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HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 2 mars 2000

• 1115

[Français]

Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Je déclare ouverte cette réunion du Comité permanent du patrimoine canadien.

[Traduction]

L'objet de la réunion d'aujourd'hui consiste à poursuivre l'étude de l'industrie canadienne de l'édition du livre.

[Français]

Nous poursuivons notre étude de l'industrie canadienne de l'édition du livre. Monsieur de Savoye, vous m'aviez demandé de prendre brièvement la parole.

M. Pierre de Savoye (Portneuf, BQ): Je fais appel au Règlement. Je sais que j'ai dû interrompre une intervention faute de quorum mardi. On sait que le quorum pour l'audition des témoins et celui pour le débat sont deux quorums différents. Tant et aussi longtemps que le quorum nécessaire pour le débat ne sera pas atteint, il est évident que je ne reprendrai pas ce débat.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur de Savoye, de votre précision.

Nous avons le grand plaisir d'accueillir aujourd'hui, de la Bibliothèque nationale du Canada, son administrateur général, M. Roch Carrier, dont la réputation l'a précédé et n'a plus à être faite. Nous vous remercions, monsieur Carrier, d'être venu nous rejoindre.

Avant que ne débute la table ronde, nous avions convenu de consacrer la première demi-heure à M. Carrier. Nous l'écouterons d'abord pendant une dizaine de minutes, après quoi nous pourrons lui poser des questions.

Monsieur Carrier, la parole est à vous.

M. Roch Carrier (administrateur général, Bibliothèque nationale du Canada): Monsieur le président, messieurs et mesdames les membres du comité, je vous remercie de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à vous parler ce matin. Nous avons préparé, à la Bibliothèque nationale du Canada, une série de documents qui vous ont été distribués ou qui le seront. Alors, je ne répéterai pas exactement ce qu'on peut y lire.

J'aimerais vous dire que pendant les 40 dernières années, j'ai travaillé dans le domaine du livre. J'ai été un écrivain rejeté, un écrivain publié, un écrivain populaire, un écrivain sur son déclin et un écrivain qui va faire un retour. J'ai été éditeur, j'ai été directeur du Conseil des arts et je dois vous dire à quel point je suis fier d'avoir participé à cette industrie.

J'entends dire que nous avons des problèmes aujourd'hui. Je me reporte à il y a 40 ou 35 ans, quand la situation était beaucoup plus difficile. Mais, grâce au travail de nos créateurs, grâce aussi à l'ingéniosité de certains commerçants et surtout grâce à des politiques visionnaires du gouvernement, qui investissait du capital de risque dans le talent de nos Canadiens, nous avons créé une industrie dont on dit aujourd'hui que certains de ses membres sont trop costauds. Peut-être est-ce un problème, mais c'est un beau problème à avoir.

J'ai connu une autre période où le problème était la faiblesse. Si on a trouvé dans le passé des solutions qui ont permis ce succès extraordinaire, il y a 30 ans, quand on parlait de littérature canadienne, on ne savait pas ce que c'était. Ça existait à peine, à l'exception de quelques pionniers que je veux saluer aujourd'hui.

La littérature pour enfants était une littérature importée. Quand mes enfants grandissaient, ils lisaient des livres importés d'ailleurs. Jamais il n'y avait un petit Canadien qui était le héros; les héros étaient toujours de petits étrangers. Il faut être ouvert sur le monde, mais il faut aussi savoir qui on est.

• 1120

Maintenant, la littérature canadienne est une littérature internationale, une littérature qui est lue partout. Son plus grand succès est peut-être celui de la littérature pour enfants. Pourquoi? Parce qu'on a eu une politique visionnaire, une politique qui prenait soin de l'écologie de tout le système du livre.

Je crains que lorsqu'on analyse une situation, on ne se fixe trop précisément sur des enjeux plus visibles.

[Traduction]

J'estime cependant que si nous voulons résoudre les problèmes dont j'ai parlé, nous devons envisager l'écologie dans son ensemble. Tout d'abord, le pays est vaste. Ainsi, il en coûte cher de transporter un livre par camion de Toronto à Yellowknife. Nous avons deux langues officielles, et certaines personnes qui parlent l'une des langues ne lisent pas ce qui s'écrit dans l'autre langue. Voilà un autre défi. La diversité culturelle est une réalité chez nous.

Bien qu'il soit plutôt attristant d'en faire état dans une salle dont un mur est orné par un tableau qui s'intitule The Spirit of the Printed Word, le Canada affiche un taux d'analphabétisme d'environ 26 p. 100. Pour un pays riche comme le Canada, doté d'un bon système d'éducation, voilà tout un défi. Nous avons cependant l'avantage de disposer d'institutions comme les bibliothèques. Pour l'ensemble du Canada, on en compte environ 22 000. Nous ne le savons pas exactement, étant donné que nos données statistiques sont assez peu fiables. J'invite d'ailleurs le comité à porter un intérêt particulier aux statistiques qui lui sont fournies. On le fait avec toute la bonne volonté du monde, je le comprends bien, mais l'information dont nous disposons est assez précaire. Les 22 000 bibliothèques dont j'ai parlé déploient de grands efforts pour favoriser l'alphabétisation.

[Français]

Dans toutes sortes de bibliothèques locales, vous avez des programmes qui sont absolument magnifiques pour faire la promotion de la lecture, la promotion du livre. Je vous parle avec beaucoup d'enthousiasme et de conviction de cet aspect parce que le livre a changé ma vie. Si un jour je n'avais pas rencontré sur mon chemin un livre, si je n'avais pas ouvert un livre, aujourd'hui je ne serais pas en train de parler à votre comité très distingué. Je serais dans ma forêt en train de couper des arbres, comme tous mes bons amis de l'époque. Le livre a changé ma vie. Quand je vais dans une bibliothèque et que je vois la bibliothécaire donner un livre à un enfant, je me demande si elle est train de changer la vie de cet enfant.

Nous ne pouvons pas parler de la question globale du livre sans inclure, bien sûr, ce réseau extraordinaire de bibliothèques qui font un travail remarquable dans la promotion du livre, la promotion de la lecture et la distribution de l'information. Elles font partie de cette écologie dont je vous parle.

Bien sûr, il faut penser aussi au Conseil des arts du Canada qui, à l'époque, a investi 4 000 $ dans ma personne. Je ne voudrais pas juger si c'était un bon investissement ou un mauvais investissement; on en jugera autrement.

• 1125

Souvent, le Conseil des arts, avec beaucoup de jugement, en prenant des risques mesurés, a permis à des talents de se trouver. La solution au problème du présent n'est certainement pas d'enlever ce soutien qui fertilise le talent et qui donne des possibilités.

En tant qu'administrateurs de la Bibliothèque nationale du Canada, bien sûr, nous fournissons des appuis considérables au domaine du livre, à l'industrie du livre.

[Traduction]

Nous sommes responsables de l'attribution de l'ISBN et du CIP. Vous trouverez des renseignements à cet égard dans les documents qui vous ont été distribués.

Nous donnons également accès au merveilleux système AMICUS, grâce auquel tous les Canadiens peuvent avoir accès au catalogue de la Bibliothèque nationale, à des renseignements au sujet des livres qu'il contient, et avoir accès également aux livres des collections de 500 bibliothèques au Canada.

Je dois dire que je suis revenu quelque peu attristé de ma tournée du Canada, ayant constaté que, dans un monde où on préconise volontiers l'accès gratuit à l'information, nous devons imposer un droit d'utilisation du système AMICUS. Je vais pour ma part faire campagne pour convaincre tous les intéressés qu'un tel service destiné aux Canadiens devrait être gratuit, et je serais honoré de tout appui que pourrait m'accorder le comité à cet égard. Certaines bibliothèques ne peuvent se permettre de payer les frais d'abonnement à ce système. Elles se tournent donc vers la Library of Congress pour obtenir l'information gratuitement. Je tenais à vous le faire savoir.

Au risque de me répéter, je tiens à vous dire qu'il nous faut être en mesure de fournir de meilleures données statistiques et que cela coûte quelque chose, même si le coût n'est pas élevé. À cause des compressions budgétaires, il est devenu très difficile de fournir un tel service.

Je vous dirai pour terminer que j'ai été honoré de prendre la parole devant vous. Je vous prie de ne pas vous intéresser outre mesure à ce qui est trop général, ni à ce qui est trop particulier, mais de faire porter votre attention sur l'écologie d'ensemble du système. Notre répertoire contient une liste de 20 000 éditeurs canadiens. Certains sont de grande taille, d'autres assez petits, et d'autres très petits. La nouvelle technologie donne lieu à une diversification du secteur. J'entends dire que le secteur connaît certaines difficultés, et il faut dire que c'est un peu vrai. Cependant, d'après certains chiffres dont nous disposons, je constate une sorte d'explosion dans le domaine de l'édition, et il s'agit là d'un aspect dont vous devez tenir compte.

Je vous remercie de m'avoir écouté.

[Français]

J'espère ne pas avoir abusé de mon temps, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Carrier. C'est un honneur pour nous de vous recevoir.

[Traduction]

Nous allons accorder une quinzaine ou une vingtaine de minutes tout au plus pour les questions, étant donné que nous avons prévu une table ronde après l'exposé. Je prie les députés d'être concis, et je propose que chaque parti politique se limite à une question, si vous êtes d'accord. Nous allons commencer par M. Mark.

• 1130

M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je tiens à vous souhaiter la bienvenue. Nous sommes honorés de vous recevoir.

J'estime que la Bibliothèque nationale joue un rôle de chef de file pour ce qui est d'assurer l'organisation et la coordination de l'ensemble de notre réseau de bibliothèques. Il est certain que l'évolution technologique présente pour vous un défi de grande envergure.

Vous avez parlé de la Library of Congress, et j'ai moi-même fait appel aux services de cette bibliothèque, essentiellement parce qu'ils sont gratuits.

J'aimerais vous demander combien d'argent il nous faut pour moderniser ou améliorer nos systèmes de bibliothèques de manière à assurer l'accès dans tout le pays pour tous les Canadiens.

M. Roch Carrier: Je vous remercie de cette question. Et d'ailleurs il serait peut-être utile pour vous de nous visiter. Nous pourrions prévoir une tournée sur mesure qui vous permettrait de voir comment fonctionne notre organisation.

Vous avez également parlé de publication électronique. J'aurais dû vous signaler que l'un de nos plus grands défis concerne la conservation des publications électroniques. Dans la mesure où votre comité cherche à dégager une perspective d'avenir, ou même à mieux définir la situation actuelle, je vous invite à tenir compte de ce défi. En effet, même si la conservation des publications électroniques n'est pas un thème particulièrement porteur pour une campagne électorale, il s'agit d'une question très importante. En effet, c'est la conservation qui garantit l'accès.

Il faut se demander ce qu'il risque d'advenir d'un livre électronique deux ou trois ans après sa publication. Il y a là tout un défi, et la solution risque de coûter cher. Je ne saurais cependant chiffrer le coût.

Combien coûtera la modernisation de notre système de bibliothèques? J'estime qu'elle sera coûteuse.

J'aime bien parler de l'avenir, parler des enfants. Durant ma tournée du Canada, j'ai visité un certain nombre d'écoles. Je dois signaler à cet égard l'existence d'un grave problème à l'échelle du pays—et j'en ferai d'ailleurs l'un des thèmes de mes campagnes à titre d'administrateur général de la Bibliothèque nationale. Les bibliothèques de nos écoles sont en mauvais état. Il y a eu des compressions à droite et à gauche.

Certaines bibliothèques—et je ne parle pas ici de secteurs pauvres, mais plutôt de secteurs où il y a deux voitures devant la porte—n'ont pas de budget pour des livres. L'accès à Internet sert de prétexte commode. En effet, puisque tout est gratuit sur Internet, on n'a pas besoin d'acheter des livres.

Or, il faut dire que les livres sont là pour rester, et qu'ils le sont pour encore assez longtemps.

Le président: Monsieur Carrier, sans vouloir vous interrompre, permettez-moi de dire qu'il serait fort intéressant et utile pour les membres du comité de recevoir la description de votre plan, si plan il y a. Je ne vous demande pas de donner une réponse précise à M. MarK aujourd'hui, mais vous pourriez vous y attaquer une fois de retour à votre bureau. Je ne parle pas ici d'un plan d'un an, mais plutôt d'un plan pluriannuel qui comporterait des coûts, de manière à ce que les membres du comité aient une idée de l'ampleur de ce qui est prévu et des échéanciers.

