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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 2 mai 2000

• 1539

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Chers collègues, pour continuer notre étude sur le Caucase, nous recevrons d'abord M. Cutler et M. Leclaire, des universitaires, puis Phil Rourke, du Centre des politiques de commerce et de droit de l'université Carleton.

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Monsieur le président, j'invoque le Règlement. J'ai une motion dont j'aimerais que le comité discute.

Le président: Chers collègues, notre vice-président a demandé que nous invitions Grace White, qui a été nommée au conseil d'administration de la Société d'expansion des exportations. C'est une nomination par décret en conseil comme toutes les autres. Traditionnellement, le comité convoque les personnes nommées par décret en conseil, si un membre du comité, de l'opposition ou du parti ministériel, le demande. Je ne crois pas quiconque s'y oppose.

M. Deepak Obhrai: En juin.

Le président: Oui, nous prévoirons cette comparution en juin, mais j'ai déjà parlé à M. O'Brien et je lui ai expliqué que s'il y avait un problème en juin—nous devons adopter des projets de loi et accomplir diverses autres tâches—nous pourrions reporter cette séance à septembre. Mais nous nous efforcerons de la tenir en juin.

M. Deepak Obhrai: Pas d'objection.

Le président: Je présume que vous êtes d'accord et que personne n'a d'objection. C'est ce que nous ferons. C'est adopté.

• 1540

Souhaitons la bienvenue à M. Morrison, qui revient au comité. Il a été membre du comité pendant de nombreuses années, nous faisant profiter de sa sagesse et il va maintenant mettre sa vie en jeu en allant au Caucase.

M. Lee Morrison (Cypress Hills—Grasslands, Alliance canadienne): J'espère rester là-bas un certain temps.

Le président: La dernière fois que vous avez voyagé avec nous, il m'a semblé que vous aviez fait un étrange travail de développement, là-bas, quelques années auparavant.

Si vous voulez bien que nous commencions, nous donnerons d'abord la parole à M. Cutler.

[Français]

M. Robert M. Cutler (agrégé de recherche, Institute of European and Russian Studies, Université Carleton, témoigne à titre personnel): Monsieur le président et honorables députés,

[Traduction]

J'ai une carte que j'ai mise à l'écran. Si vous avez des questions se rapportant aux oléoducs, je serai ravi d'y répondre un peu plus tard.

En dix minutes à peine, il est impossible de parler même superficiellement des oléoducs; j'ai donc préparé une déclaration sur un sujet un peu différent et je répondrai volontiers à vos questions au sujet des oléoducs ou à toutes autres questions se rapportant à cette région.

On m'a demandé de servir de personne ressource sur la faisabilité et la politique des oléoducs. Les problèmes d'oléoducs sont extrêmement compliqués dans la région de la Caspienne. Comme d'autres témoins vous l'ont dit, cette région offre un énorme potentiel pour les entreprises canadiennes spécialisées dans l'extraction des ressources naturelles, notamment des ressources énergétiques, ainsi que dans les métaux précieux.

J'aimerais vous parler de plusieurs initiatives en cours destinées à faciliter l'élimination des obstacles qui ont, en général, entravé la mise en valeur des ressources naturelles de cette région au cours des dix dernières années. Je me ferai ensuite, pendant la période des questions, un plaisir de vous donner les informations spécifiques que vous pourriez demander au sujet des oléoducs et des négociations qui les entourent.

Une initiative internationale a été lancée pour promouvoir la création d'une Communauté du Caucase du Sud. Il s'agit d'un plan de création d'institutions transnationales et internationales dans le Caucase du Sud pour la reconstruction de la région, en parallèle au règlement définitif des conflits territoriaux dont souffre la région depuis une dizaine d'années. Cette initiative n'a pas encore été rendue publique, mais je peux vous donner de plus amples détails à son sujet à titre privé.

Je peux vous informer qu'il s'agit d'une action multilatérale, qui bénéficie de la coopération d'experts internationaux originaires de la région du Caucase, de Turquie et des Balkans, ainsi que de Russie et d'Europe. Cette initiative concerne, comme je l'ai dit, la mise en place d'une Communauté du Caucase du Sud qui collaborera, dans un premier temps, avec l'Organisation de coopération économique de la mer Noire, avant d'étendre cette coopération à l'ensemble de la région de la mer Noire.

La diplomatie canadienne pourrait facilement s'inscrire dans cette initiative diplomatique et stratégique, et s'y intégrer. Il est dans l'intérêt du Canada de rechercher une telle participation dès ce stade. J'aimerais attirer votre attention sur deux aspects particuliers de cette initiative.

Premièrement, la Communauté du Caucase du Sud disposera d'un parlement régional. De tels parlements régionaux et internationaux se sont multipliés au cours des dix dernières années. Il en existe aujourd'hui une vingtaine dans le monde. Toutefois, on ne trouve nulle part, ni en Europe ni en Amérique du Nord, les ressources institutionnelles vers lesquelles ces institutions pourraient régulièrement se tourner pour obtenir l'aide dont elles ont besoin en matière de formation et de soutien. Le Canada dispose d'une telle ressource, susceptible d'être orientée en ce sens, qui pourrait offrir ses services au parlement régional qui verra le jour au sein de la Communauté du Caucase du Sud.

Vous connaissez bien cette ressource institutionnelle. Il s'agit en effet du Centre parlementaire. Le Centre parlementaire organise, comme vous le savez, des séances de formation et de développement à travers le monde et sur une base régulière. Il faudrait fournir au Centre parlementaire les moyens de mettre en place un programme de formation et de recherches sur les institutions parlementaires internationales ou IPI: on connaît très mal actuellement, voire pas du tout, ces nouvelles institutions dans leur ensemble. Le programme auquel je fais allusion pourrait être dispensé en permanence. Les IPI sont en voie de devenir une caractéristique de la société mondiale. Elles influenceront—c'est déjà la cas—l'évolution des échanges commerciaux, du développement, ainsi que les normes et les structures du système international.

• 1545

On recense près d'une vingtaine de telles institutions internationales dans le monde aujourd'hui. Les IPI ont aussi donné naissance à une nouvelle forme de diplomatie, appelée diplomatie parlementaire. À l'heure actuelle, cela représente un moyen terme important entre la diplomatie interétatique traditionnelle et la nouvelle collaboration transnationale qui s'est instituée parmi les organisations non gouvernementales qui opèrent au niveau local.

Les IPI sont en train de devenir un important mécanisme de surveillance sociétal de la diplomatie traditionnelle fondée sur des relations entre les détenteurs du pouvoir exécutif. Les IPI permettent également de tisser des liens transnationaux permanents qui sont un moyen de mettre un frein à l'exercice d'une politique de la force à l'ancienne allant à l'encontre du développement de la société civile et des ONG, et destinée à les museler au plan politique. En représentant le juste milieu, les IPI préparent le terrain à la coopération interétatique.

En outre, un certain nombre de parlements régionaux et internationaux ont récemment vu le jour en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Le programme de formation des IPI dont je parle pourrait, bien évidemment, inclure l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud, qui sont d'importants partenaires dans la mise en place de zones de libre-échange, d'unions douanières et d'intégration régionale au niveau continental. Les IPI constituent des noeuds essentiels dans le toujours plus vaste réseau de relations entre les ONG et entre ces dernières et les États ainsi que les institutions internationales.

J'ai décrit plus en détail cette évolution dans l'un des deux courts documents explicatifs que j'ai soumis à votre considération. Il est dans l'intérêt du Canada de s'impliquer dès le départ dans cette nouvelle évolution. Le Centre parlementaire représente à cet égard un instrument idéal; il pourrait commencer par collaborer avec la Communauté du Caucase du Sud et son parlement régional.

Le programme pourrait être élargi, ainsi que les recherches nécessaires, afin de prendre en compte le phénomène dans sa dimension internationale, entre autres les organismes d'intégration en Amérique centrale et en Amérique du Sud, tels que le Parlement andin, le Parlement centraméricain, le Parlement amazonien, ou encore la Commission parlementaire mixte du Mercosur.

Deuxièmement, au fur et à mesure que la Communauté du Caucase du Sud diversifiera ses activités et transformera l'Organisation de coopération économique de la mer Noire en forum à l'échelle de la région de la Caspienne, elle mettra en place un réseau de centres de coordination—baptisé collectivement Association eurasienne d'exploitation pétrolière et gazière ou EAOGA—pour mesurer la progression des futurs forums de coopération sur les axes mer Noire-Caucase et, plus tard, mer Noire-Caucase-mer Caspienne, qui accorderont une attention prioritaire à l'extraction, à la mise en valeur et à la commercialisation de l'énergie.

On peut envisager l'EAOGA comme une entité semblable à la défunte Communauté européenne du charbon et de l'acier, qui était centrée sur le développement et la gestion des ressources naturelles stratégiques à la fin de la guerre, soit la guerre froide. Toutefois, il s'agirait d'une institution adaptée au système complexe des relations internationales du XXIe siècle.

