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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 28 avril 1998

• 0903

[Traduction]

Le président suppléant (M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.)): Mesdames et messieurs, bonjour. Nous allons reprendre notre examen du projet de loi C-36, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget de 1998, déposé au Parlement le 24 février 1998.

Nous allons entendre ce matin des témoins qui représentent

[Français]

Coalition des anciens leaders du mouvement étudiant québécois, M. Charlebois, Mlle Thérien et M. Girard.

[Traduction]

Une voix: Monsieur le président, il n'y a pas d'interprétation.

Le président suppléant (M. Paul Szabo): Très bien.

Bonjour. Merci d'être venus ici aujourd'hui. Vous avez environ 10 minutes pour présenter vos commentaires au comité. Veuillez commencer.

[Français]

M. Nicolas Girard (Coalition des anciens leaders du mouvement étudiant québécois): Nous aimerions d'abord vous remercier de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue sur le projet de loi C-36 et tout particulièrement sur la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire.

Je m'appelle Nicolas Girard et je suis l'ex-secrétaire général de la Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal. Je suis accompagné de Joanne Thérien, qui était vice-présidente à l'interne et au contenu de la Fédération étudiante universitaire du Québec en 1994-1995, et de Serge Charlebois, qui a été président de la Fédération étudiante universitaire du Québec de 1992 à 1994. Ils vous présenteront avec moi notre mémoire.

Nous sommes trois représentants de la Coalition des anciens leaders du mouvement étudiant québécois, dont fait aussi partie Frédéric Lapointe, ancien vice-président de la Fédération étudiante universitaire du Québec et ancien président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, qui est aussi présent dans cette salle.

Nous avons décidé de mettre sur pied une coalition d'ex-leaders étudiants à la suite de l'annonce par le gouvernement Chrétien, lors du discours du Budget du 24 février, de son projet de créer la Fondation des bourses du millénaire. À ce moment-là, au Québec, un tollé généralisé s'est élevé pour dénoncer cette initiative d'Ottawa dans un champ de compétence provinciale, soit l'éducation. Au-delà des allégeances politiques, un consensus s'est dessiné autour du rejet de ce projet.

• 0905

Dans les circonstances, bien que nous ayons quitté le mouvement étudiant depuis quelques années, nous jugions qu'il était fondamental de reprendre nos activités et d'expliquer notre position face à ce projet. Nous étions là en 1994, lorsque le ministre Axworthy avait mis de l'avant sa réforme. Nous avions à l'époque entrepris des démarches pour dénoncer ces compressions qu'on se proposait d'annoncer au niveau des paiements de transfert aux provinces.

Nous ne désirons ni contredire ni répéter les propos des fédérations étudiantes nationales, lesquelles sont bien représentatives. Notre démarche s'inspire davantage d'un devoir de mémoire. Nous désirons présenter le cheminement historique des événements qui ont mené à l'annonce des bourses du millénaire, une nouvelle qui nous a incités, comme je le disais précédemment, à intervenir publiquement.

On estime que le premier ministre Chrétien a raison: les étudiants ont le droit de savoir d'où vient l'argent qu'ils reçoivent et il est temps que les gens connaissent la vérité, au Québec comme partout ailleurs au Canada. Mais vous savez, en réalité et contrairement à ce qu'il croit, bien des étudiants savent ce qu'ils doivent au gouvernement fédéral. Faut-il vous rappeler les nombreuses manifestations de milliers d'étudiants québécois contre la réforme de la sécurité sociale et les démarches des représentants étudiants auprès du ministre Lloyd Axworthy?

Nous aimerions souligner au gouvernement Chrétien que la population étudiante québécoise n'a pas oublié que, depuis leur arrivée au pouvoir, les libéraux fédéraux ont réduit de façon significative les paiements de transfert pour l'éducation postsecondaire. Nous désirons aussi vous rappeler les effets des compressions fédérales sur l'éducation supérieure et le cheminement qui a mené le gouvernement libéral à proposer la création de la Fondation des bourses d'études du millénaire. Nous évoquerons également les raisons pour lesquelles nous sommes en désaccord sur ce projet.

En 1994, une nouvelle ère d'austérité fédérale en matière d'éducation était annoncée par le biais de la réforme de la sécurité sociale. Dans son Livre vert, le gouvernement libéral admettait que le remplacement des transferts fédéraux en espèces risquait de faire augmenter davantage les frais de scolarité. Il ajoutait dans ce même document que c'était peut-être le prix à payer pour mettre en place un système permanent de prêts et bourses qui garantirait l'accès à l'éducation postsecondaire. On constate donc que même à cette époque, l'idée d'une fondation des bourses du millénaire était dans l'air. Certains éléments de la réforme ont été mis de côté, tandis que les compressions budgétaires ont été imposées.

Quant à l'idée d'un système qui garantirait l'accès à l'éducation supérieure, il faut bien reconnaître là l'embryon des bourses du millénaire qui ont été financées à même les compressions faites dans les transferts aux provinces. D'ailleurs, ses intentions étaient clairement exprimées dans le Livre vert, où on pouvait lire que, plutôt que d'assister passivement à la baisse progressive et à l'élimination possible des transferts en espèces versés par le fédéral au titre de l'éducation postsecondaire, le gouvernement pourrait passer rapidement du financement des établissements d'enseignement par l'entremise des provinces à un système plus généreux de prêts et bourses consentis aux particuliers.

En dernier lieu, on aimerait vous parler de l'effet domino des compressions fédérales. Permettez-nous d'abord de souligner que, contrairement aux autres provinces, le Québec a choisi de ne pas augmenter à nouveau les frais de scolarité, évitant ainsi de créer une nouvelle barrière à l'accessibilité des études supérieures. Malgré tout, les compressions imposées par le fédéral, en cette période de lutte contre le déficit, ont eu un impact majeur dans les cégeps et les universités.

D'ailleurs, en 1996-1997, le fédéral a réduit de 145 millions de dollars les transferts destinés à l'éducation, ce qui correspond à 85 p. 100 des compressions imposées par le gouvernement du Québec dans les cégeps et les universités. En 1997-1998, les compressions étaient de l'ordre de 106 millions de dollars, ce qui correspond à 61 p. 100 des compressions provinciales. On peut donc parler de l'effet domino des compressions fédérales.

L'an dernier, on mettait sur pied un groupe de travail sur le financement des universités. Je vous lirai une citation qu'a émise ce groupe de travail relativement aux conséquences de ces compressions fédérales en éducation:

    Les compressions passées ont eu pour principal effet d'augmenter le nombre d'étudiants par classe, d'augmenter le nombre d'activités données par les chargés de cours et de diminuer le nombre d'auxiliaires d'enseignement. Ces derniers choix se traduisent par une diminution de l'encadrement, lequel est directement relié à la qualité de l'enseignement.

Comme exemple précis, je pourrais vous dire que les compressions qui ont eu lieu dans les universités québécoises ont eu comme conséquence directe le départ de 900 professeurs du réseau universitaire québécois, ce qui correspond à l'équivalent des effectifs de l'Université du Québec à Montréal. Ce n'est pas peu dire.

Dans ce contexte, nous nous étonnons également de ces compressions fédérales en éducation lorsqu'on lit les documents qui accompagnent l'annonce de la création de la Fondation des bourses d'études du millénaire. Les arguments qu'invoquaient hier les leaders étudiants pour dénoncer les compressions en éducation sont aujourd'hui utilisés par le gouvernement fédéral pour justifier la mise en place de la fondation.

• 0910

L'éducation serait-elle devenue une priorité dans son discours? Est-ce que le gouvernement souhaite se servir de cette fondation pour masquer les effets des compressions fédérales en éducation postsecondaire?

Nous voulions aussi traiter de l'accessibilité des études supérieures. Alors que le gouvernement fédéral s'est fixé comme défi de promouvoir l'égalité des chances en aidant les étudiants dans le besoin à faire face à l'augmentation du coût des études, des membres de ce même gouvernement prônent une hausse des frais de scolarité pour augmenter les ressources financières des établissements d'enseignement supérieur.

Récemment, la ministre Lucienne Robillard, ancienne ministre de l'Éducation au Québec, déclarait dans le journal Le Nouvelliste de Trois-Rivières que s'il y avait des problèmes dans le système d'éducation québécois, c'était parce que le gouvernement du Québec n'avait pas haussé les frais de scolarité. Est-ce qu'on doit comprendre que le gouvernement fédéral soutient que les provinces canadiennes, dont le Québec, devraient augmenter les frais de scolarité et remettre en question le principe d'accessibilité de études supérieures? À la lecture de la déclaration de Mme Robillard, on peut le penser.

Maintenant, j'aimerais céder la parole à Serge Charlebois, qui vous parlera brièvement de la dynamique de l'aide financière au Québec, laquelle est bien différente de la dynamique canadienne.

M. Serge Charlebois (Coalition des anciens leaders du mouvement étudiant québécois): Bonjour et merci. Aujourd'hui, alors que le gouvernement fédéral a atteint l'équilibre budgétaire et qu'il compte des surplus, il déclare son intention de s'attaquer à l'égalité des chances. Il annonce son intention de créer un fonds de dotation des bourses du millénaire de 2,5 milliards de dollars. Comme il le dit dans le budget, il s'agit d'«un investissement rendu possible grâce au succès de la lutte contre le déficit».

Ainsi, le gouvernement fédéral admet que les bourses du millénaire seront financées à même les économies faites par Ottawa en réduisant les transferts aux provinces. En d'autres termes, le gouvernement Chrétien, après avoir contribué à la détérioration de la qualité de l'enseignement dans les collèges et universités, a l'impudence de se présenter sous le trait du défenseur de l'accessibilité des études supérieures. Voilà la base de notre réaction.

Je vous parlerai du régime québécois d'aide financière. À la lecture des documents qui accompagnent le budget, on découvre que le Fonds de dotation des bourses du millénaire répond enfin aux recommandations de la Table ronde canadienne sur l'aide financière aux étudiants. Il faut savoir qu'à la Table ronde canadienne sur l'aide financière, les étudiants québécois n'ont pu réagir puisque le Québec en était absent. On traitait d'une problématique qui touchait uniquement le reste du Canada, le Québec ayant son régime d'aide financière de prêts et bourses depuis longtemps. Le régime canadien n'offrant que des prêts, les membres de la Table ont souligné qu'une façon de réduire l'endettement étudiant serait d'offrir une aide financière comportant des bourses.

Or, depuis 1964, le Québec gère son propre régime d'aide financière par lequel il offre des bourses d'études dont le montant est supérieur en moyenne au montant prévu par les bourses du millénaire. Ce travail est donc déjà fait depuis longtemps au Québec, qui a compris que l'accessibilité passe par un régime équilibré de prêts et de bourses, ce qui est d'ailleurs une tendance mondiale qu'on constate en lisant les derniers rapports sur l'aide financière.

Le contexte étant différent au Québec, il est évident que le problème réel de l'endettement commande des mesures différentes, adaptées à la réalité québécoise, tels un abaissement du plafond des prêts, donc une augmentation de la part des bourses, et la mise sur pied d'un programme de remise de dette, histoire de mettre l'accent sur la réussite sans invoquer de critères d'excellence.

Ces mesures, prônées notamment par la Fédération étudiante universitaire du Québec, ne peuvent être appliquées que par le gouvernement québécois, qui est le seul maître d'oeuvre de la réglementation qui est en vigueur au Québec en matière d'aide financière.

Le fédéral se montre indifférent aux récents rapports québécois sur l'aide financière, y compris le rapport MacDonald auquel j'ai eu le plaisir de contribuer. Il s'agit ici de sept mois de travail d'un comité de citoyens et citoyennes québécois qui se sont donné la peine de se poser toutes les questions et de remettre en cause les grands principes du régime.

• 0915

Il y a également le rapport Montmarquette, qui abordait récemment la question plus spécifique de l'endettement, qui a rendu son rapport et qui a répété un peu les mêmes choses. Donc, nous maintenons le cap dans la même direction, celle du partage des prêts et des bourses tout en mettant le holà à l'augmentation des prêts.

Donc, indifférent aux rapports québécois sur l'aide financière, le fédéral a décidé de régler seul et à sa façon la question de l'endettement des étudiants en dédoublant les structures et en offrant des bourses qui seront octroyées à des étudiants en leur ajoutant le critère du mérite. Donc, dans le projet fédéral, les étudiants devront avoir mérité leur bourse.

«L'avoir mérité», qu'est-ce que cela veut dire? Au Québec, à ce sujet, on ne peut pas dire que les débats n'ont pas été tenus. Au contraire, à chaque fois qu'il y a eu des réformes—je pourrais remonter jusqu'en 1937, mais je citerai celles de 1972, 1974, 1990, 1995, 1997—des gens ont avancé l'hypothèse de retenir le critère du mérite dans l'attribution de l'aide financière, mais à chaque fois, le Québec en a décidé autrement. À chaque fois, le Québec a conservé la position que l'aide financière était destinée à faire tomber les barrières économiques à l'accessibilité de l'enseignement supérieur et non à pallier le laxisme des établissements qui encouragent des étudiants à y demeurer trop longtemps.

Le régime a bien évidemment été remanié au cours des années pour s'assurer qu'il ne favorise pas la prolongation des études. Mais entre ne pas favoriser la prolongation des études et des critères «au mérite», il y a une marge, une marge que le Québec a décidé à maintes reprises de ne pas franchir.

Ce sont, comme je vous le disais, le rapport MacDonald de 1995 et le rapport Montmarquette de 1997 qui retracent toute cette argumentation et qui proposent de maintenir l'état actuel des choses. On vous en donnera les références.

L'idée de verser dans la méritocratie en ce qui concerne les bourses pose un problème. C'est également un des irritants majeurs au Québec, en plus des coupures. Je voudrais vous signaler qu'il n'y a pas que le Québec qui en parle. Il y a d'abord la Fédération canadienne qui a abordé cette question, mais je laisserai aux étudiants du reste du Canada la tâche de recueillir leur propre consensus, comme nous l'avons fait au Québec.

Ailleurs au Canada, l'Association des universités et collèges du Canada, elle aussi, a réitéré que l'excellence scolaire ne devrait pas être une condition préalable pour être admissible à une bourse d'études du millénaire.

Voilà qui termine ma partie. À tout le moins, je pourrai répondre à des questions sur le développement ou la nature même du régime d'aide financière et sur cette question du mérite. Je laisserai la parole à ma collègue, Mme Thérien, qui présentera la conclusion de notre exposé.

Mme Joanne Thérien (Coalition des anciens leaders du mouvement étudiant québécois): Bonjour. Nous allons maintenant aborder la question de la compétence en éducation.

Pour notre groupe, comme pour bien des gens au Québec, la Fondation des bourses d'études du millénaire constitue une intrusion dans un domaine de compétence provinciale, soit l'éducation.

Nous sommes heureux que, dans le discours du Budget de M. Martin, on ait enfin reconnu le fait suivant:

    ...l'éducation est du ressort des provinces. Ce sont elles qui déterminent les programmes d'étude, qui sont responsables des établissements d'enseignement et de la qualité de l'éducation.

De quelle façon a-t-on présenté l'établissement de la Fondation des bourses du millénaire? On l'a fait en disant qu'on ne s'occupait pas de programmes d'études, que ce n'était pas une ingérence dans la responsabilité des établissements, que c'était en vue d'assurer l'accessibilité des études.

Eh bien, le gouvernement libéral fait là une énorme erreur. On ne peut pas dissocier l'accessibilité de la qualité de l'enseignement et de la gestion des établissements. C'est un tout, c'est lié. Si le gouvernement avait eu la responsabilité de l'éducation depuis plusieurs années, c'est une erreur qu'il n'aurait jamais faite.

Je vais vous démontrer le lien qui existe entre l'accessibilité et la qualité de l'enseignement. Lorsqu'on parle d'accessibilité, on ne parle pas uniquement d'aide financière. C'en est une composante essentielle mais pas la seule. On ne parle pas non plus seulement de l'endettement étudiant, qui en est aussi un volet excessivement important. Cela touche à des questions telles que l'encadrement des étudiants, l'intérêt et la nouveauté de la documentation. Une université qui n'est pas capable d'offrir ce genre de ressources n'offre pas un véritable accès au savoir. C'est un aspect qu'il est vraiment important de vous rappeler.

• 0920

Une autre chose importante est de souligner qu'au Québec, le consensus en faveur du droit de retrait du Québec de ce programme est largement partagé. Le consensus regroupe autant des libéraux du Québec que des péquistes. La plupart des intervenants du milieu de l'éducation sont en faveur de ce droit de retrait. Ils sont d'avis que l'éducation est une responsabilité qui revient aux provinces et qui doit y rester. Bref, si le gouvernement fédéral poursuit dans cette lancée, s'il y a instauration de la Fondation des bourses du millénaire...

Nous aimerions aussi vous rappeler qu'au Québec, nous avons eu de nombreuses consultations. Serge a parlé des consultations au niveau de l'aide financière, mais nous avons également eu des états généraux sur l'éducation. Les Québécois et Québécoises ont participé massivement à ces audiences pour dire quelles étaient leurs priorités en matière d'éducation.

Maintenant on se propose d'investir dans la Fondation du millénaire, fondation qui n'atteindra même pas son objectif, qui est de réduire l'endettement des étudiants. Au Québec, c'est une attitude que nous considérons tout à fait méprisante. C'est comme si vous nous disiez qu'au Québec, nous avons eu des consultations, mais que nous ne sommes pas capables d'établir nous-mêmes nos priorités. Je vous avoue que c'est assez difficile à accepter.

Je terminerai en vous parlant des recommandations que vous trouverez à la fin du mémoire qui vous a été distribué ce matin.

Considérant que le Québec offre déjà des bourses d'études aux étudiants québécois par le biais de son régime de prêts et de bourses;

Considérant que le problème de l'endettement des étudiants québécois commande des mesures différentes et adaptées à sa situation plus particulière...

C'est vrai que l'endettement étudiant est un problème. C'est un problème également au Québec, mais les solutions doivent davantage s'orienter vers l'abaissement du plafond des prêts et une remise de la dette d'études pour les personnes qui terminent leurs études dans certains délais prescrits.

Considérant également qu'il existe au Québec un fort et large consensus quant au fait que l'éducation postsecondaire relève de la seule compétence du gouvernement québécois;

Considérant qu'il existe bien d'autres façons de redonner au fédéral la visibilité qui lui est due pour sa contribution financière à l'enseignement postsecondaire:

Nous demandons au gouvernement fédéral de respecter la volonté et les choix des Québécois et Québécoises. Concrètement, le gouvernement devrait remettre au Québec sa part des sommes engagées dans les bourses du millénaire par le biais des paiements de transfert.

Je vous rappelle que je n'ai pas entendu une seule voix au Québec allant dans le sens inverse, qu'il s'agisse des intervenants en éducation ou de M. Gautrin, qui est député libéral. C'est vraiment largement demandé.

Nous remettons également en question la pertinence de créer une fondation à côté du programme canadien de prêts étudiants. Cela ne nous concerne pas réellement, mais on a l'impression que cette fondation constitue, pour les étudiants canadiens, un dédoublement de structures et de personnel.

Selon le projet de loi, des sommes seront allouées pour les salaires du personnel de cette fondation. Des dépenses d'administration seront remboursées. Tout cela constitue de grosses sommes d'argent. Il y aura probablement un local quelque part. Chaque fois qu'on va dépenser 3 000 $ pour une administration qui dédouble ce qui existe déjà au niveau du régime canadien de prêts, ce sera 3 000 $ de moins pour un étudiant et ce sera 3 000 $ de plus d'endettement pour lui. C'est totalement inacceptable et cela va à l'encontre des fondements mêmes de cette fondation.

Donc, nous recommandons que les 2,5 milliards de dollars qui doivent être prélevés du Trésor pour être affectés à la fondation soient versés au régime canadien de prêts étudiants, qui comporterait enfin—et je dis bien enfin—le versement de bourses d'études aux étudiants les moins bien nantis. Pour ce qui est du Québec, on vous a déjà dit qu'on aimerait que cet argent soit donné en paiements de transfert.

• 0925

Mais si le gouvernement libéral décidait d'instaurer la fondation, nous aurions quand même certaines recommandations à lui soumettre.

Serge a parlé au début du critère du mérite. On considère qu'il appartient aux institutions d'enseignement de déterminer qui mérite ou non de poursuivre ses études. On a des mécanismes à cette fin. Un étudiant qui ne réussit pas est généralement exclu de l'établissement et ne sera donc pas admissible au régime de prêts et bourses, ou de prêts tout simplement. On considère également que le critère de l'excellence ou du mérite n'a pas la moindre pertinence quant à la volonté d'augmenter l'accessibilité des études postsecondaires. Bref, nous recommandons que le critère du mérite, tel qu'énoncé dans le projet de loi, soit retiré.

Donc, pour les considérants énoncés précédemment, et considérant qu'il existe déjà des organismes fédéraux et québécois qui offrent des bourses d'excellence—qu'on pense au CRSNG, au FCAR québécois, au CRM ou encore au CRSH, tous des organismes subventionnaires qui offrent des bourses d'excellence—considérant également qu'il y a énormément d'entreprises privées qui offrent déjà des bourses d'excellence—on calcule qu'environ 10 millions de dollars par année sont offerts à des étudiants de premier cycle dans les universités québécoises en bourses d'excellence—nous recommandons que le paragraphe 27(2), qui autorise l'octroi de bourses en fonction du seul critère de l'excellence, jusqu'à concurrence de 5 p. 100, soit retiré. Encore là, c'est un dédoublement d'organismes qui existent déjà. Quant à mettre ce 5 p. 100 dans la fondation, autant le mettre dans les fonds CRSNG, CRM et CRSH.

Voici une préoccupation dont nous désirons vous faire part. À l'article 34, on indique:

    34. La fondation peut assortir l'octroi d'une bourse d'études des conditions qu'elle juge indiquées.

Nous estimons que c'est une ouverture qui pourrait être éventuellement dangereuse. Nous craignons que la fondation puisse, peut-être pas au début mais dans 10 ans, une fois que les 2,5 milliards de dollars auront été épuisés et qu'on aura surtout des fonds privés, établir de nouveaux critères d'attribution des bourses, des critères qui pourraient être liés, par exemple, au domaine d'études ou encore aux besoins du marché du travail.

Telle est la présentation que nous voulions vous faire ce matin.

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Merci.

[Traduction]

Nous allons maintenant passer aux questions. Nous allons sans doute commencer par M. Crête.

[Français]

M. Paul Crête (Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, BQ): Je vous remercie d'être venus témoigner au comité. Je pense que vous apportez une expertise très intéressante. Devant votre dynamisme, je comprends pourquoi le système de prêts et bourses du Québec est devenu le meilleur au Canada. Vous ne semblez pas lâcher le morceau facilement.

J'aimerais que vous rappeliez au comité l'historique qui a mené au système actuel, pour qu'on voie exactement comment on en est venu à cela. Il y a eu des remarques tout à l'heure sur les débats qui ont déjà eu lieu sur la question du mérite ou d'autres éléments de ce type. Et pendant que vous nous parlez du passé, vous pourriez aussi nous faire le portrait des véritables gestes à poser pour qu'il y ait un système adéquat dans le reste du Canada. Au Québec, la démarche a été faite. Il y a encore des choses à améliorer, car ce n'est pas la perfection, mais vous pourriez expliquer aux membres du comité tout ce qui a été développé et qui pourrait être souhaitable, en toute humilité, pour le reste du Canada, afin que le pays ait un système avantageux pour les étudiants.

M. Serge Charlebois: Je ne connais pas à fond le régime canadien. Le groupe ministériel auquel j'ai participé a examiné le régime canadien sur une base de comparaison économique et sur une base internationale pour voir l'évolution de la situation. Je vous parle de 1995.

• 0930

Pour ce qui est de votre question concernant l'historique, en 1937, les provinces, le Québec et le fédéral s'entendent pour régler le problème du chômage des jeunes. On assiste donc à la première naissance d'une espèce de programme de prêts et bourses pour les étudiants. Ce sont des prêts. En 1940, on récidive avec d'autres programmes pour les mères nécessiteuses. C'est le terme qui est employé à ce moment-là. C'est quelque chose qu'on ne dirait plus aujourd'hui.

Ces programmes, typiquement, mettaient quelques centaines de dollars à la disposition des étudiants et ces sommes devaient être remboursées. Maintenant, reportez-vous au début du siècle et regardez bien la statistique suivante: ces prêts étaient remboursés l'année suivante. Donc, vous voyez un peu les conditions économiques dans lesquelles les étudiants évoluaient et, surtout, sortaient des études. Ils obtenaient un job et ils remboursaient le montant de leur prêt dès leur première année de travail.

Les choses ont changé par la suite. En 1959-1960, on instaure un régime beaucoup plus élaboré qui commence à faire appel aux établissements d'enseignement pour évaluer les dossiers. Ce sont les établissements qui ont la compétence pour évaluer les dossiers, de besoins financiers cette fois. Il n'y a pas de mérite là-dedans; il s'agit plutôt des besoins financiers.

Pendant les années 1960, la Commission Parent revoit l'ensemble du système éducatif, ce qui, en 1964, va donner naissance au ministère de l'Éducation. Mais déjà, avant même qu'on ait un ministère de l'Éducation, en 1962, il y avait un service d'aide aux étudiants. Donc, déjà, tout un pan de l'appareil gouvernemental s'occupe d'aider les étudiants et les étudiantes aux études.

En 1966, on adopte la première loi sur l'aide financière. On encadre davantage tous les pouvoirs ministériels d'où naissait l'aide financière. On les encadre dans une loi. C'est par la suite que vont apparaître les grands principes. Après l'adoption de cette loi, l'aide financière a été modifiée, mais ces grands principes n'ont pas été abolis.

Quand on parle de ces grands principes, il s'agit de la nature supplétive et contributive de l'aide financière, qui a été affirmée à chaque fois. Telle est la base de notre expertise provinciale. C'est la base de l'équilibre. Dans tous les pays du monde, quand on lit la littérature sur l'aide financière, on voit qu'on essaie de faire le lien entre les prêts et bourses, et les besoins et la capacité de payer des parents, des conjoints, de l'étudiant et ainsi de suite.

Donc, dès 1966, on commence à en parler. Dans les années 1970, on réitère à chaque réforme que la nature supplétive et contributive du régime n'est pas remise en cause. Chaque fois, l'idée du mérite est rejetée.

Quant à la façon de modifier le régime canadien, ne le connaissant pas dans le détail, je ne pourrais pas vous le dire, mais ce qui est clair, c'est que depuis les huit années que je m'occupe du mouvement étudiant, les relations que j'ai eues, à titre de président de la Fédération québécoise, avec le mouvement étudiant canadien m'ont toujours indiqué la nécessité d'introduire, dans le régime de prêts canadien, des bourses pour soulager les étudiants de l'endettement qui, on doit l'avouer, est plus criant dans le reste du Canada.

C'est la seule chose que je réitérerais. D'ailleurs, c'était déjà dans le mémoire.

[Traduction]

Le président: Monsieur Brison.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Merci pour votre exposé.

Un des aspects les plus utiles de toute cette opération, de ces audiences, c'est qu'elles nous ont donné l'occasion d'en apprendre davantage sur le système des études supérieures au Québec. Je viens de la Nouvelle-Écosse, le berceau des études supérieures au Canada, mais le système de cette province est très différent, en particulier pour ce qui est du financement des études.

