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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le vendredi 6 novembre 1998

• 0909

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je déclare la séance ouverte et je souhaite la bienvenue à tous.

Comme tout le monde le sait, le Comité des finances étudie le rapport MacKay et cherche à connaître l'opinion des Canadiens sur cette question très importante, car elle concerne le secteur financier du siècle prochain, secteur d'une très grande importance aux yeux de la population canadienne.

• 0910

Ce matin, nous avons le plaisir d'accueillir M. Arthur Donner, économiste et expert-conseil, et l'honorable Douglas Peters, expert-conseil dans les domaines financier et économique. Nous avons bien sûr hâte d'entendre ce que vous avez à dire à ce sujet, messieurs, et nous tenterons de profiter au maximum de vos lumières ce matin. À vous la parole.

M. Douglas D. Peters (témoignage à titre individuel): Merci beaucoup.

M. Arthur Donner (témoignage à titre individuel): Merci, monsieur le président. Je commencerai par un bref exposé.

Doug Peters et moi exhortons le comité permanent à refuser le projet de fusion des deux mégabanques.

Les banques à charte canadienne jouent un rôle d'intérêt public important. Les banques ne sont pas des entreprises ou un secteur comme les autres. Leurs principaux actifs, qui comprennent les prêts personnels, les prêts commerciaux, les hypothèques et les titres du gouvernement, et leur principal passif que sont les dépôts sont essentiels au fonctionnement d'une saine économie. En fait, c'est la raison pour laquelle les banques jouissent de privilèges et d'un soutien public que n'ont pas d'autres entreprises privées.

Pour prouver que les fusions proposées sont dans l'intérêt de la population, les partisans devront démontrer que les avantages d'une plus forte concentration sont supérieurs aux coûts qu'entraîneraient pour la population la baisse de la concurrence, la fermeture de succursales, la diminution des services, l'augmentation des frais de service et la perte d'un grand nombre d'emplois. Sur cette question, la population a raison d'avoir des doutes: les empereurs du royaume bancaire sont nus.

Les partisans des fusions prétendent que les banques doivent grossir pour rester dans la course sur le plan national et international. Il n'existe aucun argument ni aucune étude qui démontre que seules les institutions gigantesques peuvent survivre. En fait, c'est plutôt le contraire.

Les partisans des fusions affirment que les banques deviendraient d'autant plus efficientes que les économies d'échelle et leur envergure seraient importantes, que le coût unitaire baisserait. Les banques seraient alors mieux en mesure de réduire leurs prix et d'améliorer les services offerts à la clientèle.

Cette question a fait l'objet de nombreuses études. Rien ne démontre que nos banques, d'une taille déjà imposante, seraient en mesure de générer d'importantes économies d'échelle si on allait de l'avant avec les fusions. De plus, même si elles réussissaient à réduire leurs coûts autant qu'elles aimeraient le faire, la concentration excessive dans les marchés locaux ne permet pas de croire que leurs clients canadiens profiteraient de ces avantages.

Les fusions proposées placent notre système financier et notre économie en danger, s'il fallait sauver une méga-institution de la faillite. Cette question a également été soulevée par John Palmer, surintendant des institutions financières. L'instinct grégaire est aussi fort dans le secteur bancaire que dans les autres secteurs financiers. Les banques ont déjà éprouvé des difficultés et il ne fait pas de doute qu'elles en connaîtront de nouveau dans l'avenir. Cependant, le coût du sauvetage éventuel d'une mégabanque serait énorme, si les fusions devaient être approuvées. Il suffit de penser aux problèmes actuels du Japon, avec ses propres mégabanques et la crise financière, ou la crise des caisses d'épargne américaines au début des années 90.

L'autorisation des fusions entraînerait, à notre avis, une concentration trop forte sur le marché financier intérieur. Du point de vue du consommateur, l'histoire nous enseigne qu'une concentration exagérée dans le secteur bancaire entraîne une concurrence moins forte, ce qui se traduit par des frais de service plus élevés, des taux plus faibles sur les dépôts ou des coûts d'emprunt plus élevés. Il sera plus difficile de négocier un prêt hypothécaire, un prêt à la consommation ou un prêt commercial parce qu'il y aura beaucoup moins de fournisseurs de crédit parmi lesquels choisir.

Même si on devait poser des conditions à l'autorisation des fusions, par exemple la cession de certains secteurs d'activités, la vente de succursales à des concurrents, il n'est pas certain que la concurrence des entreprises étrangères ou locales suffirait à réduire la concentration indue des banques dans nombre de secteurs du marché.

Les autorités de réglementation du Canada s'inspirent depuis toujours du principe voulant que les gros ne mangent pas les gros et de la règle selon laquelle les actions des banques à charte doivent être réparties entre un grand nombre d'actionnaires. Les motifs de cette position étaient clairs. À notre avis, une fusion obligerait à apporter d'importantes modifications au système de réglementation afin d'en resserrer les mécanismes.

Nous recommandons que l'un des résultats de ce processus d'examen public devrait être de permettre aux banques de pénétrer dans deux nouveaux secteurs d'activités, soit l'assurance et la location-bail, secteurs dans lesquels elles ne sont pas présentes à l'heure actuelle et où leur participation augmenterait la concurrence et, à notre avis, entraînerait une amélioration des avantages pour les consommateurs. Contrairement au projet de fusion bancaire, cette orientation, également appuyée par le groupe de travail MacKay, permettrait de plus de ne pas toucher au système actuel de réglementation.

• 0915

Pour conclure, j'aimerais répondre brièvement à quelques-unes des raisons évoquées à l'appui des fusions. Par exemple, M. Cleghorn de la Banque Royale du Canada a mis en doute notre évaluation selon laquelle la fusion de mégabanques entraînerait une perte d'emplois pouvant atteindre 20 000 à 40 000 postes. Nos estimations sont crédibles. En effet, les coupures de postes et les fermetures de succursales forment l'instrument principal à la disposition de M. Cleghorn pour augmenter l'avoir des actionnaires.

M. Matthew Barrett, PDG de la Banque de Montréal, mentionnait dans une allocution que la banque, une fois fusionnée, créerait, d'ici 2004, une filiale autonome pour la petite entreprise, sur le modèle de mbanx. L'existence d'une banque autonome créée pour la petite entreprise et affiliée à une mégabanque ferait-elle une grosse différence pour les petites entreprises qui cherchent un financement dans un marché aussi réduit?

Dans un article du Globe and Mail du 25 septembre, on rapporte les propos suivants de M. Barrett:

    La Banque de Montréal devrait réduire ses dépenses annuelles de 800 millions de dollars et éliminer des services pour réaliser les gains de productivité qu'elle espère atteindre à moindre coût grâce aux fusions proposées.

Il prétend que les fusions restent la meilleure façon d'améliorer l'efficacité sans devoir recourir aux mises à pied massives ou sortir des secteurs d'activités à faible marge bénéficiaire.

À notre avis, cette défense des projets de fusion bancaires n'a absolument aucun fondement, monsieur le président.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de ces observations.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Donner.

Nous entendrons maintenant M. Douglas Peters.

M. Douglas Peters: Merci, monsieur le président et les membres du Comité permanent des finances. Je suis heureux de pouvoir vous présenter mon témoignage. Vous avez en mains un exemplaire de notre mémoire. Je n'ajouterai que quelques observations à celles d'Arthur Donner.

Dans l'étude que nous avons présentée à l'Université laurentienne et dans le document que nous avons distribué, nous déclarons que les deux fusions bancaires proposées réduiraient de manière importante la concurrence sur le marché canadien dans le secteur des services financiers. Elles renforceraient le caractère monopolistique de notre système bancaire.

Selon la théorie économique, telle que le Pr Weintraub de l'Université de la Pennsylvanie nous l'a enseignée, un monopole influe sur la nature des produits et sur la répartition des revenus. Ces projets de fusion auront pour résultat de réduire la gamme des services bancaires fournis à la population canadienne et d'augmenter le revenu des banquiers, et particulièrement celui des membres de la haute direction des banques, à mon avis. Et si les banquiers vous affirment le contraire, demandez-leur pourquoi la théorie économique ne s'applique pas à eux comme aux autres.

Comme l'a affirmé Arthur, pour justifier les fusions, il faut démontrer que les avantages qu'elles vont apporter à ces deux mégabanques compenseront les effets négatifs qu'elles auront pour la population canadienne, à savoir la perte d'emplois, la fermeture de succursales et les divers autres éléments mentionnés. Notre analyse nous a amenés à conclure que ces deux mégafusions créeraient un climat malsain sur le marché des services financiers au Canada et seraient préjudiciables aux consommateurs de services financiers.

Il y a un aspect de cette question qui, à mon avis, est extrêmement important, lorsque vous examinez les problèmes généraux que connaître le secteur des services financiers à long terme. En raison de la taille éléphantesque des deux institutions, le système financier général va devenir plus vulnérable aux chocs financiers externes ou intérieurs. Le sauvetage d'une méga-institution entraînerait des coûts énormes.

Nous affirmons également qu'assortir les fusions de conditions visant à renforcer la concurrence, par exemple la vente de succursales ou des choses du genre, déboucherait quand même sur une réduction de la concurrence.

Nous avons également fait une contre-proposition; nous espérons que vous l'étudierez. Il s'agirait d'élargir le mandat des institutions financières plutôt que de limiter la concurrence comme le feraient les fusions proposées. Nous sommes donc d'accord avec la recommandation du groupe de travail MacKay à l'effet que la vente d'assurances ne devrait pas être interdite dans les institutions de dépôt et que la location-bail de petits véhicules devrait être autorisée. Je crois que le groupe de travail présente des arguments convaincants dans les deux cas.

Par ailleurs, notre contre-proposition maintiendrait l'interdiction de fusionner frappant les très grosses institutions financières, les grandes banques, mais permettrait la fusion d'institutions de nature différente. Par exemple, la vente proposée de la compagnie d'assurances London Life à la Banque Royale du Canada, qui ne s'est pas matérialisée, n'est pas plus justifiée, du point de vue de la concurrence, que la fusion de la Banque Royale et de la Banque de Montréal.

L'avantage de permettre aux banques de se lancer dans d'autres activités du secteur, au lieu de fusionner avec d'autres banques, c'est que cela rendrait possible le développement d'institutions financières beaucoup plus puissantes qui pourraient jouer sur la scène internationale et n'entraînerait pratiquement aucune perte d'emplois. Les Canadiens auraient ainsi des prix concurrentiels dans deux domaines qui en ont sérieusement besoin, à savoir la location-bail automobile et l'assurance. Les institutions regroupées offriraient ainsi toute la gamme des services financiers dans toutes les régions du pays.

• 0920

D'après nous, à l'avenir, il pourrait y avoir six ou huit, voire même jusqu'à douze grandes institutions financières partout au pays, ce qui assurerait une concurrence encore plus vive que celle qui règne sur le marché actuel. Notre proposition permettrait de maintenir la distinction faite entre les banques de l'annexe I et celles de l'annexe II, l'application de la règle du 10 pour 100 de participation et l'ouverture, sous stricte surveillance, de filiales par les banques étrangères.

Nous pensons également qu'il importe d'évaluer les nombreuses recommandations présentées dans le rapport MacKay, ce que fait également votre comité, bien sûr. Nous avons fait cela dans la troisième partie de notre mémoire, que nous avons déposé aujourd'hui.

Il y a des aspects du rapport MacKay auxquels nous ne souscrivons pas. Je répète que nous appuyons l'idée de l'assurance et de la location-bail automobile.

En ce qui concerne la sécurité et la solidité du système financier canadien, le rapport MacKay laisse entendre, je crois que ce sont les recommandations 4 et 10, qu'il faudra réduire les capitaux exigés pour une nouvelle banque et que le BSIF devrait tenir compte autant du marché que de la sécurité et de la solidité.

Le Canada a un dossier enviable—il n'est pas parfait, bien sûr—au chapitre de la réglementation des institutions financières, sans qu'il en coûte grand-chose aux contribuables canadiens. Les événements récents, en commençant par le fiasco des caisses d'épargne aux États-Unis et en allant jusqu'au cautionnement de 500 milliards de dollars américains des institutions financières japonaises, nous ont prouvé qu'une réglementation détaillée était nécessaire. J'ai dû recompter avec soin le nombre de zéros dans notre rapport, pour m'assurer que j'avais le bon chiffre: 500 000 000 000 dollars américains. J'ai eu besoin de presque toute une ligne pour écrire ce chiffre, mais c'est ce montant que devra verser la population japonaise.

Nous croyons que ce n'est pas le moment de faire l'essai d'un nouveau régime réglementaire et nous n'appuyons pas les recommandations du rapport MacKay dans ces deux domaines.

Je crois que le rapport ne fait pas la distinction qui s'impose entre la protection du consommateur qu'exigerait la fusion des banques et ce qu'il faudrait assurer si les cinq grandes banques actuelles restaient en place. Nous croyons qu'il faudrait un système de protection des consommateurs beaucoup plus rigoureux, si les fusions étaient autorisées. Nous avons expliqué clairement ce besoin dans notre étude et nous avons également signalé que les mesures réglementaires supplémentaires ne devraient s'appliquer qu'aux deux institutions fusionnées.

Avec un tel régime, bien que cela puisse sembler étrange, les petites institutions pourraient continuer d'innover, de se concurrencer et d'élargir leur clientèle, alors que les deux mégabanques, si on les autorisait, seraient limitées par la réglementation alors nécessaire.

Nous insistons sur le fait qu'en ce qui concerne les questions de consommation, le gouvernement ne devrait réglementer que les banques. Je pense que c'est une question importante. Pour ce qui est des autres institutions financières, la réglementation de la consommation relève des provinces. Il est donc très tentant pour les institutions autres que les banques de suggérer une réglementation bancaire visant les consommateurs, sachant très bien que ces règles ne s'appliqueraient pas à elles.

Nous vous suggérons de regarder de très près ce que suggèrent les concurrents. Nous vous invitons à accorder plus d'importance aux observations des consommateurs en ce qui concerne les services bancaires qu'à ce qu'ont à dire les concurrents.

Le rapport MacKay propose de regrouper le Bureau du surintendant des institutions financières et la Société d'assurance-dépôts du Canada, mais, en tant que ministre dont ces deux organismes ont relevé pendant quatre ans, je ne suis pas d'accord avec cela. Je trouvais que les conseils indépendants que fournissait l'organisme d'assurance, la SADC, étaient importants.

Ce regroupement est une idée qui circule depuis un bon bout de temps et qui a été rejetée à plusieurs reprises. Au moment où je travaillais en étroite collaboration avec ces deux organisations, il y avait comme une tension créatrice entre les deux. Le regroupement ferait disparaître cette dynamique, ce qui, à mon avis, serait une perte considérable. Le système est d'autant plus sécuritaire et solide que l'organisme de réglementation est séparé de l'organisme d'assurance des dépôts.

Il existe une collaboration étroite entre les deux et peu ou pas de double emploi. Il se pourrait que le régime soit moins efficace sous une seule direction, étant donné que le chef d'un groupe aussi important serait obligé de tenir compte des problèmes d'assurance autant que des questions de réglementation, ce qui pourrait facilement retarder les mesures efficaces en cas de problèmes, qui ne manqueront pas de surgir avec les institutions financières. Il y a des économies liées à ce regroupement, mais je crois que la perte d'une source de conseils indépendants serait grave.

• 0925

Ailleurs dans son rapport, le groupe de travail MacKay recommande que le gouvernement se porte garant de la SIAP, autrement dit, qu'il applique la garantie de la SADC au domaine de l'assurance. Cette mesure entraînerait une forte hausse des obligations du gouvernement fédéral et je ne suis pas d'accord avec cela. L'assurance ne comporte aucun risque systémique, nous le savons. Il existe un risque systémique pour les institutions de dépôt, par contre, mais non pour les sociétés d'assurance. C'est ce qu'on a pu constater lors de la débâcle de la Confédération, ce que j'ai vécu de près, et nous avons pu constater alors qu'il n'y avait aucun risque systémique.

Si les compagnies d'assurance sont désavantagées sur le plan de la concurrence à l'heure actuelle, c'est dû à la faillite de la Confédération et au fait qu'elles n'ont pu s'entendre pour sauver la compagnie et ont préféré ne pas s'en mêler et ramasser les morceaux.

Voilà qui termine mon exposé. Je vous remercie de votre attention. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, tout comme le M. Donner.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Peters.

Monsieur Forseth, nous allons commencer par vous.

M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Réf.): Merci beaucoup.

Monsieur Donner et monsieur Peters, soyez les bienvenus. Il nous est agréable de voir un collègue de la 35e Législature. Maintenant que vous ne fréquentez plus ces corridors, je suis certain que vous êtes beaucoup plus heureux.

Je trouve tout à fait frappant que vous recommandiez que les banques se lancent dans le crédit-bail automobile et la vente de polices d'assurance. En fait, dans votre rapport, vous déclarez carrément «Pourquoi ne pas avoir d'arrangements de ventes liées?» et vous suggérez un changement fondamental des règles pour permettre aux banques d'intervenir dans ces nouveaux domaines. Cela me paraît un peu contraire à votre argument en faveur du rejet des fusions bancaires, argument que vous défendez en déclarant que cela freinerait la concurrence et que les nouveaux organismes issus de ces fusions contrôleraient une part trop importante du secteur financier. Ces organismes joueraient alors un rôle si dominant qu'ils réduiraient la concurrence.

Mais après tout, c'est exactement ce que sont les ventes liées. Elles limitent la capacité des clients de faire des comparaisons. Elles entravent le jeu de la concurrence sur le marché et lient les mains aux clients. Voilà ce que sont les ventes liées; elles favorisent les institutions bancaires. Lorsque leurs clients sont captifs, ces institutions paralysent les forces du marché et réduisent la concurrence. D'une part, vous dites que tout cela est bon pour le marché financier et aussi pour le consommateur, alors que de l'autre, vous déclarez que vous êtes contre les fusions parce qu'elles paralysent le marché. Pourriez- vous m'expliquer cette contradiction?

M. Douglas Peters: Il n'y a pas du tout de contradiction là- dedans. Nous ne recommandons certainement pas des arrangements de ventes liées. C'est un mécanisme illégal, et il devrait continuer à l'être. En ce qui nous concerne, la question ne se pose même pas. Nous avons bien précisé dans notre document qu'il s'agit d'une question moins importante qu'elle ne le paraît. Le problème est que ce sont les concurrents des banques qui soulèvent constamment la question.

Je suis député depuis quatre ans et aucun consommateur n'est venu me voir dans mon bureau pour se plaindre des ventes liées. Peut-être en avez-vous accueilli quelques-uns, mais pas moi. Beaucoup se sont plaints à moi des frais de service bancaire, des taux d'intérêt sur les cartes de crédit, des prêts aux petites entreprises, etc., mais aucun de mes mandants n'est jamais venu se plaindre des ventes liées auprès de moi. Nous disions simplement dans notre document que ce n'est probablement pas un problème particulièrement important.

Quant aux fusions, votre observation est tout à fait pertinente. Actuellement, les compagnies de crédit-bail automobile n'ont d'autres concurrentes qu'elles-mêmes. Selon le rapport MacKay, 80 à 90 p. 100 des transactions dans ce domaine sont effectuées par les trois grands constructeurs automobiles, plus Honda et quelques autres, sans autre intermédiaire. Il n'y a aucune concurrence dans ce secteur. C'est pourquoi je pense que l'intervention des banques ajouterait un élément utile de concurrence dans le secteur des services financiers.

• 0930

Quant aux assurances, un grand magasin peut en vendre. Allstate et Sears ont fait équipe pendant des années. Vous pouvez vendre de l'assurance à l'épicerie du coin; vous pouvez transformer en bureau de vente le siège arrière de votre Volkswagen; pourtant, une succursale bancaire n'est pas autorisée à le faire, ce qui est totalement ridicule. Nous sommes un des rares pays au monde qui autorisent la concurrence dans le domaine des assurances et du crédit-bail automobile. À notre avis, si on permettait aux banques d'intervenir dans ces secteurs, cela stimulerait la concurrence et les consommateurs seraient gagnants sur tous les plans.

M. Paul Forseth: Je note dans votre rapport que vous écrivez que la règle des 10 p. 100 est facile à comprendre, et il n'y aurait aucun avantage pour le Canada à la remplacer par un ensemble de règles plus complexes. Vous recommandez le statu quo. Effectivement, changer la règle des 10 p. 100 déstabiliserait le marché; or, les décisions à long terme ainsi que l'établissement des plans financiers ont été fondés sur cette décision. Tout changement radical aurait un effet déstabilisateur. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous trouvez que la règle des 10 p. 100 en matière de propriété est tout à fait valable et devrait être maintenue?

M. Douglas Peters: Je crois que cette règle est le facteur clé dans plusieurs domaines. Elle permet de s'assurer que les grandes institutions financières continueront à être ouvertes à un grand nombre d'actionnaires. Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a plusieurs façons de traiter la question de la propriété d'une institution financière. Lorsqu'une telle institution a un seul propriétaire, celui-ci est libre d'entreprendre des projets qui lui sont personnellement profitables. Lorsqu'une institution a un grand nombre d'actionnaires, cela n'est plus possible.

En ce qui concerne les institutions d'épargne aux États-Unis, lorsque les règles ont été changées afin d'autoriser la propriété individuelle cela a provoqué une des pires pagailles de l'histoire des institutions financières, à l'exception peut-être, de ce qui se passe actuellement dans le secteur financier japonais. Cela a créé une véritable pagaille parce qu'un individu pouvait dorénavant contrôler l'institution financière et transférer des fonds de celle-ci à son propre compte.

C'est la principale raison de cette règle des 10 p. 100: elle rend ce genre de situation impossible. Elle permet également aux grandes institutions financières canadiennes—elles ne sont d'ailleurs pas particulièrement grandes et ne le seront jamais. Je crois que quelqu'un a dit que si vous totalisiez les capitaux de toutes les institutions financières canadiennes, compagnies d'assurance, banques, mutuelles et le reste, le total demeurerait inférieur au capital de Citicorp aux États-Unis. Nos institutions financières n'atteindront jamais la taille des institutions américaines, et pourtant Citicorp ne représente même pas 20 p. 100 de la communauté financière américaine, en fait, cette banque en représente moins de 10 p. 100.

Notre système permet de maintenir une propriété canadienne, ce qui me paraît important. Grâce à lui, Toronto, Montréal, Calgary et Vancouver demeurent des centres financiers au Canada, ce qui est également très important.

M. Paul Forseth: Je voudrais poser une dernière question. Il est en général reconnu que le secteur financier canadien et les Canadiens en particulier, sont avantagés dans un monde où règne une plus grande liberté de concurrence. Or, encourager la concurrence est la meilleure manière de s'assurer que les Canadiens seront bien servis, à condition que le marché fonctionne selon un ensemble de règles équitables. C'est le mantra que l'on entend ressasser constamment.

Je voudrais savoir, tout d'abord, si vous jugez cette idée valable et si elle vous paraît acceptable. Qu'il y ait des fusions ou un changement fondamental des règles, comment pouvons-nous, selon vous, stimuler la concurrence au sein du secteur financier? Il doit certainement y avoir d'autres moyens de promouvoir le fonctionnement d'un marché profitable aux Canadiens.

M. Douglas Peters: Je crois que le mantra de la concurrence est justifié, mais la concurrence n'est pas une fin en soi, ce n'est qu'un moyen. L'objectif ultime est le bien-être du consommateur individuel. La concurrence est un moyen d'atteindre cet objectif. Dans le cas des institutions financières, la concurrence est réglementée pour des raisons tout à fait pertinentes. Ces institutions sont en effet exposées à des risques; des questions plus générales de politique jouent dans leur cas. Ce sont elles qui jouent un rôle d'émettrice dans l'économie; ce sont elles qui assurent le fonctionnement de la politique monétaire. Il s'agit donc d'un objectif plus général.

• 0935

Le mantra de la concurrence n'est pas le seul pour les institutions financières; il y a aussi celui de la sécurité et de la fiabilité. Nous ne parlons donc pas exactement de la même chose que de l'épicerie du coin. Le débat se situe à un niveau différent. C'est la raison pour laquelle les décisions du comité et celles du Parlement canadien sont très importantes car elles auront des répercussions sur l'économie canadienne.

Donc, la concurrence est effectivement une bonne chose. Quant à savoir comment l'améliorer, j'ai déjà dit que dans le secteur des services financiers, le consommateur devrait pouvoir souscrire à une police d'assurance à sa banque locale, ou y obtenir un crédit- bail automobile. J'ajouterai que la seule façon pour le gouvernement fédéral de réglementer le crédit-bail est d'autoriser les banques à entrer sur ce marché. En effet, le gouvernement fédéral n'exerce aucun contrôle sur le crédit-bail qui est réglementé par les provinces. Si les banques sont autorisées à accorder des crédits-baux automobiles, un règlement devra être établi. Les règles de divulgation des renseignements en ce qui concerne les banques sont extrêmement sévères, et il faudrait qu'elles le soient également si les banques étaient autorisées à se lancer dans le secteur du crédit-bail.

Ce serait très avantageux pour les consommateurs, car si vous voulez que le marché soit compétitif, il faut aussi que le consommateur soit bien informé. Or, je crois que les études ont montré dans bien des cas que dans le domaine du crédit-bail automobile, entre autres, le consommateur n'est pas aussi bien informé qu'il pourrait l'être.

M. Paul Forseth: Merci.

Le président: Permettez-moi d'ajouter que votre modèle concernant les pertes d'emploi me paraît très intéressant. Il m'est arrivé de penser, au cours de l'analyse de cette question, que ces pertes d'emploi, bien qu'importantes... J'ai été témoin de nombreuses fusions—je ne parle pas nécessairement du secteur des services financiers, mais de l'ensemble de l'économie—qui se sont soldées par des pertes d'emploi. Je me demande souvent si l'introduction du tracteur dans une collectivité agricole aurait été acceptée s'il y avait eu préalablement un énoncé public d'incidences. Je me pose souvent la question, car, de toute façon 500 travailleurs auraient perdu leur emploi. Mais c'est une discussion qui a un caractère plus philosophique.

