sans le vouloir ou par négligence le VIH. La Cour avait conclu que des poursuites étaient possibles et elle avait ordonné un nouveau procès.

Dans l'affaire La Reine c. Napora (1995), la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta avait réaffirmé qu'une personne séropositive avait le devoir légal de faire quelque chose pour protéger ses partenaires sexuels.

Voilà donc deux tribunaux qui pensent qu'une personne séropositive, lorsqu'elle est au courant de son état, a un devoir. Évidemment, on se demande immédiatement si une personne séropositive qui n'est pas au courant de son état peut avoir un certain comportement—même tout à fait par accident—et être tenue de subir une analyse de sang et être considérée responsable de ses actes?

Dans l'affaire suivante, Succession Pittman c. Bain, la Cour suprême de l'Ontario avait déterminé en 1994 que la Croix-Rouge pouvait être tenue responsable lorsque le virus du sida aurait pu infecter une personne à la suite d'une transfusion sanguine. L'important ici, c'est que les tribunaux de common law pensent que quiconque pourrait être une source d'infection, même par négligence, et sans doute aussi de façon délibérée, a une responsabilité.

• 1620

Dans une autre affaire importante, La Reine c. Brighteyes (1997), la cour du Banc de La Reine de l'Alberta, là encore, avait ordonné un test d'empreinte génétique et déterminé—et ce sont les termes que la cour avait utilisés—que dans ce cas, les besoins de la société l'emportaient sur les droits de l'individu.

Il y a une autre affaire La Reine c. Borden (1994), et là encore, la Cour suprême du Canada avait délibéré sur les droits de l'individu.

Enfin, je vais mentionner une affaire particulièrement intéressante que vous devez d'ailleurs connaître, il s'agit des poursuites au civil contre Paul Bernardo. La division générale de la Cour de l'Ontario avait ordonné à M. Bernardo de fournir des échantillons de sang en invoquant les droits de la personne qui aurait pu être infectée et la santé mentale de celle-ci. Dans ce cas-là, l'argument ne s'appuyait pas sur le Code criminel, mais plutôt sur le code de procédure civile.

Pour tirer parti des données médicales dont vous avez entendu parler, on ne peut pas utiliser un relevé des dommages et les procédures de préavis de motion et d'affidavit. Ce n'est pas une option normale, mais cela démontre que les procédures pénales et civiles tiennent compte des facteurs que votre comité examine et immanquablement, elles se prononcent en faveur de la société et contre les droits des individus.

Toutes ces affaires me permettent de conclure que, si le Parlement adoptait ce projet de loi, celui-ci ne serait pas jugé anticonstitutionnel par la Cour suprême du Canada ou par n'importe quel autre tribunal, comme étant en violation de la Charte des droits et libertés.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Elliott.

M. Richard Elliott (directeur, Politique et recherche, Réseau juridique canadien VIH-SIDA): Monsieur le président, honorables députés, je vous remercie d'avoir accepté de m'écouter aujourd'hui.

Je suis avocat. Voilà maintenant 10 ans que je m'occupe des questions relatives au VIH et au sida. Je travaille pour le Réseau juridique canadien VIH-sida qui, comme vous le savez peut-être, a beaucoup travaillé sur les aspects juridiques, éthiques et les droits de la personne liés au VIH, au Canada et sur la scène internationale. Notre mission est d'obtenir l'adoption de mesures juridiques et politiques pour faire face à l'épidémie de VIH dans le but de respecter les droits des personnes qui vivent avec le VIH, de faciliter les efforts de prévention et, enfin, de faciliter l'accès aux traitements de santé.

Nous avons entrepris une étude approfondie et des consultations sur tout ce qui a trait aux tests pour le VIH et à leurs aspects juridiques et éthiques. J'ai ici des exemplaires d'un document qui a été préparé en 1998. C'est notre rapport sur les tests pour le VIH et la confidentialité, où nous discutons des tests obligatoires dans diverses circonstances.

Il y a quelques mois seulement, nous avons publié un rapport sur les tests VIH rapides où nous discutons, entre autres, des dimensions juridiques et éthiques lorsqu'on procède à ces tests rapides après une exposition au VIH en milieu de travail. Nous observons, entre autres, qu'on ne peut abandonner la nécessité éthique et juridique de consentir à des procédures médicales sous prétexte que de nouvelles technologies existent. Cela ne doit pas empêcher de faire les choses d'une façon juste, et nous devons déterminer attentivement quels sont les intérêts en cause, et non pas baser les décisions exclusivement sur la technologie.

Au début de cette année, nous avons écrit à l'honorable Anne McLellan, la ministre de la Justice, pour lui soumettre nos préoccupations au sujet du projet de loi C-244. Vous avez reçu un exemplaire de cette lettre en anglais et en français. Dans cette lettre, nous exposions trois préoccupations principales. À notre avis, ce sont les principales raisons de ne pas adopter le projet de loi. Pour commencer, nous considérons qu'il n'est pas nécessaire et qu'il est d'une utilité très limitée pour les gens qui pourraient être exposés à une infection. Deuxièmement, les tests obligatoires ne sont pas éthiquement justifiables. Enfin, c'est une loi qui serait inconstitutionnelle. À propos des aspects constitutionnels, j'aimerais revenir sur certaines observations et sur certaines affaires dont mon ami vient de vous parler.

Pour commencer, ce projet de loi n'est pas nécessaire et il offre aux gens qui pourraient être exposés au VIH ou à l'hépatite en milieu de travail une protection très limitée. Nous considérons que les tests pour le VIH ou pour d'autres maladies ne sont pas la solution aux préoccupations qui vous ont été soumises.

• 1625

Considérons d'abord le cas du VIH. Comme on vous l'a dit, la personne qui a été exposée doit prendre des décisions en ce qui concerne une prophylaxie possible, un régime de médicaments anti- rétrovirus, dans l'espoir de prévenir une infection. D'une part l'efficacité de ce régime prophylactique n'a pas encore été prouvé, et d'autre part, comme vous l'avez entendu, les experts considèrent actuellement que pour avoir le moindre espoir de réussite, il faut commencer le traitement dans les quelques heures qui suivent l'exposition.

Mais vous avez entendu également que les chances de pouvoir obtenir une audience, un mandat et un échantillon de sang de la personne qui pourrait être une source d'infection, puis d'obtenir le résultat d'un test de laboratoire dans des délais si courts, sont à peu près nulles. De toute façon, même s'il était possible d'obtenir les résultats du test en l'espace d'une heure, il faut se souvenir que la personne qui a été exposée a des questions auxquelles ce test ne peut répondre. Ces tests rapides ne sont pas aussi concluants que les séries de protocoles détaillés suivis en laboratoire. En fait, ils sont conçus pour être sensibles à l'excès et ne rien rater de...

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Puis-je vous demander de parler plus lentement? C'est très difficile pour les interprètes.

[Français]

M. Richard Elliott: Je m'excuse.

[Traduction]

En fait, ces tests-là ne donnent pas de résultats confirmés. Par contre, c'est la première étape d'un protocole en deux volets qui est effectué dans les laboratoires autorisés et qui donne des résultats confirmés. Ces tests-là sont conçus pour être sensibles à l'excès et ne rater aucun cas d'infection.

Autrement dit, beaucoup de résultats positifs dans les tests rapides sont en réalité des faux positifs. Par exemple, des statistiques pour l'Ontario publiées récemment montrent que les deux tiers des résultats positifs s'avèrent être des faux positifs lorsqu'on procède à un test de contrôle.

J'ai également eu l'occasion de parler récemment au président du comité fédéral provincial territorial sur le sida qui m'a dit que la proportion de faux positifs en Alberta était la même.

Autrement dit, on se propose ici d'autoriser des tests obligatoire pour le VIH, mais pour que ces tests soient utiles, il faut qu'ils soient faits dans des délais très courts et, dans ces conditions, les résultats sont loin d'être sûrs. L'intéressé doit tout de même prendre une décision sur la prophylaxie post-exposition. Si la source de l'infection s'avère séropositive sur la base de ces tests rapides, il est évident que la victime risque d'opter pour le régime prophylactique. Qui accepterait de courir le risque de ne pas suivre ce régime en présence d'un résultat positif, même si celui-ci peut être faux?

D'autre part, même si le test est séronégatif, cela n'élimine pas complètement la possibilité d'une infection. Comme vous l'avez entendu, la personne source de l'infection pourrait être encore dans la période où le VIH n'est pas détectable. Effectivement, cette période-là est une cible mouvante, mais c'est tout de même une préoccupation. Ce serait particulièrement inquiétant si la personne source s'était livrée récemment à des activités à risque, comme partager des seringues ou avoir des relations sexuelles sans protection. À supposer que l'agent de la paix exposé ou le travailleur de la santé soient au courant de cela, et dans certaines circonstances c'est une possibilité, il aurait de bonnes raisons de craindre une infection. Et à ce moment-là, il s'inquiéterait d'autant plus de la possibilité que le résultat soit un faux négatif.

Dans ce cas-là aussi, même en présence d'un résultat faux négatif, il faut tout de même prendre une décision au sujet du régime prophylactique. La seule façon de savoir si on a été exposé au VIH, c'est de subir soi-même un test. Un test sur une autre personne ne donne jamais une réponse complète.

On a signalé que la technologie avait évolué et qu'on disposait maintenant de nouveaux tests—l'analyse des acides nucléiques—pour détecter la présence du virus lui-même plutôt que la présence d'anticorps. Il est donc possible d'offrir le test des acides nucléiques—c'est-à-dire le test pour détecter la présence du virus même—à la personne qui a été exposée. On raccourcit ainsi la période pendant laquelle cette personne éprouve de l'anxiété pendant qu'elle se demande si elle a été infectée ou non. On fait passer ce test à la personne exposée et on obtient donc directement une réponse au lieu de devoir violer les droits constitutionnels d'une personne à la protection de la vie privée et à la sécurité, comme je l'expliquerai dans un instant.