Il ne s'agira pas d'un nouvel organisme bureaucratique, qui doublonnerait les activités d'autres structures; l'EAOGA sera un réseau performant et symbolisera le nouveau concept de sécurité énergétique fondée sur la coopération. L'EAOGA impulsera un rapprochement synergique et pragmatique entre le programme énergétique international et le programme écologique international, en plus de légitimer globalement la participation internationale à la gestion des conflits entourant la mise en valeur des ressources de la Caspienne; il s'agira d'une procédure novatrice, sans précédent. L'EAOGA ne créera pas une nouvelle bureaucratie internationale, ni une autorité supranationale. Le fonctionnement de cette association s'inspirera du Traité de la Charte de l'énergie, accord international déjà en place.

Comme vous le savez, le Centre de recherches pour le développement international, ou CRDI, accueille sur son site Internet les secrétariats de plusieurs petites institutions internationales. Il est naturel, compte tenu de la solide réputation des activités du CRDI, qu'il gère l'intégration du Canada dans ce réseau d'institutions émergentes.

Nous ne suggérons pas que le CRDI cherche à remplir toutes les fonctions d'une institution aussi ambitieuse, mais nécessaire, que l'EAOGA. En revanche, il établira un réseau de contacts avec les autres centres de coordination de l'EAOGA par l'exploitation de ses propres forces institutionnelles, notamment l'intégration dans le cadre normatif du développement durable, des travaux menés sur les questions environnementales dans la région, ces dernières étant liées aux questions relatives aux ressources énergétiques.

• 1550

La recherche sur le programme international du secteur de l'environnement montre comment la communauté internationale peut réussir à obtenir des résultats par l'intermédiaire d'institutions multilatérales de coopération. L'idée sous-jacente à l'EAOGA est l'application de cette perspective au programme international en matière d'énergie. L'EAOGA constituera une coalition internationale, transnationale et multinationale dotée d'une perspective stratégique à multiple facettes: il s'agira d'une association spécialisée composée d'organismes gouvernementaux, non gouvernementaux et intergouvernementaux, qui ralliera tous les niveaux de la société mondiale, de manière à protéger collectivement leur sécurité économique au plan énergétique.

Le CRDI pourrait faire une contribution originale dans certains domaines où son expertise est reconnue, par exemple, la consolidation de la paix et l'intégration sociale dans les situations postérieures à des conflits. Il est logique de confier au CRDI un nouveau mandat, spécifiquement axé sur la situation au Caucase, dans le cadre des compétences déjà couvertes par les programmes en cours au sein de cet organisme.

Ces deux modestes propositions pourront plus facilement être mises en oeuvre si elles bénéficient d'un financement garanti sur plusieurs années. Les engagements budgétaires nécessaires seront modestes, mais les bénéfices qui en découleront seront relativement importants. Cette région revêt une importance extrême dans le cadre de l'évolution future du système des relations internationales au XXIe siècle. La Canada a l'occasion d'apporter sa contribution particulière grâce à sa crédibilité en matière de coopération multilatérale. Il est heureux que cette opportunité coïncide avec la défense des intérêts économiques particuliers du Canada, ainsi qu'avec ses intérêts globaux en matière de sécurité humaine.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cutler. Nous apprécions vos propos.

Donnons maintenant la parole à M. Leclaire.

M. Denis Leclaire (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup. Je m'appelle Denis Leclaire. Je suis directeur des activités internationales à l'université Saint Mary's de Halifax.

L'université Saint Mary's recevra des fonds de l'ACDI pour entreprendre un projet de trois ans dans la région du Caucase, destiné à offrir une formation en gestion aux petites et moyennes entreprises du Caucase. Je suis revenu il y a dix jours d'un séjour de deux semaines en Arménie, en Géorgie et en Azerbaijan. En outre, hier, à l'université, nous avons reçu dix stagiaires ouzbèkes, qui passeront deux mois à Halifax pour mieux connaître les mécanismes et les principes de nos programmes de M.B.A.

J'aimerais vous parler très brièvement, aujourd'hui, de la façon dont les universités canadiennes peuvent changer des choses au Caucase et en Asie Centrale et vous donner quelques détails sur notre projet au Caucase, notre récent voyage dans cette région, et quelques questions connexes. J'aimerais vous parler un peu du projet ouzbèke et des principaux problèmes qui s'y rattachent. Enfin, je vais soulever quelques questions clés relatives à cette région, et parler de la capacité des universités canadiennes et d'autres organismes canadiens de travailler au Caucase et en Asie Centrale.

Pour ceux qui l'ignorent, l'université Saint Mary's est située à Halifax. C'est un établissement de taille moyenne qui est très actif sur la scène internationale. Plus de 10 p. 100 de nos étudiants sont étrangers, ce qui représente pour notre université entre 6 millions et 8 millions de dollars en revenu annuel; c'est donc extrêmement important. Nous participons à divers projets, sur quatre continents. Nous nous concentrons surtout sur les questions de gouvernance, de formation en commerce et en gestion, d'environnement, de formation linguistique en anglais et de formation relative à l'égalité des sexes.

Les universités canadiennes, grandes et petites, peuvent jouer un rôle important dans le processus de transformation que vivent les pays de l'ex-Union soviétique. Les universités canadiennes ont les compétences requises sur les plans géographique et sectoriel, comme on le voit ici, et peuvent servir d'agents de changement pour créer les moyens et changer les attitudes et les stratégies existantes dans de nombreux pays d'Asie Centrale. Les universités canadiennes font du bon travail de renforcement des capacités à l'étranger, et dans des régions comme le Caucase, pour créer de nouvelles attitudes, il faut renforcer les capacités dans les secteurs comme la formation en gestion, la gouvernance, l'égalité des sexes et l'environnement.

Je le répète, je suis allé au Caucase au début d'avril avec le directeur du Centre d'aide aux entreprises de l'université Saint Mary's. Nous avons pris l'avion jusqu'à Yerevan et y avons passé quelques jours, avant de faire environ cinq heures de route, pour atteindre à Tbilisi, la capitale de la Géorgie, où nous avons passé quelques jours. Nous sommes allés ensuite à Bakpu, à la frontière; une douzaine d'heures de route. Pour ceux qui envisagent ce voyage et qui s'intéressent à la question, je pourrai, en répondant à vos questions, vous donner des détails sur la logistique, le tourisme, les questions frontalières, le graissage de pattes à faire en cours de route pour que tout aille bien pour vous, ainsi que l'état des routes.

• 1555

Je peux peut-être faire quelques observations générales au sujet de l'Arménie, de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan. Encore une fois, ce n'est certainement pas le domaine où j'excelle, mais j'ai trouvé cela extrêmement intéressant et exigeant. La chose qui m'a d'abord frappé, c'est à quel point ces gens sont raffinés, bien formés, bien instruits; ils savent exactement ce qu'ils veulent et quels sont leurs objectifs.

La plupart des gens, surtout les Occidentaux, savent que lorsque nous parlons de la période de transition vécue depuis la fin des années 80 et le début des années 90, soit le déclin de l'URSS et la désagrégation du Bloc socialiste, de nouveaux mots sont entrés dans le vocabulaire international... Ceux d'entre vous qui ont travaillé en commerce international depuis des années savent que nous nous gargarisons d'acronymes et de petites expressions. Il s'agit donc maintenant des pays en transition.

En Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan, quand nous parlions de la transition comme d'un phénomène relativement nouveau, les gens étaient assez polis. Mais j'ai compris qu'il ne s'agissait vraiment que de politesses lorsque je me suis adressé à la directrice du Centre des femmes et du développement en Azerbaïdjan, l'un de nos partenaires pour ce projet. Elle m'a dit: «J'ai 73 ans et je suis passée toute ma vie d'une période de transition à une autre. Il nous a toujours fallu nous adapter simplement pour survivre. Avec un tout petit peu d'aide, cette période d'adaptation pourrait être la plus facile de toutes.» Je pense qu'elle avait raison. Les gens de cette région ont vécu des moments très difficiles, comme le sait bien mon collègue, qui connaît bien mieux que moi leur histoire. Cette transition pourrait être relativement facile, en comparaison des précédentes.

Cela étant dit, il convient à mon avis de parler des tentatives, faites au Caucase depuis le début des années 90, plus ou moins couronnées de succès. Les gens s'efforcent et se sont efforcés de créer des États démocratiques. Ils ont essayé de mettre sur pied des sociétés civiles. Ils essaient de créer des systèmes d'économie de marché à orientation sociale et de s'intégrer à l'économie internationale. Tous ces efforts sont effectués par des gens qui n'ont pratiquement pas de formation dans ces domaines. Ils n'ont certainement pas de modèles locaux. Dans le cadre du projet que nous cherchons à réaliser au Caucase, notre objectif, c'est agir comme catalyseurs pour accélérer l'épanouissement du secteur des petites et moyennes entreprises dans le Caucase et faciliter la transition de branches de ce secteur vers une économie de marché.

