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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 30 mai 2000

• 0938

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton- Ouest—Mississauga, Lib.)): La séance est ouverte.

Nous sommes ici réunis pour discuter une nouvelle fois du projet de loi C-19, Loi concernant le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre et visant la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et modifiant certaines lois en conséquence.

Le premier témoin que nous allons entendre aujourd'hui est Philippe Kirsch, qui était autrefois président de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale.

Je pense que vous êtes aujourd'hui ambassadeur, mais, si j'ai bien compris, vous vous occupiez de toutes ces questions lorsque vous étiez à la Commission. Bienvenue.

• 0940

M. Philippe Kirsch (président, Commission préparatoire, Cour pénale internationale): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je suis très heureux de comparaître ici aujourd'hui devant le comité permanent pour vous parler de la Cour pénale internationale et des discussions en cours de la Commission préparatoire.

[Français]

Je ferai ma présentation essentiellement en anglais, mais je serai heureux, naturellement, de répondre aux questions qui pourront être posées dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.

J'ajouterai qu'en tant qu'ambassadeur du Canada en Suède, je n'ai pas été mêlé à la préparation de la loi canadienne, spécifiquement du projet de loi C-19, et que je ne suis donc pas en mesure de faire des commentaires sur le projet de loi lui-même.

En outre, en tant que président de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale, je peux décrire la position d'autres pays, mais je ne peux pas émettre de jugement de valeur sur la position de ces pays.

[Traduction]

Je pense que tout le monde ici connaît les raisons pour lesquelles on a créé une Cour pénale internationale. La création de la CPI est l'aboutissement de toute une série d'efforts internationaux visant à remplacer l'actuelle culture d'impunité, qui est très répandue, par une culture de reddition de comptes. L'adoption du Statut de Rome a suivi au moins cinq décennies d'efforts en ce sens, frustrés par la guerre froide.

Les tribunaux pour la Yougoslavie et le Rwanda étaient un important pas en avant, mais ils n'ont été ni permanents ni une solution tout à fait satisfaisante. Il s'est agi de tribunaux spéciaux qui ont causé d'importants retards et entraîné des coûts supplémentaires du fait qu'il fallait pour chaque situation créer une nouvelle institution. Par ailleurs, ces tribunaux sont assujettis au contrôle du Conseil de sécurité, qui choisit seul de se pencher sur telle ou telle situation relevant de ses compétences.

Enfin, un tribunal permanent est, de par sa conception même, un agent de dissuasion plus efficace.

J'aborderai deux questions dans ma présentation—l'une concerne certains éléments importants du Statut de la CPI, et l'autre est la situation actuelle—après quoi je me pencherai sur les perspectives futures. En ce qui concerne le premier élément, soit le Statut, étant donné le temps dont nous disposons, je me concentrerai sur trois de ses éléments: premièrement, les crimes; deuxièmement, le régime complémentaire; et, troisièmement, les mesures de protection prévues dans le Statut.

La cour ne s'occupera que des crimes les plus graves aux yeux de la communauté internationale tout entière. Elle est compétente pour tout ce qui a trait au génocide, aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre.

Il a été convenu par tous les participants que l'objet du Statut n'était pas de créer de nouvelles lois. Son objet était de créer une nouvelle institution essentielle, chargée de faciliter l'application du droit coutumier existant. Il s'agit là d'un aspect important. Certains États et organisations avaient voulu inclure des dispositions qui auraient fait avancer le droit pénal international, mais cela n'a en fin de compte abouti à aucune entente.

C'est ainsi que la définition de «génocide» est fondée strictement sur la convention sur le génocide. La définition de «crimes contre l'humanité» est tirée des Statuts des tribunaux pénaux internationaux pour la Yougoslavie et le Rwanda, de la Charte de Nuremberg et de la jurisprudence de ces organes. La définition de «crimes de guerre» est quant à elle tirée des Conventions de Genève de 1949 et d'autres textes, notamment la Convention de La Haye de 1909, et de certaines dispositions des protocoles supplémentaires de 1977.

Conformément à l'évolution du droit coutumier, le Statut affirme que les crimes les plus graves, les crimes de guerre, peuvent également être punissables lorsqu'ils sont commis dans le cadre de conflits armés internes. De la même façon, la définition de «crimes contre l'humanité» reconnaît que de tels crimes peuvent être punissables qu'ils soient commis en situation de guerre ou en situation de paix. Le Statut, adopté qu'il l'a été par un très grand nombre d'États, est donc une codification utile du droit pénal international existant.

• 0945

Le deuxième aspect important dont je voulais traiter est la complémentarité. La CPI viendra compléter, et non pas remplacer, les tribunaux nationaux. La CPI n'exercera sa compétence que là où les systèmes nationaux n'ont ni la volonté ni la capacité de faire véritablement enquête ou d'intenter des poursuites. Cela reconnaît le droit souverain des États d'être les premiers à engager une poursuite. Cela a par ailleurs été conçu de façon à éviter de noyer la cour sous un trop grand nombre d'affaires et est une incitation pour les États à poursuivre les contrevenants.

Certains des États participants à la conférence de Rome avaient au départ craint que la CPI puisse écarter à la légère une enquête nationale pour se saisir d«un dossier. C'est pourquoi le Statut prévoit un seuil très rigoureux à atteindre avant qu'une procédure nationale ne puisse être considérée comme non authentique—en d'autres termes l'État mène délibérément un simulacre de procès pour mettre l'auteur des faits à l'abri de la justice ou alors l'appareil judiciaire national du pays s'est écroulé.

Avant d'en arriver à une telle conclusion, de très strictes exigences en matière de procédure doivent être remplies. Non seulement la poursuite mais également le juge de la Chambre préliminaire doivent en être convaincus, et il y a par ailleurs un autre appel à une Chambre d'appel. Ainsi, lorsqu'un système judiciaire national fonctionne, la CPI n'interviendra pas et n'aura pas à intervenir.

Enfin, en ce qui concerne le Statut lui-même, si j'ai bien compris, d'aucuns craignent que cette institution soit irresponsable ou qu'elle ne soit pas tenue de rendre de comptes. Ces préoccupations ont été exprimées lors de la négociation du Statut de Rome. C'est pourquoi un nombre très important de mesures de sauvegarde y ont été incluses pour éliminer cette possibilité. Ces dispositions sont trop nombreuses pour qu'on les énumère ici, mais je vais vous en donner des exemples.

Premièrement, il y a des conditions et des critères particuliers auxquels doivent se conformer les personnes désireuses de se porter candidates pour des postes de juges ou de fonctionnaires de la CPI. Tout candidat doit être élu par l'Assemblée des États parties.

Deuxièmement, il y a au sein de la CPI des freins et contrepoids destinés à veiller à ce que le comportement demeure professionnel. Par exemple, il y a une chambre préliminaire, qui surveille le travail du procureur afin de s'assurer que celui-ci respecte les Statuts, les droits de l'accusé et les droits des États.

Troisièmement, si, en dépit de ces mesures de protection, il s'avère qu'il y a eu abus ou faute de la part d'un fonctionnaire de la CPI, il existe des mesures de révocation de ces personnes par l'Assemblée des États parties.

Quatrièmement, le Statut défend et affirme les principes de droit pénal acceptés à l'échelle internationale.

Cinquièmement, le Statut est parsemé de dispositions garantissant tous les droits des suspects et des accusés, et qui sont reconnus à l'échelle internationale, à chaque étape de la procédure.

Enfin, sixièmement, la procédure de la cour a été conçue en vue de garantir les normes les plus élevées en matière de justice.

Le désir de respecter la souveraineté des États se trouve exprimé partout dans le Statut. Il y a le principe de la complémentarité, que j'ai mentionné, ainsi que les mesures de protection, dont je viens de parler. Dans le cas des questions sensibles soulevées relativement à la souveraineté des États, par exemple, fourniture d«une aide mutuelle ou renseignements d'intérêt particulier pour la sécurité nationale, il existe des mécanismes de consultation soutenue avec les États. La cour relève de l'Assemblée des États parties, qui surveillera la gestion de la cour, décidera de son budget, et ainsi de suite.

• 0950

Voilà quelques-unes seulement des mesures de protection établies dans le Statut. De nombreuses délégations—vous pouvez vous imaginer la diversité des participants à la conférence mondiale—étaient préoccupées par la garantie du fonctionnement crédible et responsable de la cour et ont inclus dans le Statut diverses dispositions en ce sens.

Nous tournant maintenant vers l'avenir, les efforts des gouvernements et de la société civile sont maintenant axés sur deux questions: premièrement, la négociation des détails du fonctionnement de la cour, qui se déroule à la Commission préparatoire, et, deuxièmement, la poussée pour signer et ratifier le Statut de la CPI. La Commission préparatoire a jusqu'ici tenu quatre séances et nous nous rencontrons de nouveau le 12 juin pour une session de trois semaines, qui aura une importance toute particulière, pour des raisons que j'expliquerai plus tard.

La Commission préparatoire a pour tâche de mettre au point les instruments nécessaires en ce qui concerne les aspects techniques du fonctionnement de la cour. Une fois le Statut en vigueur et l'Assemblée des États parties créée, alors ces documents seront déposés auprès de cette dernière pour examen et adoption. La Commission préparatoire cessera alors d'exister. Le rôle de la Commission préparatoire est de préparer le terrain.

Le mandat de la Commission préparatoire a été fixé par la conférence de Rome. Il prévoit la préparation, premièrement, de l'ébauche des règles en matière de procédure et d«éléments de crimes; deuxièmement, d'un accord de relations entre la cour et les Nations Unies; troisièmement, d'un accord sur les privilèges et les immunités pour la cour; quatrièmement, des principes de base pour l'accord de siège avec le pays hôte, celui-ci étant les Pays-Bas; cinquièmement, des règles et règlements financiers; et, sixièmement, d'un budget pour le premier exercice financier.

La Commission préparatoire discutera également de propositions quant à l'exercice de la compétence de la cour sur les crimes d'agression. Enfin, l'Assemblée générale, indépendante de la conférence, a demandé à la Commission préparatoire de discuter, parallèlement à son mandat, de façons d'améliorer l'efficacité et l'acceptation de la cour.

L'objet du travail de la Commission préparatoire sera la mise en oeuvre juste et efficace du Statut de Rome. Son mandat n'est pas de réviser le Statut. Cela ne pourra être fait que par une conférence de réexamen, conférence qui est censée avoir lieu sept ans après l'entrée en vigueur du Statut. En d'autres termes, la Commission préparatoire a pour obligation de respecter l'équilibre réalisé à la conférence de Rome, mais également de bâtir à partir de là en vue d'augmenter le soutien pour la Cour pénale internationale.

Deux des instruments que j'ai mentionnés, les éléments de délit et les règles de procédure, doivent être prêts pour le 30 juin 2000. Le document portant sur les éléments de délit expliquera les éléments précis à prouver pour démontrer qu'il y a eu crime en vertu du Statut. Les règles de procédure et de preuve expliqueront bien sûr plus clairement et de façon plus précise les procédures de la cour. Il reste encore beaucoup de travail à faire en prévision de juin, mais l'ambiance à la Commission préparatoire a été très positive, et nous avons toutes les raisons de nous attendre à un aboutissement réussi de ce travail, ou en tout cas d'une partie de ce travail, d'ici la fin juin.

Le Statut entrera en vigueur dès que 60 États l'auront ratifié. Des initiatives en ce sens ont été lancées dans des capitales partout dans le monde. Le nombre de signatures obtenues jusqu'ici—96 pour l'instant—reflète, je pense, l'engagement sincère des États à poursuivre ce processus jusqu'à son aboutissement. L'on s'attend à ce qu'un bien plus grand nombre de signatures soient recueillies d'ici la date de clôture, soit décembre 2000.

• 0955

Le rythme de la ratification va s'accélérant, un certain nombre d'États étant en train de parachever leurs procédures intérieures. Témoin que l'on gagne du terrain, deux États ont ratifié le Statut depuis début mai, lorsque le projet de loi C-19 a été renvoyé au comité permanent. Dix États l'ont dont ratifié jusqu'ici, et beaucoup d'autres devront leur emboîter le pas très bientôt, en tout cas d'ici la fin de l'année.

Je mentionnerai par ailleurs que de nombreux États qui avaient au départ étaient très hésitants quant à la création de la Cour pénale internationale, se sont depuis joints aux rangs des partisans de la cour. Cela reflète l'appui public et politique accru en faveur de l'établissement et du fonctionnement de la cour, et cela est dû à trois principaux facteurs.

Premièrement, le Statut et la cour elle-même sont maintenant beaucoup mieux compris qu'à l'époque de la conférence de Rome. Je pense qu'il est assez clair pour les États que la cour a été conçue pour fonctionner en tant qu'organe judiciaire et non pas en tant qu'organe politique.

Deuxièmement, il est maintenant clair que la cour va très bientôt exister.

Troisièmement, même si certains États ont au départ eu certaines hésitations relativement à divers aspects du Statut, la plupart des États ont depuis conclu que l'établissement d'une Cour pénale internationale est une initiative si positive qu'ils ont décidé de bâtir sur la base du Statut dans son libellé actuel, en dépit de leurs réserves initiales.

[Français]

Le Canada a un rôle très particulier à jouer, celui de maintenir l'élan qui a poussé à l'établissement de la Cour pénale internationale. Le Canada a été le premier pays à déposer sa loi, une loi globale portant à la fois sur le droit interne et sur le processus de ratification. J'espère que les membres du comité seront d'accord pour juger que la Cour pénale internationale vaut l'appui qu'elle reçoit maintenant de la vaste majorité des pays comme du Canada, et que le Canada va faire tout ce qu'il peut pour maintenir cet élan en faveur d'une meilleure justice internationale.

Comme je l'ai dit au début de mon intervention, je regrette de n'avoir pu faire cette intervention qu'en anglais dans sa majeure partie. Je suis naturellement tout à fait disposé à répondre aux questions qui peuvent être posées dans l'une ou l'autre des deux langues.

Madame la présidente, merci beaucoup.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

C'est M. Anders qui va ouvrir la période des questions.

M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Alliance canadienne): J'aimerais souligner que c'est aujourd'hui la première fois que je siège au comité. Je remplace un collègue à moi, Gurmant Grewal, qui était dans l'impossibilité d'être ici aujourd'hui.

