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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 27 novembre 1997

• 1535

[Traduction]

[Note de l'éditeur: Difficultés techniques]

M. Gordon Thiessen (gouverneur de la Banque du Canada): ...pour nous, et nous devons tenir compte des effets possibles de la crise sur nos autres partenaires commerciaux. Les événements survenus dans la région ont probablement contribué en partie au repli des cours mondiaux de certains produits de base importants pour le Canada.

[Français]

Tout bien considéré, nous estimons, pour le moment, que ces événements ne devraient pas avoir une grande incidence sur l'économie canadienne. Nous sommes conscients, toutefois, que certains secteurs d'activité et certaines régions au pays seront plus touchés que les autres.

De plus, l'évolution de la situation en Asie demeure très incertaine. Je tiens à vous assurer que nous suivons les choses de très près.

[Traduction]

Nous suivons de très près les événements en Asie et leurs répercussions probables pour le Canada. Je dois dire que même en présence d'une telle incertitude à propos de l'Asie, les récentes allusions à un risque de déflation me paraissent excessivement pessimistes. Il est certes possible que l'agitation venue d'Asie freine quelque peu l'expansion économique mondiale, mais l'économie la plus importante du monde, celles des États-Unis, fonctionne presque à la limite de sa capacité de production et risque bien plus une intensification des pressions inflationnistes que le contraire. Et, très certainement, ce qui importe le plus pour le Canada, c'est la tenue de l'économie américaine. De plus, on observe une amélioration des perspectives de croissance en Europe et au Mexique.

J'aimerais maintenant passer à la politique monétaire canadienne. Je n'entends pas résumer ici l'analyse que nous faisons dans le Rapport sur l'évolution attendue au cours des six prochains mois. Je crois que cette analyse est assez claire, aussi bien dans le Rapport que dans le Sommaire.

[Français]

Je voudrais dire quelques mots sur notre détermination à maintenir l'inflation à un bas niveau et sur les raisons pour lesquelles nous avons choisi un tel objectif. Il suffit simplement, ces jours-ci, de regarder du côté des États-Unis pour voir les avantages que comporte un taux d'inflation qui se maintient à un bas niveau.

Chez nos voisins, la croissance de la productivité s'accélère. L'expansion économique est stable et prolongée et l'emploi connaît sa meilleure tenue depuis des décennies. Il s'agit là de résultats qu'un bas taux d'inflation devrait contribuer à réaliser.

[Traduction]

Au Canada, notre cycle économique accuse un retard de quelques années par rapport à celui des États-Unis à cause des effets de la restructuration dans le secteur privé et des mesures d'austérité budgétaires. Toutefois, notre économie est en train de prendre de la vigueur et nous commençons à observer des gains dans la productivité et l'emploi. Pour que les progrès se poursuivent, nous devons absolument maintenir l'expansion de notre économie sur une trajectoire non inflationniste et, par conséquent, viable.

La leçon que nous avons apprise ces 25 dernières années, à un coût très élevé, est que la tolérance à l'endroit d'une accélération de l'inflation mène inévitablement à un cycle de surchauffe et de récession. Les gains qu'on croit enregistrer pendant la surchauffe sont amplement effacés pendant la récession.

[Français]

Je veux aussi souligner qu'il y a toujours un décalage entre la réduction du chômage et les progrès de l'économie. C'est pourquoi il est si important de prolonger l'expansion, si nous voulons obtenir une diminution durable du chômage.

[Traduction]

Une période prolongée d'expansion est indispensable pour obtenir une diminution durable du chômage.

Pour terminer, monsieur le président, j'aimerais expliquer brièvement le relèvement du taux officiel d'escompte effectué hier. Cette mesure vise à contrer la faiblesse persistante qu'affiche le dollar canadien depuis quelque temps. Compte tenu du bas niveau des taux d'intérêt, du bas niveau du dollar canadien et de la forte croissance de la masse monétaire, les conditions monétaires au Canada sont très expansionnistes depuis un certain temps.

• 1540

L'économie a pris de la vigueur cette année et, même s'il n'y aucun signe de surchauffe, elle n'a pas besoin d'être stimulée davantage par une autre baisse du dollar canadien. Mais ce qui importe plus encore peut-être, c'est que l'affaiblissement du dollar pourrait compromettre notre capacité de maintenir nos taux d'intérêt à moyen et à long terme au-dessous des taux américains.

En effet, nos taux d'intérêt ne peuvent être inférieurs aux taux américains que si l'on s'attend à une appréciation du dollar canadien. Or il est très important pour notre économie que les taux d'intérêt à moyen et à long terme restent bas étant donné le rôle qu'ils jouent dans le financement de logements et dans l'acquisition de technologies nouvelles, de machinerie et d'équipement, ainsi que de moyens de production en général.

Voilà, c'est tout pour ma déclaration liminaire.

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Merci beaucoup, monsieur Thiessen.

Nous allons maintenant passer à la période des questions. Monsieur Ritz.

M. Gerry Ritz (Battlefords—Lloydminster, Réf.): Je vous remercie de cette déclaration. Depuis trois ou quatre ans, le pays connaît un bon niveau de croissance économique, mais lorsque vous parlez de la nécessité de prolonger l'expansion, combien de temps avez-vous en tête?

M. Gordon Thiessen: Je veux parler d'une très longue période, sur plusieurs années.

Je ne voudrais pas donner l'impression que nous ayons atteint le point où nous n'aurions plus à nous inquiéter des cycles économiques, mais le genre de situation que nous avons vécue au cours des 25 dernières années de surchauffes suivies de profondes récessions est évitable à l'avenir si les taux d'inflation restent faibles.

Alors, nous pourrons maintenir l'expansion sur plusieurs années. On ne peut jamais en être certain, car il peut se passer dans le reste du monde des événements qui ont des répercussions ici, mais en l'absence d'événements dramatiques ailleurs, j'entrevois facilement plusieurs années d'expansion.

M. Gerry Ritz: Vous voulez donc dire que ce qui se passe à l'extérieur peut être tout aussi nocif que ce que nous pouvons faire nous-mêmes.

M. Gordon Thiessen: Certainement, mais ce qui compte avant tout pour nous, c'est la situation aux États-Unis. Tant que l'économie américaine continue ce type d'expansion stable et non inflationniste, le Canada peut s'en réjouir.

[Français]

M. Gilles-A. Perron (Saint-Eustache—Sainte-Thérèse, BQ): Dans cette même salle, lors des audiences du Comité permanent des finances, nous avons eu une discussion assez approfondie sur le taux d'inflation. Je crois que la majorité des experts disaient que le taux d'inflation canadien devrait être autour de plus ou moins 3 p. 100. Votre position est de le garder plus bas. Expliquez-moi vraiment pourquoi il faut conserver un taux d'inflation similaire à celui des États-Unis, soit un taux d'environ 3 p. 100.

M. Gordon Thiessen: Je dois dire que le taux d'inflation américain est maintenant à peu près entre 2 et 2,5 p. 100. Eux, ils font une erreur dans le calcul de ce taux. Quand on ajuste le taux en tenant compte de cette erreur, on peut dire que le taux d'inflation aux États-Unis est d'à peu près 1,2 p. 100, ce qui est très près de notre taux d'inflation, ici, au Canada. Actuellement, il n'y a pas de différence entre le taux d'inflation aux États-Unis et au Canada.

Mais, je dois préciser que nous visons un taux d'inflation entre 1 et 3 p. 100. Je ne crois pas que la plupart des experts pensent qu'un taux d'inflation à 3 p. 100 est ce qu'il y a de meilleur. Je ne le pense pas. Je crois qu'il faut avoir un taux d'inflation bas et stable et, à 3 p. 100, c'est quand même assez élevé.

[Traduction]

Le président: Monsieur Nystrom.

M. Lorne Nystrom (Qu'Appelle, NPD): Je tiens à souhaiter la bienvenue à M. Thiessen. Désolé d'être un peu en retard, mais j'ai dû rester à la Chambre où l'on débat du projet de loi C-2 sur le Régime de pensions du Canada.

J'aurais quelques questions à vous poser. Le taux d'escompte est monté hier et aujourd'hui le dollar a encore baissé. Il est remonté hier et retombé aujourd'hui. Pouvez-vous nous expliquer ce mouvement? Cela signifie-t-il peut-être que cette hausse du taux à court terme n'était pas vraiment nécessaire dans le plan d'ensemble?

• 1545

M. Gordon Thiessen: Je ne pense pas que cela signifie que la hausse du taux d'escompte n'était pas nécessaire, mais il est certain que notre devise est faible depuis quelque temps et qu'elle le reste quelque peu aujourd'hui.

Mais il y a turbulence dans le monde, et, dans ces circonstances, il est extrêmement difficile pour les investisseurs, les intervenants sur les marchés, de juger ce que cela signifie exactement pour le Canada, le dollar canadien, et le niveau du prix des produits de base au Canada.

Dans ces circonstances, il faut donc s'attendre à des fluctuations de notre devise qui ne reflètent pas pour autant, à mon sens, les conditions sous-jacentes. Elles sont dues à l'incertitude et à une certaine agitation.

Je reste convaincu que les données fondamentales de l'économie canadienne et du dollar canadien sont positives. Mais lorsque les marchés internationaux sont agités, le genre de pression que nous avons vu est tout à fait possible, n'importe quel jour de n'importe quelle semaine, et même sur une plus longue période.

M. Lorne Nystrom: Pourrais-je avoir plus de précisions sur ce que le ministre a appelé les pressions inflationnistes prévues? Notre taux d'inflation est actuellement très bas, à 1,5 p. 100. Il a même baissé un peu le mois dernier.

Ce qui m'inquiète, en même temps que beaucoup d'autres, c'est qu'une hausse des taux d'intérêt risque de ralentir l'économie et donc la création d'emplois. Le taux de chômage officiel est de 9 p. 100. Mais il y a beaucoup de chômage caché et d'assistance sociale. Beaucoup d'Autochtones ne sont même pas inclus dans ces statistiques.

Je me demande si vous n'êtes pas un peu trop sensible aux pressions inflationnistes et ne risquez pas par là de ralentir l'économie? Les chômeurs en font les frais. Vu vos antécédents, je suis sûr que vous en êtes conscient.

Je ne m'explique pas pourquoi vous êtes si inquiet d'une inflation à 1,5 p. 100. Ne considérez-vous pas l'autre face de la médaille? Elle fait aussi partie de vos responsabilités. Il fut une époque où, avec un taux d'inflation de 1,5 p. 100, nous aurions dansé dans la rue.

M. Gordon Thiessen: Tout d'abord, je ne crois pas à ce type de contrepartie. Un taux d'inflation plus élevé ne se traduit pas par une amélioration durable de l'emploi et une réduction stable du chômage.

Mais je dois vous dire que nous ne prévoyons pas de pressions inflationnistes à l'horizon. Si nous avons agi ainsi, ce n'est pas parce que nous craignons de voir resurgir l'inflation au tournant. En fait, nous avons vécu une période très difficile. Une période pendant laquelle l'économie canadienne a subi une restructuration profonde, restructuration qui a entraîné beaucoup de licenciements et provoqué beaucoup d'incertitude. Nous avons également vécu une période, nécessaire mais pénible, d'austérité budgétaire.