Nos partenaires sont des organisations locales. On nous a souvent dit... Mon ami Phil nous a fortement recommandé, dans certaines régions, de nous tenir loin du secteur gouvernemental, un conseil que nous avons rigoureusement suivi. En Arménie, nous travaillons avec l'Union des manufacturiers et hommes d'affaires d'Arménie, une association professionnelle comptant 5 000 membres, très évoluée. Le président de l'association est propriétaire d'une entreprise de semi-conducteurs et a un doctorat d'une université moscovite; ses objectifs sont bien précis.

En Géorgie, notre partenaire est l'Université d'État de Tbilisi, qui vit elle-même une transition. C'était une organisation à contrôle très centralisé qui essaie de s'occidentaliser aussi rapidement que possible, et qui a elle aussi beaucoup de compétence développée sous l'ancien régime.

Enfin, en Azerbaïdjan, nous avons comme partenaire une organisation communautaire. Il s'agit de la Azerbaïdjan Women and Development Centre, dont j'ai parlé tout à l'heure. Cette organisation travaille avec les femmes dans les régions rurales, ce qui est un défi en soi. Cependant, si j'ai bien compris ce qu'on m'a expliqué, l'Azerbaïdjan est probablement l'un des pays du monde les plus ravagés par les pots-de-vin et la corruption. Voilà pourquoi nous avons axé notre stratégie au niveau local.

Nos activités et nos projets auront pour but de soutenir les centres de développement commerciales qui constituent ces organisations. L'aide que nous leur fournirons sera très directe. Ainsi, nous offrirons des cours de gestion et des formations en affaires à vocation très pratique. De plus, nous travaillerons beaucoup sur l'Internet en offrant un encadrement électronique à des entreprises des trois pays. Nous essaierons d'intéresser des gens de la région. En outre, nous avons l'intention de faire un voyage d'études, dans le cadre duquel nous parcourons le Canada pour nous familiariser avec les différentes façons de venir en aide aux entreprises au Canada. Nous inviterons également certains de nos collègues du Caucase à venir à Halifax pour faire de l'observation en milieu de travail, et nous organiserons de petites conférences régionales pour promouvoir la coopération régionale.

• 1600

En plus de préparer les petites entreprises à mieux gérer la demande dans une économie de marché, le projet facilitera la mise en réseau et la collaboration et favorisera l'adoption d'une éthique des affaires et de normes communes dans le Caucase. Voilà donc nos objectifs à long terme.

Encouragés par ce que nous avons accompli, nous essayons maintenant de servir de lien entre les entreprises du Caucase et le secteur privé, les associations professionnelles, les ONG et les universités du Canada.

Notre première activité est prévue pour la fin du mois d'août. Nous commencerons par l'essentiel en abordant des concepts que nous tenons pour acquis, mais qui sont tout à fait nouveaux pour beaucoup de gens là-bas: Qu'est-ce qu'un marché libre? Qu'est-ce qu'une économie de marché? Il y a beaucoup de conceptions erronées là-bas, comme il y en a ici au Canada.

Enfin, je voudrais vous parler de notre projet en Ouzbékistan. C'est aussi un projet intéressant et qui se rattache à nos activités dans le Caucase. De concert avec le Bureau canadien de l'éducation internationale, et grâce au soutien de l'ACDI, nous avons accepté de fournir une formation de deux mois à dix stagiaires ouzbèkes. Là encore, la formation se rapporte à la gestion, mais cette fois-ci se sera au niveau du MBA. Là encore, on semble se heurter au même genre de problèmes que dans le Caucase. Les gens sont talentueux, très bien formés et extrêmement évolués. Ce sont des gens qui veulent avoir une économie de marché, mais sans trop savoir de quoi il s'agit. Par conséquent, les autorités ouzbèkes nous ont demandé de fournir une formation qui permettrait aux jeunes Ouzbeks talentueux et brillants de mieux comprendre la gestion des affaires.

Enfin, je voudrais vous parler de certaines difficultés. La première ne vous surprendra pas. D'après mon expérience limitée, et d'après toutes les recherches que j'ai effectuées, je peux vous dire que le Canada est presque invisible dans le Caucase. Cela est particulièrement vrai en Géorgie et en Azerbaïdjan. Par contre, en Arménie, le Canada est un petit peu plus visible et les gens le connaissent un peu plus grâce à la diaspora arménienne. Évidemment, nos principaux concurrents là-bas sont les Européens et, dans une large mesure, les Américains, qui investissent massivement dans la région. Ils y sont également très visibles. La deuxième difficulté à laquelle nous nous heurtons concerne les visas. En effet, ils nous font beaucoup de tort sur ce plan-là.

Il est beaucoup plus difficile d'obtenir un visa pour le Canada, qu'il s'agisse d'un visa de visiteur ou d'un permis de séjour pour étudiant, que pour les États-Unis ou pour l'Europe. Même dans le cadre de projets financés par l'ACDI ou d'autres organismes donateurs, la plupart des agents d'immigration canadiens—notamment ceux qui sont en poste à Moscou—dressent des obstacles, des contraintes de temps et autres lourdeurs administratives.

À titre d'exemple, dans le cadre du projet ouzbèke, qui n'existe que depuis huit semaines, il a fallu attendre six semaines avant d'obtenir des visas et même là, il a fallu que quelqu'un aille par avion de Tashkent à Moscou pour récupérer les passeports. De toute évidence, on n'avait rien fait pour aider les gens à se rendre au Canada.

Il est quand même paradoxal que, d'une part, un organisme d'État, en l'occurrence l'ACDI, nous encourage à oeuvrer dans la région et que le MAECI et Industrie Canada nous encouragent à recruter des étudiants étrangers, mais que, d'autre part, on ne fait souvent rien pour faciliter l'obtention des visas et, ce faisant, encourager les étudiants à venir étudier au Canada. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des anciens pays de la CEI.

Quoi qu'il en soit, je m'arrêterai là. Je vous souhaite bonne chance et bon voyage. Je vous invite vivement à profiter de votre voyage, car les gens sont extrêmement gentils et désireux d'établir des liens à tous les niveaux.

Le président: Nous passons à M. Rourke maintenant.

M. Phil Rourke (directeur de programme, CEI et Europe de l'Est, Centre des politiques de commerce et de droit de l'université Carleton): Merci, monsieur le président.

Voici les grandes lignes de mon exposé: premièrement, présentation du Centre des politiques de commerce et de droit; deuxièmement, description du contexte local dans lequel nous oeuvrons tant dans les pays du sud du Caucase qu'en Russie et en Ukraine; troisièmement, principales caractéristiques de notre programme dans la région; enfin, quelques leçons tirées des cinq dernières années passées dans la région.

Premièrement, qui sommes-nous? Le Centre des politiques de commerce et de droit est un groupe de réflexion indépendant et sans but lucratif, rattaché à l'université Carleton et à l'Université d'Ottawa. Nous nous spécialisons dans la recherche, la formation et les services consultatifs en matière de politique commerciale et de droit commercial.

Notre centre a été mis sur pied il y a une dizaine d'années, avec pour mandat de favoriser une meilleure compréhension des questions commerciales, d'encourager les diplômés et autres professionnels à se lancer en affaires et à faire carrière en commerce international, et d'enrichir les connaissances au Canada, comme à l'étranger, en matière de commerce international.

• 1605

Notre centre a vu le jour grâce à une subvention du gouvernement du Canada. Nous avons bénéficié de cette subvention pendant plusieurs années avant qu'elle ne soit supprimée graduellement. Tous nos programmes actuels sont financés dans le cadre de projets précis.

Ce qui rend le Centre des politiques de commerce et de droit unique au Canada et ailleurs, c'est notre capacité de fournir des solutions très pratiques grâce à des années d'expérience et à des recherches indépendantes sur la façon d'élaborer des stratégies de commerce international efficaces et de les mettre en oeuvre dans des pays qui veulent s'intégrer davantage au réseau international des échanges commerciaux. Nous avons constaté, au Canada comme ailleurs dans le monde, que les économies en transition et les pays en développement ont grandement besoin de ce genre de conseils.

Nos services sont essentiellement offerts par nos experts rattachés à deux institutions qui nous parrainent, nommément la Norman Paterson School of International Affairs à l'université Carleton, et la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. De plus, nous comptons sur l'expérience de nos partenaires qui sont, pour la plupart, d'anciens hauts fonctionnaires canadiens qui, au cours de leur carrière au sein du MAECI ou d'autres ministères à vocation commerciale, ont réglé des questions commerciales.

Nous exerçons actuellement nos activités dans plus d'une quinzaine de pays, et depuis 1989, nous avons travaillé dans une quarantaine. Dans la région de la CEI, nous avons mis sur pied des projets en Russie, en Ukraine, en Azerbaïdjan et en Géorgie. Nous étudions la possibilité de mener des activités en Arménie.

Dans ces pays, nous participons essentiellement à des projets pluriannuels mettant l'accent sur deux formes d'aide: une aide technique à court terme portant des problèmes de commerce international et une aide à plus long terme visant à renforcer de la capacité du savoir-faire local afin de permettre à ces pays de devenir des acteurs plus efficaces sur la scène internationale.