Une électrice dans ma circonscription, Lorraine Adlington, m'a écrit au sujet de toute cette question, et elle se demandait comment un tel organisme ou organe pourrait surmonter les objections d'États opposés à vos intérêts ou à votre présence.

M. Philippe Kirsch: Pourriez-vous répéter votre dernière phrase?

M. Rob Anders: Elle se demandait comment un tel centre de droit pénal ou une telle cour internationale pourrait contourner un État donné qui serait opposé à vos intérêts ou à votre présence dans le contexte de ses affaires.

M. Philippe Kirsch: Le Statut de la cour est un document dont la plupart des éléments ont fait l'objet de négociations approfondies. À la fin de la conférence de Rome, il restait encore des préoccupations relativement à certains aspects, notamment la juridiction de la cour, mais pour ce qui est de la quasi-totalité des autres éléments, le Statut représente bel et bien un équilibre entre toute une gamme d'intérêts différents.

J'ai mentionné dans mon exposé que je sais qu'un certain nombre des États qui, lors du vote sur le Statut de Rome, se sont abstenus ou ont même voté contre, aujourd'hui non seulement acceptent le Statut mais parlent ouvertement en faveur de lui. Cela est dû au fait—et je pense avoir également mentionné cela plus tôt—que lorsque les États examinent le Statut tel qu'il se présente, ils se rendent compte que nombre de leurs préoccupations ont en fait été réglées dans le texte, y compris, en particulier, la crainte qu'une cour empiète sur la souveraineté nationale des États. Je pense qu'il est très clair, lorsque vous lisez le Statut, qu'en temps normal, le premier droit de refus revient aux États.

• 1000

Si des crimes relevant du Statut sont perpétrés, il incombe aux États ayant compétence en la matière de faire enquête et d'intenter une action. Ce n'est que dans les cas les plus flagrants, lorsqu'il est clair que justice ne sera pas faite—ce qui veut dire ou que l'État refuse de prendre ses responsabilités, d'intervenir, ou qu'il mène des enquêtes ou des poursuites qui visent, par exemple, clairement à protéger l'accusé au lieu d'aboutir à des conclusions fondées sur la loi, ou encore que le processus judiciaire s'est effondré—que la cour exercera sa compétence.

M. Rob Anders: Tout juste ce matin, j'ai assisté à une réunion au sujet de la Birmanie et de certaines des situations que le pays a connues au cours des dernières décennies, depuis l'indépendance acquise en 1948. Supposons, par exemple, que vous aviez un gouvernement comme celui de la Birmanie, qui était complice de nombreux actes auxquels vous vous opposez. Comment traiteriez-vous avec un État comme la Birmanie?

Vous dites que certains États se sont abstenus lors du vote ou se sont prononcés contre la conférence de Rome. Quelles en étaient leurs raisons? Et comment traiteriez-vous avec un État comme la Birmanie qui est complice de certaines des choses que vous contestez?

M. Philippe Kirsch: En ce qui concerne la question de la relation entre les États et la cour de façon générale, je soulignerais tout d'abord que seuls les États qui sont parties à la cour ont des obligations vis-à-vis de celle-ci. Les États qui ne sont pas parties n'ont quant à elles pas d'obligation.

La façon dont la cour établit sa juridiction dépend de la façon dont cette dernière est déclenchée. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le régime juridictionnel de la cour a fait l'objet d'un débat exhaustif à Rome, et la conclusion était que pour que la cour ait compétence en situation normale—c'est-à-dire, si le procureur a enclenché la juridiction de la cour ou si un État partie l'a enclenchée—alors il faut, pour que la cour exerce sa juridiction, que vous ayez le consentement ou de l'État de la nationalité de l'accusé ou de l'État du territoire à l'intérieur duquel le crime a été commis.

La solution à une situation comme celle que vous décrivez dépend de deux facteurs. Premièrement, nous souhaiterions tous, bien sûr, que la juridiction de la cour soit acceptée soit de façon générale, soit au cas par cas, par le plus grand nombre possible d'États, ce en vue de rendre un jour universelle sa juridiction. Mais il existe un autre outil qui est disponible pour déclencher la juridiction de la cour: le Conseil de sécurité peut le faire. Dans ce cas, bien sûr, le Conseil de sécurité qui agit ainsi jouit de bien plus de pouvoirs pour veiller à ce que la juridiction de la cour soit en fait respectée.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Madame Lalonde.

[Français]

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Il s'agit d'une nouvelle institution, mais c'est plus que ça. C'est vraiment la mise sur pied d'une justice internationale pour les crimes les plus graves.

• 1005

Les effets que nous en voyons déjà sont, entre autres, le tribunal mis sur pied concernant le Rwanda. Or, on constate qu'il y a là un certain nombre de problèmes. Quelle comparaison feriez-vous entre la future cour et le tribunal mis sur pied pour le Rwanda? Qu'est-ce qui sera semblable ou qu'est-ce qui sera différent?

M. Philippe Kirsch: Si on a établi cette cour plutôt que de maintenir l'établissement de tribunaux ad hoc, c'est dans une large mesure attribuable aux problèmes que ces tribunaux ad hoc ont eus. Ils ont eu des problèmes de fonctionnement, que nous connaissons. Je pense qu'il est juste de dire qu'avec le temps, ces problèmes se résorbent graduellement. Leur fonctionnement est beaucoup plus souple et beaucoup plus efficace que quand ils ont été créés. Ça, c'est sur le plan du fonctionnement.

Sur le plan des principes, la création de tribunaux internationaux ad hoc pose un certain nombre de problèmes: des problèmes de financement, car il faut partir de rien, des problèmes d'équipement, de ressources humaines et de modalités de fonctionnement, qu'il faut établir à chaque fois. Donc, cela entraîne des délais considérables et exige une espèce de rodage qu'il est très difficile de recréer à chaque fois.

L'avantage de la Cour pénale internationale, de ce point de vue, est qu'il s'agira d'une institution permanente qui, une fois établie, aura ses procédures. On n'aura plus à faire face à toutes ces difficultés d'enfance que les tribunaux ont connues. Il y a donc une grande différence entre les tribunaux et la cour de ce point de vue.

Une autre différence, évidemment, c'est que les tribunaux ont une compétence limitée, restreinte à une période de temps particulière, à des événements particuliers et à une zone géographique particulière. Donc, leur mode d'opération est nécessairement très limité. La compétence de la Cour pénale internationale sera beaucoup plus générale.

Je mentionnerais un troisième élément, auquel j'ai fait allusion dans mon introduction. Ces tribunaux ad hoc sont nécessairement créés par le Conseil de sécurité, qui a la compétence de le faire mais qui le fait à sa convenance. Il est tout à fait clair que, dans un certain nombre de situations internationales où des crimes de même ordre avaient été commis, aucun tribunal n'a été créé. Donc, la Cour pénale vise à établir un régime qui ne connaîtrait pas tous ces problèmes.

Une autre différence, et c'est la dernière à laquelle je pense actuellement, c'est que les tribunaux ad hoc ont priorité sur le plan de la compétence. C'est-à-dire que si un État a compétence sur des crimes particuliers en même temps qu'un tribunal ad hoc, c'est ce dernier qui a priorité. Dans le cas de la Cour pénale, ce n'est pas le cas. C'est en principe l'État qui a priorité. C'est seulement quand le système judiciaire de l'État ne fonctionnera vraiment pas, soit parce qu'il n'existe plus, soit parce qu'il est manipulé, que la cour aura compétence. Cela a aussi une conséquence sur les coûts.

Il est évident que lorsqu'un tribunal a une compétence prioritaire dans une situation donnée, c'est lui qui doit absorber l'ensemble des affaires et donc l'ensemble des coûts. Dans le cas de la Cour pénale internationale, le nombre d'affaires qui lui seront présentées sera vraisemblablement beaucoup plus restreint parce que la plupart des États, le Canada au premier chef, exercent leur compétence d'une façon qui est tout à fait légitime et n'appellent pas d'intervention extérieure.

Je vous remercie.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur McWhinney.

M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Bienvenue, monsieur Kirsch, vous qui êtes de retour au Canada. Je pense que nous sommes tous très fiers de votre travail en tant que président du comité qui a obtenu l'adoption du traité sur le tribunal de Rome. Comme vous le savez, vous avez eu cette charge, vous avez été choisi par consentement unanime, je pense, au Conseil de sécurité comme étant l'homme de la situation pour présider ce comité. Nous en sommes tous très fiers, et, vous ayant vu en action plus tôt dans votre carrière, je pense que c'en est un merveilleux couronnement.

• 1010

Cela étant dit, puis-je vous poser une question au sujet de l'échéancier pour l'adoption du traité? Comme vous le savez, avec l'adoption de la Convention sur le droit de la mer, à laquelle les juristes canadiens ont beaucoup contribué—je pense en fait que le service du contentieux du ministère des Affaires étrangères et peut-être Singapour et le Venezuela ont formé la faction des irréductibles—les nouvelles idées sur la Loi de la mer ont reflété la convention de 1982. Mais la ratification du traité par le Canada a accusé un retard considérable. En effet, lorsque le traité est devenu loi avec le nombre minimum de 60 ratifications, nous n'étions pas encore dans le processus; nous n'avons pas participé à la création du tribunal ou de l'organisation, ni à la structuration de ce tribunal.

J'aimerais savoir ce que vous envisagez comme échéancier pour la ratification du traité de Rome. Combien de ratifications ont été obtenues à ce jour? Deuxièmement, quel est le rôle du Canada? Troisièmement, quand prédisez-vous que le tribunal sera fonctionnel et êtes-vous en mesure de dire que nous serons de la partie dès le départ une fois le document ratifié?

M. Philippe Kirsch: Merci beaucoup.

Je trouve intéressante cette comparaison avec la Convention sur le droit de la mer. Je pense, pour vous montrer tout de suite mon jeu, que je suis beaucoup plus optimiste quant à l'échéancier dans ce cas-ci que je ne l'ai été avec la Convention sur le droit de la mer, et la raison en est que je pense qu'après l'adoption de la Convention sur le droit de la mer, l'on s'est rendu compte que la convention comportait de très réels problèmes qui devaient être corrigés d'une façon ou d'une autre.

Dans ce cas-ci, le processus est presque l'inverse. Plus les États examinent le Statut créant la Cour pénale criminelle, plus ils sont satisfaits, non seulement du fait qu«il n'y ait pas de graves problèmes à corriger, mais également parce qu'ils estiment que le Statut devrait demeurer tel quel. Voilà donc le contexte.

Pour ce qui est de votre question précise, il faut que 60 États ratifient le Statut pour qu'il entre en vigueur. Les États qui ont signé le Statut—non pas ratifié, mais signé—sont au nombre de 96, et mon évaluation réfléchie de la situation est qu'aucun État ne ratifierait un instrument international du genre sans avoir la véritable intention de poursuivre le processus jusqu'à son aboutissement, c'est-à-dire jusqu'à et y compris la ratification. Je pense que dans une large mesure la rapide signature des États a pour objet de montrer que, oui, l'État appuie le Statut et qu'il va s'agir d'une institution viable.

Quant à la question des ratifications, qui vont s'accélérant, il y a aujourd'hui 10 États sur 60 qui ont ratifié le Statut, et l'on demande souvent à juste titre s'il n'y a pas un risque que le Statut n'entre en vigueur que d'ici plusieurs années. Ma propre évaluation de la situation est qu«il n«y a pas de problème, car le Statut, comme nous le savons bien au Canada, est un document extrêmement complexe qui exige dans la plupart des États, premièrement, l'adoption d'une vaste législation pour veiller à ce que les lois nationales correspondent aux obligations internationales auxquelles souscrivent ces États. Mais, dans certains cas, il y a une apparence de contradiction entre le Statut sur la CPI et la constitution même de certains États. Cela exige une évaluation exhaustive des méthodes susceptibles d'être adoptées pour corriger ces situations.

Dans le cas de la France, par exemple, ils ont décidé que, oui, un amendement à la constitution du pays était nécessaire, et cela s«est fait. Dans le cas de l'Espagne, et j'étais à Madrid la semaine dernière pour une conférence régionale, ils ont fait la même analyse et en ont conclu qu'il n'y a en fait aucune contradiction entre la constitution espagnole et le Statut sur la CPI. Le pays va donc le ratifier sans que des changements ne soient nécessaires.

• 1015

La remarque plus générale que j'aimerais faire est qu'étant donné la nécessité d'étudier les lois nationales avec le soin requis pour veiller à ce que l'État se conforme aux obligations internationales, cela demande beaucoup de temps. Mais ce qui arrive simultanément est qu'il y a un grand nombre d'États qui vivent exactement le même processus très exactement au même moment. Ma conclusion est que nous verrons au cours des quelques années à venir une pluie de ratifications simultanées, tous ces processus simultanés aboutissant à leur conclusion plus ou moins en même temps.

Plus précisément, au risque de me faire contredire par les faits, mon impression est que le Statut devrait entrer en vigueur d'ici à quatre ans au plus tard.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

M. Ted McWhinney: Le temps dont je disposais est-il écoulé?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Oui, malheureusement. Nous sommes un peu pris par le temps ici, car nous avons commencé en retard.

M. Ted McWhinney: Je comprends. Je respecte les règles.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Anders, très rapidement, je vous prie.

M. Rob Anders: Vous avez mentionné que la cour interviendrait dans les cas de manipulation des tribunaux de l'État, par exemple. J'aimerais savoir comment vous définiriez «manipulation». Des retards dans le système judiciaire de l'État justifieraient-ils l'emploi de ce terme? Et le parti pris d«un document d'interprétation utilisé pour rendre un jugement? Ou encore un système de tribunaux truffés de pions politiques sûrs? Qu'est-ce qui pourrait être qualifié de «manipulation de la cour nationale»?

M. Philippe Kirsch: J'aimerais revenir un instant à des situations existantes, car il est plus facile de comprendre avec des exemples de cas véritables.