Je voudrais vous demander si les pertes d'emploi qui se produiraient dans le secteur des assurances... Lorsque les assureurs comparaissent devant nous, ils parlent d'une perte de 20 000 emplois. Cela me paraît un élément important à considérer. En tout cas, c'est ce que vous pensez, puisque vous parlez toujours de pertes d'emploi. Je me demande donc pourquoi vous en parlez lorsqu'il s'agit des banques mais que vous n'utilisez pas la même logique lorsqu'il s'agit des compagnies d'assurance.

M. Douglas Peters: J'utilise exactement la même logique. Ce dont les compagnies d'assurance parlent, ce sont des pertes d'emploi dans le secteur de l'assurance tout entier, et non de la perte d'emplois chez ceux qui placent de l'assurance. Vous aurez toujours besoin du même nombre de vendeurs; la différence, c'est qu'ils travailleront peut-être pour une banque au lieu d'une compagnie d'assurance. C'est la seule différence qui compte.

Si un individu est capable de vendre une police d'assurance en un certain laps de temps, il sera de toute façon obligé d'en faire autant s'il travaille pour une banque. Je crois que la manière dont les compagnies d'assurances estiment les pertes d'emploi est assez bizarre, car s'il y a fusion des banques, il y aura une réduction des services offerts aux Canadiens à cause du caractère monopolistique du système bancaire. C'est assez clair.

Ces 20 000 personnes—c'est d'ailleurs le chiffre donné par les banques—ne passent pas leur temps à se tourner les pouces. Ce sont des personnes qui travaillent et qui servent le public. Donc, si les banques elles-mêmes déclarent que 18 500 emplois seront perdus, cela veut dire qu'il y aura 18 000 personnes qui cesseront de servir les clients. C'est là où une fusion devient rentable. Elle permet de fournir moins de service au client et peut-être, à un prix plus élevé.

• 0940

Si les gens du secteur de l'assurance disent la même chose, au lieu d'obtenir moins de service, vous en obtiendrez probablement plus. Généralement parlant, un plus grand nombre de personnes travailleront probablement dans ce secteur, encore que certaines d'entre elles seront employées par les banques, si celles-ci commencent à faire souscrire des assurances. Cela ne constitue donc pas une perte d'emplois pour l'économie.

Arthur est un bien meilleur spécialiste de ces questions que je ne le suis moi-même et je m'incline d'avance devant tout ce qu'il a à dire à ce sujet.

M. Arthur Donner: Je vous remercie de cette déférence, ça fait toujours plaisir.

Je tiens simplement à dire que si la question de l'emploi est très importante, ce n'est pas elle qui prime dans le domaine des fusions ni dans celui de la réglementation des institutions financières. À mon avis, les banques et les compagnies d'assurances ne devraient pas essayer d'être des services publics. Elles ne sont pas là pour créer des emplois. Nous avons besoin d'elles pour en créer, mais je crois que dans l'ensemble, la responsabilité dans ce domaine est une responsabilité macroéconomique; c'est la responsabilité de tout le monde, en particulier, naturellement, celle du gouvernement fédéral.

Je suis tout à fait d'accord avec ce que Doug Peters a dit. Nous parlons du secteur des services. Je crois que ce que les compagnies d'assurance veulent dire, c'est qu'elles perdront peut- être elles-mêmes des emplois, mais que ces emplois seront transférés dans un autre secteur. Cela ne me paraît pas nécessairement une mauvaise chose.

Je crois que la perte possible de 20 000 à 40 000 emplois serait une des conséquences négatives des mégafusions. Il est probable, de toute façon, que des pertes d'emploi se produisent dans ce secteur, et je suis d'accord avec M. Peters pour dire que si l'on pousse la logique jusqu'au bout en ce qui concerne la rentabilisation de ces fusions, ce sera inévitablement le consommateur qui fera les frais de l'opération.

Pour moi, ces fusions, la réglementation des institutions financières, ne posent pas tellement un problème d'emploi—si important qu'il soit. Ce qui me paraît important, lorsqu'il s'agit de l'intérêt général de la population et plus particulièrement de celui du consommateur, c'est la qualité des services qui seront fournis et le prix de ces services.

Le président: Un examen de l'intérêt public devrait-il également porter sur les emplois ou non?

M. Arthur Donner: Bien sûr que si. À ce propos, monsieur le président, je ne suis pas opposé aux fusions par principe; mais je suis contre ces fusions-ci, à ce moment-ci, car j'estime qu'elles ne sont absolument pas dans l'intérêt de la population. Si j'étais convaincu qu'il n'y aurait pas d'augmentation de la concentration, qu'on verrait arriver une énorme vague de nouveaux concurrents ou que les petits concurrents actuels pourraient combler d'un seul coup le vide ainsi laissé, je ne lutterais pas autant contre les fusions. Elles ne sont pas nécessairement un mal, mais dans ce cas- ci, elles sont à proscrire.

Le président: Vous venez de soulever un point fort intéressant. La question est la suivante. Vous nous parlez de ces deux projets de fusions. Cela dit en passant, c'est une question dont le comité ne s'occupe pas. Nous considérons qu'il s'agit d'une pratique commerciale légitime assez fréquente dans notre économie et dans l'économie internationale. Ce que je voudrais savoir c'est si les fusions favorisent l'esprit d'entreprise dont MacKay parle, ce qui soulève la question de la création du type d'intervenants dont nous parlons.

M. Arthur Donner: Manifestement, monsieur le président, il n'y a pas de réponse simple à une question qui est incroyablement complexe et difficile. Je crois qu'il faut considérer les circonstances, le moment, et qu'il faut peser tous les facteurs. Mon collègue Doug Peters et moi-même, nous préoccupons beaucoup, par exemple, de la solvabilité de l'ensemble du système; nous parlons beaucoup de risque systémique. Pour moi, les banques, comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, ne sont pas comparables à votre épicerie du coin. La question est beaucoup plus profonde et beaucoup plus grave, car les dépôts bancaires constituent ce que des économistes comme nous appellent la masse monétaire, qui est un élément extrêmement important du fonctionnement de notre système économique. Manifestement, certaines fusions stimulent la compétitivité et d'autres pas. Certaines créent des synergies et des innovations technologiques auxquelles nous sommes favorables.

• 0945

Je dois reconnaître, après avoir étudié les comparaisons entre les grandes banques et les petites banques, qu'il ne me paraît pas évident que les premières sont nécessairement plus novatrices, ni même mieux placées pour optimiser les profits de leurs actionnaires, que ne le sont les secondes.

Si ma réponse n'est pas claire, c'est qu'à mon avis, on ne peut pas donner de réponse claire à votre question. Il faut tenir compte des circonstances. Cependant, lorsqu'il s'agit de banques, je crois qu'il faut redoubler d'attention et entrer beaucoup plus dans le détail.

Le président: Il faut donc avancer très prudemment.

M. Arthur Donner: Dans ce cas particulier, oui. Franchement, je ne suis pas contre le principe des fusions, mais lorsque je considère l'effet combiné de la fusion de ces quatre banques afin de constituer deux mégabanques, il me paraît évident que l'opération n'est pas dans l'intérêt du public.

Je comprends les arguments que les banques peuvent utiliser pour convaincre leurs propres actionnaires. Pourtant, ils demeurent discutables. Je comprends très bien qu'elles le fassent, mais je ne vois pas où est l'intérêt du public dans tout cela. Cependant, si vous considérez que les banques sont des services publics et qu'elles ont un rôle public à jouer, il va falloir que votre comité fasse preuve d'une extrême prudence dans l'examen de la question.

Le président: Donc, à votre avis, il n'y a pas de place pour de grandes banques dans l'avenir du Canada.

M. Arthur Donner: Pas du tout, monsieur. Je dis simplement qu'en ce moment, cela n'a aucun sens.

Je suis convaincu que nos banques sont capables d'affronter la concurrence telles qu'elles sont actuellement. Je suis sûr qu'elles soutiendront exactement le contraire et qu'elles disent que pour être plus compétitives, elles doivent grandir.

Je me contenterai donc de revenir aux éléments d'information examinés par mes collègues et moi-même. Je dois dire que les professionnels du secteur économique et du secteur financier ont fait la même chose. Bon nombre des arguments invoqués par les banques en faveur de ces fusions ne tiennent tout simplement pas debout.

Le président: Monsieur Donner, j'attends toujours une réponse. À votre avis, les grandes banques devraient-elles jouer un rôle dans l'avenir de notre pays ou non?

M. Arthur Donner: Oui. À mon avis, les banques vont continuer à grossir et il y aura peut-être des fusions, mais je crois que nous avons aujourd'hui l'occasion de nous assurer que nos institutions financières auront leur siège au Canada.

La question des emplois vous préoccupe peut-être. Ce qui m'inquiète, moi, c'est la qualité de ces emplois plutôt que leur nombre total. Leur qualité est déterminée par les décisions prises aux sièges sociaux. Et les salaires et les revenus sont beaucoup plus élevés si vous avez un siège social au lieu d'une simple succursale. C'est une des raisons pour lesquelles il me paraît utile de maintenir la règle des 10 p. 100.

Le président: Merci.

Monsieur Peters.

M. Douglas Peters: Si vous me permettez d'ajouter un mot, monsieur le président, nous avons déjà de grosses banques au Canada. Ce sont des institutions qui étaient relativement petites au départ mais qui ont considérablement grandi. Cette croissance a été en grande partie due aux fusions.

Vous demandez donc si nous devrions avoir de grosses banques au Canada. Nous en avons déjà. Parviendront-elles jamais à être aussi grosses que les banques américaines les plus importantes? Certainement pas. C'est totalement impossible. Le système financier américain est 15 ou 20 fois plus important que le système canadien. La question est de savoir si nos banques sont importantes dans le contexte du marché canadien. Eh bien, proportionnellement, elles le sont beaucoup plus que n'importe quelle banque américaine. Elles sont proportionnellement deux ou trois fois plus grosses que celles-ci.

Le président: C'est ce qui ressortait assez clairement des remarques de M. Donner. La question était de savoir s'il y aurait de plus grosses banques qu'auparavant. D'après sa réponse, c'est ce qui se produira à l'avenir, et cela sera dû en partie à des fusions.

M. Arthur Donner: Cela se produira peut-être grâce à des fusions, mais franchement, j'espère que si des fusions sont un jour autorisées, c'est parce que des comités de la Chambre des communes tels que le vôtre seront convaincus que cela ne nuira pas à la concurrence. Au risque de me répéter, je suis fermement convaincu que si ces fusions se produisaient aujourd'hui, l'environnement concurrentiel au Canada serait catastrophique.

Le président: En dépit du fait que vous ne savez pas exactement si une fusion stimulerait l'esprit d'entreprise au sein du secteur des services financiers.

M. Arthur Donner: Il est très difficile de répondre à cela. Je crois que les données dont nous disposons sont quelque peu contradictoires.

Le président: Mais c'est précisément ce que nous essayons de déterminer ici. Nous essayons de brosser un tableau de l'avenir. Comme vous le savez probablement, ce n'est pas le passé qui intéresse notre comité, c'est l'avenir du secteur des services financiers. Notre plus gros défi est donc d'esquisser un tableau de l'avenir qui attend les Canadiens, et de contribuer du même coup à sa création. C'est la raison pour laquelle je vous pose ces questions.

• 0950

Je suis absolument convaincu que vous n'avez pas de boule de cristal, pas plus que M. Peters, ni que nous. Cela n'empêche pas que nous devrions être capables de contribuer à édifier cet avenir.

M. Arthur Donner: Oui, monsieur le président, je suis d'accord avec vous. Je dirai simplement qu'une des seules choses essentielles d'une telle entreprise est qu'il ne faut pas empêcher les institutions financières d'innover et de faire bénéficier leurs clients de coûts moins élevés et de services améliorés.

L'autre question, dans tout cela, est de savoir s'il y aura une concurrence suffisante pour répondre aux besoins des clients. Leur offrira-t-on suffisamment d'options? Les prix seront-ils équitables au sens où on l'entend sur le marché concurrentiel ordinaire?

Je vous demande instamment de ne pas vous attacher uniquement à la question de l'exercice de l'esprit d'entreprise ou des coûts concurrentiels. Je ne suis pas suffisamment spécialisé dans ce domaine pour être absolument convaincu que la seule façon d'affronter la concurrence à l'avenir est d'avoir de grosses institutions financières. Dans l'avenir que j'envisage, il y aura une combinaison d'institutions très importantes, de petites institutions et d'institutions occupant des créneaux spécialisés. À mon avis, ce sera l'avenir qui s'offrira non seulement au secteur bancaire, mais à beaucoup d'autres secteurs.

Le président: Je n'ai pas bien compris vos deux dernières phrases.

M. Arthur Donner: Bien. J'allais dire qu'à l'avenir, nous aurons probablement une combinaison d'institutions de tailles diverses, composées de grandes sociétés, de petites sociétés et d'un certain nombre de sociétés spécialisées.

À mon avis, cet avenir sera probablement similaire à celui de l'industrie automobile et des services non financiers.

Le président: Merci.

Monsieur Peters.

M. Douglas Peters: Un mot au sujet de l'innovation; si vous considérez les antécédents de nos institutions financières, vous constatez que les innovations sont surtout venues des plus petites d'entre elles. Les coopératives de crédit restaient ouvertes tard le soir. Canada Trust était ouvert de 8 h du matin à 8 h du soir. Les comptes d'épargne à intérêt quotidien ont été offerts pour la première fois par ces coopératives avant que certaines compagnies de fiducie n'en fassent autant. Les paiements hypothécaires hebdomadaires sont un autre exemple d'innovation.

Je crains fort que nous ne devions aucune de ces innovations aux très grandes institutions. L'esprit d'innovation me paraît beaucoup plus répandu chez les petites institutions que chez les grandes. Si l'innovation est l'un des arguments invoqués en faveur des fusions, j'aimerais bien que vous puissiez me donner le nom de très grandes institutions qui se sont distinguées dans ce domaine.

Le président: J'ai une dernière question à poser au sujet des pertes d'emploi, après quoi, nous donnerons la parole à M. Riis.

D'après vous, il y aura de 20 000 à 40 000 pertes d'emploi. La marge est considérable. D'autre part, lorsqu'on parle de l'avenir, il faut tenir compte d'un certain nombre de facteurs pour pouvoir invoquer ce genre de chiffres. Il faut donc que vous connaissiez ces facteurs, autrement, vous ne pourrez jamais expliquer comment vous parvenez à ces chiffres.

Autrement dit, je suis certain que vous n'avez pas fait ces calculs dans l'abstrait. Vous avez calculé le transfert de ces emplois dans le secteur des assurances. Avez-vous tenu compte de tous ces changements, ou vous en êtes-vous simplement tenu aux données réelles...

Il y a des banques qui nous disent qu'elles peuvent régler le problème grâce à l'effet naturel de l'usure des effectifs. Il y a des gens qui nous disent qu'il va y avoir une croissance d'ensemble. Il y en a d'autres comme vous qui nous disent que l'on perdra de 20 000 à 40 000 emplois. Y a-t-il un seul point sur lequel vous êtes capables de vous mettre tous d'accord? Bien entendu, nous respectons le point de vue de chacun.

M. Douglas Peters: Je crois qu'il faut faire une distinction entre deux choses. Premièrement, il y aura la perte de postes dont nous parlions, et il y aura aussi le licenciement d'un certain nombre de membres du personnel.

Le chiffre de 20 000 correspond approximativement au nombre de postes perdus selon l'estimation des banques elles-mêmes. Elles ont déclaré qu'il y aurait 18 500 emplois de perdus. Je crois que c'était le chiffre exact. La Toronto Dominion et la CIBC en perdraient 10 000 et le Banque Royale et la Banque de Montréal, 8 500. C'est le nombre de pertes d'emploi qu'elles nous ont elles- mêmes indiqué, question qui nous préoccupait.

Voyez les autres fusions qui ont déjà eu lieu, telle que la prise de contrôle de la compagnie National Trust, la prise de contrôle de la compagnie Central Guaranty, ou autres situations de ce genre. Le pourcentage des pertes a été beaucoup plus élevé que prévu, ce qui nous donne la limite supérieure qui est, naturellement, de 40 000 pertes d'emploi. C'est bien cela? Oui, bien sûr, le chiffre est élevé. Est-il probable qu'il soit atteint? Non. Le chiffre de 20 000 constitue un minimum, c'est celui que fournissent les banques elles-mêmes. Le maximum de 40 000 est celui auquel nous sommes parvenus lorsque nous avons pris en compte divers autres facteurs. Le chiffre réel se situera donc entre 20 000 et 40 000 compte tenu de tous les facteurs.

• 0955

Nous n'avons pas de boule de cristal qui nous permette de prédire l'avenir; ce n'est pas ce que nous voulions faire. Qu'ont dit exactement les banques? Elles ont dit que 20 000 postes disparaîtraient par le jeu de l'usure des effectifs et que personne ne serait licencié.

Le président: Ce 40 000, la limite supérieure, ce n'est que pour les grands titres des journaux.

M. Douglas Peters: Non, c'est faux. Nous n'avons pas produit les grands titres des journaux. Ce 40 000 constitue la limite supérieure des prévisions. La prévision la plus probable se situerait sans doute entre 20 000 et 30 000. Mais si vous voulez une limite supérieure, songez aux fusions qui ont été effectuées et au pourcentage d'employés qui ont alors perdu leur emploi, et 40 000 est le chiffre qui s'impose. Est-ce que cela se peut? Oui, cela est possible. Est-ce que cela est probable? Je ne le crois pas. Et tout est fonction de l'horizon que vous envisagez.

Le président: Je vous remercie de cette précision, parce que ce chiffre de 40 000 est souvent mentionné.

M. Douglas Peters: Je le sais.

M. Arthur Donner: Je voudrais faire un commentaire au sujet de la possibilité que les banques gèrent la disparition d'emplois par l'attrition. L'attrition demeure une perte d'emplois. Dans toute industrie, qu'il s'agisse des banques, de l'automobile, etc., on espère toujours qu'il y aura création d'emplois, parce qu'après tout, la main-d'oeuvre canadienne ne cesse de croître. Si les banques comptent uniquement sur la prise de retraite, que je considère comme une forme d'attrition, pour régler le problème, elles n'y arriveront pas. Malgré tout, c'est encore un énoncé très négatif pour ce qui est de ce que font les banques en matière d'emploi. Personnellement, je ne peux croire qu'elles sont en mesure de gérer la situation grâce à l'attrition, parce que je ne crois pas qu'elles soient en mesure d'atteindre leurs objectifs de coût.

Le président: Merci, monsieur Donner.

Monsieur Riis.

M. Nelson Riis (Kamloops, Thompson and Highland Valleys, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.

La discussion de ce matin m'a fasciné, en particulier le dernier commentaire. Il semble que les banques attendent avec impatience l'autorisation de procéder à ces fusions, et il faudra du temps pour éliminer 20 ou 30 000, sinon 40 000, personnes uniquement grâce à l'attrition. Je pense donc que vos observations sont fort pertinentes, les banques font preuve d'un très grand optimisme.

En outre, j'ai bien aimé votre commentaire, quand vous avez dit qu'il n'y avait pas d'arguments convaincants ni d'études qui indiquent que les banques ont besoin de croître pour être concurrentielles, et que rien ne prouve qu'elles seraient plus efficaces si elles étaient plus grosses. Tout cela nous est très utile, monsieur Donner.

Par ailleurs, vous avez tous deux mentionné d'une façon ou d'une autre que ces fusions n'étaient évidemment pas dans l'intérêt public. Monsieur Donner, vous avez même indiqué que les actionnaires n'y trouveraient peut-être pas leur compte.

Ma question s'adresse surtout à M. Peters. Il me plaît fort que, grâce à vos antécédents, vous ayez sans doute une excellente connaissance du monde des banques, meilleure que celle de certains d'entre nous. Une de vos remarques m'a semblé particulièrement révélatrice, et c'est celle qui expliquait pourquoi la théorie économique n'appuie pas l'argument des banques. Les banques sont d'une très grande finesse. Elles recourent de toute évidence aux services de personnes qui ont sans doute fréquenté les écoles dont vous parliez précédemment. Quel est donc, à votre avis, le motif derrière tout cela, s'il n'y a pas d'arguments économiques réalistes à invoquer? Certes, cela va à l'encontre de toute théorie économique, à ma connaissance. Pourtant, les banques semblent déterminées, et les PDG qui sont venus témoigner devant le comité manifestent un enthousiasme qui tient du prosélytisme lorsqu'il s'agit de ces deux fusions. Alors, monsieur Peters, qu'est qu'il y a derrière tout cela? Pourquoi les banques défendent-elles ce projet?

M. Douglas Peters: Je l'ignore. Je pense que vous pourriez poser la question aux présidents des banques. Mais je vais vous dire ce qui, à mon avis, se cache derrière tout cela et que nous avons énoncé très clairement dans notre rapport: les fusions donneraient aux banques la capacité de dominer le marché intérieur. Si elles dominent le marché intérieur, elles peuvent réduire le service aux clients, réduire leurs coûts et percevoir des frais de service plus élevés.

• 1000

J'ai entendu citer l'exemple de la Californie—il ne s'agit pas d'un pays indépendant mais le marché y est comparable, par la taille, à celui du Canada—où il y a eu d'importantes fusions. Les taux d'intérêt créditeurs en Californie, en comparaison des taux d'intérêt créditeurs dans l'ensemble des États-Unis, ont chuté d'environ 35 points de base. Cela a produit un énorme gain pour les institutions bancaires après les fusions. Si je réussissais à produire 35 points de base dans le bilan de la Banque TD, je serais le héros de l'organisation. Cela représente beaucoup d'argent.

Vous me demandez pourquoi les banques agissent ainsi. C'est parce que la fusion leur permettrait de réduire les services et de hausser les prix. C'est à cela que sert un monopole. Cela correspond tout à fait à ce que la théorie économique nous enseigne.

M. Nelson Riis: En effet. Dans votre document commun, vous citez M. Ferguson, de la CIBC, qui soutient que c'est avant tout une question de croissance, ce qui, d'une certaine façon, correspond à ce que vous dites.

Monsieur Peters, vous considérez que le secteur des services financiers devrait d'ici quelque temps, compter de huit à 12 groupes. Ces groupes sont dans une large mesure en formation à l'heure actuelle. Supposons qu'il y ait 12 groupes. Qu'est-ce qui empêcherait les banques d'intervenir et de s'emparer de ces 12 groupes pour les ramener à peut-être quatre ou cinq, qui seraient quatre ou cinq banques?

M. Douglas Peters: Je crois que les banques feraient partie de ces huit à 12 institutions.

En effet, la question des fusions au sein de ce groupe se poserait encore. C'est tout à fait exact. En règle générale, au Canada, les grandes fusions se produisent dans le secteur financier parce qu'une institution éprouve des difficultés. Si vous avez 12 institutions et que l'une se trouve en difficulté, il vous en reste 11. Si vous en avez deux et que l'une éprouve des difficultés, il ne vous en reste qu'une. Il faudrait donc élaborer des politiques pour encourager la croissance d'au moins huit à 12 grandes institutions, afin que si l'une d'entre elles a des difficultés, cela n'aurait pas autant d'effet sur l'ensemble de l'économie que s'il s'agissait d'une méga-institution.

M. Nelson Riis: Vous avez tous deux présenté des arguments fort convaincants pour ce qui est d'autoriser les banques à se lancer dans la location-bail et dans le secteur de l'assurance. Ma question est peut-être plus théorique, car la plupart, sinon toutes, les sociétés, et en particulier les sociétés ouvertes, doivent afficher une certaine croissance. Leurs actionnaires l'exigent. Je crois bien que les banques ont atteint le maximum de leur croissance pour ce qui est de diversifier leurs activités dans le secteur non bancaire. Elles vont peut-être maintenant s'attaquer au secteur de l'assurance et du crédit-bail automobile.

Y a-t-il des raisons de croire qu'elles s'en tiendront là, qu'elles en viendront à un point où elles auront pris une expansion suffisante dans ces secteurs et s'arrêteront? C'est un cliché, mais on peut presque craindre qu'elles ne se mettent à vendre des timbres dans les guichets automatiques. Est-ce que nous pouvons supposer qu'au fil des années, les banques continueront simplement d'essaimer et de croître dans ce que nous considérons comme des secteurs traditionnellement non bancaires?

M. Douglas Peters: Le mot «banque» vient de l'italien «banca», le banc de l'affineur d'or. Si nous avions conservé la définition de banque qui avait cours au XIVe ou au XVe siècle, les banques feraient aujourd'hui des bagues en or ou achèteraient et vendraient de l'or, ce que certaines banques font toujours.

Bien sûr, les institutions financières évoluent. Toute l'économie évolue. Il est vrai que les banques mènent aujourd'hui des activités différentes.

• 1005

Quand j'ai commencé dans le secteur bancaire, il y avait des comptes d'épargne et des comptes courants. Il n'y avait rien d'autre. On versait 3 p. 100 d'intérêt sur les comptes d'épargne et rien sur les comptes courants. Vous n'aviez que le choix à la banque. Nous avons fait du chemin depuis cette époque. Nous avions des prêts à vue et des prêts à terme, rien d'autre. Les prêts à la consommation étaient inconnus.

Évidemment, les choses changent, les banques vont croître, elles vont se tourner vers de nouvelles activités, et nous devons veiller à ce que les dispositions législatives applicables aux banques ne soient pas restrictives au point d'empêcher les institutions de vendre des services qu'elles sont tout à fait en mesure d'offrir avec succès. Si elles échouent, tant pis, mais si elles réussissent, alors elles répondent aux besoins du consommateur et c'est le consommateur qui en profite.

M. Nelson Riis: J'aurais une dernière question à poser.

Monsieur Peters, pour ce qui est de la situation actuelle dans le secteur bancaire et de la concurrence, est-ce que vous pourriez nous dire ce que vous pensez du niveau de concurrence? Souvent, on parle de notre système bancaire actuel comme relativement monopolistique ou composé d'un très petit nombre d'intervenants. Je serais curieux de savoir ce que vous pensez de la concurrence qui règne actuellement dans le système.

M. Douglas Peters: Je crois qu'aujourd'hui la concurrence est à un niveau raisonnable dans le système. Les cinq institutions sont toutes énormes. Je pense que leurs bilans sont tous dans les 200 milliards de dollars, ce qui en fait de très grandes institutions, mais il y a aussi une grande diversité de petits établissements.

La principale institution financière dans la province de Québec est le groupe Desjardins, une caisse d'économie. On me dit que les deux principales institutions financières en Colombie- Britannique, votre province—et vous le savez sans doute mieux que moi—sont la Banque Hongkong et la VanCity Credit Union. Nous avons là quelques institutions très futées qui ont considérablement modifié le paysage financier du pays.