[Français]

M. Roch Carrier: Monsieur le président, merci beaucoup pour la confiance que vous mettez en moi. J'ai moins confiance en moi qu'en mon équipe, qui va travailler très sérieusement en collaboration avec différentes associations de libraires scolaires. Nous vous fournirons un document avec grand plaisir.

Le président: Merci.

[Traduction]

Nous passerons bientôt à la table ronde; alors si nous pouvions avancer rapidement...

M. Cliff Breitkreuz (Yellowhead, Réf.): Après une brève question, peut-être.

Le président: D'accord.

[Français]

Monsieur de Savoye.

M. Pierre de Savoye: Monsieur Carrier, c'est un plaisir de vous écouter aujourd'hui. Vous nous dites que nous devrions considérer le portrait global. Vous avez même utilisé l'expression «l'écologie» de la chose.

• 1135

Personnellement, ce que j'ai compris des témoins qui vous ont précédé, c'est qu'il y avait un genre d'urgence, comme si l'écologie était perturbée d'une façon ponctuelle, mais extrêmement pressante. Ce que j'ai ressenti comme crainte de la part de ces gens qui ont des librairies de petite dimension, c'est qu'il y avait un risque qu'elles disparaissent au profit de grandes surfaces et d'autres moyens de distribution de livres, particulièrement les moyens électroniques. Est-ce que vous ne craignez pas que l'écologie soit perturbée de telle façon par ces nouveaux moyens et que le résultat soit que l'enfant ait moins accès aux livres solides que nous connaissons? Vous avez vous-même évoqué le fait que certaines écoles n'achetaient plus de volumes parce qu'on peut maintenant en avoir le contenu gratuitement par l'entremise d'Internet. Est-ce que vous croyez que c'est vraiment la bonne façon de poursuivre les choses? Sinon, qu'est-ce qu'on peut faire à très court terme pour permettre une transition harmonieuse qui va être profitable à l'ensemble de la société et à la jeunesse en émergence?

Le président: Pourrais-je vous suggérer de prendre une note mentale de cette question qui est très pertinente? Je passerai tout de suite à nos autres collègues afin qu'ils puissent poser toutes leurs questions et que vous puissiez y donner une réponse en conclusion. Je donnerai la parole à M. Bélanger et Mme Lill.

[Traduction]

Madame Lill, pouvez-vous poser votre question de telle manière que M. Carrier puisse donner une seule réponse?

Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Je tiens à vous remercier de votre comparution. Nous sommes honorés de vous accueillir.

Je dois vous dire que j'ai eu l'occasion de parler à bon nombre d'enseignants et de bibliothécaires dans mon milieu. Ces gens-là sont désolés de l'absence de livres dans leurs bibliothèques. Les livres qu'ils utilisent sont souvent écornés, vieux et disparates. Ils doivent littéralement se contenter de matériel qui n'a aucun attrait pour les enfants. De telle sorte que le livre n'est plus un objet convoité ou désiré.

Il est merveilleux de pouvoir dire qu'un livre nous a touché, nous a vraiment fait quelque chose. Et si nous voulons qu'il en soit ainsi pour nos enfants de l'an 2000, alors, comme vous l'avez dit, la tâche est énorme. Je serais pour ma part très enthousiasmée de voir la Bibliothèque nationale lancer une forme quelconque de croisade à cet égard, et je me ferais certainement un plaisir de mettre l'épaule à la roue.

Nous avons entendu parler par le passé du problème que pose l'entreposage des livres. En effet, il semble qu'il y ait dans vos locaux des centaines de milliers de livres menacés de désintégration du fait qu'ils n'ont pas été traités et protégés comme il se doit. Dans quelle mesure a-t-on pu régler le problème, ou existe-t-il encore?

Le président: Mark Muise.

[Français]

M. Mark Muise (Ouest Nova, PC): Monsieur Carrier, vous nous dites que nous faisons aujourd'hui face à un problème très différent de ceux que nous avons éprouvés dans le passé. Avant-hier, les libraires indépendants nous expliquaient qu'ils étaient réellement en danger de perdre leur habileté à desservir les petits créneaux qu'ils desservent. Je suis d'accord avec vous que le problème est différent d'il y a 35 ou 40 ans. Vous nous disiez de ne pas «focus on the small, but let's look at the big picture of the ecology».

J'aimerais que vous précisiez votre pensée là-dessus parce que selon moi, l'un ne va pas avec l'autre. Il est important de faire la promotion des auteurs qui sont moins connus, mais il ne faut quand même pas oublier les petits libraires indépendants qu'on empêche de jouer leur rôle et laisser toute la part du marché à une ou deux grosses chaînes, risquant ainsi de détruire tout le bon travail qu'on a fait au cours des 35 ou 40 dernières années.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Merci, monsieur le président. Je n'ai pas de questions, mais je vais être très opportuniste ce matin, si vous me le permettez. Le hasard fait parfois bien les choses.

À la suite de ce que je viens d'entendre, je vais profiter de l'occasion, d'autant plus que les médias sont présents dans cette salle, pour vous dire que ma collègue Nancy Karetak-Lindell, la députée du Nunavut, et moi avons annoncé ce matin une petite initiative qui sera mise en oeuvre en mars et dans le cadre de laquelle nous inviterons les habitants de la région de la capitale nationale à donner des livres que nous enverrons aux bibliothèques des écoles du Nunavut.

• 1140

La société aérienne Canadian North a accepté de transporter les livres, tandis que les cinq magasins Chapters et l'association des libraires indépendants de la région ont accepté de recueillir pendant le mois de mars les dons de livres de la part de ceux qui voudront aider les écoles du Nunavut. Je profite donc indûment de l'occasion pour annoncer à nouveau cette initiative que nous avons lancée ce matin. Merci.

Le président: Merci, monsieur Bélanger. Peut-être qu'en avril ou au cours des mois suivants, d'autres députés feront la même chose au bénéfice d'autres régions.

[Traduction]

Monsieur Breitkreuz, je vais maintenant vous autoriser à poser une très brève question, comme vous l'avez demandé.

M. Cliff Breitkreuz: Merci beaucoup, monsieur le président.

Je vous remercie de participer aux audiences du comité.

Il est certain que l'imprimé fait face aujourd'hui à une concurrence plus vive que jamais auparavant dans l'histoire. Avant l'ère technologique, l'écrit était le seul mode de communication, exception faite des échanges verbaux directs. Or, tel n'est plus le cas aujourd'hui.

J'aimerais en savoir davantage au sujet de la Bibliothèque nationale. J'aimerais savoir ce qu'englobent ses collections au juste. À titre d'information, donc, la Bibliothèque nationale contient-elle les trésors littéraires du Canada, les documents qui remontent à la découverte du pays, il y a plusieurs siècles?

Mon autre question, plus précise, porte sur AMICUS. En l'absence d'AMICUS, avez-vous dit, nous ne sommes pas en mesure de faire concurrence à la bibliothèque de Washington. Combien en coûterait-il donc pour que ce système soit accessible ici au Canada, de manière à ce que les Canadiens n'aient pas à aller outre-frontière?

[Français]

Le président: Monsieur Carrier, j'apprécierais que vous puissiez résumer toutes les questions. Je sais toutefois que c'est peut-être une tâche difficile. M. McCormick pourrait peut-être s'en acquitter, si vous le désirez.

M. Roch Carrier: Premièrement, j'aimerais mentionner, à la suite de l'intervention de M. Bélanger, que nous avons, à la Bibliothèque nationale du Canada, le programme

[Traduction]

«Great Canadian Book Exchange». Nous recevons de bibliothèques et d'autres sources dans tout le Canada des livres que nous transférons ensuite à d'autres intéressés. Depuis mon retour du Nunavut, justement, nous nous efforçons d'obtenir des livres pour les gens de cette région. Il s'agit là d'un service fort intéressant qui est assez peu connu.

Combien en coûtera-t-il pour moderniser notre système de bibliothèques scolaires? Assez peu. À la suite d'une campagne nationale menée à partir d'Ottawa pour sensibiliser la population à la situation déplorable des bibliothèques scolaires, on pourrait espérer que les pères, les mères, les grands-parents accepteraient d'investir un peu d'argent. Lorsqu'on investit sur les marchés, on risque de perdre. Par contre, si on investit dans l'enfance, on est certain de gagner.

Et les montants nécessaires ne sont pas exorbitants. Nous n'allons pas faire faillite pour avoir acheté des livres pour les bibliothèques scolaires. L'accès gratuit à AMICUS ne coûterait pas très cher. Il ne s'agirait ni d'un million de dollars, ni de 500 000 $. C'est tout simplement une question de volonté politique et d'information. Et je pense que nous y arriverons, puisque tous ceux à qui j'en parle sont d'accord pour dire que l'accès devrait être gratuit. Les Canadiens devraient avoir accès à leur propre information. C'est peut-être donc pour bientôt, compte tenu de l'intérêt que suscite cette question. Si vous abondez dans le même sens, ce sera merveilleux.

La chose imprimée est-elle en train de disparaître? D'après notre expérience à la Bibliothèque nationale, ce n'est certainement pas le cas. Notre collection compte 18 millions d'articles. Ce nombre augmente chaque année de 500 000. La chose imprimée—que ce soit sur papier ou sur support électronique—est en expansion d'après ce que nous pouvons constater et d'après ce que nous avons à classer sur nos rayons. Avons-nous les installations qu'il faut pour bien conserver tous ces documents? Le mandat de la Bibliothèque nationale est de conserver le patrimoine canadien. Je dois dire à regret que je ne dispose pas des installations qu'il faut pour le faire.

• 1145

Certaines parties de notre collection sont conservées dans des conditions à peine acceptables. À titre d'administrateur général, je dois dire qu'il s'agit là d'une situation que je ne serai pas en mesure de tolérer bien longtemps. Puisque j'ai à assumer la responsabilité, je vous demande de m'en donner les moyens.

Vous avez peut-être été informés par les journaux la semaine dernière d'une inondation. Nous subissons une inondation à peu près une fois par mois. Si vous le souhaitez, je suis en mesure de vous fournir une liste de 50 accidents. Les dommages n'ont pas été trop considérables, puisque notre équipe est très compétente. Cependant, un bon jour, un accident finira bien par nous coûter des milliers de dollars.

Enfin, je vous dirai que nous avons des documents qui remontent au début de notre histoire. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons acheté le document le plus ancien qui ait été écrit au sujet du Canada, et qui date de 1628. Il s'agit de deux papiers au sujet de l'invasion de Québec par Kirke. Si vous voulez lire le document, vous n'avez qu'à vous rendre au 395, rue Wellington—c'est à dix minutes à pied—pour le consulter sur place.

[Français]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Carrier, d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. Nous sommes très heureux que vous ayez pu le faire. Nous vous remercions également des renseignements que vous nous avez donnés et qui nous seront très utiles. Si vous le voulez, vous pouvez rester ici à titre d'invité d'honneur pour écouter la table ronde. Nous en serions bien heureux.

M. Roch Carrier: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: J'inviterais les participants à la table ronde à prendre leur place.

J'ai tout simplement quelques petits éléments d'information à vous communiquer au sujet de l'ordre que nous allons suivre. De cette façon, tout le monde saura à quoi s'en tenir. Nous avons plusieurs groupes devant nous, comme vous pouvez le constater; alors pour que vous puissiez tous présenter vos vues et que les députés puissent vous poser des questions, je vous demanderais de vous en tenir tout au plus à cinq minutes pour chacun de vos exposés. Il s'agit d'une table ronde; alors présentez-nous simplement les points saillants de vos textes.

• 1150

[Français]

Nous accorderons cinq minutes à une personne représentant un groupe de témoins. Lors de la dernière table ronde, deux ou trois personnes par groupe avaient pris la parole et il nous avait été très difficile de respecter notre horaire. Si vous me le permettez, je serai un petit peu à cheval sur ce principe, ce qui nous permettra justement de nous assurer que chaque groupe ait la chance de s'exprimer.

Nous distribuerons dès aujourd'hui aux membres du comité les mémoires qui ont été déposés dans les deux langues officielles, tandis que ceux qui n'ont été déposés que dans une seule langue devront d'abord être traduits.