Regardez ce qui s'est passé en ex-Yougoslavie ou au Rwanda. Si vous prenez comme prémisse que le régime sous lequel certains crimes ont été commis est toujours en place, et si vous savez déjà, ce qui est, je pense, un fait assez bien établi, que certains de ces crimes ont été commis ou commandés ou autorisés par les agents de l'État lui-même, vous en arriverez aisément à la conclusion qu'il est impossible pour vous de vous attendre dans pareille situation à ce que se déroule un processus judiciaire normal. C'est là l'essentiel, le fondement même de ce principe de complémentarité, lorsqu'il est clair dans certaines situations que rien ne se passera en vérité.

Il vous faut établir que la décision a été prise dans le but de protéger la personne concernée ou qu'il y a eu un retard injustifié ou que la procédure n'est ni indépendante ni impartiale ou qu'elle se déroule de telle sorte qu'il est clair que son objet n'est pas de faire un procès à l'intéressé. Cette disposition fondamentale, à l'article 17 du Statut, sera complétée par des règles de procédure et de preuves appropriées. Je pense que cela suffit pour vous donner au moins une idée de ce que vise cette disposition.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Monsieur Kirsch, ça me fait grand plaisir de vous voir devant ce comité. J'aimerais, comme je l'ai fait à d'autres occasions, vous féliciter pour le travail accompli à la conférence qui a engendré le Statut de Rome. Nous reconnaissons tous que vous et vos collègues avez fait un travail remarquable et êtes de ceux qui ont réussi ce que d'autres n'avaient pas réussi avant vous, depuis le temps que nous parlions de la création d'une cour pénale internationale. Vous avez sans doute été un des grands artisans de cette réussite dont notre communauté internationale doit s'enorgueillir et vous continuez à travailler pour assurer le succès de cette entreprise.

• 1020

J'aimerais que vous nous parliez des travaux substantifs de la Commission préparatoire parce qu'à bien des égards, elle est en train de compléter l'oeuvre de la conférence sur le fond. Je pense notamment aux éléments des crimes. Une des choses que j'ai signalées ici, c'est que la commission va sans doute ajouter au statut quelque chose qui mériterait peut-être que ce comité ou la Chambre des communes en soit saisie pour que nous connaissions non seulement le statut, mais aussi un élément déterminant qui lui sera ajouté. C'est donc ma première question. J'aimerais savoir où en sont les travaux et si vous considérez qu'il serait utile que le Parlement soit saisi de la question des éléments des crimes et l'étudie lorsque la commission aura terminé ses travaux à ce sujet.

Ma deuxième question concerne—et je pense que cela vous intéresse dans vos fonctions actuelles—ce que le Canada souhaite en termes de participation et de présence à la Cour pénale internationale. M. McWhinney signalait que le rôle important qu'avait joué le Canada pendant les négociations sur la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ne s'était pas traduit par une présence du Canada et d'un Canadien au Tribunal international du droit de la mer. Est-ce qu'il y a un Canadien qui est membre du tribunal?

M. Ted McWhinney: Non, il n'y en a pas.

M. Daniel Turp: Pensez-vous qu'il serait important que la première Cour pénale internationale compte un juge canadien? Est-ce que les travaux et la participation actuelle, la vôtre et celle d'autres Canadiens, vont dans le sens de cette volonté d'être associé à la cour dès qu'elle commencera ses travaux?

M. Philippe Kirsch: Je vous remercie beaucoup. D'abord, je voudrais vous remercier de votre phrase introductive, tout comme d'ailleurs M. McWhinney des commentaires qu'il a formulés plus tôt.

Votre première question portait sur les travaux de la Commission préparatoire et plus spécifiquement sur les éléments des crimes. Les éléments des crimes ont un historique assez particulier, et je pense qu'il vaut la peine de le rappeler. La plupart des États qui ont participé à la Conférence de Rome ne souhaitaient pas que les éléments des crimes soient développés. Ils estimaient que la liste des crimes contenue dans le statut était suffisante et qu'il appartiendrait au tribunal de développer, le cas échéant, une jurisprudence applicable à chacun des crimes en question.

Les États-Unis en particulier et quelques autres États souhaitaient que les éléments des crimes soient développés séparément pour qu'ils puissent lier le tribunal dans son interprétation des crimes définis au statut. Cette proposition n'était pas acceptable, dans la forme dans laquelle elle avait été présentée, à une vaste majorité des États. On a évoqué différentes raisons; l'une d'entre elles était que la plupart des autres États n'estimaient pas que ces éléments des crimes étaient nécessaires. Une autre raison était une certaine appréhension que les crimes définis dans le statut ne soient modifiés indirectement par ces éléments des crimes.

Donc, l'accord qui a été conclu à la fin, vu l'insistance des États-Unis, qui a fait l'objet de beaucoup de concessions au cours des négociations, a été que la Commission préparatoire préparerait des éléments des crimes pour adoption par l'assemblée des États, mais que ces éléments des crimes ne serviraient que de guides à la cour dans l'interprétation des crimes définis au statut et n'auraient aucune force obligatoire.

Le statut lui-même prévoit aussi que les éléments des crimes ne peuvent en aucun cas s'écarter du statut.

• 1025

Je vais vous donner un exemple simple au sujet des éléments des crimes. Supposons qu'il s'agisse d'une attaque contre des civils, donc d'un crime de guerre. L'élément des crimes portant sur ce crime particulier va devoir démontrer trois choses: la première, c'est que l'environnement entourant le crime existe, c'est-à-dire qu'il y a un conflit armé; la deuxième, que le crime particulier d'une attaque contre les civils a été commis; et la troisième, que la personne ayant commis ce crime avait bien l'intention de commettre ce crime et qu'il ne s'agissait pas d'une erreur ou d'un accident. Ce que je dis est très schématique, mais ce sont vraiment les trois éléments, à mon sens, qui existent dans les éléments des crimes. Évidemment, certains crimes sont beaucoup plus compliqués que d'autres et il y a toutes sortes de subdivisions, mais c'est, je pense, le schème de chaque élément de crime qui est développé dans les éléments des crimes.

Je ne vous cacherai pas que quand la Commission préparatoire a commencé ses travaux, un certain nombre de participants pensaient que même avec ces éléments des crimes tels que modifiés, tel que contenus dans le statut, il y avait un risque qu'on modifie la définition des crimes contenus au statut lui-même. Au fil des négociations, il n'est pas arrivé que chacun des éléments des crimes ayant été définis dans le document en question corresponde à la satisfaction de tous les participants aux crimes tels qu'ils avaient été définis dans le statut.

Certaines appréhensions qui existaient à l'égard de certains crimes contenus dans le statut ont été apaisées par la définition d'éléments des crimes. Je pense qu'il n'est pas inutile de mentionner ici le transfert des populations en territoires occupés, qui était un problème majeur que rencontrait Israël et la raison essentielle pour laquelle Israël a voté à Rome contre le statut et l'a dit.

Au fur et à mesure que les négociations se sont poursuivies sur cette question, il est devenu clair qu'Israël craignait que, par la formulation qui avait été adoptée dans le statut, qui est légèrement différente de la formulation qui existait auparavant dans les instruments pertinents, on ne soit en train de créer du nouveau droit international humanitaire sans savoir ce que c'était. La position des pays arabes était qu'ils s'inquiétaient qu'on soit, de par cette formulation, en retrait du droit international humanitaire.

La solution de cette question a été l'inclusion, via une note de bas de page, d'une disposition précisant que ces éléments des crimes particuliers seraient interprétés en fonction du droit international humanitaire. Cette disposition a amené Israël et les pays arabes à accepter non seulement l'élément de crime pertinent, mais aussi le crime tel qu'il a été défini au statut. Les éléments des crimes ont un effet de clarification, mais ne peuvent pas avoir pour effet de modifier les crimes tels qu'ils ont été définis au statut.

Pour ce qui concerne votre dernière question, évidemment, il m'est un peu difficile de...

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Excusez-moi, monsieur Kirsch. Cela m«ennuie, mais nous devons encore entendre plusieurs autres témoins, et nous avons déjà largement débordé le temps prévu.

[Français]

M. Daniel Turp: Mais c'est important. Pourrions-nous lui accorder quelques minutes pour répondre à la question?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Pourrait-il vous fournir la réponse par écrit? Nous avons d'autres témoins qui se sont préparés à comparaître et à répondre à nos questions, et nous sommes très en retard.

[Français]

M. Daniel Turp: [Note de la rédaction: Inaudible] ...madame la présidente.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Seriez-vous prêt à mettre cela par écrit?

M. Daniel Turp: Non, il ne va pas mettre cela par écrit.

Des voix: Oh! Oh!

[Français]

Une voix: Pas du tout.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Pouvez-vous répondre en l'espace de 45 secondes ou moins?

M. Philippe Kirsch: Je vais essayer, madame la présidente. Je m'excuse si mes réponses ont été plus longues que les questions.

Je ne suis pas très bien placé pour répondre directement à cette question, pour des raisons évidentes. Je suis absolument convaincu que l'engagement du Canada envers la Cour pénale internationale est soutenu et qu'il ne s'estompera pas au fil du temps.

Quant à la forme que pourraient prendre les modalités de cette participation une fois la cour créée, je pense qu'il vaudrait mieux que je m'en remette aux autorités supérieures.

Merci beaucoup.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Quarante-cinq secondes ne suffiront pas.

M. Daniel Turp: Madame la présidente, je voudrais faire une remarque d'à peine 30 secondes. M. Kirsch a dit quelque chose de très important. Il a dit qu'il fallait prendre le temps, comme d'autres pays l'ont fait, pour élaborer une bonne loi de mise en oeuvre.

• 1030

Je voudrais faire remarquer à mes collègues d'en face qu'il faut prendre le temps nécessaire pour faire du projet de loi C-19 le meilleur des projets de loi. L'horaire de cette semaine en est un qui laisse entendre qu'on ne peut peut-être pas nécessairement prendre tout le temps qu'il faut pour que ce soit le meilleur des projets de loi.

On vient de signaler des points que M. Narvey, qui souhaitait être entendu par nous, souligne dans le document écrit qu'il a fait circuler et qui mériteraient d'être entendus par ce comité.

C'est M. Kirsch, et non moi, qui dit qu'il faut prendre le temps de bien élaborer les lois de mise en oeuvre de ce statut.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je ne conteste pas ce que vous dites. Peut-être que l'on pourra en discuter plus tard, mais, pour l'heure, ce matin, nous avons d'autres témoins que nous aimerions entendre.

Merci beaucoup de votre comparution. Comme vous le voyez, nous avons encore beaucoup de questions pour vous et je suggérerais que les gens vous les soumettent par écrit. Merci beaucoup.

Je suspends la séance pendant quelques minutes en attendant que l'on se réorganise.

• 1031




• 1036

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très bien. J'aimerais maintenant présenter les témoins.

Nous accueillons aujourd'hui Bruce Broomhall, du Lawyers Committee for Human Rights; Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale (Canada); Richard Dicker, avocat-conseil pour Human Rights Watch; Donald S. Baker, qui comparaît à titre individuel; et Joanne Lee, attachée de recherche à l'International Centre for Criminal Law Reform and Criminal Justice Policy, de l'Université de la Colombie-Britannique.

Je demanderai à M. Broomhall de commencer.

M. Bruce Broomhall (Lawyers Committee for Human Rights): Merci, madame la présidente. Je remercie le comité de l'occasion qui nous est ici donnée de discuter du projet de loi.

Je devrais dire, pour commencer, que le Lawyers Committee for Human Rights est membre du comité directeur de la Coalition for an International Criminal Court, une ONG qui oeuvre pour le compte de plus de 1 000 organisations non gouvernementales partout dans le monde depuis plus de cinq ans en vue de veiller à ce que soit créée une cour pénale internationale efficace. Le Lawyers Committee en particulier appuie la création d'une institution qui, comme nous venons de l'entendre de la bouche de l'ambassadeur Kirsch, promet de faire une importante contribution à l'avancement de la règle du droit dans un domaine qui, trop souvent au cours du dernier siècle, a été livré à des contraintes diplomatiques et politiques.

Bien que le Lawyers Committee for Human Rights ait son siège à New York, en tant que Vancouverois, c'est pour moi un privilège tout particulier d'avoir ainsi l'occasion de revenir au Canada pour comparaître ici devant vous sur la colline du Parlement.

J'aimerais commencer par souligner ce qu'a dit l'ambassadeur Kirsch au sujet de la façon dont la Cour pénale internationale promet de faire avancer l'important travail qui a été accompli au cours des dix dernières années dans le domaine de la justice internationale.

Nous savons qu'au moins depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et même avant cela à certains égards, il y a un mouvement vers la légalisation des droits de la personne et des aspects humanitaires de la conduite de la guerre. Pendant la guerre froide, bien sûr, nous avions une certaine clarté quant à ces normes et il y a eu un certain mouvement vers la clarification de leur mise en oeuvre, mais il nous a fallu attendre la fin de la guerre froide pour marquer des progrès significatifs. Comme vous le savez, ce sont le TPIY et le TPIR, les tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, qui ont vraiment convaincu la communauté internationale que l'application de ces normes était faisable. Je ne pense pas qu'il y ait eu autre chose qui ait donné plus d'énergie au processus de création d'une cour pénale internationale que ces deux exemples.

• 1040

Nous sommes dans une période historique dans laquelle nous cherchons à donner un peu de substance aux normes juridiques et à rédiger les règles selon lesquelles ce système de justice internationale fonctionnera sur le plan pratique et non pas simplement dans le contexte de normes. Comme l'a souligné l'ambassadeur Kirsch, la CPI va s'appuyer fermement sur des idées de souveraineté, sur ce que nous appelons la complémentarité dans les milieux où l'on parle de la Cour pénale internationale, où l'on voit une synergie ou une collaboration entre les tribunaux des différents États et ceux de la communauté internationale.

Ce modèle, qui a résulté du processus diplomatique à Rome, était, du point de vue des ONG, assorti de trop de compromis à bien des égards et trop limité pour convenir à certains d'entre nous. Cependant, en même temps, nous avons convenu qu'il s'agissait sans doute du meilleur équilibre entre la souveraineté et la justice internationale que la communauté mondiale serait prête à accepter pour l'instant. Comme l'a dit l'ambassadeur Kirsch, nous avons consacré nos efforts à veiller à ce qu'il y ait un appui maximum pour cette institution.