En outre, nous nous demandons si ce projet de loi est aussi nécessaire que certains le laissent entendre. Je ne suis pas sûr que nous ayons eu la preuve qu'une personne qui pourrait être à l'origine d'une infection refuse fréquemment de fournir un échantillon de sang pour analyse. Il se peut que dans certains cas la personne refuse, mais nous soutenons qu'il faudrait des preuves plus décisives de l'existence d'un problème grave avant qu'on prenne le risque d'adopter une mesure législative autorisant qu'on fasse un test pour détecter le VIH chez quelqu'un sans son consentement pour apporter un avantage limité à quelqu'un d'autre.

• 1630

En outre, nous devons situer cette question dans la perspective voulue. Il est question ici d'un nombre extrêmement faible de cas dans lesquels des personnes exposées en raison de leur travail se sont retrouvées vraiment infectées. D'après l'Association médicale canadienne, depuis 1993, il y a eu au Canada seulement trois cas de travailleurs du secteur de la santé qui ont été infectés par le VIH après y avoir été exposés dans le cadre de leurs fonctions, et l'un de ces cas s'est produit en réalité dans un laboratoire, et non pendant que la personne dispensait des soins à un patient.

Le Centre for Disease Control des États-Unis, comme M. Shafran l'a signalé, estime que le risque moyen de transmission du VIH après une exposition percutanée à du sang infecté par ce virus—c'est-à-dire après qu'une personne ait été piquée par une seringue ou coupée par un objet tranchant—est d'environ 0,3 p. 100, tandis que l'exposition à des membranes muqueuses comporte un risque d'infection réelle de 0,09 p. 100.

Qu'en est-il de l'hépatite B et de l'hépatite C? À notre avis, il est encore plus superflu et moins utile d'obliger quelqu'un à subir un test pour détecter ce virus. Comme on vous l'a certainement déjà dit, et vous l'avez entendu encore cet après- midi, il existe un vaccin préventif pour l'hépatite B. Beaucoup de Canadiens à risque l'ont déjà reçu. Si l'on fait en sorte que les agents de la paix, les pompiers et les travailleurs du secteur de la santé puissent être vaccinés, la grande majorité des gens qui risquent d'entrer en contact avec le virus de l'hépatite B dans le cadre de leur travail seraient protégées contre l'infection. Et il s'agirait d'un protection préalable à l'exposition au virus et non pas d'une intervention a posteriori suite à une situation déplaisante. C'est une solution manifestement préférable à la violation du droit d'une personne à l'intégrité de la personne et à la protection de la vie privée.

Pour ce qui est de l'hépatite C, vous avez également entendu dire qu'il n'existe actuellement pas de traitement efficace ou recommandé après l'exposition pour empêcher que le virus s'implante. Par conséquent, le fait de forcer la personne qui serait à l'origine de l'infection à subir un test pour détecter l'hépatite C n'aurait absolument aucune valeur clinique pour la victime, parce qu'il n'y aurait pas de possibilité d'entreprendre un régime prophylectique post-exposition pour empêcher l'infection. Il n'y a donc aucun avantage potentiel.

Selon nous, les avantages limités offerts par l'imposition d'un test doivent également être évalués par rapport à d'autres préoccupations d'ordre déontologique. La Cour suprême a reconnu à maintes reprises que personne ne peut être obligé de subir une procédure médicale sans donner son consentement éclairé, l'affaire la plus notoire remontant à 1980, c'est l'affaire Reibl c. Hughes. Cette exigence a également été incluse dans les lois de plusieurs provinces. De plus, cette règle fait partie des codes d'éthique de tous les professionnels de la santé, et cette doctrine juridique reflète le principe déontologique fondamental du respect de la personne et de son autonomie.

Il s'agit ici de l'intégrité physique et psychologique ainsi que du droit à la protection de la vie privée en ce qui concerne l'état de santé. Le principe déontologique essentiel est qu'une personne doit être traitée comme une fin en soi, et non pas comme un moyen d'obtenir quelque chose pour autrui. À notre avis, un test obligatoire serait contraire aux normes déontologiques parce qu'il enfreindrait ce principe fondamental et que l'avantage limité que j'ai mentionné ne justifierait pas une telle violation des principes déontologiques.

En dernier lieu, je voudrais vous parler de certaines questions d'ordre constitutionnel.

Dans notre mémoire, nous disons que l'État viole la Charte des droits et libertés s'il autorise des tests pour détecter le VIH sans le consentement de la personne concernée.

Vous avez entendu parler de l'affaire Dyment. En 1988, la Cour suprême a affirmé, comme M. Shepherd l'a signalé, que «l'utilisation du corps d'une personne sans son consentement en vue d'obtenir des renseignements à son sujet constitue une atteinte à une sphère de la vie privée essentielle au maintien de sa dignité humaine...».

Deux ans plus tard, dans l'affaire Duarte, la Cour suprême a affirmé que la Charte protège le droit du particulier de déterminer lui-même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels le concernant.

La prise d'échantillons corporels pour effectuer des tests sans le consentement d'une personne est clairement, dans nos lois, l'exception, plutôt que la règle. En effet, le Code criminel le permet seulement dans deux cas bien circonscrits: le test de dépistage de la consommation d'alcool lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction de conduite avec facultés affaiblies a été commise, et l'analyse de l'ADN en cas de poursuites pour certaines infractions graves désignées.

Dans ces deux cas, on a estimé que l'atteinte à la vie privée se justifiait dans l'intérêt de l'application de la loi, lorsqu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'une personne avait commis une infraction criminelle. Mais le projet de loi C-244 propose de violer l'intégrité physique et la vie privée des gens sans même exiger cette condition préalable. Et à notre avis, la violation de ces droits constitutionnels ne doit pas être prise à la légère. En vertu de ce projet de loi, le refus de fournir un échantillon de sang rendrait une personne passible d'une peine de six mois d'emprisonnement.

La violation de l'intégrité physique est encore aggravée par une violation de l'intégrité psychologique. Le projet de loi stipule que la personne source doit être informée des résultats de son test. On lui enlève donc la possibilité de décider si elle subira un test et à quel moment, simplement parce qu'elle a été la victime d'un accident et qu'elle saignait lorsque les ambulanciers paramédicaux ou les pompiers sont arrivés sur les lieux. Voulons-nous vraiment que les gens pensent que s'ils appellent une ambulance, on pourrait leur faire subir un test de dépistage du VIH sans leur consentement?

• 1635

Aucune disposition du projet de loi n'exige que le certificat contenant les résultats du test soit détruit. Un test obligatoire pour le VIH enclencherait toute une série de conséquences possibles, et le Dr Shafran en a déjà mentionné une, à savoir que l'état virologique relativement au VIH d'une personne serait signalé aux autorités médico-sanitaires. On tenterait alors d'identifier les antécédents sexuels de cette personne ou les gens avec qui elle aurait échangé des aiguilles, ce qui viendrait s'ajouter au préjudice causé à la vie privée par l'imposition sans le consentement d'un test médical.

Le projet de loi ne contient aucune disposition garantissant la confidentialité des résultats du test subi par la personne source, et on vous l'a déjà dit. Je soutiens que, même avec une telle garantie, ces dispositions n'auraient probablement pas beaucoup de valeur sur le plan pratique. Nos membres savent d'expérience que les personnes porteuses du VIH sont couramment victimes de la divulgation de renseignements confidentiels, en particulier dans les petites localités où les gens se connaissent tous, et que les conséquences peuvent être dévastatrices: perte d'un emploi, perte d'un logement, ostracisme de la part des membres de la famille, des amis, ou de la collectivité en général.

Nous avons publié dernièrement un long rapport où nous montrons que la discrimination contre les victimes du VIH persiste encore au Canada deux décennies après le début de cette épidémie, et l'expérience des personnes porteuses du VIH ou atteintes du sida confirme cette réalité, comme en témoignent les organismes qui offrent des services aux victimes du sida et d'autres organismes de soutien. Étant donné les nombreuses conséquences négatives et la valeur que nous accordons dans notre société à la protection de la vie privée et de l'intégrité physique, les effets dommageables d'une mesure comme le projet de loi C-244 sont à notre avis disproportionnés par rapport à l'avantage limité qu'il présenterait, et une telle mesure est indéfendable sur le plan constitutionnel.

M. Chipeur a parlé d'un certain nombre de cas dont la plupart étaient des causes entourant la question de la responsabilité criminelle en cas de transmission du VIH et celle d'un test obligatoire. Je voudrais brièvement aborder quelques-uns de ces cas.

M. Chipeur a mentionné l'affaire Cuerrier. Je connais cette affaire étant donné que j'ai été l'un des intervenants devant la Cour suprême. L'un des arguments que nous avions présentés instamment à la cour était la nécessité de voir la question dans une «perspective générale»—c'est-à-dire que nous ne devions pas laisser des cas particuliers découler nécessairement sur une mauvaise loi.

De plus, les causes comme Cuerrier, Napora, Pittman ou Bain, comme M. Chipeur l'a mentionné, ne sont pas particulièrement pertinentes d'après moi. Il ne s'agit pas d'affaires où les tribunaux ont envisagé d'imposer un test obligatoire à des personnes pour détecter le VIH ou d'autres virus. Ce sont des affaires dans lesquelles les tribunaux cherchaient à déterminer s'il fallait ou non imposer une responsabilité criminelle à des personnes qui se livraient à des activités par lesquelles elles risquent de transmettre le VIH. C'est une question toute différente, et ces affaires n'ont vraiment rien à voir avec les questions soulevées par le projet de loi C-244.