Ces deux facteurs ont freiné notre économie. Par conséquent, au cours des deux dernières années, nous avons essayé de compenser la situation par une politique monétaire extrêmement stimulante et souple.

Ce n'est donc pas que nous craignions de voir resurgir l'inflation, mais comme la restructuration ralentit et que l'austérité budgétaire des gouvernements touche à sa fin, il ne nous paraît plus nécessaire de maintenir un tel niveau de stimulation pour l'avenir.

Et, bien sûr, nous devons tenir compte de l'avenir. Nous devons évaluer la situation à un ou deux ans de distance.

Donc, pour ce qui est de l'idée que l'expansion économique serait trop rapide et que nous prévoyons une reprise de l'inflation, ce n'est pas le cas; nous sommes parfaitement satisfaits de voir l'économie croître à un taux de 4 p. 100, et si nous faisons bien notre travail, cela ne devrait entraîner aucune inflation.

M. Lorne Nystrom: Certains ont l'impression que John Crow, il y a quelques années, était allé trop loin. Même le très respecté Paul Hellyer, ancien ministre libéral, l'a dit à plusieurs reprises.

Certains craignent que vous ne soyez le clone de John Crow, car vous accordez trop d'importance à une éventuelle inflation. Je voulais simplement vous signaler que beaucoup de gens sont véritablement inquiets que la banque ne ralentisse l'économie canadienne trop tôt.

La reprise aux États-Unis est plus forte que la nôtre. Leur taux de chômage est plus faible que le nôtre. Quand les Américains éternuent, nous nous enrhumons. Je me demande quelle est en fait votre marge de manoeuvre.

• 1550

Pour en revenir à ma question, la Banque du Canada appuie peut-être un peu trop fort sur le frein quelquefois. En tant que pays, quelle est notre véritable marge de manoeuvre pour ce qui est des effets de la politique monétaire et de l'économie?

Je ne suis pas très content de ce que vous pensez du travail de votre prédécesseur. Bien entendu, je ne m'attends pas à ce que vous le critiquiez, mais il reste que bien des gens sont inquiets de vous voir suivre son exemple.

M. Gordon Thiessen: Les circonstances actuelles sont très différentes de ce qu'elles étaient à la fin des années 80 et au début de 1990. De fait, vu les faibles taux d'inflation et le sentiment de plus en plus net que ces taux devraient rester faibles, notre marge de manoeuvre en politique monétaire est probablement plus grande aujourd'hui que jamais au cours des 25 dernières années et cela nous donne la possibilité de mettre à l'épreuve notre potentiel de production.

Comme je l'ai dit à ceux à qui j'ai parlé récemment, l'expérience américaine me paraît fort intéressante, car avec un taux d'inflation en baisse, et qui se rapproche du nôtre actuellement, les Américains ont réussi à gérer leur économie pour une longue période d'expansion, de telle façon que l'inflation et le chômage ont baissé parallèlement, et ils ont pu constater qu'ils avaient davantage de marge d'expansion qu'on ne le pensait. Cela n'est possible que si les gens ne craignent pas une nouvelle période inflationniste.

Nous avons maintenant la possibilité de faire quelque chose de semblable. Nous ne le ferons pas en prenant de gros risques avec l'inflation, mais en continuant l'expansion, et cela signifie la maintenir à un taux durable et non inflationniste. Et du point de vue de l'emploi, cela nous ouvre les meilleures perspectives que nous ait offertes cette économie depuis bien des années.

M. Charles Freedman (sous-gouverneur de la Banque du Canada): Si vous me permettez d'ajouter un mot, il est certain que les conditions monétaires se sont resserrées quelque peu depuis un certain temps, mais n'oubliez pas qu'elles demeurent extrêmement stimulantes. Nous sommes un peu en deçà des taux américains à échéance de 30 ans—170 points de base en deçà—ce qui ne s'était jamais vu.

Pour reprendre une image que le gouverneur a utilisée, nous n'avons pas freiné à bloc, nous avons simplement lever le pied de l'accélérateur. Mais les conditions restent, très, très stimulatrices.

M. Lorne Nystrom: J'en suis conscient. Mais tout comme vous prévoyez une poussée de l'inflation et des risques graves à terme si l'on ne prend pas les mesures nécessaires, beaucoup de gens sont eux très inquiets que vous n'alliez trop loin et qu'en calmant la relance vous n'envoyiez d'autres gens au chômage. C'est ce qui s'est passé sous l'administration de John Crow, et je sais que les gens restent très inquiets de cette possibilité.

Je voudrais savoir pourquoi vous êtes si inquiet maintenant, alors que le taux d'inflation est si faible. Il y a quelques minutes, je vous entendais parler de la restructuration financière des dernières années, mais enfin, le taux d'inflation est extrêmement bas et les gens ont du mal à comprendre.

Je crois que vous venez de la Saskatchewan, et vous comprenez sans doute que les gens ordinaires de la province sont très satisfaits de la reprise économique que connaît le pays, et ils craignent que vous ne veniez la freiner.

J'ai aussi une autre question. Quand faut-il s'inquiéter du taux du dollar? Vous vous en inquiétez maintenant, et le dollar est faible; j'ai vérifié il y a quelques heures: il est juste au-dessus de 70 cents. S'il tombe en dessous de 70c., cela vous inquiète-t-il encore davantage?

Je sais que vous ne pouvez pas parler très directement de certaines choses qui sont trop sensibles, mais je vous serais reconnaissant d'approfondir un peu sur ces deux points.

M. Gordon Thiessen: En ce qui concerne le dollar, je dois dire que je n'aime pas le voir faible. Je ne crois pas qu'une devise faible soit à long terme dans l'intérêt...

M. Lorne Nystrom: Mais qu'entendez-vous par une devise faible? Dans la région d'où nous venons, vous et moi, certains apprécient un dollar assez faible car il stimule les exportations provinciales, de cette province-là ou d'autres, par habitant. Alors qu'entendez-vous par un dollar faible? À une certaine époque, on aurait considéré que le dollar était extrêmement bas à 70 cents.

M. Gordon Thiessen: C'est vrai. J'entends que ce qu'on considère comme une valeur faible dépend de l'inflation que nous avons connue.

Nous avons derrière nous une très longue période de forte inflation; c'est ce qui explique que notre dollar soit si faible. Si notre taux d'inflation n'avait pas dépassé celui des Américains, essentiellement pendant 20 ans, notre dollar serait plus solide, ou au moins plus cher, qu'il ne l'est actuellement.

• 1555

Une devise faible, c'est essentiellement une devise qui continue à stimuler les exportations, qui crée une situation où, si l'on compare les prix et les coûts des exportations entre le Canada et les États-Unis, on constate qu'ils sont beaucoup plus faibles ici. Ce n'est pas un problème si cela dure un certain temps, pendant que l'on relance l'économie.

Quand une économie est faible, on s'attend forcément à des taux d'intérêt faibles et à un dollar faible. Parce que cela fait partie des éléments nécessaires pour relancer l'économie à sa pleine capacité. Mais il ne faut pas que ces conditions durent trop longtemps, car cela voudrait dire surstimulation de l'économie, et donc retour au cycle de la surchauffe et de la récession. Nous sommes déjà passés par là, et nous voulons l'éviter cette fois-ci.

Si nous y parvenons, ces gens qui sont inquiets aujourd'hui seront rassurés. Nous avons réussi à maintenir l'élan économique, et surtout avec des taux de croissance considérables, qui permettent de résorber la capacité non utilisée. Je crois que c'est de très bon augure pour l'économie. Ce sera de très bon augure également pour les revenus; ce sera de très bon augure pour l'emploi.

Il ne faut surtout pas que nous atteignions soudainement la capacité maximale, car il s'ensuivrait une autre période d'inflation. C'est ce que les Américains ont réussi à éviter cette fois-ci; c'est ainsi qu'ils ont réussi à faire durer l'expansion, et c'est ce que nous voulons faire également.

[Français]

Le président: Monsieur Harvey.

M. André Harvey (Chicoutimi, PC): Monsieur Thiessen, je dois d'abord vous dire le plaisir que j'éprouve à participer, avec mes collègues, au Comité permanent des finances. C'est ma première expérience de ce genre. Mon collègue, M. Jones, s'excuse de son absence.

Monsieur Thiessen, on pourrait évidemment épiloguer longuement sur tous les paramètres économiques et monétaires, les taux d'intérêt, le niveau d'inflation. On connait déjà pas mal votre point de vue sur ces sujets.

Mais, pendant que nous discutons entre nous de ces concepts théoriques quand même importants, vous n'êtes pas sans savoir qu'ici au pays, la pauvreté croît énormément et qu'il n'y a pas toujours adéquation entre l'amélioration de la productivité dans les entreprises et la création nette d'emplois. C'est évident que toute la question des nouvelles technologies joue un rôle dans ce problème.

Cette situation vous préoccupe-t-elle? Des paramètres relativement bons ne sous-tendent pas nécessairement un mieux-être pour les citoyens. Le taux de chômage est encore élevé. Il n'y a pas une région du pays où, de ce temps-ci, on ne tient pas de colloque sur la pauvreté, etc.

Pourtant,—je ne veux pas être trop partisan ici— on se promène à travers le monde, on a des équipes à peu près sur tous les continents et, c'est une réalité qui est importante, on a soutenu l'exportation grâce au libre-échange. On a augmenté nos exportations de 140 p. 100.

Cependant, on sait pertinemment qu'ici au pays, si on appliquait ce principe du libre-échange dans notre propre pays, il y aurait peut-être une croissance de 8 à 10 p. 100 des échanges et entre 200 000 et 300 000 emplois de créés.

Votre travail, relativement à la politique monétaire, pourrait-il comporter une motivation qui favoriserait ce genre d'entente? Comment ressentez-vous le fait que nous ayons un haut taux de chômage, malgré des paramètres qui soient relativement bons? Personnellement, cela me préoccupe un peu.

M. Gordon Thiessen: Je crois qu'à long terme, la productivité et une augmentation d'emplois vont de pair. À court terme, on dit toujours que, si la productivité augmente, il y aura perte d'emplois, mais à long terme, ce n'est pas vrai.

Les années 60 sont très intéressantes à examiner. Ce fut une période où le taux d'augmentation de la productivité était très élevé, mais c'était aussi une période où on avait une taux de croissance d'emplois très élevé aussi. C'est très intéressant.

Quand les employeurs ont une augmentation de la productivité, ils sont tout à fait prêts à embaucher de nouveaux employés. C'est intéressant. Il n'y a pas vraiment une sorte de trade-off, comme on dit en anglais, entre la productivité et le taux de chômage.

• 1600

Je crois que, pour nous, une augmentation de la productivité serait la meilleure chose possible. Cela augmenterait notre niveau de vie au Canada, de même que l'emploi. Même si, quand cela se produit, il peut y avoir des répercussions, des difficultés, à long terme, la meilleure chose pour l'économie, c'est un taux de croissance de la productivité le plus élevé possible.