Nous ne sommes pas seuls dans cette entreprise. L'ambassadeur Kirsch a mentionné que l'appui de gouvernements partout dans le monde a été véritablement remarquable. Les dix ratifications que nous avons maintenant promettent d'être suivies, en l'espace de moins de deux mois, par des ratifications de la part d'États européens de premier plan dont, je pense, l'Allemagne, très vraisemblablement la France, la Belgique, le Portugal et plusieurs autres pays d'Europe occidentale. Je pense qu'il n'est pas irréaliste de penser que 12 ou 13 des 15 membres de l'Union européenne auront ratifié ce statut d'ici à la fin de l'année civile en cours.

Avec ces États derrière la CPI, aux côtés, je l'espère, du Canada, je pense que nous verrons une poussée accrue en faveur de la création de cette cour, car ce sont ces États qui sont en un sens en train d'assurer le premier leadership politique. Il y a 28 ou 29 États de l'Afrique subsaharienne qui ont signé le Traité de Rome, une douzaine d'États d'Europe de l'Est et un nombre semblable de pays d'Amérique latine. Nous croyons qu'une fois que les pays d'Europe occidentale auront donné leur appui au projet, il y aura une rapide multiplication de ratifications en Afrique et en Amérique latine. Je pense qu'au fil du temps nous verrons également les États qui sont restés sceptiques quant au processus s'y montrer de plus en plus favorables au fur et à mesure qu'ils verront les avantages que cela leur procurera.

Cela étant dit, même à Rome, la question de lois de mise en oeuvre du Statut de Rome a été discutée, et elle fait, depuis, l'objet de discussions de plus en plus intenses.

En octobre 1998, la première tribune publique à laquelle j'ai discuté de la mise en oeuvre du Statut de Rome a été un panel organisé à l'Université de Toronto et comprenant le président du comité ici réuni, Bill Graham. À l'époque, nous commencions à esquisser les différents critères qu'une bonne loi de mise en oeuvre allait devoir englober. Au début de l'année 1999, j'ai écrit un papier là-dessus que j'ai partagé avec des députés, et nous avons reçu en retour des commentaires et des avis. Plusieurs ONG au Canada travaillent assidûment à cette question. Au fil du temps, notre idée de ce qui constituerait une bonne loi de mise en oeuvre s'est précisée, et nous avons été très heureux, en décembre, de voir le projet de loi C-19 comme premier exemple exhaustif d'une loi de mise en oeuvre.

Les membres du comité sont bien sûr au courant du rôle de leader que le Canada a joué dans tout ce processus d'établissement d'une cour pénale internationale avant la conférence de Rome, pendant celle-ci et, depuis, dans le cadre du travail de la Commission préparatoire. Mais il nous faut, je pense, établir clairement que ce genre de loi est également important pour souligner l'engagement du Canada à aller de l'avant avec ce processus et à donner l'exemple à d'autres pays qui sont engagés dans les mêmes débats, les mêmes discussions ou qui s'y engageront dans les mois à venir.

• 1045

Cela étant dit, il me faudrait faire quelques brefs commentaires au sujet du projet de loi.

Comme je l'ai dit, nous avons été enchantés par le projet de loi lorsque nous l'avons vu pour la première fois, et ce précisément parce qu'il est exhaustif. Le Statut de Rome impose l'obligation de collaborer efficacement avec la cour. Comme nous l'avons dit, la CPI assure un équilibre entre la souveraineté et la nécessité d'avoir une justice internationale efficace. En tant que telle, elle aura besoin de la collaboration intensive des États si elle veut être efficace en tant qu'institution et la façon de faire en sorte que cette coopération soit efficace tout en respectant les systèmes nationaux est une question qui a fait l'objet d'un débat approfondi dans le cadre du processus diplomatique.

La conclusion a été l'insertion dans le Statut de Rome de l'obligation pour les différents États de collaborer avec la cour dans la fourniture de preuves, la protection des témoins, la saisie des biens d«origine criminelle et toute une gamme d'autres demandes que pourrait faire la cour, et d'adopter des lois nationales en vue de faciliter cela le cas échéant. Voilà donc les obligations fermes, si vous voulez, prévues dans le Statut de Rome, et d'après mon interprétation, celles-ci sont très bien couvertes par le projet de loi C-19 dans son libellé actuel.

L'autre volet est moins rigide. Ce n'est pas une obligation en vertu du Statut de Rome en tant que telle, mais, comme l'a dit l'ambassadeur Kirsch, le principe de la complémentarité, le fait que la CPI sera une juridiction secondaire, donne aux États une forte incitation à rendre eux-mêmes justice. Une chose que nous examinions depuis le tout début était la façon d'encourager les États à intégrer entièrement les crimes définis dans le Statut de Rome dans leurs propres systèmes nationaux et, bien sûr, le projet de loi C-19 est sur ce plan admirable.

Il me faut également dire qu'en plus de correspondre aux deux volets de ce que nous visions en matière de loi de mise en oeuvre du Statut de Rome—le volet coopération et le volet complémentarité—le projet de loi C-19 va en fait au-delà de cela, comme le savent sans doute les membres du comité, en traitant de certaines questions qui sont ressorties de la jurisprudence canadienne—et je songe tout particulièrement à l'affaire Finta—et en prévoyant une juridiction universelle, comme on l'appelle, de telle sorte que ces crimes, soit l'ensemble très restreint de crimes visés par le droit international, puissent faire l'objet de poursuites devant les tribunaux canadiens où qu'ils aient été commis. Il s'agit là d'une règle de droit qui est bien établie depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et qui remonte peut-être plus loin encore, mais c'en est une que nous ne cherchons à véritablement mettre en pratique que depuis quelques années seulement.

Ayant dit toutes ces choses positives au sujet du projet de loi, j'aimerais faire encore une observation. Si le comité envisageait de recommander des changements au projet de loi, je pense qu'il serait bon qu'il se penche sur un certain nombre de choses.

Premièrement, je m'interroge sur l'emploi de «peut autoriser» au lieu de «autorisera» à l'article 57 du projet de loi, en vertu duquel le ministre peut autoriser le procureur général du Canada à prendre les mesures d'exécution d'une ordonnance de la CPI. Je comprends que la logique derrière cela est qu'avec l'emploi de «peut» il s'agit d'une disposition habilitante, permettant au ministre de prendre des mesures en réponse à une demande de la cour, et la question de savoir s'il y a une obligation de prendre de telles mesures dépend alors entre autres choses du droit international. Dans ce cas-ci, la loi internationale serait bien sûr le Statut de Rome, qui exige en effet la collaboration, sauf dans certaines circonstances bien déterminées. C'est pourquoi je me demande s'il ne faudrait pas remplacer «peut autoriser» par «autorisera», étant donné que le Statut de Rome prévoit pour la CPI des procédures de contestation de demande d'aide, etc.

J'aimerais également soulever la question des remises et des extraditions. Il y a eu tout un débat au sujet de la question de savoir si les procédures en matière d'extradition devraient s'appliquer au transfert de personnes à une cour internationale, et je pense que les membres du comité sont au courant.

• 1050

Dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, il y a l'article 102, un article de définitions, qui établit une distinction entre les deux. L'extradition se fait entre États. La remise se fait entre un État et la CPI, la raison motivée étant que la CPI représente en un sens la communauté internationale. Elle prévoit d'importantes garanties. En tant qu'institution internationale, elle ne soulève pas les questions politiques visées par l'exemption d'extradition pour crimes politiques qu'on avait instaurée à cette fin.

L'idée avait été qu'une procédure plus simple s'appliquerait à la remise comparativement à l'extradition entre États. Il me faut dire que le projet de loi est tout à fait le bienvenue à cet égard, étant donné qu'avec les amendements à la Loi sur l'extradition, il prévoit que les motifs de refus ne s'appliquent pas. Il s'agit donc d'une simplification du processus en ce qui concerne le CPI et que nous accueillons très favorablement.

Cependant, je me demande si cela ne pourrait pas être simplifié plus encore en traitant des dispositions en matière d'examen judiciaire et d'appel dans la Loi sur l'extradition. Nous savons, avec l'affaire Pinochet au Royaume-Uni et d'autres affaires, que ces procédures peuvent dans certains cas s'étirer sur un très grand nombre d'années. Si j'ai bien compris, il y a au Canada une affaire en cours qui pourrait peut-être nous fournir un exemple de cela, soit l'affaire Mugesera. Il faudrait tenir compte des exigences de la Charte quant au droit de demeurer au Canada, et ainsi de suite, mais un amendement qui mériterait peut-être que l'on s'y penche serait de prévoir un appel sur autorisation plutôt qu'un appel automatique. D'après ce que j'ai compris, la jurisprudence relative à la Charte pourrait permettre cela.

Quoi qu'il en soit, et passant à autre chose, j'allais suggérer que l'on se penche également sur la possibilité de fusionner les dispositions en matière de poursuites à l'extérieur du Canada et celles en matière de poursuites à l'intérieur du Canada. Selon moi, le projet de loi, dans son libellé actuel, pourrait tout aussi bien prévoir la poursuite en vertu du droit coutumier à l'intérieur du Canada que la poursuite à l'extérieur du Canada. Je ne vois aucune raison à cela dans la Charte.

Pour conclure, je suggérerais que vous examiniez la possibilité, mais non dans le contexte de ce projet de loi-ci, de prévoir des recours civils en droit canadien pour les victimes de ces crimes. Cela a donné d'assez bons résultats dans certains pays et serait un ajout intéressant aux mesures canadiennes en matière de justice internationale dans ce pays.

Enfin, j'aimerais dire que ces suggestions d'amendement sont sans préjudice de ma suggestion que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible en vue de faciliter la rapide ratification du statut par le Canada. Personnellement, j'aimerais beaucoup voir le Canada au premier rang des pays ratifiant le Statut de Rome, et j'aimerais tout particulièrement voir ce projet de loi servir d'exemple à d'autres pays. La Belgique a une législation en place à l'heure actuelle, mais elle est morcelée; il ne s'agit pas d'un texte de loi unifié comme celui-ci. La France va être retardée de quelques mois. L'Allemagne va proposer un texte de loi trop détaillé pour qu'il puisse servir à l'échelle internationale. L'exemple canadien serait ici très utile et c'en est un que d'autres pays dans le monde attendent. Plus tôt le comité bouclera son travail, mieux ce sera de ce point de vue-là.

Merci beaucoup.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

[Français]

M. Daniel Turp: Je voudrais demander si M. Broomhall va nous fournir un mémoire énonçant les propositions d'amendements.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Le mémoire nous a été fourni en anglais. Nous n'en avons pas encore la version française, mais elle vous sera fournie.

[Français]

M. Daniel Turp: Est-ce qu'il y a des projets d'amendements écrits?

[Traduction]

M. Bruce Broomhall: Je vais vous en fournir copie.

M. Daniel Turp: Pourriez-vous faire cela?

M. Bruce Broomhall: Oui, je le ferai.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Neve.

M. Alex Neve (secrétaire général, Amnistie internationale (Canada)): Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité. Amnistie internationale est très heureuse d'avoir ainsi l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui, et Amnistie internationale est très heureuse du projet de loi C-19.

La Loi sur les crimes contre l'humanité et la ratification subséquente par le Canada du Statut de Rome seront une contribution importante à la réalisation d'un objectif critique en matière de droits de la personne: que les personnes responsables de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité ne jouissent pas d'impunité.

Chose ironique, à ce jour, ce sont précisément les pires criminels du monde—ceux responsables non pas d'un ou de deux actes de violence mais de centaines ou de milliers de morts—qui risquent le moins d'être punis pour leurs crimes.

• 1055

Étant donné cette faille dans le système de droit pénal international, des gouvernements, des forces de sécurité, des groupes rebelles et leurs alliés ont continué de torturer, d'utiliser le viol comme outil de torture et de guerre, de commettre des tueries et de violer cavalièrement les droits fondamentaux des enfants, des femmes et des hommes, confiants qu'ils étaient qu'ils n'auraient aucun prix à payer. En effet, bien au contraire, les coupables ont eu beaucoup à gagner de leurs actes haineux, en règle générale sous forme de puissance politique ou d'avantages économiques pour eux-mêmes.

Un système de droit international qui exigera des comptes des personnes coupables de violation des droits de la personne fera beaucoup pour commencer à rompre ce cercle vicieux d'impunité.

Amnistie internationale félicite le gouvernement du Canada pour le rôle qu'il a joué avant Rome et à Rome en 1998, pour le rôle qu'il a continué de jouer depuis et, aujourd'hui, pour la claire indication que la ratification du Statut de Rome devrait venir peu après l'adoption du projet de loi. Le leadership du Canada dans ce dossier a été et continue d'être important. Avec dix ratifications à ce jour et 50 à venir avant que nous n'atteignions le seuil requis de 60 États parties, il est certes prometteur de constater que le Canada se prépare à franchir ce pas et à ratifier le Statut.

Le projet de loi sera examiné attentivement par de nombreux autres États et devrait servir de modèle à d'autres gouvernements dans leur préparation à la ratification. Cela étant, il est particulièrement important que nous ayons le meilleur projet de loi possible et que celui-ci fixe des normes élevées.

En gros, nous estimons que le projet de loi sera une très bonne loi et nous croyons qu'il ira loin dans la réalisation de ces objectifs en matière de droits de la personne. J'aimerais partager brièvement avec vous ce matin quatre recommandations en vue de l'amélioration du projet de loi et une pensée pour l'avenir.

Premièrement, en ce qui concerne la remise et l'extradition, nous sommes heureux de voir que certaines des recommandations que nous avions faites précédemment relativement au projet de loi C-40, la Loi sur l'extradition, mais qui n'avaient à l'époque pas été pleinement adoptées, ont été intégrées au projet de loi C-19. Nous avions soulevé certaines préoccupations, estimant que le projet de loi C-40 n'établissait pas une distinction suffisante entre le processus de remise à un tribunal international et l'extradition vers un État. Nous craignions que cette faiblesse permette le recours aux principes en matière d'extradition lors d'affaires de remise, ce qui aurait ainsi étiré le processus de remise au tribunal international pertinent.