Cependant, les affaires qui concernent cette mesure comportent deux volets. L'une d'entre elles a été mentionnée par mon ami, et il s'agit de l'affaire Paul Bernardo. En l'occurrence, par une poursuite intentée au civil en Ontario, une femme prétendait avoir été exposée à un au risque d'infection par le VIH et d'autres MTS par Paul Bernardo demandait une ordonnance pour forcer Bernardo à fournir un échantillon de sang afin qu'on effectue un test pour détecter le VIH, et à subir également des tests pour d'autres formes de MTS. La Couronne est intervenue au tribunal dans cette affaire et a dit que la loi ne donnait aucun pouvoir pour accéder à cette demande. On se demandait même sérieusement si le tribunal avait compétence en la matière. Par la suite, M. Bernardo ne s'est pas opposé de fait à l'ordonnance.

L'affaire ne crée donc pas un précédent, du moins certainement pas en vertu du droit pénal, permettant de dire que les tribunaux ont déjà examiné la question et décidé qu'il était parfaitement constitutionnel de forcer quelqu'un à subir un test pour le VIH.

Il est aussi bon de remarquer que cette affaire constitue un parfait exemple de faits concrets ou de mauvais faits pouvant mener à une mauvaise loi. En l'occurrence, il est malheureux que la cour n'ait pas vraiment pris note du fait que l'exposition de cette femme—s'il y a vraiment eu exposition—au risque d'infection avait en réalité eu lieu cinq ou six ans plus tôt. Comme on vous l'a dit, la période maximale après laquelle il peut y avoir séroconversion, après une exposition possible au VIH, est de l'ordre de six mois tout au plus. Il n'y avait vraiment aucune justification pour ordonner un test pour le VIH dans cette affaire, et étant donné les lacunes de l'argumentation, je dirais que cette affaire ne devrait aucunement préoccuper le comité.

L'autre affaire—et il s'agit vraiment du seul cas au Canada qui se rapproche particulièrement de la question qui nous occupe—est l'affaire Beaulieu, survenue au Québec, dans laquelle un homme accusé d'agression sexuelle a été amené devant le tribunal et la demanderesse, c'est-à-dire la femme qu'il avait agressée, a demandé une ordonnance pour l'obliger à fournir un échantillon de sans afin qu'on effectue un test pour dépister le VIH. Le tribunal en question, une cour de première instance du Québec, a mentionné expressément la décision de la Cour suprême dans l'affaire Dyment et a dit qu'elle soulevait de graves préoccupations sur le plan de la Charte et qu'aucune disposition législative ne permettrait ce genre de chose.

• 1640

Par conséquent, c'est la seule affaire qui ait une certaine analogie avec un cas d'exposition possible à un virus dans un contexte professionnel. Dans l'affaire en question, l'exposition était survenue par suite d'une agression sexuelle, mais vous pouvez voir l'analogie et en l'occurrence, le tribunal a dit qu'il n'était pas certain que la Constitution permette d'ordonner un test pour le VIH.

Nous sommes donc d'avis que le projet de loi C-244 équivaut à forcer une personne à subir un test pour le VIH sans que cette personne ne soit nécessairement accusée d'un méfait, et à la forcer à connaître les résultats d'un test médical auquel elle n'a pas consenti afin de fournir des informations peut-être inexactes à une autre personne qui devrait prendre rapidement une décision au sujet d'un régime prophylactique dont l'efficacité reste à prouver. Tout cela va à l'encontre du principe déontologique du respect de l'intégrité physique et de la vie privée, à l'encontre de l'exigence légale clairement établie du consentement éclairé préalable à toute procédure médicale, et également à l'encontre des droits constitutionnels à la protection de la sécurité de la personne et de la vie privée.

Selon nous, il y a de meilleures solutions que de forcer quelqu'un à subir un test pour le VIH. La première consiste évidemment à s'assurer que tout le monde prend des précautions universelles. Dans bien des cas, cela réduirait significativement le risque d'une infection éventuelle. J'admets qu'il y a des circonstances où il n'est pas vraiment possible de prendre les précautions universelles. C'est malheureusement une réalité. Cela ne signifie pas nécessairement que nous devions adopter une loi afin d'imposer un test obligatoire.

Deuxièmement, nous devons faire en sorte de donner aux personnes exposées l'accès à des tests pour le VIH ainsi que pour l'hépatite B et l'hépatite C. Il faut que l'accès aux tests soit rapide, et il faut aussi assurer l'accès aux renseignements voulus, à des conseils et à des services de soutien. De telles mesures profiteront bien davantage aux personnes exposées que l'imposition d'un test à autrui. C'est particulièrement vrai si nous pouvons offrir le test des acides nucléiques, qui peut vraiment détecter la présence du virus chez une personne qui a été exposée, plutôt que de faire subir à la personne source un test qui pourrait donner des résultats erronés.

Le président: Monsieur Elliott, combien de temps pensez-vous prendre encore?

M. Richard Elliott: Un instant, si vous le permettez.

Le président: Merci.

M. Richard Elliott: On lit souvent dans les médias et parfois dans les comptes rendus des affaires entendues par les tribunaux, que six ou douze mois, où même des années après une exposition possible au VIH, des policiers s'inquiètent encore des suites possibles de cette exposition.

Mais notre préoccupation est d'un autre ordre: cela montre bien que ces policiers n'ont pas reçu des services de conseils et de soutien adéquats après leur exposition. Nous savons que la personne exposée qui affiche encore des résultats négatifs lors des tests pour le VIH trois mois après l'exposition a tout au plus un faible risque d'être infectée, et que le risque de séroconversion est encore plus infime après six mois. Si ses tests ne sont toujours pas à ce moment-là positifs, il y a fort peu de risques qu'elle soit infectée. Mais manifestement, si une telle mésinformation persiste dans l'esprit des gens et demeure une source d'inquiétude, nous devons améliorer les services de conseils et d'information pour ces gens. Mis nous ne devons pas avoir recours au test obligatoire.

Il y a deux autres solutions possibles pour remplacer le test obligatoire. Premièrement, on peut envisager une disposition législative concernant l'usage plus sécuritaire d'aiguilles et de seringues dans les établissements de santé, comme mesure de sécurité en milieu de travail, afin de réduire la probabilité qu'une personne soit blessée par une piqûre, ce qui est manifestement le facteur d'exposition au VIH ou à d'autres pathogènes transmissibles par le sang le plus courant dans les milieux professionnels de la santé. On examine cette possibilité dans certains États américains, et certains autres ont déjà même adopté une telle mesure.

Enfin, nous devons prendre des mesures pour que les personnes sources se sentent plus en sécurité si elles acceptent de subir volontairement un test. Par exemple, on pourrait détruire les résultats des tests à moins que la personne source demande le contraire, on pourrait protéger davantage le caractère confidentiel des renseignements, s'assurer que les résultats des tests subis après qu'une autre personne ait été exposée ne soient pas admissibles dans des poursuites judiciaires—c'est une disposition qui existe effectivement dans le projet de loi C-244—et renforcer les mesures de protection contre la discrimination dont peuvent être victimes les personnes porteuses du VIH. Si on encourage les gens à accepter le test, on atteindra encore mieux l'objectif visé par ce projet de loi sans nuire à quiconque ni à la vie privée des Canadiens porteurs du VIH ou atteints de l'hépatite ou du sida.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Je signale aux députés que j'ai tendance à être beaucoup plus généreux avec les témoins qui nous rencontrent assez rarement pour ce qui est du temps alloué, mais je peux vous dire aussi que nous avons traité tout le monde équitablement, car chacun a dépassé le temps réglementaire.

Allez-y, Chuck.

M. Chuck Strahl (Fraser Valley, Alliance canadienne): Merci.

Pour la simple raison que j'ai vraiment apprécié le débat que nous avons déjà eu, je suis heureux que le comité soit saisi de ce projet de loi. Je tiens à remercier tous ceux et celles qui sont venus témoigner aujourd'hui.

Il y a maintenant 62 organismes nationaux et provinciaux, je pense, qui m'ont écrit et qui ont écrit à la ministre pour manifester leur appui aux objectifs visés par le projet de loi, mais je n'ai pas encore vu de mémoire aussi fouillé et aussi remarquable que celui que l'Association canadienne des policiers nous a apporté aujourd'hui. Je vous félicite pour la minutie dont vous avez fait preuve. Je pense que c'est merveilleux. J'ai hâte de le lire plus tard—quand j'aurai tout le temps voulu.

J'ai quelques questions à poser, dont une qui s'adresse au Dr Shafran.

• 1645

Vous avez parlé de l'augmentation du pourcentage des maladies infectieuses au sein de la population carcérale par rapport à la population générale dans le contexte hospitalier. Y a-t-il une très grande différence?

Dr Steven Shafran: La différence est énorme, bien que cela dépende du type d'infection.

Un certain nombre d'études ont été faites. En ce qui a trait à l'hépatite C, 1 p. 100 de la population générale est affectée tandis que dans les prisons, il y a des endroits où ce pourcentage dépasse les 30 p. 100. Pour le VIH, tout dépend des établissements dont on parle. Dans la collectivité en général, on parle d'environ 0,1 à 0,2 p. 100 de la population canadienne, et dans les établissements correctionnels, le pourcentage varie: dans certains établissements il est de plus de 10 p. 100 tandis que dans d'autres il est inférieur à 10 p. 100, mais en tout état de cause le pourcentage y est considérablement plus élevé que dans la communauté en général.

M. Chuck Strahl: À titre d'exemple, le Syndicat des employés du Solliciteur général qui représente les employés des pénitenciers et les gardiens de prison appuient le projet de loi. Il estime qu'il pourrait être utile aux employés.

Or, selon bon nombre des témoignages que nous avons entendus hier, même si on analyse le sang d'une personne, qu'est-ce que cela donne de toute façon? On obtiendrait des résultats, mais ils ne serviraient à rien. Cela pourrait être intéressant, mais ils ne seraient utiles ni à cette personne, ni pour son traitement.

Êtes-vous d'accord?

Dr Steven Shafran: Je suppose que vous parlez des résultats pour la personne source?

M. Chuck Strahl: Oui.

Dr Steven Shafran: Alors, non, je suis tout à fait en désaccord avec cela. Je pense qu'il s'agit là d'un renseignement très utile. Nous utilisons cette information constamment en milieu de travail, là où le pourcentage de dépistage volontaire est très élevé.