Jusqu'à présent, nos partenaires étrangers se sont enthousiasmés à l'idée de travailler avec nous pour deux raisons principales, qui se rapportent toutes les deux pertinentes à vos délibérations. D'abord, ils s'intéressent à notre point de vue canadien. Le Canada est une puissance économique relativement petite. Il n'a pas non plus un héritage impérial, ni de visée hégémonique mondiale. Voilà pourquoi notre expérience dans le domaine du commerce international est plus pertinente que celle des plus grands pays développés, comme les États-Unis ou les pays de l'Union européenne.

Ensuite, les méthodes que nous proposons pour renforcer la capacité régionale à court et à long terme, et pour trouver des solutions pratiques tiennent davantage compte des conditions et des pratiques locales et des sensibilités culturelles, que n'importe quel autre projet parrainé par des pays donateurs à ce chapitre.

Au Centre des politiques de commerce et de droit, nous avons en outre un intérêt stratégique à oeuvrer sur la scène internationale. Premièrement, l'expérience que nous pouvons acquérir en travaillant dans ces pays, nous aide à enrichir notre connaissance des enjeux commerciaux. Deuxièmement, les partenariats que nous créons favorisent les intérêts à long terme de nos deux institutions partenaires, c'est-à-dire les deux universités d'Ottawa. Troisièmement, notre expérience à l'étranger nous aide à réaliser notre objectif à long terme de mettre sur pied un réseau international de centres des politiques de commerce et de droit pour que nous puissions continuer à travailler dans ces pays, et à tirer des enseignements, au-delà de ce que nous permettent nos projets d'aide technique actuels.

Je voudrais maintenant aborder le deuxième volet de mon exposé, à savoir le contexte dans lequel nous oeuvrons dans la région. L'essentiel de nos activités a été mené en Russie au cours des cinq dernières années. Je pense que cette expérience se rapporte à nos activités dans le sud du Caucase, où nous sommes présents depuis l'année dernière.

L'année dernière, votre comité a étudié les avantages que le Canada pouvait tirer de son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce. Comme chacun le sait, la participation efficace à cette organisation exige un effort considérable non seulement de la part du gouvernement fédéral et des provinces canadiennes, mais aussi de la part de nombreux intervenants, notamment les responsables des politiques commerciales, des juristes, des conseillers en matière commerciale, des courtiers en douane, des cabinets d'avocat, des institutions financières, des groupes de réflexion comme notre centre, des entreprises et autres groupes d'intérêt. Tous ces intervenants appuient les travaux du gouvernement canadien et les examinent de près. La société civile étant bien informée et organisée, elle demande de plus en plus à jouer un rôle dans le processus d'expansion et de promotion du commerce canadien sur les marchés internationaux.

• 1610

Cela exige la participation de centaines de personnes, une coordination exhaustive et permanente, ainsi qu'une culture propre aux entreprises, au gouvernement et à la société civile qui puisse s'adapter au changement, composer avec les nouveaux développements et les pressions et transmettre des enseignements et des expériences aux générations successives pour assurer la continuité.

Cependant, dans les pays que vous étudiez actuellement, l'économie de marché, la démocratie et les institutions nécessaires pour appuyer les initiatives gouvernementales et renforcer ce genre de culture n'en sont encore qu'à leur étape embryonnaire. De plus, tout cela arrive à un moment où la conjoncture économique est très difficile dans certains de ces pays, la vie politique continue à être instable, imprévisible voire très dangereuse dans d'autres, ce qui rend difficile toute manoeuvre géopolitique, sans compter les nombreux problèmes sociaux insolubles.

Pourtant, les gens ne baissent pas les bras, comme le disait Denis tout à l'heure. Comme lui, je continue à être étonné de voir toute l'énergie et la détermination de nos partenaires qui tiennent à changer les choses. Pour reprendre ce que disait Denis tout à l'heure, et comme m'a dit un ami en Russie une fois: «Phil, parfois il est impossible de travailler quand on vit dans un pays qui est en état de crise permanente, mais nous devons persévérer quand même».

Le président: C'est pour cela que nous ne réussissons jamais à accomplir quoique ce soit ici.

M. Phil Rourke: Vous comprendrez quand vous rencontrerez... Dans ces pays, on reconnaît le besoin d'obtenir de l'aide et on peut tirer avantage de l'expérience des Canadiens et d'autres. Par ailleurs, depuis dix ans, on a fait bien des déclarations concernant le changement et on a mis sur pied des programmes d'aide technique trop ambitieux qui n'ont pas toujours donné les résultats escomptés. Face aux nombreuses initiatives et politiques insensées de leur propre gouvernement, les gens là-bas ont compris que la transition vers une économie de marché et un avenir démocratique est un processus de longue haleine.

Il y a un proverbe russe qui dit: «soit constant et tu y arriveras!». Je pense qu'il est tout à fait à propos, puisque les mentalités semblent changer suivant un rythme constant dans ces pays-là.

Dans l'intervalle, les pays donateurs comme le Canada traversent eux-mêmes, à mon avis, une transition. En effet, on semble réfléchir au rôle qu'on pourrait jouer dans cette région du monde. Les pays occidentaux ont commencé les années 90 en pensant que la réforme dont les anciens pays de l'Union soviétique, se ferait à court terme et qu'on pouvait résoudre les problèmes en mettant à profit, d'une part, l'expérience, la technologie et les fonds occidentaux et, d'autre part, les compétences, les ressources et la détermination d'un peuple qui venait à peine d'être libéré du joug soviétique.

Mais à mesure qu'on avançait dans la décennie, la pratique et l'expérience se sont écartées de cette théorie. Néanmoins, nous avons tenu bon. Nos partenaires continuaient de faire les déclarations qu'il fallait et ont pris suffisamment de mesures positives pour rationaliser l'application de ce point de vue, alors même que nous nous faisions dire que la fin de l'histoire approchait. Et enfin, avec la crise financière d'août 1998, toute cette approche s'est écroulée sur elle-même et nous avons commencé à analyser ce qui en restait pour y trouver des indices de la ligne de conduite à adopter.

D'après mon interprétation du témoignage précédent devant ce comité et de certaines questions qui ont été soulevées, cette recherche se poursuit, tant au sein de notre gouvernement qu'à votre comité, je crois.

Le rôle du CPCD dans tout ça? C'est le contexte dans lequel nous avons travaillé dans ces pays. En Géorgie et en Azerbaïdjan, nous participons à des projets pluriannuels financés par l'ACDI afin de renforcer la capacité institutionnelle qui permettra à des experts locaux ayant les connaissances, les outils, les contacts internationaux et l'expérience d'aider leurs gouvernements respectifs à accéder à l'OMC et à y participer efficacement, une fois membres.

Notre travail comprend des programmes de formation, des conseils stratégiques sur les politiques commerciales et les négociations commerciales; la mise sur pied de centres locaux de politiques de commerce et de droit, suivant le modèle canadien; l'accès pour nos partenaires à notre réseau international et à notre base de données commerciales, par l'intermédiaire de notre système d'information sur Internet qui ressemble, je crois, à ce que Denis fait avec son système de mentorat électronique; et l'aide à la mise sur pied de réseaux locaux et régionaux d'experts en commerce des secteurs privé et public, qui aideront les gouvernements et encourageront la participation réelle au système commercial international.

À l'heure actuelle, avec l'ACDI, nous envisageons aussi des façons de renforcer la capacité de politiques commerciales sur une base régionale pour contribuer à la coopération régionale et aider ainsi au rétablissement de la paix dans la région. Nous essayons de trouver des intérêts communs, de mettre sur pied des activités qui s'y rattachent, puis à faire fond sur la réussite de ces projets.

• 1615

Prenons un exemple concret. Dans notre travail, nous nous occupons beaucoup des détails de la législation commerciale. La plupart des lois de ces pays sont fondées sur une législation datant de l'époque soviétique. Comme chaque pays en est à un point différent dans l'adaptation de ces lois, tant aux conditions locales qu'aux engagements pris dans le cadre de l'accession à l'OMC, le partage des informations, de l'expérience et des démarches peut être un exercice mutuellement avantageux.

En outre, si possible, nous faisons participer nos partenaires russes à nos projets dans le Caucase du Sud. Nos experts à Moscou travaillaient directement sur les lois. Ils travaillent avec nous depuis plus longtemps et peuvent, par conséquent, expliquer à nos partenaires de la région comment notre modèle de CPCD peut fonctionner et contribuer au renforcement de la capacité locale. En offrant de l'aide là où il fallait, je crois que nous avons réussi à obtenir des résultats très concrets. En adoptant une approche croissante aux activités communes, nous espérons contribuer à la stabilité politique et économique à long terme de la région.

Et enfin, en Azerbaïdjan, nous mettons à l'essai une nouvelle idée, en collaborant avec le gouvernement de la Norvège à un projet de coopération conjointe de nature technique. Nous avons constaté que les Norvégiens et l'ambassadeur à Bakou, comme nous-mêmes, sont très intéressés au travail à faire pour l'accession mais tiennent beaucoup à réduire au minimum les risques et les problèmes pouvant être associés aux grandes distances et aux différences culturelles.