Nous sommes heureux que l'un des amendements corrélatifs amenés par le projet de loi C-19 précisera que les article 44, 46 et 47 de la Loi sur l'extradition, établissant les motifs de refus pouvant être utilisés par le ministère de la Justice lors d'affaires d'extradition, ne seront explicitement pas utilisables en cas de demande de remise par la Cour pénale internationale. Cependant, nous sommes d'avis que l'absence dans le projet de loi C-19 d'une distinction plus claire entre le processus de remise et celui d'extradition pourrait devenir un obstacle à la remise rapide d'accusés à la Cour pénale internationale.

Il est clair que les procédures d'extradition peuvent être de longues affaires judiciaires. Une nouvelle procédure unique aux cas de remise à un tribunal international pourrait simplifier et accélérer les choses. Bien qu'une telle réforme n'ait pas été proposée dans le projet de loi C-19, Amnistie internationale exhorte le gouvernement à au moins veiller à ce que cela devienne la pratique.

Deuxièmement, en ce qui concerne les crimes commis au Canada et à l'extérieur du Canada, nous avons noté que le projet de loi C-19 propose des définitions différentes de «crimes de guerre» et de «crimes contre l'humanité» selon que les actes ou omissions aient eu lieu au Canada ou à l'étranger. Dans un contexte canadien, la définition ne s'applique qu'aux actes commis après l'entrée en vigueur du projet de loi. Dans le contexte étranger, la définition s'applique si les actes ou omissions étaient d'ordre criminel au sens du droit international en vigueur à l'époque de la commission des actes ou omissions. Nous exhortons le comité à recommander un amendement de telle sorte que la deuxième norme s'applique dans les deux cas.

En ce qui concerne l'immunité, l'article 27 du Statut de Rome établit, ce qui est important, que toute personne, quelle qu'elle soit, même un chef d'État, peut être poursuivie. Les immunités liées à la charge officielle d'une personne n'empêchent aucunement la cour d'exercer sa compétence. La récente affaire Pinochet au Royaume-Uni illustre le degré auquel la défense de l'immunité peut être invoquée par des chefs d'État ou d'anciens chefs d'État.

• 1100

Ce qui est important est que le projet de loi C-19, grâce à un ajout proposé à la Loi sur l'extradition, établit clairement que l'immunité ne peut pas être revendiquée par une personne dont la Cour pénale internationale demande la remise. Nous recommandons que le projet de loi établisse également clairement que l'article 27 sera appliqué systématiquement par les tribunaux canadiens pour les poursuites au Canada, ce afin de veiller à ce que les revendications d'immunité ne soient pas un obstacle au jugement de personnes accusées d'avoir commis des crimes contre les droits de l'homme, que ce soit au Canada ou devant la Cour pénale internationale.

Quatrièmement, en ce qui concerne l'élément mental, la poursuite de criminels de guerre au Canada suite à la décision Finta est devenue impossible, en grande partie à cause de la décision du juge Cory de la Cour suprême du Canada selon lequel l'élément mental requis d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité était que l'accusé sache ou choisisse délibérément d«ignorer qu'il ou elle inflige une souffrance incalculable à ses victimes.

Ce critère mental d'inhumanité volontaire ne fait pas partie du Statut de Rome, qui traite de l'élément mental à l'article 30. Nous estimons que la décision dans l'affaire Finta quant à l'élément mental requis pour ce qui est des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ne cadre pas avec le Statut de Rome. Malheureusement, le projet de loi C-19 n'aborde pas cette question. Nous recommandons que l'on y ajoute une disposition établissant clairement que l'article 30 du Statut de Rome sera dans tous les cas le critère en ce qui concerne cet élément mental requis.

Enfin, je vous offre une pensée pour l'avenir. Le projet de loi C-19 établit, ce qui est important, un solide cadre juridique canadien pour le lancement de poursuites criminelles ou au Canada ou devant la Cour pénale internationale. L'expérience d'autres pays, y compris les États-Unis, a également montré à quel point les recours civils sont également un outil important et efficace dans la lutte contre les actes d'inhumanité. La loi canadienne ne prévoit pas de recours civil du genre.

Nous ne recommandons pas que le projet de loi C-19 soit modifié à ce stade-ci pour y inclure des recours civils du genre, vu que nous croyons que cela demanderait beaucoup de temps. Nous exhortons cependant le comité et le gouvernement à envisager la possibilité d'adopter rapidement d'autres textes de loi en ce sens.

Je conclurai en soulignant de nouveau à quel point il est important que le Canada prenne rapidement des mesures pour adopter ce projet de loi et pour passer à l'étape de la ratification du statut. Alors même que nous sommes ici aujourd'hui en train de discuter entre nous, des problèmes d'impunité sont en train de s'empiler comme toujours, partout dans le monde, comme par exemple en Colombie, en Afghanistan, en République démocratique du Congo, au Soudan, ainsi qu'en Russie, et je veux parler ici de la situation en Tchétchénie.

Il est souvent dangereux de prendre des mesures pour s'attaquer à l'impunité au niveau national, mais beaucoup le font, courageusement. La semaine dernière, par exemple, nous nous sommes dit préoccupés par les menaces de mort qu'avait reçues la juge Maria Servini de Cubria et un membre de son équipe judiciaire en Argentine. La juge Servini est responsable d'une enquête sur les enfants disparus pendant les années du régime militaire en Argentine.

Et, ailleurs dans le monde, l'impunité règne en souverain. Au beau milieu de la crise au Sierra Leone, un cri de ralliement poussé par le peuple sierra-léonien a été que les Nations unies fassent subir des procès pour crimes contre l'humanité aux violateurs des droits de la personne tels Foday Sankoh, leader du RUF. Il n'existe à l'heure actuelle aucun tribunal international qui ait le pouvoir de traiter des atrocités commises au Sierra Leone, et le monde ne peut plus se permettre d'attendre.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

[Français]

M. Daniel Turp: Est-ce que vous allez formuler des textes très précis d'amendements, monsieur Neve? Est-ce que vous seriez capable de faire cela pour le comité?

[Traduction]

M. Alex Neve: Absolument. Oui, je pourrai vous fournir plus de détails.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Dicker.

M. Richard Dicker (conseiller juridique, Human Rights Watch): J'aimerais remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de vous entretenir aujourd'hui de ce projet de loi d'une importance critique et que nous sommes ravis de voir déposé.

Il est important de souligner que le Canada a, que je sache, déposé le projet de loi C-19 le 10 décembre 1999, soit le jour du 51e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je pense que c'est bien plus qu'une coïncidence. Nous sommes très reconnaissants du lien que le gouvernement canadien a établi entre ce projet de loi et le renforcement des droits de la personne.

• 1105

Je suis depuis cinq ans les négociations au sujet de la CPI. Du point de vue de Human Rights Watch, la création rapide de la CPI est des plus urgentes. Cela mérite d'être répété, même à des parlementaires aussi au courant que vous, que la rapide entrée en vigueur de ce traité est une étape critique dans le renforcement de l'application du droit humanitaire international. La CPI, une fois créée et opérationnelle, rendra la justice aux victimes de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. La cour aura, croyons-nous, un effet dissuasif sur la commission de tels crimes au XXIe siècle.

Bien que n'étant pas parfait—aucun traité négocié par 150 gouvernements pourrait être parfait—nous croyons que le traité sur la CPI établit les fondations d'une cour qui sera en mesure d'exiger des comptes des Augusto Pinochet et des Foday Sankoh de l'avenir dans le respect des normes les plus élevées de droit international. Par ailleurs, nous pensons que cette cour viendra renforcer les cours nationales dans l'exécution du travail qu'elles sont le mieux placées pour faire—soit la poursuite de ces affaires elles-mêmes.

Le traité est étroitement lié au Canada et à l'engagement canadien envers les droits de la personne. Je m'intéresse au processus depuis 1995 et si nous en avions le temps, je pourrais vous dresser une très longue liste d'avocats canadiens qui, qu'ils aient représenté le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le ministère de la Justice ou le ministère de la Défense, ont fait une contribution énorme à ce traité. Je peux dire sans équivoque que nous ne serions pas dans cette salle aujourd'hui en train de discuter de loi de mise en oeuvre du traité sans le leadership extrêmement doué et capable de l'ambassadeur Philippe Kirsch, qui a réussi à donner corps à ce traité, à Rome, en dépit d'énormes pressions. La nécessité d'un leadership continu de la part du Canada en faveur de ce traité demeure une réalité.

J'aimerais aborder l'une des questions en suspens qu'a suscitées le traité, soit la relation entre cette nouvelle cour internationale et les autorités judiciaires nationales. La CPI, conformément au statut la créant, n'est pas habilitée à se substituer arbitrairement ou aisément aux cours des différents États. En bref, la CPI ne jouit pas de primauté par rapport aux cours nationales et n'entamera d'aucune façon la souveraineté nationale. Les tribunaux nationaux, si vous voulez, sont sur les premiers rangs pour intervenir, et la CPI ne peut affirmer sa compétence que lorsque le procureur de la CPI a prouvé que les autorités nationales refusent ou sont incapables de faire enquête et d'intenter des poursuites.

La définition et l'élaboration d'une norme en matière de «refus» sont énoncées à l'article 17 du traité. Je crois que les négociateurs ont fixé un seuil trop élevé pour que la CPI puisse affirmer sa juridiction. Mais je sais pourquoi le seuil a été ainsi fixé à l'article 17: il s'agissait d'apaiser les craintes de certains États que la CPI ne soit pas une cour supranationale. Les États ont de nombreuses possibilités à différentes étapes des poursuites pour contester l'affirmation par la cour de sa compétence. Le traité comporte de nombreuses mesures de sauvegarde en ce qui concerne le pouvoir du procureur. Nous ne disposons pas de suffisamment de temps pour que je les examine en profondeur. Il importe cependant de souligner que d'un point de vue droits de la personne, les droits de l'accusé devant cette cour sont pleinement protégés conformément aux normes les plus élevées de justice internationale.

• 1110

J'aimerais parler un petit peu du projet de loi C-19. Je ne prétends pas être un expert en matière de droit canadien. Je partage nombre des points de vue et des recommandations des panélistes qui m'ont précédé.

J'aimerais tout d'abord exhorter le comité à recommander un amendement visant l'intégration des dispositions définissant les infractions commises au Canada, contenues dans l'article 4 du projet de loi C-19, et les infractions commises à l'étranger, contenues dans l'article 6 du projet de loi. Nous ne voyons pas la nécessité d'avoir des définitions différentes. Je pense que mon collègue d'Amnistie internationale a assez clairement expliqué les choses quant à la capacité d'utiliser la norme à l'article 6 comme fondement pour une poursuite dans le cas de telles infractions, qu'elles aient été commises au Canada ou à l'étranger. En tout cas, pour ce qui est de poursuites pour des crimes relevant du Statut de Rome, la question de l'entrée en vigueur et d«une approche prospective n'a pas forcément à intervenir. Nous croyons que la fusion des définitions de crimes combinerait et la souplesse requise pour englober l'évolution du droit international et la précision nécessaire pour protéger les droits de tout accusé.

J'aimerais maintenant traiter de l'article 8 et j'offre la suggestion suivante dans un esprit de critique constructive. Je demande au comité d'examiner une recommandation visant à modifier les dispositions de l'article 8, c'est-à-dire celles concernant l'exercice de la compétence des cours canadiennes. L'article 8 confère aux cours canadiennes compétence sur la base d'un principe élargi de participation active ou passive, mais l'article n'accorde pas aux tribunaux du Canada le fondement de juridiction universelle complète à partir de laquelle poursuivre les auteurs de ces crimes.

Plus précisément, en vertu de l'article 8, les tribunaux canadiens seront dans l'impossibilité d'entamer une enquête sur le feu Pol Pot, par exemple, à moins que les actes concernés n«aient été commis en terre canadienne. Nous estimons que cela défavorise le Canada et restreint inutilement la justice internationale. L'article 8 donne effet à l'engagement du Canada de respecter une politique de refus d'accorder un asile sûr, mais il ne va pas aussi loin que possible ni aussi loin que nécessaire pour limiter l'impunité qui est beaucoup trop souvent associée à ces crimes.

Permettez-moi de dire que je reconnais que diverses préoccupations en matière de politiques pourraient sous-tendre la modification de l'article 8. Je ne pense pas qu'il y ait une exigence dans la loi qui appelle ce degré de restriction. Les préoccupations sur le plan politique—peut-être la crainte que le Canada devienne un aimant pour toutes sortes d'affaires sans lien avec le Canada et qui consommeraient des ressources judiciaires limitées—sont des préoccupations très réelles, mais je ne pense pas qu'il s'agisse d'exigences juridiques. Il existe dans les politiques des moyens et des mécanismes servant à limiter le flot d'affaires de façon à éviter que les cours canadiennes ne soient submergées. Les critères pour déterminer quelles cours canadiennes pourraient s'occuper des différentes affaires s'appuieraient sur les preuves disponibles, les témoins présents ici au Canada, etc. Je pense que ce serait gérable.

Je ne peux pas conclure mon témoignage—et je laisse maintenant de côté le contenu du projet de loi—sans me prononcer sur un fait qui est troublant pour de nombreux États et en tout cas pour toute la communauté des organisations non gouvernementales. Je dis ceci en tant que citoyen américain représentant une organisation internationale de défense des droits de l'homme qui a son siège aux États-Unis et qui est sensible à la responsabilité spéciale qui lui revient d'engager le gouvernement américain dans cet important dossier. Cependant, comme vous êtes nombreux à le savoir, malheureusement, le gouvernement des États-Unis s'oppose à certaines dispositions clés du traité.

• 1115

Je pense que Washington n'a pas encore cerné les développements constatés en droit international ni formulé d'approche systématique, qu'il s'agisse de tribunaux spéciaux ou d'une CPI permanente. Peut-être que son statut de seule superpuissance au monde influe malheureusement sur sa vision et sur sa compréhension des principes du droit international.

De toutes façons, bien que nous croyions que la CPI serait plus forte avec le soutien du gouvernement et que nous appuierions un tel soutien, ce dernier ne peut pas être obtenu aux prix de la crédibilité et de l'efficacité essentielles de la cour. J'ai le grand regret de vous dire que le gouvernement des États-Unis tente d'utiliser la règle de procédure et de preuve pour obtenir une garantie à 100 p. 100 qu'aucun fonctionnaire américain ne comparaîtra jamais devant cette cour. Il n'est nullement besoin pour moi d'insister là-dessus, mais je soulignerai néanmoins qu'une telle exemption pour les citoyens d'un pays ou d'un ensemble de pays détruirait l'universalité nécessaire pour que la cour jouisse d'une acceptation générale et rende une justice impartiale. Cela m'ennuie de vous le dire, mais les efforts américains minent les compromis clés si soigneusement élaborés lors de la conférence de Rome.