M. Chuck Strahl: Qu'en est-il si une personne a déjà commencé un traitement? Par exemple, elle veut commencer le traitement immédiatement car c'est à son avis la meilleure façon de procéder selon tous les avis médicaux. Lorsque quelqu'un se fait piquer par une aiguille ou mordre, il commence immédiatement à prendre le cocktail chimique et, deux ou trois jours plus tard, lorsque les résultats de l'analyse sanguine de la personne source reviennent négatifs, faut-il mettre fin au traitement? Selon le témoignage que nous avons entendu hier, lorsqu'on commence le traitement, il faut le poursuivre pendant 12 semaines.

Dr Steven Shafran: Je mettrais fin au traitement.

M. Chuck Strahl: Vous mettriez fin au traitement. Cela ferait une si grande différence?

Dr Steven Shafran: Certainement.

Naturellement, pour accélérer les choses, on peut analyser les algorithmes. On vous a parlé des tests de dépistage qui sont effectués sur place. Il y a des endroits, notamment dans le nord de l'Alberta, où si un échantillon est signalé comme provenant d'une blessure par aiguille, il est alors analysé en priorité. Les tests sont donc effectués très rapidement, tout au moins dans la région métropolitaine d'Edmonton. Naturellement, si l'incident s'est produit quelque part dans le nord de l'Alberta, l'échantillon doit d'abord parvenir à nos laboratoires. Il existe des différences logistiques dans les régions rurales.

M. Chuck Strahl: Très bien.

Monsieur Chipeur, je sais que vous témoignez aujourd'hui à titre personnel, comme l'a mentionné le juge... ou le président.

Une voix: Aspirant.

M. Chuck Strahl: Pourriez-vous nous parler brièvement de votre expérience? Vous avez écrit un article, et nous en avons entendu parler, mais avez-vous déjà plaidé ce genre de cause constitutionnelle devant la Cour suprême? Avez-vous une notice biographique?

M. Gerald Chipeur: J'en ai un exemplaire avec moi. J'en ai remis un exemplaire à quelqu'un qui me l'avait demandé pour l'un des bureaux ici sur la Colline, mais je peux vous en donner une.

Je me spécialise dans les causes constitutionnelles et dans le domaine de la santé. J'ai plaidé plus d'une demi-douzaine de causes constitutionnelles et liées aux droits de la personne devant la Cour suprême. Je suis partenaire chez Fraser Milner Casgrain, l'une des cinq études les plus réputées au Canada. Nous représentons souvent le gouvernement, et nous représentons souvent aussi des particuliers dans des poursuites intentées au gouvernement en vertu de la Charte des droits de la personne. Nous avons ainsi un certain nombre de causes en instance devant la Cour suprême.

J'ai donc de l'expérience pour ce qui est de plaider régulièrement ce type de cause, et nous avons plaidé des causes sur les droits des patients dans des établissements ainsi que les droits des prisonniers en vertu de la Charte des droits et libertés.

M. Chuck Strahl: Je peux peut-être vous poser une question à ce sujet. Vous avez mentionné dans votre lettre au comité—ou plutôt la lettre qui m'était adressée avec copie conforme au comité—qu'à votre avis, le projet de loi C-244 était conforme à la Constitution. Hier, nous avons entendu un juriste du gouvernement qui nous a dit que nous devions prouver que cette question relevait de la compétence fédérale, non pas uniquement de la compétence provinciale, etc.

• 1650

Pouvez-vous nous dire si à votre avis le Parlement ne va pas au-delà de ses droits, en adoptant le projet de loi à l'étude, ou certaines parties de ce projet de loi? Pouvez-vous me donner votre avis là-dessus?

J'ai tenté de faire valoir hier que lorsqu'il s'agit d'institutions fédérales et d'employés fédéraux, lorsqu'on tente de faire respecter le Code criminel fédéral, il me semble que le Parlement fédéral a un rôle à jouer. Peut-être pourriez-vous nous dire si c'est effectivement le cas ou non.

M. Gérald Chipeur: Certainement, je le ferai avec plaisir.

À ce sujet, j'ai plaidé des causes devant la Cour suprême du Canada concernant la compétence fédérale ou provinciale sur les barrages et les chemins de fer. C'est dans le même ordre de grandeur.

Ce que vous voulez savoir, c'est si cela est conforme aux articles 91 ou 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. J'ai des préoccupations relativement à certaines parties du projet de loi à l'étude. À mon avis, le Parlement du Canada a la compétence constitutionnelle pour adopter un projet de loi qui favorise l'application d'un statut fédéral. Donc, dans la mesure où le projet de loi à l'étude peut favoriser l'application du Code criminel et faire en sorte que les agents de la paix et ceux qui ont la responsabilité de faire respecter le Code criminel ont une bonne santé mentale, peuvent revenir travailler plus tôt, et sont en mesure de faire face aux problèmes qui surgissent, même s'ils ne surgissent pas dans le contexte d'une accusation ou d'une condamnation aux termes du Code criminel, je suis d'avis que le Parlement du Canada a la compétence constitutionnelle en vertu de ses pouvoirs en matière de droit criminel, mais il devrait également avoir cette compétence en vertu de ses droits à titre d'employeur de la GRC et des gardiens de prison qui relèvent de la compétence fédérale.

Je crois cependant qu'il n'est pas uniquement question de ces deux groupes lorsque nous parlons de l'application du Code criminel, car de toute évidence, les employés provinciaux travaillent eux aussi comme agents de la paix pour faire respecter cette loi. Je suis d'avis que le Parlement n'a pas compétence là où le projet de loi à l'étude va au-delà de cette question.

Le président: Merci, monsieur Strahl.

[Français]

Monsieur Ménard.

M. Réal Ménard: J'ai cinq questions que je vais poser en rafale pour que tout le monde puisse les avoir à l'esprit en même temps. Nous comprenons bien que c'est un projet de loi important pour les policiers, mais nous sommes aussi très préoccupés par toute la dimension de la vie privée.

Je pose une première question aux représentants de l'Association canadienne des policiers et policières. Selon vous, les policiers et les pompiers devraient-ils également subir un test? On dit qu'afin d'avoir une information complète, il n'est pas suffisant d'avoir de l'information sur le statut sérologique de la personne avec qui on est en contact; il faut également avoir de l'information concernant la propre situation des individus concernés.

Deuxièmement, comment réagissez-vous à l'ensemble des témoins, dont Santé Canada, qui nous ont dit que l'important dans un dossier comme celui-là était la prophylaxie et non pas d'imposer des tests aux personnes avec qui on a été en contact?

Le Dr Shafran a semblé remettre en question à plusieurs reprises l'expertise de Santé Canada. J'aimerais que vous nous donniez l'heure juste concernant les 12 semaines, la durée de la prophylaxie, la prescription et ainsi de suite. Vous semblez diverger d'opinion avec Santé Canada. J'aimerais que vous soyez très explicite à ce niveau-là.

Mon autre question s'adresse à votre voisin, M. Chipeur, qui semblait dire qu'il pouvait être constitutionnel d'imposer des tests sans consentement. On nous a présenté un ensemble assez exhaustif de jurisprudence, que Justice Canada va nous faire parvenir. J'aimerais que vous précisiez votre pensée autour d'un concept central dans notre droit, qui est l'expectative de vie privée. À partir de cette notion de droit, on voit mal comment le point de vue que vous avez soutenu pourrait être défendu devant les tribunaux.

Je pose une dernière question à votre voisin par souci d'équité. Tout le monde en aura eu une. Tous les organismes sur le sida, que ce soit la coalition québécoise, la coalition canadienne ou le conseil ministériel, s'opposent à ce projet de loi parce qu'il va beaucoup plus loin. Les organismes sur le sida font depuis longtemps une bataille quant à la confidentialité du statut sérologique et à la non-imposition de tests obligatoires. J'aimerais que vous fassiez le point là-dessus.

• 1655

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ménard. Je pense qu'il faudra sans doute les sept minutes pour répondre.

M. Dale Kinnear: Merci, monsieur Ménard.

Pour ce qui est de votre première question, hier, les fonctionnaires du ministère de la Justice ont dit considérer que cela devait aller dans les deux sens, qu'un policier devrait subir un test s'il a exposé un individu... Je dirais que lorsqu'une personne est peut-être victime de ce qui pourrait être considéré comme une agression d'un policier, ou victime d'une activité inappropriée, alors cette personne est victime d'une activité criminelle et je dirais certainement qu'elle devrait y avoir droit.

Dans les cas où un policier se fait blesser lors d'une arrestation et où le sang du policier entre en contact avec une coupure sur la victime, encore une fois, je dirais qu'il faudrait certainement qu'il subisse un test. J'ai posé la question à la constable Anderson cet après-midi à l'extérieur du bureau de M. Strahl. Je lui ai demandé si, dans les circonstances qu'elle a décrites, elle aurait fait subir un test afin que cette personne puisse prendre les bonnes décisions médicales en disposant de toute l'information pertinente. Elle a répondu qu'elle aurait certainement demandé un test, de sorte que je ne crois pas que cela pose quelque problème que ce soit.

Pour ce qui est du cocktail chimique, ou du traitement PPE (prophylaxie post-exposition), je ne suis pas un expert médical, et je m'en remets au Dr Shafran pour ce qui est du moment où il devrait être administré.

En ce qui concerne la durée du traitement, des membres nous ont dit que c'était un traitement de deux à trois mois. C'est l'information qu'on nous a donnée.

Encore une fois, je demanderais au Dr Shafran de répondre à cette question. Il a en fait traité des gens et je me fie à l'information anecdotique.

Merci.