[Traduction]

Si vous nous avez présenté un mémoire dans les deux langues officielles, le texte en sera remis aux députés aujourd'hui. Si vous l'avez produit dans une seule des deux langues officielles, il faudra le faire traduire, en conformité avec nos règles, avant qu'il puisse être remis aux députés. Il leur sera donc remis plus tard.

[Français]

Nous commencerons par entendre le représentant de l'Association nationale des éditeurs de livre, M. Gaëtan Lévesque.

M. Gaëtan Lévesque (vice-président, Édition de littérature générale, Association nationale des éditeurs de livres): Bonjour, monsieur le président. Je vous présente mon collègue Benoit Prieur, qui est le directeur adjoint de l'Association nationale des éditeurs. Puisque je dispose de très peu de temps, je passerai directement à vos questions.

Vous nous demandiez quelles étaient les premières difficultés rencontrées par les éditeurs et les distributeurs de livres canadiens. Je vous dirai que l'un des principaux problèmes que nous rencontrons est l'exiguïté du marché national et la vive concurrence des étrangers.

En ce qui concerne le marché national, au Canada, on compte 7 millions de francophones, soit 6 millions au Québec et 1 million à l'étranger. Pour la majorité des nos éditeurs, la petite taille du marché national et l'immense espace qui les sépare ont pour conséquence de limiter nos tirages et de diminuer ainsi la rentabilité de nos entreprises.

En ce qui concerne la concurrence étrangère, je vous dirai que de nombreux ouvrages sont produits à l'étranger et très efficacement distribués sur le marché canadien. Ils bénéficient d'un marché national plus vaste que le nôtre, ce qui leur permet d'amortir leurs frais et d'avoir une meilleure distribution et une meilleure mise en marché au Canada. On estime qu'au Québec, l'édition nationale, hors scolaire, occupe de 30 à 35 p. 100 du marché, tandis que l'édition étrangère en occupe de 65 à 70 p. 100.

Devant un problème de cette ampleur et la très grande difficulté que nous avons à rejoindre les lecteurs, nous recommandons à votre comité que le PAP augmente les budgets de promotion aux éditeurs pour le marché national, et que le PADIE accentue son soutien à l'exportation pour permettre aux éditeurs d'accéder au marché international et bonifie le budget de l'AELC, l'Association pour l'exportation du livre canadien, afin de maintenir son appui aux activités dans les salons et foires à l'étranger.

Comme deuxième question, vous nous demandiez quelles incidences ont eu les nouvelles technologies sur nos pratiques commerciales au cours des dernières années. Bon nombre d'éditeurs canadiens importants possèdent déjà un site Internet pour la promotion de leurs ouvrages. Il s'agit pour eux d'une nouvelle forme de publicité. Par contre, la grande majorité des éditeurs québécois hésitent à vendre des livres directement au public par le biais de ces pages web afin de ne pas contrevenir à l'esprit et aux objectifs de la Loi 51 et de ne pas court-circuiter les librairies et les distributeurs. C'est un problème très délicat au Québec.

Au Québec, les ventes en ligne se font principalement par le biais des pages web des librairies québécoises Archambault et Renaud-Bray, et des librairies canadiennes, dont Chapters. On voit également les livres de certains éditeurs québécois sur les pages web états-uniennes de Amazon ou Barnes & Noble, et aussi sur les pages web européennes Bibliopolis et 00h00.com

• 1155

Il est important de mentionner qu'un sondage réalisé par l'ANEL et la SODEC en novembre dernier révèle qu'à peine environ 2 p. 100 des Québécois avaient acheté un livre sur Internet au cours de la dernière année. C'est donc une proportion très marginale. Nous sommes toutefois conscients qu'il s'agit d'un secteur à développer. Quelques expériences ont été faites au Québec par le Groupe Beauchemin, les Presses de l'Université de Montréal et les Éditions Québec-Amérique, mais nous n'en connaissons pas encore les résultats.

Quel genre d'initiatives pensez-vous prendre dans l'avenir immédiat face à l'importante croissance du commerce électronique? Comme je vous l'ai dit, on est conscients de l'importance du commerce électronique, et les éditeurs canadiens doivent prendre leur place. Cette place se prendra, du moins au Québec, par le biais des librairies, afin de sauvegarder la Loi 51.

Individuellement, les éditeurs doivent tenter d'être indexés sur le plus grand nombre de librairies virtuelles, tant au Canada qu'à l'étranger, et collectivement, ils doivent souhaiter qu'une librairie canadienne devienne la référence incontournable dans ce domaine, à l'image d'Amazon, par exemple.

Quel genre de relations souhaitez-vous que votre société entretienne avec les libraires indépendants, les grandes chaînes de librairies, les écrivains et les bibliothèques publiques? Les éditeurs souhaitent que les librairies et les bibliothèques canadiennes présentent l'édition nationale en priorité, dans toute sa diversité. Ils souhaitent aussi que les grandes chaînes de librairies ne profitent pas de leur situation pour exiger des remises supplémentaires aux éditeurs. Il faut que le Bureau de la concurrence surveille de près les grossistes afin d'éviter les monopoles.

Quel rôle croyez-vous que le gouvernement du Canada devrait jouer pour bien servir les intérêts des écrivains, des lecteurs, des éditeurs, des distributeurs et des libraires? Nous souhaitons évidemment que le gouvernement canadien continue de soutenir la création et l'édition nationale, favorise la diffusion de livres en français dans les autres provinces et territoires canadiens, soutienne la création de librairies virtuelles canadiennes à partir de librairies ayant déjà pignon sur rue et soutienne aussi le développement des sites individuels des éditeurs pour la promotion internationale et des sites collectifs, par exemple pour la vente de droits, ou des sites thématiques.

Je vous remercie de votre attention. J'espère ne pas avoir pris trop de temps.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lévesque. Au contraire, je vous remercie de votre discipline.

[Traduction]

J'invite maintenant le président de l'Association of Canadian Publishers, M. Michael Harrison, à prendre la parole.

M. Michael Harrison (président, Association of Canadian Publishers): Merci, monsieur le président, et merci de nous avoir invités à participer à cette séance.

Je tiens à vous présenter Susan Renouf, vice-présidente de l'Association of Canadian Publishers, qui m'accompagne.

Il est important d'entrée de jeu de décrire un peu l'écologie, selon le terme utilisé par M. Carrier, de décrire le monde dans lequel nous exerçons notre activité et l'écologie qui le caractérise.

En décembre, votre comité a entendu des fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien, et nous vous félicitons pour le rapport qui a été rédigé par ces fonctionnaires et qui sert d'excellent point de départ pour comprendre notre industrie.

Permettez-moi simplement de vous rappeler quelques petits éléments d'information. L'ACP compte 145 membres, répartis d'un océan à l'autre, dans toutes les provinces et dans un des territoires en tout cas. Les maisons d'édition de propriété canadienne sont à l'origine de 80 p. 100 des titres qui sont publiés au Canada, et ce, depuis bien des années déjà.

L'an dernier, le Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition, qui a sans doute des données plus précises et plus à jour en tout cas que Statistique Canada, a examiné la situation de 201 maisons d'édition qui participaient au PADIE—une bonne part de nos membres seraient inclus dans ce nombre—et a rapporté que ces maisons avaient au total pour 570 millions de dollars de revenu. Elles payaient quelque 50 millions de dollars en droits d'auteur. Le point essentiel qu'il faut retenir de tout cela, c'est que la marge bénéficiaire du groupe avant impôt était de moins de 2 p. 100.

Il est absolument essentiel que vous compreniez ce point-là pour comprendre notre industrie. Pourquoi en est-il ainsi? Nous croyons que ce n'est pas parce que nous ne savons pas faire des affaires; selon nous, c'est parce que nous publions au Canada. Essentiellement, le milieu dans lequel nous exerçons notre activité nous pose un problème. C'est que, voyez-vous, nous avons un marché ouvert. Au Canada, on a accès facilement et sans aucune entrave à des livres du monde entier. Pour nous, cela veut dire essentiellement que nos voisins du Sud dominent le marché et fixent le prix auquel nous pouvons vendre nos livres.

• 1200

Quand on publie toutefois pour le marché canadien, comme nous le faisons—c'est quelque chose qui nous tient énormément à coeur—on est circonscrit par l'importance beaucoup moins grande des tirages. Autrement dit, les économies d'échelle des maisons d'édition canadiennes sont sensiblement différentes de celles dont bénéficient nos principaux compétiteurs au sud de la frontière. Voilà qui explique finalement pourquoi les marges sont si minces. C'est là ce qui explique aussi, à bien des égards, tout le reste.

Ces dernières années, nous avons dû constamment relever des défis, comme n'importe quelle entreprise. Notre industrie est essentiellement constituée de petites entreprises. Même les plus grosses maisons de propriété canadienne sont assez petites, en tout cas quand on les compare aux maisons comme Time Warners et Random House. Nous avons également dû résister aux nouvelles entreprises fusionnées qui ont été créées et nous avons des compétiteurs au portefeuille extrêmement bien garni qui ont les moyens de payer des avances plus élevées aux auteurs, qui peuvent publier chez qui ils veulent. Bien entendu, il en résulte des pressions pour nous. Il est bien plus difficile pour nos maisons d'édition d'avoir accès aux auteurs qui, grâce à leur succès, assurent aux maisons d'édition les revenus importants qui leur permettent de financer le vaste éventail de titres qu'elles publient.

Bien entendu, au milieu de tout cela, il y a aussi le changement technologique, notamment l'avènement de la vente en ligne. Il ne fait aucun doute que nous sommes d'accord avec les distributeurs canadiens en ligne pour dire que Amazon.com et barnesandnoble.com posent un défi intéressant pour les maisons d'édition canadiennes. Ces entreprises peuvent vendre directement à nos consommateurs, si bien qu'elles sont effectivement en concurrence avec les libraires canadiens.

Par ailleurs, l'avènement de la distribution électronique des livres, que ce soit sous forme d'impression instantanée ou même sous une forme encore plus actuelle, celle de la distribution électronique numérique, dont il est question dans un article du Globe and Mail d'aujourd'hui sur l'avènement du livre fusée, constitue bien entendu un progrès à nos yeux, mais il faut de l'argent pour pouvoir y participer. Quand une maison n'a qu'une très petite marge bénéficiaire, elle n'a pas beaucoup de marge de manoeuvre pour ce qui est de se lancer dans de nouvelles entreprises. Il est très difficile de soutenir la concurrence en se lançant dans de nouvelles voies quand on doit aussi s'occuper du commerce traditionnel, qui occupe toujours une place importante.

Chapters est arrivée sur la scène, et nous avons assisté aussi à l'apparition d'autres magasins-entrepôts ou de méga-détaillants qui ont eu un impact sur notre écologie. Nous ne savons toujours pas ce qui sortira de tout cela, mais, comme votre comité le sait bien, il ne fait aucun doute que ces nouveaux arrivants ont évincé du marché des détaillants importants, comme les Britnell, les Duthie, les Writers & Company, qui étaient là depuis longtemps et qui assuraient aux Canadiens un excellent service de distribution de livres.

Par contre, il ne fait aucun doute que Chapters a beaucoup fait pour relancer la vente au détail du livre. Chapters a suscité l'intérêt pour les livres, a construit des librairies impressionnantes et a incité d'autres grandes librairies à lui faire concurrence. Comme nous le savons, sur le marché anglophone en tout cas, Indigo est aussi un concurrent de taille avec ses grandes librairies.

La librairie Chapters étant née, bien entendu, de la fusion de deux libraires indépendants, Coles et Smith, elle s'est retrouvée automatiquement de ce fait avec une part énorme du marché canadien. On ne s'entend toujours pas sur les chiffres. Chapters dit qu'elle a 25 p. 100 du marché. D'après ce que nous pouvons constater, il s'agit toutefois de 25 p. 100 du marché total, où elle inclut les ventes de manuels scolaires dans les écoles primaires et secondaires, qui n'entrent manifestement pas dans leur secteur d'activité. Il serait plus réaliste à notre avis de dire que, pour les ouvrages de consommation générale, Chapters représente 40 p. 100 environ du marché des petites maisons d'édition et 60 p. 100, voire même 70 p. 100, de celui des grandes maisons. Il s'agit du principal acheteur de titres canadiens d'intérêt général, du moins du côté anglais.