Hier, le professeur Stager de l'Université de Toronto a présenté un exposé. Il a dit notamment une chose qui m'a frappé, c'est que, si nous voulons vraiment élargir l'accès aux études supérieures, il faut mettre sur pied des programmes qui offrent des montants plus faibles par personne mais qui les répartissent de façon plus uniforme. La Fondation des bourses du millénaire ne pourra aider que 7 p. 100 des étudiants qui veulent faire des études supérieures. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cela.

Il me semble également que le Québec a très bien réussi, au cours des 30 dernières années, à augmenter le pourcentage des jeunes qui font des études supérieures. Malheureusement, tout ce qui touche le Québec devient une question politique où la souveraineté entre en jeu. Cela est regrettable parce qu'il serait possible d'examiner cette question du seul point de vue de l'efficacité. Vous paraissez avoir un système qui donne d'excellents résultats.

• 0935

Si nous prenions un peu de recul et éliminions l'aspect politique de cette question pour l'examiner sur le seul plan de l'efficacité, le reste du pays pourrait peut-être apprendre beaucoup de choses pour ce qui est d'améliorer la participation des étudiants et ce genre de chose. Ce n'est qu'une simple observation mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de la déclaration qu'a faite Stager hier.

[Français]

M. Serge Charlebois: Il est clair que l'expertise et le succès du Québec en matière d'accessibilité reposent sur l'autonomie que le Québec a obtenue en matière d'éducation. C'est ce qu'on vient faire ici. Oui, c'est une question qui tombe dans le domaine de la souveraineté. On n'a pas le choix parce qu'aujourd'hui, le gouvernement fédéral décide d'investir par-dessus ce qui existe. On ne vous a énuméré que deux projets.

Je pourrais reprendre la dernière page. Il y a des millions de bons projets dans les rapports qu'on n'a pas pu mettre en application parce que les coupures sont arrivées. Vous savez ce que c'est que de gérer un gouvernement. Le budget doit se boucler. Donc, la question de la souveraineté n'est pas un blocage. On n'a pas de brevet pour le succès de notre éducation au Québec.

Aujourd'hui, c'est compromis parce qu'on n'est pas capables de faire ce qu'on veut chez nous pour aider les étudiantes et les étudiants en fonction de leurs problèmes spécifiques. C'était cela, le succès: problèmes spécifiques au Québec, réponses spécifiques. On a donc eu les collèges, etc. Aujourd'hui, on ne veut que continuer.

M. Nicolas Girard: On ne rend pas service aux étudiants en faisant un dédoublement de structures, alors qu'il y a un système très efficace qui existe déjà. Pourquoi revenir par derrière avec un deuxième système? On fait ainsi des dédoublements qui sont, à notre avis, inutiles. Donnons plutôt l'argent au gouvernement du Québec, qui est mieux habilité à le gérer. Comme vous l'avez dit, on a un système qui fait l'envie de plusieurs provinces canadiennes. Pourquoi ne pas prendre cet argent pour bonifier le système actuel au Québec plutôt que de l'utiliser pour faire un dédoublement de structures qui ne servira pas les étudiants?

Également, comment le gouvernement fédéral peut-il justifier, à l'heure actuelle, le maintien de son projet alors que ceux-là mêmes pour qui il l'a fait, les étudiants du Québec, n'en veulent pas? Quand le ministre Pettigrew est obligé d'aller dans les sous-sols de cégep pour rencontrer trois ou quatre étudiants en cachette pour expliquer son projet parce qu'il n'ose pas faire une conférence devant toute la communauté étudiante, il y a un problème. C'est censé être un projet pour aider les étudiants à l'aube de l'an 2000, et il n'est même pas capable de le vendre dans les collèges et universités. Il me semble que c'est suffisant pour qu'un gouvernement se dise: «On a fait une erreur; on se retire; on retire nos billes et on donne l'argent au gouvernement du Québec, qui est le mieux habilité pour améliorer le système d'aide financière québécois.»

M. Serge Charlebois: Monsieur le président, on a posé une question sur l'allocution de M. Stager d'hier. Je n'ai pas pris connaissance de l'allocution de M. Stager, mais M. Stager est un universitaire connu pour ses travaux sur l'économie associée à l'éducation, notamment sur les programmes de remboursement différé—loan income contingency repayment plan. C'est le truc en anglais que j'ai appris. Ce qui est clair, c'est que M. Stager a fait toutes ses dernières études dans un contexte essentiellement ontarien. Je ne peux pas vous dire qu'il s'est limité au contexte ontarien, mais il a fait ses études dans le contexte de l'Ontario, où il y a eu un projet pilote de programme de remboursement proportionnel au revenu, où le gouvernement ontarien a énormément coupé dans l'éducation et a renvoyé la balle aux étudiants quant au financement de leurs études.

Il est évident que c'est une logique qu'on applique au Québec. On y va selon le besoin et on répartit l'aide en fonction des besoins, en se basant sur une multitude de critères. Dans le fond, on a donné aux étudiants ce qu'il faut, et pas plus, pour assurer l'accessibilité. Je corrobore ce que dit M. Stager en ce sens qu'il faut mieux répartir l'aide financière, et non plus la donner à seulement 7 p. 100 des étudiants, au mérite.

• 0940

[Traduction]

M. Scott Brison: Je crois que j'ai entendu quelqu'un dire la semaine dernière que la dette des étudiants québécois représentait à peu près la moitié de la dette moyenne des autres étudiants canadiens mais je suis sûr qu'avec les coupures que le gouvernement fédéral a introduites dans les paiements de transfert, cette situation a dû s'aggraver.

Quoi qu'il en soit, c'est intéressant. La dette des consommateurs québécois est une des plus élevées au Canada mais la dette des étudiants est une des plus faibles. Je ne suis pas d'accord avec le gouvernement du Québec sur bien des questions mais je dois dire qu'il y a un domaine auquel il accorde une grande importance, c'est l'éducation.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Brison.

Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je sais que vous, les anciens leaders étudiants, avez tous beaucoup d'expérience. Puis-je vous demander ce que vous faites en ce moment?

M. Serge Charlebois: J'étudie la physique au niveau du doctorat, pour obtenir un Ph.D.

Mme Karen Redman: Vous vous occupez donc toujours d'éducation postsecondaire.

M. Serge Charlebois: Je suis membre du conseil de l'Université de Sherbrooke mais je ne reçois pas d'aide financière.

Mme Karen Redman: Je le sais. Vous l'avez clairement précisé.

Puis-je poser la même question aux deux autres témoins?

[Français]

Mme Joanne Thérien: Je suis étudiante à la maîtrise en sociologie à l'Université de Montréal et je travaille sur la question du mentorat, du mentoring.

M. Nicolas Girard: Je suis moi aussi étudiant à l'Université de Montréal au niveau de la maîtrise en relations industrielles.

[Traduction]

Mme Karen Redman: Je trouve cela très intéressant. Je suis d'accord avec M. Brison lorsqu'il dit qu'il a été fort instructif d'en apprendre un peu plus sur le système québécois.

Vous dites pour l'essentiel que vous ne voulez pas d'argent.

[Français]

M. Nicolas Girard: En premier lieu, nous estimons que le gouvernement fédéral est mal placé pour dicter une façon de faire au niveau de l'aide financière au Québec, où on a déjà développé un système qui a démontré son efficacité depuis 1964. À notre avis, le gouvernement fédéral devrait transférer cette somme d'argent au gouvernement du Québec pour que les consensus et les débats qui ont eu lieu sur l'aide financière puissent se traduire en modifications du système de prêts et bourses, ce qu'on ne pourra pas faire si vous conservez l'argent et le placez dans un système des bourses du millénaire qui viendrait faire un dédoublement de structures et qui ne répondrait pas à la problématique particulière de l'endettement étudiant au Québec. À notre avis, cet argent nous revient, d'autant plus que le gouvernement fédéral l'a puisé dans les coupures qu'il a imposées aux cégeps et universités.

Vous parlez de l'importance de lancer un message à l'aube de l'an 2000 quant à l'importance de l'éducation supérieure. Mais en effectuant les coupures que vous avez faites dans les cégeps et les universités, quel message lancez-vous? C'est un ambassadeur très important qui nous porte à croire que vous accordez finalement peu d'importance à la qualité de la formation dans les collèges et les universités. La situation n'est pas rose au Québec à l'heure actuelle. Dans le contexte actuel, nous ne croyons pas pouvoir nous permettre un dédoublement de structure.

Nous soutenons que le dossier de l'éducation supérieure est de compétence provinciale, ce qui fait consensus au Québec parmi les recteurs, les professeurs d'université, les associations étudiantes, les syndicats et tous les partis politiques réunis. Vous dites que malgré ce consensus qui existe au Québec, on va nous l'imposer quand même et nous l'enfoncer dans la gorge. On ne peut pas accepter cela. Il existe déjà un système. Donnez-nous notre argent et nous serons les mieux placés pour améliorer notre système d'aide financière. Ce comportement-là est inacceptable.

Vous nous dites qu'on est une société unique. Dans ce projet-là, de quelle façon dites-vous au Québec que sa situation au niveau de l'aide financière est unique? Vous appliquez une solution canadienne égale d'un bout à l'autre, coast to coast. Nous voulons que vous reconnaissiez qu'il y a une problématique particulière au Québec et que vous en teniez compte. Rendez donc l'argent nécessaire au Québec dans ce dossier-là.

• 0945

[Traduction]

Mme Karen Redman: J'ai une dernière question et je ne sais pas si c'est une question ou plutôt un commentaire.

Je tiens à préciser que le financement de l'éducation, même s'il est administré par la province, est un financement partagé. Vous parlez d'un côté des paiements de transfert et tout de suite après, du fait que ce sont des fonds purement provinciaux. Selon tout ce que j'ai lu et d'après ce que je sais, c'est une responsabilité conjointe.

Le président: Y a-t-il des commentaires à ce sujet?

[Français]

M. Paul Crête: J'aurais un commentaire, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Pas vous, monsieur Crête, à moins que vous ne vouliez intervenir à titre de témoin.

Nous allons demander à Mme Torsney de poser une dernière question.

Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Merci.

Pour revenir sur ce que Mme Redman a déclaré, vous avez fait l'historique du financement de l'éducation dans la province de Québec et je suis sûre que vous savez qu'il y a des conseils qui accordent des fonds pour la recherche depuis les années 20. Le programme canadien de prêts aux étudiants existe dans toutes les provinces et il aide les étudiants. En fait, les étudiants qui quittent leur province pour étudier au Québec n'ont droit qu'aux prêts du programme canadien.

Il existe un programme qui améliore l'accès aux études supérieures. C'est une responsabilité que le gouvernement fédéral exerce dans toutes les provinces. Ce système ne vise pas à faire double emploi mais à faciliter l'accès aux études.

Je vous demande de l'essayer. Pourquoi ne pas le mettre en place pour quelques années, et si aucune demande n'est présentée au Québec, si pas une seule demande n'est présentée, nous reverrons la question.

[Français]

M. Nicolas Girard: Vous êtes en train de me dire que dans la situation actuelle que vivent les collèges et les universités, on peut se permettre d'utiliser 80 millions de dollars à chaque année pour faire un test. Il y a une situation de crise au Québec, dans les collèges et les universités, en raison des compressions qu'on y a effectuées. Ce n'est pas le temps de faire un dédoublement de structures. Vous prenez les étudiants en otage avec ce projet. Il existe déjà un système au Québec. Pourquoi donc chercher à faire un dédoublement de structures qui ne servira pas nos intérêts?

Vous dites vouloir promouvoir l'accessibilité. Ce n'est pas en mettant sur pied un projet qui vient dédoubler le système québécois actuel que vous nous rendrez service. On vous dit que la meilleure façon, c'est de bonifier et améliorer le système d'aide financière québécois. C'est cela, la solution, et non pas mettre sur pied un autre projet. On ne peut pas se permettre de prendre 80 millions de dollars pour faire des tests et de se rendre compte quelques années plus tard qu'on a fait une erreur et qu'on a gaspillé de l'argent, et s'en excuser. On n'a pas actuellement les moyens de faire cela au Québec. Peut-être que vous les avez à Ottawa, puisque vous avez réglé la question du déficit, mais au Québec, présentement, on n'est pas dans cette situation-là.

[Traduction]

Mme Paddy Torsney: Oui. Je vous rappelle que j'ai étudié au Québec. Je connais parfaitement les arrangements financiers en vigueur dans les universités du Québec et je sais fort bien que le Québec est actuellement la seule province qui demande des frais de scolarité plus élevés aux étudiants venant des autres provinces. C'est la seule province qui le fasse.

[Français]

M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): J'aimerais faire une petite parenthèse. On va vous le mettre sur la table, puis carrément.

Les frais de scolarité qu'on exige des étudiants canadiens non québécois sont bien souvent inférieurs aux frais qu'exigent les universités dans les provinces d'origine de ces étudiants. Vous allez arrêter de faire de la démagogie avec cela en disant qu'on est des méchants au Québec, qu'on impose des tarifs supérieurs et qu'on ne veut pas des étudiants canadiens. Mon oeil! C'est de la démagogie, du mensonge même.

[Traduction]

Mme Paddy Torsney: Je ne suis pas sûre que nous sommes en train de tenir un débat, monsieur Loubier, mais je tiens seulement à faire remarquer que l'étudiant ontarien qui s'inscrit à lÂUniversité Western Ontario paie les mêmes droits qu'un étudiant québécois paierait pour fréquenter la même université. L'étudiant ontarien qui s'inscrit à l'Université McGill, ou à l'Université de Montréal ou à l'Université de Sherbrooke, paie davantage qu'un étudiant québécois. C'est cela que je voulais dire.

[Français]

M. Paul Crête: Oui, mais à Western... On ne peut pas laisser circuler cette fausse information; il faut que l'information soit claire et précise, monsieur le président.

[Traduction]

Mme Paddy Torsney: Tous les étudiants ont accès au programme canadien de prêts aux étudiants qui existe actuellement.

[Français]

M. Paul Crête: Je vous ai laissé parler, madame. Est-ce que je vous ai laissé parler?

[Traduction]

Mme Paddy Torsney: Je ne savais pas que l'on vous avait donné la parole.

[Français]

M. Yvan Loubier: Réponds. Laisse-la faire.

M. Paul Crête: L'étudiant qui vient...

[Traduction]

Le président: Les mises au point apportées par les membres du comité sont certes intéressantes mais je m'intéresse davantage à ce que disent les témoins. C'est pourquoi nous tenons ces audiences. Si vous n'êtes pas d'accord sur ce point, ce n'est pas le moment d'en débattre. J'aimerais entendre les dernières remarques des témoins pour pouvoir ensuite inviter les représentants de la Chambre de commerce du Canada à témoigner.

Monsieur Charlebois.

[Français]

M. Serge Charlebois: L'expérimentation sur sujets humains, madame, est fortement contrôlée au Canada. Il y a des codes d'éthique qui nous interdisent de faire semblant.

• 0950

Ce qui est clair dans la question du Fonds des bourses du millénaire—et ça rejoint un peu la préoccupation sur laquelle s'interrogeait M. Brison et sur laquelle intervenait aussi M. Stager—c'est qu'on se propose de prendre 3 000 $ et de les donner à des étudiants sans tenir compte de quelque autre forme d'aide financière ou de régime qui puisse déjà exister.

De quel droit pouvez-vous dire que cet étudiant devrait avoir 3 000 $ et que tel autre devrait avoir 3 000 $? Comment pourrait-on plutôt—et c'est là qu'on rejoint M. Stager—mieux répartir cette même somme, ce qui devrait relever de la compétence du Québec, qui gère son régime?

D'autre part, je ne sais pas pourquoi le gouvernement fédéral, après avoir vécu depuis 1964 ce joint-venture dans le cadre duquel il transfère des crédits, vient tout d'un coup se mettre le nez dans un régime qui a beaucoup de succès. Pourquoi ne pas continuer dans la même voie? La réponse était claire dans l'allocution de M. Chrétien: c'est pour qu'il y ait une feuille d'érable sur le chèque.

[Traduction]

Le président: Nous allons entendre un dernier commentaire de Mme Torsney et nous conclurons ensuite.

Mme Paddy Torsney: Je ne revenais pas sur ce que M. Brison avait pu dire au sujet de M. Stager ou de quelqu'un d'autre.

Le gouvernement fédéral accorde des prêts aux étudiants de toutes les provinces, et il existe donc déjà un système.

Je dois dire que je ne suis pas d'accord avec votre hypothèse de base mais cela ne m'empêche pas d'avoir beaucoup apprécié votre exposé.

Le président: Merci, monsieur Girard.

Au nom du comité, j'aimerais vous remercier de nous avoir présenté un exposé très détaillé qui, bien entendu, nous a donné une perspective différente sur cette question.

Nous allons maintenant souhaiter la bienvenue aux représentants de la Chambre de commerce du Canada. Nous accueillons aujourd'hui Sharon Glover, première vice-présidente, affaires commerciales et sociétés membres et M. Dale Orr.

Vous connaissez déjà la façon dont procède le comité et vous savez donc que vous avez environ une dizaine de minutes pour présenter votre exposé et que nous passerons ensuite à une période de questions.

Mme Sharon Glover (première vice-présidente, Affaires commerciales et sociétés membres, Chambre de commerce du Canada): Merci, monsieur le président.

Au nom des membres de la Chambre de commerce du Canada, j'aimerais vous remercier de nous donner l'occasion de comparaître devant vous pour présenter notre point de vue sur le projet de loi C-36, le projet de loi portant exécution du budget et plus précisément, sur l'exonération des primes d'assurance-emploi qu'il accorde aux employeurs qui embauchent des jeunes.

Je m'appelle Sharon Glover. Je suis la première vice-présidente de la Chambre de commerce aux Affaires commerciales. Je suis accompagnée de Dale Orr, président de Economic Analysis Associates, qui représente notre comité des politiques économiques.

• 0955

Notre Chambre de commerce est le principal regroupement d'entreprises au Canada et le plus représentatif, parce que ses membres couvrent tous les secteurs de l'entreprise privée. Nous avons un réseau qui comprend 500 chambres de commerce et nous avons, donc, des membres affiliés dans toutes les circonscriptions des députés fédéraux. Notre réseau compte au total plus de 170 000 membres qui représentent toutes les catégories d'entreprises, tous les secteurs et l'ensemble du Canada.

Nous voulons commencer, monsieur le président, par féliciter le gouvernement et la modification apportée à la Loi sur l'assurance-chômage qui accorde aux employeurs qui embauchent des jeunes une exonération des cotisations d'assurance-emploi. Par contre, nous sommes consternés de constater qu'il n'a pas fait davantage. Nous estimons qu'avec ce budget, le gouvernement pouvait réduire sensiblement les cotisations, ce qu'il n'a pas fait.

Mon collègue, Dale Orr, étudie l'assurance-emploi depuis plusieurs années et il va examiner avec vous ce qu'aurait pu obtenir le gouvernement s'il avait prévu une réduction des cotisations. Vous avez deux feuilles devant vous, la première présente «Les prévisions relatives au compte de l'assurance-emploi et l'autre «L'impact de la réduction des cotisations d'assurance-emploi» que vous pourrez étudier et auxquelles M. Orr va se référer.

Dale.

M. Dale Orr (Comité des politiques économiques, Chambre de commerce du Canada): Merci, Sharon.

Je ne vais faire que quelques commentaires. Le premier concerne l'impact qu'aurait une réduction des cotisations d'assurance-emploi.

J'ai calculé quelles seraient les répercussions d'une réduction des cotisations d'assurance-emploi qui nous amènerait à un niveau conforme aux politiques du gouvernement relatives à l'assurance-emploi pour une entreprise de 100 employés. Les cotisations devraient s'établir à près de 1,80 $ pour les employés.

Une telle réduction permettrait aux 100 employés de cette entreprise d'économiser 33 000 $, l'employeur économisant de son côté 46 000 $. Vous pouvez constater que l'épargne réalisée par l'employeur, qui s'élève à 46 000 $, lui permettrait d'embaucher un autre employé en lui laissant une petite marge pour couvrir une partie des avantages sociaux.

C'est là un calcul très simple de ce que représenterait pour les employés et les employeurs une réduction des cotisations à un niveau qui serait conforme aux politiques officielles et à ce que nous jugeons approprié.

Je serais heureux de vous répondre si vous avez des questions sur ce point.

Le deuxième commentaire concerne les prévisions du compte d'assurance-emploi. Le point essentiel ici est le scénario de la récession. Comme vous le savez, la politique en matière d'assurance-emploi est que les cotisations doivent être fixées à un niveau qui permette aux recettes de couvrir les dépenses pendant un cycle économique. À la fin de l'année, l'excédent de l'assurance-emploi s'élèvera à environ 19 milliards de dollars. Nous pourrions connaître une certaine récession en 1999 et 2000... j'ai calculé quel en serait l'effet.

Personne ne sait vraiment s'il y aura une récession en 1999 et 2000 mais la déclaration suivante m'a beaucoup impressionné:

    Nous sommes sur le point d'entrer, j'en suis convaincu, dans une période de croissance économique soutenue comme notre pays n'en a pas connu depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Vous connaissez tous sans doute cette citation. C'est une déclaration que le ministre des Finances a faite en octobre 1996.

Personne ne prévoit une récession mais si nous connaissions une récession suffisamment grave pour faire passer le taux de chômage de ce qu'il est aujourd'hui et de ce qu'il devrait être l'année prochaine ou à peu près, soit 8,6 p. 100 à une moyenne de 11 p. 100 en 1999 et en 2000... C'est en fait une prévision très pessimiste, si l'on se base sur la déclaration du ministre des Finances qui est d'ailleurs, je le signale en passant tout à fait exacte, et il y en a beaucoup qui le pense. Mais si nous connaissions effectivement une récession de ce genre, cela n'occasionnerait qu'un déficit dans les recettes de l'assurance-emploi d'environ 1,5 milliards de dollars pour toute cette période.

• 1000

Nous allons arriver en 1999 avec un excédent de 19 milliards de dollars, de sorte que, si nous perdions 1,5 milliards de dollars au cours d'une récession de deux ans, nous aurions encore à la fin de l'an 2000, un excédent de 18 milliards de dollars. La plupart des analystes sont d'accord avec M. Martin lorsqu'il a déclaré en 1996 que nous avions besoin d'un surplus d'environ 5 milliards de dollars pour surmonter une récession d'une ampleur raisonnable. Lorsqu'il a déclaré cela en 1996, nous étions d'accord avec lui et nous pensons toujours que c'est une déclaration qui demeure assez juste. Ce qu'il faut retenir c'est que nous avons les moyens d'absorber une récession qui durerait deux ans et nous aurions toujours, après la récession, un fonds contenant 18 milliards de dollars.

C'est ce qui explique que la chambre est convaincue qu'il y a lieu de réduire les cotisations d'assurance-emploi à un niveau assurant une stabilité cyclique, ce qui, pour 1999, voudrait dire des cotisations s'établissant entre 1,80 $ et 1,85 $ par rapport à 2,70 $, le niveau actuel.

Je vais également mentionner quelques points que je serais heureux de discuter avec vous, si vous le souhaitez.

Certains d'entre vous ont peut-être lu une de mes études, qui figure dans le livre intitulé «Le budget fédéral de 1997». C'est une étude assez longue sur l'assurance-chômage et qui couvre la plupart des points d'intérêt.

Cette étude a été publiée dans le Financial Post il y a quelque temps. Elle s'intitule «Excessive EI Premiums: Nothing But A Cash Grab». Je crois que le titre dit tout.

Les aspects intéressants de cette étude sont ceux qui replacent dans son contexte l'idée de réduire les cotisations d'assurance-emploi pour créer des emplois. J'affirme dans cette étude: «Il existe quatre bons arguments, des arguments convaincants, pour réduire les cotisations de l'assurance-emploi. La création d'emploi n'est pas un de ces arguments.» C'est un point très important. La création d'emplois n'est pas une des principales raisons qui justifieraient une diminution des cotisations d'assurance-emploi.

J'indique uniquement les points essentiels. Le premier est que la position actuelle du gouvernement est tout à fait incompatible avec les politiques officielles de l'assurance-emploi. En fait, le ministre justifie son refus de réduire les cotisations en disant: «Nous le ferons, lorsque notre situation financière nous le permettra». Si vous relisez la Loi sur l'assurance-emploi, vous constaterez que les cotisations doivent être fixées à un niveau qui permet d'équilibrer les entrées et les sorties pendant un cycle économique. Il n'y a rien dans la loi qui dise «si notre situation financière le permet» ou «selon le déficit ou les prévisions dans ce domaine».

Le fait de maintenir les cotisations d'assurance-emploi à un niveau bien supérieur à ce qu'exige la loi revient à imposer une taxe particulièrement perverse. Si vous voulez savoir quels sont les effets sur la répartition du revenu, et c'est quelque chose qui mérite d'être examiné, le montant excessif des cotisations menace l'intégrité du programme d'assurance-emploi. Il y a beaucoup de d'argent qui ne va pas à l'assurance-emploi et la taxe sur la réduction du déficit, ce que représente cet argent en fait, n'est peut-être même pas utilisée pour réduire le déficit.

Ce sont là, je crois, les quatre principales raisons pour lesquelles il faudrait réduire les cotisations. Lorsque je dis que la création d'emploi n'est pas une de ces raisons, je dirais tout de même, après avoir examiné toutes les études portant sur cette question, notamment celles du ministère de l'Industrie, celles du ministère des Finances, le récent rapport du groupe de travail Mintz, qu'il existe un consensus solide sur l'idée qu'une réduction des cotisations d'assurance-emploi entraînerait la création d'un certain nombre d'emplois à moyen terme.

Ce n'est pas le fait de créer un certain nombre d'emplois à moyen terme qui va résoudre notre problème de chômage. Les économistes s'entendent pour dire que lorsqu'on modifie la fiscalité, et cela ne vaut pas uniquement pour les cotisations d'assurance-emploi, on constate un ajustement progressif et à plus long terme, et ces changements se font plutôt sentir sur les salaires que sur l'emploi.

Si nous recherchions cet équilibre à long terme, il y aurait sans doute dans deux ou trois ans 100 000 à 200 000 emplois de plus. Voilà le nombre d'emplois qui seraient probablement créés. Cela est important pour tout le monde et c'est ce qui se passerait. À moyen terme, il y aurait 100 000 à 200 000 emplois de plus par rapport au nombre des chômeurs actuel. Il faut garder les choses en perspective mais ce serait au moins un pas dans la bonne direction.

Sur ce, je vous redonne la parole.

Le président: Très bien. Nous allons commencer les questions par M. Ritz.

M. Gerry Ritz (Battlefords—Lloydminster, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci de nous avoir présenté votre exposé ce matin. Vous dites que la réduction des cotisations d'assurance-emploi n'aura aucun effet sur le marché de l'emploi.

M. Dale Orr: Non, c'est précisément ce que je n'ai pas dit.

M. Gerry Ritz: Très bien.

M. Dale Orr: Voulez-vous que je relise ce passage?

• 1005

M. Gerry Ritz: Non, non. C'est parce que vous avez fait un long détour. Vous m'avez perdu un moment.

Lorsque vous parlez de faire passer les cotisations à 1,85 $, cela correspond à la moyenne cyclique.