Avec un groupe de réflexion norvégien, nous essayons de compléter nos efforts et de partager nos ressources financières et autres afin d'arriver à des résultats très concrets. Nous sommes actuellement en train de mettre au point des activités communes dans le secteur pétrolier et gazier afin de promouvoir l'élaboration de règlements et de normes conformes à l'OMC, à promouvoir la coopération conjointe du Canada et de la Norvège dans le secteur pétrolier et gazier, et à mettre sur pied un meilleur soutien national à long terme en Azerbaïdjan pour l'accession à l'OMC.

Et enfin, j'aimerais brièvement vous parler de cinq leçons que nous avons tirées de notre expérience des cinq dernières années dans cette partie du monde.

Premièrement, nous avons constaté qu'il nous faut comprendre les différences culturelles. Nous nous sommes aperçus qu'il était bien plus difficile d'établir des relations de travail avec nos partenaires que nous nous y attendions. À des degrés divers selon les pays, il nous a fallu un an, deux et même trois avant de créer les relations d'affaires auxquelles nous sommes habitués, en Amérique du Nord. Mais une fois ces relations établies on peut déjà voir des résultats.

Cela m'amène à la deuxième leçon: il nous faut penser à long terme. Jusqu'ici, d'après notre expérience, les partenaires locaux craignent de développer des relations avec des organisations extérieures qui ne s'intéressent qu'à des résultats à court terme.

Les partenaires locaux ont tendance à passer beaucoup de temps à mettre à l'épreuve des relations avec des organisations extérieures, et ce n'est qu'après toutes ces épreuves qu'ils commencent à contribuer sérieusement au partenariat. D'ailleurs, en russe, il y a un mot pour cela: nashi. Son sens est un peu le même que le mot «nous» en français, mais plus fort, soit l'«un de nous». On est constamment mis à l'épreuve, pour voir si l'on est vraiment l'un d'eux ou pas—en fait, on n'est jamais vraiment l'un d'eux—et ce processus peut prendre beaucoup de temps.

Troisièmement, nous avons appris qu'il nous faut trouver des partenaires sérieux qui partagent nos objectifs. Cela peut sembler aller de soi, mais je crois qu'il faut insister là-dessus. J'ai constaté, dans ma brève expérience là-bas, que dans de nombreux projets, si le niveau d'engagement n'est pas le même des deux côtés, l'effet peut être très significatif sur les résultats.

Quatrièmement, il faut se concentrer sur le travail pratique et des résultats modestes. Nous avons travaillé à des plans de travail conjoints et à des activités conjointes comme en décrivait Denis. Il s'agit de questions très pratiques, axées sur ce qui doit se faire à court terme et à long terme et plus souvent qu'autrement, à court terme seulement. Si vous vous concentrez sur ce genre de projets, vous obtiendrez de meilleurs résultats.

Et enfin, comme Denis le disait aussi, il faut s'orienter si possible vers des organismes non gouvernementaux. Ils permettent de passer à travers les différentes vagues d'instabilité gouvernementale et politique, lorsqu'elles surviennent. Si vous avez un partenaire local, je pense que vous pouvez obtenir de meilleurs résultats.

• 1620

Voilà qui termine notre exposé. On m'a dit que ceux d'entre vous qui irez dans le Caucase du Sud visiterez notre projet à Tbilisi. Deux de nos experts y seront, que vous connaissez peut-être, puisqu'ils ont fait partie de votre personnel de recherche lorsque vous examiniez un projet de l'OMC. Roy Hines y sera. Il travaille avec nous et se spécialise dans les recours commerciaux. Il est en Géorgie.

L'autre, c'est Chris Maule, l'ancien directeur de l'école qui nous parraine, et l'un de vos anciens attachés de recherche. Il se spécialise notamment en commerce électronique et en télécommunication. Le gouvernement de la Géorgie essaie d'élaborer un plan stratégique pour ce secteur.

Ils sont donc là-bas. Vous les rencontrerez, de même que nos partenaires du ministère du Commerce et je pense que vous serez ravis de les rencontrer.

Merci.

Le président: Merci. Prévenez-les que nous nous attendons à ce qu'ils rédigent au moins un chapitre de notre rapport, avant notre arrivée. Demandez-leur de se mettre au travail tout de suite.

Avant de passer aux questions, il y a un détail qui m'a semblé étrange, mais je ne l'ai pas très bien compris dans votre exposé, monsieur Rourke. Vous avez parlé de collaboration avec les ONG. Au début de votre exposé, il me semblait que vous parliez davantage de la formation des fonctionnaires, du manque de capacité gouvernementale pour l'accession à l'OMC. Vous avez ensuite dit que vous essayiez de renforcer... Cela me semble assez différent et la deuxième idée est bien plus ambitieuse que la première. Essayez- vous de faire les deux à la fois?

M. Phil Rourke: Oui. Lorsque nous avons commencé nos activités en Russie, nous nous sommes rendus compte que nous collaborions directement avec le ministère de façon traditionnelle en matière de formation et le reste, c'est-à-dire qu'on offre une formation technique et précise à un grand nombre de gens. Cela n'a pas donné de très bons résultats.

On a bel et bien fait participer beaucoup de monde, et on a affecté des sommes à ce programme et le reste, mais sans réussir à vraiment développer les ressources locales. Nous avons donc adopté une autre approche en Russie, qui a d'ailleurs été couronnée de succès. Nous travaillons d'abord avec les ministères puis on s'efforce de trouver un groupe qui soit en mesure de mettre sur pied une organisation comme la nôtre dans ces pays, après quoi on concentre nos efforts sur un petit groupe de gens proches du ministère mais distincts.

Dans ces pays, nous n'avons pas encore trouvé de gens qui ont déjà établi une organisation, les choses sont donc un peu plus difficiles. C'est peut-être là qu'il y a un manque d'homogénéité.

Le président: Est-ce que le gouvernement demanderait l'aide d'un groupe comme celui-là pour rédiger la législation de mise en oeuvre, ou les obligations liées à l'OMC et ce genre de chose?

M. Phil Rourke: C'est exact. Le groupe peut également servir de pivot pour les autres organismes donateurs lorsqu'il s'agit de cibler le soutien accordé, et nous avons pu observer que cela fonctionne très bien.

Le président: Merci.

Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai: Merci, monsieur le président.

Merci de votre exposé.

Ce matin nous avons entendu un exposé, et après l'avoir écouté, je me suis dit que je faisais bien de ne pas y aller. Il était très différent du vôtre, et je le comprends.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Mettez une croix là-dessus.

M. Deepak Obhrai: Merci. L'opposition me félicite.

Ce matin, les témoins ont invoqué la situation politique du pays, et ont fourni une analyse approfondie des problèmes auxquels la région toute entière est en proie, ce qui est assez compréhensible. Ils ont aussi ajouté que 5 p. 100 du problème résulte de la politique du pétrole et de l'impérialisme russe, et 95 p. 100 est la conséquence de la situation interne, à savoir des conflits ethniques qui les opposent, et des bouleversements observés dans une région aussi diverse et peu développée.

Cela donnait l'impression très nette qu'il reste énormément de choses à faire dans cette région, et que nous ne savons pas comment les choses évolueront, étant donné que les ressources du Canada se raréfient. L'un des témoins a même affirmé qu'il n'y en avait même pas assez... Il a dit qu'il y avait bel et bien du pétrole mais que les réserves ne sont pas très importantes, qu'elles sont bien loin de celles ne serait-ce que de l'Arabie Saoudite.

• 1625

Je comprends ce genre de chose. On a déjà affecté beaucoup de ressources et d'argent... Je ne préconise pas qu'on abandonne ce genre d'aide ni que nous nous retirions de la région. Non, ce n'est pas ce que je veux dire.

D'après l'un des témoins, la meilleure façon de procéder était de commencer par agir à partir de la base, c'est-à-dire de collaborer avec la société civile, même si à mon avis il n'existe aucune société civile,—je parlerai plutôt des ONG—puis d'amorcer les projets de développement.

Quant à vos collaborateurs, ils sont sur le terrain, ce qui est différent. À propos de la question du pipeline, après avoir entendu les propos de ce matin, je me demande même si aucun de ces oléoducs va être mis au chantier. Vous développez de petites entreprises et ce genre de chose. C'est très bien. Cependant, ce sera un petit pas—un petit pas, un bond de géant, vous savez ce qu'on dit.

Je ne sais donc pas vraiment quoi dire, franchement. Après vous avoir entendu parler d'aider le gouvernement à adhérer à l'OMC, je me dis quand même qu'il y a encore beaucoup de choses à faire avant que cela ne porte fruit si l'instabilité politique persiste.

Donc, qu'allez-vous nous dire, tous les trois? Il va falloir attendre bien longtemps avant de voir de véritables progrès dans cette partie-là du monde.

Le président: Monsieur Cutler.

M. Robert Cutler: Oui. Vous avez parlé des oléoducs et des quantités de pétrole. Permettez-moi d'y revenir. Je vais aussi répondre à certaines autres de vos observations.

Vous n'ignorez pas qu'au début des années 90, le gouvernement des États-Unis estimait que la région de la Caspienne était une nouvelle Arabie saoudite. Depuis lors, et depuis quelques années déjà, il est de bon ton de se montrer sceptique, et de dire que la région de la Caspienne est à peu près comparable à celle de la Mer du Nord.