Alors je dirais que oui, la concurrence est satisfaisante, le système est sain pour l'instant. Il n'est pas parfait—aucun système financier ne le sera jamais—mais il est très acceptable.

Arthur a peut-être un autre avis à ce sujet, en tant qu'entrepreneur indépendant.

M. Arthur Donner: Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue. Je ne connais pas aussi bien la question que lui, alors je m'incline devant son jugement.

Le président: Merci, monsieur Riis.

Monsieur Valeri.

M. Tony Valeri (Stoney Creek, Lib.): Merci, monsieur le président. Je vais aborder rapidement deux ou trois questions.

J'aimerais reprendre le thème de M. Riis. Vous parlez de la vente de produits d'assurance et de crédit-bail. Vous soutenez, au plan macroéconomique, essentiellement, que le nombre d'emplois n'est pas pertinent parce que ces emplois passeraient de l'industrie où ils se trouvent aujourd'hui au secteur bancaire. Pourtant, le Bureau d'assurance du Canada mentionne environ 20 000 emplois. Les nouveaux emplois qui seraient créés seraient du type centre d'appels, des emplois de succursale bancaire. J'imagine que la situation serait un peu perturbée pour les travailleurs à l'extérieur des grands centres. Est-ce que cela ne fait pas partie du problème?

Vous parlez de la qualité des emplois. Essentiellement, compte tenu du système de distribution actuel, nous avons un certain nombre de petits entrepreneurs et je crois que vous êtes tous deux de fervents supporters de la petite entreprise. Est-ce que vous reconnaissez qu'un système de distribution de ce type aurait un effet considérable sur ce secteur, la petite entreprise, les petits entrepreneurs, même si au plan macroéconomique, j'en conviens avec vous, le nombre d'emplois ne serait pas fortement modifié?

Voilà pour ma première question. Je dois les poser toutes, parce que le temps m'est compté.

Deuxièmement, en ce qui concerne le BSIF, une des recommandations du rapport MacKay porte sur la création d'un conseil d'administration pour superviser les opérations. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Monsieur Peters, au sujet de la SECI et de la CompCorp, vous avez mentionné qu'à votre avis le gouvernement devrait supporter un fardeau supplémentaire ou verrait sa responsabilité augmenter si, de fait, ces deux sociétés étaient amalgamées. Avez-vous envisagé la privatisation pure et simple de la SECI et une orientation inverse, c'est-à-dire que le programme serait appuyé par l'industrie plutôt que par le gouvernement?

• 1010

Pour ce qui est de la vente liée, vous avez indiqué que jamais aucun électeur n'était venu s'en plaindre auprès de vous. On nous dit pourtant qu'il n'y pas que la vente liée proprement dite, il y a aussi l'impression de vente liée et le déséquilibre que les consommateurs ressentent lorsqu'ils s'adressent à une institution financière ou, dans certains cas, dans d'autres situations, quand des personnes occupent des postes d'autorité. Il y a donc un déséquilibre et la perception d'un déséquilibre dans ce cas. Le rapport MacKay recommande entre autres de légiférer pour créer un poste d'ombudsman des services financiers. Pensez-vous que cela serait utile pour éliminer cette perception de déséquilibre en matière de vente liée?

Quant à ma dernière question, qui est aussi un commentaire, je sais que l'on a beaucoup discuté des fusions ce matin. Essentiellement, le comité n'a pas pour mandat d'examiner ces fusions en tant que telles; il se penche sur l'avenir du secteur des services financiers et sur les recommandations du rapport MacKay. Dans ce contexte, vous avez préconisé un plus grand nombre de fusions entre les banques et les compagnies d'assurance—vous avez donné l'exemple de la London Life et de la Banque Royale—par opposition à des fusions du type que la Banque de Montréal et la Banque Royale envisagent.

Mais les responsables de la Banque du Canada ont mentionné dans un rapport qu'à leur avis, il y aurait probablement de 10 à 12 très grandes institutions financières, des Wal-Mart en quelque sorte, dans le monde. Est-ce que cela ne vous paraît pas logique que les banques canadiennes se concentrent sur un certain marché de créneau pour tenter de s'imposer dans le secteur des services financiers mondiaux plutôt que de chercher à s'établir dans un monde de Wal-Mart où elles seront à peu près incapables de se maintenir? Même si elles achetaient toutes les compagnies d'assurance, conservaient leur statut de banque et créaient une grande institution financière nationale, sur la scène mondiale elles ne seraient toujours pas de taille à affronter la concurrence.

Si elles se regroupaient et se concentraient, réduisaient la diversité de leurs produits et se limitaient aux opérations bancaires elles-mêmes, pensez-vous qu'elles auraient de meilleures chances de se classer, sinon parmi les 10 ou 12 premières, du moins parmi les 15 ou 20 premières banques au monde? Je me demande pourquoi vous voyez les choses de façon aussi tranchée et si vous avez examiné cette possibilité.

M. Douglas Peters: Voilà bien des questions.

M. Tony Valeri: Il y a des années que je perfectionne la technique.

M. Douglas Peters: C'est exact, vous êtes là depuis maintenant cinq ou six ans.

La question des emplois dans le secteur des assurances est excellente. Est-ce que les assureurs qui interviennent dans le système actuel fournissent un service vraiment efficace au consommateur, voilà la question qu'à mon avis, le comité devrait se poser. À condition, bien sûr, que le consommateur soit intéressé, le fait de permettre aux banques de vendre de l'assurance ne fera aucune différence. Si les assureurs offrent un bon produit au consommateur, un produit que le consommateur veut acheter, la présence des banques n'y changera rien et elles ne réussiront pas à s'établir. Si les banques offrent un produit de meilleure qualité, plus facile à comprendre par exemple, alors en effet il y aura des conséquences, et est-ce que cela ne vaut pas mieux pour le consommateur?

Il faut se demander pourquoi vous ne laissez pas les banques tenter l'expérience. Si elles n'y parviennent pas, tant pis. Si le système de vente de produits d'assurance est à ce point excellent, comme le prétendent les compagnies d'assurance, et s'il répond vraiment aux besoins des consommateurs, très bien, il se maintiendra.

Pour ce qui est du conseil d'administration du BSIF, je ne saurais vous répondre. Il ne me semble pas qu'un conseil d'administration... cela fait partie d'un plan d'ensemble que d'intégrer la SECI, qui est dotée d'un conseil d'administration, et le BSIF, et vous avez sans doute des liens avec le conseil d'administration. Si vous regroupez la SECI et le BSIF, vous aurez peut-être besoin d'un conseil d'administration. Mais je ne crois pas qu'un conseil d'administration soit nécessaire au BSIF. Le surintendant relève d'un ministre, et la responsabilité ministérielle est bien définie. Votre comité rencontre le surintendant chaque fois qu'il désire discuter de quelque chose. Je pense donc que le conseil d'administration serait fort peu utile uniquement dans le cas du BSIF.

• 1015

Est-ce que la SECI a besoin d'un conseil? Voilà une autre question. Vous avez demandé si nous avions envisagé la privatisation de la SECI. Les banques l'ont suggérée elles-mêmes, et le comité doit déterminer s'il serait dans l'intérêt public d'intégrer la SECI au secteur public. À mon avis, la réponse est oui, cela servirait l'intérêt public. Il y a un facteur de risque systémique dans les institutions de dépôts, et le gouvernement fédéral est tenu de garantir la sécurité et la santé financière des institutions de dépôts, parce que leur échec aurait plus d'effets sur l'économie que l'échec d'une compagnie d'assurance.

Au sujet de la vente liée, en effet, il y a une perception de vente liée. J'ai vraiment l'impression, et nous l'avons indiqué dans notre document, que s'il s'agissait d'un problème véritablement important, des milliers de personnes m'auraient signalé qu'il y avait un problème, les courtiers m'auraient dit qu'il y avait un problème et les compagnies d'assurance m'en auraient aussi parlé. Ni les uns ni les autres ne sont réglementés. J'ai donc une suggestion. Voyons si des milliers de Canadiens viennent se plaindre de l'existence d'un tel problème en matière de vente liée. Oui, je crois que cette technique devrait être illégale. Cela me paraît évident. Je n'en suis pas du tout partisan. Je vous dis simplement que si j'occupais encore mon ancien bureau, cela figurerait au bas de ma liste de priorités, parce que d'après ce que j'entends...

M. Tony Valeri: J'ai posé la question dans le contexte de la création d'un poste d'ombudsman. La vente liée a été discutée et nous avons exposé notre position.

M. Douglas Peters: L'ombudsman, à mon avis, est sans doute une bonne idée. Vous devez vous rendre compte que votre ombudsman... Le seul pouvoir du gouvernement fédéral concerne les banques. À moins que les gouvernements provinciaux ne vous délèguent l'autorité de légiférer en leur nom les autres institutions financières, il vous faut un ombudsman des banques. Que les fonds nécessaires à cette mesure proviennent du gouvernement fédéral ou du secteur privé, comme c'est le cas à l'heure actuelle, c'est une question qu'il vous appartient de régler. Mais vous devez admettre que dans le secteur financier, du moins du point de vue du consommateur, vous définissez les règles uniquement dans le cas des banques.

M. Tony Valeri: Le rapport MacKay recommande que les provinces souscrivent volontairement à ce projet d'ombudsman du secteur des services financiers.

M. Douglas Peters: Vous feriez mieux de poser la question au ministre des Affaires intergouvernementales, cela ne lui plairait peut-être pas. Nous avons eu beaucoup de difficulté quand nous avons réclamé une Commission canadienne des valeurs mobilières, et notre projet n'a jamais abouti. Certaines provinces étaient pour et d'autres, contre. Il y avait de tout. La nécessité nationale d'une commission canadienne des valeurs mobilières était manifeste, et nous ne pouvions même pas mettre le projet en oeuvre. Si vous pensez que vous pouvez prendre toutes ces autres mesures financières sans difficulté, je vous souhaite bonne chance. Je suis d'accord, la nécessité est incontestable. Toute la question des institutions financières est d'envergure nationale. Le marché est national. Il devrait y avoir quelque chose, mais...

Pour ce qui est du rapport de la Banque du Canada dans lequel on affirme qu'il y aura 10 ou 12 méga-institutions dans le monde, il n'y a qu'une seule institution à l'heure actuelle qui fonctionne à l'échelle mondiale et offre des services financiers au détail dans divers pays, une seule et unique, et c'est la HSBC à Londres. Cette banque est une organisation très particulière. La Banque Hongkong du Canada, la Midland Bank en Grande-Bretagne, la Marine Midland aux États-Unis, la British Bank au Moyen-Orient, la Hang Seng Bank et la Hongkong et Shanghai Banking Corporation, à Hong Kong, la Hongkong Bank en Australie, toutes fonctionnent de façon relativement autonome, toutes fonctionnent très différemment des succursales de la plupart des autres institutions financières. Elles sont relativement indépendantes. Elles mènent des activités de détail et elles cherchent...

• 1020

Sur la scène internationale, la plupart des banques s'en tiennent aux services bancaires de gros. Lorsque j'étais à la Banque TD, nous avions des activités dans diverses parties du monde. Nous cherchions surtout à nous installer dans les grands centres financiers pour occuper un marché de créneau qui nous convenait dans ce centre financier. Nous ne nous sommes pas mêlés de services bancaires de détail. Tout est là.

Maintenant, si vous voulez dire qu'il y aura 10 ou 12 grosses banques dans le monde... Si vous voulez une ligne de crédit de 10 milliards de dollars, il n'y a probablement que trois ou quatre institutions, peut-être même moins, vers qui vous pouvez vous tourner. Si vous voulez parler de fortes sommes—et le gouvernement canadien a besoin de fortes sommes, à l'échelle mondiale ou quelque chose de ce genre—il n'y a que quelques institutions qui oeuvrent dans ce domaine à l'heure actuelle. Les banques canadiennes y sont venues au deuxième palier dans bien des cas. Paul Martin et moi-même avons tous deux cherché à pousser les banques canadiennes sur ce deuxième palier, pour qu'elles interviennent à titre d'émetteurs canadiens. Elles peuvent le faire.

Mais je ne peux imaginer un monde où il y aurait 10 ou 12 grandes institutions comme le groupe HSBC. Cela ne s'est pas produit. C'est une institution tout à fait particulière, et je ne crois pas qu'on puisse lui emboîter le pas.

Le président: Monsieur Cullen.

M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.

Merci, messieurs Peters, Donner et Parquez. Je suis heureux que vous ayez pu venir discuter avec nous aujourd'hui.

Monsieur Parquez, j'aimerais vous faire participer un peu au débat, je vais vous poser une question que M. Peters et M. Donner pourront ensuite commenter...

Lorsque les banques ont annoncé les fusions, la bourse a réagi favorablement. Depuis, elle fluctue. Honnêtement, en tant que député, cela ne m'inquiète pas beaucoup. Je m'intéresse bien plus, du point de vue d'une montée des cours, à déterminer si cette montée reflète le fait que les banques, en cas de fusion, réaliseraient certaines économies d'échelle et de portée. Est-ce que cela ne refléterait pas plutôt le fait que les banques auraient alors une position dominante sur le marché? Ce pouvoir sur le marché signifierait non seulement plus de latitude pour ce qui est des produits et services intérieurs, mais aussi la création d'un bastion encore plus formidable, si vous me passez l'expression, pour les concurrents qui envisageraient de prendre de l'expansion au Canada?

Je sais que vous n'êtes pas analyste des investissements. Je sais que vous n'avez pas de boule de cristal, mais vous pourriez peut-être me faire part de vos impressions, d'après votre expérience en la matière.

M. Alain Parquez (Département d'économie, Université d'Ottawa): Vous soulevez une question très importante, et je vais y répondre en me basant sur l'expérience européenne.

Il est évident que quand de grandes fusions sont annoncées, ce qui s'est produit partout et en particulier en Europe, où le système bancaire est beaucoup plus concentré qu'au Canada, personne n'en discute. Même la Commission européenne s'en désintéresse totalement.

On constate toutefois une forte augmentation du prix des actions. Pourquoi? Il ne fait aucun doute, sur les plans tant empirique que théorique, que l'on prévoit que les banques fusionnées auront beaucoup plus de pouvoir pour imposer leur propre politique de prêts à l'économie, sans ingérence possible de la banque centrale. C'est ce qui s'est produit en France et en Allemagne. Une banque française possède peut-être 50 p. 100 des actifs physiques. Quant aux deux grandes banques allemandes, après de nombreuses fusions, elles contrôlent maintenant 90 p. 100 des actifs physiques en Allemagne. Il est évident qu'elles constituent de fait la banque centrale. Par contre, elles peuvent imposer les frais qui leur plaisent aux consommateurs—surtout aux ménages, aux petites entreprises. Et c'est la raison pour laquelle elles sont à ce point désireuses de procéder à des fusions.

• 1025

Ce qu'il vaut la peine de souligner, comme je l'ai dit, c'est qu'en Europe et au Japon, les autorités censément responsables de la concurrence se désintéressent totalement des fusions, et que vous êtes peut-être la seule institution au monde qui discute actuellement de la question. Personne à Bruxelles n'oserait soulever la question.

Par contre, il est également clair que les banques deviennent alors de plus en plus fragiles, par exemple, parce que les institutions fusionnées et ceux qui spéculent sur les actions des banques croient toujours qu'elles sont «trop grosses pour qu'on les laisse faire faillite». C'est ce qu'a déclaré explicitement le président de la Dresden Bank, l'une des deux grandes banques allemandes, quand l'institution a perdu 160 milliards de dollars en Russie. Il a affirmé que cela était sans conséquence, que le gouvernement était tenu de lever une taxe spéciale pour financer cette perte. Le gouvernement allemand a dû s'y résoudre, tout comme cela s'est produit en France.

C'est pourquoi—et j'y reviendrai un peu plus tard—je pense que dans le cas des banques, il ne s'agit pas de sociétés spéciales, contrairement à ce que l'on affirme dans le rapport MacKay. Elles ne constituent même pas un type particulier d'institution financière. Les banques, de façon directe ou indirecte, créent la monnaie dont les intervenants de l'économie réelle ont besoin; par conséquent, elles assurent un certain type de service public. C'est pourquoi l'intérêt public est étroitement lié aux fonctions des banques.

Par contre—et c'est une question sur laquelle je reviendrai plus tard, mais je vais déjà en toucher un mot—pourquoi si, comme M. MacKay en pose l'hypothèse... J'ai consacré des mois à étudier le rapport et j'espère que je le comprends bien. Le rapport pose l'hypothèse que la mondialisation est une bonne chose pour le Canada et que les banques doivent s'ouvrir à la concurrence. Mais qu'est-ce que l'on entend exactement par «concurrence»?

Si par «concurrence», nous envisageons le fait que les banques ne devraient pas être en mesure d'imposer à loisir aux consommateurs leurs politiques de crédit ou des taux d'intérêt ou des frais, évidemment, j'en conviendrai. Il est évident que le problème ne se pose pas en Europe. En France, par exemple, l'Association Française des Banques, créée en 1942 par le régime du maréchal Pétain, a le pouvoir de légiférer pour protéger le secteur bancaire contre les ingérences.

• 1030

Mais par «concurrence» nous pouvons aussi entendre que les gestionnaires des banques devraient être absolument libres, quel qu'en soit le prix, de relever la valeur de leurs actions et d'accroître leur rentabilité en fonction de la rentabilité des banques les plus mondialisées, les banques européennes et les banques japonaises par exemple. À l'heure actuelle, 60 p. 100 des banques européennes sont liées à des opérations à l'étranger, et 82 p. 100 de leurs profits, pour autant que nous le sachions, découlent de positions valeurs.

Si c'est ce que nous entendons par «concurrence», alors il y a un grave problème, parce que si nous acceptons le fait que les banques ont des pouvoirs spéciaux pour appuyer l'économie canadienne en créant l'argent, quelles que soient les conditions techniques, il est évident que ceux qui gèrent la création de l'argent ne peuvent absolument pas jouir d'une latitude absolue.

Je vais me permettre de citer l'un des fondateurs du libéralisme moderne, Friedrich Hayek, qui a déclaré en 1971:

    Les marchés sont trop fragiles. Il faut les protéger contre les banquiers.

Quelle est vraiment l'origine de la crise financière mondiale? C'est là un problème que le rapport, évidemment, ne pouvait pas aborder. Mais maintenant, le système financier mondial menace de s'effondrer. Même les économies proprement dites pourraient commencer à ressentir fortement les effets. Les banques européennes ont perdu peut-être la moitié de leur capital-valeurs à la suite de leurs opérations. Il est évident que les réserves constituées par le secteur bancaire en vue de réaliser des profits ont contribué à accélérer la crise.

Cette crise a pris naissance en Asie du Sud-Est, en raison de problèmes concrets, parce que les banques avaient effectué d'importants investissements et qu'il n'y avait plus de demande, puisqu'à ce moment on a adopté des politiques pour contrôler la demande aux États-Unis, en Europe et au Japon. Mais les banques européennes, américaines et japonaises s'étaient permis de prêter à des taux d'intérêt des années 50 ou 70, surtout pour des activités purement spéculatives. La finance, les transactions à la bourse de Bangkok et ces actions garantissaient les prêts.

On a donc créé de l'argent en recourant au crédit à très court terme. Par ailleurs, ces banques réduisaient de façon spectaculaire le crédit dans leurs propres pays, en raison de la faiblesse des taux d'intérêt. Par conséquent, évidemment, quand les économies asiatiques se sont effondrées, les banques ont cherché à sauver leurs actifs. Elles ont exigé le remboursement de leurs prêts. Les économies se sont effondrées. D'autre part, les banques ont encouru d'incroyables pertes—en France, en Allemagne, etc.

Dans la foulée, il y a eu resserrement en Europe et au Japon. On cherche maintenant à multiplier les fusions pour provoquer une hausse artificielle des actifs. À l'heure actuelle, le système canadien est relativement peu engagé dans des activités financières spéculatives à l'étranger, menées surtout par les Européens, les Américains et les Japonais. Il est donc temps de réfléchir à certaines façons de protéger notre système contre la tentation de la concurrence au sein de systèmes purement spéculatifs.

Mais je parle, je parle, je suis désolé.

• 1035

M. Roy Cullen: Non, pas du tout, je vous remercie infiniment.

Le président: En passant, monsieur Parquez, je vais demander au greffier de veiller à ce que votre exposé soit versé à la transcription.

M. Alain Parquez: Très bien.

Le président: De la sorte, nous aurons plus de temps pour la période de questions.

[Français]

(Déclaration de M. Alain Parquez)

POUR LE GROUPE DE TRAVAIL SUR LES SERVICES FINANCIERS DU CANADA À VENIR

Tous les milieux économiques de par le monde voient dans la création de l'Euro la voie de sortie de la crise financière. Pourtant, jamais la Commission européenne n'a jugé utile de commander une étude analogue à celle du groupe de travail. Alors que les États adhérents à l'Euro vont perdre tous leurs pouvoirs de contrôle transmis à une banque centrale européenne indépendante de toute autorité nationale et européenne, nul ne s'interroge sur l'aptitude du système bancaire européen à servir efficacement le public.

On ne peut que se féliciter de la démarche audacieuse du groupe de travail et du gouvernement fédéral qui l'a institué: dans un environnement économique de plus en plus instable, la prospérité d'une économie et donc la stabilité de sa monnaie dépendent de l'efficacité de son système financier.

Encore faut-il se donner une définition claire de l'efficacité. Aux termes du groupe de travail, un système financier est efficace s'il fournit aux moindres coûts, sans aucune discrimination, tous les produits financiers que désire le public. Pour que cette mission soit remplie, le groupe recommande l'établissement d'une concurrence authentique entre toutes les institutions. Là où la Commission européenne se contente d'exiger la privatisation des banques publiques (comme le Crédit lyonnais en France), le groupe de travail propose un ensemble de règles pour encadrer les initiatives privées. Au nom de l'intérêt public, le groupe confère au gouvernement fédéral des pouvoirs importants par rapport aux gouvernements européens qui n'en ont plus (pas plus que les institutions européennes autres que la banque centrale, dont les pouvoirs sont discrétionnaires).

Ayant fait ressortir l'originalité du rapport, nous pouvons mieux comprendre pourquoi il appelle une réflexion plus approfondie. Les auteurs du rapport ne s'interrogent pas sur les moyens de garantir l'intérêt du public. Pourquoi, depuis le développement des systèmes bancaires modernes, a-t-il toujours fallu intervenir pour veiller à ce que l'industrie bancaire procure les services requis, beaucoup plus que dans n'importe quelle autre industrie? La raison pour laquelle, sans doute, le rapport ne répond pas à cette question, est qu'il met toutes les institutions financières sur le même plan. Aux termes du rapport, toutes les institutions financières ne font que collecter l'épargne des Canadiens pour la prêter ensuite aux entreprises, aux ménages ou aux gouvernements. Selon cette vision très ancienne, qui est bien sûr celle de chaque banque prise individuellement, les banques sont les institutions qui collectent les dépôts à vue pour après les redistribuer.

Depuis longtemps, il est admis par les économistes et les institutions intervenant au niveau macroéconomique (banques centrales, Banque des règlements internationaux) que cette conception purement microéconomique ne rend pas compte de l'activité des banques au niveau national.

Dans une économie moderne, la plus grande partie de la monnaie qui finance les dépenses des agents non bancaires est créée par les banques, via leurs prêts ou via d'autres opérations plus indirectes (la sécurisation, par exemple). Dans un système simple, la contrepartie comptable des dépôts sont les prêts qui ont procuré ces dépôts à leurs détenteurs. Dans un système plus complexe, comme le système canadien, l'augmentation nette du stock d'actifs du public a pour origine l'augmentation de la quantité de monnaie créée par les banques selon des modalités de plus en plus complexes, au point que de nos jours son évaluation échappe en partie aux banques centrales. Sur ce point on peut se rapporter aux rapports de la Banque des règlements internationaux sur le financement bancaire des opérations sur les produits dérivés.

On comprend que ce pouvoir à la fois indispensable et extraordinaire des banques ait attiré l'attention des législateurs, d'où l'existence de chartes conférées par le gouvernement fédéral. On comprend aussi pourquoi, à partir de leur pouvoir monétaire, les banques ont pu peu à peu multiplier les services vendus à une clientèle captive du système bancaire.

Procurant, au nom de l'État et à l'économie, le même produit indispensable, la monnaie, les banques ont toujours tendu à réduire entre elles la concurrence. Cette tendance s'est historiquement traduite par la création de banques géantes au Japon et en Europe (en France, le Crédit lyonnais détient 40 p. 100 de tous les actifs réels) dont le nombre est décroissant (quatre au Japon, deux en Allemagne, trois en France). Elle s'est aussi manifestée par l'adoption de législations corporatives, comme en France, avec la création en 1942 de l'Association des banques françaises, qui réglemente la profession bancaire. Ces règles ne sont pas remises en cause par la Commission européenne, qui ne s'intéresse qu'au statut de la propriété.

Au Canada, le groupe de travail n'a pas réussi à analyser cette propriété des banques, car il est resté prisonnier de la conception statique d'un fonds d'épargne éternellement redistribué par les institutions financières.

Je me permets d'insister encore sur le fait que cette conception est celle, on doit l'avouer, des gestionnaires d'une banque regardant en fin d'année les comptes de leur banque pris isolément. Si les banques ne sont que de purs intermédiaires, comme l'affirme le rapport, comment la quantité de monnaie mise à la disposition du public pourrait-elle toujours augmenter et financer la croissance?

Ayant pris conscience de la véritable nature des banques, on comprend qu'on doit limiter leur puissance face aux consommateurs. La solution envisagée par le groupe de travail consiste à autoriser les autres institutions à exercer certaines des fonctions des banques. Elle ne suffit pas. Le dilemme est le suivant: ou bien ces institutions participent à la création monétaire et elles deviennent banques, ou bien elles en sont exclues et elles restent dans une position inférieure par rapport aux banques. N'abordant pas la création monétaire, le rapport ne tranche pas.