Dr Steven Shafran: Il y a deux questions. Il y a d'abord la question de la durée du traitement. La ligne directrice qui est suivie la plupart du temps—et il me fera plaisir d'en faire parvenir un exemplaire au comité—est tirée d'un rapport du U.S. Department of Health and Human Services, qui s'intitule Public Health Service Guidelines for the Management of Health-Care Worker Exposures to HIV and Recommendations for Post-exposure Prophylaxis. Ce rapport a été publié en mai 1998. C'est un rapport très complet qui examine tout ce qu'on a écrit sur la question.

Dans ce rapport, on recommande un traitement de quatre semaines. C'est la norme lorsque j'en discute avec mes collègues qui s'occupent de patients atteints du VIH.

Pour ce qui est du moment où le traitement doit commencer, nous n'avons pas de données définitives à cet égard, mais de toute évidence, intuitivement, je dirais que le traitement devrait commencer le plus tôt possible. Il existe des modèles animaux utilisant des virus qui sont semblables mais non identiques au VIH et qui montrent que le traitement n'a plus d'effet après 36 heures. Donc si on veut faire un tel traitement, le plus tôt est le mieux.

Le président: Monsieur Chipeur.

M. Gerald Chipeur: Merci beaucoup. Je serai bref.

Le cas en question, le cas Dyment, et les cas qui ont suivi l'affaire Dyment, montrent très clairement que les droits à la vie privée ont préséance. Je suis d'ailleurs d'avis que la Cour suprême du Canada protégera vigoureusement la vie privée.

Il s'agit donc de trouver un équilibre, car de toute évidence, nous violons à première vue les droits à la vie privée aux termes de la Charte. L'article 1 de la Charte exige que votre comité, que le Parlement, trouve un juste équilibre avant d'adopter une loi et les tribunaux doivent trouver un juste équilibre si le projet de loi est adopté. Il faut donc trouver un juste équilibre entre les intérêts sociaux, les intérêts de la société d'avoir une telle législation et les droits des particuliers.

Dans ce cas-ci, je suis d'avis que les tribunaux pourraient dire que d'une part, il en va de la vie d'une personne. C'est la vie d'une personne. Ce n'est pas seulement la possibilité d'une blessure. Ce n'est pas simplement une question d'inconfort. La vie de la personne est en jeu. Si on ne prend pas la bonne décision médicale, elle risque de mourir.

Donc, d'une part, il y a l'intérêt du gouvernement à protéger la vie et la santé des employés de l'État—les policiers, les agents de la paix, les particuliers dans la société—et d'un autre côté, on a ce que les tribunaux ont déterminé à maintes reprises comme étant un processus non menaçant, discret, qui consiste à faire une analyse sanguine. Ils ont dit que ce n'était pas plus compliqué que de faire une analyse d'urine.

• 1700

On doit donc soupeser d'une part les inconvénients que cela représente pour une personne qui doit subir ces tests et le fait que l'on viole son droit à la protection de son anonymat de porteur du VIH, et la vie d'une autre personne.

Je suis d'avis que si le projet de loi à l'étude était adopté, la Cour suprême du Canada déclarerait que l'article 1 de la Charte justifie le projet de loi. Le projet de loi est justifié dans une société libre et démocratique.

Je suis d'accord pour dire que toutes les autres restrictions et protections devraient être en place. Je suis d'accord pour dire que le projet de loi devrait être modifié de façon à exiger que les résultats des tests soient détruits; que les résultats ne peuvent être communiqués à moins d'avoir obtenu le consentement de la personne; et qu'une pénalité devrait être imposée à l'agent de la paix ou à une autre personne qui aurait indûment divulgué de l'information.

Ce sont trois bonnes suggestions. Mais pourvu que le projet de loi soit bien rédigé, selon le critère Dyment, je crois qu'il sera jugé valable par la Cour suprême du Canada.

Le président: Merci beaucoup. Je pense que M. Elliott voudrait poser une question.

M. Richard Elliott: Je peux dire au comité et à l'honorable député que la Société canadienne du sida a écrit hier au président du comité pour dire qu'elle appuyait la position que nous avons prise devant le comité. Si elle l'a fait, je crois que c'est en partie parce qu'elle conteste, tout comme nous d'ailleurs, la description des avantages et des intérêts qui sont en jeu ici.

Je conteste certainement la description de mon collègue lorsqu'il dit que d'un côté on parle de la vie d'une personne tandis que de l'autre, c'est le simple inconvénient d'une piqûre au bout du doigt. Ce n'est pas à mon avis une description juste des intérêts en jeu. La vie de la personne qui a été exposée ne sera pas sacrifiée, que l'on impose ou non le test sérologique de détection d'anticorps du VIH à l'autre personne. Ce n'est pas là l'intérêt en jeu. C'est moins que cela. Il s'agit certainement d'un intérêt important, et je ne veux pas le minimiser, mais ce n'est pas un intérêt aussi important.

D'un autre côté, la personne source a intérêt à éviter de se prêter à ce test qui pourrait avoir des conséquences importantes. Comme je l'ai déjà dit, le fait de se prêter à un test sérologique de détection d'anticorps du VIH peut être lourd de conséquences. Il ne s'agit pas tout simplement d'une petite piqûre au doigt. Les conséquences sont beaucoup plus importantes.

Le président: Merci.

Je confirme que nous avons reçu la lettre. Je ne sais pas si elle a été distribuée cependant.

M. Richard Elliott: Je ne sais pas si le conseil ministériel a pris position sur la question, mais je peux m'en informer et en faire rapport au comité.

Le président: Nous avons reçu la lettre le 13 juin.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.

Je voudrais remercier tout le groupe pour leur information et leur exposé. Je voudrais également prendre quelques secondes pour féliciter mon collègue, M. Strahl, d'avoir soulevé cette question. Il s'agit là d'un débat non seulement très intéressant, mais aussi qui arrive à point nommé, étant donné les cas réels qui se sont produits en pratique et sur le terrain.

Je voudrais poser quelques questions d'ordre pratique et technique—d'abord au Dr Shafran—relativement à la période minimale qui doit s'écouler avant que les MTS, le sida ou le VIH puissent être décelés chez une personne qui y a été exposée. On nous a donné de l'information médicale semblable dans le contexte du projet de loi que nous avons étudié sur la conduite en état d'ébriété, relativement aux échantillons qui peuvent être pris pour le dépistage de la consommation de drogue et d'alcool. Quels types d'échantillons humains, sur le plan pratique, peuvent être utilisés pour déceler ce type de problème?

Dr Steven Shafran: Tout d'abord, je connais très peu de choses ou pratiquement rien au sujet du dépistage de la consommation de drogue et d'alcool, de sorte que je n'en parlerai pas.

Je crois que vous avez mentionné le VIH et d'autres MTS. Le temps qu'il faut dépend en fait de l'agent d'infection, car le temps d'incubation varie considérablement. Si l'on parle de la gonorrhée, il est possible de déceler une infection en deux jours, par exemple. Pour ce qui est du VIH, comme nous l'avons dit, cela dépend de la technologie utilisée. Pour une infection avec anticorps, il est peu probable qu'on puisse la déceler avant trois semaines. Donc, le temps qu'il faut pour que l'anticorps apparaisse peut varier.

M. Peter MacKay: Je suis désolé de vous interrompre. En ce qui concerne le VIH, en particulier, y a-t-il une période de latence, et pourrait-il y avoir des porteurs chez qui on ne décèlerait pas nécessairement le virus mais qui auraient pu le transmettre?

• 1705

Dr Steven Shafran: Une fois que l'infection au VIH est transmise... Vous n'étiez peut-être pas ici tout à l'heure.

M. Peter MacKay: Non.

Dr Steven Shafran: Si l'infection est dépistée par les moyens conventionnels, c'est-à-dire la production d'anticorps, il faut un certain nombre de semaines pour qu'une personne produise des anticorps. Cette période varie d'une personne à l'autre. La période peut n'être que de deux semaines, mais il faut jusqu'à six mois dans les cas extrêmes. Entre trois et six semaines, il est habituellement possible de trouver les premiers signes d'anticorps chez certaines personnes.

Nous avons mentionné que le test des acides nucléiques raccourcit la période, mais il s'écoule un certain temps avant que l'on détecte l'infection. C'est en fait vrai pour toutes les infections. Évidemment, le nombre de jours diffère pour chaque infection.

M. Peter MacKay: En ce qui concerne le traitement, je pense qu'on peut dire—nous en convenons tous—qu'il est essentiel de le faire commencer le plus tôt possible. J'ai lu rapidement le mémoire présenté par l'Association canadienne de police et il semblerait que le traitement comporte des effets secondaires très graves. Ce fait plaide certainement en faveur d'un dépistage précoce, pour toutes sortes de raisons.

Au cours des exposés et de la discussion, nous avons entendu parler des conséquences terribles lorsqu'une personne tombe malade que ce soit du sida ou d'une maladie transmissible sexuellement—l'exemple extrême étant le sida qui peut entraîner la mort. Il semble y avoir un élément de dommage psychologique et toute la gamme des inconvénients—perte de revenus si la personne doit cesser de travailler à cause du stress, lorsque quelqu'un se demande si par inadvertance ou délibérément elle est sous le coup d'une peine de mort. On ne saurait trop souligner l'importance d'une intervention aussi précoce que possible.

Je ne suis pas du tout d'accord avec vous, monsieur Elliott, quand vous dites que ce n'est pas là quelque chose qui se justifie dans le contexte de la Charte. Je pense que les tribunaux seront saisis de la question très bientôt.

Je pense que le test Oakes de l'article 1 peut être utilisé—vous connaissez ce test tous les deux—celui de la proportionnalité. La mesure vise à protéger la vie, qu'il s'agisse d'un agent de la paix, d'un bon samaritain ou d'un garde. Quelqu'un voudra peut-être faire des commentaires à ce sujet, mais une intervention rapide me semble très importante.

Dr Steven Shafran: Lorsque vous parlez d'une intervention rapide, vous parlez de la prophylaxie post-exposition?