M. Dale Orr: Oui.

M. Gerry Ritz: Proposez-vous que la réduction se fasse d'un seul coup ou de façon progressive? Qu'en pensez-vous?

M. Dale Orr: Nous pensons que le gouvernement aurait dû fixer les cotisations au niveau d'équilibre cyclique en 1997, lorsque l'excédent a dépassé les 5 milliards de dollars. Il ne sert à rien d'attendre. Il serait bon de le faire demain.

M. Gerry Ritz: L'économie est-elle en mesure d'absorber une... vous savez, c'est une baisse de près d'un dollar?

M. Dale Orr: Bien sûr. Ce ne sont pas des chiffres très élevés par rapport à l'économie. C'est pourquoi j'affirme que si nous réduisions d'un seul coup les cotisations l'année prochaine, nous aurions 100 000 ou 200 000 emplois de plus dans deux ou trois ans. Il y a à l'heure actuelle à peu près 13,7 millions d'emplois dans notre économie, de sorte que, si l'on en ajoute 100 000 à 200 000 sur deux ou trois ans, ce n'est pas une augmentation considérable.

M. Gerry Ritz: Cela ne causerait donc pas une variation considérable. Très bien.

Avez-vous effectué des prévisions sur l'effet qu'aurait l'exonération des cotisations pour les 20 à 24 ans? À quoi vous attendez-vous? Cela démarre en juillet, si je me souviens bien.

M. Dale Orr: Je crois que ce que mentionne le budget est raisonnable. On y dit que cela coûtera 100 millions de dollars au gouvernement.

Replaçons cela dans son contexte. Cette exonération représente un montant très faible. L'excédent de l'assurance-emploi sera, comme je l'ai mentionné, à la fin de cette année d'environ 19 milliards de dollars. Ce projet de programme s'élève à 100 millions de dollars. C'est le montant des cotisations que ne verseront pas les employeurs, c'est donc un montant très faible.

M. Gerry Ritz: Il y a un autre secteur des jeunes. Il y a des électeurs qui sont venus me parler. Par exemple, dans le cas d'un jeune de 16 ans qui lave la vaisselle après l'école ou les fins de semaine. Il reçoit son T-4 à la fin de l'année. On lui retire de l'assurance-emploi, mais il n'a pas à contribuer au RPC, alors qu'il ne s'y opposerait pas parce que c'est un investissement pour son avenir. On lui retire les cotisations d'assurance-emploi et il ne voit pas ce que l'assurance-emploi pourrait lui apporter.

Comment modifier la situation? Nous parlons d'exonérer les 20 à 24 ans. Devrions-nous aller jusqu'à exonérer tous les jeunes de moins de 24 ans?

M. Dale Orr: Il est toujours difficile d'accorder un traitement particulier à une catégorie donnée. Que vont penser ceux qui ont 25 ans? Ils considèrent que leurs concurrents sont subventionnés et pas eux. Et ceux de 17 ans? Il y a ce problème.

Le rapport du groupe de travail Mintz, publié récemment, contient une proposition qui, d'après les économistes, semble intéressante; le rapport en traite en détail. Elle consisterait à diminuer les cotisations de l'employeur en fonction des antécédents de l'employeur. Cette exonération serait fondée sur les antécédents de l'entreprise pour ce qui est de l'assurance-chômage.

M. Gerry Ritz: Merci.

Le président: Merci, monsieur Ritz. J'ai noté que vous aviez dit que cela ne gênait pas les jeunes de 16 ans de contribuer au RPC, ce qui a l'air...

M. Gerry Ritz: Ils investissent pour leur avenir. C'est quelque chose qui leur profitera par la suite.

Le président: Voilà qui est intéressant. Très bonne remarque.

[Français]

M. Paul Crête: Je veux vous remercier pour la clarté de vos tableaux qui démontrent de façon très évidente la chance que le gouvernement manque en termes de création d'emplois en laissant les cotisations au taux actuel. Votre document démontre cela de façon très claire et très précise.

Vous disiez que le budget prévoyait accorder une somme d'environ 100 millions de dollars en vue de l'application de la formule de congé des 18-24 ans. À la lumière de votre expérience et de l'expertise de vos membres, croyez-vous que certains employeurs décideront d'engager quelqu'un en raison du congé de prime dont ils bénéficieront ou s'ils profiteront tout simplement du congé de prime selon les circonstances, lorsque les gens qu'ils engageront feront partie de ce groupe d'âges? Il faut bien comprendre que la mesure vise possiblement à faire travailler plus de gens de 18 à 24 ans, en dépit de toutes les contraintes que vous avez décrites plus tôt, y compris les 17 et 25 ans, et au sujet desquelles je suis bien d'accord. Mais pensez-vous que les employeurs engageront des employés pour profiter du congé de prime?

• 1010

Est-ce que le congé de prime est suffisant pour justifier un emploi? Selon l'exemple que vous donnez, une baisse générale nous permettrait d'économiser des montants beaucoup plus significatifs, ce qui aurait possiblement un effet réel de création d'emplois.

[Traduction]

Mme Sharon Glover: Oui, si j'ai bien compris ce programme d'exonération, il faut embaucher des jeunes pour pouvoir en profiter. Peu importe que vous ayez déjà embauché des jeunes. Il faut en embaucher d'autres et vos charges de personnel augmentent.

Nous pensons que cela va effectivement inciter les employeurs à embaucher des jeunes. Nous pensons que les gens se décident en fonction de ce qui leur en coûte, en fonction de leurs charges de personnel. Nous estimons que les employeurs qui sont à la recherche de personnel vont examiner les différentes catégories d'âge et vont avoir tendance à choisir des jeunes. Cela va les inciter effectivement à embaucher des jeunes. C'est pourquoi nous appuyons cette mesure. Si nous pensions qu'elle ne servirait à rien, nous l'aurions dit dès le départ. C'est une des raisons pour lesquelles nous l'appuyons, parce que nous pensons qu'elle va donner de bons résultats.

[Français]

M. Paul Crête: Mais l'économie de taxe qui va en résulter serait vraiment l'élément qui ferait en sorte que l'employeur décide d'engager un jeune. Prenons l'exemple de petites et moyennes entreprises comptant de cinq à dix personnes, qui sont dans le secteur où il se crée le plus d'emplois normalement. C'est le congé de cotisation ou cette économie qui va déclencher l'engagement de ces petits et moyens entrepreneurs à engager quelqu'un. Est-ce bien ce que vous dites?

Il y a une différence entre engager un employé âgé de 18 à 24 ans à cause du congé plutôt qu'une personne de 25, 30 ou 40 ans, et créer un emploi spécifiquement à cause du congé de cotisation. Est-ce que, selon vous, il y a une différence entre les deux? Est-ce que les gens vont engager un employé uniquement à cause du congé de prime qu'ils obtiendront?

[Traduction]

Mme Sharon Glover: Personnellement, je ne crois pas que l'on puisse aller jusqu'à dire que cette exonération va créer des emplois. Mais si vous êtes prêt à embaucher, vous allez embaucher des jeunes entre 18 et 24 ans si vous cherchez déjà des employés dans cette catégorie d'âge, parce qu'ils vont avoir droit à cette exonération. Je ne pense pas que les entreprises vont créer un emploi à cause de l'exonération des cotisations. Nous verrons ce que cela va donner.

[Français]

M. Paul Crête: Désirez-vous ajouter quelque chose?

[Traduction]

M. Dale Orr: Oui. Pour donner quelques précisions là-dessus et encore une fois, pour replacer les choses dans leur contexte, nous parlons d'un programme très très petit, minuscule, si on le compare à l'ensemble de l'économie. Il paraît évident que, s'il en coûte moins cher d'embaucher des personnes faisant partie d'une certaine catégorie d'âge, et ce, de façon globale, cela va augmenter quelque peu le nombre de ces personnes qui vont être embauchées. Je ne pense pas que l'on puisse nier que c'est cela qui se passe lorsqu'on réduit les prix. Nous observons ce phénomène depuis des années et des années.

Par contre, quelle va être l'ampleur de cette augmentation? C'est un programme minuscule par rapport à l'économie. Vous pouvez interroger des dizaines de petits entrepreneurs et ils vous répondront, vous savez, ça ne vaut pas vraiment le coup, je n'ai embauché personne. Mais si vous parlez à 1 000 petites entreprises qui auraient de toute façon embauché 1 000 personnes, alors elles vont peut-être en embaucher 1 000 et quelques-unes de plus. Voilà le genre d'augmentation dont il s'agit. L'augmentation est réelle mais elle est très faible et c'est de cet ordre de grandeur que nous parlons.

[Français]

M. Paul Crête: Par contre, si on parlait d'une solution de plus grande envergure ou, par exemple, comme l'indique le tableau que vous avez déposé, d'une baisse significative des cotisations, quelles conditions nous permettraient de nous assurer qu'il y aurait une création d'emplois significative? On peut abaisser les cotisations sans qu'il y ait nécessairement d'effet direct sur l'emploi. Une hausse des cotisations a nécessairement un effet négatif sur l'emploi, tandis qu'une baisse des cotisations—et vous pourrez commenter cela—bien qu'elle soit intéressante pour les entreprises, n'assure pas au gouvernement qu'il y aura un impact en termes de création d'emplois. Quelles conditions sont nécessaires pour que l'impact soit réel? Est-ce le montant de la baisse? Est-il nécessaire de lier cette baisse de cotisation à une création d'emplois en bout de ligne? Quelle serait, selon vous, la façon de s'assurer que la baisse de cotisation ait un effet réel sur l'emploi? Est-ce que ma question est claire?

• 1015

[Traduction]

M. Dale Orr: Oui.

Nous sommes en fait en train de parler du fonctionnement d'une économie de marché. Lorsque les prix baissent, les gens achètent davantage; lorsque les prix montent, les gens achètent moins. C'est ce qui se passe au Canada depuis des années. Je ne pense pas qu'il faille mettre sur pied une grosse infrastructure bureaucratique pour savoir que les agents économiques fonctionnent selon les lois du marché. Nous parlons de chiffres vraiment faibles dans ce cas. Même si ce programme était mis en oeuvre pendant plusieurs années, il ne serait pas facile d'en mesurer les résultats.

[Français]

M. Paul Crête: Est-ce que vous seriez prêt à considérer la possibilité que le taux de cotisation soit déterminé par un forum social qui regrouperait des représentants de votre Chambre de commerce, de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, du CTC et des travailleurs? Il pourrait dire au gouvernement que le taux de cotisation pertinent dans notre société se situe autour de 2 $ ou 2,20 $, tout en garantissant évidemment au départ que tout le fonds sert à l'assurance-chômage.

Notre problème actuel résulte du fait qu'une part significative du fonds sert au financement régulier du gouvernement. S'il y avait une démarche dans ce sens-là et que le gouvernement fédéral se disait prêt à ce qu'on détermine un taux qui ferait objet d'un consensus, ne pensez-vous pas que ce serait une façon d'arriver à une mesure plus équilibrée dans la société? Actuellement, le gouvernement engrange de l'argent à même les cotisations qui, à la base, devraient servir au régime d'assurance-chômage.

[Traduction]

M. Dale Orr: Nous appuyons le programme tel qu'il est défini dans l'énoncé de politique qui précise que l'on devrait fixer des cotisations d'assurance-emploi en équilibrant les recettes et les dépenses pendant un cycle économique. Nous n'avons pas de critique à faire à cette politique. La difficulté vient du fait que le gouvernement n'applique pas cette politique, et nous souhaiterions qu'il le fasse et cela me semble être une bonne façon de le faire. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de réunir tous les intéressés pour en arriver à un consensus sur cette politique.

Le président: J'aimerais obtenir une précision. Lorsque vous avez effectué votre analyse, vous avez utilisé des sommes globales en matière de création d'emploi, mais nous savons tous que la création d'emploi se fait au niveau de l'entreprise. Comment réconciliez-vous ces deux aspects? Je ne suis pas sûr qu'une analyse globale se traduise nécessairement par des résultats économiques concrets.

Vous disiez que la somme épargnée par l'employeur, une somme de 46 400 $, est plus que suffisante pour embaucher un employé supplémentaire. Premièrement, quelles sont les entreprises qui créent le plus d'emplois? Est-ce que ce sont les entreprises qui ont 100 employés ou plus? Si c'est le cas, pensez-vous que ces personnes ne seraient pas embauchées par les entreprises? Je voulais simplement donner un exemple pour expliquer mon argument.

M. Dale Orr: Je dis qu'une entreprise de 100 employés réaliserait une épargne qui lui permettrait d'embaucher un employé supplémentaire. Cela veut-il dire que toues les entreprises qui ont 100 employés vont embaucher un autre employé? Non, elles ne le feront probablement pas. Mais si l'on prenait 1 000 entreprises de cette taille, je dirais que, oui, elles le feraient sans doute.

Si vous prenez 1 000 entreprises de cette taille, il y en a sans doute un certain nombre qui souhaitent prendre de l'expansion et elles ont des comptables qui regardent les chiffres de près et qui sont disposés à embaucher des travailleurs. Lorsqu'ils constatent que les taux sont plus faibles s'ils embauchent une certaine catégorie d'employés, comme ceux d'une catégorie d'âge, si vous prenez 1 000 entreprises de cette taille, il y en a qui vont être à la limite. Pour celles qui sont à la limite et qui hésitent à embaucher, cela va faire une différence pour elles. C'est dans ce genre de situation que cela compte.

Le président: Avec la situation actuelle, si toutes ces entreprises reçoivent tout à coup des commandes et qu'elles doivent augmenter leur production, et pour ce faire, embaucher des gens, elles vont les embaucher de toute façon.

• 1020

M. Dale Orr: Oui, elles vont les embaucher de toute façon.

Mais avec ce programme, il y en a peut-être qui cherchent à embaucher quelqu'un entre 17 et 30 ans et qui vont se dire «Cela va me coûter un peu moins cher si je prends quelqu'un dans le groupe d'âge des 18 à 24 ans, pourquoi ne pas le faire?» C'est le genre de décision que ces entreprises pourraient prendre.

Le président: Monsieur Valeri.

M. Tony Valeri (Stoney Creek, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je voudrais faire une autre remarque au sujet de l'exonération des cotisations d'assurance-emploi qui est prévue par ce projet de loi et préciser une chose; ce programme constitue en fait une des quatre initiatives que comprend la Stratégie canadienne de création d'opportunités, qui vise les jeunes, parce que les jeunes ont souvent du mal à trouver du travail parce qu'ils n'ont pas d'expérience; pas d'expérience; pas de travail, pas de travail, pas d'expérience. On recherchait une façon d'augmenter les possibilités d'emploi pour les jeunes. Bien sûr, ce programme ne prétend pas résoudre le problème du chômage chez les jeunes.

Je crois que la Stratégie canadienne de création d'opportunités répond néanmoins aux besoins des jeunes parce qu'elle leur donne les outils dont ils ont besoin pour se faire une place sur le marché du travail, à savoir, l'éducation. Je voulais simplement vérifier que nous étions sur la même longueur d'onde pour ce qui est des motifs expliquant que cette initiative figure dans la Stratégie canadienne de création d'opportunités.

M. Dale Orr: Oui.

M. Tony Valeri: L'autre sujet que j'aimerais aborder est celui du compte de l'assurance-emploi. Le président disait que les individus, quoi qu'il en soit, je crois que c'est de cela dont vous parliez...

Le président: Je vais m'expliquer.

M. Tony Valeri: J'en suis sûr. C'est ce que j'allais dire. Ne tenez pas compte de ma dernière remarque.

Je veux dire en fait que les entreprises embauchent lorsque le marché est porteur. Aujourd'hui, les paramètres essentiels de notre économie sont au beau fixe. Les budgets sont équilibrés; les taux d'intérêt sont au plus bas. Ces conditions favorisent une économie dynamique et donc, la création d'emploi.

Vous affirmez que nous devrions réduire les primes d'assurance-emploi pour différentes raisons, dont l'une est la création d'emploi. J'ai du mal à partager votre opinion même si je dois dire que le montant des cotisations a diminué depuis 1993. Le gouvernement s'est engagé à continuer à le faire. Mais nous sommes aujourd'hui dans une situation où il faut faire des choix.

Vous savez que les recettes du fonds d'assurance-emploi vont en fait au Trésor. Le gouvernement n'utilise pas un fonds spécial, pour faire d'autres choses, pour faire fonctionner le gouvernement. Par conséquent, lorsque vous demandez que l'on réduise de 6 milliards de dollars les recettes, vous dites en fait que la réduction des cotisations d'assurance-emploi doit venir avant les impôts sur le revenu des particuliers et avant tout autre investissement.

Je tiens simplement à bien comprendre ce que vous dites, M. Crête n'est pas d'accord avec la façon dont j'ai décrit le compte d'assurance-emploi mais nous pourrons revenir sur cette question un autre jour, la réduction des cotisations d'assurance-emploi est une priorité pour la Chambre de commerce. L'OCDE affirme que l'impôt sur le revenu des particuliers est plus élevé au Canada que dans les autres pays de l'Ouest, mais que les charges sociales sont compétitives. Cela ne vous empêche toutefois pas de dire au comité qu'il faudrait diminuer les cotisations d'assurance-emploi.

Notre gouvernement est évidemment obligé de faire des choix et nous demandons souvent à des organismes comme le vôtre de nous présenter des suggestions. Nous sommes donc heureux de vous entendre mais j'aimerais savoir comment vous en êtes arrivé à la conclusion que la réduction des cotisations d'assurance-emploi devrait l'emporter sur toutes les autres priorités du gouvernement ou des Canadiens.

Mme Sharon Glover: La raison pour laquelle nous parlons principalement de l'assurance-emploi, c'est parce qu'il existe à l'heure actuelle un programme qui s'appelle l'assurance-emploi, il y a un fonds de l'assurance-emploi et nous savons que cela fait partie des recettes générales. Il demeure toutefois que le gouvernement du Canada obtient de cette façon des recettes de 19 milliards de dollars par année pour administrer un programme qui lui coûte 13 milliards de dollars, cela veut donc dire qu'il utilise 6 milliards de dollars provenant des contribuables non pas pour l'assurance-emploi mais pour d'autres choses.

• 1025

Nous pensons que cette autre chose est une taxe pour la réduction du déficit. Le gouvernement est tellement habitué à mettre dans sa poche ce montant de 6 milliards de dollars qu'il réagit mal lorsque nous disons qu'il y a un programme, qu'il y a des règles et que, d'après nous, le gouvernement ne respecte ni les règles ni l'esprit de cette loi.

Dale, vous pouvez peut-être compléter cette réponse.

M. Dale Orr: Oui, très bien. Vous avez présenté des remarques intéressantes. J'aurais quatre réponses à vous faire et j'espère que je vais pouvoir vous les présenter.

Vous avez tout d'abord parlé du chômage chez les jeunes. Je ne sais pas si l'on vous a déjà présenté les chiffres concernant le chômage des jeunes par rapport au taux moyen du chômage mais l'année dernière ce taux était 2,14 fois plus élevé que le taux de chômage moyen. Cela concerne les jeunes de 15 à 24 ans. Cela fait environ une dizaine d'années que ce taux est le double du taux moyen et l'année dernière, il a été plus élevé que jamais. Ce taux fluctue autour de 1,8 depuis 1990.

Par conséquent, lorsque vous parlez des programmes qui ciblent les jeunes, je dirais qu'effectivement nous disposons de données qui démontrent qu'il faut les aider. La situation est très difficile. Voilà l'ordre de grandeur: le double.

Vous avez en outre fait remarquer très justement que, si nous ramenons le montant des cotisations à un niveau correspondant à l'équilibre du cycle, la situation financière du gouvernement ne sera évidemment pas aussi bonne qu'elle l'est actuellement. C'est exact.

Il y a un aspect qui, je crois, n'a pas été abordé ici, c'est le fait que si le gouvernement ramène les cotisations au niveau correspondant à un équilibre cyclique et qu'il fait passer les cotisations d'assurance-emploi de 2,70 $ à 1,85 $, cela va avoir toutes sortes de répercussions sur l'économie, parce que, d'une part, les employés vont voir leur revenu disponible augmenter et d'autre part, cela va réduire les frais des employeurs. Une telle mesure générerait des revenus, du côté commercial comme du côté des dépenses des consommateurs.

M. Tony Valeri: Vous tenez également pour acquis qu'une réduction de 6 milliards de dollars de nos recettes ne fera pas réapparaître le déficit. Vous acceptez cette diminution parce que cela va créer de nombreux emplois, et donc augmenter les dépenses des consommateurs. Il faut aussi répondre à la question.

Si cela se traduit effectivement par une réduction des recettes d'un montant de 6 milliards de dollars, et que cela crée un déficit, vous dites qu'il y aura néanmoins une augmentation des recettes mais vous parlez d'une diminution qui risque de faire réapparaître le déficit. Je ne connais pas les chiffres; je n'ai pas ces chiffres. Mais vous dites qu'en tant qu'association, vous êtes favorable à la position qui consiste à dire: «Réduisez les cotisations d'assurance-emploi de 6 milliards de dollars, car cela aura un effet positif sur l'économie», quelles que puissent être les conséquences d'une telle réduction sur un des éléments fondamentaux, l'équilibre budgétaire.

M. Dale Orr: Eh bien, laissez-moi poursuivre, lorsque je dis que, si l'on réduit l'excédent de l'assurance-emploi de 6 milliards de dollars, cela ne coûtera pas 6 milliards de dollars au gouvernement. En fait, cela va coûter plutôt quelque chose comme 4,5 milliards de dollars, parce que cette réduction va générer des revenus, qui vont à leur tour générer des impôts pour le gouvernement et entraîner ainsi une réduction de 25 p. 100 de cette diminution. Par conséquent, si l'on réduit les cotisations de 6 milliards de dollars, l'impact sur le déficit ne sera pas de 6 milliards de dollars; il sera plus proche de 4,5 milliards de dollars.

Effectivement, nous pensons que c'est une chose que le gouvernement devrait faire, parce qu'à l'heure actuelle, cette forme de fiscalité est particulièrement perverse, même si l'on veut viser une catégorie particulière de personnes dans un but particulier. Si le gouvernement veut obtenir des fonds, qu'il le fasse autrement. C'est une taxe tout à fait perverse qui touche durement les personnes à faible revenu. On ne peut s'empêcher de plaindre les personnes qui sont touchées le plus durement par cette forme d'imposition.

L'autre aspect est que cela ne créerait pas nécessairement un déficit; cela permettrait probablement au gouvernement d'atteindre l'objectif zéro dont il parle. Les analystes du secteur privé estiment que les prévisions budgétaires sont suffisamment conservatrices et qu'il existe suffisamment de fonds de réserve pour prévoir un excédent de 5 milliards de dollars cette année-ci, et non pas un résultat zéro, comme le prévoit le budget.

• 1030

Il y a effectivement du pour et du contre. Cela est certain. Nous parlons d'un ordre de grandeur de 4 à 5 milliards de dollars. Ce n'est pas un montant tout à fait aussi élevé que l'excédent de l'assurance-emploi mais c'est une réalité et il existe d'autres façons de régler cet aspect qu'en imposant une surtaxe sur les cotisations d'assurance-emploi.

M. Tony Valeri: Je tiens à vous comprendre parfaitement. Votre association affirme qu'en réduisant les cotisations de 6 milliards de dollars, cela permettrait au gouvernement de récupérer un montant de 1,5 milliard de dollars. Ce qui entraînerait en fin de compte une réduction des recettes de 4,5 milliards de dollars. Si cela fait réapparaître le déficit, nous ne devrions pas trop nous inquiéter parce qu'il est peu probable que cela se produise; il existe d'autres moyens et nous réussirons à nous accommoder de cette réduction, l'abaissement des cotisations d'assurance-emploi va entraîner la création de nombreux emplois. Pour ce qui est des taux d'intérêt ou des impôts sur le revenu des particuliers qui pose un problème ici, cela ne vous inquiète pas trop parce que vous pensez que tout cela va finalement se compenser.

M. Dale Orr: Ce n'est pas une question de s'inquiéter...

M. Tony Valeri: Le gouvernement est obligé de se donner des priorités, et il doit respecter toutes ces priorités. Il faut au moins essayer de le faire. Vous dites qu'il faut utiliser l'assurance-emploi, compte tenu des fonds qu'il faut dépenser. Vous dites que les analystes du secteur privé pensent qu'il y aura peut-être un excédent de 5 milliards de dollars et vous êtes disposé à utiliser ce montant de 4,5 milliards de dollars pour réduire les cotisations de l'assurance-emploi. Très bien. Je ne veux pas accaparer le reste du temps de parole.

M. Dale Orr: Oui, il s'agit d'un impôt, c'est pourquoi il faut dire au gouvernement que s'il veut absolument atteindre son objectif du déficit zéro, qu'il cherche l'argent ailleurs, quelque part qui ne touchera pas ce groupe de personnes.

M. Tony Valeri: Avez-vous des suggestions à faire au gouvernement pour ce qui est des façons d'obtenir une telle somme? Je suis sûr que M. Crête aimerait beaucoup les connaître.

M. Dale Orr: Par exemple, la chambre a recommandé que l'on réduise les dépenses de programme. Les subventions aux entreprises constituent un de ces programmes et il y en a sans doute d'autres.

M. Tony Valeri: Pensez-vous que nous pourrions récupérer 4,5 ou 5 milliards de dollars sur les subventions aux entreprises?

M. Dale Orr: Vous pourriez récupérer 1 milliard de dollars.

M. Tony Valeri: Pensez-vous que nous pourrions récupérer 4,5 ou 5 milliards de dollars?

M. Dale Orr: Vous ne pourriez pas récupérer 4,5 milliards de dollars avec ce programme, non, mais c'est...

M. Paul Crête: Les sous-marins.

M. Tony Valeri: Voudriez-vous intervenir comme témoin?

M. Paul Crête: Non.

M. Tony Valeri: Alors, vous pourriez peut-être attendre que l'on vous donne la parole.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Valeri et monsieur Orr. Merci.

M. Paul Crête: Vous n'avez pas aimé que je propose les sous-marins?

M. Tony Valeri: Cela ne me gêne pas du tout.

Le président: Nous parlerons des sous-marins une autre fois.

Madame Redman.

Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président. J'aimerais poser une question qui concerne l'exonération des cotisations.

Nous avons entendu des représentants de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante la semaine dernière. Je suis tout à fait d'accord avec la remarque qu'a faite un des témoins au sujet de la création d'emploi. Il disait, et j'étais d'accord avec lui sur ce point, que, si l'embauche d'un employé ne se justifie pas aux yeux d'un chef d'entreprise, cela ne se fait pas.

L'intention est d'inciter les entreprises qui veulent embaucher du personnel à embaucher des jeunes. Cette association se demandait comment l'on pourrait vérifier si les personnes embauchées faisaient partie de cette catégorie d'âge. Ce n'est pas une question que l'on pose à quelqu'un avant de l'embaucher. J'aimerais savoir si votre association a réfléchi à cette question et pris position là-dessus. Y a-t-il eu des discussions à ce sujet?