Cette situation crée en soi des problèmes, car il y a une foule de menus détails concernant l'activité commerciale de l'entreprise. Comment s'y prend-elle pour commander ses livres? Comment s'y prend-elle pour payer ses factures? Je peux vous dire ce que j'en sais d'après mon expérience, et je peux vous garantir que nous avons une bonne part des factures que nous avons envoyées à Chapters qui restent impayées pendant plus de 120 jours. Or, quelqu'un doit assumer ce coût de détention, ce qu'il en coûte de laisser ces capitaux inactifs. C'est quelque chose qui coûte cher, il va sans dire, et qui fait baisser encore plus les profits des maisons d'édition.

• 1205

Passons à un autre point: il faut comprendre que notre association ne peut pas agir comme mandataire de ses membres. Chaque maison d'édition doit traiter elle-même avec le grand détaillant. Cela nous cause des problèmes. Je peux toutefois vous dire que, quand le grossiste a été créé, l'annonce en ayant été faite à la surprise générale l'an dernier, notre association a reçu plus d'appels de membres qui s'inquiétaient de cette situation qu'elle n'en avait reçu au sujet de n'importe quelle question au cours des cinq dernières années, période pendant laquelle, soit dit en passant, l'examen de programme s'est traduit par une baisse de 55 p. 100 des subventions versées aux éditeurs. La création de ce grossiste est un problème d'importance majeure pour nos membres, et pourtant nous avons l'impression de ne pas pouvoir la dénoncer. C'est notre plus gros client qui est en cause; nous voulons continuer à traiter avec lui, mais cela peut devenir très difficile.

Le gros problème qui a surgi ces derniers temps tient aux remises plus élevées que Pegasus exige des maisons d'édition qui veulent traiter avec Chapters. Il y a à cet égard une foule de détails qui mériteraient un examen plus approfondi, mais il va sans dire que faire passer les remises de 45 p. 100 à 50 p. 100 causera un tort réel.

Si nous passons maintenant à ce que nous attendons de votre comité, nous aimerions, naturellement, que le gouvernement continue à appuyer l'industrie canadienne par sa politique et par ses incitations financières. Nous sommes d'avis que l'industrie joue un rôle vital dans notre culture nationale.

Je crois qu'il faut s'interroger aussi sur l'efficacité de la Loi sur la concurrence. Nous nous demandons s'il n'y aurait pas lieu de réexaminer cette loi pour voir s'il n'y aurait pas moyen de la renforcer. Comme je ne m'y connais pas vraiment dans ce domaine, je n'ai pas de propositions à vous faire en ce sens.

Bien que le Bureau de la concurrence ait autorisé Chapters à étendre son activité en créant Pegasus, nous sommes heureux qu'il ait décidé de continuer à surveiller la situation. Nous demanderions toutefois au comité de veiller à ce que cette surveillance continue à s'exercer, et ce, de façon diligente.

Enfin, il nous semble que notre industrie a fait l'objet de beaucoup de rapports et d'études. Nous estimons que le moment est peut-être venu de faire une étude d'envergure sur le secteur de la vente au détail du livre au Canada.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Harrison.

[Français]

J'invite le porte-parole du Regroupement des éditeurs canadiens-français, M. Marcel Ouellette, éditeur-conseil, à prendre la parole.

M. Marcel Ouellette (éditeur-conseil, Regroupement des éditeurs canadiens-français): Merci beaucoup. Merci d'abord, monsieur le président, d'avoir songé à consulter Le Regroupement des éditeurs canadiens-français au sujet de la distribution du livre au pays. Je vous rappelle que le Regroupement des éditeurs canadiens-français regroupe les éditeurs francophones de l'extérieur du Québec. Vous pouvez donc déjà deviner que ces éditeurs vivent des conditions qui sont uniques et assez particulières.

Mon collègue Gaëtan Lévesque de l'ANEL a fait un rapide calcul du marché du livre francophone au pays: 6 millions au Québec et 1 million à l'extérieur du Québec. Compte tenu de l'étendue du territoire, on peut se rendre compte que les Canadiens français, comme vous le savez tous, sont disséminés. Le grand défi des éditeurs canadiens de langue française à l'extérieur du Québec consiste à rejoindre leur principal marché qui est d'une part disséminé et d'autre part limité.

Un des grands défis des éditeurs canadiens-français—veuillez me pardonner d'utiliser le qualificatif «canadiens-français» en excluant le Québec, mais je le fais à des fins de simplification—dans le cas de l'industrie de l'édition canadienne, c'est que de nombreuses questions qui touchent la distribution du livre font l'objet de grandes discussions et de commissions d'étude au Québec et que, par définition, nous n'avons pas alors le droit de parole. Il y a de très grandes questions qui se posent au Québec. Par exemple, il y a la question du prix unique, un principe qui est appliqué dans plusieurs pays, qui représente une possibilité réelle au Québec et qui aurait pour nous une incidence extrêmement importante. Le Québec constitue effectivement une part importante de notre marché, et ce principe de prix unique aurait également une incidence sur le milieu du livre canadien-français au Canada français. En effet, les frontières n'étant pas si étanches, nous devrions, nous aussi, adapter nos pratiques commerciales. Ce principe aurait également une extrême importance pour les éditeurs anglophones du Québec qui, on peut le deviner, auraient beaucoup de difficulté, eux aussi, à arrimer leurs pratiques au Québec et à l'extérieur du Québec.

• 1210

Je ne veux pas critiquer ce principe du prix unique, mais je crois que le gouvernement fédéral devrait se pencher sur ces questions et ne pas laisser l'industrie québécoise décider seule de ces grandes questions.

Évidemment, je reviens à une des grandes difficultés des éditeurs canadiens-français, soit d'avoir à oeuvrer dans un marché de très petite taille, où les réseaux de distribution du livre sont à peu près inexistants. Au Canada français, on n'a pas besoin des doigts des deux mains pour compter les librairies uniquement francophones. Il va sans dire que dans ce cadre-là, un des principaux objectifs du regroupement est d'aider les éditeurs à rejoindre ce marché et, d'autre part, d'aider ces communautés à avoir accès aux livres.

Dans les documents préparatoires, vous nous questionniez sur l'impact des nouvelles technologies. Il est indéniable que les nouvelles technologies ont un impact sur toute l'industrie de l'édition. On connaît l'importance d'Amazon.com dans le marché du livre. Depuis un an, Amazon.com travaille en vue de développer un service pour le livre de langue française. À mon avis, cette démarche comprend deux dangers: d'une part, que les ventes de livres par Internet soient concentrées sur le marché français, même si Amazon.com est aux États-Unis; et d'autre part, qu'Amazon.com intègre principalement le livre français dit «de France» en laissant très peu de place au livre canadiens-français.

Le Regroupement des éditeurs canadiens-français considère toutefois l'arrivée des nouvelles technologies comme étant une possibilité réelle de rejoindre un marché dispersé. Pour ce faire, le regroupement a mis sur pied, au cours de la dernière année, une entreprise de vente directe, une entreprise qui, par deux moyens distincts, vise à rejoindre la communauté canadienne-française. Nous avons imprimé un catalogue à 45 000 exemplaires et l'avons expédié dans des localités cibles, tout en respectant—je tiens à le mentionner—les localités où une librairie est déjà implantée. Deuxièmement, nous sommes en train de mettre sur pied un site Internet qui nous permettra, nous l'espérons, de rejoindre les communautés. Je rappelle toujours le double objectif de ce projet: évidemment, permettre aux éditeurs de rejoindre le marché qui est souvent leur principal marché; et deuxièmement, permettre à ces communautés d'avoir accès aux livres.

Une autre difficulté que rencontrent les éditeurs canadiens-français découle du fait qu'ils doivent oeuvrer dans une industrie où 95 p. 100 de l'industrie peut profiter de la Loi 51 au Québec. Bien qu'on ne reproche pas au Québec d'avoir mis en place des politiques pour développer l'industrie du livre, ces politiques créent vraiment des conditions de concurrence inégale pour nos éditeurs. Nous reconnaissons que nous essayons tous d'implanter chacun dans notre province un projet de politique du livre, mais nous déplorons le fait que cette démarche ne soit pas davantage arrimée sur l'ensemble du pays.

Si votre comité ou le ministère du Patrimoine canadien nous demandait de formuler des recommandations, nous vous dirions que nous appuyons le maintien de l'appui que le ministère du Patrimoine et le Conseil des arts du Canada ont reconnu aux éditeurs, tant canadiens-français que québécois et canadiens-anglais.

Les éditeurs ont aussi un besoin pressant d'aide pour la capitalisation des entreprises. On constate que les entreprises sont sous-capitalisées et qu'elles sont prêtes à changer de génération de propriétaires—c'est peut-être une mauvaise façon de l'exprimer—, ce qui crée des situations faisant en sorte que des maisons d'édition ferment leurs portes ou sont vendues.

Certaines personnes défendent l'amalgamation des maisons d'édition. Nous croyons toutefois que ces amalgamations se traduisent par une concentration du pouvoir dans l'industrie qui fait que certains joueurs arrivent à imposer leur vision à l'ensemble de l'industrie. Je ne partage pas l'enthousiasme de l'administrateur général de la Bibliothèque nationale face à cette question.

• 1215

Nous vous recommandons aussi que les débats, qui sont présentement d'ordre provincial, soient élargis, afin que les éditeurs canadiens-français puissent participer à l'établissement des politiques qui régiront l'industrie au cours des prochaines années.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ouellette.

J'aimerais maintenant passer au

[Traduction]

Canadian Publishers' Council, représenté par M. Claude Primeau, président-directeur général de HarperCollins Canada Ltd.,

[Français]

le président sortant immédiat du Conseil des éditeurs canadiens.

Monsieur Primeau.

M. Claude Primeau (président et chef de l'administration de HarperCollins Canada ltée, président sortant immédiat, Conseil des éditeurs canadiens): Monsieur le président et membres du comité, le Conseil des éditeurs canadiens vous remercie de votre invitation à comparaître aujourd'hui.

[Traduction]

Nos membres publient chaque année plus de 1 500 nouveaux titres d'auteurs canadiens. Nous dépensons 50 millions de dollars pour la publication de ces titres et près de 25 millions de dollars en droits que nous versons aux auteurs canadiens. Je suis très heureux de travailler dans un secteur comme le nôtre et de pouvoir vous citer des chiffres comme ceux-là. Nos membres emploient près de 3 000 employés et versent chaque année près de 100 millions de dollars en salaires.

Vous nous avez posé plusieurs questions. Vous nous avez interrogés sur la technologie, sur son impact pour nous, sur ce que nous devons faire et sur les conséquences pour l'avenir de l'édition. La technologie aura un impact très direct et très profond sur nous. Nous ne connaissons pas les réponses à beaucoup de ces questions.

Il y a maintenant des détaillants qui vendent des livres sur Internet. Les étudiants achètent leurs livres sur Internet au lieu de se rendre à leur librairie universitaire ou à une autre librairie. Nous avons maintenant le livre électronique—je commence à peine à savoir ce que c'est, et je suis président d'une maison d'édition. Au lieu de vous lire le texte de mon mémoire, je vous encourage à lire le cahier des affaires; c'est le cahier T du National Post d'aujourd'hui. Le cahier tout entier est consacré au livre électronique. Le voilà. Vous y trouverez la réponse à beaucoup des questions que nous nous posons au sujet de la technologie.

Vous savez, tout le monde veut se lancer dans la vente de livres de nos jours. C'est excellent. Les épiceries en vendent, les grossistes aussi, tout comme les quincailleries et les magasins d'ameublements.

Partout, on voit surgir de grandes surfaces. On y offre une foule d'activités divertissantes qui piquent la curiosité. C'est une sortie qui ne coûte pas cher. Vous y amenez votre femme le samedi soir, vous lui achetez un café et vous bouquinez. Cela ne coûte pas cher. C'est merveilleux. Ils attirent de nouveaux consommateurs. Ils accordent une place de choix aux ouvrages d'auteurs canadiens. Ils exercent aussi des pressions énormes sur les systèmes d'exploitation, de distribution et de ravitaillement des éditeurs canadiens. Ils exercent des pressions considérables sur nos liquidités. Nous devons payer nos factures. Nous devons payer nos employés. Chacun tire la couverture de son côté. Qui va être le premier à payer qui? Pour ma part, j'aime bien recevoir ma paie toutes les deux semaines. Il en va de même pour nos employés.