La communauté de défense des droits de la personne compte que le gouvernement canadien, si étroitement lié et associé au traité, se joindra aux États de l'Union européenne, aux États de la communauté de développement du Sud de l'Afrique, au groupe des Antilles, au Forum du Sud Pacifique et au groupe des États d'Amérique latine pour dire clairement et fermement, mais gentiment, à Washington, que de nombreuses concessions ont été faites en vue de régler certaines préoccupations américaines et qu'imposer la capacité d'un État qui n'est pas partie au traité d«opposer son véto à la poursuite de ses ressortissants paralyserait la cour et risquerait d'en faire une cour qu'il ne vaut pas vraiment la peine d'avoir.

Permettez-moi de conclure en disant que nous croyons qu'une entrée en vigueur rapide est impérative. Nous exhortons le comité et le Parlement canadien à agir rapidement en ce qui concerne le projet de loi et nous applaudissons au leadership continu du Canada dans cet effort.

Je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Madame Lee.

Mme Joanne Lee (attachée de recherche, International Centre for Criminal Law Reform and Criminal Justice Policy, Université de la Colombie-Britannique): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je m'appelle Joanne Lee. J'aimerais tout d'abord dire que, comme vous l'aurez peut-être deviné de par mon accent, je suis Australienne. Je suis avocate et j'étudie présentement à l'Université de la Colombie-Britannique, où je fais une maîtrise et un doctorat en droit pénal international.

Je représente aujourd'hui l'International Centre for Criminal Law Reform and Criminal Justice Policy, qui a son siège à l'Université de la Colombie-Britannique. Pour la gouverne de ceux d'entre vous qui ne nous connaissent pas, nous sommes un institut international indépendant à but non lucratif qui a vu le jour en 1991. L'actuel directeur est M. Daniel Préfontaine, qui est présentement en Chine.

Je renverrai les membres du comité au mémoire que j'ai préparé. Je pense qu'il est disponible en anglais et en français. Je ne vais pas tenter d'aborder tous les points dont je traite dans le mémoire. Inutile de dire qu'il s'y trouve davantage de renseignements au sujet du centre.

Le centre international s'intéresse depuis quelque temps à l'établissement de la Cour pénale internationale et de systèmes de droit pénal international en général. Nous avons au départ appuyé le Conseil de sécurité des Nations unies et le Bureau des affaires juridiques de l'ONU en organisant une grande réunion d'experts à Vancouver, et qui a débouché sur l'élaboration de nombreuses recommandations qui ont, depuis, été incluses dans la loi organique du tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie. Nous avons également participé à la conférence de Rome et avons envoyé des représentants, moi-même comprise, à trois des quatre réunions de la Commission préparatoire.

Le dernier projet auquel nous avons participé a été l'élaboration d'un manuel pour la ratification et la mise en oeuvre du Statut de Rome, travail auquel j'ai participé aux côtés d'un grand nombre d'autres personnes. Nous avons décidé de rédiger ce manuel à cause de la complexité du Statut de Rome et de sa mise en oeuvre dans les différents pays et à cause également du manque d'exemples de mise en oeuvre de lois disponibles. Nous avons beaucoup apprécié la présence du projet de loi C-19 depuis décembre, et l'exemple qu'il donne.

• 1120

Notre auditoire cible est en réalité relativement vaste. Nous visons les législateurs, les parlementaires, des personnes qui ne font pas partie du gouvernement et quiconque participerait au processus de mise en oeuvre dans un État. Ces dispositions exigeront une grande coordination entre les personnes travaillant dans les systèmes de justice pénale et dans les systèmes militaires, alors il va s'agir d'un exemple exhaustif, très vaste.

Nous avons par ailleurs décidé de cibler les États anglophones et francophones d'Afrique, les Antilles et la région du Pacifique, qui ont tous connu des difficultés particulières dans la distribution des ressources nécessaires pour entreprendre la préparation de lois de mise en oeuvre. Je pense que le Canada a contribué d'énormes ressources au processus de création du projet de loi C-19, et je suis convaincue que certains autres États n'auront pas cette même possibilité.

La deuxième phase de notre projet est d'aller rencontrer les personnes responsables en Afrique, aux Antilles et dans la région du Pacifique pour discuter des questions de mise en oeuvre dont nous traitons dans le manuel et de certaines préoccupations particulières qu'elles ont. L'ACDI est à l'heure actuelle en train d'examiner une proposition venant de nous.

Nous avons grandement apprécié le soutien financier du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et du ministère de la Justice en vue de la réalisation de ce manuel.

À l'heure actuelle, nous attendons tout simplement le retour du directeur exécutif, qui est en Chine, et du directeur de l'autre organisation avec laquelle nous oeuvrons, soit le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique—aujourd'hui appelé Droits et Démocratie—qui n'a lui non plus pas encore apposé sa signature d'autorisation sur le rapport final. Nous comptons faire traduire en français celui-ci afin qu'il soit disponible en anglais et en français. Nous le lancerons à la réunion de juin du comité préparatoire.

Dans le cadre de nos recherches en vue de la rédaction de ce manuel de mise en oeuvre, nous avons examiné les dispositions du projet de loi C-19 et nous pensons que celles-ci appliquent de manière efficace toutes les principales obligations des États parties au Statut de Rome. Ces principales obligations sont les suivantes, et, pour ceux d'entre vous qui veulent suivre dans le texte, elles se trouvent à la page 4 de notre mémoire.

Premièrement, il s'agit de protéger les privilèges et immunités du personnel de la Cour pénale internationale, que renferme l'article 48 du Statut de Rome. Cela est couvert par l'article 54 du projet de loi C-19. Deuxièmement, il faut définir les infractions portant atteinte à l'administration de la justice de la Cour pénale internationale, à l'article 70, paragraphe 4 du Statut de Rome, ce qui est couvert aux articles 16 à 26. Viennent ensuite des dispositions supplémentaires portant sur les biens d«origine criminelle correspondant à des atteintes à l'administration de la justice. Il s'agit des 1er alinéas 27(1)d) et e) et 28(1)d) et e).

Nous sommes très heureux que le gouvernement du Canada ait offert d'élargir la définition des infractions portant atteinte à l'administration de la justice au-delà des exigences très minimales énoncées dans le Statut.

Je ne vais pas traiter dans le détail de toutes les autres obligations, mais vient ensuite l'exécution des demandes d'arrestation et de remise de personnes, et l«obligation de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'obstacle à la remise, par exemple des immunités en vertu de lois nationales. La quatrième principale obligation est de recueillir et de préserver des preuves pour la Cour pénale internationale. La cinquième est de protéger les victimes, les témoins et leurs familles. La sixième est de percevoir les sommes relatives aux amendes, à la réparation et à la confiscation, y compris la saisie de biens d'origine criminelle.

Le projet de loi C-19 constitue un excellent exemple pour tous les législateurs de la façon d'exécuter ces obligations. Par ailleurs, le projet de loi C-19 propose d'aller beaucoup plus loin que ces exigences minimales, veillant ainsi à ce que la cour soit plus efficace et plus efficiente.

Par exemple—et ceci ayant déjà été largement discuté aujourd'hui, nous n'allons pas en traiter dans le détail—le projet de loi applique le principe de la complémentarité en autorisant le Canada à intenter des poursuites dans le cas des crimes visés. Nous croyons que les dispositions quant à la poursuite des auteurs de tels crimes par le Canada sont elles aussi un excellent exemple à suivre par le reste du monde.

• 1125

Nous applaudissons également à la suggestion que l'on crée un fonds pour les crimes contre l'humanité, car il s'agira là encore d'un merveilleux exemple que pourront suivre d'autres pays pour veiller à ce que l'argent destiné à servir les victimes soit géré de façon efficace et responsable par un fonds central établi à l'intérieur d'un pays et puisse être distribué à toute une gamme de personnes, ainsi qu«à la Cour pénale internationale.

Le projet de loi C-19 revêt une énorme importance pour le reste de la communauté internationale, et surtout les pays fonctionnant sous le régime de la common law du Commonwealth, car, comme vous le savez sans doute, la plupart de ces pays devront créer leurs propres lois avant de ratifier le Statut, et nombre d'entre eux tardent depuis longtemps à le faire. Le projet de loi est le premier à être disponible au public. Nous croyons que la Nouvelle-Zélande et que le Royaume-Uni vont produire des projets de loi dans le courant de l'été. L'Australie, malheureusement, est toujours en train d'examiner l'échéancier, l'étendue et le contenu de sa propre législation. Le Canada est donc véritablement ici en train de faire oeuvre de pionnier en investissant autant de ressources dans la création d'un si bon projet de loi.

L'auditoire cible de notre manuel est ce groupe de pays de common law, dont bon nombre attendent de voir ce que feront d'autres pays plus importants, ce afin de pouvoir puiser dans leur expérience.

Des suggestions d'amendements ont été faites par mes collègues ici. Nous appuyons certainement l'idée que soit créé à l'avenir un mécanisme de recours civil pour les victimes, mais nous ne pensons pas que cela soit important à cette étape-ci. Je pense que nous devrions attendre de voir ce qu'exigeront les règles en matière de procédure et de preuve, car il existe des règles conséquentes en matière de réparation pour les victimes.

Nous aimerions souligner particulièrement que l'article 75, paragraphe 6, du Statut de Rome, dit ceci:

    Rien dans le présent article ne doit être interprété comme portant préjudice aux droits des victimes en vertu de lois nationales ou internationales.

Il y a donc une très nette indication que les États devraient continuer de prévoir pour les victimes des réparations supérieures à ce que pourra ordonner la Cour pénale internationale.

Les recommandations que nous souhaitons faire aujourd'hui sont très simples. Nous recommandons que le comité veille à ce que le projet de loi soit adopté le plus tôt possible. Étant donné son importance pour le reste de la communauté internationale, plus tôt cette cour sera créée, plus tôt l'on pourra commencer à intenter des poursuites contre les personnes accusées de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre et à en dissuader d'autres de faire la même chose. Quantité de dispositions pourraient être peaufinées, mais nous trouvons que le projet de loi est dans l'ensemble excellent et qu'il constitue un excellent modèle. Nous recommanderions également fermement que le Canada continue d'appuyer les efforts visant à offrir de l'aide pratique à d'autres États, par exemple en continuant d'appuyer les projets d'aide technique élaborés par le centre et par d'autres ONG canadiennes.

Merci beaucoup.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Baker.

M. Donald S. Baker (témoignage à titre personnel): Bonjour, Je m'appelle Don Baker. Je ne représente aucun groupe officiel. Je suis ici en mon nom propre. Je suis éditeur de profession et je suis également président de Family Communications, une société canadienne qui distribue des revues d'un bout à l'autre du pays.

Je vais tenter de faire un résumé de mon mémoire du 1er mai en traitant de certaines des principales questions en employant des termes familiers aux non-initiés.

Avez-vous le texte de mon mémoire? Il s'intitule «Comments for Discussion with the Parliamentary Committee». D'après ce que j'ai compris, il a été traduit et vous a été distribué aux environs du 1er mai.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Il a été livré à nos bureaux.

M. Donald Baker: Vous l'avez vu. Parfait.

Le projet de loi a pour objet déclaré tout à fait louable, entre autres, de mettre en oeuvre le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Cela fait bien sûr suite à la brillante initiative canadienne de coordination d'un programme international en vue de la mise en oeuvre de ce Statut.

J'ose cependant sincèrement espérer que le comité ne va pas aggraver une malheureuse situation en adoptant ce projet de loi pour le renvoyer au Parlement avec les contradictions qu'il renferme à l'heure actuelle. Le principal problème est que le projet de loi traite les crimes contre l'humanité censément commis à l'extérieur du Canada différemment des mêmes actes dont on allègue qu'ils ont été commis à l'intérieur de nos frontières. Cela vous paraît-il logique?

• 1130

Permettez que j'illustre brièvement cela, sans entrer dans le détail, en vous renvoyant à l'article intitulé «Infractions commises au Canada». Vous constaterez qu'à partir du paragraphe 4(1) il y a des définitions de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, tout cela sous la rubrique des crimes censément commis au Canada. Sans nous arrêter là pour examiner ces définitions, passons maintenant au paragraphe 6(1) où les mêmes crimes, portant les mêmes appellations, sont définis dans le contexte de leur commission à l'extérieur du Canada.

Le projet de loi C-19 utilise le Statut de Rome pour définir les crimes et les défenses uniquement pour ces crimes de guerre dont on allègue qu'ils ont été commis au Canada. Le projet de loi ne fait pas la même pour les crimes dont il est allégué qu'ils ont été commis à l'étranger. Ainsi, les délits et défenses définis dans le Statut de la Rome de la Cour pénale internationale seraient utilisés dans les tribunaux canadiens pour ce que j'appellerais les gens de l'intérieur, par opposition aux gens de l'extérieur.

Cela ne serait-il pas susceptible de donner lieu à un traitement différent pour certains citoyens canadiens? Voulons-nous que les citoyens accusés au Canada d'avoir commis des infractions à l'extérieur du Canada soient traités par les tribunaux canadiens comme étant des citoyens de rang inférieur à ceux vivant au Canada lors de la commission des crimes allégués? Si ceux qui se trouvaient à l'extérieur des frontières du Canada lors de la commission des crimes reprochés ne se voient pas donner les définitions prescrites d'infractions telles le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le manquement à la responsabilité dans le cas de chefs militaires, mais que ceux qui se trouvent à l'intérieur du pays se voient fournir les définitions précises du Statut de Rome, alors un seul groupe a la possibilité de se défendre comme il se doit. En fait, il a la possibilité de déterminer s'il est ou non coupable voire même s'il a une défense, tandis que l'autre groupe n'a pas du tout cette possibilité.