Mme Sharon Glover: Ce sujet n'a pas été abordé mais c'est une question qui mériterait d'être débattue. Vous avez raison, il n'est pas permis de demander l'âge de la personne qui cherche à se faire embaucher. Je ne sais pas si c'est à cause de lois provinciales ou de règlements fédéraux en matière d'emploi mais c'est sans doute à cause des lois provinciales qu'on ne peut pas demander son âge. Je ne sais pas comment cela pourra être résolu mais c'est un point très intéressant.

Le président: Monsieur Szabo, vous vouliez poser une question?

M. Paul Szabo: Nous discutons de cette question depuis longtemps et il faudrait progresser.

Si je me limitais à votre exposé, j'aurais du mal à vous soutenir parce qu'avec les chiffres que vous donnez, vous dites que le gouvernement devrait renoncer à percevoir ce montant de 6 milliards de dollars. Renoncer à des recettes de 6 milliards de dollars pour créer des emplois, mais qu'est-ce que cela va coûter en fait? Dans l'exemple que vous avez donné, celui des épargnes réalisées par l'employé et l'employeur, une entreprise de plus de 100 employés, cela représente au total près de 80 000 $. Vous dites apparemment que cette somme de 80 000 $ permettrait de créer un emploi. Cela ne rime absolument à rien, si l'on pense aux autres possibilités.

• 1035

Comme M. Orr l'a fort justement fait remarquer, les entreprises ne pourront plus effectuer les mêmes déductions. Leurs impôts vont donc augmenter. Pour les employés, le crédit d'impôt non remboursable va être diminué. Ils vont avoir une légère augmentation de leur revenu disponible. J'ai fait quelques calculs rapides et l'effet net serait en fait d'environ 4,4 milliards de dollars, sans compter les répercussions économiques de l'augmentation du revenu disponible.

Je pourrais parler davantage des retombées mais je voulais faire remarquer que votre analyse est vraiment très naïve pour ce qui est de... Il aurait été préférable de présenter tous les aspects de la question et de démontrer ensuite le bien-fondé de votre argument.

Je tiens toutefois à vous poser une question au sujet du fonds de l'assurance-emploi dont a parlé Mme Glover. Vous avez utilisé cette expression, mais en fait, vous et moi et tout le monde, nous savons qu'il n'y a pas de fonds. En fait, c'est un compte théorique. C'est une simple comptabilité accessoire qui suit les recettes et les dépenses.

Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, il est dit que toutes les dépenses encourues directement ou indirectement pour produire un revenu sont déductibles. C'est la façon dont les entreprises rendent compte de leurs activités lorsqu'elles fournissent des renseignements et préparent leurs rapports d'impôt. Tous les coûts que je supporte—directement ou indirectement—pour produire un revenu sont déductibles. Pourtant, dans la comptabilité théorique de l'assurance-emploi, de façon un peu simpliste, les cotisations sont considérées comme des recettes et les prestations et l'administration, comme des dépenses.

De la sorte, nous arrivons à un raisonnement circulaire, «Voyez un peu ces excédents», mais vous n'êtes pas prêts à dire que le gouvernement n'a pas investi des sommes importantes au titre de la création d'emplois et qu'il ne cherche pas à instaurer un climat propice à la création d'emplois. Je pense à des initiatives comme le programme des partenariats technologiques, par exemple, aux montants qui y ont été investis au cours des cinq premières années du programme des PTC. Cela a directement ou indirectement appuyé la création de quelque 10 000 emplois, au coût d'environ 413 millions de dollars.

S'il n'y a pas de coûts directs, il y a certainement des coûts indirects à la création d'emplois, à la production d'emploi pour les personnes en chômage et pour celles qui arrivent sur le marché du travail.

Il existe de nombreuses autres initiatives que je pourrais mentionner, mais je vais m'en abstenir parce que je veux savoir ce que vous pensez de cela.

Bref, je vous demande si, à votre avis, nous ne devrions pas briser ce cercle vicieux, cesser de parler d'un calcul simple qui touche une comptabilité théorique et de chercher à déterminer si oui ou non je peux obtenir des fonds, pour examiner plutôt des façons d'établir adéquatement la valeur des fonds investis dans le compte de l'assurance-emploi, les prestations distribuées et si oui ou non il conviendrait de modifier la loi pour définir le coût véritable, les frais réels à imputer au compte théorique, afin que concrètement tous les coûts directement ou indirectement liés à la protection des employés et à la création d'emplois soient reflétés dans cette loi?

Mme Sharon Glover: Monsieur le président, si j'ai commis un lapsus en parlant du fonds de l'assurance-emploi, c'est qu'il y avait autrefois un tel fonds et, croyez-le ou non, la Chambre a étudié la question assez longtemps pour que nous nous présentions devant le comité pour parler du fonds de l'assurance-emploi. Maintenant, il s'agit d'un compte, parce qu'il fait partie des recettes générales du gouvernement.

Il ne nous viendrait pas à l'esprit de minimiser ce que le présent gouvernement a réalisé, qu'il s'agisse de réduction du déficit ou des autres efforts qu'il a déployés. Le gouvernement a fait beaucoup pour essayer de créer des emplois. Je pense que tout le monde cherche la formule magique qui permettra de réduire le taux de chômage.

• 1040

Il demeure toutefois qu'il existe un compte, auquel des règles s'appliquent. Quand le gouvernement est arrivé au pouvoir, M. Axworthy a procédé à un très important examen de la réforme de la politique sociale, le gouvernement a apporté des changements extrêmement judicieux au programme de l'assurance-emploi, et nous avons appuyé le gouvernement. Cependant, il a choisi de conserver ce que l'on appelle le compte d'assurance-emploi ainsi que les règles en vertu desquelles ce compte doit être équilibré, les cotisations doivent être équilibrées, tout au long de l'exercice. Si le gouvernement n'aimait pas les règles, il avait là une occasion de les modifier. Il ne l'a pas fait. À notre avis, vous avez défini les règles, vous avez créé le compte, alors maintenant vous devez respecter ces règles.

Voilà donc notre message. Les contribuables canadiens ont versé six milliards de dollars à un programme qui n'a pas besoin d'argent. Si vous n'avez pas l'intention d'utiliser cet argent aux fins de ce programme, vous devriez peut-être lui donner un autre nom, mais ne venez pas nous dire que nous avons un programme d'assurance-emploi qui coûte 19 milliards de dollars. C'est l'argument que nous voulions vous présenter.

M. Paul Szabo: Vous voulez considérer ce compte comme quelque chose de distinct, coupé de tout le reste, de tout ce qui se passe dans le domaine financier au pays, simplement parce que vous espérez en retirer de l'argent au profit de vos membres. Est-ce que ce n'est pas là le fond de la question?

Mme Sharon Glover: Nous croyons qu'il existe des règles, en vertu de la loi, que le gouvernement doit respecter.

M. Paul Szabo: Merci.

Le président: D'après certaines des observations que vous avez faites, est-ce que je dois conclure que vous soutenez que si c'est le prix à payer pour mener des affaires dans notre pays, pour les employeurs et les employés, alors qu'on le dise? Il s'agit d'un impôt comme tous les autres impôts, comme l'impôt sur le revenu des particuliers et les autres taxes. Vous avez un montant d'argent qui couvre absolument tout. Qu'il s'agisse de réduire le déficit, d'investir dans l'éducation, quelle que soit la mesure, les gens d'affaire et la population en général profitent de ces dépenses. Ne nous leurrons pas. Si vous avez une main-d'oeuvre qualifiée, si vous avez des soins de santé de qualité, si vous avez tout cela, chacun en profite, parce que la société et l'économie sont plus efficaces.

J'essaie de faire comprendre quelque chose ici. Vous aimeriez mieux que le gouvernement dise qu'il s'agit d'un impôt, un impôt sur les entreprises qui mènent des activités dans notre pays, et tout serait clair, transparent. Est-ce que c'est ce que vous nous affirmez?

M. Dale Orr: Oui.

Dans ce document que j'ai rédigé, la principale raison qui justifie de réduire le fonds vient d'une incohérence de la politique économique actuelle. Reportons-nous en 1996, quand le fonds avait atteint ce que l'on considérait comme son niveau d'équilibre cyclique, soit cinq milliards de dollars. Si M. Martin avait alors déclaré «Voici ce que je fais faire; je vais imposer une surtaxe sur les cotisations de l'assurance-emploi afin d'atteindre un objectif précis en matière de réduction du déficit. Je comprends que les personnes qui seront les plus touchées par cette surtaxe de réduction du déficit que j'ai décidé d'imposer sont les personnes à faible revenu, c'est-à-dire surtout les femmes, les petits salariés, évidemment, et aussi la petite entreprise. J'ai choisi cette formule particulière de taxe de réduction du déficit, c'est ce que je propose. Que ceux qui sont en faveur de cette mesure se lèvent. Le projet suivra la procédure régulière et nous verrons bien ce qui arrivera.»... Si le ministre avait agi ainsi et avait été honnête avec nous, et si la mesure avait été appuyée par le Parlement et par la population, j'imagine que nous n'aurions pas protesté, mais les choses ne se sont pas passées ainsi.

Alors dans ce document que j'ai rédigé, la première raison que je donne est qu'il s'agit d'un impôt déguisé pour réduire le déficit. La mesure a été prise de façon hypocrite et en raison de ce que l'on appelle la tyrannie du statu quo. Elle a été adoptée parce qu'elle simplifie la vie du gouvernement. Pour le gouvernement, il est plus facile de maintenir les cotisations de l'assurance-emploi que de réduire les dépenses de programme ou d'augmenter une autre taxe. C'est la raison pour laquelle cette mesure est proposée, simplement parce qu'elle constitue une solution plus facile que les autres sur le plan politique.

À mon avis et de l'avis de bien des gens, M. Martin ne se serait jamais levé en 1996 pour déclarer «J'ai une idée de génie, une taxe de réduction du déficit, et je vais lever cette taxe sur les cotisations de l'assurance-emploi.» Jamais. Nous en sommes arrivés là en raison de cette obsession du statu quo. Le fonds était là. C'est de l'argent facile puisqu'il suffit de ne pas réduire les cotisations. Cela est parfaitement illogique du point de vue de la politique économique, et c'est probablement la principale raison de notre mécontentement. Il faut appeler les choses par leur nom et mettre un peu d'ordre là-dedans.

• 1045

Le président: Alors selon vous les charges sociales sont nécessaires. Disons que c'est le prix à payer pour mener des activités commerciales dans notre pays. C'est ce qu'il convient de faire. Vous devez payer tant. Vous ne contestez pas les charges sociales, vous en contestez le montant. Mais si vous appuyez la notion de charges sociales, vous devez accepter que pour faire des affaires, comme dans tout autre pays, vous avez des charges sociales et vous devez en payer votre juste part, parce que vous profitez de toutes sortes de dépenses que nous effectuons grâce aux recettes générales.

M. Dale Orr: Oui. Premièrement, le gouvernement devrait jouer cartes sur table, présenter franchement cette mesure et s'en remettre à la population, puisqu'il aura été honnête avec elle.

Nous croyons que si le ministre agissait ainsi, la mesure ne serait pas adoptée et que les cotisations d'assurance-emploi reviendraient à leur niveau d'équilibre cyclique. C'est ce qui se passerait, à notre avis. Si la mesure était ouvertement proposée à la population et au Parlement, et si la population et le Parlement considéraient que c'est là la meilleure chose à faire, comme je l'ai dit, nous serions déçus, mais c'est la vie. Nous ne pouvons pas être toujours d'accord.

Nous proposons qu'on laisse les cotisations revenir à leur niveau d'équilibre cyclique. Nous ne trouvons rien de très grave à redire à la politique actuelle. Évidemment, les cotisations de l'assurance-emploi sont nécessaires et elles devraient être à leur niveau d'équilibre cyclique. Nous n'avons aucune difficulté à accepter cela.

Le président: Avez-vous une dernière question à poser?

Mme Karen Redman: Oui, j'aimerais poursuivre sur ce sujet. L'assurance-emploi est une question très complexe, et je crois que personne ici n'en doute, et il me semble que vous parlez seulement d'une partie de l'équation.

Je me demande si plutôt que d'examiner la conséquence logique de la fin du statu quo, dont vous avez parlé, il ne faut pas envisager de modifier une autre partie de cette équation, par exemple modifier l'assurance-emploi de façon à régler certaines des préoccupations que vous avez mentionnées, le déséquilibre du fardeau pour les femmes et les pauvres qui travaillent, les personnes à faible revenu. Est-ce que cela répondrait aux voeux de votre organisation en matière de transparence, ou est-ce que vous ne tenez vraiment compte que des chiffres?

Mme Sharon Glover: Je crois que les charges sociales sont en générale régressives, et qu'il serait extrêmement difficile d'en exempter les femmes et les personnes à faible revenu. Vous créeriez ainsi une situation intenable.

Ce qu'il vous faut, c'est un autre type de taxe. Les charges sociales, par nature, sont parmi les pires taxes que vous pouvez percevoir. En effet, que l'on fasse ou non de l'argent, il faut les payer. À l'heure actuelle, les gens font de l'argent et vous n'en entendez pas beaucoup parler. C'est lorsque les temps sont durs que les charges sociales font le plus de mal.

Mme Karen Redman: Il y a une prestation, c'est la prestation d'assurance-emploi. Ma question porte donc essentiellement sur... Je ne veux pas laisser entendre que nous devrions simplement isoler ces groupes, mais si nous examinons le problème de façon holistique plutôt que... Nous convenons tous qu'il n'y a pas de compte distinct en réalité. Nous convenons tous qu'il semble bien y avoir des fonds. Plutôt que de simplement chercher à réduire cette taxe, nous pourrions envisager d'utiliser les recettes produites par cette taxe et modifier les prestations auxquelles ont droit les personnes qui paient des cotisations, est-ce que cela répondrait aux souhaits de votre organisation en matière de transparence?

Mme Sharon Glover: Non, certainement pas.

Le président: Paul, vous vouliez ajouter quelque chose?

[Français]

M. Paul Crête: J'ai juste un commentaire. On se sert de cet argent dans la lutte au déficit et on limite la contribution aux gens qui gagnent 35 000 $ et moins. À ce moment-là, tous ceux qui gagnent plus de 39 000 $ ne contribuent pas à la lutte au déficit dans votre logique.

[Traduction]

Le président: Au nom du comité, j'aimerais vous remercier, monsieur Orr et madame Glover. Évidemment, vous avez réussi à susciter tout un débat, si j'en juge par les questions, et je vous remercie infiniment de la contribution que vous avez faite au projet de loi C-36.

M. Dale Orr: Merci.

Le président: Nous allons lever la séance une minute.

• 1049




• 1055

Le président: Reprenons la séance. Je demande aux membres du comité de bien vouloir revenir à la table.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Laurel Rothman, représentant de Campagne 2000; à Cindy Carson, coordonnatrice provinciale de First Call; à Armand Brun, vice-président du Conseil national du bien-être, ainsi qu'à Steve Kerstetter et à Joanne Roulston, respectivement directeur et agente de recherche principale et conseillère en politique de cet organisme.

Vous avez sans doute tous témoigné devant des comités auparavant. Vous avez une dizaine de minutes pour présenter un exposé, après quoi nous passerons à la période de questions.

Nous allons aussi veiller à ce que M. Crête mette fin à sa conversation téléphonique, parce que la séance reprend.

Merci. Monsieur Brun, vous avez la parole.

[Français]

M. Armand Brun (vice-président, Conseil national du bien-être social): Merci, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs.

Je m'appelle Armand Brun et je suis de Shediac, au Nouveau-Brunswick. Je suis vice-président du Conseil national du bien-être social. M. Steve Kerstetter, le directeur du Conseil, et Mme Joanne Roulston, l'attachée de recherche du Conseil, m'accompagnent ce matin.

Le Conseil national du bien-être social est un organisme consultatif de citoyens auprès du ministre du Développement des ressources humaines pour le conseiller sur des questions touchant les pauvres. Le Conseil présente habituellement ses recommandations au ministre sous forme de rapports dont le public peut se procurer des exemplaires gratuitement.

L'an dernier, nous avons publié un rapport intitulé Prestations pour enfants: un petit pas en avant, dont j'aimerais vous livrer quelques-unes des recommandations.

Nous avons dit que les gouvernements provinciaux et territoriaux devaient envisager de faire profiter les familles qui vivent de l'assistance sociale de l'augmentation des fonds affectés aux prestations fédérales pour enfants au lieu de récupérer ces augmentations et de réinvestir les fonds ainsi économisés.

Notre souci demeure toujours d'améliorer les prestations aux familles avec enfants qui sont dépendantes de l'aide sociale. Il y a environ un million et demi d'enfants pauvres au Canada. Environ deux tiers de ces enfants, soit environ un million, appartiennent à des familles recevant de l'aide sociale. Ces enfants perdront l'augmentation de la prestation fédérale pour enfants, car les provinces et les territoires la récupéreront.

Quand nous avons fait ces calculs, nous avons été surpris de voir combien peu d'enfants profiteraient réellement de l'augmentation de la prestation fiscale pour enfants. En particulier, nous avons été déçus de constater que très peu d'enfants appartenant à des familles monoparentales pauvres verraient leur sort s'améliorer après le 1er juillet, qu'environ la moitié des enfants de familles pauvres comptant deux parents verraient leurs prestations augmenter et que seulement de 12 à 13 p. 100 des enfants pauvres vivant dans une famille monoparentale recevraient une aide. De plus, étant donné que la plupart des familles monoparentales sont dirigées par la mère, le programme semble adopter un préjugé envers les femmes.

Nous avons donc recommandé que les gouvernements provinciaux et territoriaux qui insistent pour récupérer ces augmentations sur les prestations des familles bénéficiaires de l'assistance sociale s'entendent sur des lignes directrices précises concernant le réinvestissement de fonds dans d'autres programmes s'adressant aux familles avec enfants. Ils devraient également fournir la preuve que les sommes ainsi réaffectées représentent de nouvelles ressources pour ces programmes et non pas des sommes qui auraient été dépensées de toute façon.

Les lignes directrices relatives aux sommes réinvesties par les gouvernements provinciaux et territoriaux sont très vagues; les programmes sont simplement censés contribuer à prévenir et à réduire la pauvreté des enfants, de même qu'à inciter les assistés sociaux à travailler. D'après les descriptions que nous avons vues jusqu'à maintenant, certains programmes annoncés par les provinces et les territoires semblent acceptables, mais d'autres sont douteux. Les sommes réinvesties sont relativement faibles, et il ne semble pas y avoir de système en place pour garantir que les fonds allant à ces programmes équivalent aux prestations récupérées.

• 1100

Partout au Canada, les prestations d'aide sociale sont insuffisantes. Bien que les services et les programmes offerts aux familles ayant des enfants à charge puissent avoir leur utilité, l'aide dont les familles pauvres ont le plus besoin est le soutien de revenu.

Nous avons recommandé que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux cessent tous de sabrer dans les programmes sociaux dont bénéficient les personnes à faible revenu.

Le Conseil voudrait qu'on lui donne l'assurance absolument ferme que les provinces et les territoires n'utiliseront pas la prestation fiscale pour enfants comme prétexte pour réduire encore davantage les prestations d'aide sociale. Il y a à peine deux semaines, nous apprenions que l'Ontario avait décidé d'éliminer une allocation destinée aux femmes enceintes touchant des prestations d'aide sociale et de la remplacer par un service. Ce genre d'action ne devrait jamais être toléré.

[Traduction]

Notre rapport recommandait que la nouvelle prestation fiscale canadienne pour enfants qui est proposée soit totalement indexée en fonction de l'augmentation du coût de la vie. Nous recommandions aussi que les deux ordres de gouvernement entament des discussions au sujet des prestations pour enfants et d'autres questions de politique sociale avec les Canadiens et les Canadiennes.

Nous demandons instamment au gouvernement fédéral que les discussions sur la deuxième phase de la nouvelle prestation pour enfants soit beaucoup plus ouverte que celles de la première phase. Quatorze mois après la première annonce dans le discours du budget de 1997, nous ne connaissons pas encore précisément les répercussions de la nouvelle prestation pour enfants et nous n'avons encore aucune vue complète des projets de réinvestissement des provinces et des territoires.

Une question que nous n'avons pas évoquée dans notre rapport de 1997, mais qui est également importante, est celle de savoir ce qu'il adviendra des familles dont le revenu provient de l'aide sociale et d'un emploi. Est-ce qu'elles profiteront des prestations majorées ou celles-ci seront-elles alors récupérées par les provinces ou les territoires? Selon les estimations du conseil, les familles qui touchent à la fois des prestations d'aide sociale et un revenu d'emploi représentent une part importante de la population pauvre.

Le graphique ci-joint représente les données qui proviennent du rapport Profil de la pauvreté 1996, qui sera publié sous peu. Ces données démontrent qu'il y a à peu près autant de couples pauvres avec enfants qui ne vivent que de prestations d'aide sociale, que de couples semblables qui vivent à la fois de prestations d'aide sociale et d'un revenu d'emploi—soit 14 p. 100 de chaque groupe. Le pourcentage des mères chefs de famille pauvre qui dépendent uniquement de l'aide sociale est de 45 p. 100, mais 20 p. 100 de ces mères touchent à la fois des prestations d'aide sociale et un revenu d'emploi. La prestation fiscale pour enfants est censée aider les gens qui veulent passer de l'aide sociale à un emploi. En ce qui concerne les familles avec enfants, un emploi peu rémunérateur à temps plein ne réussira peut-être pas à les libérer de l'aide sociale, mais cela aidera. Bien des gens sont fiers de pouvoir travailler, même s'ils comptent encore sur l'aide sociale pour joindre les deux bouts. Le conseil croit que les gens qui veulent travailler et qui ont trouvé un emploi devraient être encouragés et aidés.

Les membres du comité savent, bien sûr, que les prestations d'aide sociale sont réduites à mesure que le revenu d'emploi augmente. Rien ne nous garantit de façon certaine que les familles dont le revenu provient à la fois de l'aide sociale et d'un emploi ne perdront pas l'augmentation de leurs prestations fiscales pour enfants aux mains des provinces et des territoires. À notre avis, il serait extrêmement injuste d'enlever cette prestation aux familles.

Nous avons calculé les revenus pour les familles qui ont des revenus d'emploi et des prestations d'aide sociale selon plusieurs scénarios représentatifs, et des taux des prestations d'aide sociale représentatifs, des exemptions de gain représentatives. Les gens à l'aide sociale ont habituellement un emploi au salaire minimum ou un emploi peu rémunérateur. Ces scénarios montrent, dans chaque cas, que l'incitatif à travailler est très faible. Cette question a été soulevée à maintes reprises par le conseil dans ses rapports précédents. D'après nos calculs, l'incitatif à travailler s'intensifie si les familles peuvent garder l'augmentation de la prestation fiscale pour enfants, mais l'incitatif augmente seulement du montant courant de l'augmentation de la prestation pour enfants.

Par exemple, le revenu d'une famille avec un enfant augmenterait de 50 $ par mois, tandis qu'une famille ayant deux enfants profiterait d'une augmentation de 84 $ par mois. Même si ces montants sont minimes, ils ont un impact considérable sur un budget serré, et le principe d'encourager les gens à travailler est très important. Nous devons cependant mentionner que les parents qui ont un emploi au salaire minimum ou un emploi peu rémunérateur, même à temps plein, auront un besoin incessant de soutien du revenu et vivront toujours sous le seuil de la pauvreté.

Le conseil recommande que lorsque les parents touchent des prestations d'aide sociale et que leurs gains sont plus élevés que le niveau des exemptions dans les programmes d'aide sociale provinciaux et territoriaux, ils puissent conserver les augmentations de leurs prestations fiscales pour enfants. À moins que nous ne puissions assurer qu'ils la conserveront, les parents qui reçoivent de l'aide sociale seront victimes d'une double malchance, ce qui irait à l'encontre de l'objet même des nouvelles dispositions.

• 1105

La dernière question que nous désirons invoquer devant le comité est celle de savoir comment seront dépensés les prochains 850 millions de dollars du gouvernement fédéral.

Nous entrevoyons trois options. La première consiste à consacrer tout l'argent à des prestations destinées aux familles où les parents travaillent et à récupérer les prestations versées aux familles qui reçoivent de l'aide sociale. Le conseil n'a jamais appuyé cette idée. Deuxièmement, on pourrait indexer toute la prestation fédérale pour enfants en vue d'offrir une protection complète contre les augmentations du coût de la vie. C'était là l'une de nos recommandations en 1997. Troisièmement, on pourrait utiliser en tout ou en partie les 850 millions de dollars pour augmenter les prestations de base. Autrement dit, en donner un peu plus à tous les prestataires actuels, et non pas seulement aux pauvres qui travaillent.

Dans tout cela, nous aimerions qu'il y ait un débat ouvert au public au sujet de ces options et d'autres possibilités avant que le gouvernement fédéral ne décide de la façon d'aller de l'avant. Comme le conseil tiendra une autre réunion à la fin de mai, nous pourrons par la suite vous expliquer notre préférence de façon beaucoup plus détaillée.

Au nom de tous les membres du Conseil national du bien-être social, je voudrais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de discuter de ces questions importantes.

Ce matin, je remplace au pied levé notre président, qui est hospitalisé. Je ne suis pas totalement familier avec les détails de ce dossier et j'ai donc demandé à deux membres du conseil de m'accompagner; ils répondront à ma place aux questions qui ne sont vraiment pas de mon ressort.

Le président: Je dois d'abord dire que vous êtes très bien appuyé.

M. Armand Brun: Merci.

Le président: Le témoignage suivant est présenté par Laurel Rothman, membre du conseil d'administration de l'Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance et coordonnatrice de la Campagne 2000 en Ontario.

Mme Laurel Rothman (membre du conseil d'administration, Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance, et coordonnatrice de la Campagne 2000 en Ontario): Bonjour. Je représente aujourd'hui la Campagne 2000 parce que Rosemary Popham ne pouvait venir. Je suis la coordonnatrice de ce projet en Ontario.

La plupart d'entre vous connaissent sans doute bien notre organisation, mais je vais rapidement vous rappeler que Campagne 2000 a pour mandat d'éduquer et de sensibiliser la population. L'organisation rassemble plus de 60 partenaires nationaux, provinciaux et communautaires. Elle a été créée en 1991 dans le but de promouvoir la résolution adoptée à l'unanimité par tous les partis pour mettre fin à la pauvreté chez les enfants d'ici l'an 2000, une échéance qui se rapproche dangereusement, et de veiller à ce que tous les députés respectent leur engagement.

J'aimerais soulever un point technique mineur au sujet du projet de loi qui a récemment été déposé et répondre à quelques questions connexes. Dans Crossroads for Canada, nous avons défini les mesures qui nous paraissent nécessaires pour adopter ce que nous appelons une approche de la pauvreté chez les enfants axée sur le cycle de vie. Nous mettons au défi les gouvernements canadiens—et par cette expression nous voulons dire les deux ordres supérieurs de gouvernement—de trouver la volonté d'investir dans un ensemble d'initiatives axées sur le cycle de vie des enfants et de leurs familles, en fonction d'un mandat et dans un cadre similaires à ceux des programmes et services mis sur pied à l'intention des personnes âgées depuis une trentaine d'années.