C'est ce qui se produit actuellement aux États-Unis. Ils ont le taux de chômage le plus bas depuis les années 60, mais aussi une augmentation de la productivité très élevée.

M. Bernard Bonin (premier sous-gouverneur, Banque du Canada): Je pourrais peut-être ajouter qu'il me semble que l'objectif de toute la politique économique, au fond, c'est de favoriser le mieux-être de la population et non pas les problèmes ou le malaise. En ce sens-là, je pense que la pauvreté et le chômage sont des préoccupations pour les responsables de la politique économique.

Cependant, en ce qui a trait à la politique monétaire, cela peut sembler une évidence, mais elle porte sur la monnaie. L'objectif qu'on se donne, c'est de préserver autant que possible le pouvoir d'achat de la monnaie en question. Vous ne créez pas de revenus et vous ne créez pas de richesse avec la politique monétaire comme telle. Ce que vous pouvez faire, c'est tenter de créer les conditions favorables à l'augmentation des revenus et de la richesse. Or, la meilleure façon de le faire, et je pense que le gouverneur l'a bien expliqué, c'est de prolonger l'expansion dans l'économie canadienne et favoriser l'augmentation de la productivité.

M. André Harvey: Merci beaucoup.

Le président: Merci.

[Traduction]

Nous allons maintenant passer au Parti libéral en commençant avec M. Pillitteri, suivi de M. Assad.

M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci, monsieur le président. Heureux de vous revoir, monsieur le gouverneur. Il me semble que depuis quatre ans, nous vous rencontrons deux fois l'an, et cela fait plaisir de vous voir venir présenter votre rapport au comité.

J'ai une question en deux volets. Premièrement, notre gouvernement s'efforce d'attirer des investissements étrangers et de créer au Canada un climat favorable aux investisseurs étrangers, qui s'attendent bien sûr à un rendement sur leur investissement. Mais j'ai un peu de mal à suivre ce que vous dites lorsque vous parlez des taux d'intérêt et de la croissance rapide de la masse monétaire. Nous nous intéressons également au RPC, et nous savons qu'il va arriver sur le marché canadien une énorme quantité de capitaux—entre 40 et 50 milliards de dollars pour commencer—qui seront suivis des fonds de pension. La pression va donc augmenter pour une plus forte proportion d'investissements à l'étranger.

Je n'arrive pas à concilier les deux. D'une part, nous essayons de créer un environnement favorable pour attirer des capitaux au Canada et, bien entendu, les investisseurs voudront que cela rapporte. Par ailleurs, nous essayons de donner la possibilité à ces fonds de pension et ces fonds de RÉER... qui sont limités à 20 p. 100, et certains voudraient que la limite soit relevée au-delà de 20 p. 100. Je ne peux pas concilier les deux. N'aurait-on pas alors une masse monétaire excessive au Canada, ce qui viendrait encore affaiblir le dollar?

M. Gordon Thiessen: Je ne crois pas que le problème serait un nouvel affaiblissement du dollar canadien, et il y a une distinction à faire entre le court terme et le long terme.

L'économie canadienne a traversé une phase de restructuration majeure. Il y avait beaucoup de choses à faire: renouveler l'équipement, investir dans de nouvelles usines et nous préparer à être vraiment compétitifs dans l'économie internationale. Mais si l'on regarde loin dans l'avenir, je crois vraiment que le Canada, de plus en plus, va devenir un épargnant net. Si l'économie marche aussi bien que je l'espère dans les années à venir, de plus en plus, comme probablement toutes les économies riches, nous allons devenir un épargnant net.

• 1605

Il va donc devenir très important—mais ce n'est pas pour demain—que les investisseurs canadiens puissent investir à l'étranger. De fait, les économies en croissance des pays moins développés vont se tourner vers les économies riches pour y chercher des capitaux; mais je ne crois pas que ce soit pour demain. Je crois qu'il y a une différence à faire entre le court terme et le long terme.

Mais il s'agit là d'investissements, et ce n'est pas tout à fait la même chose que la masse monétaire dont nous parlons. Quand j'ai parlé de forte croissance de la masse monétaire, je pensais à l'argent que les Canadiens détiennent, en espèces, dépôts à vue, dépôts avec tirage de chèque de différents types, c'est-à-dire de l'argent qui est utilisé dans les transactions. C'est cette masse-là qui augmente très rapidement. Elle a augmenté au taux de 16 p. 100. Plus récemment, c'était plutôt à 12 p. 100. Ce n'est pas tout à fait pareil que les investissements que l'on fait dans un fonds de pension, ou un fonds mutuel.

M. Gary Pillitteri: J'ai encore une question.

M. Charles Freedman: Pourrais-je ajouter un mot à cela? Dans une économie très ouverte, dans le type de marchés mondiaux des capitaux que nous connaissons, il va y avoir énormément de diversification. Les Canadiens voudront avoir une partie de leurs actifs à l'étranger, de manière à se protéger contre les risques qui ne visent que le Canada et, bien sûr, les étrangers voudront détenir beaucoup d'actifs canadiens. Donc, où qu'ils habitent, les gens auront des portefeuilles composés à la fois d'actifs nationaux et d'actifs étrangers. Tout comme les échanges se font dans les deux sens, les investissements iront dans les deux sens à mesure que les gens diversifient leur portefeuille au Canada et à l'étranger.

M. Gary Pillitteri: Donc, à votre avis, il n'y a pas à s'inquiéter des montants que génère notre propre RPC ou tout autre régime de pensions canadien. Nous devrions ouvrir plus grand la porte aux investisseurs étrangers si l'économie canadienne est en mesure d'absorber tous ces fonds.

M. Gordon Thiessen: Comme vient de le dire mon collègue, lorsque l'économie mondiale est extrêmement diversifiée et qu'il y a des épargnants, certains étrangers souhaiteront investir leur argent au Canada, tandis que certains Canadiens souhaiteront placer leur argent ailleurs. Mais ce dont je parlais, c'était une situation où les Canadiens auraient en fait épargné plus d'argent qu'il ne nous en faut. Par conséquent, l'excédent net irait à l'étranger. Mais, je le répète, ce n'est pas pour demain, ou même après-demain. Ce sera pour plus tard, dans l'avenir. Je ne suggère pas que l'on se précipite pour aller tout de suite changer les règles.

Le président: Merci monsieur Pillitteri.

Monsieur Assad.

M. Mark Assad (Gatineau, Lib.): Monsieur le gouverneur, je ne sais plus si c'était lors de votre dernière visite ou lors de la précédente, mais vous aviez dit que vous aviez regretté d'avoir parlé de déflation.

À la lumière des événements d'Asie du Sud-Est, ou d'Asie en particulier, la presse internationale semble relever le spectre de la déflation, disant qu'elle pourrait s'installer et avoir des répercussions ici.

La Banque du Canada a restructuré beaucoup de choses, mais si l'on considère que vous avez abandonné les réserves...et c'était une excellente affaire pour les banques en 1990 ou 1991, cela ne fait aucun doute. La Banque du Canada ne devrait-elle pas repenser sa politique de contrôle de l'inflation par les taux d'intérêt, alors que nous risquons d'entrer en période de déflation? L'effet pour l'emploi au Canada serait terrible. Monsieur Thiessen, pensez-vous que nous devrions avoir un plan de rechange pour le cas où ce problème en Asie se concrétiserait et entraînerait pour nous une terrible déflation?

M. Gordon Thiessen: Comme j'ai essayé de le dire dans ma déclaration liminaire, ces annonces de déflation me paraissent tout à fait exagérées. Je crois que ces gens sont excessivement pessimistes. Ils prévoient le pire, mais je ne vois aucune raison de s'attendre au pire. Ils supposent également que lorsque le pire se produit dans tous les cas, il n'y a aucune manière sensée de réagir. Cela fait beaucoup de choses qui doivent aller mal avant que tout cela n'arrive, et je ne considère donc pas que le risque soit très élevé.

• 1610

Comme je le disais, la plus grande économie au monde, les États-Unis, sont à la limite de leur capacité de production. S'il y a risque, c'est plutôt un risque de voir l'inflation monter et non descendre. Donc, compte tenu de la situation aux États-Unis, compte tenu du fait que les économies européennes s'accélèrent, et que le Royaume-Uni est à la limite de sa capacité de production, je ne vois pas une tendance à la déflation. Si, toutefois, les pressions déflationnistes étaient plus importantes que je ne le pense, les banques centrales devraient effectivement réagir en ajustant leur politique monétaire. C'est la raison pour laquelle je considère nos objectifs de contrôle de l'inflation si importants.

Il est tout autant de notre responsabilité d'empêcher que l'inflation tombe trop en dessous de 1 p. 100 que de l'empêcher d'aller bien au-delà de 3 p. 100. Si le monde devait subir un grand choc déflationniste, et si cela devait entraîner une pression à la baisse de notre taux d'inflation, la Banque du Canada devrait alors relâcher les conditions monétaires afin de prévenir ce type de mouvement. Et si l'inflation au Canada tombait en dessous du seuil qu'a fixé la Banque du Canada, et si nous ne faisions rien pour l'arrêter, alors vous auriez de bonnes raisons de penser que nous sommes parfaitement incompétents.

M. Mark Assad: Me permettriez-vous...

Le président: Je regrette, mais nous devons passer au suivant.

Monsieur Iftody.

M. David Iftody (Provencher, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie, monsieur Thiessen, de votre exposé. Je voulais en fait parler d'un certain nombre de choses qui ont été mentionnées par le député du Parti néo-démocrate.

Moi aussi j'ai suivi l'évolution du dollar et j'ai vérifié le taux avant de venir. C'est une des raisons pour lesquelles j'étais en retard; j'attendais de recevoir les derniers chiffres. Il semble que la décision que vous avez prise—de remonter le taux de 25 points de base—n'a eu que peu ou pas d'effet. Il y a eu un gain de 67 points et, sauf erreur, le dollar est maintenant presqu'à son niveau le plus faible, près de 70 cents.

Je représente la circonscription de Provencher au Manitoba, où je sais que vous êtes allé.

M. Gordon Thiessen: Oui.

M. David Iftody: La faiblesse du dollar favorise certainement nos exportations. Pour les agriculteurs, c'est excellent. C'est très, très utile. Mais, en même temps, je peux vous dire que beaucoup d'entre eux sont très inquiets de voir le dollar à 70c., inquiets de l'incertitude que cela cause sur le marché tout en envoyant un signal à la fois aux investisseurs étrangers et aux Canadiens.

À mon avis, il serait bon que le dollar se situe à 75 cents. De fait, nos exportations resteraient certainement très concurrentielles, dans les conditions actuelles, jusqu'à 80 cents. Mais j'estime que nous atteignons des niveaux dangereusement bas. Je crains, par exemple, que si nous tombions en deçà de 70c., à 69c., cela n'envoie un signal psychologique non seulement aux Canadiens, mais aussi aux investisseurs étrangers. Et cela malgré ce que vous disiez, et qui est tout à fait juste: les données fondamentales sont saines. Mais les gens ne semblent pas y croire, et je ne comprends pas très bien pourquoi. La question est de savoir combien de temps nous pouvons tenir. Jusqu'où êtes-vous prêt à laisser tomber le dollar avant que les choses ne tournent mal?