Par ailleurs—et vous avez déjà entendu une foule de témoins—le marché des librairies traditionnelles fait peau de chagrin. Des clients à moi de longue date, dont mon collègue Michael, ont fait faillite. Une librairie qui avait pignon sur rue à Toronto depuis 100 ans a disparu. On entend constamment parler de parts de marché. Notre marché est flou. Nous avons l'impression d'avoir moins d'emprise sur notre activité commerciale, et nous avons besoin de plus d'informations, etc.

Vous nous avez demandé de vous faire des recommandations. Nous estimons qu'il faut pouvoir lancer les auteurs sur de nouveaux marchés sans pour autant qu'ils risquent de perdre les marchés traditionnels. Nous voulons que le milieu des bibliothèques publiques soit un milieu dynamique. Nous appuyons la proposition de M. Carrier.

• 1220

Nous avons besoin au Canada de bibliothèques scolaires qui achètent beaucoup de livres. Je suis un vieux routier: je vends des livres depuis une trentaine d'années. Si vous me permettez un peu de nostalgie, je vous dirai que je me souviens de l'époque où les bibliothèques publiques et scolaires m'appelaient en novembre pour me dire: «Avez-vous des livres? Nous devons dépenser notre budget.» Cette époque est révolue, bien sûr.

Il faut maintenant racler les fonds de tiroirs. On n'a pas d'argent. Il faut demander aux enfants d'aller vendre des barres de chocolat, etc. Cette situation n'est pas très bonne pour nos enfants, ni pour mes petits-enfants.

À mon avis, il nous faut une industrie très vigoureuse. Nous avons besoin d'aide pour mettre au point les instruments technologiques qui nous permettront de suivre nos systèmes, etc. Nous sommes prêts à y investir. Nous avons besoin qu'on crée un climat propice.

Un de mes estimés collègues, qui se trouve de l'autre côté de la clôture, mais avec qui je fais des affaires, a terminé l'exposé qu'il a présenté au comité en citant un poète anglais. J'arrive maintenant à la fin de mon exposé. Vous n'aurez pas besoin de faire cela, monsieur le président, j'achève. Je voudrais conclure mon exposé en citant quelqu'un d'autre, pas un romancier anglais, mais un philosophe grec, Platon.

Dans ses dialogues, Platon a dit: «Si on enseigne au peuple à lire et à écrire, c'en sera fini de la poésie, car le meilleur moyen de transmettre la poésie, c'est par la tradition orale.»

Eh bien, Platon avait tort. Les gens ont appris à lire et à écrire. Nous avons publié des recueils de poésie. Nous avons vendu des livres de poésie, et d'autres types de livres. C'est pour cette raison que nous sommes là aujourd'hui, parce que Platon s'est trompé.

Nous ne sommes pas la première industrie à résister au changement. Les vagues du changement ne cessent de balayer les industries depuis que McLaughlin a fabriqué la première Cadillac à Oshawa. Les changements ont été multiples. Ce que nous pouvons faire de mieux dans un monde en évolution, c'est monter à bord du train du changement, d'en saisir les commandes et de l'aiguiller de manière à ce qu'il aide la population.

L'édition et le monde de l'édition évoluent. On n'arrête malheureusement pas le progrès. Je suis là depuis assez longtemps pour le savoir.

Ceux qui prédisent la disparition du livre et des libraires, quelle que soit leur taille, se trompent à mon avis. Je suis très optimiste.

Quand j'entends les gens dire que les libraires sont une espèce en voie d'extinction et que ceci ou cela est appelé à disparaître, cela me rappelle ce qu'on disait quand j'étais jeune, ou à l'époque où on cherchait à mettre au point des aliments pour les astronautes. On nous disait qu'il suffirait d'avaler une pilule avec un verre d'eau pour avoir un repas complet. Or, il y a maintenant 30 ans que le premier homme a marché sur la lune. Aujourd'hui encore, quand on se met à table devant un bon repas, ce n'est pas une pilule qu'on a dans son assiette, mais bien du rosbif et des patates pilées.

Savez-vous pourquoi? C'est parce que les gens aiment la chose en tant que telle. On ne mange pas des patates pilées avec de la sauce pour se nourrir, mais parce que les patates pilées avec de la sauce, c'est formidable à bien des égards—la chaleur, la texture, le goût, etc. Il en est ainsi des livres et des libraires. Quand on achète un livre, ce n'est pas simplement pour en obtenir de l'information, mais parce qu'on veut le savourer, le porter sur soi, le toucher, sentir son poids et se délecter de la chose comme telle.

• 1225

Quand j'en étais encore à mes premières armes, un vieux vendeur m'a dit: si tu veux être un bon vendeur de livres, il faut que tu aimes tâter les livres, les palper, les sentir. C'est ce que je répète encore aujourd'hui à nos vendeurs.

Je continue à acheter des livres chez les libraires indépendants. Je continuerai à me rendre dans les petites librairies indépendantes parce que j'aime bien parler au libraire de ses livres, de ses ambitions, de ce que les gens lisent, etc. J'aime aussi visiter les grandes surfaces qui m'offrent 20 000 livres parmi lesquels bouquiner.

Ce dont nous avons besoin de la part du comité, si je peux me permettre de vous le dire en toute hardiesse et humilité, c'est que vous encouragiez les Canadiens à prendre le temps de lire. Il faut faire ce que M. Carrier vous a suppliés de faire. Il faut créer au Canada un climat qui encourage les jeunes à vouloir lire des livres.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Primeau. Vous devez être un vendeur hors pair. J'ai pensé que vous alliez conclure en citant Platon, mais vous avez ensuite repris votre souffle. Vous m'avez eu.

M. Claude Primeau: Je voulais...

Une voix: Maintenant vous pouvez manger votre rosbif.

Le président: M. Siegler représente le Literary Press Group of Canada. Notre estimée collègue, Mme Lill, dit que la maison d'édition de M. Siegler, Talonbooks, a publié quatre de ses pièces.

Vous devez être très compétent, à en juger par la diffusion que vous avez assurée à ses pièces. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici.

Vous avez préparé un mémoire très volumineux, qui fait 30 pages. J'espère que vous ne le lirez pas ce matin. Vous pourriez peut-être le résumer. Il faut que nous laissions du temps aux députés. Il est presque 12 h 30; alors je m'en remets à vous pour résumer votre mémoire. Merci.

M. Karl Siegler (président du groupe de réflexion, Literary Press Group of Canada): Merci beaucoup, monsieur le président.

Mesdames et messieurs les membres du comité, chers collègues, je suis ici aujourd'hui pour représenter les intérêts du Literary Press Group of Canada, association nationale d'éditeurs spécialisés dans les oeuvres de poésie, de fiction, de théâtre et de belles- lettres. Je ne suis pas venu ici aujourd'hui pour parler de culture, mais de l'autre mot qui commence par c, la concurrence.

En tant que membre d'une association nationale d'éditeurs, la concurrence n'a rien de nouveau pour moi, et je ne m'y oppose pas le moindrement. Au contraire, je gagne ma vie en faisant chaque jour concurrence à mes collègues pour capter l'intérêt des lecteurs à l'échelle du Canada et du monde, et ce, depuis 26 ans.

La concurrence n'a sûrement pas une valeur inhérente pour notre société; nous l'apprécions plutôt parce qu'elle sert l'intérêt public ou la société dans son ensemble. Pour que la concurrence puisse servir l'intérêt supérieur du public, nous devons faire en sorte qu'elle se fasse ouvertement, que les chances de réussir soient égales pour tous et qu'elle respecte les règles relatives à l'engagement au combat qui ont été élaborées par le huitième marquis de Queensberry, et dans la Loi canadienne sur la concurrence, qui constitue vraisemblablement la version commerciale applicable de nos jours.

Je demande l'indulgence du président du comité pour qu'il veuille bien me permettre de demander aux membres du comité pourquoi, dans notre société démocratique, nous accordons une valeur aussi importante à la concurrence. Autrement dit, quels sont les quatre bienfaits les plus importants de la concurrence pour notre société? Ces quatre bienfaits sont, bien sûr, les suivants: la diversité, un vaste éventail de produits parmi lesquels on peut choisir; l'accès, un vaste éventail de points de vente offrant des produits variés à tous les consommateurs; l'économie, le plus bas prix possible pour des produits ayant une valeur intrinsèque et utilitaire égale; et l'innovation, la recherche constante de nouveaux produits variés.

Ainsi, l'objet de toute loi nationale régissant le commerce, comme la Loi sur la concurrence, est sûrement de veiller à ce que la concurrence entre tous les acteurs dans un secteur industriel donné soit juste et équitable, afin que le secteur puisse continuer à procurer à tous les Canadiens ces quatre bienfaits fondamentaux qui découlent automatiquement des forces du marché libre.

• 1230

Dans le mémoire assez détaillé que nous avons rédigé à l'intention du comité, nous faisons la démonstration, je crois, que depuis cinq ans l'activité d'un des acteurs du secteur du livre canadien, Chapters, conduit de plus en plus à une situation où la diversité, l'accès et l'innovation dans le secteur sont à la baisse, alors que, parallèlement, le prix à la consommation des livres est à la hausse.

Selon nous, ces forces négatives qui s'exercent sur le marché du livre canadien remontent directement à la décision malavisée et mal informée du Bureau de la concurrence d'approuver la fusion en 1995 des librairies SmithBooks, Librairie Smith, Coles, The Book Company et Classics en une seule chaîne anglophone nationale de vente au détail, Chapters Inc. Cette fusion s'est soldée depuis cinq ans par la fermeture de centaine de ces librairies qui avaient fusionné dans la chaîne Chapters Inc. et par la fermeture de centaines d'autres librairies indépendantes à cause des pratiques commerciales déloyales du volet grande surface de Chapters Inc., cette concurrence inéquitable étant financée par les autres librairies de la chaîne, celles que Chapters appelle ses «librairies traditionnelles».

Nous sommes aussi d'avis que la récente création par Chapters Inc. des entreprises verticalement intégrées Pegasus Inc. et Chapters online, dans lesquelles elle a une participation majoritaire, a eu pour effet d'accélérer ces forces négatives qui s'exercent sur le marché, et que le Bureau de la concurrence aurait donc dû se prononcer contre la création de ces entreprises par Chapters Inc.

Enfin, nous croyons que Chapters Inc., au fur et à mesure de ses transformations, est devenue une force tellement dominante dans le secteur du livre canadien que si cet ensemble d'entreprises verticalement intégrées venait à être financièrement menacé ou instable il pourrait entraîner dans sa chute le secteur du livre canadien tout entier. Pour cette raison, toute tentative de démantèlement du monopsone actuel et du monopole croissant de Chapters Inc., et de ses entreprises verticalement intégrées exigerait la plus grande circonspection possible.

Certes, nous disons que les décisions du Bureau de la concurrence relativement à Chapters Inc. ont été systématiquement mal informées et malavisées, mais nous disons aussi que les questions en cause dans ce débat sont techniques, complexes et subtiles. Les cinq minutes qui nous ont été accordées aujourd'hui et la série de questions de profane que nous a posées le comité sont loin de nous permettre d'explorer ces enjeux comme il se devrait. Nous prions donc instamment le comité d'étudier le document que nous avons préparé à son intention et de faire les recherches plus approfondies qu'il dit être nécessaires pour qu'il puisse réparer le tort qui a déjà été causé au secteur du livre canadien.

Enfin, permettez-moi de revenir brièvement sur la question de la concurrence sur une note très personnelle. Le comité devrait se demander pourquoi mes collègues et moi sommes ici aujourd'hui. Si Chapters a vraiment le pouvoir que nous lui attribuons, toute tentative de contestation de sa domination du marché pourrait être perçue comme une menace directe à son existence et pourrait entraîner des mesures de représailles.

Dans un affrontement aussi direct entre Chapters et mon entreprise, je ne serais même pas la souris qui rugit, mais plutôt la puce sur la souris qui a rugi. Néanmoins, nous sommes ici aujourd'hui parce que nous croyons que le comité permanent nous offre les règles du jeu équitables dont nous avons besoin pour rétablir dans notre industrie les bienfaits pour l'intérêt public de la concurrence équitable.