Je crois que nous examinons d'importants investissements publics et, à plus long terme, il faut espérer que nous serons en mesure de les faire. Les grandes initiatives que nous avons étudiées et proposées comprennent une prestation complète pour enfants, ce qui abolirait la pauvreté chez les enfants, aiderait à prévenir la pauvreté et relèverait le niveau de vie des familles à revenu modeste et moyen. Je pense que nous appuyons une bonne partie de ce que le Conseil national du bien-être a déclaré.

Pour le dire en termes fort simples, nous ne pensons pas que le mur de l'aide sociale constitue le principal obstacle à surmonter. De nombreuses familles oscillent constamment entre la main-d'oeuvre peu rémunérée et l'aide sociale, et certaines chevauchent fréquemment les deux systèmes. Nous reconnaissons donc que les familles à revenu modeste, les familles inscrites à l'aide sociale et les pauvres qui travaillent ont besoin de la sécurité du revenu, mais nous soutenons qu'il existe d'autres options. Je vais brièvement les passer en revue.

Nous avons aussi proposé un système d'avance de paiement d'aliments, semblable à ce qu'offrent un certain nombre de pays d'Europe de l'Ouest, qui remettrait la moitié des paiements de pension alimentaire pour enfants aux parents à faible revenu et à revenu modeste qui ont la garde des enfants, en général les mères, et le gouvernement fédéral serait chargé de recouvrer le total du paiement auprès du parent qui n'a pas la garde.

• 1110

La troisième initiative prévoyait une enveloppe nationale pour mettre sur pied un système complet de services de garde et d'éducation à l'intention de la petite enfance. Nous reconnaissons la complexité de cet engagement, mais nous voulons aussi insister sur le fait que les jeunes enfants ont les mêmes besoins développementaux de base dans toutes les régions du pays, et nous pensons que le gouvernement fédéral pourrait assumer un rôle important dans ce domaine.

Notre quatrième initiative consistait en un fonds national pour l'éducation des jeunes, afin de garantir à chaque adolescent qui a le niveau scolaire requis d'obtenir une aide financière pour poursuivre ses études et décrocher un premier diplôme postsecondaire. À notre avis, il faudrait que l'État fournisse environ 20 000 $ pour quatre années d'études à temps plein. À l'époque où nous avons rédigé cette proposition, cela représentait de 70 à 75 p. 100 des coûts, mais à l'heure actuelle, il s'agit peut-être seulement de la moitié des coûts.

Nous avons ensuite précisé certaines de nos idées dans «Mission for the Millennium», un document que nous avons publié en 1997, et le gouvernement a ultérieurement annoncé le Programme national en faveur des enfants, un projet actuellement mis en oeuvre par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Je crois que cette initiative offre une excellente occasion de collaborer au sujet des priorités touchant les enfants et les familles.

Premièrement, j'aimerais parler de la prestation fiscale canadienne pour enfants. Je veux faire un commentaire précis au sujet d'une des modifications techniques, selon ce que j'en comprends, et cela a trait à la question de la protection des renseignements personnels.

Il a été difficile d'obtenir des fonctionnaires des renseignements au sujet de cette mesure inscrite dans le projet de loi. Il a fallu effectuer de nombreux appels. Je confesse que je ne connais peut-être pas tous les détails, mais d'après ce que je comprends la modification entraînera la communication de renseignements contenus dans les rapports d'impôt de toutes les familles qui reçoivent la prestation fiscale pour enfants non seulement à d'autres ministères du revenu, mais aussi aux ministères responsables des services sociaux.

Si tel est bien le cas, et j'insiste sur le fait que je n'ai peut-être pas toute l'information, nous aurons beaucoup de difficulté à l'accepter. Évidemment, nous voulons que le caractère confidentiel des données sur le revenu des particuliers soit protégé et nous croyons que ces données ne devraient jamais sortir des ministères du revenu. Je pense que cela résume notre position à ce sujet.

Pour ce qui est de la prestation fiscale elle-même, notre position se rapproche de celle du Conseil national du bien-être. La bonification de la prestation fiscale pour enfants est un très modeste début, elle donne l'impression de réduire la pauvreté mais il est plus exact de dire qu'il s'agit d'une mesure de réduction de l'aide sociale. Sous sa forme actuelle, le projet semble accorder des prestations supplémentaires aux pauvres qui travaillent. Il faudrait plutôt dire qu'il accorde des prestations supplémentaires, mais apparemment au détriment des prestataires de l'aide sociale. Je sais que l'on nous a promis qu'aucun prestataire de l'aide sociale ne verrait sa prestation réduite en deçà de ce qu'il touche déjà, mais nous nous inquiétons du climat ainsi créé, dans lequel certains groupes défavorisés sont perçus comme moins importants que d'autres groupes. En outre, la fausse dichotomie ainsi créée n'est guère propice à la cohésion sociale que nous considérons comme un but.

Nous nous interrogeons aussi, et il serait utile de préciser ce point aujourd'hui, sur ce qui se passe dans de trop nombreuses familles à faible revenu—vous avez fourni quelques statistiques et il est difficile d'obtenir ces statistiques. Ces familles reçoivent une aide sociale plus ou moins importante et font aussi partie de la population active et, malgré ces deux sources de revenu familial, elles sont toujours sous le seuil de la pauvreté.

Nous présentons donc plusieurs recommandations, notamment que la prestation de base soit accrue afin que les prestataires de l'aide sociale et les familles à revenu modeste en profitent. Nous pensons qu'il faut revoir les chiffres et nous savons que vous êtes parfaitement en mesure de le faire.

Nous attendons avec impatience un engagement pluriannuel, à compter du budget de 1998, qui ajoutera des fonds supplémentaires aux 850 millions de dollars annoncés en 1998. Je veux rappeler qu'en août dernier, lors de leur rencontre, les premiers ministres ont manifesté de l'intérêt à cet égard. Ils ont affirmé qu'ils avaient besoin de 2,5 milliards de dollars pour commencer à progresser. Nous aimerions que le gouvernement fédéral s'engage à faire une contribution qui permettrait de porter la prestation fiscale pour enfants à 4 000 $ par enfant dans un proche avenir.

• 1115

Nous aimerions aussi un engagement sérieux au sujet de l'indexation, une question qui, nous le savons, a été discutée tout récemment. Le concept, à tout le moins, a été mis aux voix à la Chambre. Je veux simplement vous rappeler qu'un tel engagement a été pris, du moins à un certain niveau, au sujet des prestations actuelles et, d'après ce que je sais, des prestations proposées à l'intention des personnes âgées. L'idée n'est pas nouvelle, mais nous pensons qu'elle est importante. Nous estimons que le coût n'en est pas exorbitant. D'après ce que je sais, il s'agirait de 115 à 200 millions de dollars par année.

Certainement, la pierre angulaire d'une approche axée sur le cycle de vie demeure la sécurité du revenu, mais nous affirmons aussi que l'absence de services de garde et d'éducation de grande qualité pour la petite enfance constitue un obstacle important dans le cas des familles qui veulent réintégrer le marché du travail, profiter d'une formation et se sortir de la pauvreté.

Je dois ajouter que les stratégies de réinvestissement qui ont été annoncées récemment dans un communiqué des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux, au mois de mars, n'indique en matière de financement ni politique ni changement ni ajout notable qui permettrait d'offrir des services améliorés.

Certains d'entre vous pensent peut-être que l'engagement de l'Ontario, qui va investir dans un crédit d'impôt pour les services de garde, représente un pas dans cette direction. Nous exprimons de sérieuses réserves à cet égard. C'est une utilisation non comptabilisée des fonds. Il ne s'agirait que d'environ 400 $ par année, et nous n'avons aucune garantie quant à la qualité des services que ce financement modeste permettra d'obtenir. Nous sommes fort déçus que seulement une province ait, effectivement, promis de réinvestir dans des services de garde et d'éducation de qualité à l'intention de la petite enfance.

Nous espérons aussi que lorsque vous préparerez le budget de l'an prochain vous commencerez à définir un cadre stratégique en matière de services de garde et d'éducation à la petite enfance et que le budget fédéral de 1999 contiendra une allocation précise dans ce domaine.

Dans un autre rapport récent, la Direction de la condition féminine a montré que nous perdions du terrain au chapitre des services de garde. La situation commence à se détériorer dans de nombreuses régions du pays, et nous ne pouvons pas nous permettre une telle évolution.

L'approche que nous proposons est axée sur le cycle de vie et comprend des mesures proactives, des stratégies visant le marché du travail et le logement. Je vais essayer d'être brève et mentionner seulement que nous voulons mettre l'accent sur cet aspect parce qu'un examen récent des salaires annuels a révélé que 25 p. 100 de tous les emplois sur le marché du travail payaient moins de 10 $ l'heure et que plus de 36 p. 100 des mères chefs de famille monoparentale essaient de faire vivre leur famille avec un salaire de moins de 10 $ de l'heure.

Vous le savez sans doute, 10 $ l'heure pour une semaine de 35 heures, cela donne environ 18 000 $ par année. Nombre de ces personnes n'ont pas le droit de recourir à des garderies subventionnées. Souvent, elles n'ont pas accès à un logement à prix abordable et elles ne peuvent pas profiter de la déduction pour frais de garde parce que leur fournisseur de services n'est pas inscrit et ne leur donne pas de reçu. Elles sont donc coincées. Elles sont peut-être passées de l'aide sociale au marché du travail, mais elles sont demeurées pauvres.

Je vais vous donner encore un exemple, rapidement, car le temps qui m'est alloué est sans doute déjà écoulé. Il suffit de regarder ce qui s'est passé au Wisconsin, a souvent cité comme modèle d'assistance travail. En fait, le nombre de cas inscrits à l'aide sociale a diminué de 20 p. 100, mais parallèlement le niveau de la pauvreté chez les enfants a augmenté. Le Wisconsin venait autrefois au cinquième rang pour ce qui est de la pauvreté chez les enfants aux États-Unis; aujourd'hui, il se classe au 22e rang.

Certains d'entre vous ont peut-être aussi vu la récente série au sujet de l'assistance travail dans l'État de New York. Nous pouvons peut-être en parler au cours de la discussion. Cette évolution est elle aussi inquiétante.

Je pense que nous devons mettre en oeuvre des initiatives publiques pour créer un salaire minimal de base, qui donnera aux parents suffisamment d'argent pour faire vivre une famille, et pour revenir à une économie mixte où le gouvernement crée directement des possibilités d'emploi au sein des collectivités. Nous espérons en outre voir un examen de la situation du logement des familles défavorisées et nous vous prions d'envisager un engagement au titre de l'investissement social dans ce domaine.

Je m'arrête ici.

Le président: Merci beaucoup, madame Rothman.

Nous allons maintenant écouter Cindy Carson, coordonnatrice provinciale de First Call. Soyez la bienvenue.

Mme Cindy Carson (coordonnatrice provinciale, First Call): Merci beaucoup.

First Call est une coalition de 40 organisations provinciales et de centaine de groupes communautaires de la Colombie-Britannique qui militent afin que soient adoptées des lois, des politiques et des pratiques qui permettront aux enfants et aux jeunes de pleinement s'épanouir et de participer à l'édification d'un monde meilleur. Nous croyons que les enfants et les jeunes devraient être les premiers bénéficiaires des ressources de la société.

• 1120

Je vous remercie de nous avoir invités à prendre la parole devant vous aujourd'hui au sujet du projet de loi C-36, partie 9.

Le gouvernement a déclaré que la prestation fiscale pour enfants aidera tous les enfants qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Nous acceptons sans réserve ce concept et nous reconnaissons que le gouvernement a alloué 850 millions de dollars et promis 850 millions de dollars de plus à ce projet.

Nous reconnaissons en outre que la prestation fiscale canadienne pour enfants constitue une façon plus efficace que d'autres mesures d'aide d'allouer les prestations aux familles à faible revenu. En effet, les recettes fiscales générales profitent toujours plus aux riches. Des réductions de l'impôt sur le revenu, par exemple, donneraient aux familles les plus à l'aise 22 fois plus d'avantages qu'aux familles les plus pauvres.

J'aimerais parler de certaines de nos réserves au sujet du projet de loi C-36, partie 9, car ce projet de loi ne contient guère de mesures qui aideront les enfants pauvres. Il s'agit essentiellement d'un projet de loi qui permet aux gouvernements provinciaux d'enlever aux familles qui reçoivent de l'aide sociale le supplément de la prestation fiscale pour enfants.

La première partie du projet de loi est une formule complexe qui abolit l'ancienne prestation pour enfants et l'amalgame à l'ancien supplément du revenu gagné. En raison de la complexité de cette formule, les familles auront de la difficulté à déterminer si elles reçoivent bien tout ce qui leur est dû. Elles devront compter sur d'autres personnes pour effectuer ces calculs. Une formule complexe entraînera aussi plus d'erreurs et engendrera des appels.

Le fait de recourir au système pour calculer les prestations crée par ailleurs des retards. Les familles dont la situation a changé pourraient devoir attendre jusqu'à un an et demi avant de toucher ce qui leur est dû. Prenons par exemple une famille à deux revenus dont le revenu total est supérieur au niveau admissible. À la fin de décembre, un des conjoints perd son emploi. Cette famille doit maintenant subsister avec un seul revenu, peu élevé, et elle aurait droit à ces prestations—de fait, elle en aurait désespérément besoin—mais elle ne les touchera pas avant 18 mois. Qu'arrive-t-il aux enfants dans un tel système?

Apparemment, dans le cadre de groupes de discussion, des personnes à faible revenu ont affirmé que le risque de se trouver dans cette situation valait mieux que de devoir présenter une déclaration mensuelle de revenu, qui donne au système d'aide sociale un caractère trop punitif. Certains en ont donc conclu que les retards étaient acceptables.

Mais il y a peut-être une interprétation différente. On pourrait déduire de ces discussions que l'aide sociale est un système trop punitif. Il existe de meilleures méthodes pour aider les enfants pauvres, des méthodes qui n'ont pas de caractère punitif et qui pourraient être beaucoup plus simples, par exemple des paiements accordés à toutes les familles qui ont des enfants, dans un régime fiscal progressif.

L'autre partie du projet de loi, la partie 9, article 97, porte sur l'abolition du droit à la vie privée. On a voulu nous faire croire que le projet de loi permettrait à Revenu Canada de fournir aux provinces de l'information fiscale sur toutes les familles à faible revenu qui touchent la prestation fiscale pour enfants. En principe, cette information serait fournie dans l'espoir que les provinces l'utiliseraient uniquement pour calculer le montant à déduire du soutien du revenu.

Si nous pensons pouvoir communiquer si librement l'information fiscale relative à ces personnes, pourquoi est-ce que nous ne le faisons pas dans d'autres cas, par exemple pour les médecins que l'on a accusés de facturer en trop le régime d'assurance-maladie?

Non seulement ces familles qui vivent de l'aide sociale ne tirent aucun avantage de la prestation fiscale pour enfants, mais encore elles perdent leur droit à la vie privée.

Le projet de loi établit une discrimination entre les familles, d'après la source de revenu des parents. Il donne le droit aux provinces de déduire, très exactement, le supplément de prestation accordé aux familles qui reçoivent de l'aide sociale. C'est une façon pour les provinces de récupérer une partie des sommes qu'elles ont perdues lors de l'élimination du Régime d'assistance publique du Canada.

En principe, les provinces utiliseront cet argent pour financer des programmes à l'intention des pauvres qui travaillent. Nous comprenons que l'un des effets de ce mécanisme est que seulement 13 p. 100 des chefs de famille monoparentale profiteront de la mesure. Cela équivaut à enlever de l'argent au groupe des enfants les plus pauvres au profit d'enfants qui sont à peine moins pauvres qu'eux. First Call considère cette discrimination inacceptable.

En raison de nos préoccupations, nous avons récemment envoyé une pétition au premier ministre de la Colombie-Britannique pour lui demander de permettre aux familles qui vivent de l'aide sociale de conserver intégralement la prestation fiscale pour enfants. Nous avions prévu de recueillir 2 000 signatures, et nous avons été surpris d'en recueillir 3 800 dans 96 collectivités de la Colombie-Britannique. La population est consciente de l'injustice inhérente que présente ce projet de loi.

Pour justifier cette discrimination, on prétend que l'aide sociale est un mur qui fait qu'il est plus intéressant de percevoir de l'aide sociale que de travailler. C'est un faux raisonnement. Nous savons que la majorité des familles qui vivent de l'aide sociale cessent d'en être tributaires en moins d'un an et que les taux de chômage élevés et les disparitions d'emplois à temps plein et adéquatement rémunérés sont les principaux facteurs de la pauvreté.

Un des grands reproches que l'on peut faire à la partie 9 porte sur ce qui n'y est pas dit. Dans cette partie, on n'aborde pas la question des allocations trop modestes et le fait qu'il n'y a aucun engagement à long terme pour vraiment s'attaquer à la pauvreté chez les enfants. On n'y mentionne pas non plus la non-indexation.

• 1125

Les prestations supplémentaires sont si faibles qu'une famille qui a un enfant ne recevra au maximum que 105 $ de plus par année. Si l'objectif de la prestation fiscale pour enfants est de corriger la pauvreté des enfants, comme il se devrait, alors nous devons élaborer un régime complet de prestations pour enfants, sur le modèle proposé par Campagne 2000.

Un tel système coûtera 12,8 milliards de dollars de plus, ce qui, si on y ajoute la prestation de base actuelle, représenterait une dépense totale de 18,2 milliards de dollars.

Pour mettre ce chiffre en contexte, disons que cela sera encore moins que les 25,4 milliards de dollars prévus pour les nouvelles prestations aux personnes âgées en l'an 2001. Les prestations à l'intention des personnes âgées témoignent du fait qu'en tant que nation, nous pouvons prendre des engagements sérieux pour combattre la pauvreté. Il nous faut être sérieux au sujet de la pauvreté des enfants.

Nous avons été extrêmement déçus des résultats du vote récent au sujet de l'indexation. Nous remercions tous ceux qui ont voté en faveur de cette mesure. Les architectes de la nouvelle prestation fiscale canadienne pour enfants affirment qu'aucune famille vivant de l'aide sociale ne se trouvera dans une situation plus difficile encore. Pourtant, la valeur des prestations d'aide sociale diminuera chaque année en raison de l'inflation, tout comme celle de la prestation pour tous les enfants.

Comment pouvez-vous, d'une part, affirmer que vous voulez combattre la pauvreté des enfants et, d'autre part, accorder un pourcentage de plus en plus faible de la richesse nationale à mesure que les années passeront? Même ce que l'on appelle l'argent neuf, les 1,7 milliard de dollars, suffisent à peine à combler les pertes attribuables à l'inflation depuis les années 80.

Certains ont soutenu que la prestation fiscale canadienne pour enfants est une façon de permettre à tous les enfants de quitter les rangs de l'aide sociale. On estime que les enfants inscrits à l'aide sociale touchent 2 500 $ par année. À mesure que la prestation s'approche de ce niveau, il y a un transfert des provinces au gouvernement fédéral au titre du soutien du revenu des enfants dans le besoin.

Toutefois, il ne faut pas confondre faire sortir les enfants de l'aide sociale et les sortir de la pauvreté. Tant que les prestations ne seront pas supérieures à 2 500 $, les enfants inscrits à l'aide sociale ne verront aucune amélioration et continueront à vivre dans une pauvreté débilitante.

Nous oublions aussi que les enfants vivent dans des familles. Si nous ne voulons pas que les enfants grandissent dans la pauvreté, nous devons veiller à ce que leurs familles ne soient pas pauvres.

En conclusion, pour éliminer de façon efficace, économique et simple les problèmes que présente le projet de loi, il faudrait remplacer la prestation proposée par une prestation mensuelle généreuse à toutes les familles qui ont des enfants, puis, grâce à l'impôt sur le revenu, reprendre une partie de cet argent dans le cadre d'un régime fiscal progressif. De telles prestations mensuelles ne déprécieraient pas certains citoyens, elles seraient faciles à administrer et elles aideraient efficacement les enfants des familles à faible revenu.

En outre, pour vraiment corriger la pauvreté, il nous faut des politiques qui mettront l'accent sur une économie de plein emploi, offrant des emplois à temps plein adéquatement rémunérés et un filet de sécurité sociale non punitif qui garantit aux familles un revenu total suffisant.

Si le projet de prestation fiscale canadienne pour enfants est adopté, First Call recommande que le gouvernement fédéral porte la prestation de base à un maximum annuel de 4 200 $ par enfant dans le cas des familles à faible revenu; qu'il indexe les prestations; qu'il interdise aux provinces de déduire la prestation des familles inscrites à l'aide sociale; qu'il intervienne pour dédommager les provinces de la perte au titre des paiements de transfert, mais pas au détriment des enfants les plus pauvres; qu'il définisse des cibles et des plans précis pour atteindre l'objectif que constitue l'élimination de la pauvreté des enfants.

Nous avons besoin de vous maintenant, pour élaborer le budget de l'an prochain et faire en sorte que les enfants deviennent véritablement une priorité et n'aient plus à connaître la pauvreté.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Carson. Vous avez soulevé certaines questions très importantes dans le cadre de votre exposé. Je suis convaincu que nous aurons des questions à vous adresser.

Nous allons commencer par monsieur Ritz.

M. Gerry Ritz: Merci, monsieur le président.

J'ai écouté avec intérêt les exposés de ce matin. Je vous en remercie. Le thème sous-jacent des trois exposés que nous avons entendus est que le soutien le plus important et le plus pressant pour les familles pauvres est le soutien du revenu.

Mais c'est une solution à court terme. À long terme, nous aurons besoin de services d'éducation et de formation pour briser le cercle de la pauvreté. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cela.

En outre, compte tenu du fait que ces programmes sont examinés par deux ordres de gouvernement, de quelle façon pouvons-nous simplifier le système et le rendre plus abordable pour les utilisateurs? Autrement dit, de quelle façon pouvons-nous distribuer l'argent là où on en a besoin?

M. Steve Kerstetter (directeur, Conseil national du bien-être): Monsieur Ritz, c'est une question qui est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.

M. Gerry Ritz: Je n'en doute pas.

M. Steve Kerstetter: J'imagine, cependant, que lorsque vous prenez un peu de recul et examinez les propositions que l'on trouve actuellement dans le projet de loi C-36, vous allez rendre les choses encore plus complexes en prévoyant un système où des prestations seront versées par le gouvernement fédéral et, dans certains cas, reprises par les gouvernements provinciaux ou territoriaux.

Alors si vous aspirez à la simplicité...

M. Gerry Ritz: C'est en partie ce que je dis.

M. Steve Kerstetter: ... cette proposition particulière semble aller dans la mauvaise direction.

• 1130

Notre conseil a très mal accueilli le Transfert canadien de la santé et des programmes sociaux ainsi que le remplacement de l'ancien Régime d'assistance publique du Canada. Nous avons toujours considéré les questions d'aide sociale et de pauvreté comme le genre de défis qui nécessitent des efforts à tous les paliers de gouvernement.

L'un des avantages qu'offrait le Régime d'assistance publique du Canada, par exemple, était l'existence d'un partenariat entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux pour aider un segment de la société. Tout cela a en quelque sorte disparu avec l'avènement du financement global et l'abolition des normes nationales.

Les membres du conseil sont convaincus que le gouvernement fédéral doit verser aux provinces et aux territoires des paiements de transfert raisonnables pour appuyer les programmes de sécurité du revenu en général.

Quant aux provinces et aux territoires, nous croyons qu'ils devraient appuyer des normes nationales minimales. Nous pensons qu'il devrait y avoir des recours garantis, comme c'était le cas à l'époque du RAPC.

En outre, nous aimerions mieux que les gouvernements provinciaux et territoriaux définissent leurs taux d'aide sociale en fonction d'un panier de provisions de biens et services plutôt que simplement à l'estimé ou en modifiant un chiffre déjà établi, parce que, évidemment, l'une des préoccupations de nos membres a trait aux personnes qui vivent de l'aide sociale. Comme vous le savez, l'aide sociale est un dernier recours pour les personnes qui ont épuisé toutes les autres ressources. Nous pensons qu'il n'est que juste que l'on garantisse un niveau de vie raisonnable. La meilleure façon de mesurer cela serait un panier de provisions.

Je pourrais sans doute parler pendant des heures à ce sujet, mais je sais que vous avez d'autres questions à poser.

Le président: Merci. Madame Rothman.

Mme Laurel Rothman: Je veux simplement ajouter que Campagne 2000 est persuadée qu'il nous faut attaquer le problème sur plusieurs fronts. En effet, la sécurité du revenu est la première étape, mais la première étape ne nous mènera nulle part s'il n'y a pas d'autres volets qui viennent s'ajouter. De fait, les garderies sont un élément important.

Certes, dans les domaines où nous avons vu la détérioration la plus marquée dans certaines régions des provinces Atlantique et en Ontario, nous avons... Dans le sud de l'Ontario, par exemple, dans la région métropolitaine de Toronto, il y a au moins 20 000 enfants inscrits à l'aide sociale qui attendent des services de garde de qualité.

À défaut de soutien adéquat, ils ne pourront pas se prévaloir des aspects de la formation, du service communautaire ou du travail, qu'il s'agisse d'assistance travail ou d'emplois rémunérés au sein de la population active.

Je crois donc que si nous voulons examiner toute la gamme des possibilités qui s'offrent aux enfants, au fil des ans, il nous faut adopter une approche concertée. Honnêtement, nous pensons que c'est un rôle important pour le gouvernement fédéral, d'une façon...

Je dirais certainement que Campagne 2000 s'est aussi inquiétée de ce que j'appellerai les retombées du TCSPS et du peu d'encouragements et d'initiatives susceptibles de nous assurer les services complémentaires à la sécurité du revenu.

Je me contenterai de répéter ce que j'ai dit précédemment: une seule province a investi notablement dans les services de garde et d'éducation à l'intention de la petite enfance. C'est ce qui aidera tous les enfants dont les familles sont peut-être actuellement inscrites à l'aide sociale mais qui, dans six mois, seraient intéressées et capables de suivre une formation ou d'accepter un emploi et qui finiront par réintégrer à temps plein le marché du travail.

Pendant les 12 premières années de la vie des enfants, les familles ont besoin d'un certain appui—à des degrés variables—du soutien des services à la petite enfance et notamment des services de garde. Ce soutien n'est pas offert; la situation ne cesse de se détériorer. Évidemment, il y a la question des coûts.

Le président: Madame Carson.

Mme Cindy Carson: Pour ce qui est de l'adéquation du revenu, c'est à court terme, mais il importe vraiment que le revenu soit adéquat. Je ne saurais trop insister là-dessus.

Je ne sais pas de quelle façon nous pouvons supposer que quelqu'un qui n'a pas assez d'argent pour boucler son budget mensuel puisse être en mesure, physiquement ou mentalement, d'aller chercher du travail.

Quand on parle des enfants, il faut comprendre qu'ils souffrent vraiment à cause du système. Ils n'ont pas les ressources nécessaires pour développer leur potentiel au maximum.

Je crois que l'important est de veiller à ce qu'il y ait suffisamment de ressources. Nous devons commencer à investir davantage pour nos enfants.