M. Peter MacKay: Oui.

Dr Steven Shafran: Là encore, tout dépend de l'agent pathogène. Si nous parlons du VIH particulièrement, il est certainement recommandé de procéder à la prophylaxie post- exposition le plus tôt possible.

Vous avez parlé des effets secondaires. Oui, ces médicaments comportent de nombreux effets secondaires. Toutefois, je tiens à souligner que si nous pouvions faire l'analyse de toutes les sources, nous réduirions de façon marquée l'exposition. Puisque la majorité des sources donneraient des résultats négatifs, la majorité des personnes exposées n'auraient pas à prendre ces médicaments évitant ainsi les coûts afférents et les effets secondaires.

Les effets secondaires sont plutôt nombreux. Des données de l'hôpital général de San Francisco, où l'on trouve un taux élevé d'exposition dans le milieu de travail à cause du taux élevé de VIH à San Francisco, révèlent que la majorité de ceux qui ont commencé à la prophylaxie post-exposition n'ont pas terminé les quatre semaines.

M. Peter MacKay: Merci.

J'ai l'impression qu'il y aura des arguments très intéressants sur les aspects juridiques, notamment, et vous voudrez peut-être intervenir sur la santé et sécurité en milieu de travail. Je ne vois pas de grande différence entre un agent de police, un travailleur de la santé, ou même un bon samaritain, à vrai dire, qui est exposé par inadvertance ou autrement, et quelqu'un comme un métallurgiste sur qui tombe une poutre au travail.

S'il y a moyen d'empêcher cela par des mesures législatives, je pense qu'il nous incombe à tous, comme législateurs, de faire quelque chose. Les employeurs auront un jour l'obligation de s'assurer que toutes les mesures raisonnables sont prises. Si cela signifie une certaine intrusion, là encore, je ne suis pas d'accord pour dire qu'en prélevant un cheveu... cette technologie évolue à un rythme très rapide. Nous avons examiné cette question dans le contexte des échantillons d'haleine, de sang et de cheveux—des échantillons de ADN dans les cas de conduite avec facultés affaiblies. Cela devient un argument ésotérique, sur le plan de l'intrusion.

• 1710

Je ne considère pas qu'il y a une grande nuance entre l'haleine, le sang ou l'ADN. Je n'accepte pas qu'il s'agisse d'une mesure trop intrusive lorsqu'il s'agit de sauver une vie humaine.

Le président: Merci, monsieur MacKay.

M. Elliott voulait répondre et ensuite nous passerons à Mme Carroll.

M. Richard Elliott: Merci de votre question, monsieur MacKay. Vous avez soulevé l'aspect de la constitutionnalité et du test Oakes qui sert à justifier la violation des droits constitutionnels. Comme vous le savez, le test Oakes exige tout d'abord un lien rationnel entre l'objectif avoué d'une loi et son effet réel, c'est-à-dire, son application pratique—la violation d'un droit.

À mon avis, il n'y a dans ce cas le lien rationnel nécessaire pour juger cette mesure recevable aux termes de l'article 1 de la Constitution. Il n'y a aucun lien rationnel entre le fait de sauver la vie de la personne exposée et le fait de forcer la personne source à se faire examiner. Voilà ce que je conteste. Il y a peut- être un lien entre le soucis d'éviter une ou deux semaines de traitements désagréables et l'imposition d'un test. Toutefois, si nous n'exigeons pas que la personne subisse des tests même sans son consentement, la personne exposée va mourir. Ce n'est pas le lien dont il est question ici, ce lien n'existe pas.

Si vous considérez le deuxième aspect du test Oakes, c'est-à-dire que la loi doit empiéter de façon minimale sur les droits en vertu de la Charte, comme je l'ai mentionné précédemment, il y a une autre option moins intrusive. Si nous voulons éviter deux semaines supplémentaires de médicaments désagréables, assurons-nous que les personnes exposées aient accès à des tests pour vérifier la présence du virus le plus rapidement possible.

Si le résultat est négatif, vous pouvez décider de ne pas prendre le médicament deux semaines de plus puisque vous n'êtes pas porteur du virus. C'est une méthode beaucoup plus directe et moins incompatible avec la Charte pour obtenir l'information que vous voulez et dont vous avez besoin, que de dire: «nous allons procéder à des tests sur la personne exposée, tout en sachant fort bien que les résultats de ces tests ne sont pas parfaitement sûrs». Évidemment, cela ne règle pas nécessairement la question de savoir si la personne exposée doit arrêter de prendre les médicaments.

Franchement, dans certaines circonstances, si j'avais été exposé et que les analyses faites sur la personne source étaient négatives, cela ne mettrait pas fin pour moi à l'affaire. Je voudrais également déterminer si cette personne risque d'être infectée, malgré les résultats négatifs pour le VIH. Cela pourrait être le cas si par exemple cette personne était incarcérée et a partagé des aiguilles. On dit que l'incidence du VIH dans les établissements pénitentiaires est supérieure à ce que l'on retrouve dans l'ensemble de la population. Même si le résultat des analyses faites sur cette personne était négatif avec ce test de VIH, je ne vais pas courir de risque, car les résultats pourraient tout de même être positifs.

Il y a une autre option qui viole moins les droits défendus par la Charte et qui sert mieux les gens qui ont été exposés. Je ne suis pas convaincu que cela respecte l'aspect constitutionnel...

M. Peter MacKay: Pourquoi ne pas faire les deux?

Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur MacKay, votre tour est terminé.

M. Peter MacKay: Merci.

Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): Nous avons un nouveau règlement—un nouvel ordre.

Madame Carroll.

Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur Chipeur, vous avez déclaré précédemment, dans votre témoignage ou en réponse à une question, qu'à votre avis, le projet de loi C-244 relève de la compétence du Parlement sur le droit criminel en vertu du paragraphe 91(27) de la Constitution. Pourtant, plus tard dans votre commentaire, vous avez déclaré que vous craigniez que certaines dispositions du projet de loi ne relevaient peut-être pas de la compétence fédérale ou même allaient au-delà de cette compétence. Je me demande si vous pourriez nous donner plus de précisions à ce sujet.

Je serais très heureuse, vu l'expérience constitutionnelle de M. Elliot, de savoir ce qu'il en pense lui aussi.

M. Gerald Chipeur: Merci beaucoup. À mon avis, la partie I est sujette à caution. En effet, s'il y avait contestation de la compétence, le tribunal statuerait que la partie I relève de la compétence provinciale. À titre d'exemple, l'Alberta a adopté des lois qui portent sur des questions de ce genre d'une façon très générale...

Mme Aileen Carroll: Comme l'éducation en santé publique?

M. Gerald Chipeur: ...pour promouvoir la santé publique.

À mon avis, il s'agit d'une question de santé publique puisqu'elle concerne l'ensemble de la population. Elle devient une question de compétence fédérale dans la partie II qui traite des personnes chargées d'appliquer une loi fédérale et, de façon générale, d'appliquer le droit pénal.

Mon opinion changera peut-être après jeudi, selon la décision rendue dans l'affaire des armes à feu, car dans cette affaire on a demandé à la Cour de déterminer si l'exigence visant à établir un registre des armes à feu en droit fédéral est un exercice valide des pouvoirs en matière de droit pénal, car le non-enregistrement comporte une sanction. Si l'Alberta échoue dans son appel, j'en viendrai peut-être à la conclusion que la partie I est constitutionnelle.

• 1715

Mme Aileen Carroll: J'ai du mal à l'entendre. Je me demande si vous ne pourriez pas tenir votre conversation à l'extérieur.

M. Gerald Chipeur: Je vais me répéter. Si l'Alberta échoue dans son appel—en d'autres mots, si on confirme qu'un registre fédéral des armes à feu est un exercice valide du pouvoir de rédiger des lois pénales—la Cour aura élargi considérablement la définition de droit pénal aux termes de l'article 91. Par conséquent, on pourra dire dans ce cas-ci que le gouvernement fédéral impose une sanction pénale pour défaut d'exécution d'une certaine mesure, ce qui est exactement la même chose que dans le cas du registre des armes à feu. En effet, si vous n'enregistrez pas votre arme à feu, une question normalement du recours provincial, vous devrez subir les conséquences prévues par le Code criminel.

À l'heure actuelle, à mon avis, la partie I ne comporte pas un exercice approprié de la compétence du Parlement.

Mme Aileen Carroll: Merci, monsieur Chipeur.

Monsieur Elliott.

M. Richard Elliott: Merci.

À mon avis, il ne s'agit pas ici du genre de loi qui relève de la compétence du Parlement fédéral. Il ne s'agit pas d'un projet de loi de droit pénal. La question de la répartition des compétences va au coeur même du caractère essentiel de ce projet de loi. Quelle est sa nature fondamentale? Ce n'est pas une question de droit pénal, qui relève effectivement de la compétence du Parlement, mais ce projet de loi n'est pas de cet ordre, à mon avis.

Le simple fait que ceux qui peuvent imposer des tests soient des agents de la paix, fédéraux ou non, ne fait pas automatiquement de ce projet de loi une mesure de droit pénal relevant des pouvoirs du gouvernement fédéral en matière pénale.

Il s'agit d'employés qui ont été exposés, en milieu de travail, au risque d'infection. Qu'il s'agisse d'agents de la paix n'a aucune pertinence. Si des employés de Postes Canada sont exposés au risque d'infection, cela ne devient pas automatiquement une question de droit pénal, simplement parce qu'il s'agit d'employés fédéraux. Je ne pense pas que ce soit un bon raisonnement.

En fait, il s'agit ici d'un projet de loi sur la santé. Il ne s'agit pas de créer une infraction criminelle. De plus, les deux dispositions du Code criminel qui permettent d'imposer des tests sont expressément liées à des poursuites de nature criminelle; c'est-à-dire, pour conduite avec facultés affaiblies ou d'autres infractions énumérées pour lesquelles est prévue une analyse d'ADN. Voilà à mon avis, le lien nécessaire avec les pouvoirs du gouvernement fédéral en matière criminelle qui n'existe pas dans ce projet de loi.