Je me suis renseigné et je peux dire que ce scepticisme est exagéré, et que même si la région de la Caspienne se comparait à celle de la Mer du Nord, c'est quand même important. C'est important parce que la consommation de pétrole va augmenter dans le monde entier. Ça l'est aussi parce que le pétrole va demeurer le moteur du développement dans ces pays puisque rien d'autre ne peut prendre sa place, et entraîner la croissance susceptible de répondre aux besoins fondamentaux de leur population.

Ce qu'il faut, c'est de bien orienter, exécuter et mettre en oeuvre le développement énergétique, de telle façon que ces avantages soient répartis également, par exemple.

• 1630

L'une des raisons pour lesquelles ce scepticisme s'est répandu, outre les attentes exagérées de Washington, c'est le fait, comme vous le savez probablement, que le prix du pétrole influe sur la quantité produite. Lorsqu'on parle d'un certain nombre de barils, ce qu'on veut dire c'est le nombre de barils qu'on peut extraire du sol et vendre en réalisant un profit. Si le prix du pétrole est à la hausse, on peut dépenser davantage d'argent pour l'extraire, et on établit qu'il y a davantage de «réserves prouvées». Vous n'ignorez pas que le prix du pétrole a diminué l'année dernière ou les deux dernières années, pour s'établir à 10 $ ou 15 $ le baril, mais il a maintenant remonté à plus de 20 $ et va demeurer à ce niveau pendant assez longtemps.

J'ajouterais aussi que de grandes étendues de la mer Caspienne n'ont pas encore fait l'objet de forages. Or il existe des données sur les réserves. Le ministère de l'Énergie de l'Union soviétique avait effectué un excellent inventaire des stocks des ressources naturelles des pays qui en faisaient partie. Nous disposons donc de données hydrologiques nécessaires aux travaux de génie. On effectue donc des forages d'exploration afin de les confirmer.

Ces deux derniers mois, dans le nord de la mer Caspienne, dans un cas dans le secteur russe, et dans l'autre dans un secteur kazahk, les forages effectués ont dépassé toutes les espérances, comme dans le cas du champ gazier du Shah Deniz, celui-là dans le secteur azerbaïjanais de la même région.

Je vous recommanderais donc de ne pas sacrifier à la mode du scepticisme pour la seule raison que ce n'était pas la théorie préconisée par les Américains au début des années 90. La région de la Caspienne sera un des très grands champs pétrolifères, pas aussi grand que celui de l'Arabie saoudite, mais ce n'est pas nécessaire. Il va tripler ou quintupler le gisement de la Mer du Nord. Cela suffit pour soutenir l'intérêt manifesté par des pays et des compagnies depuis dix ans.

Par ailleurs, j'aimerais brièvement revenir à ce que vous disiez au sujet de la société civile. Bien entendu cette société civile, ou ce qu'on désigne comme telle, est importante. Je conviens cependant avec vous ce n'est pas la bonne expression. Lorsqu'on a d'abord traduit l'expression en russe, avec le terme gragedamkoe, cela ne voulait rien dire. Les gens n'y comprenaient rien. Je conviens donc avec vous qu'il est préférable de parler des ONG, par exemple, que de la société civile.

Cela dit, les populations et les organismes vont continuer à accorder leur appui à ces organisations. Toutefois, depuis trois ou cinq ans, l'Union européenne pour ne citer qu'un exemple a ajouté à ses activités un volet lié à la démocratie. Or, elle est arrivée à la conclusion que tout cela a beau être fort intéressant, il faudra quand même lancer une initiative diplomatique de grande envergure, car après cinq ans, on observe assez peu de progrès. Les choses progresseront lentement mais de manière soutenue au niveau des ONG, mais il demeurera nécessaire d'intervenir sur le front diplomatique de façon assez marquée.

Le président: Monsieur Rourke, très brièvement, car les 10 minutes sont presque terminées.

M. Phil Rourke: Bien.

Deux choses. Pour ce qui est de l'aide technique à court terme qui permettrait d'adhérer à l'OMC, il s'agit d'étayer la réforme des marchés, de diversifier les relations commerciales et de participer au système de commerce international. En tant que membre, le Canada appuie ces initiatives.

La Géorgie est sur le point de devenir membre. Son parlement vient d'adopter une législation en ce sens. L'Arménie attend d'avoir résolu un problème politique, c'est-à-dire que l'aval du Parlement est retardé en raison du conflit avec l'Azerbaïdjan. Dans ce dernier, la participation à l'OMC n'est pas aussi prioritaire parce qu'elle ne revêt pas autant d'importance aux yeux du président de l'Azerbaïdjan. D'ici à ce que les choses changent à cet égard, je pense qu'il faudra qu'on travaille à un niveau différent.

• 1635

Pour ce qui est des objectifs à plus long terme, vous avez raison: il faut compter surtout sur la prochaine génération. D'ailleurs, lorsqu'on choisit les participants, on s'efforce d'aller chercher de jeunes fonctionnaires et de jeunes employés du secteur privé. En général, ils sont d'origines plus diverses et les deux sexes y sont mieux représentés. Ce sont ces derniers qui feront avancer les choses. Je conviens cependant avec vous qu'il faudra au moins une génération pour qu'ils atteignent le niveau de réalisation que nous attendons d'eux.

Le président: Monsieur Leclaire.

M. Denis Leclaire: J'aimerais simplement préciser que... J'ignore si vos autres témoins ont eu des rapports soutenus avec les étudiants, mais pour ma part, j'ai passé beaucoup de temps avec des étudiants inscrits au programme de MBA en Géorgie, et ils sont tout aussi branchés sur l'Internet que n'importe quel étudiant nord-américain. Je crois que cela va marquer un tournant très important sur le plan des exigences. Ainsi que Phil le disait, je ne sous-estimerais pas la jeune génération parce qu'elle tient à agir très rapidement et qu'elle est au courant de ce qui se passe dans le reste du monde.

Le président: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Rocheleau.

M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): Monsieur Cutler, j'ai lu le document qui est annexé à votre témoignage et où vous faites notamment état du problème qui existe entre le autorités du Kazakhstan et la société Chevron. Puisque je serai membre de la délégation qui va se rendre au Kazakhstan, j'aimerais savoir si vous croyez que les gens que nous allons rencontrer aborderont ce sujet. S'agit-il d'une question cruciale et épineuse là-bas? Si oui, est-ce que vous avez une opinion quant aux responsabilités de chacune des deux parties? Est-ce que l'une d'elles a manqué à ses obligations ou à ses engagements?

M. Robert Cutler: Les relations entre la société Chevron et le gouvernement kazakhstanais sont beaucoup plus harmonieuses aujourd'hui qu'elles ne l'étaient il y a cinq ou sept ans. J'ignore si vous irez sur le terrain, au Tengiz. Si tel est le cas, j'espère que vous aurez l'occasion de rencontrer des responsables de la compagnie et que vous parlerez avec les gens qui exploitent ces ressources. J'ose dire que les renseignements que vous obtiendrez du gouvernement du Kazakhstan ne seront pas aussi «sur le qui-vive», si je puis dire, que si vous faites des consultations sur le terrain.

Vous avez raison de relever le fait que dans cet article que j'ai écrit, qui a été publié l'an dernier et qui était basé sur des recherches antérieures, j'ai dit qu'il y avait au tout départ, lorsqu'on a commencé à exploiter ces ressources au Tengiz, des problèmes d'incompréhension mutuelle. Les sociétés occidentales ont souvent de la difficulté à s'intégrer aux sociétés et traditions collectivistes, même des nouveaux pays indépendants. Je vous ai donné des exemples, que vous avez lus et que je ne répéterai donc pas, et je dois vous dire que les compagnies occidentales ont fait beaucoup de progrès. Elles ont dû apprendre et même inventer de nouvelles méthodes de gestion et de nouvelles formes d'organisations interculturelles et vraiment multinationales. Il ne s'agit pas d'organisations internationales, bien que des représentants de plusieurs pays fassent partie du groupe des décideurs.

Puisque leurs intérêts portent sur le marché, ils ont dû apprendre, et ont réussi à bien apprendre, ce qu'il faut faire pour avoir du succès à cet égard. Il s'agit donc d'une question intéressante que je vous incite à soulever lorsque vous irez au Kazakhstan. Je vous rappelle qu'en principe, les problèmes que j'ai évoqués dans cet article ne sont pas aussi graves qu'il y a deux ou trois ans, au moment où je faisais de la recherche pour cet article.

M. Yves Rocheleau: Lors de votre exposé, vous nous avez parlé de la création d'une communauté du Caucase du Sud et dit que cette initiative n'avait pas encore été rendue publique. Pourquoi n'a-t-elle pas été rendue publique? Ne s'agit-il que d'un projet théorique? Est-ce que certaines personnes s'y opposent? Est-ce qu'il y a de la résistance face à la création d'une communauté du Caucase du Sud?