• 1135

Pour ce qui est de la simplification du système, il serait beaucoup plus simple si les provinces n'étaient pas autorisées à déduire les fonds. Il serait beaucoup plus simple que le gouvernement fédéral procède à un transfert direct aux gens et que les gens gardent cet argent. Ce serait là une façon d'aider à assurer qu'il y a suffisamment de ressources.

[Français]

Le président: Thank you.

Madame Gagnon.

Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Vous voudrez bien m'excuser de mon retard. Ce n'est pas par manque d'intérêt, mais on déposait ce matin une motion de notre jeune député bloquiste qui voulait un débat sur l'écart entre les riches et les pauvres dans un contexte de mondialisation. Je devrai quitter tout de suite après mes questions parce que je dois faire un discours là-dessus.

Je suis heureuse de vous entendre. On suit assez bien les différents textes qui circulent et qui nous sensibilisent, ainsi que le gouvernement, à la pauvreté des enfants et des familles. Comme vous l'avez dit et comme on le sait, il y a eu des coupures dans le Transfert social canadien et des restrictions à l'assurance-emploi. Seulement 36 ou 38 p. 100 des gens y sont admissibles à cause du resserrement des critères. Cela a un impact direct sur les familles.

J'en suis à mon deuxième mandat. Pendant mon premier mandat, j'étais responsable du dossier de la condition féminine. Je peux vous dire que je suis cela de très près et que c'est une question qui me préoccupe au plus haut point. Si on veut que nos enfants aient eux-mêmes des enfants, il faudra qu'il y ait une véritable politique familiale pour les y encourager. Le contexte d'aujourd'hui n'incite pas les jeunes à avoir des enfants, parce qu'avoir des enfants veut dire s'appauvrir.

On a beaucoup réclamé du gouvernement et on sait qu'une motion a été déposée par une députée du Parti progressiste-conservateur sur l'indexation des prestations fiscales pour enfants. On sait qu'il y a un manque à gagner terrible depuis plusieurs années même si le gouvernement fait un effort. Avez-vous comptabilisé les coûts de la non-indexation de la prestation fiscale pour enfants? Combien le gouvernement a-t-il pu récupérer en n'indexant pas cette prestation fiscale pour enfants?

M. Armand Brun: Madame a mentionné plus tôt qu'il y avait un écart de quelque centaines de millions de dollars. Je ne sais pas si c'est exact. J'ai entendu son intervention. Elle a mentionné qu'il y avait une province qui faisait un effort spécial pour les familles, et je pense que c'est le Québec. Je vous en félicite parce que vous avez pris le boeuf par les cornes, comme on dit en français. J'ai félicité un interviewer à ce sujet l'autre jour, à la télévision, à Montréal. Je pense aux places en garderie à 5 $; c'est déjà un début.

Mme Christiane Gagnon: On sait que le fait qu'il y a eu des coupures au Transfert social canadien a empêché le Québec d'adopter une politique plus musclée. Le gouvernement actuellement en place a une préoccupation sociale—la social-démocratie—et souhaite que la redistribution de la richesse se fasse le plus équitablement possible. Les coupures du fédéral nous font mal. Il y a des provinces qui n'ont pas instauré toutes ces mesures et il faudrait peut-être les aider.

On comprend qu'ailleurs au Canada, il y a des provinces où il faut qu'il y ait des mesures venant du gouvernement fédéral parce que ces provinces n'ont pas mis en place toutes les mesures pour aider, à différents niveaux, les familles et les enfants. Le gouvernement fédéral a pu épargner des milliards de dollars en n'indexant pas la prestation fiscale pour enfants ainsi que les tables d'imposition. Il y a aussi le salaire.

J'ai fait faire une recherche et je suis en train de l'analyser. Il s'agit d'une recherche sur le montant que le gouvernement fédéral a épargné en n'indexant pas les prestations fiscales pour enfants ainsi que les tables d'imposition personnelle. C'est plusieurs milliards de dollars. Il y a là une marge de manoeuvre; elle est mince mais elle est là. Quand on est député, on est près de la population, et j'ai l'impression qu'on a traversé la crise. Même si on a un salaire, on a toujours cette insécurité. Pour ma part, je la ressens, comme beaucoup de mes collègues. Je ne sais pas si vous avez ces chiffres-là.

[Traduction]

M. Steve Kerstetter: J'aimerais répondre à ces propos. J'ai lu les remarques de M. Richard Shillington avant les travaux du comité, la semaine dernière. J'estime que ses remarques sur l'indexation étaient assez précises. Je vais reprendre ces chiffres, mais je suis persuadé qu'ils sont exacts.

• 1140

Notre conseil est certainement favorable à une pleine indexation des prestations pour les enfants, tant des augmentations annuelles que de l'indexation du seuil, de sorte que le nombre de personnes admissibles à la pleine augmentation de la prestation augmente parallèlement à l'augmentation de la prestation.

Comme l'a dit M. Brun dans ses remarques, nous pensons que la question de l'indexation serait un sujet de choix de ce comité et des autres parlementaires quand ils examineront la seconde tranche de 850 millions de dollars. Nous souhaitons vivement la tenue d'un véritable débat sur l'indexation et sur les autres options pour l'utilisation de ces fonds.

Nous espérons être en mesure de vous rencontrer de nouveau l'an prochain, ou plus tard cette année, et de vous soumettre d'autres propositions détaillées sur la meilleure façon d'utiliser les 850 millions de dollars.

Nous sommes parfaitement conscients que nous ne ferons pas nécessairement l'unanimité en bout de ligne, mais nous pensons qu'il devrait y avoir un débat public et que l'option devrait faire l'objet d'un examen public avant que le gouvernement décide de la façon de dépenser la seconde tranche de 850 millions de dollars.

Le président: Je vous remercie beaucoup. J'attire votre attention sur le rapport de consultation préalable au budget Maintenir l'équilibre, publié en décembre dernier, qui aborde la question de l'indexation et qui fournit certaines recommandations à ce sujet.

Monsieur Szabo vous avez la parole.

M. Paul Szabo: Je vous remercie beaucoup.

J'ai bien aimé ce que vous avez dit, et je crois que tout cela est formidable. De fait, je prépare une allocution pour jeudi soir, et je voudrais vous donner lecture du dernier paragraphe de mon texte, parce que je crois que vous apprécierez. J'espère que vous l'aimerez.

Voici ce paragraphe:

    Pour toutes ces raisons,

... après avoir formulé toutes ces magnifiques raisons,...

    J'incite fortement le gouvernement du Canada à faire de l'investissement pour les enfants le thème principal du prochain budget fédéral. Dans cette enveloppe, on devrait envisager des initiatives visant, notamment, l'éducation des parents, la nutrition prénatale, le syndrome d'alcoolisme foetal, le développement des jeunes enfants, les programmes communautaires pour enfants et l'imposition des familles qui ont des enfants. Ce ne sont là que quelques éléments d'une politique favorable aux enfants qui aidera à développer des enfants sains et aussi un pays sain.

J'ai aussi rédigé un petit opuscule qui explique pourquoi je pense que les familles fortes sont à la base d'un pays fort. C'est une question qui me tient à coeur parce que je connais l'importance des enfants et parce qu'ils devraient être au premier plan dans notre existence.

Je tiens à vous dire que, selon moi, vous avez soulevé des points intéressants en ce qui a trait à la prestation fiscale pour enfants. Manifestement, la chose la plus importante est de s'assurer que toutes les ressources financières disponibles se rendent bien là où elles sont le plus nécessaires.

Vous pouvez compter que les gens examineront très attentivement les mécanismes pour s'assurer qu'ils ne seront pas compromis par d'autres intérêts.

Toutefois, je voudrais vos observations sur la pauvreté des enfants. Je suis convaincu que pour progresser dans le dossier de la pauvreté chez les enfants, il faut cesser d'utiliser cette expression politique qui appelle la sympathie, alors que dans les faits nous parlons de familles pauvres.

Si nous continuons sur notre lancée, si nous continuons à consacrer des ressources financières aux personnes qui sont dans le besoin, et si nous allons jusqu'au bout dans cette voie, nous en arrivons à une situation de revenu annuel garanti. Eventuellement, il y a un facteur de dissuasion, et c'est à ce moment que les problèmes surgissent.

Malgré tout, personne n'a parlé des parents seuls. Monsieur Brun, vous disiez continuellement les parents célibataires, mais je crois que vous vouliez dire les parents seuls...

M. Armand Brun: Je parlais de parents seuls, bien sûr.

M. Paul Szabo: ... qui représentent environ 12 p. 100 de toutes les familles au Canada. Ils représentent aussi environ 47 p. 100 de tous les enfants qui vivent dans la pauvreté, si on s'en tient au seuil de faible revenu pour les définir.

Pour assurer la crédibilité de nos efforts, je crois qu'il faut nous assurer d'aborder tous les aspects importants des causes du problème. L'éclatement de la famille, un taux de divorce de 30 p. 100 chez les personnes mariées, plus d'un million d'unions libres qui se désintègrent environ 50 p. 100 plus souvent que les mariages conventionnels, autant de situations qui ajoutent aux chiffres que vous mentionnez, soit beaucoup plus que d'autres causes fondamentales de la pauvreté dans notre société.

Je me demande pourquoi vous n'avez pas fait état de ces causes. Vous n'êtes pas ici pour cela, mais vous auriez pu le faire de façon générale, dans la documentation.

• 1145

Je lis toujours les articles concernant Campagne 2000. C'est une lecture intéressante et stimulante, mais je n'y trouve pas grand-chose concernant l'investissement dans la famille. Je crois que cette question mérite une certaine attention. Qu'en pensez- vous?

Mme Laurel Rothman: Premièrement, je dirais que nous parlons fréquemment de la pauvreté chez les enfants et des familles pauvres, mais que nous mettons l'accent sur la pauvreté chez les enfants afin de susciter des réactions émotives face à cette période de la vie au cours de laquelle l'investissement rapporte probablement le plus.

Bien que je n'aime pas ce choix de termes, je sais qu'ils sont importants pour convaincre un large segment du public et de nos élus.

Je dirais que notre approche de cycle de vie traite de questions qui concernent la famille. Prenons par exemple le système de versement d'allocations d'entretien...

Je dirais plutôt que l'on reconnaît, à la fin des années 90, qu'il y a, dans la société occidentale—appelons-la ainsi—bien au- delà du Canada et de l'Amérique du Nord, une variété incroyable de familles et une gamme tout aussi incroyable de styles de vie.

De fait, je me souviens de l'époque où j'étais étudiante de premier cycle, et où nous parlions de la mort de la famille. Cette mort ne s'est pas produite, mais on a assisté à une différenciation de la famille. Il y a eu évolution des valeurs de la société. C'est là où nous en sommes, c'est ce à quoi nous devons faire face et c'est ce à quoi nous réagissons.

Il est entendu que Campagne 2000 reconnaît que notre responsabilité est de réagir à une foule de situations familiales. C'est ce que nous faisons.

Nous espérons que l'approche du cycle de vie donne des résultats, peu importe que vous soyez une famille biparentale, une famille à faible revenu ou une famille à moyen revenu qui se situe tout juste au-dessus de la limite du faible revenu. Ces chiffres sont utilisés à titre d'indication seulement. Peu importe que vous soyez à 1 000 $ au-dessus ou au-dessous, vous aurez toujours des problèmes, cette année comme l'an prochain.

Grâce à l'approche de cycle de vie, nous cherchons à faire comprendre qu'il y a plus que la sécurité du revenu, et que c'est plus qu'une petite fenêtre dans le temps. Il doit y avoir une gamme de services et une combinaison de services.

Il y a une semaine ou deux, les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques ont publié une étude sur la meilleure combinaison pour les enfants et pour les familles. L'étude fait état de la nécessité de la gamme d'initiatives dont nous avons parlé.

Certains d'entre nous parlent assurément des répercussions de la pauvreté chez les enfants pour les familles, et nous disons continuellement que les enfants sont pauvres parce que les parents le sont. Il faut mettre en place certains mécanismes pour éviter ce genre de situation, afin que la situation s'améliore.

Le président: Je vous remercie, monsieur Szabo. Je vous remercie, madame Rothman.

Madame Torsney.

Mme Paddy Torsney: Je vous remercie. Monsieur Brun, vous êtes du Nouveau-Brunswick. Je me demande si vous pouvez nous dire à combien s'élèvent en gros les chèques de bien-être social au Nouveau-Brunswick, à l'heure actuelle.

M. Armand Brun: Ces chiffres sont disponibles. Je sais que le montant de ces chèques a déjà été le plus faible au Canada, mais qu'il est un peu plus élevé maintenant.

Il y a quelques semaines, un article de journal faisait état d'un homme de Moncton qui touche un chèque de 480 $ par mois. Comme il paie environ 420 $ de loyer, on peut dire que c'est un habitué des soupes populaires de l'endroit.

En 1996, au Nouveau-Brunswick, le montant total versé à un chômeur célibataire apte au travail atteignait 3 331 $ par année. Dans le cas d'une personne handicapée, ce montant était de 6 698 $. Quant au parent seul, ayant un enfant, il touchait 11 258 $.

Je viens tout juste de compléter la déclaration de revenu de ma fille, qui a touché des revenus de 13 300 $. Elle ne peut vivre à Montréal avec un pareil revenu, et je comprends pourquoi. Dans le cas d'un couple ayant deux enfants, le montant est de 13 359 $, soit tout juste un peu plus de 1 000 $ par mois.

Mme Paddy Torsney: En ce qui a trait à ces montants, je crois qu'il est important de prendre conscience du revenu de ces personnes—même ceux d'entre nous qui songent à ce qu'ils peuvent dépenser en une semaine, sans parler d'un mois complet—et de ce que cela représente par rapport au chèque mensuel, et d'imaginer comment on peut s'en tirer en ajoutant le loyer, par rapport à ce que vous avez.

• 1150

À la page 3 de votre mémoire madame Carson, vous déclarez que les enfants qui vivent de l'aide sociale touchent 2 500 $ par année. Cela représente une moyenne à l'échelle du pays de 208,40 $ par mois, n'est-ce pas?

Mme Cindy Carson: J'ai tiré ces chiffres d'un rapport du Caledon Institute. Le montant est très faible, et il concerne une famille ayant un très faible revenu. Les enfants d'une famille qui essaie de survivre avec l'aide sociale souffrent beaucoup, vous savez.

Mme Paddy Torsney: Je voulais aussi vous demander autre chose. Les données statistiques que nous avons ici, c'est-à-dire la source principale de revenu des couples de moins de 65 ans ayant des enfants et des mères célibataires de moins de 65 ans. Ces chiffres me paraissent bien différents de ceux qui concernent les personnes de moins de 35 ans ou de moins de 30 ans, ai-je raison? N'y a-t-il pas un groupe de personnes plutôt jeunes, qui sont des parents et qui s'occupent d'enfants avec des ressources bien moindres?

M. Steve Kerstetter: Je ne suis pas sûr de cela. Les données que vous voyez sur les diagrammes à secteurs nous ont été fournies par Statistique Canada, conformément à nos spécifications.

Quand on examine ces données de plus près et par types de famille, on constate que les échantillons sont trop petits pour obtenir une composante d'âge.

Par conséquent, je ne peux pas vraiment répondre à cet aspect de la question. Ces données visent tous les parents seuls de moins de 65 ans, qui étaient pauvres en 1996.

Il y a cependant quelques aspects que nous avons pu déduire du profil de bien-être...

M. Armand Brun: Nous connaissons ces données également. Par exemple, la tranche de 16 à 20 concerne les parents seuls.

M. Steve Kerstetter: Oui, nous pouvons vous fournir des données sur le nombre de personnes vivant du bien-être social, par groupe d'âge.

Essentiellement, quand on parle de familles ayant des enfants, on trouve les résultats auxquels on s'attend. On constate que parce que les années de procréation se situent dans la vingtaine et la trentaine et que la période pour l'éducation des enfants se situe dans la trentaine et la quarantaine, la plupart des personnes pauvres, ou la plupart des personnes ayant des enfants, sont dans les groupes d'âge de 20, 30 et 40 ans.

Mme Paddy Torsney: Je pose la question parce que nous parlons ici de Canadiens plus jeunes ayant des enfants. Souvent, ces gens ont du mal à se raccrocher à la population active, ils ont des compétences et une formation limitées et ainsi de suite.

La semaine dernière, certains intervenants—cela vous concerne, madame Rothman—ont laissé entendre que les efforts en matière de garde d'enfants ne vont pas dans le bon sens. Nous devrions surtout nous assurer qu'un plus grand nombre d'enfants restent à la maison avec leurs parents, jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de cinq ans. Ces intervenants estiment qu'il y a des répercussions à long terme à séparer les enfants de moins de cinq ans de leurs parents plus de 20 heures par semaine.

Je crois qu'il s'agit là d'un message important à véhiculer au sujet de la valeur de la garde des enfants et du regroupement des ressources des familles pour nous assurer que les enfants obtiennent une éducation de la meilleure qualité qui soit et que ce mélange est vraiment important pour leur avenir.

Si le président me le permet, je vous demanderai de commenter. Je vous remercie d'être venu ici et de nous avoir fourni des chiffres fort stimulants.

Je vous prie de bien vouloir comprendre que nous sommes nombreux à tenter de déterminer de quelle manière nous pouvons utiliser ces chiffres pour obtenir des résultats. Comme les enfants sont notre ressource la plus importante, les fonds devront servir à donner suite à nos paroles.

Le président: Je vous prie de faire vos observations.

Mme Laurel Rothman: Pour répondre à ce que je pourrais appeler la valeur de l'éducation des enfants en bas âge, je vous dirai qu'une nouvelle étude a été publiée il y a environ six semaines. Il s'agit d'une étude canadienne, d'une analyse des coûts et des avantages d'investir dans des services pour les jeunes enfants. Si vous en voulez un exemplaire, je vous en obtiendrai un.

J'ai pu constater, à la lumière de certaines projections à long terme, y compris les succès à l'école, la participation de la mère à la population active, l'impôt sur le revenu et d'autres facteurs équivalents, à ces années précédentes, nous avons un ratio d'winvestissement de 2 pour un.

Tout particulièrement durant ces années, ils ont examiné les deux et demi à cinq ans. Ce sont les années au cours desquelles la plupart des pays d'Europe de l'Ouest offrent une gamme de services assez importants, habituellement pour l'ensemble de la population qui souhaite les utiliser.

Nous disposons donc de beaucoup de renseignements valables sur l'importance de l'investissement dans des services à la petite enfance. Ces services aident les enfants de même que leur famille à s'autosuffire.

Mme Paddy Torsney: Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie beaucoup, madame Torsney.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier tous de votre participation. Je sais que certains d'entre vous ont dû faire un long voyage pour se rendre à Ottawa, mais nous avons profité de votre apport.

• 1155

Je profite aussi de l'occasion pour convier les personnes présentes à un bref déjeuner. Nous reprendrons nos travaux vers 12 h 15.

• 1156




• 1214

Le président: Je déclare la séance ouverte.

Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Institut Nord- Sud, et au président, M. Roy Culpeper. Comme vous le savez, vous avez environ dix minutes pour faire votre exposé, après quoi il y aura une période de questions et de réponses. Auriez-vous l'amabilité de nous présenter votre collègue?

M. Roy Culpeper (président, Institut Nord-Sud): Je vous remercie, monsieur le président. Il me fait plaisir d'être ici aujourd'hui avec mon collègue, M. Kerry Max, qui fait maintenant partie de notre institut. Nous travaillons ensemble sur des questions de finance et de développement international.

• 1215

Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir invités à comparaître devant votre comité. Permettez-moi d'entrer dans le vif du sujet en disant que la partie 13 du projet de loi C-36 est celle qui nous intéresse aujourd'hui. Elle vise à modifier deux lois du Parlement, la Loi d'aide au développement international (institutions financières) et la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes. Je me contenterai d'aborder brièvement ces aspects et je soulèverai des questions plus importantes reliées à ces lois.

Plus particulièrement, la modification de la Loi sur les accords Bretton Woods et des accords connexes vise deux choses: premièrement, une augmentation d'environ 50 p. 100 de notre apport au FMI et, deuxièmement, une disposition permettant au Canada de soutenir les activités de financement d'urgence du FMI en cas de crise financière internationale jusqu'à concurrence de cinq milliards de dollars US.

Selon moi, ni l'une ni l'autre de ces dispositions ou des modifications à la Loi d'aide au développement international (institutions financières) n'ont de conséquences au plan budgétaire, malgré qu'elles puissent entraîner des dépenses en espèces. Les décaissements jusqu'à concurrence de cinq milliards de dollars US se feraient aux conditions du marché. En d'autres mots, il s'agirait de prêts qui seraient remboursés au trésor canadien.

Cela soulève la question de ce que fait le FMI pour réagir aux crises financières comme celle qui secoue actuellement le marché financier de l'Asie, et de ce qu'est la politique canadienne en matière de prévention des crises et d'intervention en cas de crise. J'aimerais savoir si nous avons une perspective plus large de la question. Comme la durée de mon intervention est limitée et qu'il s'agit d'une question très complexe, je ne pourrai guère aborder que quelques points.

À la mi-mai, nous publierons un rapport sur la crise financière asiatique. Avec votre permission, monsieur le président, nous aimerions mettre ce rapport à la disposition du comité afin qu'il puisse faire partie de la preuve que les membres devront examiner.

Permettez-moi de dire au départ que la crise financière asiatique est une crise systémique du capitalisme global. Ce n'est pas moi qui le dit ni l'Institut Nord-Sud. Nous n'avons pas l'habitude d'un langage aussi incendiaire. Je reprends plutôt les paroles de M. Paul Volcker. Comme vous le savez, il a été président du U.S. Federal Reserve Board. Un rapport sur les affaires paru dans le Globe and Mail reprend les propos qu'il tenait hier à Hong Kong, où il disait que le système financier «ne correspond plus aux principes de base».

Si on considère ce qui s'est produit avec les taux de change en Asie de l'Est, y compris les fluctuations du yen japonais, et plus particulièrement aussi la baisse des taux de change en Indonésie, en Corée, en Malaisie, aux Philippines et en Thaïlande, on constate que la situation n'a absolument aucune commune mesure avec la dévaluation que ces pays ont dû absorber pour rétablir l'équilibre.

Chose intéressante, cette vue alarmiste de M. Paul Volcker est partagée par plusieurs économistes que je qualifierais de conventionnels, des gens comme le professeur Jeffrey Sachs de l'Université Harvard, le professeur Martin Feldstein, un de ses collègues de l'Université Harvard, et le Dr Joe Stiglitz, économiste en chef à la Banque mondiale.

• 1220

Ces éminents spécialistes et ces personnes responsables nous disent que le système financier international est malade et que rien ne fonctionne comme il le faudrait pour éviter les crises dans le futur ou pour aborder les crises financières quand elles se produisent.

Les trois points que j'aimerais vous soumettre portent sur les faits saillants de notre rapport, qui, comme je l'ai mentionné, sera publié dans un mois.

Pourquoi le système financier ne correspond-il plus aux principes de base? Premièrement, j'estime—ce point de vue est partagé par plusieurs autres personnes—que les règles du jeu de l'économie internationale sont faussées et que nous allons dans la mauvaise direction.

Je veux dire par là que le Fonds monétaire international, les pays du G-7 et les grandes puissances industrielles sont favorables à un programme de libéralisation du compte de capital. En d'autres mots, on veut faciliter les mouvements transfrontaliers de capitaux—comme cela ne s'est pas fait depuis les années 20. Au moment même où je vous parle, le FMI discute toujours d'une modification à ses statuts qui ferait de la libéralisation du compte de capital un objectif fondamental du Fonds monétaire international.

Selon moi, cette proposition de libéraliser les comptes en capital et d'en faire l'objet fondamental du système monétaire international est complètement erronée. Elle est erronée parce que la libéralisation des mouvements de capital n'est pas la même chose que la libéralisation du commerce des biens et des services. Il existe de très bons arguments économiques pour établir des règles plus libérales et pour favoriser le commerce international des biens et services, mais les marchés de capitaux n'ont rien à voir avec les marchés de biens et de services. Il existe une différence fondamentale entre les deux. Les marchés de capitaux sont sujets à des défaillances majeures qui compromettent le fonctionnement des marchés internationaux et des marchés de biens et services.

Si on se reporte à la création du FMI, en 1944, on constate qu'il y avait une disposition qui permettait aux pays membres de contrôler les marchés de capitaux. Cela reposait sur l'expérience des années 30, époque à laquelle une perturbation du marché de capitaux avait entraîné la répudiation et le non-remboursement des dettes. Les pays étaient entrés dans un cycle concurrentiel de dévaluation de leurs devises, situation qui avait compromis le libre-échange commercial entre eux. En réponse aux dévaluations, les pays avaient érigé des barrières commerciales.

Le système a été créé sur la prémisse que les mouvements de capitaux ont un effet déstabilisateur et qu'il ne faudrait pas les libéraliser davantage.

Mon deuxième point est qu'en cas de crise, comme celle qui a frappé l'Asie récemment, le FMI et ses partenaires appliquent le mauvais type de programmes pour corriger la situation. Plus particulièrement, on a demandé aux pays de l'Asie en crise d'adopter des mesures de restriction fiscale, de réduire les dépenses du gouvernement, même s'il y avait des surplus auparavant, et d'adopter des taux d'intérêt très élevés—qui poussent les secteurs vraiment productifs à la faillite—afin de restaurer la confiance des marchés financiers. Cette façon particulière de chercher à corriger le problème est également fondamentalement erronée, puisqu'elle a aggravé le problème pour les pays en crise.

Mon dernier point, monsieur le président, est que les créanciers privés, auxquels on a beaucoup reproché d'être à l'origine de la crise, et plus particulièrement les banques internationales, qui n'ont pas assumé leur part du fardeau. Voilà qui ne fait rien pour améliorer la crise actuelle, comme cela a été le cas dans les crises antérieures. Essentiellement, ces créanciers ont été rescapés par le FMI, par les pays industrialisés et ultimement par les pays en crise, parce que le type de soutien que le FMI donne à ces pays et que le Canada se prépare à leur donner en vertu de la partie 13 du projet de loi C-36, n'est pas un cadeau ni une subvention. On accorde des prêts que ces pays devront rembourser. Au bout du compte, ce n'est pas le FMI ou les contribuables canadiens qui portent le fardeau du sauvetage, mais bien les citoyens des pays en développement aux prises avec la crise.

• 1225

Par conséquent, j'estime qu'il est temps d'aborder les règles du jeu et de nous assurer qu'en cas de crises futures, les créanciers privés fourniront leur part des frais de rajustement en amortissant les prêts qu'ils ont consentis aux pays en développement et en assumant des pertes à ce chapitre.

Si nous ne donnons pas de signal approprié aux créanciers privés et aux banques, nous avons un problème moral de taille. En d'autres mots, les fonds que les créanciers privés savent être disponibles par l'entremise du FMI et par l'entremise du Canada, c'est-à-dire les cinq millions de dollars US dont nous parlons dans le cadre du projet de loi, sont un signal à ces créanciers qu'un sauvetage est toujours possible en situation de crise et que les risques et les lignes de crédit de ces créanciers seront absorbés par le FMI et par les pays industrialisés.

Je m'en tiendrai à cela pour le moment, monsieur le président. Je serai heureux d'entendre vos observations et de répondre à vos questions.