Ce rôle exceptionnel des banques apparaît dans la crise financière actuelle, la plus grave depuis les années 1930. Cette crise n'est pas résolue. Elle trouve son origine dans l'économie réelle (1997) et elle rétroagit aujourd'hui (1998) sur l'économie réelle. À l'origine, il y a eu des plans d'investissements très ambitieux en Asie du Sud-Est. Ces plans furent entièrement financés par des crédits à court terme consentis par les grandes banques occidentales et japonaises. Attirées par des taux d'intérêts très élevés, les mégabanques japonaises, européennes et américaines renouvelaient systématiquement leurs prêts. Ces prêts entraînaient une création monétaire dans la devise des banques prêteuses pour les investisseurs locaux. Les banques pariaient sur la solvabilité des emprunteurs, qui était garantie par la valeur de leurs actions, qui elles-mêmes étaient poussées à la hausse par de futurs crédits financiers. Ce sont ces mêmes crédits financiers qui ont permis la création locale des bourses, lesquelles bourses ont servi à gonfler la valeur des actions. Les banques occidentales justifiaient les risques pris par la bonne gestion apparente des économies asiatiques: surplus fiscaux record, dette publique insignifiante...

La crise apparut quand les produits finis issus des investissements devinrent disponibles. Il n'y a pas de demande suffisante pour acheter, ni locale, ni dans les pays riches et ce, à cause des politiques macroéconomiques restrictives du Japon, de l'Europe et des USA. Le cours des actions ne pouvait que s'effondrer. Affolées, les banques exigèrent le remboursement instantané des prêts. Privés des recettes, les emprunteurs se retrouvent en faillite. Du coup, les cours des monnaies locales s'écroulent. Au total, les banques prêteuses subissent des pertes considérables.

En Europe, les banques font appel, pour se refinancer, aux États, qui durent créer des impôts spéciaux. Au Japon, le gouvernement a dû nationaliser les banques ayant le plus perdu.

Si j'insiste sur ce point, c'est parce que le groupe de travail, se félicitant de la globalisation, n'a pas tenu compte de la possibilité d'une crise financière mondiale. Pourtant, les banques ont été un des facteurs d'amplification d'une crise à l'origine réelle.

Il faut souligner que ce facteur d'amplification prend son origine dans la recherche de la rentabilité maximale des banques.

Au cours des années 1990, les grandes banques ont accru la part des crédits consentis à des investisseurs étrangers, opérant à l'étranger dans des zones à risque (Asie, Amérique latine, Russie) relativement aux crédits accordés aux nationaux. L'expérience japonaise et européenne prouve que la plupart des crédits financent des investissements spéculatifs à l'étranger. Les grandes banques ont voulu à tout prix augmenter leur rentabilité. Le rapport MacKay se félicite de la hausse du revenu des banques canadiennes, hausse qui dépasse celle de toutes les autres industries. Il y voit une preuve de leur grande efficacité. Ne pouvant dépasser sa perspective microéconomique, le rapport ne s'interroge pas sur la cause de cette hausse relative de la rentabilité bancaire que l'on rencontre partout. Cette hausse est encore plus marquée en Allemagne, en France, au Japon et aux États-Unis.

Les opérations internationales ont joué un rôle déterminant dans la hausse des revenus nets des banques. Pour atteindre ce résultat, il faut intégrer les recettes provenant de prêts de plus en plus spéculatifs à des marchés incertains (Asie, Amérique du Sud) ou inexistants (Russie), y compris les recettes procurées par les prêts aux joueurs sur les marchés dérivés. On peut dire, au regard des informations disponibles, que les banques ont développé ces crédits et ont particulièrement développé les crédits qui ont soutenu la croissance démesurée (hors bilan) des produits dérivés.

Ces tendances ont rendu de plus en plus fragile le bilan des grandes banques japonaises et occidentales. Le cas du Crédit lyonnais en France doit retenir l'attention. Ce qui est remarquable dans l'expérience du Crédit lyonnais est que, contrairement à beaucoup de banques dont l'État est propriétaire, l'État français s'est comporté comme une pure banque privée. Poussé par la recherche du profit, le PDG du Crédit lyonnais a pris des risques qu'aucun président d'une banque canadienne n'aurait voulu prendre. Vers le milieu des années 1990, la moitié du profit du Crédit lyonnais provenait d'opérations à haut risque à l'étranger (sans doute 60 p. 100, mais il est difficile d'évaluer les gains sur les produits dérivés). On peut se demander si le président du Crédit lyonnais comptait sur l'adage too big to fail, lequel adage présuppose un refinancement automatique en fonds publics. Il en était de même pour les banques françaises privées et les deux plus grandes banques allemandes, également privées. C'est justement ces conséquences de la recherche globale du plus grand profit que le rapport MacKay oublie.

Les gouvernements étant dans l'obligation d'amortir les choix hasardeux des grandes banques, on comprend qu'il soit difficile de concilier l'existence d'une politique monétaire et financière autonome avec la globalisation du système financier national. C'est une question fondamentale qui devrait être abordée si l'on veut instaurer un système financier soutenant l'essor de l'économie canadienne au-delà du millenium. Cette question est incontournable, car on ne peut parler de l'industrie financière sans tenir compte qu'il s'agit de l'industrie sur laquelle s'appuie l'économie nationale. Dans un système bancaire entièrement globalisé, qui est la vision du rapport, les banques nationales, voulant imiter leurs concurrents étrangers, peuvent être amenées à ne plus créer suffisamment de monnaie pour répondre aux besoins du public. Elles ne financeraient, directement ou indirectement, le public canadien que si ces opérations leur rapportent au moins les taux de rendement qu'elles attendent de leur activité spéculative à l'étranger. Les banques nationales craindraient de plus en plus de recevoir des mauvais ratings si elles n'ont pas la même rentabilité que les banques les plus globalisées et les plus spéculatives d'Europe et des États-Unis.

Dans ce cas, les Canadiens ne pourraient pas compter sur les banques européennes ou américaines, qui se désintéressent de plus en plus des opérations bénéficiant réellement au public et pour qui seul compte le pari à court terme.

En définitive, dans le contexte d'une globalisation sans frein, un pays comme le Canada se verrait imposer la quantité de monnaie disponible pour répondre aux besoins de son économie par les marchés spéculatifs à l'étranger, à moins que le public ne se voie imposer des taux effectifs d'intérêt exorbitants (intérêts et commissions diverses) déterminés par les rendements des crédits spéculatifs.

L'État perdrait alors ses moyens d'action. Il n'y aurait plus ni politique monétaire, ni politique financière, ni même une politique budgétaire autonomes.

On cite souvent l'exemple de la Nouvelle-Zélande qui, selon un tout récent rapport du Sénat, aurait concilié globalisation et politiques autonomes. Il n'en est rien. Comme le souligne une étude du Dr Peters, l'expérience financière de la Nouvelle-Zélande a été un désastre. Le prix à payer a été la disparition de toute politique économique autonome, ce qui a entraîné l'engloutissement de la Nouvelle-Zélande dans la crise. La preuve en est que sa monnaie s'est effondrée.

Pour affronter ces conséquences potentiellement nuisibles de la globalisation, une régulation est nécessaire. Il est vrai qu'on a proposé la création de mécanismes de supervision internationaux de l'activité financière. Ces propositions incluent notamment l'instauration d'une taxe sur les transactions spéculatives en devises comme la taxe de Tobin. Certaines ont retenu l'attention du ministre des Finances. Elles ne suffisent certainement pas à garantir l'autonomie de la politique macroéconomique.

Les choix sont simples: ou bien l'on vise un vrai gouvernement mondial soumis à des contrôles démocratiques (à la différence de la Zone euro où la seule autorité compétente est une banque centrale supranationale ne rendant de comptes à personne), ou bien l'on crée, au niveau de chaque économie nationale, des règles de contrôle des opérations internationales des banques. Il est donc impératif, en attendant une hypothétique solution mondiale, de mettre en place une politique des services financiers qui libère les banques canadiennes de la contrainte d'avoir à maximiser leurs rendements au détriment de l'économie nationale.

Le rapport n'apporte pas la solution des risques afférents à la globalisation. La question du too big to fail n'est abordée que d'une manière allusive et non préventive.

Selon le rapport, un garde-fou à un éventuel Tchernobyl financier, la clause 39, reconnaît au ministre des Finances le pouvoir de recommander au Conseil des ministres, à titre d'exception, l'acquisition d'une banque canadienne par une institution financière étrangère si cette acquisition est dans l'intérêt du Canada. Auparavant, la prohibition était de règle.

Imaginons qu'à la suite de ses opérations spéculatives à l'étranger et après que les fusions proposées aient lieu, dans 5, 10 ou 15 ans, une des superbanques soit au bord de la faillite. Confronté à un pareil Tchernobyl financier, le ministre ne pourra rester passif. L'alternative serait d'assurer la vente à des banques américaines et européennes. Aucune institution canadienne ne pourrait racheter la superbanque. On peut penser qu'un ministre, ne voulant pas écraser d'impôts les Canadiens, choisirait la deuxième solution.

Comme la France s'était vu interdire par la Commission européenne de continuer à refinancer par l'impôt le Crédit lyonnais, le gouvernement a décidé de le vendre. La plus grosse part des actions sera achetée par les compagnies d'assurances françaises qui, contrairement aux compagnies d'assurances canadiennes, sont des géants financiers. Il est douteux que les services rendus au public français soient améliorés.

En conclusion, je pense dire au regard des expériences à l'étranger, surtout en Europe, que le Canada a la chance d'avoir encore un système bancaire qui ne s'intéresse pas en priorité à la course à la croissance par la spéculation.

Au lieu d'encourager volontairement ou involontairement la recherche de gains spéculatifs engendrés par la globalisation, une réflexion positive est nécessaire. J'ai voulu apporter quelques éléments à cette réflexion. Les banques canadiennes doivent être aidées à trouver un équilibre entre la stratégie de maximiser le profit et la protection de l'intérêt public, ce qu'a le mérite de reconnaître le rapport MacKay, même s'il ne se penche pas sur la dimension macroéconomique de l'intérêt public. Je me permettrai de citer alors l'un des fondateurs du libéralisme économique moderne, Friedrich Von Hayek:

    Il est évident que le marché est beaucoup trop fragile pour être abandonné à des banques ne recherchant que le profit le plus élevé.

[Traduction]

M. Roy Cullen: J'ai une autre question à poser.

Le président: Allez-y, monsieur Cullen.

M. Roy Cullen: Merci beaucoup, monsieur.

Je suis convaincu que M. Peters et M. Donner auraient des choses intéressantes à dire à ce sujet, eux aussi, mais j'aimerais poser une question à M. Peters.

Les banques nous disent maintenant que si les fusions ne sont pas autorisées elles vont devoir fermer des succursales. Dans le pire des cas, il s'agit d'un chantage. On essaie de nous forcer la main en quelque sorte, de prendre le gouvernement en otage. Au mieux, il faut reconnaître qu'il en va ainsi en affaires, que cela se produira dans l'économie mondiale, en raison des changements technologiques, etc.

Monsieur Peters, vous avez fréquenté les banques pendant des années. Vous connaissez bien leur culture. Qu'est-ce qui entraîne des fermetures de succursale? Est-ce que c'est la technologie? Est- ce que c'est la rentabilité?

Si vous regardez les banques qui touchent maintenant un rendement de 17 à 19 p. 100 sur les actifs, elles ne sont pas à plaindre. Est-ce donc que certaines succursales ne répondent pas aux critères de rendement sur l'investissement, est-ce que la technologie remplace le personnel? Qu'est-ce qui se cache vraiment derrière ce commentaire des banques au sujet de ce qu'elles pourraient faire si les fusions ne sont pas autorisées?

M. Douglas Peters: Je suis convaincu que les banques ne fermeront pas de succursales rentables, fréquentées par des clients. Elles continueront de fermer et de créer des succursales en fonction de tous les facteurs pertinents. Certaines succursales ne répondent peut-être pas aux critères de rentabilité.

Ma petite succursale, celle que je fréquente, va fermer. Elle est située dans un édifice vide depuis un an, depuis que le principal locataire a déménagé. Il y a un énorme édifice de l'autre côté de la rue, et les autres locataires vont aussi s'y installer. La succursale, de toute évidence, éprouve certaines difficultés à répondre aux critères, alors elle sera fermée. Elle va me manquer. J'aimerais protester contre cette fermeture si je le pouvais, mais cela ne servirait à rien.

La technologie a évolué. Les guichets automatiques se sont imposés. Les services bancaires par téléphone se sont imposés. Cela fait une grande différence en matière de création de succursales.

Autrefois, ce que l'on pouvait faire de plus valable... Nous parlions, à la banque, de ce qu'il en coûtait pour ouvrir une succursale. Dans quel délai est-ce qu'elle pouvait devenir rentable? Dans quel délai est-ce que l'on pouvait ouvrir une succursale et en faire une entreprise rentable? Nous disions toujours qu'il fallait un an et demi. Dans certaines régions, nous pouvions y parvenir en un an et demi, alors que d'autres banques y arrivaient en six mois. Vous aviez un avantage dans ce cas.

C'était la clé: combien de succursales pouviez-vous ouvrir la même année? Vous saviez que vous alliez perdre de l'argent, vous ne pouviez donc investir qu'un certain montant dans les succursales au fil des ans. C'était le facteur clé.

La technologie a changé tout cela. La technologie a rendu les succursales moins efficaces. Elles ne sont pas tout à fait inefficaces, mais elles sont moins efficaces sur le plan de la prestation de services. Les mécanismes de prestation de services se résumaient autrefois aux succursales. Maintenant, on peut recourir aux services téléphoniques, à l'Internet, au guichet automatique, à la carte de crédit ou à la succursale. Aujourd'hui, la succursale est encore un élément clé du système, mais tous ces autres mécanismes n'existaient pas il y a encore quelques années à peine. Les choses ont changé, et la technologie a évolué. Les fermetures de succursales se produisent pour des raisons de technologie et de rentabilité.

Nous avons toujours fermé des succursales à la banque. Après la ruée vers l'or, au Yukon, qu'est-ce qu'on a fait? Il n'y avait plus personne là-bas. Il ne restait personne. Qu'est-ce qu'on a fait? Quand les collectivités rurales ferment et que les petites villes disparaissent, on ne peut plus faire des affaires. C'est ce qui se passe.

C'est aussi fonction de la démographie. Voilà un autre facteur. Vous fermez des bureaux, vous en ouvrez d'autres.

M. Roy Cullen: Merci.

Le président: Merci, monsieur Cullen.

Je donne maintenant la parole à Mme Bennett, M. Riis suivra.

• 1040

Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Merci, monsieur le président.

Comme vous le savez, le comité est censé examiner le rapport MacKay et non pas commenter les projets de fusion. J'en viens à ma question. M. MacKay fait des propositions, il définit un processus d'examen des projets de fusion. Avez-vous le sentiment que si ces mesures sont prises le résultat que vous souhaitez, dans l'intérêt public, sera garanti? Est-ce que la recommandation de M. MacKay sur le processus d'examen des projets de fusion vous satisfait? Quand il parle d'un critère lié à l'intérêt public, M. MacKay est très clair quant aux coûts et aux avantages pour les consommateurs et les petites et moyennes entreprises, quant aux répercussions régionales, à la compétitivité internationale, à l'emploi, à l'adoption de technologies innovatrices, au fait que la transaction constituerait un précédent, toutes ces considérations liées à l'intérêt public. Est-ce qu'il manque des éléments à la liste? Est- ce qu'il y a d'autres suggestions que vous pourriez soumettre au ministre des Finances, si ce n'est celles qui sont déjà exposées dans le rapport MacKay?

M. Arthur Donner: Est-ce que je peux répondre en premier?

Je ne me souviens pas de tous les éléments du processus qui était proposé, mais quand j'ai lu le rapport MacKay j'ai constaté qu'on y recommandait exactement le processus que nous avions mis en oeuvre de toute façon. Alors évidemment, je l'appuie. Je suis fort satisfait du niveau d'attention publique accordé à cette question.

Pour ce qui est des résultats, je dois admettre que ma première impression au sujet des annonces était que les fusions étaient inévitables, que la chose était décidée d'avance. Votre collègue a posé la question au sujet de la bourse et de la façon dont elle a ajouté une prime à la valeur des actions des banques. J'ai posé la question à quelques directeurs des investissements hier: Qu'est-ce qui s'est passé dans le cas de la prime accordée pour la fusion des banques? Les deux directeurs m'ont répondu—vous vous en doutez bien—que cette prime avait diminué, ce qui révèle que la bourse ne tient plus pour acquis que les fusions seront autorisées.

Je suis d'accord avec M. Parquez au sujet de l'avantage perçu que les fusions offrent du point de vue du cours des actions. Je crois que le marché comprend très clairement que si les fusions se réalisent les banques auront plus de possibilités d'élargir l'écart entre le coût du financement et les fonds qu'elles prêtent et de relever les frais perçus pour divers services. En outre, les investisseurs comprennent de toute évidence une partie des avantages économiques qui pourraient en découler.

Mme Carolyn Bennett: Dans votre rapport, vous indiquez au chapitre consacré à la réponse du Bureau de la politique de concurrence qu'il se peut que certaines conditions soient imposées. On exigerait probablement que la mégabanque se défasse de certaines succursales. Si le bureau de la concurrence est en mesure de poser des conditions, est-ce que vous auriez encore le sentiment que les consommateurs ne sont pas suffisamment protégés et qu'il faut encore interdire les fusions? Je veux dire même si le bureau propose un ensemble de conditions.

M. Arthur Donner: Je pense que c'est une question très importante. Mon collègue et moi-même en avons souvent discuté entre nous. Nous en sommes venus à la conclusion qu'il est très difficile, quand on vend une succursale, de vendre une grande partie de l'activité bancaire en même temps que cette succursale. Nous avons conclu que la définition de conditions dans d'autres secteurs où les fusions se produisent afin d'accroître la concurrence peut porter fruit. À notre avis, une trop grande partie de l'activité est liée au siège social, les cartes de crédit, les services de ce genre qui ne sont pas directement liés aux banques et qui ne peuvent être vendus.

Nous avons conclu que même si on fixe des conditions, il demeurerait impossible de compenser la perte de concurrence qui découlerait de la fusion. Nous avons aussi conclu que même si on posait des conditions et si on ouvrait le système financier aux sociétés étrangères, les sociétés étrangères n'interviendraient pas assez rapidement pour avoir un effet sensible. Là encore, nous sommes très pessimistes quant au résultat.

Mme Carolyn Bennett: Dans le processus qui a été défini, il y a de nombreuses étapes qui nécessiteront de longs délais. Certes, les banques disent souvent l'incertitude les tue. Est-ce que vous pensez que ce processus plus lent demeure la meilleure façon de procéder?

• 1045

M. Arthur Donner: Je suis tout à fait en faveur du processus, et je ne m'inquiète pas du fait que les banques trouvent sa lenteur insupportable. Nous en revenons toujours à un point sur lequel nous trois, ici présents, avons insisté; la vocation des banques est de servir l'intérêt public. Les banques ont toujours l'air de dire que leur seul mandat est de répondre aux besoins des intérêts privés. L'intérêt public est bien protégé par ce processus, alors j'appuie le gouvernement et les divers éléments du processus.

M. Douglas Peters: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. La capacité d'agir très rapidement est également essentielle dans un système financier. Je vous affirme que si une banque canadienne ou une institution financière canadienne est en difficulté et a besoin d'appliquer un processus similaire pour organiser une fusion ou quelque chose de ce genre, je pense à la recommandation du rapport MacKay—je ne me souviens pas exactement—d'intervenir plus rapidement. Mais c'est de...

Mme Carolyn Bennett: En autant que l'on admet ce principe.

M. Douglas Peters: Quand des questions ont été soulevées au sujet d'une institution financière, j'ai le dossier de la Confédération-Vie sur mon bureau depuis plusieurs mois, tout se passe très rapidement. Vous devez être prêt à intervenir sans doute plus rapidement que vous ne le souhaiteriez. S'il s'agissait d'une banque plutôt que d'une compagnie d'assurance-vie et s'il s'agissait d'une grande institution, tout se ferait très rapidement. J'étais au ministère des Finances quand la première banque canadienne a éprouvé des difficultés, en 1984, et les négociations se sont déroulées en un week-end. C'est le genre de délai dont nous parlons.

Vous avez donc la possibilité d'un long processus d'audience publique et une autre option, alors s'il y a des difficultés qui se présentent vous intervenez immédiatement. Je vais ajouter un simple élément. Quand on vous propose la fusion de deux institutions également gigantesques, un vaste processus s'impose. Mais si l'une est en difficulté, vous ne devez pas hésiter, vous devez intervenir immédiatement et vous êtes en mesure de le faire. Ce mécanisme existe dans le système actuel. Je pense que M. MacKay a prévu cette possibilité. S'il ne l'a pas fait, il le devrait.

Mme Carolyn Bennett: Est-ce qu'il y avait d'autres questions liées à l'intérêt public? Pensez-vous que la liste soit complète?

M. Douglas Peters: Je n'en vois aucune pour l'instant, mais laissez-moi deux ou trois semaines et je penserai bien à quelque chose.

Mme Carolyn Bennett: Tenez-nous au courant. Merci.

Le président: Pour ce qui est de cette question précise, le processus d'examen des projets de fusion, est-ce que le comité devrait fixer un calendrier, une échéance? Autrement dit, comme vous l'affirmiez, si une société du secteur des services financiers éprouve des difficultés, nous avons besoin d'instruments pour pouvoir intervenir rapidement.

Évidemment, l'envers de la médaille, c'est que si des fusions devaient se faire, nous ne serions pas en mesure de prendre tout notre temps pour déterminer s'il convient de laisser ces fusions se faire, parce que la dynamique économique est précisément la même que celle dont vous parlez lorsqu'une faillite menace. Une fusion, et une transaction intéressante aujourd'hui ne le sera pas nécessairement dans un an ou deux.

M. Douglas Peters: Je suis d'accord avec vous. Bien évidemment, il faut que la procédure d'examen public soit diligentée dans les meilleurs délais. Toutefois, il faut aussi que toutes ces questions soient étudiées avec soin.

Ce qu'il nous faut affronter dès maintenant au sujet de ces deux fusions, c'est un changement fondamental de la structure du secteur financier au Canada. Nous sommes aussi en présence aujourd'hui d'un rapport du groupe de travail MacKay qui établit très clairement un plan pour l'avenir. C'était la raison de la création du groupe de travail dans le livre blanc et j'ai annoncé que c'était là son objet.

Il vous faut replacer avec soin ces fusions dans le cadre global de l'opération, parce qu'il y a là un changement fondamental. S'il s'agissait d'une fusion entre National Trust et la Banque de la Nouvelle-Écosse, par exemple, il n'y aurait pas un changement fondamental de la structure du secteur financier canadien. Cette fusion a été entérinée et réglée par le ministre. Toutefois, ces deux fusions sont bien différentes. Il y a là un changement fondamental qui doit être examiné dans le cadre de la procédure visée par le groupe de travail MacKay et qui en relève.

• 1050

La situation créée par ces deux fusions est légèrement différente de certains... J'ai entériné une demi-douzaine ou une douzaine de fusions lorsque j'étais secrétaire d'État aux finances; les fusions sont nombreuses. Si par exemple deux banques américaines ou britanniques fusionnent à l'étranger et si elles ont chacune une filiale canadienne, ces dernières vont aussi fusionner. L'autorisation est donnée. Elle est automatique et l'on ne se pose pas de question; la procédure existe et on n'a pas besoin d'un examen public dans ce cas. Toutefois, cette opération n'a pas la même ampleur. Je vous demande d'en tenir compte.

Le président: Parfaitement. Cependant, vous dites aussi que l'on a besoin d'instruments pour évaluer ces questions dans un délai raisonnable.

M. Douglas Peters: Tout à fait.

Le président: Monsieur Riis.

M. Nelson Riis: J'ai deux questions à vous poser. La première va dans le sens des questions posées par Mme Bennett et je pense qu'elle s'adresse à l'un de vous deux, M. Peters ou M. Donner. Vous vous intéressez à l'avenir et c'est aussi ce qui intéresse le groupe de travail. Est-ce qu'il y a une chose à votre avis que le groupe de travail a oubliée? Y a-t-il quelque chose dont nous devrions avoir conscience et qu'il nous faudrait ajouter à cette enquête?

M. Douglas Peters: Je ne peux pas voir pour l'instant ce que le groupe de travail aurait pu oublier. Je suis sûr qu'il a oublié bien des choses, mais je pense qu'il a procédé à une étude tout à fait exemplaire de...

M. Nelson Riis: Y a-t-il d'autres secteurs sur lesquels nous devrions nous pencher?

M. Douglas Peters: L'autre domaine que j'ai toujours privilégié, c'est celui de l'intérêt du consommateur, et il est clair que le groupe de travail s'est penché sur cette question.

Je pense qu'il y a un autre point sur lequel nous critiquons le groupe de travail, c'est celui de la sécurité et de la santé des établissements. Il faut évidemment qu'il y ait un équilibre et on ne peut pas se permettre de dire que l'on va laisser aller les choses sur le plan de la sécurité et de la santé des établissements sans que cela porte à conséquence. C'est une démarche très risquée. Je pense que le groupe de travail MacKay va un peu trop loin dans cette voie. Je considère que la question de la sécurité et de la santé des établissements est fondamentale. Il faut dire que j'ai quelques préjugés sur la question parce que durant les quatre années pendant lesquelles j'ai été ministre, les problèmes liés aux dossiers de la santé financière et de la sécurité des établissements aboutissaient sur mon bureau tous les jours pour toute une liste d'établissements. Il y a donc bien en fait ce problème.

M. Nelson Riis: M. Parquez, j'ai une question à vous poser, qui porte là encore sur ce qui pourrait nous aider à déterminer l'avenir des services financiers au Canada. Je sais que vous adoptez souvent un point de vue international et que vous êtes très au courant de ce qui se passe dans d'autres pays. Pourriez-vous nous dire en quelques mots ou nous résumer en une phrase ce qui vous paraît être la situation financière, ou éventuellement économique et financière, des principales parties du monde—en Asie, en Amérique latine, en Europe—juste nous dire deux mots de ce qui nous attend vraisemblablement dans les deux ou trois ans à venir?

M. Alain Parquez: D'accord. Ils s'efforcent d'être absolument indépendants de leur économie nationale et ils veulent ne pas en tenir compte.