Mme Aileen Carroll: Merci, monsieur Elliott. Merci, monsieur Chipeur. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Chuck, vous avez trois minutes.

M. Chuck Strahl: Très bien. J'ai deux ou trois questions. La première fait suite à la réponse donnée par M. Elliott et qui disait que si l'on a des inquiétudes le mieux serait de faire analyser son propre sang.

Je pense que M. Shafran est impatient de faire connaître son opinion. Je me demande s'il est d'accord pour dire que c'est la meilleure façon, ou est-ce que l'échantillon de sang... Je pense que ce sera critique, parce que le spécialiste du gouvernement a dit hier qu'à moins que nous puissions prouver que l'information est utile, alors ce projet de loi ne servira à rien. Elle doit être utile. Si ce n'est pas de l'information utile, le tribunal ne vous permettra jamais... On ne fait pas ça pour s'amuser.

Monsieur Shafran.

Dr Steven Shafran: Eh bien, je l'ai déjà dit à maintes reprises, je crois certainement qu'il est utile de procéder à une analyse du sang du donneur pour dépister s'il y a infection par le VIH, mais si je hochais de la tête c'était en pensant à ce qu'a dit M. Elliott à propos d'une personne exposée au virus et qui après coup, à titre préventif, veut faire analyser son sang pour y dépister le présence d'ARN viral alors qu'elle prend ses médicaments, ça n'a aucun sens sur le plan médical. J'ai suivi des dizaines de patients séropositifs dont les tests d'ARN se sont révélés négatifs parce qu'ils prennent de bons médicaments qui sont efficaces. Mais ils sont tout à fait séropositifs, et même si les charges virales sont remarquablement faibles dans le sang, ils peuvent encore transmettre l'infection. Cette solution ne va malheureusement pas fonctionner.

M. Chuck Strahl: J'ai une question pour M. Kinnear.

Le Dr Shafran a mentionné que dans 99 p. 100 des cas, les patients collaborent bien avec leur médecin. La plupart des gens fournissent un échantillon de sang si on le leur demande. S'il se présente un problème, on demande de procéder à une analyse de sang, on pique le doigt avec une aiguille, et la coopération est de 99 p. 100. Je ne suis pas sûr qu'il existe des données statistiques ou que l'on ait une idée de ce que serait le taux de coopération des patients avec qui vous faites affaire dans ce genre de situations, soit dans le système carcéral ou auprès de gens qu'on a arrêtés et accusés. Coopèrent-ils aussi bien?

• 1720

M. Dale Kinnear: Je ne peux pas vous donner de statistiques là-dessus. Personne n'en tient, du moins pas notre organisation ni, à ce que je sache, chez aucun employeur. Vous devez bien comprendre qu'il s'agit là en bonne partie de données confidentielles parce que ce sont des renseignements médicaux. Cela concerne la personne qui a été exposée au virus et son médecin.

Comme vous l'imaginez sans doute aussi, bien des membres ne sont pas disposés à venir spontanément fournir beaucoup de détails à ce propos, même après avoir reçu le cocktail médicamenteux. J'aimerais bien avoir ce genre d'information, mais je n'ai que de l'information sur des cas isolés et des observations provenant de membres qui nous ont contactés. Habituellement, ils refusent, surtout quand l'officier a arrêté quelqu'un et qu'il y a eu un peu de bagarre, ou que quelqu'un a été sorti de la maison de force, par exemple. Ils ne sont pas très content de la police tout d'abord, et comme dans le cas dont parlait Isabelle, ils ne sont pas enclin à coopérer.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Saada.

[Français]

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Comme mon collègue le sait, il est évident que je partage l'objectif qu'il poursuit, en particulier celui de s'assurer que les gens qui sont amenés à être en contact avec des transmetteurs possibles puissent se prémunir le plus possible, tout en étant conscient qu'on ne peut jamais avoir une garantie absolue de succès.

Ça, c'est sur le plan du principe. Sur le plan de la loi elle-même, j'éprouve une série de problèmes. Comme je ne suis pas avocat, je n'entrerai pas dans les questions de jurisprudence.

Est-ce que l'un de vous pourrait me donner une idée plus précise de l'envergure du problème? Je crois que MM. Shafran et Elliott y ont fait allusion. Hier, on a entendu dire que 0,15 p. 100 de la population était affectée par le VIH. Je crois que vous avez confirmé à peu près ces mêmes chiffres, monsieur Shafran. Les chiffres sont relativement comparables pour l'hépatite B, l'hépatite C et ainsi de suite.

Si on part du principe qu'il y a des secteurs qui sont plus à risque, par exemple les pénitenciers, cela veut dire qu'au fond, dans le vrai public en général, les chiffres sont encore plus faibles. Les chances que quelqu'un faisant partie de ces chiffres-là soit mis dans une situation où il y a risque de transmission constituent une partie de cette partie de cette partie. D'accord?

Je parle pas du fait que l'on appuie ou que l'on s'oppose au projet de loi, mais je voudrais que vous m'aidiez à comprendre ce dont on parle au point de vue de l'envergure du problème. C'est ma première question. J'en aurai deux autres.

[Traduction]

Dr Steven Shafran: Je pense que c'est à moi que vous vous adressez.

Pour ce qui est de l'étendue du problème, j'aurais dû apporter les statistiques, parce que dans la région d'Edmonton nous avons une équipe d'intervention pour les cas où quelqu'un serait piqué par inadvertance et qui recueille des statistiques sur cette question. Je crois me souvenir qu'on reçoit quelque 1 500 appels par an, mais je ne peux l'affirmer avec certitude. Je pourrais vous trouver le chiffre précis, mais je pense que c'est dans cet ordre de grandeur.

Ce sont toutes des situations qui peuvent se produire au sein d'une collectivité. On peut par exemple trouver des seringues dans les terrains de jeu et dans les poubelles, et elles peuvent provenir de sources inconnues et dont le projet de loi ne traite pas du tout. C'est une tout autre situation. La plupart des hôpitaux ont des programmes de santé et de sécurité au travail ou l'on tient des statistiques. C'est notre cas, et je pense qu'il y a en moyenne un cas par jour où quelqu'un est piqué par inadvertance.

Encore là, dans les milieux de travail, bien qu'il arrive qu'on se fasse piquer... Nous sommes d'accord pour ce qui est des précautions universelles, mais celles-ci ne contribuent pas beaucoup à prévenir ce genre d'accident. Nous adoptons de plus en plus des systèmes sans aiguille, comme vous l'avez proposé, avec des raccords qui s'emboîtent, plutôt que d'utiliser des aiguilles. Mais il faut quand même utiliser des seringues pour perforer la peau, et des scalpels et d'autres instruments, si bien qu'on ne supprimera jamais tous les risques d'accident.

Toutefois, je le redis, dans les milieux hospitaliers, grâce à l'esprit de coopération qui existe entre les patients et les professionnels qui assurent les soins de santé, le taux des patients qui acceptent volontairement les tests est si élevé que nous ne souhaiterions pas qu'on les y force par voie de législation.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Saada. Nous sommes très en retard.

M. Jacques Saada: Pourrais-je avoir la parole plus tard?

Le président: Oui.

M. Peter MacKay: J'ai deux petites questions.

Je comprends très bien la nature confidentielle de ces renseignements, et je pense qu'il y a effectivement lieu de se soucier de la confidentialité étant donné les révélations qui ont été faites récemment au sujet de l'information recueillie par le gouvernement et le ministère du Développement des ressources humaines, et des fuites. C'est donc une préoccupation justifiée.

Pour revenir à la question soulevée par M. Elliott au sujet du lien entre la criminalité et ce projet de loi, il existe de nombreux exemples dans le système de justice pénale qui montrent que des actes ont été commis dans l'intention délibérée de répandre une substance dangereuse, que ce soit au moyen d'un flacon contenant le sang même de l'auteur de cet acte, qui se savait infecté, qu'on ait mis des aiguilles dans les fauteuils d'un théâtre, qu'on ait essayé intentionnellement de piquer quelqu'un ou qu'on ait volontairement agressé quelqu'un dans l'intention de lui transmettre une maladie. On pourrait rappeler toutes sortes d'exemples pour justifier l'inclusion de cette disposition dans le Code criminel du Canada. Je pense donc qu'il y a un lien qui peut être établi et qui va en quelque sorte à l'encontre de ce que vous avez suggéré.

• 1725

Se sentira-t-on plus rassuré si l'on renforce cette mesure législative ou si on y insiste davantage, comme on a suggéré, pour y inclure des garanties visant à préserver la confidentialité? Je l'ai lu à quelques reprises, et on semble effectivement mettre beaucoup l'accent sur l'autorisation judiciaire préalable. C'est-à-dire que la demande de mandat devrait certainement être extrêmement bien justifiée pour qu'on émette le mandat, en raison de la confidentialité et aussi en raison du degré élevé d'intrusion. Peut-on y remédier?

Nous sommes ici pour tenter de rédiger—et M. Strahl l'a dit bien clairement—un texte législatif extrêmement efficace et qui tienne bien compte des préoccupations exposées. Par conséquent, j'aimerais savoir ce que vous pensez de la façon dont nous pourrions régler cette question de confidentialité.

M. Richard Elliott: Merci, monsieur MacKay.

Je pense qu'on améliorerait sensiblement la situation si les dispositions sur la confidentialité étaient ajoutées ou améliorées dans la loi. Cela dit, toutes les autres préoccupations que j'ai présentées subsisteraient. Sauf tout le respect que j'ai pour les autres membres de ma profession qui siègent au tribunal, je n'ai peut-être pas autant confiance en cette protection qui résulterait du fait qu'il faut d'abord obtenir une autorisation judiciaire.