• 1640

M. Robert Cutler: Non, c'est encore à l'étape de la formation et du perfectionnement. J'en parlais justement ce matin aux personnes responsables de cette initiative. Ce n'est pas un secret. Il y a un centre de recherche politique à Bruxelles, qui est effectivement le think-tank principal de l'Union européenne. Il y a là un groupe dont je suis membre et qui a préparé un document qui en est à sa sixième ébauche. Nous afficherons sous peu ce document sur le site Web de ce centre afin que les experts et les décideurs puissent en prendre connaissance et en discuter en vue de le perfectionner. C'est parce qu'il n'a pas encore été publié sur le site Web de ce centre que je vous disais que cette initiative n'avait pas été rendue publique. Il ne s'agit cependant pas d'un secret.

La création d'une communauté du Caucase du Sud nécessitera non seulement une grande coopération de la part de l'Union européenne, mais aussi le concours des membres de ce centre, dont l'ancien ambassadeur de l'EU à Moscou, ainsi que l'Assemblée parlementaire pour la coopération économique de la mer Noire, entre autres. Il y a beaucoup d'intérêts à concilier, et c'est dans ce sens que je disais que cette initiative n'avait pas encore été rendue publique. Elle n'est pas suffisamment perfectionnée et, à cette étape, une discussion plus large serait utile. Cela aura lieu dans un avenir très prochain.

M. Yves Rocheleau: Est-ce que ce projet vise à protéger et développer les intérêts locaux, ou plutôt à protéger et développer les intérêts des Occidentaux?

M. Robert Cutler: Lorsque les Bruxellois et les gens de l'Union européenne parlent des Occidentaux, ils englobent les Européens, dont les intérêts sont parfois sensiblement différents de ceux des Nord-Américains. Le grand oléoduc d'Azerbaïdjan jusqu'à la Turquie est un exemple de ces différents points de vue entre les deux partenaires transatlantiques.

Il faut d'abord faciliter la conciliation des intérêts des acteurs locaux et promouvoir une résolution définitive du conflit au Karabakh. C'est une étape préalable à tout développement paisible de la région du Caucase du Sud. Dans ce sens, je me permets de dire qu'il ne s'agit pas de choisir entre les intérêts des uns et les intérêts des autres, mais de faire en sorte qu'ils se complètent.

M. Yves Rocheleau: Merci.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Monsieur Cutler, merci beaucoup pour vos documents d'appui qui sont excellents. Je voudrais continuer dans la veine de mon collègue Rocheleau.

Ce matin, nous avons entendu des témoins qui nous ont présenté un point de vue différent de celui que vous nous avez présenté cet après-midi. Ils nous ont présenté des graphiques illustrant le cheminement démocratique, si je puis dire entre guillemets, des pays du Caucase du Sud versus l'autocratie. On ne peut pas dire qu'il y ait vraiment eu amélioration depuis 10 ans. On nous dit qu'il y a simplement eu, en Géorgie, une élection qu'on pourrait quand même qualifier d'acceptable du point de vue des normes de l'Ouest. En Arménie, ça va plus ou moins bien, tandis qu'en Azerbaïdjan, il y a une autocratie complète; il y a un gouvernement, mais il y n'y a pas de démocratie. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a actuellement des problèmes en Arménie et que des députés veulent démettre le président, le faire sauter, comme on dit en québécois. Vous savez qu'en Géorgie, le président Shevardnadze a échappé à des attentats et qu'en Azerbaïdjan, il est possible qu'on change de président aussi.

Comme l'indiquait mon collègue, vous nous proposez de promouvoir la création d'une communauté du Caucase du Sud et de nous assurer que cette communauté disposera premièrement d'un parlement régional. Comment fera-t-on pour se doter d'un gouvernement régional dont les membres seront nommés? Dans ces pays-là, il ne faut même pas au songer à ce que les membres du gouvernement soient élus, parce que les députés y sont à peine élus. Cela m'apparaît une chose difficile. Comment ferait-on pour se doter d'un gouvernement régional, alors que ça chambranle encore passablement dans les États?

• 1645

M. Robert Cutler: Je me suis peut-être mal exprimé. Il ne s'agit pas d'un gouvernement régional. Par exemple, vous aviez, dans les années 1960, un parlement régional.

M. Bernard Patry: Un parlement régional.

M. Robert Cutler: Oui, un parlement régional. La proposition dont on discute actuellement prévoit des élections directes et des circonscriptions définies avec des sièges réservés aux ethnies minoritaires telles que les Adjars ou les Ossètes en Géorgie. On souhaite promouvoir des élections directes et confier à ce parlement régional des pouvoirs consultatifs, puisqu'il n'y a pas d'exécutif régional, bien sûr. Bien que ce ne soit pas mon idée, je perçois cette proposition comme une promotion de ce niveau intermédiaire entre la soi-disant société civile et les exécutifs, puisqu'on privilégie des représentants des peuples sans que personne ne soit menacé. Il n'y a aucun endroit au Caucase du Sud où peuvent se réunir aujourd'hui les représentants des trois États afin de pouvoir discuter paisiblement de quoi que ce soit et d'en venir à une forme de coopération quelconque. Cela représenterait, au moins au départ, une institution qui permettrait aux représentants des peuples de se consulter sans l'intermédiaire des exécutifs.

D'après les recherches que j'ai effectuées au cours des dernières années sur les parlements internationaux en général et les assemblées parlementaires internationales—ce qui est autre chose encore—, je crois qu'on peut s'attendre à ce que cette institution dévolue des mécanismes à d'autres sous-institutions et sous-groupes spécialisés pour traiter de tel ou tel problème que ces députés régionaux auront identifiés lors de leurs discussions.

Dans le mécanisme qu'on a prévu dans ce projet, il y a une élection directe. J'ai fait d'autres suggestions qui me semblaient un peu plus pratiques. On a cependant retenu des propositions qui me paraissent plus difficiles à réaliser. Si on réussit à résoudre les grands différends tels que ceux qu'on retrouve au Karabakh, cela leur permettra de repartir à zéro pour ainsi dire.

Vous m'avez demandé comment nous pourrions mettre en oeuvre ces propositions. On peut le faire par la tenue d'une élection directe, surveillée ou contrôlée sans doute par un groupe d'agences qui agiraient à titre d'observateurs, dont l'Organisation européenne pour la sécurité et la coopération, et qui sont très nombreuses de nos jours dans le monde. Voilà comment se déroulerait la mise en oeuvre. Ai-je su répondre à votre question, monsieur Patry?

M. Bernard Patry: Je trouve que c'est une idée excellente. Si on veut amener une certaine démocratie, il faut à mon avis passer d'abord par les parlementaires plutôt que par les gouvernements, lesquels sont beaucoup plus autocrates. Lorsque des parlementaires sont élus, ils peuvent plus facilement entreprendre des démarches qui leur permettront, à moyen et long terme, d'effectuer une certaine modification au niveau de la démocratie de ces pays-là. Je trouve que cette idée est excellente. Je me demandais toutefois s'il n'était pas prématuré de mettre en oeuvre ces propositions à ce moment-ci, sachant qu'il y a de nombreux conflits entre tous ces pays-là. Par exemple, l'Arménie ne parle pas à l'Azerbaïdjan. Bien que l'idée semble excellente, je me demandais si cela est vraiment faisable.

M. Robert Cutler: On s'engagera et puis on verra.

M. Bernard Patry: Je suis heureux de l'entendre. Je vous remercie.

M. Robert Cutler: Je vous remercie à mon tour de votre appréciation.

[Traduction]

Le président: Permettez-moi d'enchaîner là-dessus, professeur. Dans votre document, vous mentionnez quelque 24 institutions. Est-ce que vous songez à des institutions comme l'Union interparlementaire, l'Assemblée des parlementaires de l'OTAN et celle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ainsi qu'à des choses comme...

• 1650

[Français]

M. Bernard Patry: L'Assemblée parlementaire de la Francophonie.

[Traduction]

Le président: Oui, précisément.

[Français]

On se réfère toujours à ses propres chevaux de bataille, n'est-ce pas, monsieur le président de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie?

[Traduction]

Est-ce que cela se trouve dans les deux douzaines de...

M. Robert Cutler: Oui.

Le président: ... ou parlez-vous simplement de parlements régionaux, comme le Parlement de l'Amérique centrale?

M. Robert Cutler: Pour des raisons formelles de définition, les 24 institutions se rapportent aux parlements régionaux.

Le président: Il s'agit donc du Parlatino et de choses de ce genre.

M. Robert Cutler: Et de l'Organisation interparlementaire de l'ASEAN, de l'Union des parlements africains, de l'Union interparlementaire arabe et de l'Assemblée balte et le reste, et le reste.

Je suis moi aussi au courant de l'existence de l'Union interparlementaire, de l'Assemblée et de l'Association parlementaire du Commonwealth et

[Français]

il y aura bientôt une grande association pour les pays de langue espagnole.