M. Nelson Riis: Je vais préciser la question. Lorsque vous considérez la situation financière de l'Asie, du Sud asiatique ou des différentes régions du monde, l'Amérique latine, l'Europe, l'Afrique et les États-Unis, que va-t-il selon vous se passer dans les cinq prochaines années dans chacune de ces régions, financièrement et sur le plan macroéconomique?

M. Alain Parquez: Je prévois tout d'abord un écroulement total de l'Amérique du Sud. Cette région pourrait subir les mêmes bouleversements que la Russie parce qu'elle a commis de nombreuses erreurs. Pour commencer, elle a remplacé le financement national par des crédits à court terme. Tous ses plans d'investissement ont été financés par des prêts accordés par les banques européennes et surtout américaines.

• 1055

Sous la pression du FMI et de la Banque des règlements internationaux, on a interdit aux banques locales de créer de l'argent pour faire tourner l'économie nationale. Cette mesure a été expressément prévue par les plans de redressement établis par le FMI.

On a fait ces investissements parce qu'on en attendait des rendements énormes, avec des taux d'intérêt éventuellement deux ou trois fois plus élevés qu'aux États-Unis et de forts gains spéculatifs en bourse. Toutefois, tous ces gains étaient virtuels, en ce sens qu'ils ne s'appuyaient sur une croissance réelle du produit national brut. Par conséquent, il est arrivé un moment où ce système financier virtuel s'est écroulé et aujourd'hui les banques étrangères veulent qu'on les rembourse. Parallèlement, le FMI impose des plans de réduction des dépenses des gouvernements.

Tout le monde sait que la dette publique de la plupart des pays américains était insignifiante comparativement à la dette privée. Toutefois, selon les chiffres indiqués par le président du FMI lui-même, lorsqu'on oblige le Brésil à réduire ses dépenses de 50 p. 100 et à renvoyer 60 p. 100 de ses fonctionnaires, ce n'est pas sous l'effet d'un mécanisme économique, c'est parce que nous estimons que c'est ce que veulent les marchés. Il en résultera donc l'effondrement des économies de l'Amérique du Sud.

Parallèlement, il est évident aujourd'hui qu'à l'Ouest, les banques américaines et européennes cherchent désespérément de bons investissements pour protéger leur capital. Elles ne peuvent plus investir en Russie; ce marché est mort. Elles ne peuvent plus investir en Amérique du Sud; ce marché s'apparente au Titanic. Elles ne peuvent plus investir bien sûr dans leur propre économie; elles refusent de le faire. Reste donc l'achat d'obligations des gouvernements. Tous les observateurs du marché remarquent aujourd'hui que l'on se bouscule pour acheter des obligations des gouvernements.

Aux États-Unis, par exemple, la valeur des obligations sur le marché a énormément augmenté. C'est pourquoi de nombreux investisseurs comme le réputé Georges Soros et bien d'autres encore, comme cet autre investisseur américain renommé, Warren Mosler, nous disent qu'il faut aujourd'hui que le gouvernement rembourse sa dette parce qu'ils ont peur un jour ou l'autre de manquer de liquidités. Ils veulent être remboursés dès aujourd'hui pour engranger la plus-value résultant de la forte augmentation du cours des obligations.

• 1100

Pour répondre à votre question, ma grande préoccupation c'est que nous nous dirigions de plus en plus vers un secteur financier contrôlé par les banques. Après tout, tous ces fonds de couverture spéculatifs étaient financés par des crédits bancaires. Toutefois, on se dirige de plus en plus vers un système qui opère dans un monde virtuel qui s'efforce de vivre à part en ignorant les règles de l'économie véritable. Il ne reste maintenant que le filet de sécurité que procure l'achat des obligations des gouvernements. Toutefois, si cette offre venait à s'épuiser, les marchés financiers et les banques seraient plongés dans de graves difficultés.

Je suis donc convaincu que l'on en est qu'au début de la crise financière et c'est pourquoi nous avons besoin qu'un groupe comme le vôtre réfléchisse à la mise en place de la réglementation dont nous avons besoin pour protéger le secteur bancaire et l'aider à s'intégrer à nouveau à l'économie nationale. Des mécanismes tels que la taxe Tobin seraient utiles de ce point de vue, mais il faudra bien entendu que l'on étudie bien davantage la question.

M. Nelson Riis: Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Riis.

Au nom du comité, je remercie M. Parquez, M. Donner et M. Peters. Nous avons absolument besoin d'entendre différents points de vue sur cette question très importante, et vous n'avez pas manqué aujourd'hui de nous donner un éclairage nouveau. Nous avons bien apprécié vos commentaires et nous en tiendrons certainement compte lorsque nous ferons des recommandations au ministre des Finances.

La séance est levée jusqu'à 12 h 30.

• 1102




• 1238

Le président: La séance est ouverte et je souhaite la bienvenue à tous les participants cet après-midi.

Vous savez que le comité des finances se charge d'étudier le rapport MacKay sur l'avenir du secteur des services financiers. Alors que nous nous apprêtons à émettre des recommandations au ministre des Finances sur cette question très importante, nous sommes heureux, bien entendu, de prendre connaissance des différents points de vue exprimés dans l'ensemble du pays.

Nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous aujourd'hui M. Normand Lafrenière, président de l'Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles; Catherine Swift, présidente et directrice générale, et M. Garth Whyte, premier vice-président, politique et affaires nationales, de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante; Sandra Carnegie-Douglas, coordonnatrice exécutive du Comité canadien d'action sur le statut de la femme; Richard Ernst, qui représente Résultats Canada; et enfin Thomas J. Rice, président et directeur général du Groupe financier Rice Inc., ainsi que M. Brian Gray.

Nous allons commencer par l'Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles. Monsieur Lafrenière, soyez le bienvenu.

M. Normand Lafrenière (président, Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles): Merci.

Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant votre comité et de vous faire part du point de vue de l'ACCAM au sujet du rapport MacKay.

L'Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles est une association de petites sociétés d'assurance purement canadiennes appartenant aux détenteurs de polices. Ces sociétés de l'industrie d'assurance générale ont, pour la plupart, une charte provinciale.

L'ACCAM a rédigé son mémoire en se basant sur l'hypothèse que l'intérêt du consommateur pourra être mieux atteint au moyen d'un secteur des services financiers stable, solide et concurrentiel. À notre avis, la stabilité du secteur financier est assurée à la fois par la réglementation gouvernementale et par l'autoréglementation du secteur financier.

• 1240

Pour sa part, la rentabilité de ce secteur est tributaire de la technologie et du système de réglementation, qui doit alléger au maximum le fardeau qui pèse sur les entreprises du secteur.

Enfin, et c'est ici que nous nous distinguons de façon significative du rapport MacKay, nous croyons que la compétitivité du secteur peut être assurée seulement lorsqu'un grand nombre de sociétés opèrent dans un secteur d'activités donné et se font concurrence pour les mêmes clients.

Dans son rapport, le groupe de travail MacKay n'a pas prouvé que la bancassurance apporterait plus de concurrence dans le secteur de l'assurance, et par ce fait même qu'elle serait dans l'intérêt du consommateur. De plus, le groupe de travail a omis de donner une pleine évaluation du présent niveau de concentration dans l'industrie bancaire par marché individuel et par ligne de produits. Il n'a pas non plus indiqué le niveau de concentration qui serait atteint si les institutions de dépôt fédérales recevaient des pouvoirs additionnels de vente d'assurance.

L'ACCAM est convaincue que, comme cela s'est produit dans l'industrie des valeurs mobilières et de fiducie, la bancassurance dans les succursales bancaires et l'utilisation par celles-ci de l'information personnelle qu'elles détiennent sur leurs clients pour mieux les cibler se traduiraient en une diminution, plutôt qu'en une augmentation, de la concurrence dans l'industrie de l'assurance.

Les banques ont déclaré que si elles obtenaient des pouvoirs additionnels de vente d'assurance, elles atteindraient de plus grandes économies d'échelle et seraient davantage en mesure de percer les marchés financiers. Nous estimons que la taille d'une institution de dépôt n'est pas un prérequis à l'accroissement de la part de marché et à la pénétration des marchés extérieurs.

Les sociétés mutuelles d'assurance agricoles, par exemple, sont petites par rapport à la plupart des sociétés d'assurance générale sous charte fédérale. Quoi qu'il en soit, en dépit de leur taille limitée, elles occupent une part toujours croissante du marché de l'assurance au Canada.

Lorsqu'elles mettent en marché leurs produits d'assurance, les sociétés d'assurances traditionnelles doivent largement publiciser leurs produits avec l'espoir que suffisamment de consommateurs seront intéressés. Les banques, pour leur part, aimeraient utiliser l'information personnelle qu'elles possèdent sur leurs clients afin de mieux cibler ceux qui pourraient être intéressés à acheter des produits d'assurance. Inutile de dire que ceci donnerait aux banques un avantage concurrentiel sur les sociétés d'assurance traditionnelles qui n'ont pas accès à de telles informations personnelles sur l'intérêt potentiel des consommateurs et des petites entreprises spécifiques.

Bien qu'il n'y ait aucun doute que la politique des bureaux chefs des institutions de dépôt envers la coercition et l'abus d'influence serait saine, nous sommes inquiets à savoir que ces politiques ne seraient pas bien appliquées au niveau des succursales par le personnel de première ligne.

Ce sont là nos commentaires, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie.

Nous allons maintenant entendre Mme Swift au nom de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

Mme Catherine Swift (présidente et directrice générale, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante): Merci, monsieur le président. C'est toujours un plaisir de comparaître devant votre comité.

J'indiquerais, à titre de précision, que Brian Gray est notre vice-président principal chargé de la politique et des affaires provinciales.

Aujourd'hui, j'ai un message simple à apporter à votre comité de la part des petites et moyennes entreprises du Canada. Il se décompose en trois points. Le premier, qui porte expressément sur la question des fusions, consiste à dire que la pluralité ne peut pas d'accommoder de la réduction; les deux choses sont antinomiques. S'il y a moins de banques, il y aura moins de concurrence et moins de services fournis, et généralement à un coût plus élevé, pas uniquement pour les petites entreprises, mais surtout pour elles.

En second lieu, nous ne sommes pas d'accord avec le principe posé par le rapport MacKay selon lequel il est relativement facile d'instaurer la concurrence sur le marché canadien. Voilà longtemps que nous sommes dans notre pays sous la domination d'une poignée de grosses banques, et cette situation ne va pas changer facilement du jour au lendemain. Nous vous renvoyons par conséquent à l'expérience australienne et au fait que dans ce pays on a conclu qu'il fallait avoir la preuve d'une véritable concurrence avant d'autoriser les fusions.

Enfin, sur toute la question de la réforme des institutions financières, nous sommes très heureux que votre comité et d'autres instances se penchent simultanément sur une question qui mérite à notre avis d'être étudiée de près pendant le temps qui s'impose. Les décisions prises, quelles qu'elles soient, seront dans une certaine mesure irrévocables et irréversibles et je considère donc qu'il est primordial de prendre le temps d'examiner avec soin tous les enjeux liés à cette réforme des institutions financières.

• 1245

Nous vous avons remis un mémoire assez complet qui rend compte du point de vue des petites entreprises sur les questions qui nous intéressent. Je vais simplement en souligner les principaux points. Il nous paraît intéressant de préciser ici que nous avons mené notre propre enquête en compagnie de nos membres et que nous avons rencontré les présidents de toutes les grandes banques ainsi qu'un certain nombre des principaux intervenants sur le marché financier. Il semble que tous s'accordent à dire—et c'est peut-être l'un des seuls points sur lequel il y a consensus—que sur la question particulière des fusions, le secteur des petites entreprises est considéré comme le plus vulnérable. Étant donné que l'on reconnaît de plus en plus que ce secteur est le plus dynamique lorsqu'il s'agit de créer des emplois et de favoriser la croissance économique tant locale que nationale, nous estimons que cette observation, avec laquelle même les grandes banques sont d'accord, ne manque pas d'importance.

Pour nous, c'est la véritable concurrence qui compte. Nous ne voulons pas d'une lourde réglementation ou de toute autre mesure du même ordre. Ce que nous voulons en fait, c'est une véritable concurrence. C'est une chose que nous demandons depuis des années, et malheureusement nous avons fini par avoir une concurrence effectivement moindre dans bien des domaines différents.

Je vous renvoie simplement à notre premier graphique de la page 2 de notre mémoire qui fait état du pourcentage de petites et moyennes entreprises déclarant éprouver des difficultés à trouver un financement. Nous faisons régulièrement des sondages auprès de nos membres sur cette question, entre autres. Comme vous pouvez le voir, les statistiques portent sur une période de 15 ans. Vous pouvez observer ce qui se passe tout au long du cycle économique. Naturellement, ces problèmes se sont fait particulièrement sentir lors de la récession du début des années 90 et ils ont atteint leur apogée à ce moment-là.

Ce qui nous paraît aussi terriblement préoccupant à mesure que le temps passe, c'est que l'on relève une tendance séculaire à l'aggravation des problèmes de financement. Pour être plus précis, de la fin 1997 au début 1998 nous avons eu une conjoncture économique relativement comparable, par rapport à l'ensemble du cycle économique, que ce que nous avons vu à la fin des années 80, caractérisées par exemple par une assez bonne croissance économique. Nos statistiques nous révèlent cependant un niveau de préoccupation qui est presque le double concernant la disponibilité de financement.

Nous estimons qu'il y a à cela plusieurs raisons. Les prêteurs eux-mêmes ont reconnu qu'ils étaient devenus extrêmement prudents au début des années 90 et qu'ils s'étaient énormément et excessivement protégés lorsqu'il a fallu accorder des crédits aux petites entreprises. Par conséquent, il leur a fallu énormément de temps pour en revenir ne serait-ce qu'au niveau antérieur à la récession en dépit de la croissance de notre économie et de l'intervention de tous ces autres facteurs.

L'automatisation a par ailleurs progressé et l'on procède de plus en plus à des opérations d'évaluation automatique des dossiers de crédit, ce qui semble avoir limité le crédit au fil des années. Les décisions prises à l'intérieur des établissements sont davantage centralisées. C'est là encore un facteur qui est allé à l'encontre de la notion de service local si fondamentale pour les petites entreprises et qui fait que ce doit être le banquier local—celui qui connaît le mieux l'entreprise—qui doit posséder effectivement le pouvoir de décision lorsqu'il s'agit d'accorder un crédit.

Le rapport MacKay reconnaît lui-même qu'il n'y a pas aujourd'hui suffisamment de concurrence pour ce qui est des services bancaires accordés aux petites entreprises. Il est donc logique de penser que la concurrence va difficilement pouvoir s'intensifier s'il y a moins d'établissements.

Le graphique 2 de la page 3 nous révèle qu'en dépit de ce qu'affirme l'Association des banquiers canadiens et d'autres intervenants, qui parlent d'augmentation des crédits accordés aux petites entreprises, il y a là encore, sur une période de référence de 10 ans, une courbe de performance assez plate. Je vous signale que les statistiques de l'ABC font état des prêts de 1 million de dollars et moins alors qu'en moyenne les prêts consentis aux petites entreprises sont généralement de 60 000 à 70 000 $. Le graphique que vous voyez porte sur la catégorie des prêts de 200 000 $ et moins, qui englobe la grande majorité du marché des prêts aux petites entreprises.

Il est intéressant de constater que même au début des années 90, lorsque pendant cette grave récession, les crédits accordés aux petites entreprises ont chuté, ceux qui étaient consacrés aux grosses entreprises augmentaient. Par conséquent, le repliement qui a été effectué ne s'est pas produit à l'époque pour l'ensemble du secteur des entreprises.

Nous avons constaté aussi—et on peut le voir au graphique 3—certaines anomalies révélatrices. C'est un simple exemple qui nous montre qu'une évolution assez considérable des parts de marché s'est produite suivant les différents établissements. C'est le genre de constatation qui nous a toujours paru gênante.

• 1250

Ce tableau en particulier porte sur la part du marché des petites entreprises au Manitoba. Nous voyons que la part de deux établissements diminue considérablement, que celle de la plupart des autres reste à peu près la même et qu'un établissement augmente considérablement sa part du marché. Il est évident qu'il s'agit là de décisions prises en toute connaissance de cause. Nous considérons qu'il y a là un problème si une banque décide pour une raison ou pour une autre qu'elle ne veut plus se mêler de faire des affaires dans une province, un secteur ou autre. À partir du moment où l'on a moins de banques après une fusion, si l'une d'entre elles décide de se retirer du secteur du commerce de détail, de l'Alberta ou de tout autre marché, les répercussions sur ces secteurs ou ces régions seront nombreuses et considérables.

Certains banquiers nous ont dit que ce n'était pas une partie de plaisir que de prêter aux petites entreprises. En effet, nous ne disons pas que c'est une sinécure. Il est bien plus facile de prêter des gros montants que de petites sommes. C'est plus simple à administrer, par exemple. Toutefois, les banquiers et d'autres intervenants n'ont pas manqué de constater, lorsqu'ils ont fait des recherches, que lorsqu'on considère l'ensemble de la relation avec la banque, y compris les produits que le propriétaire de la petite entreprise consomme personnellement auprès de l'établissement concerné, cette relation globale est en fait très profitable. Nous n'avons jamais cessé d'être surpris par le fait qu'un ou deux établissements ne se sont jamais sérieusement intéressés à ce marché, parce qu'ils reconnaissent eux-mêmes qu'il ne s'agit pas dans un tel cas d'une question de rentabilité.

Pour ce qui est des problèmes actuels des services financiers qui intéressent les petites entreprises, nous avons constaté que globalement le taux de satisfaction générale concernant les banques se situe aux alentours de 70 p. 100. Bien des gens vont considérer que c'est élevé. Nous jugeons toutefois que si la plupart des entreprises constataient qu'un tiers environ de leurs clients sont mécontents, elles jugeraient probablement qu'il y a là un grave problème.

Il y a une autre chose que je dois faire remarquer—et nous l'avons déjà relevé auparavant—c'est que lorsqu'on se situe à un moment quelconque sur l'échelle du temps, il est symptomatique que la moitié environ des petites entreprises n'ont effectivement pas besoin d'un établissement financier. Elles s'en servent pour faire leurs virements, pour accéder à certains services, mais elles ne sont pas en fait endettées. Ce pourcentage d'insatisfaits est donc en fait bien plus élevé lorsqu'on ne tient compte que des clients qui sont débiteurs de l'établissement.

Les frais de services continuent à poser des problèmes, surtout en raison de leur caractère arbitraire. Je pense que tout le monde est prêt à payer un service lorsqu'on sait que ce service existe. Ce que nous avons vu bien évidemment, c'est de nombreuses augmentations qui semblent n'avoir aucun rapport avec une amélioration des services, aucune forme de justification. Nous avons vu aussi leur caractère arbitraire. Lorsque le propriétaire de l'entreprise est dans une position privilégiée par rapport à la banque, les frais de services semblent bien plus faciles à réduire ou à supprimer que lorsque ce même propriétaire est fortement débiteur de la banque.

Passons maintenant au graphique 4, qui illustre tout simplement la façon dont de nombreuses petites entreprises font appel aux établissements actuels pour des instruments autres que les purs crédits d'entreprise. Vous pouvez voir qu'elles sont dans chaque cas nombreuses à le faire et c'est pourquoi c'est effectivement cette relation globale avec la banque qui doit être prise en compte lorsqu'on examine des marchés concurrentiels.

Certains établissements financiers ont allégué par ailleurs que la menace représentée par la concurrence pour les banques canadiennes actuelles était telle que les fusions étaient nécessaires pour la combattre. Sur notre marché, ce n'est évidemment pas le cas. Nous avons récemment procédé à quelques recherches avec nos membres pour examiner les solutions en présence. Comme vous pouvez le voir au graphique 5, certains des établissements que l'on affirme être des concurrents si menaçants pour les grandes banques sont inconnus dans la plupart des cas. S'ils le sont, c'est par un très faible pourcentage de petites entreprises qui traitent avec l'un d'eux. Il est clair par conséquent que les banques continuent, et de loin, à jouir d'une position dominante sur notre partie du marché au Canada.

Pour en revenir à la concurrence qui s'exerce sur le marché, la part du marché des petites entreprises que possèdent les quatre grandes banques reste très considérable—et nous l'avons représentée par province dans le graphique 6. Nous voyons qu'elle est encore plus grande lorsqu'on examine la question secteur par secteur dans les différentes régions. Par exemple, si BM et Royale fusionnent, le conglomérat qui en résultera aura 70 p. 100 du marché de la vente au détail au Canada. Si à l'avenir le conglomérat résultant de la fusion décidait de se désintéresser du marché de la vente au détail—ce qui représente une bonne part du secteur des petites entreprises—il est évident que cela entraînerait de fortes répercussions sur ce secteur, et bien évidemment sur l'économie en général. Les banques elles-mêmes ont déclaré que l'on pourrait adopter un certain nombre de solutions de rechange pour remédier à certains défauts de concurrence que nous avons relevés.

• 1255

L'un des facteurs primordiaux qu'il ne faut pas oublier, c'est que les banques actuelles, qui opèrent depuis des dizaines d'années sur le marché des petites entreprises, ont elles-mêmes mis beaucoup de temps à apprendre ce métier. Elles reconnaissent elles-mêmes qu'il n'est toujours pas facile de prêter dans certains secteurs, l'exemple qui nous vient immédiatement à l'esprit étant celui des industries fondées sur la connaissance. Il leur reste beaucoup de choses à apprendre, alors qu'il y a bien longtemps qu'elles s'occupent de ce genre d'entreprises.

C'est pourquoi il ne nous apparaît pas très réaliste de nous attendre à ce que la concurrence se multiplie partout. Nous espérons voir s'instaurer une véritable concurrence sous différentes formes, mais cela ne va certainement pas arriver du jour au lendemain. Voilà une autre raison pour laquelle il nous faut être très prudents face à tout changement radical de la structure du marché financier.

Lorsqu'on parle des concurrents potentiels susceptibles de se présenter, on pense immédiatement aux banques étrangères. Là encore, nous pouvons effectivement envisager que des établissements étrangers viennent s'installer sur certains créneaux du marché, mais il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que des opérateurs étrangers viennent dispenser sous une forme ou sous une autre toute la gamme des services. Je ne m'attends certainement pas à ce que cela se produise en dehors des grands centres.

Si les sociétés d'assurance y viennent un jour, ce n'est pas pour demain. Ce n'est pas un groupe bien établi dans ce secteur.

Je pense que ce sont probablement les caisses de crédit qui sont les plus prometteuses. Certaines caisses de crédit ont déjà fait avec succès des prêts aux petites entreprises, mais leurs pouvoirs sont très limités par la loi provinciale. Les problèmes posés par la réglementation sont de toutes sortes et il y a par ailleurs de nombreuses caisses de crédit qui n'interviennent absolument pas sur le marché des petites entreprises. Donc, même si nous avons bon espoir qu'elles fassent quelque chose à l'avenir, il n'est pas réaliste de s'attendre à quoi que ce soit dans un délai de deux à cinq ans.

Les opérations bancaires électroniques ont très peu d'utilité à l'heure actuelle pour les petites entreprises. Là encore, l'avenir est prometteur, mais rien ne va se passer du jour au lendemain.

Les banques communautaires ont été mentionnées dans le rapport MacKay et ailleurs. Bien sûr, nous y sommes très favorables, mais il faut bien voir que nos banques actuelles exercent une telle domination au Canada que l'on peut difficilement s'attendre à court terme à ce qu'un mouvement communautaire de ce type se produise dans le secteur des banques.

Passons maintenant rapidement en revue certaines préoccupations des petites entreprises concernant les fusions. L'une des questions que nous nous posons au sujet de ces fusions, c'est, pour commencer, quelle est la culture d'entreprise qui va prévaloir. La fusion entre la Banque de Montréal et la Banque Royale en est un très bon exemple. La Banque de Montréal s'est efforcée davantage de servir le marché des petites entreprises que la Banque Royale, par exemple. Vous l'avez vu tout à l'heure sur la diapositive concernant le Manitoba, il y a des statistiques nationales qui indiquent que la part de la Banque Royale sur le marché des petites entreprises a diminué alors que celle de la Banque de Montréal avait augmenté ces dernières années. Si ces deux institutions fusionnent, quelle est la culture d'entreprise qui va prévaloir?

Nous avons vu tout au long des périodes de récession que dans les passes difficiles—la mauvaise conjoncture économique du début des années 90 en est un très bon exemple—les banques ont abandonné les petites entreprises. L'ancien président de la Banque TD, Robin Korthals, l'a lui-même reconnu, et nous sommes bien d'accord avec cette observation compte tenu de ce que nous avons vu de notre côté. Là encore, si à l'avenir on se retrouve avec un moins grand nombre d'institutions, quels seront les choix qui s'offriront aux petites entreprises lorsque la conjoncture deviendra difficile?

Je pense que l'on a largement évoqué les répercussions sur l'emploi et sur les petites localités et je ne veux donc pas m'attarder trop sur ces questions. En ce qui concerne la vulnérabilité de l'économie en général, il reste encore bien entendu—et c'est là aussi une question fondamentale—la question de savoir à quel moment les banques deviennent trop grosses pour qu'on puisse les laisser faire faillite. Je dirais qu'elles sont déjà probablement trop grosses aujourd'hui pour qu'une faillite soit pensable. Il est arrivé par le passé que l'une de nos banques actuelles se retrouve sérieusement en difficulté—lorsque la situation immobilière s'est révélée carrément catastrophique à la fin des années 80 et au début des années 90, par exemple—et je me demande bien si l'on aurait pu accepter que l'une des cinq grosses banques s'effondre à l'époque sans que les gouvernements et les autres banques ne viennent à sa rescousse. Bien évidemment, avec des banques encore plus grosses, ce risque, ce problème de vulnérabilité, deviendra encore plus inquiétant.

Nous avons sondé nos membres à deux reprises sur cette question. Nous le faisons d'ailleurs à nouveau pour savoir ce qu'ils en pensent aujourd'hui. Nous n'avons pas encore compilé toutes les réponses, mais nous le ferons très prochainement. Au graphique 7, néanmoins, vous pouvez voir ce que pensent les petites entreprises des fusions bancaires, et nous avons ventilé ces réponses selon la taille des entreprises. Comme vous pouvez le voir, la grande majorité d'entre elles ne manquent pas de s'opposer globalement aux fusions bancaires, cette opposition étant passée d'environ 64 p. 100 à plus de 68 p. 100 au cours des huit derniers mois environ. Nous voyons, ce qui n'est pas surprenant, que ce sont les plus petites entreprises, généralement celles qui sont les plus vulnérables, qui s'opposent le plus aux fusions bancaires.