Maintenant, avec les récents événements de Vancouver au cours des deux derniers jours, par exemple, il y a eu une ruée sur la devise. Plusieurs présidents de pays asiatiques ont dit que nos données fondamentales étaient solides, mais le problème vient de quelques mauvais garçons, opérateurs en devises, ces fameux gamins en bretelles rouges, qui sèment la pagaille dans le pays. Mais les 18 pays de l'APEC se sont récemment entendus sur un ensemble de mesures de sécurité pour appuyer la devise, et le président du Mexique aurait été le premier à prendre la parole pour dire combien cela avait contribué à stabiliser son pays. Alors, pourquoi la Banque du Canada n'aurait-elle pas les mêmes variables ou notions de soutien pour la devise canadienne?

• 1615

En résumé, je suis d'accord que les éléments fondamentaux sont sains, mais les marchés ne semblent pas recevoir le message, et ce malgré l'augmentation de 25 points de base hier. Permettriez-vous que le dollar tombe en dessous de 70 cents? Serait-ce sain? Est-ce que cela provoquerait une crise dans le pays? Jusqu'où sommes-nous prêts à aller? Je ne suis pas à l'aise; et si je considère l'exemple récent du FMI à l'égard des économies asiatiques, il s'est montré prêt à assurer ce type de soutien afin de faire comprendre aux investisseurs que nous avons confiance dans la capacité des économies asiatiques. Peut-être, monsieur Thiessen, devrions-nous prendre le même genre de mesures ici au Canada pour mieux faire comprendre aux investisseurs étrangers que le Canada est sain, solide et prêt aux affaires.

M. Gordon Thiessen: Je crains que nous ne soyons là dans un domaine délicat pour moi. Me prononcer sur le niveau actuel de la devise et dire ce que nous serions prêts à faire ou à ne pas faire, c'est délicat pour moi et j'espère que vous comprenez...

M. David Iftody: Je comprends.

M. Gordon Thiessen: ...que j'hésite un peu à me prononcer clairement d'une manière ou d'une autre. Je ne crois pas qu'une banque centrale puisse se permettre de faire cela.

Je conviens, de manière générale, que nous ne sommes pas heureux de voir un taux de change en perte de vitesse alors que les éléments fondamentaux sont positifs, et ce n'est certainement pas une situation idéale à long terme. Et c'est pourquoi je dois dire qu'à moins qu'il ne se passe quelque chose de terrible quelque part dans le monde qui pourrait véritablement affaiblir la position du Canada, je ne crois pas que les assises du dollar canadien soient faibles.

Il ne fait aucun doute qu'une devise faible pendant longtemps pourrait affaiblir nos industries exportatrices. Il est particulièrement intéressant de considérer 1986, quand le dollar était tombé à 69 cents. Beaucoup d'entreprises exportatrices me disent ouvertement aujourd'hui que ce n'était pas une bonne chose. Dans bien des cas, elles ont compté davantage sur la faiblesse du dollar que sur leur propre productivité et compétitivité. Encore une fois, l'expérience américaine est très intéressante. Actuellement, en dépit d'une devise relativement forte, les industries exportatrices américaines se portent remarquablement bien.

On peut aussi citer l'exemple du yen. Lorsque le yen était relativement fort, dans les années quatre-vingt, les exportateurs japonais ont eux aussi obtenu des résultats remarquables. N'est-ce pas intéressant? C'est comme si une devise forte incitait les entreprises exportatrices à se surpasser.

M. David Iftody: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Iftody.

Avant de passer à la question suivante, j'aimerais vous en poser une à propos de l'exemple américain que vous citez constamment, disant que les Américains «sont à la limite». Qu'est-ce qui nous empêche d'en faire autant?

M. Gordon Thiessen: J'espère bien que c'est exactement ce que nous allons faire d'ici un an ou deux. Si nous faisons bien notre travail, et sous réserve d'une catastrophe quelque part dans le monde, c'est exactement ce que vise la stratégie de la Banque du Canada: essayer de voir si nous pouvons aller à la limite de notre capacité d'expansion et voir jusqu'où nous pouvons faire tomber le chômage.

L'essentiel est de veiller à ce que l'expansion continue. Et nous le faisons en nous assurant qu'il n'y a pas de poussée inflationniste. Il faut donc établir une politique monétaire qui soutienne l'économie dans son expansion, mais sans nous ramener au cycle surchauffe-récession. Si nous y parvenons, monsieur le président, je crois que nous aurons la possibilité de tourner à plein régime comme ont réussi à le faire nos voisins américains.

Le président: Une des choses qui m'intéresse, bien sûr, c'est la question de la productivité. Plus que toute autre chose, la faiblesse du dollar risque de donner à certaines de nos entreprises un faux sentiment de productivité, comme vous l'avez très bien expliqué. Certains ont suggéré que les entreprises canadiennes dépendent en fait de la faiblesse du dollar pour rester compétitives. Qu'en pensez-vous?

• 1620

M. Gordon Thiessen: Je n'en ai aucune preuve pour l'instant, mais je dois dire que j'y pense aussi. Je mentionnais l'expérience de 1986, et je dois dire que ce serait extrêmement regrettable qu'elle se reproduise. La période actuelle de faible taux d'intérêt et de faible taux de change représente pour les entreprises canadiennes une occasion de se situer très favorablement par rapport à la concurrence et d'améliorer leur productivité dans une économie de plus en plus internationale.

La faiblesse du dollar leur donne une chance de pénétrer de nouveaux marchés, d'y faire les preuves, mais si elles en arrivent au point où elles ne peuvent survivre sans un dollar faible, alors nous n'aurons pas accompli grand-chose. Je dois dire que j'y pense, mais rien jusqu'ici ne m'indique que ce soit le cas. J'essaie de parler à beaucoup d'entreprises canadiennes et c'est exactement ce que je leur dis aussi. Elles m'assurent qu'elles sont prêtes à soutenir la concurrence même avec un dollar plus fort. J'espère que c'est vrai.

Le président: Merci, monsieur le gouverneur. Monsieur Keyes.

M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.): Merci, monsieur Thiessen, d'avoir offert à ce comité un exposé très concis. J'aimerais revenir sur un certain nombre de points que vous avez mentionnés. L'un porte sur les éléments fondamentaux, et sur l'un des points de référence que vos collaborateurs et vous-même utilisez pour déterminer les résultats et les éléments fondamentaux.

Je m'inquiète un peu quand je vous entends dire, en réponse à la question du président, que vous êtes prêt à envisager d'aller à plein régime. Ma question a trait essentiellement à ce que vous disiez lorsque vous avez parlé de ce que vous alliez ou n'alliez pas faire; je m'inquiète que vous fondiez ces décisions sur les mécanismes en place actuellement.

J'ai été fasciné par un article du président de la Réserve fédérale américaine, M. Alan Greenspan—vous me corrigerez si je n'ai pas tout à fait bien compris. Les points de référence qu'il utilise, ou la méthode qu'il utilise, consiste à dire que tant que la production est plus forte que la demande, tant qu'il y a des travailleurs pour «remplir les commandes», il n'y a pas de danger de surchauffe, et il n'est donc pas nécessaire d'augmenter le taux d'escompte.

J'ai trouvé cela fascinant, parce que j'ai trouvé que c'était là une façon nouvelle, plus moderne, de considérer l'activité monétaire. Je suis un peu inquiet de vous entendre dire que vous êtes prêt à aller à la limite, car je me demande alors si, compte tenu de la mondialisation de l'économie et de l'arrivée des nouvelles technologies, entre autres, nous ne nous appuyons pas sur d'anciens jalons, d'anciens points de référence, d'anciennes mesures pour évaluer l'activité monétaire afin de prendre les décisions face aux conditions actuelles et prévues, par comparaison à nos voisins américains qui ont maintenant adopté une approche différente, une nouvelle manière d'aborder...en raison de la nouvelle économie, de méthodes plus dynamiques d'évaluation des conditions monétaires.

Je crains que nous ne l'ayons pas fait. Et, par conséquent, si nous essayons d'obtenir les mêmes résultats que les États-Unis, ou d'aller à la limite, comme le font les États-Unis... Ils le font de manière très différente, avec des méthodes beaucoup plus modernes d'évaluation de l'activité économique que nous. Pensez-vous que nous ayons modifié les points de référence ou la méthode, par rapport aux États-Unis?

M. Gordon Thiessen: Il n'y a en fait aucune différence entre notre manière de gérer la politique monétaire et celle des Américains. Nous procédons exactement de la même manière. La différence c'est qu'au cours des dernières années, ils ont été bien en avance sur nous pour ce qui est de se préparer à faire face à la nouvelle économie, aux nouvelles technologies et à la mondialisation. Ils ont donc quelques années d'avance sur nous. Mais la Federal Reserve n'établit pas sa politique monétaire autrement que nous.

• 1625

Nous sommes de part et d'autre très conscients des importants changements structurels qui sont intervenus dans le monde et, par conséquent, lorsqu'on essaie d'évaluer les limites de la capacité économique, les risques d'erreur sont probablement plus grands que par le passé, ce qui signifie qu'il faut se montrer peut-être plus agnostiques qu'autrefois quant à l'emplacement exact des limites.

Les Américains ont fait exactement ce que je propose que nous fassions, c'est-à-dire tester graduellement les limites, car on ne sait pas exactement où elles se situent. On ne sait pas exactement quel a été l'effet des changements structurels dans notre économie sur la croissance de la productivité et la capacité de réduire considérablement les taux de chômage. Mais nous procédons, ou allons procéder, exactement de la même manière que les Américains pour essayer de trouver les réponses à ces questions.

Si ce à quoi vous pensez c'est le fameux nouveau paradigme, je peux vous assurer qu'Alan Greenspan n'accepte pas le concept d'un tout nouveau paradigme pour expliquer le fonctionnement de l'économie. Il y a peut-être, cependant, un taux de croissance de la productivité plus élevé, et par conséquent un plus fort potentiel de croissance économique et, partant, une possibilité d'augmentation plus rapide du niveau de vie que dans les années soixante.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Keyes.

Monsieur Calder.

M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur le gouverneur, cette expérience est nouvelle pour moi. Je viens du milieu de l'agriculture mais, croyez-moi, en tant qu'agriculteur, les politiques de la banque m'ont toujours beaucoup intéressé.

J'aimerais que nous parlions démographie. M. Pillitteri a frôlé la question en parlant du montant de l'épargne actuellement au Canada. De fait, nous verrons probablement des investissements d'environ 300 milliards de dollars dans les fonds mutuels, par exemple.

Et ceci vient du fait que si j'ai 46 ans, je ne dépense plus; je suis un épargnant, car je commence à penser à mon hypothèque, à l'éducation de mes enfants et à ma retraite. En moyenne, 500 000 Canadiens par an atteignent la cinquantaine, et le phénomène va s'accélérer.