Le président: Je vous remercie beaucoup. Nous commencerons avec monsieur Ritz.

M. Gerry Ritz: Je vous remercie, monsieur le président.

J'ai bien apprécié votre exposé, particulièrement vos expressions techniques comme système «ne correspondant plus aux principes de base». C'est là un langage qui me plaît.

Vous dites que le Canada doit redéfinir son rôle dans les affaires internationales et adopter une approche de prévention plutôt que de gestion de crise après le fait accompli. Je me demande si vous accepteriez d'élaborer un peu plus sur cette question. Que devrions-nous faire?

M. Roy Culpeper: Je ne crois pas que le Canada puisse intervenir seul. Il s'agit d'un problème collectif, d'un problème global qui frappe tous les membres de l'économie globale. Par conséquent, il faut des solutions globales.

En d'autres mots, il faut chercher, en collaboration avec nos partenaires du G-7 et par l'entremise du FMI, à orienter ces intervenants dans la bonne direction. J'ai l'impression que ce n'est pas là un rôle que nous assumons dans des forums comme le G-7 et le FMI. Nous avons plutôt tendance à croire que le FMI sait ce qu'il fait. C'est une approche que je n'accepte pas.

M. Gerry Ritz: Vous laissez entendre que nous aurions dû ou que nous aurions pu prendre certaines mesures il y a deux ou trois ans pour éviter la crise asiatique que nous connaissons maintenant?

M. Roy Culpeper: Avec le recul, il semble toujours plus facile de savoir ce qu'il aurait mieux valu faire.

Une bonne partie des débats qui ont cours depuis six mois font ressortir les lacunes de la supervision et de la réglementation financières. En d'autres termes, les pays d'Asie devraient avoir de meilleurs superviseurs des banques et devraient mieux contrôler l'information et les données dans le secteur bancaire.

Dans une certaine mesure, je crois que c'est vrai mais cela ne change rien à la situation parce que nous avons le meilleur système de supervision bancaire au monde et malgré tout ces pays peuvent être victimes des grands mouvements de capitaux.

Paul Volcker disait hier que dans des pays tels que l'Indonésie, la Thaïlande et l'Argentine, le système bancaire tout entier est égal à ce que représente une banque régionale de taille moyenne aux États-Unis. Cela vous donne donc une idée de l'ordre de grandeur.

Donc, lorsque des mouvements de capitaux sont effectués par plusieurs banques régionales, sans même parler des banques géantes. Ces pays-là sont totalement débordés, quelle que soit la qualité de leurs systèmes de supervision.

M. Gerry Ritz: Selon vous, les mouvements de capitaux devront donc être réglementés de manière plus rigoureuse?

M. Roy Culpeper: C'est exact.

M. Gerry Ritz: Grâce à une taxe Tobin ou quelque chose du même genre?

M. Roy Culpeper: Il y en a beaucoup qui pensent que la taxe Tobin est une panacée. Je ne partage guère l'optimisme de ceux qui croient qu'une telle taxe pourrait être appliquée à court terme, car il faudrait de nombreuses négociations politiques pour parvenir à un accord à ce sujet. Ça m'étonnerait que cela puisse se faire.

Les méthodes de contrôle des mouvements de capitaux qui semblent bien fonctionner et attirent de plus en plus l'attention, sont celles qui sont utilisées, par exemple, par des pays tels que le Chili et la Colombie qui ont imposé une taxe de 30 p. 100 sur tous les emprunts étrangers arrivant à échéance au bout d'un an maximum. Donc, si vous empruntez à court terme à des fins spéculatives, vous êtes en fait contraint de payer une taxe initiale de 30 p. 100, ce qui décourage ce genre d'activité.

• 1230

Je crois que, de plus en plus, il est reconnu que ce genre de politiques, mises en oeuvre par certains pays, contribuent efficacement à contrôler les poussées soudaines d'entrées de capitaux.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Vous avez une question?

[Traduction]

Madame Torsney.

Mme Paddy Torsney: Tout d'abord, je tiens à vous remercier d'être venus, car je crois vraiment qu'il est important que certaines de ces discussions aient lieu au comité des finances ainsi qu'au comité des affaires étrangères et à d'autres. Il est très utile qu'elles puissent se dérouler devant plusieurs instances différentes lorsqu'on essaie d'élaborer une politique. Une des questions que je continue cependant à me poser à la suite de votre exposé est de savoir ce que vous attendez de ce projet de loi. Que voulez-vous que nous fassions?

M. Roy Culpeper: Je crois que vous devriez le soutenir. Je crois qu'il n'est plus à prouver que le FMI est une institution financière internationale extrêmement importante. Si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer.

Il demeure que si je comparais aujourd'hui c'est parce que j'estime que lorsque des parlementaires appuient un projet de loi tel que celui-ci, ils ne doivent pas pour cela suspendre leur sens critique. Ils devraient poser des questions telles que celles-ci: Dans la pratique, que fait cette institution des ressources que nous mettons à sa disposition? Prend-elle vraiment les décisions appropriées? Il est impossible de dissocier ces deux aspects.

Mme Paddy Torsney: C'est la raison pour laquelle il est particulièrement utile que vous soyez ici, car il arrive bien trop souvent que des députés se trouvent confinés dans un secteur restreint, ce qui gêne les échanges enrichissants, en particulier lorsqu'il s'agit de nouveaux députés qui n'ont pas encore eu le temps de se colleter avec les grandes questions d'importance mondiale.

Ce que je tiens cependant aussi à vous dire c'est qu'une des questions dont nous avons récemment discuté avait trait à l'endettement du tiers monde et au processus utilisé par le FMI et d'autres institutions pour intervenir et en quelque sorte bloquer les activités de certains de ces pays ou en tout cas, en entraver les aspects les plus importants.

On a beaucoup discuté du fait qu'il fallait à tout prix s'assurer que ces pays ne sont pas paralysés au point de se trouver écartés du processus de mondialisation. On a également beaucoup insisté sur le fait que lorsque les économies de ces pays sont prospères, ce sont les nations créditrices qui en profitent, car c'est de ces dernières que viennent les produits qu'ils achètent. Il a vraiment fallu que nous allions plus loin pour nous assurer que le FMI et les autres organisations protègent les droits de la personne, la santé, l'éducation, la société et ce qu'elle avait créé, et pour être bien certains que quels que soient les changements imposés à ces pays, ceux-ci ont également joué un rôle actif dans leur développement, car, ils sont mieux placés que quiconque pour savoir comment se réorganiser si c'est nécessaire. Cela a en tout cas donné lieu à un débat constructif, et la participation canadienne mérite d'être saluée, du moins je l'espère.

Le président: Était-ce un commentaire?

Mme Paddy Torsney: Oui. Mais la seule et dernière question est de savoir comment faire passer le message au sujet du danger sur le de l'éthique et de s'assurer que lorsque les Canadiens investissent à l'étranger ils sont au moins conscients de leurs obligations morales?

M. Roy Culpeper: Voilà une question fort intéressante. Je crois que c'est en fait là la responsabilité des banques.

J'estime que les investisseurs individuels qui ont acheté, par exemple, des fonds mutuels ou qui utilisent leurs REER pour investir dans les fonds mutuels asiatiques ont fait les frais de l'opération car ces actions ont beaucoup perdu de leur valeur. En un sens, ces investisseurs ont donc assumé leur part du coût d'ajustement.

En réalité, le problème est créé par les prêteurs, tous ceux qui rédigent des contrats et veulent tirer 100 p. 100 de chaque dollar prêté, en particulier lorsque la situation présente des risques.

Au Canada, il existe un processus de longue date qui entre en jeu lorsque les banques prêtent à des sociétés qui font faillite. Les banques ne récupèrent bien entendu pas 100 p. 100 de chaque dollar prêté. Ce sont en fait les emprunteurs et les prêteurs qui s'entendent sur le montant des remboursements et sur le choix des bénéficiaires de ceux-ci.

Cela n'existe pas encore sur le plan international. Nous avons tendance à croire que lorsque nous prêtons de l'argent à l'étranger, nos intérêts doivent être protégés et nous devons récupérer la totalité de notre investissement. Pour ma part, j'estime que c'est tout à fait discutable comme attitude.

• 1235

Ce qui nous manque ce sont les règles institutionnelles du jeu, l'infrastructure nécessaire pour faire les deux choses suivantes: premièrement, informer les créditeurs qu'ils doivent aussi être prêts à assumer certaines pertes; et deuxièmement, appliquer la règle en cas de crise. Cela n'a, après tout, rien de nouveau.

Dans les années 80, il y a eu la crise provoquée par la dette de l'Amérique latine, et il a fallu attendre sept ans, c'est-à-dire 1989, pour que les créanciers bancaires acceptent enfin de radier une partie de la dette encourue à leur égard par le pays d'Amérique latine. Je parle là du plan Brady, mis en oeuvre par l'administration républicaine.

Les précédents existent donc, mais ce qu'il faut éviter c'est d'attendre sept longues années avant de régler un problème qui devrait l'avoir été au départ.

Mme Paddy Torsney: Bien entendu, le gouvernement canadien a radié une partie de la dette de l'Afrique du Sud du Sahara parce qu'elle était tellement énorme qu'elle ne serait jamais remboursée et qu'elle paralysait l'économie de cette région. N'est-ce pas précisément là l'occasion d'étendre le débat à la question de certains des fonds responsables qui existent? Il ne s'agit pas simplement de ce qu'il faut faire au départ, pour un investissement; il s'agit également de savoir, en cas de problème, comment le régler de manière appropriée. Ce pourrait être là l'occasion pour l'Institut Nord-Sud de donner son aval au processus à utiliser pour ces fonds, ou d'en établir un lui-même. Je crois qu'il s'agit d'un marché en plein développement. Il intéresse beaucoup de gens, et certains des fonds marchent fort bien.

M. Roy Culpeper: C'est intéressant que vous disiez cela. Nous sommes sur le point de publier notre grand rapport annuel, «Le Rapport canadien sur le développement», qui traite des responsabilités sociales des sociétés canadiennes dans les pays en développement. Entre autres choses, il examine le rôle joué par les banques canadiennes et les marchés financiers.

Il est intéressant que vous parliez de fonds responsables. Vous avez raison, ils fonctionnent bien et ils suscitent aujourd'hui plus d'intérêt. Mais ils ont tendance à faire une large place aux banques dans leurs portefeuilles, sous prétexte que les banques canadiennes sont de bons employeurs qui ont conscience de leurs responsabilités sociales, etc. Ceux qui constituent ces fonds responsables ne tiennent cependant pas compte de certains des arguments que je viens d'invoquer au sujet des prêts internationaux. En achetant des fonds responsables, vous risquez fort d'apporter un soutien excessif aux banques, si vous acceptez mon raisonnement.

Mme Paddy Torsney: Cela a fait avancer le débat.

M. Paul Szabo: Je voulais simplement vous demander votre opinion au sujet d'une situation précise. L'effet de la crise asiatique a été relativement peu sensible à Taïwan. Nous avons donc là un exemple d'isolement dû à une situation particulière. J'ai bien l'impression qu'on va beaucoup écrire au sujet de cette crise financière asiatique, de ce qui s'est produit et des raisons du phénomène. À quoi tout cela va-t-il aboutir? Pourquoi ne nous dites-vous pas ce que sera le résultat avant qu'ils ne soient publiés?

M. Roy Culpeper: Quelle orientation prend la crise asiatique?

M. Paul Szabo: Non, ce qu'en seront les résultats. Étant donné que nous savons maintenant ce qui s'est produit, quelles leçons allons-nous en tirer sur les changements que nous devrions apporter ou sur les dangers à prévoir? Bien évidemment, l'objectif ultime est d'éviter qu'une telle crise ne se reproduise.

M. Roy Culpeper: Je crois que l'on n'en sait encore rien, à cause du débat dont j'ai parlé sur la libéralisation des comptes de capital. Certains estiment que les pays qui ont été touchés par la crise n'avaient pas adopté de politique suffisamment libérale, et que pour rétablir la confiance, il faut qu'ils aillent encore plus loin. En revanche, certains croient que c'est en partie la cause du problème.

Je trouve très intéressant que vous mentionniez Taïwan. Taïwan, mais aussi la République populaire de Chine ont tous deux évité une crise financière pour la simple raison que ces deux pays n'avaient pas autant libéralisé leurs marchés financiers que l'Indonésie, la Corée et Thaïlande. À mon avis, c'est la preuve prima facie que si vous libéralisez vos marchés financiers, vous allez au devant d'ennuis si vous ne disposez d'aucun moyen de contrôle.

L'exemple inverse est celui de Hong Kong. Hong Kong est un des pays les plus conservateurs du monde sur le plan des politiques macro-économiques, du taux de change, etc. Regardez pourtant ce qui s'est passé. Le dollar Hong Kong a été battu en brèche à la fin de 1997 simplement à cause d'un rapport de Morgan Stanley qui a déclenché une fuite sur le dollar Hong Kong.

Il y a aussi l'Inde dont le marché financier est encore très fermé; c'est pourtant la raison pour laquelle la roupie indienne n'a pas encore été attaquée par les spéculateurs.

• 1240

J'ajouterai aussi que même si le marché financier chinois n'est pas aussi ouvert que celui de Thaïlande, par exemple, il n'a pas précisément souffert de la réticence des investisseurs étrangers. En fait, la Chine est l'objectif numéro un des investissements directs étrangers—les sociétés multinationales et occidentales y construisent des usines. Ce n'est donc pas tout noir ou tout blanc. Tous ces pays sont parfaitement capables de décider dans quelles conditions ils vont traiter avec les investisseurs étrangers.

M. Paul Szabo: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup; votre exposé nous a été très utile. Vous avez soulevé un certain nombre de points fort intéressants au sujet du projet de loi C-36, encore qu'il me semble que nous avons été obligés de nous livrer à certaines extrapolations pour en voir les effets. Nous serons heureux de vous entendre à nouveau lors de nos consultations prébudgétaires.

M. Roy Culpeper: Je vous fournirai notre rapport dès sa publication.

Le président: C'est bien ce mois-ci qu'il doit être publié?

M. Roy Culpeper: À la mi-mai.

Le président: Parfait.

M. Roy Culpeper: Nous pourrons vous le fournir dans les deux langues officielles; en fait, nous pourrons vous en remettre un exemplaire anticipé.

Le président: Merci.

Nous allons lever la séance pendant deux minutes.

• 1241




• 1243

[Français]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Nous recevons maintenant M. Roch Denis, président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs du Québec. Bienvenue. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation, après quoi il y aura une période de questions.

M. Roch Denis (président, Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université du Québec): Merci, madame la présidente. J'aimerais apporter une précision. Je ne suis pas président de la Fédération des professeurs du Québec, mais de la Fédération des professeurs d'université. J'aurais un mandat beaucoup plus large s'il s'agissait de tous les professeurs.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Mais vous êtes président de la Fédération, n'est-ce pas?

M. Roch Denis: Oui.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): D'accord.

M. Roch Denis: Mais des professeurs d'université du Québec.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): D'accord.

M. Roch Denis: Notre organisation regroupe 20 associations et syndicats de professeurs dans tous les établissements universitaires du Québec sans exception, c'est-à-dire environ 8 000 professeurs d'université.

Je suis moi-même professeur depuis 27 ans au Département de sciences politiques de l'Université du Québec à Montréal et je suis président de la Fédération, comme vous venez de l'indiquer.

Au cours des derniers mois, notre organisation s'est associée aux initiatives et aux prises de position de la Coalition québécoise pour l'éducation, un regroupement ponctuel d'organismes représentatifs des divers ordres d'enseignement. Dans ce cadre, nous avons fait part, à plusieurs reprises, de notre opposition au projet de création d'une Fondation canadienne des bourses du millénaire tel que conçu et tel que prévu au projet de loi C-36.

• 1245

Invité aujourd'hui à vous rencontrer pour présenter notre position dans ce dossier, ce dont je vous remercie, je désire, au nom de notre fédération, en résumer les traits essentiels, tant au plan constitutionnel—et je n'ai pas l'impression que c'est sur ce plan que mes propos vous étonneront le plus—qu'en ce qui a trait à l'orientation même du projet fédéral.

Considérant que l'éducation en général et l'enseignement postsecondaire en particulier est un domaine de juridiction provinciale, la FQPPU s'oppose au projet des bourses du millénaire parce qu'il constitue une ingérence du gouvernement fédéral dans une prérogative qui n'est pas de son ressort constitutionnel. Notre fédération réclame le respect des prérogatives provinciales en ce domaine et considère que le gouvernement fédéral, conformément aux mécanismes déjà utilisés par le passé, devrait reconnaître au gouvernement du Québec et à tout gouvernement provincial intéressé le droit de se retirer sans condition et avec pleine compensation financière de la Fondation canadienne des bourses du millénaire, si telle est l'intention du gouvernement fédéral d'y procéder.

Lors de la présentation du projet à la Chambre des communes, au mois de février, le premier ministre Jean Chrétien s'est défendu de vouloir s'ingérer dans une responsabilité provinciale en soulignant que le projet des bourses visait à favoriser l'accès aux études supérieures et ne touchait pas au contenu de l'éducation. Il a fait cette distinction. Or, s'il est une dimension intrinsèque essentielle de toute politique dans le domaine de l'enseignement supérieur, c'est bien celle reliée à l'accessibilité. C'est pour cette raison d'ailleurs que depuis les années 1960, au Québec en particulier, l'accessibilité est demeurée au coeur des enjeux de la politique sur l'enseignement supérieur et que sa notion même s'est étendue non seulement à la levée des obstacles économiques et sociaux rencontrés par les individus, mais au développement d'un grand réseau collégial public, les cégeps, et au développement du réseau des constituantes de l'Université du Québec venu élargir, compléter et renforcer le réseau universitaire québécois.

Un choix de société a été fait à ce moment, comme il doit l'être encore aujourd'hui, et c'est pourquoi, par exemple, lorsque le débat public dans l'une ou l'autre des provinces porte sur les droits de scolarité ou le niveau de financement public des universités et des collèges, ce débat touche au coeur de la mission éducative dans la société.

Un autre aspect des retombées constitutionnelles du projet fédéral mérite d'être souligné. Le gouvernement fédéral a effectué depuis plusieurs années des réductions draconiennes aux paiements de transferts alloués aux provinces. Cette politique a eu des répercussions très directes sur les budgets alloués par les provinces à l'enseignement postsecondaire.

Tout en reconnaissant que plusieurs gouvernements provinciaux, dont celui du Québec, ont souscrit eux-mêmes à la politique de réduction des finances publiques au nom de la lutte au déficit, il n'en demeure pas moins que l'onde de choc des choix fédéraux s'est fait lourdement sentir. À l'heure actuelle, l'action la plus positive du gouvernement fédéral, pour en finir avec cette orientation, serait de redonner aux provinces les justes parts des fonds qui leur reviennent afin qu'elles soient en mesure d'assumer à nouveau leurs responsabilités au chapitre de l'enseignement supérieur.

L'option que nous défendons ici à propos du Québec nous paraît rejoindre les attentes formulées dans d'autres provinces canadiennes. Comme le révélait un sondage Angus Reid réalisé au début de février pour le compte du journal The Globe and Mail et publié dans ses pages le 7 février, la majorité des Canadiens estiment que, parmi diverses options possibles pour l'utilisation actuelle des surplus fédéraux, le transfert aux provinces de paiements accrus pour la santé, l'éducation et la sécurité sociale devrait être la priorité numéro un du gouvernement fédéral.

Lors de la rencontre sollicitée avec le premier ministre Lucien Bouchard, le 13 février dernier, les porte-parole de la Coalition de l'éducation ont sévèrement critiqué la politique des compressions budgétaires de ce gouvernement et ses impacts sur les divers ordres d'enseignement. La Coalition, chiffres et faits à l'appui, a dit au premier ministre qu'elle était bel et bien commencée, la dégradation du grand service public d'éducation. Or, loin de favoriser une amélioration de la situation à cet égard, le projet fédéral des bourses du millénaire ne peut tendre, selon nous, qu'à exacerber les contradictions.

Comment imaginer, en effet, que des centaines de millions de dollars provenant de fonds fédéraux soient soudainement disponibles pour des bourses aux étudiants, alors que les établissements d'enseignement supérieur continueront de subir des compressions majeures qui ont déjà eu des effets néfastes sur le nombre de professeurs, sur les ratios professeur-étudiants, la qualité des bibliothèques, les équipements scientifiques et j'en passe? Le fait de séparer l'enjeu de l'accessibilité de celui des fonds publics alloués aux établissements aboutirait à une action incohérente.

• 1250

À l'opposé, si de nouveaux efforts doivent incontestablement servir à favoriser l'accessibilité des études supérieures, l'action pour redresser immédiatement le niveau de financement des établissements est d'une importance tout aussi majeure. Au lieu de l'ignorer, le gouvernement fédéral devrait, à notre avis, redonner aux provinces les sommes qu'il leur a retirées et contribuer ainsi à une véritable reprise de l'enseignement supérieur. À la demande de la Coalition québécoise de l'éducation, le premier ministre du Québec s'est engagé à affecter à l'enseignement postsecondaire les sommes recouvrées, à la fois pour renforcer les conditions d'accessibilité et pour redresser le niveau de financement des établissements.

Cet engagement est primordial et fournit un point d'appui essentiel à la revendication que nous formulons pour que le fédéral verse au Québec les fonds qui lui sont dus dans le cadre de sa juridiction.

Je ne reviens pas ici sur le programme québécois d'aide financière aux étudiants. Beaucoup d'intervenants ont souligné à plusieurs reprises que le projet fédéral, tel que conçu, ne pouvait que paver la voie à des dédoublements inutiles et coûteux. Compte tenu du régime d'aide en vigueur au Québec depuis quelques décennies, nous pensons là encore qu'au lieu de s'ingérer dans un domaine de juridiction provinciale, le gouvernement fédéral devrait s'employer à le respecter par le biais du système des paiements de transferts.

J'aborde, en conclusion, un aspect qui nous est davantage spécifique en tant que professeurs d'université, un aspect de critique du projet fédéral.

L'ensemble du projet fédéral des bourses du millénaire s'inscrit dans la Stratégie canadienne pour l'égalité des chances. Il est centré sur la lutte pour la prospérité, la croissance économique et la création d'emplois. Le gouvernement déclare que les bourses doivent permettre à des milliers de Canadiens de se préparer pour les emplois de demain. Le projet prévoit aussi la mise en place d'une fondation indépendante qui sera gérée par un conseil d'administration formé de personnes du secteur privé. Nous sommes très critiques vis-à-vis de ces deux aspects.

L'orientation que porte le projet est inspirée par une vision particulière du rôle et de la mission qui doivent être assumés par les établissements d'enseignement supérieur, et notamment par les universités. Il s'agit d'une vision très utilitariste de l'enseignement postsecondaire dont l'axe prioritaire devrait être de préparer à des emplois. Cette conception est, à notre avis, réductrice et elle entraînerait, si elle était suivie, l'université et les établissements de formation supérieure vers un abandon progressiste de leurs responsabilités spécifiques. Loin de devoir se transformer en annexe du marché de l'emploi, les universités ont comme mission fondamentale, essentielle et spécifique d'assurer le développement des personnes, comme le rappelait, le 16 avril dernier, l'ancien président emeritus de l'Université Cornell, le célèbre professeur Frank Rhodes, devant la réunion nord-américaine sur l'enseignement supérieur à Toronto.

La contribution des universités à la société se situe d'abord et avant tout sur ce plan et, en matière économique, comme le disait aussi Frank Rhodes, elle ne peut être qu'indirecte. C'est dans la mesure où elles sont libres de s'en acquitter et où elles ont les moyens de le faire que les universités peuvent le mieux servir les intérêts collectifs, y compris ceux du travail et de l'emploi.

À l'opposé d'une vision de l'enseignement postsecondaire dont le rôle est essentiel au développement culturel, social et démocratique et à la formation supérieure d'un nombre de plus en plus grand de citoyens et de citoyennes, le projet de fondation fédérale réduit la perspective au marché de l'emploi. Il contribuerait ainsi, à terme, s'il était mis en oeuvre, à détourner les établissements de leur mission à l'égard du développement de la recherche, de la création et des programmes de formation fondamentale vers des programmes débouchant prioritairement sur l'acquisition de «compétences» pour l'exercice des métiers et professions. Cette pression s'exerce déjà même si elle est critiquée et combattue et, au lieu de s'en démarquer, le gouvernement fédéral met tout son poids pour l'encourager.

Le statut de la fondation est inspiré par la même philosophie, dont il découle en quelque sorte. Le gouvernement allouera des centaines de millions de dollars à une fondation indépendante, composée d'administrateurs du secteur privé et non imputable, pour la gestion d'un gigantesque programme de bourses. Or, cette responsabilité est du domaine public, ne serait-ce que par la provenance des fonds impliqués. Mais étant donné aussi que l'enseignement postsecondaire est une institution de service public, il importe que ce caractère soit préservé dans tous les aspects touchant la définition de son rôle, de ses objectifs et de sa gestion. Le projet fédéral tourne le dos à cette exigence en confiant à des mandataires privés des responsabilités qui sont du ressort public, comme celle des régimes d'aide financière aux étudiants. De façon significative, le gouvernement déclare que les bourses du millénaire devront aider les étudiants à «composer» avec les hausses des droits de scolarité. Dès lors, plutôt que de favoriser vraiment l'élargissement de l'accessibilité, son programme aurait-il pour effet ou servirait-il en bonne partie à contrebalancer plutôt l'impact des augmentations de droits de scolarité qu'il aura lui-même contribué à encourager? Ainsi, l'on voit que les bourses du millénaire, loin d'aider à résoudre la crise du financement public de l'enseignement postsecondaire, s'inscrivent au contraire dans la poursuite d'une politique dédiée à la réduction des dépenses publiques et à l'augmentation des sources de financement privées.

• 1255

Enfin, l'autonomie institutionnelle et les principes de gestion collégiale par le système des pairs, qui sont au coeur de l'enseignement supérieur, sont eux-mêmes remis en question dans ce contexte, ce qui ne fait qu'accroître le caractère inacceptable de l'initiative fédérale à nos yeux.

Mesdames, messieurs, la fédération que je représente regroupe les syndicats et associations de professeurs des universités au Québec. À ce titre, nous intervenons aujourd'hui devant vous en plaidant la cause particulière du système de l'enseignement supérieur de notre province. Mais nous sommes profondément convaincus que le projet fédéral des bourses du millénaire est inopportun dans sa forme et son contenu actuels, non seulement pour le Québec mais pour toutes les provinces, tant au plan constitutionnel qu'à celui des principes qui l'inspirent. Si ce n'était qu'une question de visibilité, le dossier serait très facile à gérer, mais il soulève des objections de principe, des objections de fond. Nous espérons vivement que l'ensemble des universitaires du Canada et leurs associations représentatives sauront unir leurs voix pour s'opposer à sa mise en oeuvre et faire la critique du projet. Nous comptons aussi que nos voix seront entendues par les parlementaires et les gouvernements afin que l'idéal de promotion de l'enseignement supérieur soit défendu dans le respect des dispositions constitutionnelles et des valeurs fondamentales de nos institutions.