• 1300

Pour ce qui est de certaines promesses faites par les banques, elles ont évolué avec le temps et je pense donc qu'il y a là un problème de crédibilité. Nous avons été très intrigués par le fait que l'on dise que les banques ont dans cette affaire un problème de communication et non pas un problème de fond. C'est très contestable. En réalité, nous avons tendance à considérer que les banques savent très bien communiquer, et c'est pourquoi nous voyons qu'il y a une opposition aux fusions parmi nos membres et au sein du public.

Je vais maintenant passer rapidement en revue un certain nombre de recommandations du groupe MacKay avec lesquelles nous sommes pleinement d'accord. En ce qui a trait à la nécessité de renforcer la concurrence, nous estimons que ce principe établi par MacKay est tout à fait le bienvenu. Il est tout aussi important d'obtenir une meilleure information. Voilà longtemps que nous estimons que l'information disponible sur ce marché n'est pas suffisante, et la recommandation portant sur la nécessité de disposer d'une information plus détaillée et mieux ventilée est très positive. Voilà des années que nous insistons sur la nécessité de contrôler certains facteurs tels que l'incidence du taux de roulement des gérants des comptes clients. Les banques conviennent avec nous qu'il y a là un problème, mais rien n'a été fait. Nous aimerions que des mesures soient prises dans ce domaine. Là encore, il s'agit d'obtenir un certain pouvoir d'autorisation des crédits en s'opposant à la tendance à la centralisation que l'on voit apparaître depuis des années. Il est nécessaire de prendre davantage de mesures visant à rendre les banques responsables envers les collectivités et d'améliorer quelque peu la situation relative aux frais de services pour que les clients en aient davantage pour leur argent. Il faut pouvoir fixer un taux en fonction des risques lorsque c'est nécessaire et recourir davantage aux prises de participation au capital. On a beaucoup parlé des prêts, mais il ne faut pas oublier pour autant la question des capitaux.

La question des ventes liées a été évoquée, elle inquiète considérablement nos membres. Nous avons entendu de nombreuses plaintes au sujet des ventes liées. Il est clair que c'est une réalité et il est normal qu'on en parle.

Le secteur des cartes de crédit a lui aussi été abordé, et c'est bien normal. Nos membres se sont souvent sentis pris en otage en raison du manque de choix dans ce domaine. Bien évidemment, le choix sera encore moindre à la suite des fusions.

Quant à l'extension des pouvoirs des banques à des domaines tels que l'assurance ou les prêts-bail automobile, nos membres s'y sont toujours opposés pour un certain nombre de raisons. Ils considèrent que les banques sont déjà bien assez puissantes et qu'il n'est pas justifié d'augmenter encore leurs pouvoirs. Ils estiment par ailleurs être bien servis par les fournisseurs actuels et ne comprennent pas pourquoi il faudrait absolument que les grosses banques interviennent sur ce marché. À leur avis, de nombreux opérateurs vont par ailleurs casser les prix. On l'a vu dans d'autres secteurs, ce qui a fait disparaître les fournisseurs en place. Une fois que les banques auront le monopole du marché, l'expérience passée nous enseigne que les économies et les prétendus gains de productivité qu'elles auront pu réaliser ne seront pas répercutés sur les consommateurs.

Je conclurais simplement en disant aux membres du comité qu'ils ont certainement entendu parler du plan stratégique des banques et d'autres intervenants du secteur financier. Nous vous avons présenté aujourd'hui l'approche stratégique du secteur des petites entreprises. Nous n'insisterons jamais trop sur l'importance d'un examen approfondi de ces questions. Il est possible que par la suite on n'y puisse plus rien changer. Nous savons que le changement est inévitable mais, pour l'instant, nous ne voyons pas la nécessité d'accélérer ce changement et de le précipiter par l'autorisation d'opérations telles que la fusion de grosses institutions. Il faut que votre comité se penche globalement sur le plan stratégique du Canada et nous espérons vous en avoir exposé un élément aujourd'hui.

Je vous remercie.

Le président: Merci, madame Swift.

Nous allons maintenant entendre la représentante du Comité canadien d'action sur le statut de la femme, Mme Sandra Carnegie-Douglas. Soyez la bienvenue.

Mme Sandra Carnegie-Douglas (coordonnatrice exécutive, Comité canadien d'action sur le statut de la femme): Nous tenons à vous remercier de nous avoir invité à présenter ce rapport.

Tout d'abord, nous estimons que le CCA faillirait à ses obligations s'il ne commentait pas le rapport en se référant à la réalité que vivent de nombreuses femmes au Canada. Nous considérons que le rapport MacKay a raison d'indiquer qu'il nous faut considérer les changements, les défis et les possibilités qui se présentent dans le secteur financier en nous référant à la mondialisation et à l'évolution technologique sans précédent à laquelle on assiste. La question que se pose le CCA et la plupart des femmes au Canada est de savoir quelles sont les répercussions de ces changements, ces défis et ces possibilités sur les femmes, les particuliers, les collectivités et la pauvreté dans son ensemble. Est-ce que l'on tient vraiment compte des intérêts des femmes et de nos collectivités?

• 1305

Il est certain que le secteur financier, surtout celui des banques, a fait de véritables bonds en cette ère caractérisée par la mondialisation de l'économie. Chaque année, on fait état de bénéfices records. Parallèlement, les statistiques sur la situation économique des femmes, des Autochtones, des immigrants et des réfugiés, des pauvres, des sans abri, des handicapés, des jeunes et des vieux, se sont régulièrement dégradées sans que le secteur financier en tienne compte comme il se devrait. Alors que le gouvernement a mis en pièces tous les grands systèmes de redistribution sociale—les services sociaux et publics, les services de santé, les services de bien-être et autres services de soutien—bien des gens se sont vus au Canada dans l'impossibilité de suivre le rythme de la mondialisation et d'accepter la rhétorique des dirigeants du secteur financier.

Le rapport nous révèle que bien des statistiques sur le secteur financier n'existent pas parce que l'on n'a pas procédé à leur relevé et à leur analyse. Notamment, il y a longtemps que l'on devrait pouvoir disposer de données sur les types de services fournis, les facilités d'accès et le traitement accordé par les membres du secteur financier aux femmes, aux pauvres et aux différentes catégories de personnes selon leur race, leur âge et leur capacité. Nous sommes fermement convaincues qu'il est absolument indispensable de mener des recherches indépendantes de ce type pour que le secteur financier entreprenne de tenir compte des répercussions de ses projets et de sa démarche agressive en vue de fusionner et de faire encore plus de bénéfices. Ces projets ont des répercussions sur les collectivités et les personnes qui traditionnellement sont défavorisées et il faut en particulier que les banques, les caisses de crédit, les courtiers en valeurs mobilières, les fonds communs de placement et les sociétés d'assurance fassent savoir ce qu'ils ont fait par le passé pour faciliter l'accès aux catégories susmentionnées et quel est le traitement qu'ils leur accordent lorsqu'ils leur dispensent leurs services.

Nous avons le sentiment que le Canada n'a jamais été aussi riche, et pourtant 20 p. 100 des femmes sont pauvres. De plus, de nombreuses femmes entrent dans la catégorie des travailleurs pauvres. Les femmes continuent à être moins bien payées. En moyenne, les femmes qui travaillent à plein temps gagnent 73¢ lorsqu'un homme gagne un dollar. Les femmes qui sont marginalisées dans notre société gagnent encore moins lorsqu'elles sont handicapées. Les femmes de couleur gagnent encore 8 p. 100 de moins, et ça baisse encore plus pour d'autres catégories de femmes, comme les femmes autochtones. Pour les jeunes femmes, la réalité est encore plus scandaleuse. Le taux de pauvreté dans cette catégorie est de l'ordre de 27 p. 100 et atteint des sommets lorsque les jeunes femmes vivent seules. Lorsqu'elles sont mères, ces femmes doivent affronter d'autres difficultés.

Ce que nous voulons vous faire comprendre, c'est que la situation ne s'améliore pas pour les femmes. Elle s'améliore pour les banques, et pourtant le secteur financier n'en tient pas compte. Voilà un certain nombre de principes que nous aimerions voir figurer dans ce rapport.

C'est aussi pour des raisons géographiques que des gens sont marginalisés et que d'autres personnes sont défavorisées dans la nouvelle économie. Les gens qui au Canada habitent dans le Nord, dans les régions rurales et dans les collectivités que l'on dit économiquement pauvres restent à la traîne. Ces secteurs sont considérés comme n'étant pas économiquement viables. Si nous mondialisons notre économie, comment allons-nous pouvoir servir un client de Boise, en Idaho, avec une telle assurance, en nous désintéressant d'une partie de notre population à Toronto, en Ontario? Les banques et le reste du secteur financier doivent en tenir compte.

Tout en reconnaissant que le comité répond à certaines questions concernant l'accès et agit dans le bien public, le CCA considère qu'il évite pour l'essentiel d'exiger véritablement que le secteur financier adopte des politiques déterminées et vigoureuses pour remédier aux inégalités en fonction du sexe, de la race, de la classe sociale, de l'âge et des handicaps que l'on retrouve dans tout ce secteur. Si l'on veut que le Canada devienne concurrentiel et efficace dans la nouvelle économie mondiale, il nous faut respecter le principe fondamental de l'égalité. Pour que le dialogue sur l'avenir du secteur financier canadien soit utile, il faut que l'on mette à l'ordre du jour la discussion de ces différentes inégalités lorsqu'on évoque les questions d'accès aux services et lorsqu'on prend des décisions dans l'intérêt public. La majorité des gens au Canada et dans le monde l'exigent.

• 1310

Les gens sont des usagers des services et au Canada nous nous attendons à ce que des sociétés telles que les banques affirment non seulement leur droit à vivre et à réaliser des bénéfices, mais se sentent aussi responsables envers les collectivités qu'elles servent. Certes, le comité insiste sur le nombre de personnes qu'emploient les grosses banques et le fait qu'elles contribuent à des causes charitables, mais il faudrait aussi examiner de près qui est effectivement engagé, quels sont les postes occupés et quels sont les organismes charitables qui sont subventionnés.

Cela nous indique bien quelles sont les valeurs et les principes que défendent les banques et le reste des entreprises du secteur financier.

Il est scandaleux, étant donné les marges de profit réalisées particulièrement par les grosses banques, que nombre de Canadiens continuent à vivre dans la pauvreté et se voient refuser l'ouverture d'un compte bancaire. On estime que 300 000 Canadiens n'ont pas la possibilité d'ouvrir un compte bancaire. Nombre d'entre eux sont harcelés ou maltraités lorsqu'ils essaient de toucher leurs chèques du gouvernement, qui relèvent de la règle G-8. Sans vouloir recommander que les banques ne tiennent pas compte de la procédure de vérification des chèques, nous estimons que les politiques bancaires rigoureuses et abusives qu'appliquent arbitrairement à certaines catégories de clients les gérants de banques et d'autres employés sont injustifiées et discriminatoires.

C'est donc à notre avis une question dont le comité devra tenir compte lorsqu'il procédera à son examen et recommandera des changements dans ce secteur.

Il y a aussi le refus d'encaisser les chèques de la part de certaines banques et caisses de crédit. Pour nous, il s'agit essentiellement ici d'une autre pression qui vient s'exercer, d'un autre obstacle que doivent surmonter les gens appartenant à cette catégorie. Nous prétendons que la pauvreté n'est pas un phénomène naturel; c'est la conséquence de la situation sociale, politique et économique au sein de notre société.

Les gens ne décident pas un beau matin d'être pauvres. Nous considérons que les institutions financières doivent être à l'écoute des besoins des pauvres et non pas les enfoncer davantage en leur opposant des obstacles insurmontables qui les empêchent de vivre au quotidien.

Nous nous félicitons de voir que l'Association des banquiers canadiens demande aux employés de banque d'accepter toute une série de cartes d'identité lorsqu'une personne vient encaisser un chèque du gouvernement, mais nous nous demandons bien pour quelle raison l'association n'a pas réussi à imposer une certaine discipline et à faire appliquer cette mesure par toutes les banques du pays, et quels sont les changements fondamentaux qu'il convient d'apporter aux mentalités pour que cette mesure soit largement appliquée.

Les femmes sont plus que jamais sur le marché du travail, puisque 68 p. 100 d'entre elles ont un emploi rémunéré. Pourtant, étant donné que les femmes ont la réputation de rembourser dûment leurs prêts avant qu'ils ne viennent à échéance et compte tenu du fait qu'elles savent bien gérer leurs finances, il est inacceptable qu'on leur refuse proportionnellement davantage de prêts qu'aux hommes, notamment lorsqu'il s'agit de femmes qui lancent leur propre entreprise.

Comme l'a indiqué tout à l'heure Catherine, le secteur des petites entreprises est en pleine expansion et il y a de plus en plus de femmes qui se lancent et montent leur propre entreprise pour compenser la perte d'emplois enregistrée dans l'économie et le fait qu'il ne reste que très peu d'emplois à leur disposition.

Nous constatons qu'elles ont de plus en plus de mal à obtenir des prêts et que bien des grosses banques les leur refusent. De leur côté, les banques ne font aucun effort pour que les choses changent véritablement dans ce secteur.

Les femmes de couleur, les femmes autochtones et les immigrantes font état d'expériences encore plus négatives dans ce domaine particulier. Par conséquent, les facteurs liés à la race et au sexe aggravent encore la situation difficile des femmes de ces catégories, qui sont lésées au niveau des services fournis.

Il est difficile de prouver toute l'étendue de la discrimination et, au Canada, les banques et nos gouvernements ne se sont pas précipités pour faire des recherches dans ce domaine. Aux États-Unis, notre principal partenaire commercial, cette information est courante.

Lorsqu'on parle de donner du pouvoir aux consommateurs et d'agir dans l'intérêt public, il est indispensable d'être en mesure d'évaluer les services du secteur financier pour remédier véritablement aux faiblesses et aux insuffisances et pour renforcer ce secteur.

Les femmes, les personnes de couleur et les pauvres font partie intégrante de la société canadienne et contribuent à sa santé économique. Ils ont le droit de s'attendre à bénéficier de bons services et d'y avoir accès tout comme peut le faire un chef d'entreprise.

Nous recommandons que le gouvernement du Canada s'engage immédiatement à évaluer les conditions d'accès et de traitement qui ont cours dans le secteur des services financiers et que cette évaluation tienne compte des mécanismes de prêts, des schémas d'accès aux services ainsi que des possibilités d'accès selon la race, le sexe, la situation économique et autres paramètres se rapportant à ce secteur.

• 1315

Pour ce qui est de l'automatisation et de la technologie, le rapport du comité évoque la prolifération des guichets automatiques, la question des frais de service et les méthodes d'encaissement des chèques. Certes, il s'agit là encore de l'ouverture de nouvelles possibilités et de défis à relever en raison de l'évolution de l'économie mondiale, mais les Canadiens qui habitent dans les régions rurales, le Nord, les communautés autochtones ou ce que l'on appelle les zones urbaines défavorisées n'y trouvent pas leur compte s'ils n'ont pas accès aux services des banques, des caisses de crédit ou des sociétés d'assurance.

Étant donné que près de 300 000 Canadiens se voient refuser un compte bancaire parce qu'ils pauvres, le piètre service conféré aux Canadiens qui ont besoin d'encaisser des chèques du gouvernement et le montant élevé des taux d'intérêt pratiqué sur les cartes de crédit et sur certains prêts, on peut dire qu'il y a un problème au niveau du service fourni par le secteur financier. Lorsque les banques se retirent des collectivités qui ne sont pas jugées viables ou suffisamment dynamiques, les gens et les entreprises de ces collectivités en souffrent. Comment nos établissements financiers osent-ils affirmer avec une si belle assurance qu'ils sont visionnaires et «personnalisés» alors qu'ils aliènent et laissent à l'écart toute une catégorie de gens et des collectivités tout entières?

Bien que nous ne fassions pas campagne pour l'établissement d'une banque à chaque coin de rue, toutes les collectivités doivent avoir accès à des institutions financières réelles. De plus, on doit pouvoir mesurer l'efficacité et la compétitivité des institutions financières par rapport à leur capacité de desservir les groupes qui sont aux limites de notre société. Les institutions financières doivent évaluer leurs principes de service et mettre à l'avant-plan les besoins des plus défavorisés. Si vous êtes en mesure de desservir les membres les plus défavorisés de la collectivité, il s'ensuit que tous les autres clients en tirent avantage et obtiennent un service bien supérieur. Bref, vous auriez couvert tous ces aspects.

Plutôt que de consacrer des millions de dollars à vendre des concepts chimériques en utilisant des chansons populaires et en s'appropriant différentes cultures, que nous considérons à certains égards comme purement symboliques, les institutions financières, et plus particulièrement les banques, devraient examiner sérieusement ce qui arrive aux Canadiens.

Comment une jeune femme seule—plus de 72 p. 100 des femmes sont pauvres—peut-elle réaliser son rêve de faire des études postsecondaires et de posséder sa propre maison avec l'aide des institutions financières du Canada? Comment une immigrante ayant une expérience et des compétences solides en affaires, seule pour élever trois enfants et qui doit en plus s'occuper d'un parent maladie, peut-elle lancer et gérer sa propre entreprise et assurer l'avenir de ses enfants et sa retraite avec l'aide des institutions financières au Canada? Comment nos institutions financières peuvent-elles continuer de justifier les prêts à valeur élevée consentis aux entreprises, mais tergiverser et refuser tout crédit à une femme qui veut lancer une petite entreprise?

Les retombées de ce soutien ne se calculent pas uniquement en dollars, mais aussi par la qualité de vie des familles et des collectivités établies à l'appui de ces personnes. Nous le répétons, quelles sont les valeurs et les hypothèses qui sous- tendent le fonctionnement de nos institutions financières? Ce sont là quelques-unes des questions qui, selon nous, devraient être abordées par le groupe de travail et soumises aux institutions financières, pour connaître leur orientation future.

Nous recommandons au gouvernement du Canada de proposer une législation semblable à celle de la Home Mortgage Disclosure Act aux États-Unis, qui oblige les institutions financières à divulguer le nombre de personnes qui font des demandes de prêt hypothécaire, le nombre de demandes rejetées et le nombre de demandes approuvées. De plus, il faudrait compiler des données sur la race, le sexe, la situation économique et le lieu géographique, comme cela se fait aux États-Unis.

Nous recommandons en outre au gouvernement de déposer un projet de loi similaire à la Community Reinvestment Act, comme le propose la Canadian Community Reinvestment Coalition, afin que des données similaires pour les prêts aux petites entreprises, les prêts personnels et les prêts agricoles puissent être recueillies, analysées et mises à la disposition des gens.

Selon nous, le rapport du groupe de travail est discret sur cette question. Il n'aborde pas de manière proactive la question de mettre en évidence ce que plusieurs Canadiens qui vivent dans la pauvreté éprouvent—les gens de couleur, Autochtones et femmes du Canada. Bien que les institutions financières hésitent face aux coûts en cause, nous soumettons que les consommateurs hésiteront également face aux coûts avancés par l'Association des banquiers canadiens, organisme mis sur pied pour nous convaincre que nous avons tous un accès égal et que les banques prennent leurs responsabilités sociales. Plusieurs Canadiens ne sont pas du même avis.

• 1320

La mise à jour de pratiques de plafonnement aux États-Unis a amélioré la transparence, augmenté l'efficacité du service et eu des retombées concurrentielles positives dans le secteur financier. Les Canadiens sont d'avis qu'il leur en coûte pour utiliser les services bancaires, pour déposer, pour retirer et pour payer des factures. Pour plusieurs, le niveau de service est inversement proportionnel au coût du service.

Comme l'ont fait le Conseil national du Bien-être et d'autres groupes, nous proposons l'établissement de frais de base maximums de deux dollars par tranche de 16 transactions mensuelles. Compte tenu du niveau de chômage et de l'harmonisation à la baisse des salaires des travailleurs en raison de la globalisation, le recours au crédit est devenu une réalité pour plusieurs Canadiens. Il est abusif que les banques pratiquent des taux d'intérêt outrageux. Elles n'ont d'autre raison de le faire que de maximiser les bénéfices.

Actuellement, environ 12 banques ont mis en place un ombudsman pour aider les clients. Bien que cela puisse comporter des avantages, une entité entièrement distincte et autonome appliquant un processus transparent serait mieux indiquée pour répondre aux besoins des clients des banques, et pourrait faire preuve d'un meilleur sens de l'équité. Afin de traiter les nombreuses plaintes des Canadiens au sujet des services fournis par le secteur financier, particulièrement les banques, nous appuyons la désignation d'un ombudsman indépendant, comme le demande le rapport du groupe de travail.

Pour ce qui est de la fusion des grandes banques, plusieurs Canadiens sont d'avis que le droit à des services bancaires est similaire au droit à l'eau et au chauffage: il s'agit d'un service essentiel. Peu importe leur situation économique, les Canadiens ont recours aux banques à un moment ou à un autre. Nous ne croyons pas que la fusion des grandes banques se traduira nécessairement par de meilleurs services pour les Canadiens, particulièrement ceux qui sont traditionnellement défavorisés.

Les banques paraissent mal quand il est question d'investissements dans les secteurs de création d'emplois au Canada. Leurs pertes sont plus importantes lorsqu'elles prêtent aux grandes entreprises qu'aux petites et moyennes entreprises. Dans un contexte de services déjà réduits dans des collectivités clés, comment une fusion pourrait-elle changer les choses et apporter des améliorations?

La complexité des problèmes et les coûts engendrés par une fusion doivent être exposés au public et aux employés des banques. Comment les fusions affecteront-elles le crédit, l'utilisation de cartes de crédit et la disponibilité de capitaux pour les petites et moyennes entreprises? Comment ces fusions amélioreront-elles les services et l'accès pour les femmes, les personnes qui vivent dans la pauvreté, les personnes qui vivent dans les régions rurales et dans les collectivités isolées et d'autres groupes défavorisés? Quels genres de réglementation, de mécanismes de contrôle et de systèmes de protection du consommateur seront mis en place? Qui fournira aux utilisateurs des banques les ressources nécessaires pour contester les politiques bancaires auprès de notre gouvernement ou des banques elles-mêmes?

La principale préoccupation des femmes au Canada est la qualité et non l'ampleur des institutions. Pour nous, une institution de plus grande taille n'est pas nécessairement un atout, puisqu'elle peut aller à l'encontre de nos intérêts.

Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme croit que les banques n'ont pas fait la démonstration de la nécessité d'appuyer les fusions. Le Comité croit fermement que les femmes, les personnes qui vivent dans la pauvreté, les Autochtones et les gens de couleur souffriront davantage d'un tel changement. Pour les femmes, qui représentent une proportion importante des employés des banques, les pertes d'emploi représentent à elles seules une conséquence négative.

Le groupe de travail parle de concurrence. Les fusions entraîneront une diminution draconienne de la concurrence au vrai sens du mot. Des études américaines ont montré que les fusions ne contribuent pas à l'amélioration de l'efficacité ni de la rentabilité dans l'économie locale ou globale.

Le groupe de travail soulève la question de la règle des 10 p. 100 de propriété. Nous ne croyons pas qu'il faille modifier cette disposition. Toutefois, il faudrait interdire toute expansion des pouvoirs des banques au Canada pendant une période de deux ans suivant l'entrée en vigueur de la législation promise par le gouvernement fédéral pour abaisser le seuil d'entrée pour les banques étrangères et leur permettre d'établir des succursales directement au Canada et de recevoir des dépôts de plus de 150 000 $.

Le gouvernement doit tenir compte des retombées globales pour la collectivité. Les petites entreprises génèrent plus de 35 p. 100 du PIB du Canada et elles ne représentent que 7 p. 100 tout au plus de la totalité du crédit commercial accordé par les banques. Une fusion entraînera-t-elle des changements avantageux à ce chapitre?

Dans l'ensemble, nos recommandations clés au comité sont les suivantes. Premièrement, nous estimons que l'accès aux services bancaires, y compris un compte bancaire, est un droit et non un privilège pour la population du Canada. Nous recommandons que ce droit soit inscrit dans la Loi sur les banques.

Deuxièmement, nous estimons que les banques font des profits élevés et qu'elles doivent offrir à leurs clients un compte bancaire comportant des services minimums.

Nous recommandons que la législation sur les banques tienne compte d'une limite, par exemple de deux dollars, par tranche de 16 transactions mensuelles, afin de favoriser l'accessibilité pour tous les utilisateurs.

• 1325

Troisièmement, la pratique d'attendre de six à dix jours avant de compenser un chèque doit cesser, particulièrement dans le cas des personnes à faible revenu qui tentent d'encaisser leurs chèques du gouvernement, comme je l'ai mentionné plus tôt. Il s'agit d'une pratique discriminatoire qui devrait cesser. Nos institutions financières doivent se prévaloir de la nouvelle technologie qui permet de libérer les fonds après une journée ou deux jours au maximum. Nous recommandons au gouvernement du Canada de déposer un projet de loi similaire à la Expedited Funds Availability Act aux États-Unis.

Quatrièmement, des résidents de tous les quartiers ont le droit d'avoir accès à des services financiers. Les banques, qui sont les plus fréquemment utilisées, ont la responsabilité de maintenir des succursales et d'offrir des services dans toutes les collectivités. Bien qu'il y ait actuellement des banques dans les collectivités autochtones sur les réserves, nous croyons que cela est davantage une question d'accès aux paiements découlant du règlement des revendications territoriales qu'une question d'engagement à desservir les Autochtones.

Cinquièmement, nous recommandons une divulgation complète des tendances en matière de prêts, du nombre de demandes de prêt, du nombre de prêts refusés et des renseignements concernant la race, le sexe, la situation économique et le lieu géographique.

Sixièmement, nous réitérons la demande d'un ombudsman indépendant pour les banques, comme le propose le CCRC.

Septièmement, le Comité canadien d'action sur le statut de la femme recommande aussi que le gouvernement examine le rapport du groupe de travail dans la perspective d'une abolition des barrières à la propriété d'une maison, afin qu'il soit plus facile pour les Canadiens de devenir propriétaires de leur maison.