Nous remercions le comité pour son intérêt et son attention.

Le président: Soit dit en passant, monsieur Siegler, je tiens à vous dire que votre mémoire et tous les autres seront remis aux membres du comité, qui les prennent très au sérieux. De toute évidence, nous ne pouvons manifestement pas nous livrer à une discussion exhaustive aujourd'hui, étant donné le peu de temps dont nous disposons. Par contre, nous avons pas moins de quatre attachés de recherche qui travaillent à cette étude pour nous. Nous avons déjà reçu beaucoup d'informations. Je peux donc vous donner l'assurance que cela est pris très au sérieux par les membres du comité.

Nous passons maintenant aux questions des députés. Monsieur Mark.

M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier et de vous souhaiter la bienvenue à notre comité. Tout au long de la semaine, nous avons entendu parler de l'évolution du climat commercial, non pas seulement dans votre secteur, mais aussi dans tous les secteurs de l'économie canadienne, c'est sûr. Nous savons tous que la loyauté est une valeur en perdition chez les clients. La quantité, le prix et le délai de livraison sont autant d'éléments importants. Certains des témoins que nous avons entendus, même parmi ceux d'entre vous qui sont là ce matin, nous en ont parlé. Nous sommes à l'époque des fusions, qui vont continuer à se multiplier.

• 1235

Je sais qu'on pointe du doigt les libraires Chapters et Pegasus, et qu'en tant que gouvernement nous devons veiller à ce qu'il y ait égalité des chances. C'est d'ailleurs notre responsabilité. Je vous demande cependant pourquoi vous ne pouvez pas leur faire concurrence lorsque vous êtes sur un pied d'égalité. Qu'est-ce qui vous empêche de le faire en tant qu'industrie?

M. Karl Siegler: C'est à moi que vous le demandez?

M. Inky Mark: Je vous le demande à vous tous.

Le président: Il pose la question à quiconque veut y répondre. Monsieur Siegler, souhaitez-vous répondre?

M. Karl Siegler: Oui, je peux répondre à cela. Je pense que le problème posé par la chaîne Chapters n'est pas la situation actuelle. Au fond, le problème Chapters remonte à 1995, lorsque le Bureau de la concurrence a autorisé la fusion des chaînes de librairies installées au Canada afin qu'elles n'en forment plus qu'une comptant 420 succursales; cela a créé les infrastructures et les ressources d'autofinancement qui ont mené à la création de la compagnie Chapters. Dès sa création, la compagnie a donc joui d'un immense avantage, dans une situation où aucune autre société étrangère ne pouvait lui faire concurrence, comme par exemple les librairies Barnes & Noble ou Borders, et ce en raison des règles relatives à la propriété canadienne. Le fait de pouvoir démarrer en comptant sur une chaîne de 420 magasins, que la société pouvait rationaliser et refondre à sa guise, lui a donné un tel avantage sur tous les autres concurrents éventuels qu'il est devenu impossible pour quelque société canadienne ou investisseur canadien que ce soit de lui faire une concurrence réelle. À mon avis, c'est le principal problème.

M. Inky Mark: Ne pensez-vous pas qu'à la longue cet avantage va s'atténuer? La même situation s'est présentée lorsque la compagnie Wal-Mart s'est installée dans beaucoup de petites collectivités de notre pays. Les petites entreprises ont alors vivement protesté en prédisant la mort de bon nombre d'entre elles. En dépit de cela, le temps a cependant montré que ces petites entreprises peuvent tenir tête à Wal-Mart, parce qu'on a découvert que cette dernière ne vend pas tous ses produits aux prix les plus faibles. Je me demande donc si nous ne passons pas par une période de transition pendant laquelle l'industrie en entier est en train de changer en raison de la technologie et des nouvelles façons d'exploiter les entreprises.

Le président: Madame Hushion.

Mme Jacqueline Hushion (directrice générale, Canadian Publishers' Council): Je crois qu'en général ce que les gens nous demandent, c'est comment nous pouvons nous diriger vers cette nouvelle étape. En attendant, nous sommes aux prises avec cette situation intérimaire. Hier, le National Post a publié un article remarquable intitulé «Books without the corporate cover» (Les livres sans couverture des grandes sociétés). On y donnait un très bon aperçu du commerce du livre dans les librairies indépendantes, en citant nombre d'entre elles. Je présume que d'après l'expérience des membres du comité et celle des consommateurs, il est clair, ainsi que le disait M. Primeau, que certaines personnes vont chez Chapters ou Indigo pour une raison, et s'adressent à un libraire indépendant pour une autre raison. Vous avez probablement raison d'affirmer qu'avec le temps la situation va se niveler. Le problème est de savoir se tirer de la situation actuelle où certains libraires subissent des pressions extrêmes. C'est la période de transition qui semble problématique.

Le président: Monsieur Breitkreuz.

M. Cliff Breitkreuz: Merci beaucoup, monsieur le président.

Je tiens à vous remercier tous d'être venus nous faire part de vos idées devant notre comité aujourd'hui.

• 1240

Monsieur Primeau, votre carrière de libraire a manifestement été très intéressante. Oui, Platon s'est trompé, et ce n'est pas la seule fois. Je soupçonne que vous envisagez déjà d'écrire vos propres oeuvres plutôt que de vous contenter d'en vendre, car je pense qu'elles feraient...

M. Claude Primeau: Si quelqu'un me donne assez d'argent.

M. Cliff Breitkreuz: Voilà. Je pense qu'elles seraient très intéressantes à lire.

J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi toutes les autres industries de notre pays sont compétitives, non seulement à l'échelle nationale, mais aussi à l'échelle internationale, et ont réussi à atteindre cela par leurs propres moyens, sans aucun soutien, à part peut-être une aide ponctuelle occasionnelle ou quelque chose de ce genre. Pour l'essentiel, les autres industries réussissent sans aide.

Le groupe qui représentait les éditeurs du Québec a parlé d'un marché très limité. Pourquoi limiteriez-vous votre marché simplement au Canada? Pourquoi ne pas viser tous les autres pays francophones du monde? En fait, je crois que l'automne dernier il y a eu un Sommet de la francophonie ici au Canada. Combien de livres ont été vendus, par exemple, à d'autres pays francophones? Est-ce que l'on prend ce genre d'initiative?

Il me semble possible qu'un grand nombre d'éditeurs canadiens, et partant d'écrivains canadiens, n'écrivent pas le genre de choses que les Canadiens veulent lire. C'est peut-être un aspect du problème, parce que les journaux se débrouillent tous très bien, et...

Le président: Un instant. Très bien, monsieur Breitkreuz, je peux voir que vous avez suscité pas mal de réactions. Nous commencerons par M. Primeau. Il y a beaucoup de gens qui demandent à prendre la parole.

Monsieur Primeau, je vous donne...

M. Claude Primeau: Des Canadiens se sont vu décerner le prix Booker au Royaume-Uni. Ils se sont vu décerner le prix Pulitzer. Nos livres qui remportent des prix au Canada sont vendus partout dans le monde. Donc je crois que nous avons fait un excellent travail avec les ressources dont nous disposons.

M. Cliff Breitkreuz: Alors, quel est le problème?

Le président: Un instant.

Monsieur Lévesque, M. Harrison, puis Mme Hushion.

[Français]

M. Gaëtan Lévesque: Monsieur le président, ma réponse sera très brève. Donnez-moi les moyens que vous donnez à Bombarbier Inc., à Bell Helicopter, etc. et je vais envahir la France.

[Traduction]

Le président: Monsieur Harrison.

M. Michael Harrison: J'ai en fait abordé cet aspect dans mon exposé, mais cela s'explique de plusieurs façons.

Tout d'abord, il ne fait aucun doute que l'édition canadienne a connu certains cas de réussite incroyables. Mais si on examine les détails qui entourent ces cas, le genre d'écrivains dont M. Primeau parle, on constatera qu'en ce qui concerne les sociétés canadiennes nous avons des droits qui nous permettent de vendre ces livres au Canada, mais nous avons très rarement des droits qui nous permettent de vendre ces mêmes livres à l'étranger.

Les agents de l'écrivain diviseront les droits entre notre pays et les autres pays. Ces droits se vendront à d'autres pays, ce qui signifie que l'écrivain, bien entendu, en tirera d'excellents avantages, et nous en sommes très heureux. Mais pour l'industrie canadienne, cela signifie que la maison d'édition canadienne profite rarement des ventes à l'exportation.

En ce qui concerne nos membres—vous avez parlé de la nécessité d'exporter les livres—je peux vous assurer que c'est une entreprise à laquelle nos membres ont consacré beaucoup d'efforts. Récemment, sur une très courte période, nos ventes à l'exportation ont triplé. Dans le cas de ma propre société, par exemple, pratiquement 50 p. 100 de ses ventes à l'exportation se destinaient surtout aux États-Unis, mais aussi aux autres pays anglophones.

La question fondamentale, toutefois, c'est qu'en tant que Canadiens nous publions des ouvrages traitant de sujets canadiens. Ce sont des ouvrages qui intéressent les Canadiens, et en tant qu'éditeurs canadiens nous devons le faire. C'est notre mandat. Les éditeurs américains ou britanniques publient pour les marchés américain ou britannique. Oui, leurs ventes à l'exportation sont énormes, mais leurs principaux marchés sont leur marché intérieur.

Il en est de même pour nous. La grande majorité des livres que nous vendons seront vendus à des Canadiens. Mais le marché canadien est petit. Nous sommes loin de profiter de l'avantage du coût unitaire au niveau de l'économie d'échelle dont profitent les Américains. Pourtant, ce sont les Américains qui établissent nos prix. Nous devons nous conformer à la structure de prix établie par les Américains.

• 1245

Le président: La parole est à Mme Hushion, puis nous passerons à M. de Savoye.

Mme Jacqueline Hushion: Je crois que vous reconnaîtriez, madame Renouf... Je voulais simplement citer des chiffres à la suite de l'observation qu'elle a faite.

L'UNESCO indique que pour qu'un pays puisse soutenir une industrie de l'édition indépendante, c'est-à-dire qui ne reçoit aucun soutien de l'État, ce pays doit compter une population d'au moins 25 millions d'habitants qui partagent la même langue.

Mme Susan Renouf (vice-présidente, Association of Canadian Publishers): Je vous remercie. C'est un chiffre que je comptais en fait utiliser moi aussi.

Je voulais aussi dire qu'il est coûteux de promouvoir des écrivains. Pour tous les Michael Ondaatje et Carol Shield qui finissent par devenir des écrivains reconnus dont les livres se vendent extrêmement bien, il y a de nombreux livres derrière eux dont les ventes sont beaucoup plus modestes et beaucoup de livres derrière eux qui ont peut-être disparu sans laisser de traces. Par conséquent, pour les écrivains qui réussissent et dont les livres se vendent extrêmement bien, il faut tenir compte de tous les coûts que doivent assumer les éditeurs pour promouvoir de nouveaux écrivains moins connus, établir leur réputation, et dont les ventes sont beaucoup plus modestes. Ces écrivains sont peut-être le prochain Michael Ondaatje, mais il leur faudra peut-être six ou sept livres pour y arriver.

Il est impossible d'avoir une industrie florissante à moins de soutenir les écrivains dès leur début et tout au long de leur développement. C'est un processus très coûteux, et le marché dans lequel nous fonctionnons est très petit.

Le président: Monsieur de Savoye.

[Français]

M. Pierre de Savoye: Monsieur Primeau, je vais commencer par vous, cela pour une raison très simple. C'est que je partage avec vous deux plaisirs dont vous avez fait mention: d'abord le rosbif et les pommes de terre pilées—des petits pois verts avec ça—et également le livre, le livre que l'on tient, le livre que l'on sent, le livre que l'on voit, le livre qui fait du bruit même, à la rigueur. Mais je me demande si aujourd'hui, les ventes de rosbif sont croissantes ou décroissantes par rapport au steak haché et si les ventes de pommes de terre pilées sont en régression par rapport aux frites. J'ai apprécié l'intervention de M. Carrier, qui nous disait que c'était dans les écoles qu'il fallait intervenir pour s'assurer que le goût de la pomme de terre pilée, de la sauce et du rosbif se perpétue. Je termine votre allégorie.