[Traduction]

Toutefois, pour des raisons de forme, je ne les ai pas mentionnées. Si nous le faisions cependant, il faudrait alors parler de 30 ou de 32 institutions de ce genre car il y a aussi d'autres cas d'institutions à la limite de celles que j'ai mentionnées. Ainsi par exemple, en Asie du Sud-Est, l'Association sud-asiatique de coopération régionale tient une conférence de parlementaires, mais il ne s'agit pas d'une organisation, ce n'est pas non plus une union, et il y a aussi d'autres initiatives. Ainsi, l'année dernière à Téhéran, l'Organisation de la Conférence islamique a établi une union parlementaire regroupant 40 ou 50 parlements différents.

En conséquence, pour répondre à votre question, les 24 institutions mentionnées englobent exclusivement des organisations régionales, y compris l'Assemblée de l'Atlantique Nord et les autres que nous avons nommées. En outre, peuvent s'ajouter à cela les organisations connexes, qui augmenteront encore ce nombre. Il pourrait y en avoir trois douzaines ou plus, selon l'ampleur que l'on veut donner.

Le président: Et bien entendu, vous savez sans doute que nous envisageons aussi de créer une assemblée parlementaire au sein de l'OMC, un projet qui tient à coeur à Michael Moore, le secrétaire général actuel, ainsi qu'à d'autres d'entre nous qui étaient présents à Seattle. Vous avez laissé entendre qu'il pourrait y avoir un intermédiaire entre la société civile et les autres couches de la société, et je ne suis pas sûr de ce que cela peut être. Mais, pourquoi est-ce que les parlementaires eux-mêmes ne représenteraient pas la société civile?

M. Robert Cutler: Ils le font. Lorsque les parlementaires se réunissent en groupes, ils constituent une personne morale distincte de la société civile, et qui a ses propres caractéristiques. Et parce qu'ils sont élus, ils ont des possibilités d'intervention distinctes. C'est tout ce que je voulais dire.

Le président: Merci.

Monsieur Leclaire, puis-je vous poser une question au sujet de ces petites et moyennes entreprises spéciales, et des efforts que vous déployez pour favoriser leur développement dans la région? Axez-vous votre action sur leur potentiel d'exportation ou essayez- vous simplement de les mettre sur pied dans...

M. Denis Leclaire: Non, il s'agit davantage au départ de mettre sur pied ou de renforcer les PME. On ne pourra pas envisager leurs activités d'exportation avant de nombreuses années. Cela étant dit, la définition d'une PME peut donner lieu parfois à différentes interprétations. Je sais qu'ici au Canada, nous parlons d'une PME qui a une marge bénéficiaire de... Le chiffre d'affaires d'une petite entreprise serait inférieur à un million de dollars, celui d'une entreprise moyenne fluctuerait entre 1 et 10 millions de dollars, puis une grande entreprise... Mais tout cela est très arbitraire.

Le président: La SEE a adopté ses propres définitions en fonction de ses besoins, ainsi que d'autres organisations. Lors de notre étude des possibilités d'exportation des PME, nous avons signalé que les Canadiens d'origines diverses pourraient servir de lien avec les pays vers lesquels on veut exporter, qu'il s'agisse des Chinois de Toronto et de Vancouver ou des Canadiens d'origine arménienne avec l'Arménie, etc. Je me demande si dans votre travail, dans une certaine mesure, vous faites appel à des Canadiens d'origines diverses, à la fois pour les aider à s'établir et aussi pour créer des liens entre des sociétés canadiennes et celles de leurs régions d'origine.

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M. Denis Leclaire: Oui, nous allons certainement recourir à eux, surtout aux Canadiens d'origine arménienne. Toutefois, j'ai décelé un petit danger—et cela tient peut-être à l'expérience que nous avons eue avec un Canadien d'origine arménienne qui nous a aidés en Arménie—, en ce sens qu'ils aient peut-être tendance à se limiter aux affaires strictement arméniennes et canadiennes. Or, nous nous efforçons d'aller au-delà de ce réseau particulier, car à long terme il peut devenir un créneau assez confortable, donc il est peut-être préférable de déborder le cadre de ce réseau assez rapidement.

Encore une fois, je reviens à ce que je disais au député, à savoir que l'influence de l'Internet dans cette région est immense, et que sa puissance commerciale est tout aussi énorme.

Le président: Donc en s'adressant à un groupe culturel et linguistique donné, votre entrée dans un pays est facilitée, à la longue cette entremise limitera peut-être votre développement et vous empêchera d'aller plus loin?

M. Denis Leclaire: Tout à fait. Oui.

Le président: Vous vous rendez compte que l'Internet est particulièrement utile pour... On a beaucoup entendu dire au comité à quel point l'Internet permettra aux gens de connaître un développement accéléré, et d'éviter les longues étapes que d'autres pays ont dû franchir. Croyez-vous que ce sera le cas bientôt?

M. Denis Leclaire: Tout à fait. À Erevan, il existe déjà une industrie de logiciels assez moderne qui compte un certain nombre de coentreprises de Silicon Valley aux États-Unis. Les coûts de main-d'oeuvre sont extrêmement faibles et le niveau de formation est relativement élevé. Les Arméniens estiment que leurs connaissances en informatique sont du dernier cri, lorsque nous avons rendu visite aux gens de la USAID (Agence américaine pour le développement international), ils nous ont dit qu'elles n'étaient pas réellement impressionnantes. Il faut en effet se rappeler que la formation reçue par les Arméniens ne restera pas toujours à la pointe du progrès. De toute façon, qui est à l'avant-garde de nos jours? C'est difficile à dire.

Quoi qu'il en soit, à un certain niveau, l'informatique n'a pas vraiment de secrets pour les Arméniens. Sur le plan technique, ils sont probablement aussi bons, sinon meilleurs, que les usagers de l'informatique ailleurs dans le monde, mais il n'empêche qu'ils ont besoin d'aide pour apprendre à utiliser l'Internet à des fins commerciales, et surtout pour les besoins du marketing. Leurs méthodes de commercialisation sont vraiment épouvantables. C'est l'un des domaines où nous voulons leur venir en aide.

Le président: Nous avons entendu dire qu'étant donné l'importante population turkmène dans toute la région, que la Turquie, Istanbul en particulier, tend à être un centre de relations pour les petites et moyennes entreprises dans tout ce territoire. Avez-vous constaté qu'il y a beaucoup d'influence, ou...?

M. Denis Leclaire: Je vais peut-être céder la parole à M. Cutler, mais je dirai auparavant que, d'après nos constatations en Arménie, surtout au niveau de nos contacts, ces gens se sentent hors circuit par rapport à divers marchés, et ils veulent s'y implanter de nouveau. Je suis sûr qu'on vous a fourni les statistiques voulant qu'en 1990, l'Arménie était au 47e rang de l'indice du développement humain, et qu'aujourd'hui, elle y occupe la 87e place, si je ne m'abuse. Les Arméniens aimeraient donc revenir à leur niveau de vie antérieur. Il reste donc beaucoup de travail à effectuer, y compris de persuasion. Ils tiennent à retrouver leurs marchés, mais dans un rayon beaucoup plus vaste. C'était du moins le cas des gens avec lesquels je me suis entretenu.

M. Robert Cutler: La présence économique turque s'affirme dans la région surtout grâce aux investissements étrangers directs, dans des secteurs comme le bâtiment et le reste. Vous savez sans doute que la Turquie s'emploie en ce moment à mettre en oeuvre un plan économique sur lequel elle s'est entendue avec le FMI afin de restructurer sa propre économie, ce qui fait qu'elle n'a pas autant d'expérience en matière d'accueil des PME que les membres de l'Union européenne ou le Canada. Les liens avec la Turquie sont culturels, et économiques grâce à l'investissement étranger direct, mais on observe relativement peu de coopération au niveau local pour donner une impulsion aux PME.

Le président: Donc, par rapport à ce que nous avons entendu il y a quelques années en Turquie au sujet du fameux commerce «des valises» qui a énormément contribué à l'économie turque, c'était en grande partie avec la Russie plutôt qu'avec la région du Caucase, n'est-ce pas?

• 1700

M. Robert Cutler: Oui. Même à cela, il ne s'agissait pas vraiment de PME, tout au moins au sens strict, il s'agissait du commerce «des valises».

Le président: Bien. Il s'agit d'échanges.

Merci beaucoup à tous.

Monsieur Rourke, nous vous souhaitons beaucoup de succès dans votre fonction qui consiste à former les gens de cette région au sujet de l'OMC tout comme vos collègues avez su le faire auparavant avec les membres de notre comité.

Nous vous remercions tous vivement d'avoir comparu devant nous. Nous vous sommes reconnaissants de votre témoignage.

Chers collègues, je tiens simplement à ajouter que je vais publier un communiqué au sujet de notre voyage au Caucase. Je l'enverrai à tous vos bureaux. Si certains d'entre vous veulent apporter une note personnelle, vous voudrez peut-être publier votre propre communiqué. Quoi qu'il en soit, au nom du comité, je vais en publier un, ou l'on précisera ce que nous cherchons à faire pour compléter la politique du gouvernement canadien dans la région compte tenu des ressources que nous y avons affectées.

Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui. La séance est levée jusqu'à jeudi matin à 9 h 30.