À la page 3, vous avez parlé de l'inflation. Si l'inflation est maîtrisée actuellement, c'est aussi pour cette raison-là. Je ne dépense plus; je commence à épargner. Par conséquent, je n'alimente pas l'économie et je ne provoque pas de pénurie. Cependant, si cela est vrai, il y a une poussée démographique, avec la cohorte de mes enfants qui sont nés entre 1983 et 1985; par conséquent, les pressions inflationnistes devraient resurgir entre 2005 et 2010.

Vous avez dit ici que nous ne voulons pas provoquer une instabilité des prix, et on a l'impression que vous situez votre cible entre 1 p. 100 et 3 p. 100, que vous la situez aux environs de 2 p. 100, pour qu'il n'y ait pas d'instabilité des prix. Compte tenu du fait qu'il y aura une poussée démographique et probablement des pressions inflationnistes à partir de 2005 environ, quel mécanisme, à part ceux qui sont en place actuellement...? Estimez-vous que les mécanismes nécessaires sont en place? Suffiront-ils? Avec le temps, un taux d'inflation de 2 p. 100 nous protégera-t-il de la récession?

M. Gordon Thiessen: Vous abordez là des questions à très long terme, plutôt qu'à court terme. En ce qui concerne l'inflation, la politique monétaire porte normalement sur des horizons à deux ou trois ans, plutôt qu'à long terme.

Actuellement, par exemple, le taux d'épargne au Canada est relativement faible. Encore une fois, cela s'explique en partie du fait que nous sortons d'une période de très faible activité économique, et c'est aussi une des raisons pour lesquelles les taux d'intérêt sont si faibles: pour encourager les gens à faire ces achats qu'ils remettent depuis deux, trois ou quatre ans.

Actuellement, le taux d'épargne est faible. Mais vous avez raison; si l'on regarde un peu plus loin dans l'avenir, on verra les taux d'épargne augmenter. Lorsque la population vieillit, on s'attend certainement à ce que l'épargne augmente.

• 1630

C'est la raison pour laquelle, notamment, le taux d'épargne est si élevé au Japon, où le gros de la population est un peu plus âgé qu'ici ou aux États-Unis. Lorsque la population est vieillissante et que le taux d'épargne augmente, les taux d'intérêt sont particulièrement bas.

Par contre, lorsque vous arrivez à un point où la population est constituée principalement d'une génération consommatrice, les taux d'intérêt tendent à être un peu plus élevés. Mais tout cela n'empêche pas que l'on maintienne des taux d'inflation très faibles.

M. Charles Freedman: Permettez-moi d'ajouter un mot. L'aspect démographique est important, mais il ne faut pas surestimer cette importance. Si l'on songe aux années 50, l'économie alors était en forte expansion et la population augmentait rapidement. C'est l'époque du premier grand changement démographique dont nous parlions.

Entre la Guerre de Corée et la Guerre du Vietnam, à peu près entre 1953 et 1965, le taux d'inflation n'était pas très différent de ce qu'il est actuellement. La situation démographique était très différente de la nôtre, et pourtant nous avions un très faible taux d'inflation.

M. Murray Calder: C'est intéressant car je partage votre avis sur le taux d'épargne au Canada. En tant que législateur, j'essaie d'avoir une approche proactive, car je vois ce qui nous attend et je ne veux pas être obligé de réagir à ce que nous apportera sans doute l'avenir.

Si le taux d'épargne reste faible et que la population vieillit au rythme que j'ai déjà mentionné, nous pourrions d'ici 2015, par exemple, avoir un niveau de vie nettement inférieur au niveau actuel. Avez-vous une idée de ce que pourraient faire les législateurs dès maintenant en vue de prévenir cette éventualité ou ce problème à l'avenir.

M. Gordon Thiessen: Le faible taux d'épargne que nous avons actuellement est à mon avis un phénomène temporaire. Il fait partie du processus de reprise économique. Comme je le disais tout à l'heure, je suis convaincu qu'à l'avenir nous aurons des taux d'épargne beaucoup plus élevés.

Je ne sais pas s'il est nécessaire de prévoir des incitatifs spéciaux à l'épargne, mais je n'ai pas examiné la question d'assez près pour pouvoir me prononcer avec autorité. Bien entendu, à mesure que l'économie se redresse, que l'emploi croît, que le chômage baisse et que les revenus commencent à augmenter, nous verrons progresser le taux d'épargne.

Vous avez raison de dire qu'à mesure que la génération du baby-boom vieillit ses membres seront de plus en plus nombreux à vouloir épargner. J'en suis absolument convaincu. Je ne vois pas ce qui pourrait empêcher le phénomène.

J'accepte aussi votre raisonnement sur le lien qu'il y a entre l'épargne dans une société et son niveau de vie à long terme. C'est en effet l'épargne qui permet d'investir, de renouveler le capital, accroître la productivité, et ainsi de suite.

On peut emprunter sur l'épargne à l'étranger, mais il faut alors rembourser les épargnants. Une société qui souhaite voir son niveau de vie progresser doit épargner et investir pour augmenter la productivité. C'est de cette manière qu'on obtient une hausse du niveau de vie. Ça été le grand miracle des années 50 et 60 au Canada.

Le président: Merci, monsieur Calder. Monsieur Ritz.

M. Gerry Ritz: Merci, monsieur le président.

J'ai juste une petite question pour M. Thiessen. À mon avis, si les taux d'épargne sont faibles actuellement, c'est parce que les gens ont peu de revenus disponibles à placer dans un compte d'épargne. La Banque du Canada considère-t-elle que les réductions d'impôt sont inflationnistes?

M. Gordon Thiessen: Les réductions d'impôt sont essentiellement une question qui concerne le long terme. Ce qui compte surtout dans le niveau d'imposition, c'est encore une fois la productivité à long terme. En tant que gouverneur de la banque centrale, je suis toujours très mal à l'aise pour parler de ce genre de chose.

La question du niveau d'imposition et du niveau de services qu'un gouvernement décide de fournir ont des conséquences. Au bout du compte—si vous le permettez, je vais contourner la question—ce sont là des décisions que les législateurs devront prendre en commun avec la population canadienne. C'est surtout un choix politique.

• 1635

M. Gerry Ritz: Mais les deux ne sont-ils pas liés? L'un ne conduit-il pas à l'autre, comme dans un cercle?

M. Gordon Thiessen: Les réductions d'impôt entraînent souvent une hausse de la croissance et de la productivité, mais il est vrai également qu'un certain niveau de services publics peut aussi contribuer à la productivité et permettre d'atteindre les objectifs que s'est fixés la société. Je ne crois pas qu'il m'appartienne d'aborder ces sujets-là, en tant que gouverneur de la banque centrale.

Le président: Merci, monsieur Ritz.

Monsieur Iftody.

M. David Iftody: Pour revenir aux marchés, aux changements dans le dollar, au mouvement, à l'inflation, aux taux d'intérêt et au lien entre eux, je crois que les dernières statistiques sur le chômage seront publiées le 5 décembre, ce qui devrait nous donner un indicateur.

Dans l'Ouest canadien—je n'apprends rien aux messieurs ici présents—le chômage est en baisse. Je crois même que dans ma circonscription, avec la croissance que nous avons eue, il est en dessous de 5 p. 100. Au Manitoba, il est à 1 p. 100 en deçà de l'état naturel, comme on dit, expression bizarre.

Si les chiffres, cette semaine ou dans une quinzaine de jours montrent qu'il y a eu réduction—je ne sais pas exactement ce qu'ils étaient la dernière fois... autour de 9—pourrons-nous conclure à une baisse statistiquement significative? Cela vous conduirait-il à repenser votre politique sur les taux d'intérêt? Quel genre de message y liriez-vous?

Le mois dernier, il y a eu une augmentation du taux et il y a peut-être évolution ce trimestre, mais que prévoyez-vous qu'annoncera le rapport? S'il y a hausse ou baisse, qu'est-ce que cela vous indique, en tant que gouverneur de la Banque du Canada? Que pouvons-nous attendre sur le front des taux d'intérêt... ou encore, vos idées sur le poids du dollar?

M. Gordon Thiessen: Et bien j'espère certainement qu'il indiquera une hausse de l'emploi. La pause des deux derniers mois dans la croissance de l'emploi est en contradiction avec tous les autres éléments de l'économie. Je m'attends certainement à ce qu'il y ait une progression.

Mais, quand nous arrêtons la politique monétaire, nous fixons l'horizon à un an ou deux. Nous ne nous arrêtons pas à la situation actuelle d'emploi ou de chômage, sauf dans la mesure où cela peut nous apprendre quelque chose sur l'avenir. S'il y a une bonne croissance de l'emploi, cela ne fera que confirmer notre idée que l'économie sera robuste l'an prochain. Je ne peux pas imaginer qu'elle soit très faible, à moins qu'il n'y ait quelque chose de très bizarre dans ces chiffres, car actuellement, tout indique que l'économie se porte très bien.

M. David Iftody: Si vous voyez surgir cette vigueur, et que les fluctuations ne vous inquiètent pas particulièrement... Je comprends très bien ce que vous dites—vous ne pouvez pas courir après chaque feuille qui tombe de l'arbre; vous devez considérer le long terme. Cela me paraît très prudent.

Mais pour ce qui est des perspectives à long terme et des méthodes que vous utilisez pour essayer de les évaluer—et nous avons utilisé toutes sortes d'analogies avec les freins, l'accélérateur, et ainsi de suite—pour le Canadien moyen qui doit renouveler son hypothèque... Nous profitons actuellement de taux faibles. C'est extrêmement utile, surtout pour les jeunes couples et les jeunes Canadiens qui veulent accéder à la propriété ou effectuer d'autres types d'achats importants.

Monsieur Thiessen, vu la robustesse de l'économie, et à l'horizon de 18 à 24 mois, qu'est-ce qui pourrait vous indiquer que vous devez avoir le pied encore plus léger sur l'accélérateur... afin d'éviter toute surprise dans 24 ou 36 mois? Pourriez-vous donner au comité quelques points de repère, quelques jalons? Quand commenceriez-vous à lever le pied et à relever les taux d'intérêt?

M. Gordon Thiessen: Et bien, il faudrait certainement que nous ayons des signes que l'économie croît beaucoup plus rapidement, des signes d'une véritable accélération. Plus probablement, ce serait une incroyable expansion dans le reste du monde qui se répercuterait sur le Canada. Je dois dire que je n'entrevois rien de tel actuellement.

• 1640

Je dirais également que si nous faisons vraiment bien notre travail, si nous continuons de maîtriser l'inflation, les taux d'intérêt qui comptent vraiment n'augmenteront pas. Les taux d'intérêt à très court terme pourraient subir une hausse, mais les taux hypothécaires, les taux sur les obligations, c'est-à-dire les taux qui comptent vraiment pour l'investissement dans l'avenir, qu'il s'agisse d'entreprises ou de logements, ceux-là ne devraient pas augmenter. De fait, ils pourraient même baisser.