Nous avons malheureusement vu au Canada des juges condamner des gens à deux ans moins un jour d'emprisonnement pour avoir mordu un agent de police, simplement parce que la personne était séropositive, alors qu'il n'existe absolument aucun élément de preuve sensible qui donne à penser qu'il existe un risque réel de transmission du VIH par cette morsure. Il me semble donc qu'il y a beaucoup de désinformation. Je déplore que l'autorité judiciaire saisie d'un cas pareil, qui serait mal informée sur la nature du VIH et sur la façon dont il peut être transmis ou non soit celle qui décide s'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne peut avoir été exposée à un risque d'infection. Il est bien certain qu'il y a tout un travail d'éducation à faire à ce sujet.

Oui, le projet de loi donne actuellement une certaine garantie, mais en toute franchise je ne suis pas persuadé que ce soit vraiment suffisant.

Le président: Merci.

Je vois que M. Kinnear souhaite répondre. Je donnerai ensuite la parole à M. Saada.

M. Dale Kinnear: Je pourrais répondre très brièvement.

Ce serait comme dire à propos d'un prévenu accusé de tentative de meurtre: «Oui, mon client a tiré sur l'agent de police, mais il n'avait pas l'intention de le tuer.»

Merci.

Le président: Monsieur Saada, vous pouvez maintenant poser votre deuxième question.

[Français]

M. Jacques Saada: Merci beaucoup. Je vais moi aussi poser mes questions en cascade car ce sera plus facile.

Quand on parle de Code criminel, il y a le mot crime dedans. Bien sûr, je comprends que dans le cas de Mme Anderson, on puisse toucher davantage la possibilité de la relation avec le crime, mais de façon générale, ce projet de loi a une plus grande portée que cela. Est-ce qu'il y a d'autres exemples dans le Code criminel où on couvre des éléments qui n'ont rien à voir avec un crime ou un crime soupçonné?

Deuxièmement, est-ce que les services policiers, y compris la police d'Ottawa—Carleton, offrent une formation particulière en prévention de ce genre d'incidents potentiels?

Troisièmement, vous avez tous dit, et vous me corrigerez si j'ai mal compris,

[Traduction]

que vous aviez des réserves au sujet du projet de loi. Je n'ai même pas eu le temps de le lire, bien sûr, mais proposez-vous des amendements précis qui dissiperaient vos inquiétudes et rendraient le projet de loi acceptable tel qu'il est?

• 1730

M. Dale Kinnear: Peut-être pourrais-je parler d'abord des précautions universelles et de la formation des agents de police. La formation à cet égard est très bonne, mais je pense qu'étant donné que nos membres continuent de reposer la question, cela montre que cette information ne suffit pas.

Vous verrez à l'un des onglets du mémoire qu'il existe en Ontario un protocole du médecin militaire ainsi qu'un autre de Santé Canada. La formation dans ce domaine, d'après l'expérience que j'en ai depuis le milieu des années 80, est maintenant très bonne, on dispose de l'équipement voulu et de tout le reste. Mais cela ne suffit pas. Nous n'obtenons pas suffisamment d'information, à notre avis, et les précautions universelles ne sont plus suffisantes, surtout dans les cas où l'on n'a pas la possibilité de mettre ses gants de caoutchouc ou sa blouse jetable, selon le cas, ou sortir l'eau de javel pour désinfecter. Je pense, du reste, que cela ne se passerait pas très bien non plus, si j'ai affaire à quelqu'un que j'ai arrêté et que je dois d'abord le désinfecter à l'eau de javel avant de pouvoir m'en occuper. Je pense que ces précautions ne suffisent plus.

Les membres sont préoccupés. Comme je l'ai dit, quand on procède à une arrestation ou qu'on est agressé, qu'on essaie d'appréhender quelqu'un, de faire exécuter un mandat, quel que soit le cas, beaucoup des gens auxquels nous avons affaire ne se montrent pas très coopératifs. S'ils résistent de quelque façon, on n'a pas le temps d'enfiler ses gants de caoutchouc.

Des gens se sont plaint d'agents de police parce qu'ils les avaient approchés après avoir enfilé des gants de caoutchouc. Nous nous trouvons dans un dilemme. En fait, que pouvons-nous faire? Nous estimons que c'est une mesure justifiée. Bien que l'information soit bonne et que les précautions universelles soient aussi bonnes que possibles, à notre avis elles ne suffisent tout simplement pas.

Le président: Merci.

M. Gerald Chipeur: Pour ce qui est du lien avec la criminalité, il ne fait aucun doute à mon avis que quand le Parlement légifère pour faciliter le travail de ceux qui ont pour responsabilité de faire respecter le Code criminel—autrement dit, pour réduire l'anxiété qu'ils peuvent ressentir, réduire le temps où ils ne sont pas au travail—il ne fait aucun doute qu'il existe nécessairement un lien avec le Code criminel qui relève de la compétence du gouvernement fédéral. Je crois donc qu'il existe nécessairement un lien, sur le plan constitutionnel, qui justifie cette partie II de la loi.

Vous m'avez demandé si je proposerais des amendements. Je dirais que la partie II, telle qu'elle est rédigée, est constitutionnelle.

Il y a deux points qu'on pourrait clarifier. Mais ce n'est qu'une question de rédaction, et non pas de valeur constitutionnelle. D'abord il y a la question de la confidentialité, qui oblige l'agent de police ou l'agent de la paix à respecter le caractère confidentiel de l'information. Je pense qu'il existe déjà des lois dont on pourrait se servir à ce propos, mais il vaut peut-être mieux le redire dans la présente mesure législative.

Deuxièmement, il s'agit de savoir si la personne est informée. Encore une fois, la déontologie médicale pourrait s'appliquer mais il serait préférable de modifier le projet de loi afin de garantir, là où c'est possible, l'intégrité de la personne et la possibilité qu'elle a de refuser de connaître son état si ce n'est pas nécessaire pour atteindre l'objectif du projet de loi, c'est-à-dire d'aider les agents de la paix à prendre la bonne décision en matière de soins de santé.

Le président: Je vous remercie.

M. Strahl pourra poser la dernière question. Mais avant, puisque tout le monde sera pressé de partir, je profite de l'occasion pour vous souhaiter un bon été. Je vous rappelle aussi que si vous avez des noms de témoins à proposer, veuillez le faire. Nous avons reçu quelque chose de M. Strahl. Nous n'avons pas eu des suggestions de tout le monde mais je vous y invite.

Monsieur Strahl.

M. Chuck Strahl: Merci.

Encore une fois, je voudrais remercier tous les témoins. Ils m'ont aidé à mieux clarifier pour moi-même certains des amendements qui me semblent nécessaires, surtout à la partie II, où j'ai essayé de protéger le caractère confidentiel. Je suis conscient de son importance et j'accepte les conseils à ce sujet. Je pensais qu'il serait possible de le faire par voie de règlement mais s'il faut des modifications précises, je pense qu'il faudrait examiner les moyens de rassurer la population en affirmant que cet aspect confidentiel sera maintenu.

Je dois dire à M. Elliott qu'une personne qui, sachant qu'elle était atteinte du sida, a mordu un agent de police et a reçu une peine de deux ans moins un jour, a reçu, à mon avis, une peine tout à fait indiquée. Je lui collerais le maximum encore une fois. J'estime que c'est... Je dois dire que je n'ai pas pu suivre votre raisonnement mais c'est simplement une observation générale.

J'aimerais aussi entendre la réponse de M. Chipeur à une question posée précédemment. Hier les représentants du service juridique nous ont dit qu'au lieu de faire décerner ce genre de mandat par un juge de paix, il serait préférable de s'adresser à un juge d'une cour supérieure, que ce sera une meilleure façon de procéder, cela permettrait d'offrir de meilleures garanties contre des demandes frivoles etc. J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet et aussi, si vous voulez bien, au sujet de l'utilisation des mandats électroniques.

• 1735

Après la préparation de ce projet de loi, j'ai reçu des commentaires d'un chef de police qui a essayé les mandats électroniques et qui a trouvé que c'était une méthode très efficace. Les tribunaux et les juges ont également eu la même réaction, ils trouvent que c'est une façon très efficace d'obtenir rapidement les mandats lorsque cela s'avère nécessaire, à la discrétion du juge, bien entendu. Vous pourriez peut-être nous faire profiter de votre expérience. Je ne sais pas si ce serait utile mais ce chef de police a proposé que nous examinions sérieusement cette possibilité. J'aimerais donc connaître votre opinion là-dessus, c'est-à-dire le recours à un juge d'une cour supérieure et l'utilisation des mandats.

M. Gerald Chipeur: J'estime qu'un juge de paix est l'autorité compétente pour prendre une décision dans ce genre de situation. Il y a eu récemment en Alberta une cause où l'on a parlé du rôle des juges de paix. Les juges de paix doivent souvent trancher sur des questions de culpabilité mais puisqu'il ne s'agit pas ici de questions de culpabilité, ce n'est pas nécessaire de s'adresser à un juge d'une cour supérieure.

La question ici est assez simple. La personne qui fait la demande agit-elle de bonne foi? Y a-t-il des avis de médecin pour appuyer la demande? Il faut donc une tierce partie pour s'assurer qu'il y a un avis médical et que la personne agit de bonne foi. Il n'est pas nécessaire d'avoir l'équivalent d'un tribunal de première instance pour trancher ces questions. Le juge de paix suffit. Je pense que ce serait un recours injustifié au juge d'une cour supérieure—ce n'est pas qu'il ne serait pas en mesure de faire le travail, mais à mon avis ce n'est pas une utilisation appropriée des ressources judiciaires.

La deuxième question est une question plus vaste. Si on autorise par le biais du Code criminel et d'autres lois fédérales l'utilisation de moyens électroniques afin de prendre ces décisions et établir ces ordonnances, alors se serait tout à fait indiqué de le prévoir dans ce cas-ci mais je ne pense pas que ce soit un domaine où il faut une loi spéciale à ce sujet.

Le président: Je vous remercie beaucoup. On peut voir clignoter les lumières. Je vous remercie beaucoup mesdames et messieurs.

La séance est levée.