Huitièmement, le comité recommande que le gouvernement fédéral entreprenne une analyse étendue sur la race et le sexe et procède à une vérification du sexe dans le recours aux services bancaires afin que l'on puisse établir les conditions à l'appui de véritables changements, relever les défis et aborder les débouchés pour tout le secteur des services financiers au Canada.

Le président: Merci, madame Carnegie-Douglas.

Nous entendrons maintenant M. Richard Ernst, de Résultats Canada. Bienvenue.

Dr Richard Ernst (membre du conseil d'administration, Résultats Canada): Bonjour. Je vous remercie de m'offrir la possibilité de faire un exposé devant votre comité.

Résultats Canada, un groupe d'activistes pour la défense des citoyens, travaille à l'établissement d'un climat politique qui mettra un terme à la faim et à la pauvreté absolue. Nous travaillons avec des députés, des politiciens et les médias, et nous avons des groupes affiliés dans d'autres pays.

Par conséquent, nous nous intéressons aux aspects du rapport qui concernent l'appui des banques au microcrédit pour les pauvres. Il est important que les pauvres fassent partie du secteur financier. Nous avons livré un témoignage assez détaillé avant les audiences qui ont mené à la publication du rapport MacKay et nous sommes heureux que le rapport indique un appui en faveur du microcrédit.

Notre but aujourd'hui est de souligner brièvement l'importance de la participation et du soutien des banques à la notion du microcrédit comme condition préalable à toute idée de fusion et dans tout type de lignes directrices générales qui seront élaborées pour la poursuite des activités bancaires, peu importe l'issue des projets de fusion.

Le microcrédit est un exemple de la façon dont les banques peuvent contribuer au bien-être des pauvres dans les sociétés où elles sont implantées. Le crédit est un point de départ pour un cycle d'autorenforcement d'un meilleur bien-être pour certains des plus pauvres au monde, tant à l'étranger qu'au Canada. Par exemple la Grameen Bank of Bangladesh offre des programmes pour permettre aux pauvres d'avoir accès aux services bancaires. Ces programmes lancés il y a près de 15 ans ont permis à la banque de prêter à quelque deux millions d'emprunteurs, dont 90 p. 100 sont des femmes, et d'enregistrer un taux de remboursement de 98 p. 100. Selon des études menées par la Banque mondiale et par d'autres institutions, de tels programmes de microcrédit permettent aux gens de se sortir eux-mêmes de la pauvreté après une courte période, quelques années à peine.

Des programmes comme Grameen, ACCION, Calmeadow, Banco Sol et certains autres à l'étranger et au Canada également permettent aux gens de s'aider eux-mêmes. Prenons par exemple le cas de Fuljan, du Bangladesh, mariée à l'âge de 14 ans et abandonnée par un mari abusif. Le microcrédit lui a permis de se sortir elle-même de la pauvreté, d'envoyer ses enfants à l'école et de bâtir un avenir valable pour sa famille.

• 1330

L'insistance que nous mettons pour l'établissement du microcrédit à l'échelle internationale et pour que cela fasse partie de la politique des banques au Canada s'intègre à un mouvement global plus large axé sur une initiative lancée en février 1997, à Washington, lors du Sommet du microcrédit. L'événement a permis de mettre en place un plan qui fera en sorte qu'en 2005 100 millions des familles parmi les plus pauvres au monde, particulièrement les femmes de ces familles, obtiendront du crédit pour un travail indépendant et d'autres services financiers. Le sommet réunissait quelque 3 000 délégués de 130 pays, y compris une forte représentation du Canada. De plus, le président de l'ACDI fait partie du comité de la campagne pour la réalisation de cette initiative du sommet du microcrédit qui s'adresse plus particulièrement aux pays en développement, mais qui vise aussi les pays industrialisés.

Il y a des exemples de ce que les banques peuvent faire, plus particulièrement de l'investissement productif dans le microcrédit offert par la Banque Scotia, la seule des cinq grandes banques à ne pas demander une fusion. La Banque Scotia a mis sur pied un programme de microcrédit en Guyane, en 1993, et a ainsi attiré plus de 3 000 emprunteurs malgré une publicité peu efficace. Bancomer, une grande banque mexicaine dans laquelle la Banque de Montréal a des intérêts, serait elle aussi en voie d'élaborer un programme de microcrédit. Au Canada, la CIBC et la Banque Royale ont injecté plusieurs millions de dollars dans la Fondation canadienne des jeunes entrepreneurs, un organisme qui offre des prêts aux petites entreprises pour les jeunes Canadiens sans emploi.

Il est donc possible d'aller plus loin dans ce sens et que les banques offrent du financement à des groupes de grossistes en prêts ayant des liens directs avec des spécialistes étrangers pour l'exécution de programmes de microcrédit qui donnent des résultats. Il serait possible d'aller plus loin dans cette voie si le ministre des Finances l'exigeait. Comme les banques sont anxieuses de fusionner, les probabilités sont bonnes qu'elles accepteraient d'appuyer le microcrédit s'il constituait une condition à l'approbation de leur demande.

Comme c'est toujours le cas, il importe que le microcrédit s'adresse surtout aux personnes les plus pauvres, particulièrement, les femmes, sinon ce sont les moins pauvres et ceux qui ne sont pas pauvres du tout qui en profitent. Il est donc essentiel de cibler les plus pauvres.

Il est bon de mentionner aussi qu'aux États-Unis les banques sont soumises à la Community Reinvestment Act, qui les oblige à réinvestir dans la collectivité, souvent en offrant du financement à des institutions de microcrédit. De plus, pour obtenir l'autorisation de fusionner, les banques doivent faire la preuve qu'elles ont entièrement respecté leurs obligations de réinvestissement dans la collectivité. Selon nous, l'élément clé n'est pas que le Canada se dote d'une loi similaire pour le réinvestissement de la collectivité. L'élément clé est que les banques fassent preuve d'une certaine transparence pour rendre compte de l'efficacité avec laquelle elles desservent les plus pauvres.

Les banques sont aussi dans une position idéale pour créer des instruments permettant aux investisseurs de canaliser les capitaux à l'appui des microentrepreneurs qui cherchent à se sortir de la pauvreté, à se trouver un emploi et à acquérir une maison. Le Grameen Trust, qui est un partenariat entre la Grameen Foundation et la Calvert Mutual Fund Group aux États-Unis en constitue un bon exemple. Les investisseurs peuvent placer des sommes de 1 000 $ ou plus à un taux d'intérêt fixe variant entre 0 et 3 p. 100 déterminé par l'investisseur. Ces fonds sont investis dans des projets Grameen gérés par Calvert et garantis par d'importantes provisions pour pertes sur prêt fournies par les fondations Ford et MacArthur.

Récemment, le Bankers Trust, septième société de portefeuille bancaire en importance des États-Unis, a annoncé un programme similaire pour les investisseurs. Les clients de la banque peuvent investir non seulement en vue d'un gain financier, mais aussi pour appuyer leurs valeurs et leurs convictions et pour obtenir des résultats tangibles et mesurables.

Les banques canadiennes n'offrent aucun programme d'investissement semblable à leurs clients. Il serait approprié de leur demander d'élaborer et de mettre en oeuvre des produits d'investissement similaires pour offrir à leurs clients la possibilité d'investir dans l'effort global en vue d'améliorer l'existence de plusieurs millions de personnes pauvres, particulièrement des femmes.

• 1335

Je tiens à souligner de nouveau qu'il est essentiel selon nous que les banques aient pour mandat d'offrir des capitaux pour des microprêts à l'intention des pauvres et qu'elles rendent compte de leurs efforts pour desservir les pauvres dans la collectivité.

Permettez-moi de mentionner que la notion de microcrédit suscite un intérêt chez certains parlementaires. Le caucus parlementaire sur le microcrédit, sous la direction de M. Jean Augustine, examine actuellement des façons d'établir des projets pilotes dans la collectivité dans le cadre de partenariats entre les banques locales et les groupes capables de répartir le microcrédit. Ce sont des projets pilotes au niveau de la collectivité.

L'occasion s'offre aux banques de réinvestir dans les collectivités et d'apporter une contribution concrète aux collectivités les plus pauvres. J'aimerais que les pauvres aient la chance de se sortir eux-mêmes de leur pauvreté.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Ernst.

Nous entendrons maintenant M. Thomas Rice, représentant du Groupe financier Rice. Bienvenue.

M. Thomas J. Rice (président et directeur général, Groupe financier Rice Inc.): Merci de m'offrir l'occasion de partager mes idées avec vous.

Comme l'indique le mémoire, la position que j'exprime représente celle de dizaines de milliers de déposants canadiens qui ont recours aux institutions bancaires et financières du Canada pour leurs économies et pour le transfert de fonds dans le cadre de comptes de chèque, d'épargne, de dépôts à terme, de REER, de FRV, de FERR ou de rentes—des fonds placés dans les grandes banques et institutions financières du pays.

Je ne veux pas aborder la question de la concurrence ni les autres aspects, mais l'une de mes grandes préoccupations et aussi celle d'autres Canadiens qui pourrait affecter toutes les personnes qui se trouvent dans cette pièce—vos enfants, vos parents, vos héritiers, l'héritage que vous voulez laisser derrière vous, de même que vos pensions—est la sécurité des dépôts dans le système bancaire actuel, au Canada. Ces dépôts augmenteraient du simple fait de la fusion d'institutions financières, qui entraînerait une réduction de l'accès réel aux institutions. Cela étant dit, il y aurait création d'une croissance naturelle de ces dépôts au sein d'une institution financière donnée.

Les fusions proposées pour les quatre banques à charte canadiennes sont un problème majeur auquel le gouvernement est confronté aujourd'hui. Les décideurs doivent se préoccuper non seulement des retombées immédiates, mais aussi du risque pour les entreprises individuelles, les municipalités, les gouvernements provinciaux et tout utilisateur de dépôt au sein du système bancaire. Qui devrait profiter des décisions? La réponse devrait être les investisseurs et les déposants, et non les actionnaires.

Dans l'ordre, la priorité devrait aller à la protection des sommes déposées par le consommateur dans les systèmes, à l'exclusion des fonds mutuels, des titres ou d'autres dépôts qui ne peuvent être assurés par la SADC aujourd'hui. Il y a aussi la protection des renseignements financiers personnels des Canadiens.

Pour ce qui est du risque concernant la sécurité des dépôts et des investissements à terme des consommateurs, la protection des dépôts est la clé de la sécurité de l'argent des investisseurs. En cas de faillite d'une banque, les mécanismes de protection des dépôts en place devraient assurer le remboursement de l'investissement initial et possiblement des intérêts accumulés. Sans cette assurance, ou toute autre forme de fonds de réserve, les répercussions d'une faillite sur les dépôts personnels et les dépôts commerciaux, les épargnes en vue de la retraite, les obligations municipales et provinciales, etc. détenus dans un système bancaire pourraient être désastreuses pour la stabilité financière du Canada et des citoyens, grands et petits épargnants, qui comptent sur notre système bancaire.

Bien souvent, nous considérons la SADC comme une compagnie d'assurances et nous nous attendons à ce qu'elle fonctionne selon les mêmes paramètres. Je préfère parler de protection des dépôts plutôt que d'assurance-dépôts.

• 1340

Nous suggérons que la limite du montant assurable soit revue pour tous les membres de la Société d'assurance-dépôts et que les réserves soient mises en place. La couverture devrait être portée à 100 p. 100 ou à un minimum de 500 000 $ par compte. Par ailleurs, le coût de cette protection accrue ne devrait pas être refilé aux consommateurs, mais absorbé par les actionnaires. L'augmentation des primes aurait très peu d'effets sur les profits des banques.

Plusieurs des membres les moins importants de la SADC paient actuellement des primes pour 100 p. 100 de leurs dépôts à un taux plus élevé que celui qui est imposé aux plus grandes institutions. Les banques soutiennent qu'elles n'ont pas besoin d'une protection supplémentaire pour leurs investisseurs parce que leur taille est suffisante. Nous sommes plutôt d'avis que les événements récents survenus à l'étranger ne vont pas dans ce sens. L'augmentation des liens entre les activités des diverses banques exigera une gestion beaucoup plus serrée, afin de préserver la sécurité des opérations. Aucune institution n'est à l'abri d'un échec. Personne ne peut prédire l'avenir, ni les répercussions des instruments dérivés et des engagements hors bilan, ni les répercussions de marchés boursiers plus faibles. De plus, il faut tenir compte de l'instabilité économique de certains des plus grands pays du monde dans lesquels les institutions veulent s'implanter et investir sur une base globale. Nous devrions nous souvenir que les changements survenus dans d'autres pays ont affecté les institutions financières au Canada par le passé.

Selon moi, tous les Canadiens préféreraient que les institutions prêteuses fassent fructifier leurs intérêts. Les banques nous laissent souvent entendre qu'il s'agit de leur argent et de leurs dépôts, et je leur rappelle constamment qu'il s'agit plutôt de l'argent de consommateurs qui utilisent le système bancaire. Les banques ont le privilège de rentabiliser cet argent et de l'utiliser pendant qu'il leur est confié.

Je me demande combien de Canadiens voudraient que cet argent soit prêté chez eux, dans leur voisinage, pour favoriser la croissance économique de leurs propres régions plutôt que de chercher à utiliser les capitaux dans des fonds de croissance internationaux, pour des expériences globales. En tant que Canadiens, nous devons protéger les dépôts des Canadiens dans le système et protéger aussi les privilèges accordés aux banques. Selon moi, nos banques n'ont pas contribué à la croissance de ces fonds sur une base entrepreneuriale, comme c'est le cas aux États- Unis ou dans d'autres pays. La croissance s'est faite en raison d'un contrôle exercé sur le système de paiements au pays et en raison des privilèges accordés par la Loi sur les banques et d'autres lois qui leur sont avantageuses. La croissance ne s'est pas faite dans le cadre d'un véritable esprit d'entreprise.

Chaque Canadien et chaque entité canadienne doivent obtenir l'assurance que ces épargnes et ces investissements, de même que ces régimes de retraite, seront protégés et sauvegardés en priorité. Comme je l'ai déjà dit, notre système financier a atteint sa taille actuelle grâce à un système et à des normes uniques, et non à cause de sa structure entrepreneuriale. Des groupes bien informés et bien organisés, riches de connaissances universitaires et de résultats de recherche, nous ont soumis plusieurs arguments et motifs, mais aucun n'a abordé les préoccupations réelles des Canadiens, ni la situation économique des Canadiens et du Canada. La priorité devrait être accordée au maintien de la certitude quant à l'avenir et à l'assurance que toute notre richesse future sera aussi sécuritaire qu'elle l'a été par le passé.

Le Canada a été témoin des répercussions de tout cela à plus petite échelle au cours des deux dernières décennies alors que nos systèmes et nos structures financières ont été mis à l'épreuve. Certaines institutions financières, leur direction et leur conseil d'administration ont pris des décisions en période de croissance afin de prêter et d'investir de l'argent avant que des changements économiques imprévus ne surviennent, décisions qui, en rétrospective, ont été plutôt mauvaises. Des Canadiens, des entreprises et des gouvernements avaient confié des fonds à ces institutions. N'eut été de la réaction rapide des gouvernements antérieurs, qui ont augmenté les limites de l'assurance-dépôts rétroactivement et qui ont consenti des prêts à la Société d'assurance-dépôts du Canada, il aurait été beaucoup plus difficile pour la SADC de rendre compte de ses activités et plusieurs Canadiens en auraient subi des conséquences désastreuses. De plus, plusieurs sociétés privées et publiques de même que des entreprises et des partenariats auraient été acculés à la faillite, y compris certaines municipalités de l'Ontario qui avaient déposé d'importantes sommes provenant des impôts municipaux auprès d'institutions qui ont connu des difficultés dans les années 80.

L'augmentation de l'assurance-dépôts devrait s'inscrire dans le prolongement de changements à la politique du gouvernement, et non viser principalement à préserver les dépôts canadiens moyens, puisque la plupart n'étaient assurés à l'époque que pour 20 000 $. Par la suite, le gouvernement a porté cette limite à 60 000 $ et ces dépôts ont été assurés par le gouvernement du Canada ou par les contribuables, ce qui a permis à la SADC de dépanner ces institutions et d'assurer la sécurité des dépôts.

• 1345

Nous devrions profiter de ces leçons et nous assurer que les institutions financent ces obligations en augmentant les limites maintenant, et non plus tard, après coup. La SADC pourrait dire que son bilan est favorable aujourd'hui, puisqu'elle dispose de réserves importantes qui continueront de s'accumuler. Quant aux banques, elles pourraient soutenir qu'elles ont versé la plus grande part des primes.

Depuis que j'ai soumis ce mémoire, deux hauts dirigeants des banques m'ont appelé pour me dire que les banques avaient payé des primes plus importantes—en toute équité parce que ce sont elles qui détiennent la majorité des dépôts dans le système. Par contre, si on s'arrête au pourcentage des dépôts admissibles à l'assurance, les banques auraient payé moins, proportionnellement, que certaines des plus petites institutions, qui ont dû payer 100 p. 100 des primes pour maintenir les dépôts et éviter d'affecter leur rentabilité. Les banques semblent ignorer ce fait.

Si ces comptes de prime permettaient d'accumuler d'importantes sommes en attendant d'être utilisés, peut-être que le gouvernement du Canada pourrait vendre certaines des obligations, etc., utiliser les capitaux pour la croissance économique du pays et transformer tout cela en un actif pour les contribuables du Canada plutôt qu'en une obligation potentielle pour les épargnants et les contribuables.

La proposition mise de l'avant par la SADC consiste à réduire les primes pour les grandes institutions et à éliminer le versement de primes pour toute institution financière qui obtiendrait la note A à un questionnaire d'évaluation. Permettez-moi de vous dire qu'aucun souscripteur n'adopterait cette approche parce qu'on ne sait pas de quoi demain sera fait ni sur quoi seront basés les risques ou la mise en commun des réserves, et parce que ces réserves pourraient continuer de diminuer en raison d'actions passées.

Le projet de la SADC de réduire les primes sur la base de résultats et de vérifications passés est injustifié, pour deux raisons. Les institutions recherchent très activement de nouveaux domaines d'investissement tout en explorant la possibilité d'une expansion globale. Le rendement passé n'est pas un bon indicatif des résultats futurs ni une raison pour rechercher le risque.

Si des vérifications permettent de mettre à jour les lacunes ou les faiblesses des activités et des initiatives de la SADC ou des responsables de la réglementation au gouvernement, les politiques pour corriger ces lacunes devraient permettre de renforcer les institutions faibles et de réduire les risques d'ensemble pour les institutions et le consommateur. Ce résultat ne devrait pas être associé à un abaissement des primes à l'avenir, mais plutôt à une stabilisation du niveau des primes.

Grâce à l'assurance-dépôts, on partage le risque entre toutes les compagnies et l'appui financier des contribuables canadiens, par votre entremise en tant que technocrates.

Aux États-Unis, les dépôts sont protégés jusqu'à 100 000 $, niveau plus élevé qu'au Canada. La véritable différence entre les deux programmes est que les Américains n'ont pas été encouragés à épargner en vue de leur retraite dans la même mesure que les Canadiens l'ont été. Nous sommes reconnus pour cela à l'échelle internationale et nous devrions en être fiers.

Toutefois, nous devons également prendre des mesures afin que les consommateurs continuent de profiter de garanties et de politiques du gouvernement visant à les protéger contre les pertes résultant du dynamisme des dirigeants et des actionnaires des institutions financières. L'assurance-dépôts et les garanties devraient être deux ou trois fois plus élevées que ce qui est en vigueur aux États-Unis en raison de notre niveau d'épargne et parce que le type de nos épargnes est réparti de façon plus générale.

Le deuxième facteur est que les consommateurs ont un plus grand choix d'institutions pour leurs dépôts. Au Canada, nous envisageons un rétrécissement de ce marché.

La citation suivante est tirée de l'allocution de M. Sabourin à la conférence annuelle de la Federation of Canadian Independent Deposit Brokers, en septembre 1998:

    Le second thème de notre système de gestion du rendement est la gestion des risques que comporte l'assurance des dépôts. Avant de vous parler de l'initiative actuelle de la SADC dans ce domaine, j'aimerais aborder une question soulevée par certains critiques, qui se demandent si l'assurance-dépôts est toujours nécessaire. Certains observateurs sont sous l'impression que les institutions financières ne connaîtront pas de défaillance dans le futur et que, par conséquent, un système d'assurance-dépôts n'est pas requis. Permettez-moi de vous rappeler que bien des gens disaient que le Titanic était insubmersible et que l'économie et le secteur financier japonais étaient indestructibles.

    Selon des estimations conservatrices, le gouvernement japonais a jusqu'à maintenant injecté quelque 320 milliards de dollars canadiens dans le système bancaire du pays et certains observateurs de l'industrie croient que la crise japonaise paraîtra insignifiante par rapport à la crise que traversent les institutions d'épargne aux États-Unis.

• 1350

Il est vrai que le système financier du Canada est solide mais il ne faudrait pas faire preuve de complaisance. Comme l'a souvent répété un ancien président de la Federal Deposit Insurance Corporation des États-Unis, Mme Ricki Helfer, la faillite des institutions financières vient par vagues parce que la performance de l'industrie est intimement liée à la performance de l'économie. Mme Helfer se demande même s'il ne faudrait pas rien de moins qu'un engagement complet de la part du gouvernement fédéral pour bien protéger le système bancaire en période de crise. L'expérience acquise jusqu'à maintenant, y compris la crise actuelle au Japon, en Thaïlande, en Corée du Sud et les récents événements en Russie, va dans le sens contraire. Les images que nous avons tous vues de déposants russes faisant la queue à l'extérieur de banques pour retirer leurs économies sont une preuve claire de ce qui se produit lorsqu'il n'y a pas de système de garanties officiel.

Il est essentiel de préserver la confiance du public dans le système afin d'empêcher les consommateurs de se précipiter sur les banques quand les inquiétudes concernant une institution financière se propagent à d'autres institutions en bonne santé, par le phénomène de contagion. Qu'il suffise de se reporter aux expériences récentes en Amérique du Sud et en Asie pour bien comprendre ce qui peut se produire. De plus, une publication du Fonds monétaire international sur l'assurance-dépôts, parue en 1997, contient des données statistiques étonnantes: près des trois quarts des 183 pays membres ont dû faire face à une crise de leur système bancaire au cours des 15 dernières années. Nous sommes sur une mauvaise voie si nous choisissons d'ignorer les preuves de risque systémique qu'entraînerait un manque de confiance.

Bien que notre économie se porte très bien à l'heure actuelle, il serait naïf de supposer que nous bénéficions d'une immunité permanente face à une crise financière. De fait, la SADC a été créée en 1967 pour répondre à une situation de crise. Un article de journal suggérait qu'à moins de prendre des mesures pour rétablir la confiance du public, il y aurait de longues files d'attente de déposants cherchant à retirer leurs économies.

Comme les événements récents l'ont montré, les économies internationales sont tellement interreliées que même une économie forte peut ressentir les ondes de choc provenant des autres parties du monde. L'initiative de 1967 avait fait suite à l'échec de la Atlantic Acceptance au Canada.

La création de la SADC s'est avérée une solide initiative du gouvernement qui a permis d'assurer la sécurité de milliards de dollars pour les Canadiens et de les protéger en cas de fusions et d'acquisitions téméraires et de changements dans l'économie canadienne pouvant affecter les pratiques de prêts et les valeurs institutionnelles. La combinaison de ces facteurs a poussé à la faillite ou à la consolidation un certain nombre de banques et de compagnies de fiducie au cours des années 80. N'eut été de la SADC et de mesures fermes prises par le gouvernement, les consommateurs canadiens, les petites entreprises et les municipalités auraient perdu des milliards de dollars.

Avons-nous appris de l'expérience passée ou attendrons-nous comme nous l'avons fait la dernière fois lorsque la limite de protection des dépôts de la SADC a été portée de 20 000 $ à 60 000 $? À ce moment, cette limite avait été augmentée à titre rétroactif après la faillite de plusieurs institutions financières. Cette limite avait été accrue afin de protéger les consommateurs, les entreprises et plusieurs municipalités qui avaient des dépôts de plus de 20 000 $. Je crois aussi qu'une partie de la raison des augmentations est attribuable aux dépôts en gros que les grandes banques détenaient pour le compte de plus petites institutions financières, et qui dépassaient largement la limite de 20 000 $ de l'époque.

Le gouvernement a été obligé aussi de prêter à la SADC afin de financer des limites plus élevées. Par contre, aucune des institutions qui ont disparu n'a payé de primes pour les augmentations, ce qui a entraîné le déficit considérable qu'ont dû absorber les contribuables, et qui a été remboursé.

Le gouvernement doit s'affirmer pour protéger les consommateurs qui comptent sur la sécurité des garanties du gouvernement et sur la confiance que leur inspire le système bancaire. Les contribuables ne devraient pas être tenus d'absorber les pertes des institutions financières qui font faillite.

Je vous ai remis des exemplaires supplémentaires de mémoires et d'articles de journaux et j'ai indiqué que les citations de la SADC sont mal interprétées concernant la situation à long terme des banques. Celles-ci auraient dit que les dépôts continueraient d'être assurés si les banques fusionnaient et que la limite de 60 000 $ représentait de fait 120 000 $ parce que les deux banques continueraient d'assurer leurs dépôts respectifs. La chose est vraie jusqu'à l'échéance des dépôts, après quoi la limite de 60 000 $ s'appliquera.

• 1355

Aujourd'hui, nos banques peuvent compter sur deux, trois, cinq ou six compagnies différentes résultant de fusions ou d'acquisitions pour assurer les dépôts d'investisseurs avertis. Les caissiers des banques ne disent pas que cette possibilité existe. De plus, si on autorise les fusions bancaires, il pourrait bien se trouve quelqu'un, un jour, pour dire que cette infrastructure n'est plus nécessaire et pour envisager une consolidation de ces institutions.

Il y a d'autres articles qui traitent du fonds de couverture. J'en ai trouvé un aux États-Unis, il y a deux semaines, dans lequel ont dit que Bankers Trust a épongé des pertes de 488 millions de dollars. C'est la vulnérabilité de Wall Street. Avec les dérivatifs, etc., et l'entrée des banques dans un contexte global, celles-ci seront plus déterminées à prêter de l'argent et à gérer de grandes quantités d'argent, cette menace pourrait exister chez nous.