M. David Iftody: Je n'ai pas d'autres questions. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Iftody. Monsieur Assad, suivi de M. Ianno.

M. Mark Assad: Monsieur le gouverneur, vous nous donniez des chiffres tout à l'heure. Au cours des dernières semaines, nous avons reçu devant ce comité des personnes distinguées, chroniqueurs, représentants de différents groupes d'étude et de recherches, en quelque sorte. Nous avons reçu M. Fortin et il disait que l'inflation huile les rouages de l'économie. Tout le monde semblait d'accord pour dire que le taux d'inflation aux États-Unis se situe quelque part entre 2,5 p. 100 et 2,8 p. 100. Ces personnes estimaient que notre taux d'inflation de 1,5 était en fait exagéré en raison des défauts de l'IPC et elles estimaient que notre taux se situe plus probablement à 1 p. 100. Ces personnes estimaient qu'avec tant de marge—nous avons une grande marge dans la capacité de production—même si nous atteignions 3 p. 100, cela aurait certainement un effet sur le chômage sans pour autant être dangereux car, comme vous le savez, si danger d'inflation il y a, ce serait probablement dans deux ans.

M. Gordon Thiessen: Et bien, ce n'est pas du tout mon point de vue. Je ne trouve pas que l'inflation huile les rouages de l'économie. Elle ne peut le faire qu'en trompant les gens, et je ne crois pas qu'on puisse les tromper très longtemps.

Ceux qui pensent que l'inflation huile les rouages de l'économie pensent à la fin des années 60 et au début des années 70, lorsque cela semblait être le cas pendant un certain temps. Mais il faut comprendre que c'était à la suite d'une très longue période de très faible inflation. La plupart des Canadiens, comme d'ailleurs la plupart des gens dans le monde, et certainement aux États-Unis, étaient persuadés que l'inflation resterait faible. Par conséquent, les gouvernements et les banques centrales ont pris des risques et ont permis que l'inflation augmente; pendant un certain temps, les gens se sont dits que ça ne durerait pas, que cela ne se produirait pas.

Cela a eu pour effet de réduire le niveau réel des salaires et d'encourager un sentiment d'expansion; mais, très vite, la machine s'est emballée. Arrivé au milieu des années 70, on a cessé de croire que les gens ne se rendraient pas compte que l'inflation minait leurs salaires.

Après 20 ans d'inflation relativement soutenue, je crois que nos chances de tromper les gens sont absolument nulles. Et je dois vous dire que j'aurais le plus grand mal à accepter une politique qui vise à tromper les gens.

J'estime que de pousser l'inflation à 3 p. 100 ou plus ne permettra pas de réduire le chômage. Les gens ne vont pas se dire: Oh, l'inflation est à 3,5 p. 100, mais si mon salaire n'en tient pas compte, ça m'est égal. Ça ne se passera pas ainsi. Et dans ce cas, si vous ne réduisez pas les salaires de cette manière-là, vous ne réduirez pas le taux de chômage. C'est aussi simple que cela.

Le président: Monsieur Assad, dernière question.

M. Mark Assad: Merci. Nous avons reçu le Conseil du patronat. La première chose que nous ont dit ses porte-parole c'est que le gouvernement doit veiller à maintenir les taux d'intérêt le plus bas possible. Ils semblaient dire que cette responsabilité nous incombe totalement—elle nous incombe bien sûr en grande partie—mais ils estimaient que le taux d'inflation ne présentait pas de danger actuellement et qu'il pouvait certainement y avoir une certaine souplesse, qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Vous avez relevé le taux a un jour. Ils estimaient que cela donnait un signal négatif aux Canadiens, qui allaient hésiter.

• 1645

M. Gordon Thiessen: Je ne le crois pas. Il faut prendre en compte le niveau des taux, pas seulement le mouvement.

Comme je le disais tout à l'heure, nous avons vécu une période pendant laquelle les taux d'intérêt étaient extraordinairement bas et le dollar canadien extraordinairement faible. Nous l'avons fait dans l'intention de permettre à l'économie canadienne de se remettre des mesures d'austérité qui lui avaient été imposées en raison de la nécessité d'assainir la situation financière et de restructurer l'économie. Maintenant que ces contraintes disparaissent, l'économie va continuer de croître rapidement sans que la Banque du Canada n'ait à injecter de l'argent dans l'économie canadienne au rythme auquel nous le faisons depuis un an ou deux.

Donc je ne suis pas de cet avis. J'estime que les taux d'intérêt actuels sont de nature à stimuler fortement l'économie et qu'opter pour un taux d'inflation plus élevé, au-delà de notre fourchette de 1 p. 100 à 3 p. 100 ne ferait aucun bien à l'économie. Si nous le faisions, nous n'aurions pas le plus faible taux de notre histoire sur les obligations à échéance de 30 ans, comme c'est le cas actuellement. Nous aurions des taux d'intérêt et des taux hypothécaires plus élevés et moins d'investissement dans le logement, les machines et l'équipement, les nouvelles technologies.

Le président: Merci, monsieur le gouverneur.

Monsieur Ianno.

M. Tony Ianno (Trinity—Spadina, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie, monsieur Thiessen, de votre excellente présentation.

J'ai quelques questions d'un ordre un peu différent. Je me range du côté des optimistes car je crois que les éléments fondamentaux de l'économie canadienne sont positifs. Et lorsque les choses se seront stabilisées en Asie, dans le Pacifique et ailleurs, les gens vont commencer à se rendre compte que l'économie canadienne est stable et les choses vont se dérouler de manière positive.

Cela dit, les cycles de surchauffe et de récession que vous avez mentionnés m'inquiètent. Dans mes rapports avec les banques, essentiellement en ce qui touche la petite entreprise au centre de Toronto et surtout en ce qui touche à l'immobilier, je vois que l'on commence à s'arracher des propriétés.

Quelles leçons avons-nous tirées du passé qui nous permettront d'éviter le type d'inflation que l'on ne veut pas voir revenir au point où elle a une incidence négative sur tout le monde à long terme?

M. Gordon Thiessen: Vous avez certainement mis le doigt sur le problème. L'un des premiers signes de nervosité quant à une possibilité d'inflation, c'est que les gens se mettent à spéculer dans l'immobilier, car que vous soyez propriétaire ou gros investisseur, la meilleure manière de vous protéger contre l'inflation c'est d'investir le plus possible dans l'immobilier. C'est ce qui s'est produit dans les années soixante-dix, puis à nouveau à la fin des années 80, et c'est donc effectivement un sujet d'inquiétude.

Mais il faut distinguer cela de l'expansion naturelle d'une ville, car les villes s'étendent, il y a pénurie de terrain et d'espace commercial, et les prix montent. Il n'est pas toujours facile de bien voir la différence, mais il faut distinguer entre l'expansion normale d'une ville et la situation plus générale où les gens ont peur de perdre du terrain et estiment qu'ils doivent acheter «le plus de maison possible». C'est une distinction difficile, mais qu'il faut faire.

M. Tony Ianno: Je suis sûr que la Banque du Canada examinera cela, surtout avec le secteur bancaire, pour s'assurer que l'on calmera quelque peu le dynamisme actuel afin que les propriétés qui ne sont pas dans les quartiers de la ville en expansion, mais à l'intérieur de celle-ci... Il ne faut pas que les gens ne trouvent plus à acheter, qu'il s'agisse de gros immeubles, d'immeubles à logement ou commerciaux. Il y a beaucoup d'acheteurs intéressés, et c'est une bonne chose, mais ça commence de cette manière. En affaires, la perception est la réalité, et j'espère donc que la Banque du Canada se penche sur cette question de manière discrète.

• 1650

Ma deuxième question va dans le même sens, mais elle est légèrement différente. Vu la solidité des données fondamentales et le fait que les gens vont commencer à mieux comprendre la situation économique réelle du Canada, je crois que le dollar va remonter. Les taux d'intérêt devraient alors baisser, j'imagine. Si vous faites des projections à deux ans—vous prenez ces décisions aujourd'hui, mais en pensant à l'horizon de deux ans—si le dollar remonte, je suis inquiet pour le secteur des exportations. Je ne sais pas quel est le chiffre actuel—si cela représente 60 p. 100 de notre économie ou combien exactement—mais si le dollar remonte, une fois que vous aurez levé le pied de l'accélérateur, comment pourrez-vous faire en sorte que cette appréciation de la devise ne frappe pas les travailleurs dans ce secteur?

M. Gordon Thiessen: Quand nous examinons l'évolution de l'économie et que nous tenons compte des différents effets de la politique monétaire sur l'économie, nous tenons compte toujours à la fois de l'incidence des taux d'intérêt et de celle du dollar. Dans une économie libre, comme celle du Canada, la valeur du dollar est très importante. On ne peut fixer des objectifs, car c'est tout simplement trop difficile. Nous tenons compte de l'effet combiné des taux d'intérêt et du dollar.

Si le dollar a subi une hausse appréciable et commence à avoir un effet de frein sur les exportations, cela signifie que l'économie tout entière sera plus faible et il faut immédiatement en tenir compte. Quand nous décidons du taux d'intérêt qui nous paraît approprié, nous en tenons compte. Nous devons le faire.

Mais comme je le disais plus tôt, si des exportateurs se mettent en situation où ils ne sont concurrentiels que grâce à l'extrême faiblesse du dollar, ils vont avoir des difficultés. J'espère qu'ils vont immédiatement se mettre à l'oeuvre pour s'assurer de pouvoir rester compétitifs même quand le dollar remontera quelque peu.

M. Tony Ianno: Merci, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie, monsieur Ianno. C'est au tour de M. Calder.

M. Murray Calder: Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais continuer un peu dans la même veine que M. Ianno.

La situation au Canada est totalement différente de celle de nos partenaires commerciaux aux États-Unis. Nos salaires sont plus élevés, nos prestations sociales qui accompagnent ces salaires sont plus généreuses, le coût global par employé est appréciablement plus élevé ici. Par conséquent, si nous sommes compétitifs, c'est en partie parce que le dollar canadien est faible. S'il augmentait à 75c. ou 80c., pensez-vous que la productivité actuelle des travailleurs de nos entreprises soit suffisante pour permettre de faire face à une telle hausse, étant donné la situation que nous avons décrite?

M. Gordon Thiessen: Je ne peux pas en être sûr par avance. Je suis sûr que la productivité est suffisante pour faire face à une certaine hausse du dollar. Pratiquement toutes les personnes à qui j'ai parlé m'ont dit qu'elles peuvent facilement rester compétitives à un taux de change plus élevé. Certains disent 75c., d'autres 80c., et certains disent même qu'ils sont compétitifs à des niveaux beaucoup plus élevés encore. Ce que je veux dire, c'est que nous suivons constamment la situation. Nous vérifions toujours pour nous assurer de bien comprendre l'incidence du dollar sur l'économie.