Puisque tous ces livres vous passent dans les mains dès leur origine ou à peu près, savez-vous si la consommation de livres est en croissance, se maintient ou décroît?

Voilà qui m'amène à une deuxième question, que je vous pose immédiatement. Si le marché est en croissance, on comprend qu'un gros joueur puisse vouloir participer à une part de ce marché, mais si le marché n'est pas en croissance, à ce moment-là, le gros joueur mange le marché et il va forcément prendre la place de joueurs qui étaient là auparavant. La question s'adresse à tout le monde. J'ai débuté par vous, monsieur Primeau, mais c'est parce que vous aviez couru après.

Le président: Monsieur Primeau.

M. Claude Primeau: J'aimerais répondre en disant que pour notre compagnie, les ventes sont en croissance. Je ne suis pas certain que le gros mangeur va manger le petit, parce que j'aimerais mieux parfois, pour continuer l'allégorie, aller visiter une roulotte à patates frites plutôt que d'aller à un gros restaurant, au Clair de lune, par exemple. Donc, je n'en suis pas certain. Mais si on étudie l'histoire un petit peu, on peut voir que Mercedes-Benz et Chrysler forment aujourd'hui une seule compagnie. C'est un gros, gros problème.

Je peux vous dire que nous, on monte. Peut-être que mes confrères peuvent dire la même chose. Je ne le sais pas.

[Traduction]

Le président: Y a-t-il quelqu'un d'autre qui aimerait répondre à cette question?

• 1250

[Français]

Oui, madame Renouf.

[Traduction]

Mme Susan Renouf: Je pense qu'en ce qui concerne les membres de notre association nous n'avons pas encore les chiffres nous permettant de déterminer si nos ventes augmentent ou s'il y a un transfert d'un secteur du marché à l'autre. Certains d'entre nous connaissent peut-être une certaine croissance. Une bonne partie de cette croissance est attribuable à l'augmentation de nos ventes à l'exportation et à notre présence accrue dans les points de vente au détail de livres non traditionnels.

Malheureusement, beaucoup des chiffres disponibles remontent à deux ou trois ans. C'est donc très difficile à déterminer. Mon entreprise a connu une certaine croissance, mais nous nous débrouillons très bien comme exportateurs et nous nous débrouillons très bien dans les points de vente de livres non traditionnels.

Il reste aussi à déterminer quel sera l'impact des retours de livres. La croissance des ventes cessera-t-elle une fois que les livres nous reviendront? Nous ne le savons pas encore.

[Français]

Le président: Allez-y.

M. Marcel Ouellette: Merci. Je peux répondre que le marché est peut-être en croissance à certains endroits et qu'il l'est peut-être un peu moins en d'autres endroits. Je suis entièrement d'accord lorsqu'on dit que nous sommes dans un marché de libre concurrence et qu'en fin de compte, si une maison est en croissance, on ne peut quand même pas s'en attrister. Tant mieux si elle est canadienne.

Par contre, je crois que si nous sommes ici aujourd'hui, c'est pour nous assurer que ces entreprises qui prennent de la croissance n'en viennent pas à dicter les règles du jeu aux autres. Si elles arrivent à croître avec des règles du jeu qui demeurent les mêmes et qui sont justes envers tout le monde, tant mieux, et tant mieux pour l'industrie canadienne de l'édition. Si, par contre, elles arrivent à imposer des façons de faire, si elles arrivent à réduire—on parlait tout à l'heure des remises—constamment le revenu par livre vendu et éliminent du même coup les plus petits éditeurs, il y a un problème. Je pense que c'est le mandat de la commission et qu'on s'entend là-dessus.

[Traduction]

Le président: Nous avons Mme Hushion et M. Siegler, après quoi nous céderons la parole à M. Bélanger.

Mme Jacqueline Hushion: Mme Renouf a mentionné le succès de son entreprise dans le contexte des vendeurs non traditionnels de livres. Je pense que c'est un élément très important, parce que Price Costco, Wal-Mart, Overwaitea Foods, Loblaws, et cetera... Comme l'a dit M. Primeau, aujourd'hui tout le monde veut vendre des livres. Ces marchandiseurs de masse, ces clubs, comme on les appelle, ne représentaient qu'une très faible proportion du chiffre d'affaires des éditeurs il y a littéralement trois à cinq ans, peut-être deux ou trois points de pourcentage. Pour certaines entreprises, ils représentent maintenant 15 p. 100 de leur chiffre d'affaires. Leurs achats sont fermes, ce qui signifie qu'ils ne retournent pas les livres. S'ils les achètent et qu'ils ne les vendent pas, ils les gardent, un point, c'est tout.

J'aimerais revenir sur ce qu'a dit Mme Renouf à propos des retours de livres. C'est un énorme problème pour l'industrie. Et ce n'est pas simplement un problème dans le cas de Chapters ou Indigo. C'est un problème qui s'étend à l'ensemble de l'industrie, dans chaque secteur du marché, qu'il s'agisse d'ouvrages à l'intention des établissements postsecondaires, de publications spécialisées ou d'ouvrages de référence. Les retours de livres représentent un énorme problème. Et comme il s'agit d'une pratique commerciale répandue en Amérique du Nord, il serait très difficile à l'industrie canadienne d'y échapper.

D'autres industries dans ce pays ont réussi à régler ce problème. Par exemple, l'industrie du disque, non pas collectivement, mais individuellement, il y a quelques années, est arrivée à la conclusion que les retours ne profitent à personne. Ils ne profitent pas aux magasins de disques pas plus qu'aux producteurs et aux éditeurs de musique. Ils ont donc adopté une pratique exemplaire générale qui permet de retourner de 10 à 15 p. 100 de la valeur des recettes nettes sur l'exercice financier le plus récent. Cela se démarque nettement de ce que l'on constate couramment sur le marché de masse où les retours d'unités fournies par les éditeurs sont de 50 p. 100 ou plus et au niveau des publications spécialisées... Quel est le pourcentage, 25 p. 100...?

Mme Susan Renouf: Jusqu'à 30 p. 100.

Mme Jacqueline Hushion: Jusqu'à 30 p. 100. C'est un grave problème.

Le président: Monsieur Siegler.

• 1255

M. Karl Siegler: Oui. Il existe en fait une source assez facilement accessible pour tous ceux qui s'intéressent à ce genre de statistiques, et cette source, c'est le Conseil des arts du Canada.

Ce qui est intéressant à propos du Conseil des arts du Canada, c'est qu'il recueille des données sur tous les titres qu'il subventionne au cours de l'année de publication, en plus des deux années civiles complètes qui suivent. Le Conseil des arts du Canada ne subventionne parmi nos titres que ceux qui, d'après ses jurys, présentent une grande valeur culturelle, et cela inclut les livres de poésie, les pièces de théâtre, les ouvrages de fiction, les nouvelles et les romans, ainsi que la littérature non romanesque qui présente un grand intérêt sur le plan social. C'est le genre de livres que le Conseil des arts du Canada subventionne. Il ne subventionne pas les livres que l'on trouve couramment chez Wal- Mart ou au Club Price et sur les rayons d'escompte de votre version locale traditionnelle.

Ce qui m'étonne, c'est de constater à quel point on tient dans le cadre de ce débat à parler de ces énormes détaillants à rabais dont la pratique commerciale consiste en fait à vendre environ 3 p. 100 des principaux best-sellers dans le monde anglophpone des livres soldés en énorme quantité. Et si on tient compte de cet élément pour examiner l'industrie, cela fausse beaucoup les chiffres.

Je proposerais que le comité examine les chiffres du Conseil des arts du Canada concernant la littérature de grande valeur culturelle. Après avoir examiné ces chiffres, examinez les données concernant la croissance de l'industrie au cours des cinq dernières années. Je crois que vous serez étonnés. En tant qu'éditeur littéraire moi-même, je peux vous dire que mes ventes depuis les cinq années que Chapters existe ont été absolument fixes. Ce qui s'est passé tout simplement, c'est que les ventes qui auparavant passaient par les maisons indépendantes au pays passent maintenant par Chapters. La présence de Chapters sur le marché n'a eu aucune influence sur mes ventes, sauf bien entendu que Chapters exige un rabais plus élevé que ceux que j'accordais aux maisons indépendantes, ce qui m'a obligé à augmenter le prix de mes livres. La présence de Chapters n'a profité à personne.

Permettez-moi de vous en donner un exemple.

Le président: Rapidement, parce qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps.

M. Karl Siegler: Puis-je donner simplement un exemple?

Le président: Oui, très brièvement.

M. Karl Siegler: Je vais vous donner un exemple de ce dont je parle ici et de ce qui se passe dans l'industrie en vous racontant ce qui est arrivé à une mini-chaîne appelée Duthie Books, qui comptait dix points de vente à Vancouver. Ces points de vente étaient répartis un peu partout dans la ville et avaient une vocation différente, si on peut dire, dans chaque quartier. Les librairies situées près des universités avaient une vocation plutôt universitaire, celle située près de la bibliothèque en avait une autre, etc. C'était donc un groupe très diversifié de dix librairies, dont les collections étaient assez différentes. Et dans l'ensemble, parmi ces dix librairies, vous aviez une sélection beaucoup plus vaste que celle proposée par Chapters à l'heure actuelle. Chapters est arrivée en ville et a ouvert une librairie compétitive à un bloc des deux principales de Duthie. Duthie Books a fait faillite, ou a demandé une protection contre la faillite, et la chaîne n'a gardé que l'une de ses dix librairies.

La librairie Chapters qui s'est avérée être la goutte qui a fait déborder le vase—car bien sûr l'organisation Duthie connaissait d'autres problèmes d'ordre commercial—la librairie Chapters qui reste, n'achète pas la quantité équivalente des titres que je vendais aux dix points de vente de Duthie. Je pouvais vendre chacun de mes livres à ces dix librairies. Maintenant il n'y en plus que deux: Chapters et la seule librairie Duthie qui reste.

Ce n'est qu'un exemple de l'impact que des magasins à grande surface comme Chapters ont sur les libraires indépendants dans ce pays. Et je ne constate aucune indication de la soi-disant croissance que Larry Stevenson prétend attribuer à ses activités. En ce qui concerne nos titres, cela est tout simplement faux. Consultez les chiffres du Conseil des arts du Canada et vous le constaterez vous-même.

Le président: En passant, monsieur Siegler, nous avons les données du Conseil des arts du Canada et nous sommes en train de les faire circuler parmi les membres.

[Français]

Monsieur Bélanger.

M. Mauril Bélanger: Merci, monsieur le président.

• 1300

[Traduction]

En ce qui concerne la question qui vient d'être posée, à savoir si le marché connaît une croissance, une autre réponse nous a été donnée mardi par le représentant du Conseil canadien du commerce de détail. Il a laissé entendre que le marché général du commerce de détail au Canada, outre la croissance démographique, ne prend pas d'expansion, et il a indiqué que si l'industrie du commerce de détail du livre affiche une croissance, c'est aux dépens des autres marchandises vendues au détail.

Au cours de ces audiences, j'en suis venu à m'interroger sur la croissance du marché de détail, parce que les exemples qui nous ont été donnés sont tirés d'un magasin à grande surface à Burlington. Je me demande dans quelle mesure cela s'applique à l'ensemble du pays. Mais ce n'est pas ce dont je veux parler.

Nous sommes aux prises avec un problème, et les personnes présentes ici aujourd'hui pourraient peut-être nous aider.

Monsieur Siegler, dans votre mémoire, vous avez eu raison lorsque vous avez indiqué ce qui a déclenché ces discussions, à savoir une préoccupation à propos de l'intégration verticale. Aujourd'hui vous m'avez fait part d'autres préoccupations concernant la nature du commerce de détail, dont nous devrons traiter d'une autre façon. Mais ce qui nous a réunis ici aujourd'hui, c'est cette question de l'intégration verticale et la préoccupation que suscite chez les libraires et les éditeurs indépendants, vraisemblablement, l'apparition de Pegasus en mai dernier—c'est du moins ce que je crois.

Mardi, j'ai entendu le témoignage de M. Nicholas Hoare, qui était prêt à nous donner l'exemple d'un de ses amis, sans citer son nom. Heureusement, la SRC ce matin nous a dit de qui il s'agissait. J'espère que cette information est exacte, parce que si elle l'est, nous avons alors un premier exemple de certaines des histoires que nous avons entendues.