Voici quelques exemples pour illustrer que les infractions sont définies différemment pour les gens à l'intérieur du pays par opposition aux gens à l'extérieur. Le Statut de Rome et, partant, les articles visant les personnes se trouvant à l'intérieur du Canada dit que le crime contre l'humanité reproché doit avoir été commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque. Le projet de loi C-19 n'inclut pas cette exigence pour les infractions commises à l'étranger et dit que le crime doit avoir été commis contre la population civile ou un quelconque groupe de personnes identifié. Il n'y a également aucune définition d'actes précis dans la définition de «crimes contre l'humanité», lorsque cela est le fondement d'une allégation d'infraction commise à l'extérieur du Canada.

Il semble que le projet de loi C-19 ait été rédigé de telle sorte que des déclarations de culpabilité ne puissent être rendues que pour les gens à l'extérieur du pays, sans preuve que l'action prise s'inscrivait dans une attaque inhumaine discriminatoire telle que définie dans le cas des crimes commis à l'intérieur du pays et par ceux se défendant en vertu des règles du Statut de Rome. De la même façon, les crimes de guerre commis à l'extérieur ne sont pas clairement définis, tandis que les crimes de guerre sont définis de façon claire et exhaustive dans le cas des infractions censément commises au Canada.

Le pire affront dans ce projet de loi est peut-être son système à deux vitesses. Conformément aux voeux de la communauté internationale avec le Statut de Rome, le projet de loi C-19—et je vous demande d'écouter très attentivement—ne serait rétroactif que pour les personnes soupçonnées d'avoir commis des crimes à l'extérieur du Canada. Quel bel exemple d'appui pour un statut international! C'est ainsi que le projet de loi ne permettrait pas de rendre un verdict de culpabilité dans le cas d'un crime de guerre perpétré à l'intérieur du pays si la commission de l'infraction est antérieure à l'adoption du projet de loi C-19. Or, si l'acte a été commis à l'extérieur du Canada avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-19, alors son auteur serait jugé coupable.

Mesdames et messieurs, le Statut de Rome n'est pas rétroactif. Pourquoi traiterait-on différemment les gens à l'intérieur du pays et les gens à l'extérieur et que ferait la CPI dans une affaire semblable? Dans mon mémoire du 1er mai, j'explique pourquoi la rétroactivité ne devrait pas s'appliquer à la responsabilité de chef militaire. Je vous demande de revoir mon argumentation lorsque vous en aurez l'occasion.

• 1135

En guise de rappel, des juges et jurés à qui l'on demanderait de déterminer aujourd'hui ce qu'une personne aurait dû savoir ou aurait dû faire lors d'une guerre survenue à une époque qu'aucun d'entre eux n'a vécue, auraient bien du mal à tenter de rendre rétroactivement justice d'une façon équilibrée.

De la même façon, le moyen de défense pour ordre d'un supérieur ne devrait pas être appliqué rétroactivement. Le Statut de Rome a éliminé comme défense l'invocation d'un ordre d'un supérieur et les déclarations du genre «C'est mon supérieur qui m'y a contraint». Le Statut a fait cela pour l'avenir. Ses auteurs n'ont pas tenté de renverser rétroactivement une défense qui est universellement acceptée depuis des siècles, et nous ne devrions pas le faire pour les gens de l'extérieur accusés devant une cour canadienne.

La certitude dans la loi protège les gens contre une application injuste de la loi. Les juges et les inculpés doivent savoir ce qui est interdit afin que tout le monde soit sur la même longueur d'onde et que la cour puisse appliquer la loi de la même façon à chaque accusé, qu'il soit allégué que les crimes aient été commis à l'intérieur du Canada ou à l'extérieur.

Conviendriez-vous qu'un principe fondamental du droit pénal est que la loi définissant un délit doit clairement établir quels actes sont interdits afin que tous les accusés aient la même possibilité de mesurer ce qu'on leur reproche et afin que les cours puissent appliquer la loi de la même façon à chaque accusé?

Les dispositions du Statut de Rome ont été considérées justes et équilibrées par la communauté internationale et par le Canada en ce qui a trait aux infractions dont on allègue qu'elles ont été commises au Canada. Pourquoi adopterions-nous aujourd'hui une position laissant entendre que les dispositions du Statut de Rome sont trop peu sévères pour que les cours canadiennes puissent s'en servir dans les procès pour crimes commis à l'extérieur du Canada?

Je vous souhaite bonne chance dans vos délibérations.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Madame Lalonde.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Je vous remercie tous et toutes de vos recommandations. J'aimerais d'abord rappeler, madame la présidente, que nous aimerions beaucoup disposer de recommandations écrites précises pour les étapes ultérieures, qui viendront très bientôt.

J'aimerais demander à chaque groupe qui a formulé des propositions d'amendements lequel de ces amendements il trouve le plus important et pourquoi. Également, j'aurais plaisir à entendre Mme Lee dire pourquoi son organisme recommande l'adoption du projet de loi tel quel et ce qu'elle pense des divers amendements qui sont proposés.

[Traduction]

Mme Joanne Lee: Certainement. Je devrais sans doute tout d'abord aborder la question de la complémentarité, ce que l'on appelle cette dichotomie intérieure-extérieure quant à savoir quels crimes feront l'objet d'un procès devant quelle instance.

Je vais vraisemblablement vous citer à ce sujet un extrait de mon mémoire. Il n'est pas indiqué dans le Statut de Rome que tous les États parties sont obligés de poursuivre tous les auteurs de crimes relevant de la compétence de la CPI, mais on espérait clairement que les États seraient encouragés, de par leur participation au régime de la CPI, à remédier à leur inaction passée en matière de poursuites contre les auteurs de crimes internationaux en général.

Il convient cependant de préciser que la conduite à suivre au sujet des crimes internationaux a suscité de profondes dissensions dans la communauté internationale durant tout le XXe siècle. Par exemple, ce n'est qu'en 1996 que la Commission du droit international a produit la version finale d'un projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. Les crimes internationaux qui semblent jusqu'à présent être le plus largement reconnus sont ceux de génocide, selon la définition de la convention sur le génocide, et les infractions graves définies dans les Conventions de Genève de 1949.

Certains États, comme le Canada et l'Australie, ont aussi rencontré des difficultés lorsqu'ils ont voulu établir des régimes juridiques acceptables par leurs cours nationales pour intenter des poursuites contre les auteurs de ces crimes. Je vous renverrai à la décision dans l'affaire Finta au Canada, et en Australie, nous avons la décision Polyukhovich, qui a également soulevé les problèmes de poursuite d'auteurs de crimes du passé.

• 1140

Les articles 4 et 5 tirent leur définition des crimes directement du Statut de Rome, qui représente un consensus des 120 États ayant adopté le Statut de Rome. C'est ce qui s'applique lorsque les infractions visées ont été commises au Canada. Le paragraphe 6(4) va encore plus loin en disposant que ces crimes seront considérés comme représentant le droit coutumier international depuis la date d'adoption du Statut de Rome.

Cela donne à tous les États le signal très clair qu'ils devraient eux aussi assumer la responsabilité d'intenter des poursuites contre les auteurs des crimes définis dans le Statut de Rome. Toutefois—et c'est ici, je pense, le point clé—pour éviter des difficultés d'ordre constitutionnel avec l'application rétroactive de lois pénales au Canada, les infractions du Statut de Rome définies aux articles 4 et 5 ne deviendraient des crimes au Canada qu'à partir de la date d'entrée en vigueur de la Loi sur les crimes contre l'humanité.

Cette approche reflète la réalité que tous les crimes définis dans le Statut de Rome n'étaient pas nécessairement considérés comme des crimes en droit coutumier international avant l'adoption du Statut de Rome et que le Canada ne possédait donc peut-être pas la compétence requise pour poursuivre leurs auteurs avant le 17 juillet 1998. Plus particulièrement, le crime de «grossesse forcée» n'aurait peut-être pas été acceptable, mais vu ce qui s'est passé en Yougoslavie, on a voulu inclure cela sous la rubrique «crimes contre l'humanité».

Les articles 6 à 8 règlent bon nombre des problèmes que posent les dispositions actuelles du Code criminel en matière de poursuites relatives aux crimes internationaux commis en dehors du Canada, n'importe quand dans le passé ou dans l'avenir. Ces crimes sont soigneusement définis en fonction de principes de droit international largement reconnus. Cependant, il serait parfaitement irréaliste pour un législateur de s'asseoir et de dresser une liste de tous les crimes avec, pour chacun, l'instant précis—la seconde, la minute, le jour ou l'année, même—à partir duquel il aurait été couvert par le droit coutumier international.

En droit international, il est assez clair que depuis 1945, avec l'élaboration du Statut de Nuremberg et des principes de Nuremberg, certains crimes ont été versés au droit coutumier international. Mais il est impossible d'établir une liste de tous les actes qui auraient pu être considérés comme des crimes en vertu du droit international coutumier pour tout le siècle que l'on vient de vivre.

Nous disons que beaucoup de problèmes sont ainsi réglés. Je pense qu'il y a clairement une suggestion de compétence universelle, en d'autres termes que le Canada pourrait poursuivre quiconque n'était pas sur son territoire mais aurait commis un crime n'ayant aucun lien avec le Canada. Il s'agit certes là d'une disposition très souhaitable. Cependant, toutes les personnes travaillant pour la Cour pénale internationale espèrent que cela jouira d'un vaste appui, en d'autres termes que de nombreux États endosseront cela et qu'il ne sera pas nécessaire pour le Canada d'être habilité à poursuivre n'importe qui venant de n'importe où. Cela exigerait une demande d'extradition.

Je dirais qu'en ce qui concerne cette disposition, il faudra attendre de voir. Je pense que si la cour ne bénéficie pas d'un appui suffisamment large, il pourrait être très souhaitable à l'avenir que le Canada envisage la possibilité de pouvoir demander l'extradition de personnes ayant commis des crimes qui n'ont absolument aucun lien avec le Canada.

Je pense qu'il est très important à ce stade-ci que nous disions que le projet de loi dans son libellé actuel, qui va au-delà des exigences du Statut et qui traite de façon réfléchie de quantité de questions très complexes, doit être adopté tel quel.

Je pense qu'il y a eu la question de l'article 57. J'ai pris note de certaines des questions qui ont été soulevées ici. Quant à la question de l'emploi de «peut autoriser» par opposition à «autorisera», en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire du ministre, j'accepte l'explication des auteurs selon lesquels, avec l'emploi de «peut autoriser», il s'agit d'une disposition habilitante. Il y a plusieurs dispositions dans le Statut qui autorisent l'État à consulter le tribunal avant de se plier à une demande. Si le projet de loi disait le ministre «autorisera», alors cela supprimerait la possibilité pour le ministre de consulter le tribunal pour diverses questions. Il y a, par exemple, les intérêts en matière de sécurité nationale pour lesquels est prévu un processus de consultation très clair.

• 1145

Par ailleurs, aux articles 94 et 95, lorsque l'exécution d'une demande nuirait à une enquête ou à une poursuite en cours, l'État devrait forcément consulter la cour. L'article 94 autorise l'État à consulter la cour. L'article 95 traite du cas d'une demande d'aide faite lorsqu'une décision en matière d'admissibilité n'a pas encore été rendue. La CPI doit prendre la décision finale, mais l'État est autorisé à consulter la cour. Je pense que si vous insérez là le mot «autorisera», cela refusera à l'État le droit de consulter la cour lorsque cela serait approprié, notamment pour tout ce qui touche à la sécurité nationale.

La dernière question que je n'ai pas abordée est la nécessité d'une définition de «remettre». Je pense qu'avec le libellé actuel... Je ne suis pas une grande experte en matière de droit constitutionnel canadien, il me faut le reconnaître. Je comprends qu'il intervient ici certains aspects liés à la Charte tels qu'il serait très difficile pour le Canada de refuser aux personnes devant être remises à la Cour pénale internationale certains droits. Je suis dans une certaine mesure d'accord avec Bruce lorsqu'il dit qu'il serait bon d'avoir ici une définition précisant qu'il y aura un processus légèrement différent pour la remise d'une personne à la cour, du simple fait qu'il n'y ait pas de motif de refus. Mais en ce qui concerne la procédure, si j'ai bien compris, en vertu de la Charte, toute personne au Canada doit se faire reconnaître un droit d'appel et diverses autres choses. Si j'ai bien compris, donc, sur la base de mes connaissances limitées en la matière et de mes discussions avec des personnes qui oeuvrent là-dessus, il n'y a pas beaucoup de choix pour le Canada quant au remplacement du processus d'extradition par un processus de remise.

J'espère avoir répondu à vos questions.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Neve.

[Français]

M. Alex Neve: Je crois pouvoir parler au nom de mes collègues. Nous sommes certainement prêts à faire des propositions d'amendements très précises et nous espérons que le comité pourra adopter ces propositions, que nous estimons importantes. Cependant, nous croyons aussi qu'il est très important d'adopter le projet C-19 sans délai. Si le comité trouvait impossible d'adopter sans délai les recommandations, le plus important pour nous serait la vitesse.

Mme Francine Lalonde: Même plus que tout amendement.

M. Alex Neve: Oui.

Mme Francine Lalonde: C'est une réponse.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Quelqu'un d'autre souhaite-t-il intervenir? Monsieur Baker.

M. Donald Baker: Puis-je réagir à cette observation? Encore une fois, je suppose que j'examine cela d'un point de vue administratif.

Je pense que vous avez un projet de loi très complexe, un projet de loi qui aura une incidence sur le reste de notre génération. Cela ne se limite pas à la seule communauté internationale. Si vous faites cela à la hâte, vous ferez quelque chose de très important. Vous direz au monde: «Nous sommes un leader sur ce plan. C'est important pour nous. Montez à bord avec nous». Je ne peux pas contester cela, et je ne le conteste d'ailleurs pas.

Ce qui me préoccupe c'est que vous avez une tâche administrative, celle de savoir ce qui est contenu dans le projet de loi. Si vous ne savez pas ce qu'il renferme et si vous n'avez pas fait un examen attentif de son contenu, alors vous n'allez rendre justice ni au peuple canadien ni à la communauté internationale.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Les témoins nous ont ce matin soumis un certain nombre de recommandations importantes, notamment celle visant l'inclusion de l'exigence d'un élément mental dans un crime. Cela figure à l'article 30 du Statut de la CPI. Malheureusement, cela ne figure pas dans le projet de loi. J'estime que cela aiderait à contrecarrer certaines des conséquences néfastes de la décision dans l'affaire Finta relativement à la mauvaise interprétation de la mens rea.