On ne peut pas dire à l'avance que le bon niveau se situe à 75c. ou à 80 cents. Cela dépend en fait de toutes sortes d'autres choses qui se passent dans le monde. Si l'économie mondiale est en pleine expansion et les prix des produits de base—des céréales, des métaux et du bois—sont à la hausse, nous pouvons être compétitifs avec un dollar plus cher. Si ce n'est pas le cas, il faudra un dollar plus faible pour rester concurrentiels. La banque doit toujours rester au fait de ces éléments et tirer des conclusions.

• 1655

M. Murray Calder: Monsieur le président, j'ai encore une question.

Monsieur le gouverneur, je vous préviens tout de suite que ma question vous mènera probablement à la limite de ce que vous pouvez dire.

M. Gordon Thiessen: Je suis en garde.

M. Murray Calder: Bon. Les taux d'intérêt sont bas maintenant depuis environ 24 mois.

M. Gordon Thiessen: Oui.

M. Murray Calder: En dépit des faibles taux d'intérêt, nous n'avons pas vraiment constaté de changement dans le taux de chômage ni dans l'activité économique depuis au moins 18 mois, et nous commençons maintenant à sentir un peu les bienfaits.

Partant du principe que ma prémisse est juste, si nous réduisions l'impôt afin de stimuler l'économie, en irait-il de même? Aurions-nous à attendre 18 mois avant d'en voir les avantages?

M. Gordon Thiessen: En effet, vous me menez sur un terrain où je me sens très mal à l'aise.

Le président: Si vous le voulez, je peux déclarer la question irrecevable.

Des voix: Oh, oh!

M. Gordon Thiessen: Presque toutes ces choses—taux d'intérêt, dépenses ou réduction d'impôt—ont des effets à long terme.

Le président: Monsieur Assad.

M. Mark Assad: Monsieur le gouverneur, de combien la masse monétaire a-t-elle augmenté grosso modo l'an dernier?

M. Gordon Thiessen: La masse monétaire au sens strict a augmenté d'environ 12 p. 100 l'an dernier.

M. Mark Assad: Cela représente-t-il environ 20 milliards de dollars?

M. Gordon Thiessen: Ce serait 73 milliards de dollars.

M. Charles Freedman: C'est la monnaie au sens étroit.

M. Gordon Thiessen: Oui.

M. Mark Assad: Expliquez-nous cela.

M. Gordon Thiessen: C'est au sens où je l'expliquais plus tôt: les espèces, les dépôts à vue, les dépôts avec tirage de chèques que les gens ont auprès des banques, des compagnies de fiducie, des caisses de crédit et caisses populaires. La masse qu'utilisent les gens dans leurs transactions est d'environ 70 milliards, et elle a augmenté d'un peu plus de 13 p. 100.

M. Mark Assad: De ce montant?

M. Gordon Thiessen: Oui, de ce montant.

M. Mark Assad: Dites-moi, gouverneur, supposons que l'on revienne aux réserves, comme autrefois, comme le font la plupart des pays, sauf la Suisse, le Canada et la Grande-Bretagne; ne serait-il pas préférable pour le gouvernement du Canada et pour sa population que nous ayons des réserves?

M. Gordon Thiessen: Non, les réserves constituent essentiellement un impôt sur les institutions financières qui doivent les détenir. Elles représentent un impôt, car les banques centrales ne versent traditionnellement pas d'intérêt sur ces réserves qui constituent donc essentiellement un investissement non rémunéré.

Par le passé, nous avons constaté que ces réserves avaient simplement pour effet de détourner l'activité de ces institutions qui étaient tenues de les constituer au profit de celles qui n'y étaient pas obligées, et cela ne paraissait pas logique. La clientèle devrait s'adresser aux institutions qui offrent le meilleur service au meilleur prix, et non à celles qui payent un impôt spécial, puisque c'est ce à quoi correspondait l'obligation d'une réserve.

Cette mesure ne nous paraît pas nécessaire pour notre politique monétaire et elle n'était rien d'autre qu'un impôt spécial levé sur certaines institutions de dépôt.

M. Mark Assad: Mais si nous avons essentiellement la même politique monétaire que les États-Unis, comment se fait-il qu'ils n'ont pas éliminé les réserves?

M. Gordon Thiessen: Ils ne se servent pas des réserves comme instrument de la politique monétaire. Ils continuent essentiellement de lever un impôt sur ces institutions financières. Mais je crois qu'on dénote chez eux le vif sentiment que ce n'est pas un impôt positif et qu'il faudrait s'en débarrasser.

M. Charles Freedman: Ces réserves ont d'ailleurs beaucoup diminué au cours des dernières années.

M. Mark Assad: Autrement dit... Vous réfutez bien évidemment ce que publiait il y a quelques années un groupe de l'Association des économistes canadiens disant que les politiques de la Banque du Canada avaient eu pour effet d'accumuler des dettes injustifiées sur notre dos.

M. Gordon Thiessen: Oh, je ne sais pas si cela vaut pour nos banques. Si vous voulez dire par là qu'une autre politique aurait permis de limiter l'accumulation générale de la dette dans le secteur privé, je suis de votre avis. Essentiellement, en ne réagissant pas plus tôt devant un taux d'inflation relativement élevé au cours des 25 années entre le début des années 70 et le début des années 90, nous avons permis une forte accumulation de la dette dans le secteur privé, puisque c'est exactement l'effet qu'a l'inflation. Elle vous incite à accumuler le plus de dette possible. Ce n'est pas une bonne chose pour l'économie. C'est l'effet d'un taux élevé d'inflation. Si nous avions pu suivre une politique moins inflationniste, nous aurions moins accumulé de dettes et le recul économique du début des années 80 et 90 aurait été moins marqué. Ces dangereuses récessions sont dues en grande partie à l'accumulation de la dette du secteur privé, encouragée par l'inflation.

• 1700

Le président: Merci, monsieur Assad, de vos questions.

[Français]

Monsieur Harvey.

M. André Harvey: Je n'aurais qu'une seule question, monsieur Thiessen, avant de terminer, même si elle ne relève pas tout à fait de votre compétence. Il n'en demeure pas moins que la dette de 600 milliards de dollars vous préoccupe, car 45 milliards de dollars sont consacrés chaque année au service de cette dette et à son remboursement. Dans la perspective où on connaîtrait des surplus budgétaires d'ici quelques mois ou d'ici un an ou deux, seriez-vous en faveur d'affecter entièrement ces surplus à la dette ou bien essaieriez-vous de trouver un équilibre entre le remboursement graduel de la dette et l'allègement du fardeau fiscal des citoyens, comme en a parlé mon collègue plus tôt?

Peut-être, aussi, serait-il possible d'envisager des investissements dans des secteurs qui pourraient être extrêmement importants pour nos concitoyens. Il y en a qui désignent ces secteurs comme l'infrastructure sociale, d'autres, comme l'infrastructure matérielle. Quel serait votre point de vue quant à la recherche d'un tel équilibre? Comme monétariste, favoriseriez-vous le remboursement rapide de la dette ou bien un certain équilibre?

M. Gordon Thiessen: Encore une fois, je pense que ce sont des questions politiques. C'est vraiment au gouvernement, aux députés, à décider comment doivent être partagés les surplus.

Cependant, je peux dire que le niveau de la dette par rapport au PIB, le ratio dette/PIB, est encore trop élevé au Canada. Un ratio de 100 p. 100 au niveau fédéral, au niveau provincial, etc., c'est très élevé. Dans ces circonstances, notre situation financière reste très fragile. Il faut que le ratio soit plus bas. Mais, comment obtenir un ratio plus bas? Comment l'obtenir plus rapidement? Ce sont des questions d'ordre politique. Ce sont des décisions que le gouvernement et le Parlement doivent prendre.

M. André Harvey: Je vous remercie beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Harvey.

[Traduction]

Gouverneur, j'aimerais revenir sur cette question du ratio dette/PIB, et vous poser la question de manière à ce que vous puissiez peut-être y répondre.

M. Gordon Thiessen: C'était si évident que cela?

Le président: Non. Comme vous le savez, celle-ci est la 56e réunion du comité depuis le 2 octobre et nous avons beaucoup écouté les Canadiens d'un bout à l'autre du pays. Il ne fait aucun doute pour nous que le ratio dette/PIB est une priorité à leurs yeux. Les Canadiens sont désormais plus conscients de l'importance de la chose pour notre économie. Puisque vous êtes ici aujourd'hui, pourriez-vous nous expliquer les avantages qu'il y a à réduire le ratio dette/PIB.

M. Gordon Thiessen: Certainement. Comme je le disais, si le rapport de la dette au PIB est élevé, la situation financière devient fragile, vulnérable. Vous n'êtes pas vraiment en mesure de faire face aux chocs qui peuvent survenir dans le reste du monde, aux vilaines surprises qui peuvent se présenter de temps à autre, car dans ces circonstances-là, investisseurs et épargnants du monde entier s'inquiètent. Ils cherchent alors le pays qui leur paraît le plus stable dans les circonstances. Ceux qui ont un niveau de dette très élevé subissent alors de fortes et soudaines hausses d'intérêt. Tout à coup, vous êtes obligés de payer une prime de risque car votre niveau d'endettement est tel que les investisseurs et les épargnants, Canadiens et étrangers, commencent à se demander comment vous allez vous en tirer. Cela vous rend donc très vulnérable.

• 1705

Par conséquent, monsieur le président, je ne peux pas vous dire exactement à quel rythme vous devez réduire le ratio. Mais il me paraît clair que si nous ne voulons pas nous retrouver vulnérables face à ces chocs qui peuvent survenir de temps à autre, il serait bon que nous réduisions le ratio dette/PIB.

Le président: Aux États-Unis, il me semble que ce ratio est d'environ 45 p. 100. Est-ce plus ou moins cela?

M. Gordon Thiessen: Je crois que c'est juste, mais je dois avouer que je n'ai pas le chiffre en tête. Mes collègues le connaissent certainement.

Une voix: C'est 49 p. 100.

Le président: Vu l'interdépendance des deux économies, pensez-vous qu'il serait sage pour notre gouvernement de viser à peu près ce niveau-là?

M. Gordon Thiessen: C'est une bonne question. Je ne suis pas sûr de pouvoir y répondre.

L'analyse économique ne peut suffire à indiquer exactement à quel niveau doit se situer le ratio. Mais en l'absence de ce type d'analyse, on peut certainement dire que les gens vont vous comparer à vos voisins et à vos partenaires commerciaux, et qu'il faut donc en tenir compte.

Le président: Mais, monsieur le gouverneur, vous semblez avoir apprécié l'attitude des Américains face à l'inflation et aux taux d'intérêt, alors pourquoi ne pouvez-vous pas vous prononcer sur le ratio dette/PIB? C'est une question politique, j'imagine.

M. Gordon Thiessen: Je ne peux pas vous présenter une analyse économique qui me permettrait de dire que c'est effectivement le bon ratio. Mais, comme je l'ai dit, c'est avant tout une décision politique. Encore que le terme «politique» ne soit peut-être pas exact.