Monsieur Harrison, vous avez dit aujourd'hui que vous hésitez à parler. M. Siegler ne semble pas partager cette réticence, Dieu merci, parce que si le comité veut prendre au sérieux les préoccupations qui lui ont été communiquées—et la Canadian Booksellers Association et certains éditeurs ont fait des déclarations en ce sens—et si les éditeurs veulent que leurs déclarations soient prises au sérieux, s'ils veulent faire valoir qu'on est en train de réduire leur marge et que l'intégration verticale et le pouvoir du consortium Chapters-Pegasus sont en train de créer une situation intenable, il va alors falloir que les éditeurs fassent connaître publiquement leur position et présentent des données concrètes. Autrement, nous ne serons pas en mesure de faire avancer les choses.

Le président: Madame Hushion.

Mme Jacqueline Hushion: Je ne peux pas répondre à cela directement, mais je suis sûre que le comité sait que le Bureau de la concurrence est en train de faire enquête à ce sujet. Bien qu'il n'ait pas encore pris de décision quant à savoir s'il faudra tenir une commission d'enquête, je peux vous dire qu'il a conçu une analyse statistique qui est essentiellement en blanc, et il demandera aux milieux de l'édition de fournir l'information qui manque. Donc les éditeurs seront, je crois, obligés de fournir l'information qui manque. C'est donc une situation différente de celle de personnes qui prennent l'initiative de fournir de l'information.

M. Mauril Bélanger: Si effectivement les allégations qui ont été portées à notre attention sont fondées, et que les éditeurs ne sont pas disposés à parler, je crains vraiment qu'il n'y ait alors quelque chose qui ne va pas du tout ici. Notre pays souscrit à la liberté d'expression, et si des gens risquent de faire l'objet de représailles parce qu'ils prennent la parole, c'est une chose dont il faut aussi parler. Je suis stupéfait de certaines choses que j'ai entendues ici.

Mme Jacqueline Hushion: Tout le monde ici aujourd'hui a dit que nos systèmes font l'objet d'énormes pressions, l'argent consacré à la commercialisation, nos politiques d'escompte et nos liquidités. C'est ce que toutes les personnes ici présentes ont dit.

M. Mauril Bélanger: Mais nous n'avons pas les détails.

Le président: Madame Hushion, puis M. Harrison.

Mme Jacqueline Hushion: C'est tout ce que j'avais à dire. Tout le monde ici a reconnu exactement ce que vous êtes en train de dire, à savoir que les pressions sont énormes, mais pour ce qui est d'entrer dans les détails, je ne crois pas que nous puissions le faire.

Le président: Monsieur Harrison.

• 1305

M. Michael Harrison: C'est précisément l'observation que je voulais faire.

En tant qu'organisation, en tant que représentant de l'Association of Canadian Publishers, nous ne pouvons pas parler avec la même liberté. Bien entendu, dans mon propre mémoire, j'ai parlé un peu de notre propre expérience.

Je travaille pour une maison d'édition qui s'appelle Broadview Press. Il s'agit d'une maison d'édition de manuels scolaires et de matériel didactique, mais nous faisons effectivement affaire avec Chapters, et je suis heureux d'aborder ces questions selon le point de vue de ma propre maison d'édition, tout comme l'a fait M. Siegler pour sa propre maison d'édition. La difficulté, c'est de parler au nom d'une association. À bien des égards, je suis ravi d'avoir entendu cette histoire à propos de la SRC, et je suis bien au courant des détails de cette affaire.

Le président: Madame Lill.

Mme Wendy Lill: Merci beaucoup.

Il s'agit d'une séance très différente des séances précédentes, en ce sens que l'on n'a pas beaucoup entendu parler de «Chapters» et de «Pegasus». Nous n'en avons pratiquement pas entendu parler. Et l'impression que cela donne, c'est que nous ne parlons pas de ce dont il faut vraiment parler.

Le Comité du patrimoine a décidé de tenir ces audiences parce que l'industrie canadienne de l'édition lui a fait part de sa vive inquiétude devant la présence de plus en plus forte de Chapters et de sociétés connexes en direct, Chapters en direct et Pegasus, et à propos de la façon dont elles perturbent la concurrence. C'est là le problème dont il est question. Et je pense que toute cette notion de concurrence dans l'industrie de l'édition, que nous appuyons tous, signifie que l'on favorisera l'accès à tout un éventail de livres, que les prix seront équitables, et qu'il n'y aura aucun monopole et que les maisons d'édition indépendantes ne se verront pas évincées du marché, et que l'on maintiendra le contenu canadien et l'aide au contenu canadien. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Et si, en fait, ces choses sont menacées, nous devons en connaître les détails.

J'ai été ravie d'entendre le représentant de Nicholas Hoare nous citer des sources sûres. Il dit que c'est ce qui est arrivé dans le cas de cette personne.

Monsieur Harrison, vous dites qu'un escompte de 50 p. 100 sur les livres, un escompte plus élevé sur les livres, est en train de provoquer un réel changement. En quoi consiste ce changement? Comment cela touche-t-il les écrivains? Et ces droits d'auteur dont on a parlé sont-ils en train de disparaître? Sont-ils en train de diminuer? Les profits de l'industrie de l'édition sont-ils en train de diminuer? Est-ce que Chapters réalise des profits simplement en récupérant les profits des autres?

Si nous décidions qu'il existe un déséquilibre, en ce sens qu'une entité accapare le marché, nous avons affaire ici à un système très fragile dont tout le monde ne cesse de parler. Comment pouvons-nous remédier à la situation? Comment pouvons-nous modifier la dynamique?

L'article du Globe and Mail—je vois que M. Siegler y fait allusion—indique que les ventes de Chapters sont fixes, mais qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, parce que la société peut toujours renvoyer son inventaire. Cela m'effraie d'entendre de pareilles choses, et cela doit aussi effrayer les éditeurs, parce que cela signifie simplement qu'on se retrouve avec les livres sur les bras, et je n'ai pas l'impression que Chapters joue selon les mêmes règles du jeu, c'est-à-dire promouvoir les livres et favoriser la culture. J'ai plutôt l'impression qu'ils parlent d'argent et de résultats financiers.

Donc, après tout cela, je vous pose la question suivante: comment notre comité parviendra-t-il à découvrir le fin fond de ces allégations et de ces apartés si nous ne vous offrons pas la protection qui vous incitera à communiquer librement cette information? Comment peut-on vous fournir l'assurance que cet endroit est soucieux de découvrir la vérité?

Le président: Monsieur Harrison.

M. Michael Harrison: Je répondrais de plusieurs façons.

Tout d'abord, il ne fait absolument aucun doute que les éditeurs augmentent leurs prix. Je sais qu'une grande maison d'édition qui fait partie de notre association a augmenté ses prix de façon générale de 10 p. 100. J'ai parlé à d'autres maisons d'édition qui vivent des situations différentes, et je sais qu'elles envisagent toutes une hausse des prix, si elles ne l'ont pas déjà fait. C'est donc la première réaction à cette situation.

Le problème des retours, auquel plusieurs personnes ont fait allusion, est forcément un problème, mais, à vrai dire, nous n'avons pas la solution ni la réponse qui s'impose. C'est un gros problème auquel nous nous heurtons tous, mais, à ma connaissance, il n'y a pas de solution unique qui s'impose à l'esprit.

La solution pour l'instant serait, comme je l'ai demandé et comme l'a demandé Karl Siegler, je crois, de commander une étude d'envergure qui se pencherait vraiment sur le secteur de la vente au détail du livre. Le groupe indépendant qui en serait chargé aurait la responsabilité de consulter tous les acteurs—auteurs, éditeurs, et les autres. Nous devrions alors nous sentir libres de décrire la situation.

Le président: Monsieur Primeau.

• 1310

M. Claude Primeau: Je voudrais répondre à la question de M. Bélanger.

Personne ne va nous dire explicitement: «Si vous refusez, nous n'achèterons pas vos livres.» Pas explicitement. Nous vendons nos livres à Pegasus, à tout le monde. En toute justice, je dois dire que je peux vendre mes livres sans passer par Pegasus. Il peut arriver que nous décidions de vendre nos livres directement aux librairies Chapters, parce que nous pouvons leur faire parvenir nos livres plus vite que si elles doivent les obtenir de cet entrepôt.

Un des gros problèmes auxquels nous nous heurtons, comme on l'a dit de l'autre côté de la table, c'est celui des retours. Dans notre métier, nous sommes un peu comme des bibliothèques de prêt. Je vous envoie 100 livres, vous en vendez 50, et vous m'en retournez 50. La différence entre la bibliothèque de prêt et mon entreprise, c'est que je ne peux pas vous imposer une amende, je ne peux pas me mettre après vous. Je viens de vous envoyer 100 livres, vous en avez vendu 50, en voici 50 que nous vous retournons, monsieur Primeau, et voici un chèque pour la différence. C'est là un problème énorme qui ne fera que s'aggraver si on se met à empiler les livres dans divers entrepôts. Comme on disait autrefois, vos livres sont au purgatoire. Ils sont là-bas. Ils attendent qu'on les laisse sortir.

Ces deux messieurs disent que nous avions 100 librairies. Nous avions six librairies Duthie à Vancouver, ou je ne sais trop combien, et maintenant nous n'en avons plus qu'une. C'est un problème. Un gros problème.

Je réitère toutefois mon affirmation du début, à savoir que nos ventes sont en hausse. Les leurs ne le sont peut-être pas. Vous voulez m'engager?

Le président: Madame Hushion.

Mme Jacqueline Hushion: Quelqu'un qui n'a rien à voir avec le secteur, qui a simplement regardé les reportages à la télé et écouté ce qu'on dit à la radio et lu ce qu'on dit dans les journaux et les magazines, m'a dit l'autre jour: «Votre problème ne tient-il pas au fait que vous n'êtes plus solidaires les uns des autres?» Nous avons toujours été copains-copains dans ce milieu. Les gens ne se surveillaient pas vraiment, nos relations étaient empreintes de camaraderie, etc. Puis nous sommes devenus plus compétitifs, certains sont devenus plus gros et plus forts, et ils ont introduit dans l'édition du livre des pratiques qui existaient depuis toujours dans d'autres secteurs, comme payer pour que ses livres soient plus visibles que ceux de l'autre, etc.

Votre problème ne tient-il pas en grande partie au simple fait que le climat s'est durci? Ce n'est plus une affaire—j'asseyais de trouver un terme exempt de sexisme—de gentleman. Le milieu est devenu beaucoup plus compétitif, et cela a eu des conséquences heureuses. Les gens se sont pris en main et ont fait des changements. Il y a eu des changements pour le mieux. Les éditeurs ont amélioré à bien des égards leur façon de faire les choses. C'était nécessaire, il va sans dire, mais ce changement, comme tous ceux qui sont ici l'ont dit, s'accompagne de pressions.

La question n'est pas de savoir si les pressions sont différentes de ce qu'elles sont dans tout autre secteur qui subit une transformation aussi profonde de son marché. La question concerne plutôt la façon dont ces pressions sont exercées. Cela devient personnel, et je suppose qu'il nous arrive souvent de regretter effectivement que la convivialité soit pratiquement maintenant chose du passé.

Si c'est là ce que vous voulez laisser entendre, si vous êtes préoccupés par les pressions intenses et les nouvelles tactiques auxquelles on a recours pour exercer ces pressions, vous avez raison. Les pressions sont énormes, et il y a beaucoup de nouvelles tactiques.

On n'a jamais assez de cinq minutes. C'est une question énorme.

• 1315

Le président: Merci beaucoup d'être venus témoigner.

Je sais que vous trouvez que la séance a été très courte, et c'est vrai qu'elle l'a été, compte tenu de l'importance de la tâche. Je peux vous donner l'assurance que nous étudions le dossier très attentivement. Nous le prenons très au sérieux. Nous avons entendu une multitude de témoins. Je crois que nous commençons à tout le moins à pouvoir cerner les problèmes, et cela nous aidera sûrement quand viendra le moment d'essayer de formuler des recommandations pratiques à l'intention du Parlement. Nous allons en tout cas faire tout ce que nous pouvons faire.

Merci beaucoup d'être venus. Nous vous en sommes très reconnaissants.

La séance est levée.