J'exprime en dernier lieu un souhait: que les négociations actuellement entreprises entre le gouvernement fédéral et le représentant du gouvernement du Québec aboutissent à un résultat positif dans le sens que nous le souhaitons et tel que je l'ai indiqué dans la présentation de ce mémoire. Je vous remercie de m'avoir écouté.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci beaucoup.

Monsieur Ritz.

[Traduction]

M. Gerry Ritz: Merci, madame la présidente.

Vous parlez de négociations entre la province du Québec et le gouvernement fédéral au sujet du fonds des bourses du millénaire. Souhaitez-vous obtenir une partie des 2,5 milliards de dollars directement en argent, ou une partie de l'allocation annuelle de 250 millions de dollars dont on parle?

[Français]

M. Roch Denis: C'est l'ensemble du projet des bourses du millénaire dont il s'agit. Si vous l'établissez sur 10 ans ou sur une année, il s'agit simplement, selon ce que nous souhaitons comme formule, que le Québec et les autres provinces aussi, si elles le réclament, puissent disposer de leur juste part proportionnelle dans ce projet fédéral.

Nous pensons que ce serait le meilleur compromis en l'occurrence puisque, de toute façon, le gouvernement fédéral ne devrait pas, à notre avis, se lancer dans un programme qui touche au domaine de l'éducation.

[Traduction]

M. Gerry Ritz: Vous avez parlé de montant proportionnel pour les provinces. Comment détermineriez-vous ce montant? Quel serait le critère?

[Français]

M. Roch Denis: C'est par le mécanisme des paiements de transferts, selon les dispositifs classiques de répartition des fonds entre les provinces selon leur taille, selon le nombre de contribuables, etc.

[Traduction]

M. Gerry Ritz: Il ne serait donc pas déterminé en fonction du nombre d'étudiants de la province ou de tout autre critère analogue?

[Français]

M. Roch Denis: Le nombre d'étudiants en rapport avec la population au Canada est toujours en relation avec la taille relative de chacune des provinces. Nous avons 256 000 étudiants universitaires au Québec grosso modo. Le programme fédéral des bourses du millénaire s'appliquerait directement à ces étudiants, mais la critique que nous faisons de ce projet porte sur le fait qu'il sépare la question des bourses et de l'allocation accordée aux individus du problème plus global et plus englobant du financement public des universités et des collèges.

• 1300

Donc, comme nous l'avons formulé au sein de cette coalition que nous avons formée, si le Québec récupère sa part des fonds, qui ne touche pas que le domaine des bourses puisqu'il a déjà son propre programme de bourses, il l'allouera selon ses programmes et priorités. Il ne l'allouera certainement pas uniquement à la bonification de son actuel programme de bourses et de prêts aux étudiants, mais aussi au redressement du niveau de financement des établissements.

Comment voulez-vous que nous donnions un meilleur accès aux étudiants de ce pays à l'université si nous laissons les établissements dans l'état de délabrement où ils sont maintenant depuis trop d'années? Mon discours est aussi bien celui du président ou du principal de l'Université de Toronto, M. Prichard, que celui de Bernard Shapiro de McGill ou des recteurs ou des principaux des universités au Québec et ailleurs au pays. C'est le nôtre.

On ne peut pas continuer d'asséner un programme de compressions aux établissements universitaires et simplement, de l'autre côté, agiter de manière très très visible un beau programme de bourses pour les étudiants. Il faut agir sur les deux fronts simultanément. C'est une des grandes faiblesses du programme fédéral que de ne pas s'«adresser» à cette question, si je peux utiliser cet anglicisme.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Perron, cinq minutes.

M. Gilles-A. Perron (Saint-Eustache—Sainte-Thérèse, BQ): Bonjour. Merci d'être venu, monsieur Denis.

Dans votre mémoire, vous parlez de coupures dans les transferts du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux pour les systèmes de santé, d'éducation et de services sociaux. Vous dites qu'on devrait essayer de revenir aux prémisses premières.

J'aimerais que vous nous donniez des exemples de ce qu'ont fait chez vous, à ce jour, ces coupures dans les paiements de transferts au système d'éducation. Quels en ont été les effets?

M. Roch Denis: Ce sont des effets indirects, si je puis dire. Je vais vous donner des exemples très concrets. Je commencerai par vous dire que ce sont des effets indirects, puisque le mécanisme des paiements de transferts aux provinces, en ce qui concerne le Québec en particulier, n'a pas pour effet d'allouer des sommes spécifiquement au domaine de la santé, au domaine de l'éducation ou au domaine de l'éducation postsecondaire.

Un élément nouveau qui est devant nous aujourd'hui, c'est l'engagement du l'actuel gouvernement du Québec à allouer à l'enseignement postsecondaire la part des fonds qui serait récupérée du gouvernement fédéral au titre du projet de bourses du millénaire. C'est un engagement formel que nous avons sollicité et qu'il a pris devant nous.

Les gouvernements, et pas seulement celui du Québec, depuis plusieurs années maintenant, se sont vu serrer la bourse par la réduction draconienne des paiements de transferts. Cela a eu toutes sortes de conséquences sur l'éducation mais aussi sur la santé, puisque la source des fonds publics disponibles s'est progressivement tarie.

En matière d'enseignement supérieur, cela veut dire que depuis les quatre dernières années, au Québec seulement, un demi-milliard de dollars ont été retranchés au budget des universités; plus de 450 millions de dollars. Le programme de compressions est maintenu ainsi au moins jusqu'à l'an 2000. Imaginez ce que cela signifie, un demi-milliard de dollars de compressions. Cela veut dire que le nombre de professeurs des universités québécoises a baissé de plusieurs centaines—la baisse est au-dessus d'un millier actuellement—par le mécanisme des départs à la retraite anticipée, par le mécanisme du gel des postes, par le mécanisme du non-comblement des postes ouverts.

• 1305

Nous avons aussi fait face à la réduction des fonctions des auxiliaires d'enseignement. Nous affrontons aussi une réduction du personnel de soutien des universités. Autre effet qui est commun non seulement aux universités québécoises mais à l'ensemble du pays: les fonds de recherche aussi ont baissé dramatiquement et la lutte pour des fonds plus rares s'est accentuée. La recherche scientifique universitaire demande la coopération et, à la faveur du définancement public progressif, on a vu s'accroître une concurrence souvent factice, d'ailleurs, à même les fonds publics.

Donc, nous avons vu à la fois les conditions d'enseignement et les conditions de formation des étudiants se détériorer. Un exemple qui est souvent cité, c'est celui des ratios professeur-étudiants. Du fait des compressions, il y a moins de professeurs pour enseigner à tant d'étudiants, si bien que la qualité de l'encadrement que nous offrons dans nos universités est remise en cause. Les budgets alloués aux bibliothèques ont décru et l'équipement scientifique est déficient dans le secteur de la science, mais aussi dans le secteur biomédical et dans le secteur des sciences sociales en général.

Ce n'est pas parce que le gouvernement fédéral a ramené les fonds alloués aux organismes subventionnaires aux niveaux où ils étaient en 1994-1995 dans son dernier budget que le problème du financement de la recherche et du financement public de la recherche universitaire est réglé au Canada, loin s'en faut. Ce sont des exemples.

M. Gilles Perron: Vous venez de nous donner le bilan de la situation au Québec. Avez-vous fait des comparaisons avec le reste du Canada? Est-ce la même photo partout?

M. Roch Denis: Le Comité Smith, qui avait été mandaté pour étudier en Ontario la situation du système d'enseignement supérieur, déclarait l'an dernier, chiffres à l'appui, relançant un vif plaidoyer à propos du gouvernement et lui demandant de prononcer un moratoire sur l'effet des compressions budgétaires—pourtant, les droits de scolarité sont plus élevés là, ce qui montre bien d'ailleurs qu'ils n'ont en rien réglé la crise financière des établissements—que la qualité de l'enseignement supérieur était d'ores et déjà mise en cause et que le processus de dégradation allait s'accentuer si le gouvernement Harris ne mettait pas un moratoire sur les compressions budgétaires. Ça, c'est la situation en Ontario.

Je suis sûr que mes collègues de l'Association canadienne des professeurs d'université, qui doivent comparaître bientôt devant vous, donneront aussi moult exemples de l'effet des compressions budgétaires sur l'enseignement supérieur dans notre pays.

M. Gilles Perron: Merci, madame.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci.

Madame Redman, vous avez cinq minutes.

[Traduction]

Mme Karen Redman: Merci, madame la présidente. J'ai quelques questions à poser.

Je voudrais que vous m'expliquiez clairement le sens d'une de vos remarques. Le fonds des bourses du millénaire n'accroîtra pas l'accès à l'éducation postsecondaire avant l'an 2000. Vous avez mentionné les réductions de transfert au titre du TCSPS et des difficultés financières actuelles que connaît l'éducation postsecondaire. Mais vous comprenez bien que ce fonds ne commencera à fonctionner qu'en l'an 2000, n'est-ce pas?

[Français]

M. Roch Denis: Je ne suis pas sûr de comprendre le sens de votre question.

[Traduction]

Mme Karen Redman: Le fonds des bourses du millénaire commencera à faciliter l'accès à l'éducation postsecondaire à partir de l'an 2000. Or, certaines de vos remarques portaient sur les contraintes actuelles auxquelles est soumise cette éducation et je voulais simplement m'assurer que nous savons tous exactement à quoi nous en tenir.

Vous avez également parlé d'une foule de choses qui ont trait à l'éducation postsecondaire, notamment des fonds de recherche et de l'engagement pris par le gouvernement du Québec.

• 1310

Lorsque nous avons sillonné le Canada au cours de nos audiences prébudgétaires, plusieurs provinces nous ont dit qu'elles hésitaient beaucoup à investir plus d'argent dans le TCSPS parce qu'il n'y avait pas de désignation précise des fonds et qu'elles n'étaient pas du tout sûres que l'argent allait à la fois aux soins de santé et à l'éducation postsecondaire, ce qu'elles souhaitaient.

Cela dit, il est évident que l'objectif du fonds des bourses du millénaire est de permettre aux étudiants d'avoir accès à cette éducation. Un des commentaires que nous avons entendus ces derniers jours au sujet de ce fonds est que c'est un système qui semble très bien fonctionner au Québec et qui semble faire l'unanimité chez les Québécois et chez les autres Canadiens.

Les personnes qui représentent le Québec ont notamment dit qu'il fallait éviter tout double-emploi. Une des caractéristiques du fonds des bourses du millénaire est qu'il serait réservé aux étudiants de premier cycle et que les étudiants à temps partiel bénéficieraient d'une aide financière.

Si je comprends bien, l'aide financière et les bourses dont bénéficieraient les étudiants à temps partiel grâce au fonds des bourses du millénaire sont tout à fait différents de ce qui existe actuellement au Québec. À mon avis, il n'y a donc pas double- emploi. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

Vous avez parlé d'une aide financière à la R-D. Le ministère des Finances et notre comité ont toujours été très favorables à cela. Vous en avez la preuve dans le budget de cette année. Mais ce n'était pas vraiment à cela que ces fonds étaient destinés. Leur objet était de faciliter l'accès des étudiants de premier cycle aux études supérieures. Je sais que vous parlez de ce projet dans un contexte très général, mais je considère que ce n'est pas exactement à cela que le fonds des bourses du millénaire est destiné.

[Français]

M. Roch Denis: Certainement, puisque c'est un autre aspect que, dans les limites du temps, je n'ai pas souligné. Le programme existant au Québec prévoit des bourses et un régime d'aide financière aux étudiants non seulement pour le premier cycle, mais pour aussi pour les deuxième et troisième cycles. C'est une autre raison qui nous amène à ne pas estimer opportune la mise en place de ce programme au Québec, puisque l'ensemble des dispositions qui doivent être prises au titre de l'aide financière aux étudiants doivent être conçues de manière cohérente dans un système intégré.

Si vous posez la question des étudiants à temps partiel, je vous répondrai que c'est la même chose que pour l'ensemble du système d'aide financière aux étudiants existant au Québec. Que le Québec fédéral verse au Québec les sommes qui lui permettront de bonifier, tel que cela a été dit, son propre régime en fonction de ses programmes et priorités.

Vous dites que le gouvernement fédéral veut aider et non pas dédoubler les accords ou les programmes déjà existants. L'intention est louable, mais la meilleure façon d'y arriver n'est pas de mettre, à partir du gouvernement fédéral, des dispositifs qui viendraient se jouxter à ceux du Québec. Pourquoi ne pas permettre au Québec, par l'allocation des fonds, de décider lui-même librement, comme il le fait depuis depuis plus de 30 ans, des modalités de ces programmes au titre de l'aide financière aux étudiants? Ce sont des priorités qui peuvent évoluer dans le temps, qui peuvent être réaxées.

Je pense qu'il y a là une question de principe. Ou bien l'éducation est un domaine de juridiction partagée, ou bien elle est un domaine de compétence provinciale. On ne devrait pas, à mon avis, jusqu'à nouvel ordre, à moins d'une réforme constitutionnelle d'envergure, modifier cette règle du jeu.

[Traduction]

Mme Karen Redman: Je voudrais deux ou trois autres précisions. Lorsque le gouvernement québécois s'est engagé à consacrer tout cet argent à l'éducation, était-il destiné à l'éducation postsecondaire ou à l'éducation en général?

• 1315

[Français]

M. Roch Denis: En ce qui concerne le Fonds des bourses du millénaire, qui est la raison de ma visite aujourd'hui, comme ce sont des fonds fédéraux provenant de l'argent des contribuables qui sont affectés à l'enseignement postsecondaire, l'engagement du premier ministre devant nous, c'est que ces sommes seront réallouées à l'enseignement supérieur. C'est un engagement formel qu'il a pris, et je vous prie de me croire que nous serons très vigilants pour qu'il en soit ainsi. Les bourses du millénaires ne sont pas une allocation versée à l'éducation dans son ensemble, mais à l'enseignement supérieur.

Tant que nous discutons de l'ensemble des paiements de transferts, touchant aussi bien la santé que l'éducation et les autres domaines, bien sûr, des fonds récupérés au titre de ces paiements seront versés à d'autres domaines, y compris aux autres ordres d'enseignement existant au Québec, de l'élémentaire au secondaire en particulier, puisque l'enseignement collégial au Québec, comme vous le savez, fait partie de l'enseignement supérieur.

Le gouvernement du Québec s'est engagé à affecter la partie des bourses du millénaires à l'enseignement postsecondaire, pas seulement à la bonification des bourses, mais aussi à l'arrêt des compressions et au redressement du niveau de financement public des universités. C'est nous qui insistons là-dessus parce que nous ne souhaitons pas que l'argent ne serve qu'à améliorer la capacité des étudiants de résister au phénomène de l'endettement. Nous voulons une action cohérente et convergente qui permette d'améliorer la situation financière des établissements et donc la qualité de la formation offerte. À quoi sert-il de donner accès aux études supérieures à des milliers d'étudiants si la qualité de la formation et des diplômes qui leur sont délivrés n'est pas au rendez-vous?

[Traduction]

Mme Karen Redman: Si vous me le permettez, je voudrais poser deux autres brèves questions.

Vous avez vivement critiqué la composition proposée du conseil d'administration du fonds des bourses du millénaire. Pourriez-vous donc me dire quelle devrait être, selon vous, sa composition?

[Français]

M. Roch Denis: Nous pensons que, comme cela fut le cas traditionnellement, au lieu d'être gérés par une fondation de caractère privé, ces fonds publics devraient être gérés dans le cadre d'une commission nationale publique, par exemple, qui assurerait la collégialité et la responsabilité des différents intervenants publics en matière d'éducation, et aussi la présence et la responsabilité de la communauté universitaire et des établissements.

Regardez comment fonctionne actuellement le régime d'aide financière des étudiants québécois. Il est géré par les organismes publics gouvernementaux du ministère de l'Éducation, mais en concertation et en partenariat étroit avec les établissements universitaires eux-mêmes et la conférence des recteurs.

Nous n'aimons pas cette tendance politique actuelle très marquée qu'on a vu s'affirmer aussi dans la Fondation canadienne pour l'innovation. Nous n'aimons pas cette tendance à confier des fonds publics à des instances privées non contrôlées. Nous pensons qu'à certains égards, cette politique détourne l'utilisation des fonds publics du contrôle public.

Pour la communauté universitaire, le système de gestion collégiale a toujours été un élément absolument déterminant.

C'est ainsi, par exemple, que les organismes subventionnaires, qui ont précédé depuis plusieurs décennies l'avènement de ces nouvelles dispositions politiques, sont gestionnaires de fonds publics, mais respectent, dans leur structure et dans la reddition de comptes, les mécanismes propres au milieu universitaire, au milieu de l'enseignement supérieur canadien.

[Traduction]

Mme Karen Redman: Merci.

De nombreux témoins qui nous ont parlé du fonds des bourses du millénaire ont dit qu'il devrait être fondé sur le mérite et les besoins.

Ma dernière question est la suivante. Étant donné que vous avez été professeur d'université pendant 27 ans, pourriez-vous me dire si cette formule vous paraît valable, s'il devrait y avoir deux objectifs parallèles...

Un des témoins a dit que cela se ramenait à un choix entre les plus pauvres des meilleurs ou les meilleurs des plus pauvres.

• 1320

[Français]

M. Roch Denis: Je dirai d'abord que l'évaluation du mérite ne devrait pas être confiée à une fondation indépendante de caractère privé. L'évaluation du mérite est un geste, un processus éminemment académique. Il est de la responsabilité des professeurs et des établissements d'enseignement supérieur, qui reçoivent de la part de la société, très largement à même les fonds publics, le mandat de former les citoyens et les citoyennes de demain et de leur donner la meilleure formation possible.

Donc, cette orientation en vertu de laquelle le mérite serait décidé et évalué selon des critères définis par une fondation de caractère privé est éminemment critiquable.

Le mérite, d'autre part, ne se sépare pas des conditions dans lesquelles les étudiants sont appelés à étudier dans nos établissements d'enseignement supérieur: la qualité de l'encadrement, la qualité des bibliothèques, le nombre de professeurs et la qualité des équipements scientifiques. Il faut que l'effort qui est fait à ce titre soit, je le répète, un effort d'ensemble. Il ne s'agit pas simplement de récompenser la minorité de ceux qui, malgré ces conditions qui s'empirent, réussissent malgré tout à s'en tirer.

Le mérite, en quelque sorte, devrait être rapatrié sur la scène académique comme la prérogative des établissements d'enseignement supérieur et de ceux et celles qui y oeuvrent. Le projet des bourses du millénaire, s'il était acceptable, ne devrait de toute façon considérer que la question des besoins financiers des étudiants et non pas celle du mérite.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Professeur Denis, combien coûte maintenant une année à l'Université de Montréal?

M. Roch Denis: Pour un étudiant?

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Oui.

M. Roch Denis: Les frais de scolarité sont d'environ 1 600 $ ou 1 700 $. J'exclus les aménagements particuliers qui ont lieu dans certains secteurs comme celui de la médecine, par exemple. Si vous prenez la moyenne, ils sont d'environ 1 700 $, plus évidemment d'autres frais afférents, plus l'accès à certains équipements, plus les ouvrages. Mais si vous me demandez le prix plancher, je vous dirai qu'il est d'environ 1 700 $.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Vous êtes professeur de sciences politiques. Avez-vous jamais obtenu une bourse de sciences humaines pour faire des recherches?

[Français]

M. Roch Denis: Bien sûr, pour faire mes études de doctorat à l'Institut d'études politiques de Paris.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): C'est de l'argent fédéral qui vous a été directement versé pour vous permettre de...

[Français]

M. Roch Denis: Non, pas du tout.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Pas du tout.

[Traduction]

Vous avez obtenu une bourse du CRSH, mais elle ne venait pas du gouvernement fédéral?

[Français]

M. Roch Denis: C'était une bourse obtenue dans le cadre de concours liant le gouvernement de la France et celui du Québec.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Oh, vous avez mal compris ma question.

Je vous ai demandé si vous avez obtenu une bourse du CRSH, c'est-à-dire du gouvernement fédéral. Je parle des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines. Il y a aussi le CRSNG, le CRM, le CRSH—qui sont tous des conseils subventionnaires.

[Français]

M. Roch Denis: Oui, dans le cadre de mes recherches, par l'intermédiaire des conseils subventionnaires. Mais la fondation qui est projetée ici n'est pas analogue à ces systèmes subventionnaires. Elle est d'une autre nature, elle a un autre statut. C'est ce que vous voulez que je fasse ressortir?

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Non, mais il y a une relation directe parce que c'est de l'argent que le gouvernement fédéral donne à une personne. Le gouvernement fédéral donne de l'argent aux étudiants de toutes les provinces du pays. Donc, un tel précédent existe.

• 1325

M. Roch Denis: Oui, il y a un précédent, mais ce n'est pas parce qu'il y a un précédent, à moins de changer l'ordre constitutionnel des choses, qu'on devrait aussi créer—pourquoi pas?—un ministère de l'Éducation fédéral. Pourquoi ne proposez-vous pas un ministère de l'Éducation fédéral?

L'éducation est du domaine provincial. Des ententes passées ont fait en sorte que, pour les fins de la recherche, des fonds fédéraux ont été alloués à des conseils subventionnaires sur lesquels la communauté académique peut agir en collégialité par le mécanisme des concours. Je conçois qu'il s'agisse de fonds fédéraux.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Vous considérez donc que ce dont nous discutons c'est de l'établissement d'un modèle de subvention. Si vous acceptez le fait que le gouvernement fédéral peut donner de l'argent aux conseils subventionnaires, comme il le fera pour la fondation du millénaire... Il pourrait également y avoir un apport du secteur privé, comme pour les bourses du millénaire, par exemple. Il y aura un comité consultatif qui comprendra des représentants du monde des affaires, des universitaires, peut-être même des étudiants et des représentants d'autres secteurs. Ce serait un modèle similaire. Le gouvernement fédéral apporte actuellement une aide financière aux étudiants dans toutes les provinces.

Si ce n'est pas ce que vous recommandez, voulez-vous dire que les subventions au CRM, au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, et au CRSH devraient toutes être réparties en fonction du nombre de personnes susceptibles de faire des études dans ces domaines au Québec, que l'argent devrait être versé au gouvernement provincial, et qu'une aide financière pourrait être ainsi accordée, mais pas nécessairement?

[Français]

M. Roch Denis: Je crois que votre argument au sujet des organismes subventionnaires est d'ores et déjà dépassé. D'abord, le gouvernement fédéral a appliqué la même politique de compressions budgétaires à l'endroit des organismes subventionnaires. D'autre part, la Fondation canadienne pour l'innovation modifie la donne en ce qui concerne la gestion des fonds. Ce que vous considérez comme une action directe vis-à-vis des individus se greffe, en ce qui concerne la Fondation canadienne pour l'innovation, à la mise en place d'un organisme, lui aussi de nature privée, qui va gérer l'attribution de fonds pour les infrastructures de recherche en dehors de la responsabilité et du contrôle public des établissements et des équipes de chercheurs.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Je ne suis pas sûre de vous avoir bien compris, mais je peux vous dire que j'ai assisté hier à la remise de bourses au cours de laquelle des chercheurs de toutes les régions de notre pays ont reçu de l'argent du CRSNG pour poursuivre leurs travaux. Je peux vous assurer qu'il s'agit là d'argent versé à ces conseils par le gouvernement fédéral et qui a d'ailleurs été augmenté dans le dernier budget.

Ma seule réponse à votre argument constitutionnel est que nous n'avons rien qui nous permette de donner de l'argent aux étudiants de premier cycle afin qu'ils puissent poursuivre leurs études universitaires. Nous utilisons déjà d'autres méthodes pour cela. Nous utilisons le Programme canadien de prêts aux étudiants. Nous utilisons aussi les conseils subventionnaires. La fonction dont nous parlons constitue un prolongement destiné à accroître l'accessibilité aux études supérieures. D'autre part, la fondation utilisera également des fonds privés afin d'accroître le nombre des étudiants bénéficiaires.

L'autre solution consiste à donner de l'argent aux provinces, comme vous le proposiez. Chaque province a fait des choix différents en ce qui concerne le financement de l'éducation. Au Québec, on a maintenu les frais de scolarité à un niveau très bas et utilisé des niveaux de financement différents selon les facultés. En Ontario, on a au contraire augmenté les frais de scolarité. En Colombie-Britannique, ces frais sont encore plus élevés. Il n'existe pas de processus qui assure, comme le suggérait Mme Redman... L'argent n'est pas assigné directement et il ne suit pas de voie directe une fois qu'il a été versé aux provinces.

Partout, des étudiants nous ont dit qu'il est indispensable qu'ils puissent réduire le montant de leur dette et avoir accès à l'université. Au cours des discussions, on a même suggéré que l'existence de ce fonds encouragerait plus d'étudiants à fréquenter l'université que ce n'est actuellement le cas dans certaines provinces telles que la Colombie-Britannique. Je ne connais pas exactement les chiffres au Québec, mais ce qui est certain, c'est que le taux d'abandon est terriblement élevé dans l'enseignement secondaire et à l'université. Il faut à tout prix que nous fassions quelque chose pour que ces provinces demeurent compétitives par rapport au reste de la nation.

Peut-être y a-t-il un moyen de procéder autrement et peut-être n'excédons-nous pas nos compétences constitutionnelles.

• 1330

[Français]

M. Roch Denis: Madame Torsney, vous plaidez pour la diversité, pour la reconnaissance de situations diverses. Dès lors, s'il y a un consensus des organismes québécois de l'éducation, pourquoi ne pas permettre au Québec d'exercer un droit de retrait des projets fédéraux de manière à ce qu'il puisse continuer d'organiser comme il l'entend ses priorités et ses programmes dans le domaine de l'éducation? Vous êtes convaincante lorsque vous dites que les situations sont très différentes d'un endroit à l'autre. Respectant cette diversité, pourquoi voulez-vous que nous soyons absolument obligés d'entrer dans ce programme fédéral? Pourquoi ne pas nous laisser faire, comme en 1964, le retrait sans condition avec compensation financière? Cela a très, très bien marché. Le programme d'aide financière québécois...

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Professeur Denis, êtes-vous prêt à quitter maintenant le système des conseils subventionnaires?

M. Roch Denis: Mais bien sûr.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Oh!

M. Roch Denis: Mais bien sûr, si...

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): C'est la position de la...

M. Roch Denis: Non, vous me posez la question. Les chercheurs québécois qui ont discuté de cette question ont toujours dit: «Nous ne lâcherons pas la proie pour l'ombre.» Si un programme aussi solide, aussi bien établi, respectant la communauté académique était mis en oeuvre, on pourrait parfaitement le développer à partir des fonds dont dispose le gouvernement ou l'État de la province de Québec. Tout à fait. Mais les chercheurs ne sont pas dupes. Comprenez-nous bien: nous ne laisserons pas la proie pour l'ombre. Nous n'allons pas fermer l'accès aux organismes subventionnaires actuels pour nous retrouver dans une situation où les instances d'allocation de fonds de recherche au Québec ne seraient pas au rendez-vous. Mais si les moyens financiers y étaient, nous serions prêts à envisager une refonte, y compris sur ce plan.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Bien. Merci beaucoup.

[Français]

Merci beaucoup de votre présentation.

[Traduction]

La séance est levée. Le comité reprendra ses travaux à 15 h 30, dans la même salle.