Je crois que fort probablement les marchés vont juger notre situation et la comparer à celle de l'Europe, du Japon et des États-Unis. Si nous sommes complètement déphasés par rapport à ces économies-là, si nous avons un rapport de la dette au PIB totalement différent du leur, nous nous ferons certainement remarquer.

En l'absence de toute autre analyse, j'essayais, sans vouloir être trop catégorique, de dire comme vous que rechercher une situation qui se compare favorablement à celle des autres grands pays industrialisés est probablement la bonne chose à faire.

Le président: Pour la gouverne des Canadiens, comment nous situons-nous pour ce qui est de la dette à long terme et de la dette à court terme?

M. Gordon Thiessen: Vous songez à la dette publique, monsieur le président?

Le président: Oui.

M. Gordon Thiessen: La part de la dette à court terme est plus importante que celle de beaucoup d'autres pays.

Nous avons également des obligations à très long terme, à 30 ans. Les États-Unis sont le seul autre pays qui émette des obligations à si long terme. La plupart des gouvernements européens ne vont pas bien au-delà de 10 ans. Mais, depuis quelques années, nous avons en général émis davantage de bons du Trésor et d'obligations à court terme que les autres.

Je sais que le gouvernement, au cours des dernières années, a essayé de façon générale d'allonger l'échéance de la dette. Cela nous permet de mieux nous protéger contre les inévitables fluctuations des taux d'intérêt internationaux. Si toute votre dette est à court terme et vient à échéance tous les trois mois ou tous les six mois, vous êtes bien sûr beaucoup plus vulnérables—du point de vue du service de la dette—aux brèves poussées des taux d'intérêt qu'avec une dette à long terme.

La plupart des gouvernements s'efforcent d'avoir une dette à plus longue échéance. Mais je dois dire que je ne suis pas absolument certain de la proportion. C'est cependant mon impression. Nous avons une plus grande proportion de dette à brève échéance que les autres pays du G-7, par exemple.

Le président: Dans nos déplacements à travers le Canada, nous avons beaucoup entendu parler d'une sorte de rapatriement de la dette. Les Canadiens se sentiraient moins inquiets s'ils détenaient leur propre dette. Est-ce que c'est là un élément important pour le pays ou pour la Banque du Canada?

• 1710

M. Gordon Thiessen: Je ne crois pas que ce soit très important, monsieur le président. La majeure partie de la dette que détiennent des étrangers a été émise par le gouvernement du Canada au Canada et en dollars canadiens. Si vous avez un marché des capitaux libre et que vos obligations paraissent intéressantes, les gens les achèteront. Il faudrait construire un mur autour du Canada pour l'empêcher.

On peut sans doute faire valoir qu'en réduisant graduellement le déficit dans notre balance des paiements, nous pourrions cesser d'emprunter autant à l'étranger et, comme je le disais tout à l'heure, je m'attends à ce que cela se produise à l'avenir. Je prévois que nous deviendrons un épargnant net, ce qui veut dire que nous aurons à un moment donné un excédent dans la balance des paiements et que nous deviendrons alors un investisseur net à l'étranger. Dans ce cas-là, notre endettement net à l'étranger finira par s'évaporer graduellement.

Mais pour ce qui est de l'idée d'aller demander à ces étrangers qui détiennent des obligations en dollars canadiens de nous permettre de les racheter, je ne pense pas que ce soit possible.

Le gouvernement du Canada a une dette en devises étrangères, mais elle a été émise pour financer les réserves en devises étrangères. Par conséquent, la contrepartie des réserves que nous détenons en devises étrangères est constituée de la dette en devises étrangères émises par le gouvernement du Canada. Mais c'est là la seule raison pour laquelle notre gouvernement a émis des obligations en devises étrangères.

Le président: Monsieur Iftody, une dernière question.

M. David Iftody: En ce qui concerne l'effet du ratio dette/PIB sur l'économie canadienne, j'ai eu cette discussion avec Josh Mendelsohn, de la CIBC, lorsqu'il est venu. Nous parlions de la vulnérabilité du Canada et de la manière d'intervenir sur les taux d'intérêt et le prix du dollar avec un ratio dette/PIB de 73 p. 100 ou 75 p. 100, ce qui nous rend extrêmement vulnérables.

Dans le cours de la discussion, j'ai posé la question: si c'est une réalité économique dure et certaine, comme je vous l'ai entendu répéter à Steinbach et partout ailleurs, comment se fait-il, monsieur le gouverneur, qu'au milieu des années 70, lorsque le rapport de la dette au PIB se situait aux environs de 22 p. 100 ou 23 p. 100, nous ayons fait l'expérience traumatique de taux d'intérêt à 22 p. 100 ou 23 p. 100 à une époque où, vu de l'extérieur, vu par les spéculateurs à bretelles rouges... Pourquoi une telle attaque, une telle pression, un tel mouvement à la hausse des taux d'intérêt à une époque où...? Si nous avions maintenant un rapport de 23 p. 100, nous aurions l'impression d'être presque arrivés au paradis.

Il y a donc une contradiction dans ce que nous disent depuis deux ou trois mois les experts que nous consultons. Cela ressemble à un mantra, mais nous avons certainement dans notre passé assez récent, la preuve qu'il peut y avoir des variantes.

Nous avons parlé de confiance. Vous avez dit que si nous faisions de l'ordre dans nos finances nous pourrions nous attendre à ce que les spéculateurs nous traitent avec respect parce qu'ils considéreraient alors notre économie et diraient que le Canada est un pays où il fait bon investir et ils ne retireraient donc pas leur argent. Mais j'ai ouvert et conclu mon intervention en disant que malgré toutes les bonnes choses qu'avaient fait l'économie, le peuple et le gouvernement canadiens au cours des trois dernières années, nous ne voyons toujours pas cette confiance revenir.

Alors, tout d'abord, comment s'explique cette situation du milieu des années 70 alors que nous étions à 20 p. 100, ce qui laisse entendre que cela pourrait se reproduire même si nous redescendions à ces niveaux-là? Et que manque-t-il encore pour que les investisseurs étrangers reprennent confiance dans le Canada et achètent des dollars canadiens?

M. Gordon Thiessen: Ce qui s'est passé dans les années soixante-dix—l'époque des taux d'intérêt élevés que vous avez mentionnés, jusqu'en 1980-1981—c'est que le taux d'inflation avait progressivement augmenté jusqu'à atteindre entre 12 p. 100 et 15 p. 100. Si votre rapport de la dette au PIB est faible, et que le gouvernement fait absolument tout ce qu'il faut mais qu'il perd la maîtrise de l'inflation, les taux d'intérêt vont monter. Ça ne fait aucun doute.

• 1715

Le problème des années 90, c'est que le taux d'inflation est tombé à 2 p. 100, mais la situation financière du gouvernement fédéral et des provinces n'était pas complètement maîtrisée et le ratio dette/PIB augmentait inexorablement. Dans ces circonstances, il n'était pas possible de profiter des avantages d'une inflation faible. Nous avons donc eu des taux d'intérêt qui comprenaient une importante prime de risque pour tenir compte du fait que les gouvernements pourraient renier leurs dettes ou forcer la Banque du Canada à gonfler la masse monétaire, ou autre chose, par voie législative. C'était là l'inquiétude. On peut donc avoir une forte inflation sans que le rapport de la dette au PIB soit élevé, mais je dois vous dire qu'en 1980 il montait très rapidement.

M. David Iftody: Mais ce n'était pas le cas au Canada seulement. Nous avons vu plusieurs documents là-dessus. Les États-Unis et les autres pays du G-7, y compris le Canada, ont subi les mêmes hausses «catastrophiques»—pour reprendre votre expression—des taux d'intérêt, avec les perturbations que cela a entraînées dans leurs économies. Qu'est-ce qui a provoqué ces perturbations dans les économies des pays du G-7 alors que le ratio dette/PIB était si faible?

Je cherche à voir d'où sont venues ces flèches sournoises. Il faut essayer de s'en protéger à l'avenir, car tous nos efforts actuels pourraient être balayés par ces influences externes. Pouvez-vous les nommer ou en parler?

M. Gordon Thiessen: C'est essentiellement l'inflation. Et la raison pour laquelle nous avons commis ces graves erreurs sur le front de l'inflation... et vous avez raison de dire que le Canada n'était pas le seul, que cela s'est produit partout, et certainement aux États-Unis également. Le problème est venu du fait qu'à la suite des fortes augmentations du prix du pétrole, on a d'abord eu le sentiment qu'il fallait en tenir compte. À la fin, à force d'essayer d'en tenir compte, on a permis que l'inflation monte. Et nous avons continué de faire les ajustements monétaires—d'accroître la masse monétaire—qui a maintenu l'inflation.

Comme nous le disions plus tôt, quand les gens se sont rendu compte que l'inflation resterait élevée, il est devenu extrêmement difficile de la faire tomber. Le seul moyen de juguler l'inflation une fois que les gens sont absolument persuadés que vous n'en aurez pas le courage et que leur seul risque c'est en fait qu'elle continue d'augmenter, c'est d'avoir des taux d'intérêt très élevés. Pour se sortir de ce moule psychologique, comme on l'a vu en particulier aux États-Unis au début des années 80, le seul moyen est d'avoir des taux d'intérêt très élevés.

M. David Iftody: Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie, monsieur Iftody.

Monsieur le gouverneur, j'ai une dernière question qui est principalement une question administrative. La Banque du Canada et le gouvernement du Canada doivent établir de nouvelles cibles pour le taux d'inflation. Je me demandais si, à votre avis, ce comité devrait jouer un rôle dans la discussion, l'analyse et la décision.

M. Gordon Thiessen: Je pense qu'il le pourrait certainement. En décembre 1993, le ministre des Finances et moi-même étions convenus que nous en reparlerions à la fin de 1998, et c'est certainement quelque chose que nous devons faire. Je m'en remets cependant au ministre et à ce qui lui paraît approprié en la matière, plutôt que de me permettre de suggérer ce que vous devriez ou vous ne devriez pas faire.

Le président: Qu'en est-il de la relation qui existe entre la Banque du Canada et le Comité des finances? Avez-vous quelque chose à dire à ce propos?

M. Gordon Thiessen: Je dois dire, monsieur le président, que nous apprécions énormément que votre comité nous invite à l'occasion de la présentation semi-annuelle de notre politique monétaire. C'est quelque chose qui me tient particulièrement à coeur. Au cours des dernières années, nous nous sommes efforcés de rendre notre politique—et les raisonnements qui la sous-tendent—plus «transparente», pour utiliser un terme à la mode.

J'estime que nous avons obligation de rendre des comptes au Parlement et à la population canadienne. C'est la raison pour laquelle je considère qu'il est extrêmement important pour nous d'expliquer ce que nous faisons et c'est pourquoi nous apprécions votre invitation à comparaître devant votre comité. Cela nous permet d'expliquer nos décisions au Parlement.

Le président: Je vous remercie, monsieur le gouverneur.

Monsieur Bonin, monsieur Freedman et monsieur Thiessen, au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier sincèrement et chaleureusement d'être venus. Votre présentation nous sera très utile dans nos efforts pour donner une meilleure orientation au pays.

La séance est levée.