La deuxième recommandation concerne le principe de la compétence universelle à l'article 8, pour les infractions commises au Canada. Si les considérations ont un caractère politique plutôt que juridique, il s'agit là d'une chose que nous devrions revoir.

La troisième recommandation concerne l'intégration des articles 4 et 6 du projet de loi C-19 afin de rendre compatibles sur le plan normes les approches nationales et internationales en matière de criminalisation.

La quatrième recommandation concerne l'article 27 et le principe de non-immunité, tandis que la cinquième vise un raffinement de la procédure d'extradition.

• 1150

Je pense qu'il s'agit d'un ensemble de recommandations importantes que nous devrions examiner. Dans cet esprit, j'aimerais poser deux questions auxquelles j'invite à répondre les témoins que cela intéresse.

Ma première question concerne le moyen de défense «ordre d'un supérieur», à l'article 14. Estimez-vous que cette défense, et tout particulièrement les alinéas a) et b), est trop vaste? Il me faut mentionner pour la gouverne de ceux qui ne sont pas Canadiens, que, chose intéressante, cette défense est exclue dans un article du Code criminel du Canada portant sur la torture, soit le paragraphe 269.1(3). Voilà donc ma première question, sur le moyen de défense «ordre d'un supérieur».

Ma deuxième question concerne l'inclusion de quelque chose qui ne figure pas dans le projet de loi. Chose intéressante, il y a une bonne disposition dans l'actuel Code criminel, le précurseur du projet de loi C-19, qui n'a pas été incluse dans le projet de loi. Je veux parler des questions... Je vais vous lire le texte de la disposition. Il s'agit du paragraphe 7(3.77) du Code criminel, qui dit ceci et qui se passe d'explication:

    Sont assimilés à un fait, aux définitions de «crime contre l'humanité» et «crime de guerre», au paragraphe (3.76), la tentative, le complot, la complicité après le fait, le conseil, l'aide ou l'encouragement à l'égard du fait.

Une telle disposition devrait-elle être incluse ici?

Voilà donc mes deux questions: premièrement, le moyen de défense invoquant l'ordre d'un supérieur est-elle trop vaste et, deuxièmement, la disposition que je viens de vous lire devrait-elle être incluse?

M. Bruce Broomhall: Vous demandez si la défense fondée sur l'ordre d'un supérieur contenue dans le projet de loi est trop vaste et si l'on devrait reprendre cet article de la loi antérieure au sujet de tentatives et de complots.

La disposition au sujet de l'ordre d'un supérieur reprend le Statut de Rome et y ajoute quelque chose qui était censé réparer, si j'ai bien compris, une conséquence de la décision dans l'affaire Finta. Je ne vois pas très bien en quoi cela pourrait être trop vaste.

J'ai trouvé la définition du Statut de Rome malheureuse à certains égards, en ce qu'elle permet une défense s'appuyant sur l'ordre d'un supérieur dans le cas des crimes de guerre. Elle dit expressément qu'il n'y a aucune défense du genre pour les crimes contre l'humanité et le génocide. J'estime que le principe sous-tendant ce libellé du Statut de Rome était que les crimes contre l'humanité et le génocide sont, de par leur nature, si énormes qu'une personne saurait qu'ils sont manifestement illégaux.

L'exigence énoncée dans l'article 14 ainsi que dans le Statut de Rome, l'obligation de l'ignorance que l'ordre était illégal ou que l'ordre n'était pas manifestement illégal, en un sens dit qu'il est impossible de ne pas savoir qu'un acte manifestement illégal était illégal.

Je pense que dans le cas de la plupart des crimes de guerre, en tout cas du genre de ceux qui vont faire l'objet de procès devant la CPI, il n'y aurait aucun doute. Il va s'agir de crimes systématiques, de crimes d'une échelle telle qu'il fallait qu'il y ait un plan ou une politique de commission de ces crimes.

Je suis donc pour ma part satisfait de la définition contenue dans le Statut de Rome. Le projet de loi C-19 ajoute quelque chose qui était censé corriger les suites de l'affaire Finta. J'en ai discuté avec des experts juridiques de la délégation canadienne et je suis satisfait de leur explication selon laquelle ceci couvrira les situations dans lesquelles des croyances discriminatoires sont très répandues ou dans lesquelles la connaissance des faits est très répandue dans une collectivité. Je suis donc en faveur.

Je me demande cependant si, comme cela a été mentionné dans le mémoire d'Amnistie internationale, il n'y aura pas d'autres situations dans lesquelles la décision dans l'affaire Finta nous posera des problèmes. Je suis néanmoins pour ma part satisfait. Je suis satisfait de la portée de l'article 14.

M. Irwin Cotler: En ce qui concerne l'article 14, je suis principalement préoccupé par les alinéas a) et b). Je n'ai aucun problème quant aux paragraphes (1), (2) ou (3) ni quant à l'alinéa c); ce ne sont que les alinéas 14(1)a) et 14(1)b) de cet article 14 qui me préoccupent.

• 1155

M. Bruce Broomhall: Vous craignez que la portée soit trop large?

M. Irwin Cotler: C'est exact, mais seulement dans le contexte de ces alinéas du paragraphe 14. Le paragraphe 14(3) règle le problème de la décision Finta, et le paragraphe 14(2) règle celui de l'acte manifestement illégal dont il est question à l'alinéa 14(1)c), mais j'ai un problème avec les alinéas 14(1)a) et 14(1)b). Voilà ce qui me préoccupe.

M. Richard Dicker: Nous avons relevé dans le Statut de Rome que la défense fondée sur l'ordre d'un supérieur marquait un recul par rapport au principe de Nuremberg et par rapport à ce qui figure dans le Statut pour les deux tribunaux spéciaux. Voilà pourquoi cela nous préoccupe. Nous avons certainement pensé que cela ouvrait la porte à l'utilisation de la réception de l'ordre d'un supérieur en tant que défense, mais nous n'avons pas trouvé que la porte était si grande ouverte qu'il y avait lieu de vraiment s'en inquiéter.

Je dirais, sans pourtant être en mesure de me prononcer en connaissance de cause sur les préoccupations découlant de la décision dans l'affaire Finta, qu'il y a peut-être lieu de s'inquiéter. La formulation d'une suggestion visant à rétrécir cela demanderait un certain travail, mais j'aimerais avoir un peu de temps pour y réfléchir. En bout de ligne, je dirais que la crainte n'est pas si grave qu'il faille stopper ou retarder l'adoption rapide du projet de loi, mais je vais néanmoins y réfléchir.

Mme Joanne Lee: Si vous permettiez que je fasse une rapide remarque, cet article fait partie du régime de complémentarité pour la Cour pénale internationale, et il nous faut être très prudents si nous voulons apporter des changements à ces dispositions. Le libellé de cet article reprend ce qui est reflété dans le Statut.

Je ne voudrais effrayer personne, mais si le Canada adoptait une norme sensiblement inférieure pour excuser les personnes ayant obéi à l'ordre d'un supérieur et ayant de ce fait commis un crime, alors il est concevable que la Cour pénale internationale puisse y voir une tentative de mettre la personne à l'abri de toute responsabilité criminelle. La délégation canadienne a beaucoup participé à la négociation du libellé de cette disposition, et je pense que cela reflète la norme qui devrait être adoptée par le Canada.

M. Irwin Cotler: La question ici ne se limite pas à la complémentarité. La question est que le projet de loi vise non seulement la mise en oeuvre à l'échelle nationale du Statut de la CPI et la complémentarité à cet égard, mais également à cerner, voire même à corriger, certaines des conséquences néfastes de la jurisprudence canadienne susceptible de poser problème quant à des poursuites criminelles nationales au Canada sur la base de cette jurisprudence. Il s'agit donc d'un rectificatif, non seulement, comme je le disais, en vue de la mise en oeuvre du Statut de la CPI, mais également dans le contexte de l'histoire de la jurisprudence canadienne en la matière.

Mme Joanne Lee: Oui.

M. Alex Neve: J'aimerais faire un dernier bref commentaire. Je n'ai pas cela sur le bout des doigts mais, si je me souviens bien, les dispositions du Code criminel en matière de poursuite pour torture traitent de cela d'une façon beaucoup plus large. Je me hasarde peut-être un petit peu loin, mais je pense que dans les cas de torture, le Code criminel refuse toute défense fondée sur l'ordre d'un supérieur. Voilà ce que dit le Code criminel à l'heure actuelle.

M. Irwin Cotler: Oui, il s'agit de l'article 269.1 du Code criminel.

M. Alex Neve: Il y a peut-être donc là un libellé qui pourrait nous être utile.

M. Irwin Cotler: Oui, c'est exact.

M. Bruce Broomhall: Si vous permettez que je revienne là-dessus, Alex, il m'est difficile, au moins dans l'abstrait, de m'imaginer une situation dans laquelle les genres de crimes dont nous parlons ici ne seraient pas considérés comme manifestement illégaux, même dans une situation où des ordres auraient été donnés par un supérieur—je songe au meurtre de civils, de prisonniers de guerre, etc. La plupart des situations sont, me semble-t-il, plutôt claires et nettes. Il y a donc lieu de craindre que de tels arguments soient présentés, mais la jurisprudence nous renseignera plus avant.

En ce qui concerne la deuxième question portant sur la tentative et le complot, si vous permettez que j'en traite rapidement, c'est une question qui m'est venue à l'esprit lorsque j«ai pour la première fois vu le projet de loi. Comme vous le savez, la partie 3, et plus précisément l'article 25, du Statut de Rome définissent certaines formes de participation détaillées qui donnent lieu, aux fins du Statut de Rome de la CPI, à une responsabilité individuelle: par exemple, ordonner un crime, inciter publiquement à la criminalité, complicité et commission d'un crime dans le cadre d'un groupe, avec une fin criminelle.

• 1200

Bien sûr, pour des raisons de complémentarité, vous voulez que votre loi vous permette de prendre des mesures dans le cas de toute la gamme des crimes couverte par le Statut de Rome. Je pense que c'est ce que fait la loi canadienne car, si j'ai bien compris, c'est en vertu de la Loi d'interprétation que ces différentes formes de participation ont été intégrées à ce texte de loi. Les experts de la délégation canadienne—et je ne suis pas suffisamment à jour en matière de jurisprudence canadienne—m'ont dit que cela cadre avec le Statut de Rome. Il s'agit néanmoins là d'une chose qui mérite d'être examinée et vérifiée. J'aurais tendance à penser que c'est bien.

M. Donald Baker: Monsieur, vous avez posé une question au sujet de la fusion des définitions pour les infractions commises en dehors du Canada et à l'intérieur du Canada. Je suis peut-être en désaccord avec les autres membres du panel, qui semblent en tout cas convenir qu'il y aurait dans certains cas lieu de les fusionner. J'ai pourtant l'impression que les responsables du Statut de Rome et que beaucoup d'autres personnes dans le monde ont essayé de trouver des définitions.

Le projet de loi laisse entendre que les infractions commises au Canada devraient correspondre à ce qui est prévu dans le Statut de Rome. Je ne suis pas juriste et je n'en ai pas fait un examen de ce point de vue-là, mais si vous allez fusionner des définitions, vous devriez suivre le Statut de Rome. Je n'ai pas à rappeler au comité qu'une partie de l'objet du projet de loi est la mise en oeuvre du Statut de Rome. J'imagine que c'est le Statut de Rome qui devrait s'appliquer si nous allons traiter les criminels de guerre ayant commis des infractions à l'intérieur du Canada de la même façon que ceux ayant commis des crimes en dehors du Canada.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

M. Bruce Broomhall: Ai-je le temps de dire encore quelque chose?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Bien sûr.

M. Bruce Broomhall: J'aimerais revenir encore une fois sur une question. La question de savoir s'il faut fusionner les définitions, comme la question de tous ces amendements potentiels, devrait toujours être examinée dans le contexte de la valeur de la rapide ratification du Statut par le Canada et de la valeur de la rapide adoption du projet de loi. Cela étant dit, il faudrait discuter de la façon dont l'intégration se ferait, des principes qui sont en cause, et ainsi de suite.

Encore une fois, une intégration aurait une certaine valeur. En même temps, le paragraphe 6(4) du projet de loi fait, je pense, un bon travail, déclarant que les crimes visés dans le Statut de Rome sont, en juillet 1998, des crimes sous le droit coutumier, de sorte que ces définitions peuvent par la suite s'appliquer aux infractions commises et au Canada et à l'étranger. Il y a de bonnes raisons de ne pas les appliquer rétroactivement. Certains actes, comme la grossesse forcée, etc., étaient criminels avant cela en vertu du droit coutumier international, mais ont été inscrits sous la rubrique traitement inhumain, etc.

Cependant, dans le cas de certains des crimes commis dans le cadre d'un conflit armé interne, si l'on remonte 10, 20 ou 30 ans en arrière, à partir de quand ont-ils relevé du droit coutumier? La réponse est quelque peu moins claire. Vous ne voudriez donc pas que le Statut de Rome soit rétroactif dans son entier. Le droit coutumier, de par sa nature, est évolutif, et le projet de loi en tient proprement compte.

Mon seul désir serait que certains crimes, non pas dans les définitions du Statut de Rome, mais en vue de prévoir une responsabilité individuelle en vertu du droit coutumier, soient punissables au Canada grâce à l'intégration et à l'élargissement des dispositions autorisant des poursuites en vertu du droit coutumier au Canada et en dehors du Canada.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

M. Donald Baker: Puis-je faire un bref commentaire?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Très, très bref, car nous sommes une nouvelle fois en retard par rapport à l'horaire prévu.

M. Donald Baker: Très bien.

Je pense qu'il est très clair au paragraphe 6(4), «Interprétation» que le Statut de Rome ne s'applique que depuis juillet 1998, et que si l'on essaye de le rendre rétroactif, c'est comme essayer de rendre rétroactive la Cour internationale.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Baker, vous avez eu le mot de la fin.

Merci à tous pour vos exposés fort réfléchis. C'est toujours avec grand plaisir que nous recevons ici des défenseurs des droits de la personne. Merci encore.

La séance est levée.