La ING Bank et plusieurs banques européennes se sont fait prendre avec ce fonds de couverture. De fait, on ne sait pas très bien à l'heure actuelle si Bankers Trust survivra, qui la rachètera ou qui l'absorbera. La même chose peut se produire chez nous, au Canada, et je crois que la préoccupation principale en tant que consommateurs et utilisateurs de ces services devrait être la sécurité de nos dépôts, de notre argent et de nos fonds de retraite.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Rice.

Nous passons maintenant à une période d'échange de cinq minutes avec la FCEI, en commençant par M. Riis.

M. Nelson Riis: D'accord. Merci beaucoup. Par conséquent, je changerai un peu l'approche de mes questions.

Madame Swift, je vous remercie de votre exposé et de vos documents d'information que nous aurons la chance de mieux absorber plus tard au cours de la journée.

Vos observations sur les ventes liées ont attiré mon attention parce qu'elles venaient compléter l'intervention du premier orateur—pourquoi le secteur de l'assurance est-il particulièrement préoccupé et si tout cela est lié ou qu'il y a une forme de coercition quelconque. La question a été soulevée plus tôt aujourd'hui, avant votre arrivée, quant à savoir si cela constitue véritablement un problème. L'ancien secrétaire d'État aux Finances, M. Peters, a indiqué que personne ne l'avait approché pendant son mandat pour lui dire que les ventes liées constituaient un problème. Vous dites que pour vos membres il s'agit d'un grave problème. Pourriez-vous élaborer sur cette question, je vous prie?

Mme Catherine Swift: Oui, avec plaisir. Nous cherchons aussi à produire certaines données sur la question, soit dit en passant, et que nous devrions être en mesure de vous fournir quelque chose d'un peu plus tangible.

Je ne sais si je pourrais dire que le problème est plus grave pour une entreprise, mais je crois qu'il est probablement tout aussi sérieux qu'il l'est pour le client d'une banque. Plus il y a de secteurs où les banques s'établissent, plus il semble y avoir de cas de ventes liées.

Récemment, un de nos membres a communiqué avec moi, mais comme c'est toujours le cas, il a refusé de se nommer pour des raisons évidentes, parce qu'il craignait de compromettre ses rapports avec la banque. Cette personne m'a fait parvenir certaines lettres de la banque qui, selon moi, ont un caractère juridique douteux et qui exigeaient le maintien de REER, etc., pour garantir une ligne de crédit.

M. Nelson Riis: Je suis heureux d'entendre votre anecdote, mais vous avez dit que vous auriez des données plus concrètes, et cela nous sera très utile.

Mme Catherine Swift: Oui. Nous essayons de mesurer l'ampleur de la situation parce que nous en entendons parler depuis longtemps. J'ai vu des chiffres de 15 à 20 p. 100, et ils n'étaient pas anormaux. Le problème est qu'il n'y a pas moyen de retracer les faits. Le petit nombre de plaintes pose problème. Bien sûr, nos membres nous disent qu'ils veulent garder l'anonymat face aux banques et à Revenu Canada.

M. Nelson Riis: Merci. J'attends de recevoir ces données. Surtout avec 90 000 membres, ces chiffres seront très utiles.

Votre figure 4 est un commentaire sur les divers services que vos membres reçoivent des banques. Cela viendrait-il confirmer ce que vous avez dit plus tôt, que s'il y avait un niveau d'assurance plus élevé cela pourrait engendrer quelque chose qui se rapprocherait de la vente liée ou de la vente coercitive?

Mme Catherine Swift: Assurément, ce serait là une tentation très forte.

M. Nelson Riis: Ma dernière question est de nature plus générale, madame Swift. Qui sont vos 90 000 membres? De toute évidence, les gens se joignent à votre organisme. Mais plusieurs ne le font pas. Il y en a 90 000. Pouvez-vous aider notre comité à comprendre qui se joint à la FCEI par rapport à ceux qui ne le font pas?

• 1400

Mme Catherine Swift: Avec plaisir. Nous avons compilé des données assez poussées sur nos membres. Je pourrais aussi noter au passage que le secteur de la petite entreprise est un secteur intéressant. Il est assez changeant. Ce n'est pas comme un CCCE qui compte toujours le même nombre de membres depuis 30 ans environ. Il s'agit d'un secteur dynamique en pleine évolution.

Notre organisme fait partie du comité directeur de la plus grande organisation internationale de la petite entreprise au monde—près de 70 pays en font partie—et, chose intéressante, la fédération affiche le taux de pénétration de marché le plus élevé par rapport à toute organisation similaire. Vous avez donc raison de dire que des petites entreprises se joignent à notre organisation, et il y a une foule de raisons à cela. En partie, je crois que dans plusieurs pays, notamment en Europe et en Amérique du Sud, le gouvernement exige que les entreprises adhèrent à certaines organisations. Malheureusement, ces organisations n'ont pas tendance à faire du lobbying très actif auprès des gouvernements. Pourquoi le feraient-elles, puisqu'en vertu de la loi, des cotisations doivent être versées?

En tout état de cause, nous suivons régulièrement dans quelle mesure nos membres représentent le milieu des petites entreprises.

M. Nelson Riis: Permettez-moi de reformuler ma question, qui ne contient aucun piège.

Mme Catherine Swift: Non, c'est ce que je constate.

M. Nelson Riis: Laissez-moi voir... Dans ma collectivité de Kamloops, je sais qu'il y a plusieurs membres actifs et d'autres qui ne sont pas intéressés ou qui ne sont pas actifs du tout. Par curiosité, qui s'intéresse à votre organisation?

Mme Catherine Swift: Le regroupement se fait sur la base de tous les critères standard: taille de l'entreprise, le secteur, la région, manifestement, et le sexe du propriétaire. Il suffit de prendre la CTI à trois chiffres pour trouver nos membres. Quant à savoir comment tout cela se compare à l'ensemble de la collectivité de la petite entreprise, je dirais que la comparaison est raisonnable. Dans l'ensemble, nos membres sont en moyenne un peu plus âgés, sont en affaires depuis plus longtemps, et cela n'a rien de surprenant. Je croirais que les gens attendront d'avoir été en affaires pendant deux à trois ans avant de songer à se joindre à une organisation.

Nous constatons aussi que les leaders de la collectivité qui se joignent à notre organisation sont peut-être plus sensibles aux questions de politique. Nous savons aussi de nos membres les plus anciens sont relativement actifs dans d'autres secteurs de la collectivité et je crois que cela constitue aussi une forme de critère. Ils s'intéressent aux problèmes et, par conséquent, ils ont tendance à participer à un certain nombre d'activités, l'une d'elles étant notre organisme.

De façon générale, je ne crois pas qu'ils aient tendance à mal représenter l'ensemble de la collectivité de la petite entreprise, comme nous le constatons lors de sondages sur une question qui n'est pas exclusivement un problème social—le magasinage le dimanche pourrait en être un bon exemple, question qui a suscité la controverse il y a quelques années et qui, selon certains, suscite toujours la controverse. Nous avons constaté, en sondant nos membres, que les résultats étaient semblables, mais très très semblables à ceux des sondages d'opinion publique. Je crois donc qu'ils sont un bon reflet de la société. S'il s'agit d'une question d'affaires exclusivement, la réponse sera plus axée sur les affaires et cela n'est guère surprenant.

M. Nelson Riis: Merci.

Merci, monsieur le président.

Le président: J'ai une question de suivi relativement à la figure 5, à la page 7 de votre mémoire, «SME reliance on alternative financial institutions». Actuellement, 60 p. 100 connaissent Wells Fargo. Depuis combien de temps Wells Fargo est- elle au Canada?

Mme Catherine Swift: Depuis combien longtemps? Activement, je dirais depuis un peu plus d'un an. Je crois que la société a bénéficié d'une solide couverture de presse comparativement à d'autres intervenants.

Le président: Relativement parlant, la société représente environ 0,7 p. 100, de sorte qu'elle n'a pas été véritablement en mesure de pénétrer le marché.

Mme Catherine Swift: Pour ce qui est de la pénétration du marché, non. Mais les gens semblent savoir que l'entreprise existe. Je le répète, cette entreprise dessert un créneau très étroit. Leur produit vise une clientèle très particulière du marché. Par conséquent, nous ne nous attendrions jamais à ce qu'ils desservent plus de quelques points de pourcentage de la clientèle. Ce serait probablement un maximum.

Le président: D'accord. Ce que vous dites c'est qu'ils n'iront jamais au-delà des 2 ou 3 p. 100.

Mme Catherine Swift: Dans le marché que représentent les petites entreprises, je ne le penserais pas.

Oui, Brian.

M. Brian Gray (vice-président principal, Politiques et affaires provinciales, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante): Il est important de bien comprendre ce que montre ce tableau. Nous essayions en fait de savoir si... Les grandes banques à charte affirment que le ciel va leur tomber sur la tête. D'après elles, les nouveaux arrivants leur font une concurrence effrénée qu'elles ne peuvent soutenir. Il nous a donc paru très important de demander à nos membres ce qu'ils savaient de ces nouveaux arrivants et s'ils utilisaient leurs services.

Ces chiffres démontrent assez clairement que ces nouvelles institutions financières jouent un rôle tout à fait minime dans ce domaine, tout au moins pour ce qui est des entreprises que nous représentons. Lorsqu'il arrive qu'un de nos membres aie recours aux services d'une de ces institutions, c'est pour obtenir un produit unique dans une fin bien précise. Ces membres ne vont pas s'adresser à Newcourt Credit, par exemple, pour obtenir des services financiers du genre que leur fournissent habituellement les autres banques. Il faut, je crois, comprendre que ces institutions offrent certains produits intéressants, il faut le reconnaître, mais qu'elles n'offrent pas tous les services bancaires dont ont besoin nos membres.

• 1405

Le président: Pour moi, il est important de noter que Wells Fargo est possédée à 60 p. 100. Je suis d'accord avec Mme Swift.

M. Brian Gray: Cela vient sans doute du fait que lorsque Wells Fargo est arrivée au Canada, les banques à charte ont vivement réagi et se sont plaints du fait que cette banque leur faisait une concurrence déloyale. C'est elles, et non Wells Fargo, qui ont attiré l'attention de la population là-dessus. Les produits de Wells Fargo ont ainsi bénéficié gratuitement d'une excellente campagne publicitaire. C'est grâce à cette campagne que vous en avez entendu parler, que votre comité en a entendu parler, que le comité de l'industrie en a entendu parler et que nous en avons tous entendu parler.

Nous avons mentionné cela à nos membres parce qu'il s'agissait d'un produit nouveau et concurrentiel. Cela a eu un effet bénéfique puisque la Banque Royale, par exemple, placée devant l'initiative qu'avait prise Wells Fargo, a décidé d'offrir au public canadien un produit pratiquement identique.

Le président: Vous affirmez donc que ces nouveaux arrivants n'arriveront pas à prendre une part importante du marché.

M. Brian Gray: Nous pensons qu'effectivement ces nouveaux arrivants ne comptent pratiquement pas à l'heure actuelle et qu'ils ne seront pas des acteurs importants dans un avenir proche.

Le président: Qu'entendez-vous par «dans un avenir proche»?

M. Brian Gray: Lorsque je parle d'avenir proche, je veux dire dans cinq à dix ans. Je ne pense pas que ces institutions vont acquérir une part importante du marché des petites entreprises. Évidemment, la situation pourrait être très différente dans les grands centres urbains. Nous représentons des entreprises qui sont situées dans toutes les localités du pays, des entreprises de taille très variées, de secteurs très variés, et ces entrepreneurs ne sont pas en contact quotidien avec ces institutions.

Mme Catherine Swift: Il y a aussi le fait que ce n'est pas un véritable produit. Wells Fargo offre un crédit très cher à des entreprises qui ont un profil particulier. Ce n'est pas du tout ce que recherchent les petites entreprises, et je doute qu'elles recherchent jamais ce genre de services.

Cela dit, la prolifération de produits dont chacun pourrait intéresser 3 ou 4 p. 100 du marché est une bonne chose, comme l'a dit Brian, parce que cela incite les autres institutions financières à offrir des produits comparables. Ce produit n'existait pas au Canada avant que Wells Fargo n'arrive. Il y a aujourd'hui un certain nombre d'institutions canadiennes qui offrent un produit comparable. Cela représente donc une nouveauté intéressante qui vient élargir la gamme des produits offerts.

Le président: Lorsque vous parlez de l'avenir, et c'est de cela dont il s'agit ici, vous parlez de cinq à dix ans. Est-ce d'après vous la période à retenir? Pensez-vous au secteur des services financiers en terme de générations ou plutôt en terme de l'horizon 2010? Quelle est votre perspective?

M. Brian Gray: Lorsque nous avons comparu devant le Sénat hier, on nous a demandé comment nous voyions l'avenir du secteur des services financiers. Nous nous intéressons principalement aux services bancaires offerts aux petites et moyennes entreprises.

Pour examiner l'avenir, il faut faire un certain nombre d'hypothèses. Nous nous sommes basés sur l'hypothèse d'après laquelle la réforme des institutions financières, pour ce qui est des services bancaires, va être axée sur le principe que la concurrence est une bonne chose pour l'économie et pour le commerce, c'est-à-dire sur le principe qui a été retenu en Australie et auquel notre fédération est attachée. Il faut toutefois tenir compte de la structure du marché canadien. Il y a notamment le fait qu'il y a dans ce marché des joueurs importants qui sont bien établis et très présents.

Si l'on veut que des institutions concurrentes aient vraiment la possibilité de s'établir au Canada et d'offrir toute la gamme des services financiers de façon rentable et durable, et non pas uniquement quelques produits, il faudra remettre à plus tard les fusions proposées. Il faudra plutôt laisser aux institutions concurrentes le temps de prendre pied sur le marché.

Même avec un tel scénario, il paraît presque certain que les cinq grandes banques à charte vont continuer à occuper une position très dominante. Elles sont présentes sur le marché, elles ont un nom, une clientèle qui ne souhaite pas changer de fournisseur ou qui ne peut le faire. Elles ont mis sur pied des systèmes et des structures de coût. Elles ont une présence considérable sur le marché.

Les nouveaux concurrents vont avoir... Nous parlons du point de vue du crédit aux petites entreprises, un service qui, selon les banques, exige des aptitudes très particulières qu'elles ont mis plus de 30 ans à mettre au point et à raffiner. Nous n'espérons pas vraiment qu'en autorisant la venue de nouveaux concurrents la situation change du jour au lendemain. Nous allons obtenir un style de banque communautaire américaine ou les caisses de crédit vont assurer la relève.

• 1410

L'Ontario, par exemple, est dominé... Avec la fusion proposée, il y aurait deux mégabanques qui desserviraient plus de 70 p. 100 du marché ontarien. À l'ouest de Toronto, ce pourcentage serait encore plus élevé.

Je vous demande donc, sachant que le mouvement des caisses de crédit est pratiquement inexistant en Ontario, à qui d'autres les entreprises peuvent-elles s'adresser pour obtenir des services bancaires commerciaux? Où est le deuxième niveau? Qui va assurer la relève? Qui va combler la brèche? Voilà ce qui nous préoccupe. Nous allons devoir prendre le temps de créer un espace concurrentiel avant de laisser entrer de nouveaux arrivants. Il ne faut pas autoriser les fusions avant d'avoir créé cet espace.

Mme Catherine Swift: Pour compléter, lorsque l'on parle d'échéancier, il faut tenir compte du fait que les choses évoluent rapidement dans ce secteur, comme d'ailleurs dans la plupart des secteurs, et qu'il est donc pratiquement impossible de prédire ce qui se passera au-delà de cinq ou dix ans. Il faudra donc se pencher à nouveau sur ces questions dans cinq ans.

Le président: Madame Bennett.

Mme Carolyn Bennett: M. Riis a presque posé la question que je voulais poser au sujet de la vente liée. C'est très intéressant. De nombreux cas de ce genre nous ont été signalés dans nos circonscriptions. Nous en connaissons même probablement personnellement. Ce chiffre de 16 p. 100 est peut-être en fait un peu faible parce que cela se fait de façon indirecte. Hier encore, nous demandions aux représentants de fonds communs de placement s'ils avaient constaté que certaines personnes avaient éprouvé des difficultés à obtenir un prêt pour un REER lorsqu'elles n'achetaient pas ce produit dans l'établissement prêteur.

Lorsque je regarde le tableau 4, comme l'a fait M. Riis, j'aimerais savoir si certaines données figurant dans le tableau 4 reflètent des formes de vente liée. Ils ne vont pas faire de gros bénéfices sur les prêts aux petites entreprises mais avec tout le reste, cela pourrait les intéresser.

Je me demande comment vous pourriez formuler pour vos membres la question au sujet de la vente liée. Lorsque vous ferez votre prochaine enquête, pourriez-vous essayer d'être plus précis? Le comité aimerait beaucoup savoir si les gens à qui l'on demandait s'ils voulaient acheter de l'assurance-vie ont senti qu'on avait exercé sur eux, directement ou non, des pressions pour qu'ils le fassent à cause de la position de force dans laquelle se trouvent les banques. Ils se contentent de signer au lieu de demander s'ils peuvent se renseigner ailleurs. Il est rare que les gens disent qu'ils veulent attendre pour pouvoir en parler à leur courtier d'assurance. Je ne pense pas que les gens agissent de cette façon mais MacKay affirme pourtant qu'il y en a 16 p. 100.

J'avais d'autres questions. Je voulais savoir ce que vos membres pensaient du nouveau bureau de l'ombudsman des banques. MacKay affirme que ce poste devrait être créé par une loi. Je crois que, si l'on adopte une loi sur ce sujet, les gens risquent de penser qu'ils vont avoir besoin d'avocats et que cela va leur coûter très cher.

Ma dernière question porte sur le témoignage des représentants d'Interac qui sont venus vendredi dernier. Lorsque nous leur avons demandé s'ils seraient prêts, en cas de besoin, à accepter des dépôts ou à offrir certains services aux petites entreprises, ils ont répondu qu'ils allaient voir si cela pouvait s'intégrer à leur projet d'entreprise, ce qui m'a inquiété, si l'on pense au monopole qu'ils exercent. J'aimerais savoir ce que vos membres penseraient de la décision d'Interac d'accepter les dépôts en intégrant cette activité à son projet d'entreprise et si cela intéresserait vos membres.

Mme Catherine Swift: Je vais uniquement parler de la vente forcée. La difficulté que pose cette notion est qu'il est impossible de formuler parfaitement une telle question parce qu'il s'agit d'une perception. Les banquiers ont réussi jusqu'ici à s'en tirer parce qu'il est très difficile de faire la différence entre la vente liée et la vente de produits connexes.

Je ne pense pas que nous puissions répondre tout à fait à votre question mais vous avez raison lorsque vous dites qu'on exerce bien souvent des pressions indirectes. Cela est très difficile à quantifier. Le mieux que l'on puisse faire est de demander à la personne interrogée si elle a senti qu'on exerçait des pressions sur elle.

Lorsque vous avez posé cette question, cela m'a fait penser à un autre aspect de nos données qui pourrait être intéressant. Nous sommes tout à fait en mesure de répartir nos membres entre ceux qui ont obtenu des prêts et ceux qui n'en ont pas. Cela nous donnerait une indication du levier que peuvent exercer les banques. Nous savons que, pour les frais de service, il est évident que le membre qui a... Tous nos membres utilisent les banques pour les chèques et ils ont besoin d'un intermédiaire mais pour ceux, et ils représentent environ la moitié de nos membres, c'est donc un pourcentage important, qui n'ont pas besoin de l'institution et qui pourraient en changer sans difficulté... Je ne devrais pas dire qu'ils pourraient en changer sans difficulté, parce que cela n'est jamais facile. Mais vous comprenez ce que je veux dire. Ces entreprises ne doivent pas d'argent à la banque. Elles demandent constamment des réductions sur les frais de service et elles réussissent souvent à obtenir un traitement préférentiel.

• 1415

Ce qui est regrettable dans ce genre de situation, du point de vue de l'intérêt public, c'est que ce sont toujours les entreprises les plus vulnérables, les plus jeunes, les plus nouvelles, les plus petites, celles que l'on voudrait aider à survivre et à se développer qui doivent payer des frais plus élevés pour tous les services. Cela peut se justifier dans le cas des taux d'intérêt parce que ces entreprises représentent un risque plus élevé. Cela est donc justifiable dans ce cas. Par contre, cela me paraît difficile à justifier pour les frais de services. La banque offre le même service aux différentes entreprises. Lorsque cela n'est pas justifié, cela revient à rendre encore plus vulnérable des entreprises qui sont déjà vulnérables au départ. C'est un problème que nous rencontrons fréquemment dans ce domaine.

M. Brian Gray: Pour en revenir à l'ombudsman des banques, le bureau de l'ombudsman a été créé au début des années 90 parce que le système répondait très mal aux besoins des particuliers et des petites entreprises; à l'époque, on avait pensé à deux choses: l'adoption d'un code de déontologie et la création d'un ombudsman.

On a pensé à un code de déontologie pour que la personne qui se voit refuser un prêt commercial puisse savoir pourquoi elle ne l'a pas obtenu et comment elle pourrait améliorer la présentation de sa demande la prochaine fois. Cela me paraît constituer une bonne pratique commerciale pour la banque et il ne devrait pas être nécessaire de l'obliger à le faire par le biais d'un code. Le code qui a été adopté prévoit ce genre de chose.

Une deuxième façon d'inciter les banques à adopter de bonnes pratiques a été la création d'un ombudsman des banques. Cette initiative a découlé du rapport du comité Berger qui a noté qu'il existait, au Royaume-Uni, par exemple, une institution nationale de ce genre.

C'est à peu près à la même époque que le comité de travail sur les petites entreprises, que j'ai eu le privilège de coprésider avec Phil O'Brien, a examiné cette question, entre autres. En fait, les ministres Martin et Manley nous ont demandé si nous pensions que ce poste devait être créé par le gouvernement ou s'il fallait plutôt confier aux institutions financières le soin de le créer, en lui conférant un statut indépendant, et de s'autoréglementer. Bien entendu, lorsqu'on vient du secteur privé, il faut croire en l'efficacité de l'autoréglementation et nous leur avons répondu qu'il ne nous paraissait pas nécessaire de créer un autre organisme gouvernemental et une autre bureaucratie, et nous avons donc recommandé d'essayer, dans un premier temps, de confier cette tâche au secteur privé.

Pour ce qui est de l'expérience que nos membres ont eue avec cet organisme, le principal problème que pose ce bureau de l'ombudsman est qu'il n'est pas possible de déposer une plainte à ce bureau au sujet du problème essentiel, celui de l'accès au crédit et des problèmes de crédit. Le fait de ne pas pouvoir déposer de plainte au sujet des questions reliées au crédit sape la crédibilité de l'institution, parce que c'est le principal problème que connaissent nos membres.

Le deuxième aspect est la crainte de représailles. Comme Catherine l'a mentionné il y a un instant, pour un entrepreneur, Revenu Canada et les banques sont des institutions puissantes qui peuvent à un moment donné réagir si l'on fait trop de bruit. C'est pourquoi la plupart des entrepreneurs hésitent à encourir les foudres du directeur des comptes ou du système officiel. En fait, nous leur avons demandé en 1977 comment fonctionnait le bureau de l'ombudsman. Neuf pour cent des répondants ont déclaré qu'ils ne l'utilisaient pas parce que cela mettrait en danger leurs relations d'affaires avec les banques et 18 p. 100 ont déclaré que cela ne valait pas la peine. Les autres avaient parfois eu recours à cet organisme avec des résultats variables.

M. Garth Whyte (vice-président, Affaires nationales, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante): En adoptant une loi, cela alourdit le processus. Nous avons constaté que, dans d'autres domaines, que ce soit celui de l'ALENA, des entraves au commerce international ou de Revenu Canada, plus l'organisme est puissant et plus les entreprises hésitent à le saisir. Cela coûte trop cher, cela prend trop de temps et cela ne vaut pas la peine. Votre remarque est donc très juste.

M. Brian Gray: Je suis désolé de vous interrompre mais si l'on réussissait à faire savoir aux intéressés qu'il y avait effectivement des cas où cela avait donné de bons résultats, l'organisme gagnerait en crédibilité et obtiendrait le crédit qui lui revient, et cela rendrait son action plus efficace. Mais à l'heure actuelle, il n'a guère de crédibilité, d'après moi.

Mme Catherine Swift: Cela touche un aspect plus large, qui est abordé dans notre mémoire, mais dont nous n'avons pas encore parlé, à savoir que les banques ne sont pas des entreprises comme les autres. Le secteur financier ne ressemble pas aux autres secteurs. Certains témoins ont mentionné aujourd'hui que les banques occupent une position privilégiée et ce n'est pas parce qu'elles sont particulièrement dynamiques mais plutôt parce qu'elles ont bénéficié d'un cadre législatif favorable. On leur a permis de monopoliser de nombreux aspects de ce secteur.

• 1420

Il y a donc un grand malentendu ici et cela soulève une grave question d'intérêt général. Ce genre d'attitude qui amène ces institutions à se demander si cette initiative est conforme à leur projet d'entreprise ou pas, reflète un problème de communication parce que c'est une façon bien détachée et bien insensible d'examiner la situation et une façon qui est, d'après nous, ni justifiée, ni exacte.

Mme Carolyn Bennett: Elles pensent peut-être que nous n'allons plus utiliser d'argent en espèces et qu'elles ne devraient donc pas avoir à accepter des dépôts.

La question que je vous pose est la suivante, les petites entreprises sont-elles encore capables de faire preuve d'initiative? Avec le commerce électronique, ne devraient-elles pas avoir recours à des services de messagerie assurés pour vider la caisse le soir? Pourquoi n'a-t-on pas trouvé de solutions créatrices pour ce qui est du marché de la vente au détail, alors qu'il y a tant de succursales qui ferment, que notre caucus rural réagit très vivement au fait que les gens doivent faire une heure de route pour se rendre à la banque et qu'ils font ensuite leurs achats dans cette ville?

M. Brian Gray: Nous aimons nous baser sur des faits. Nous avons tous entendu différentes anecdotes. Un de nos membres s'est élevé contre le fait que, pendant la tempête de glace qu'on a connue ici à Ottawa il y a un an, toutes les banques ont fermé dès l'apparition du premier flocon de neige. Ce dépanneur était doté d'un système de paiement direct et il avait aussi les chandelles et les choses que les gens recherchaient. Pendant plusieurs jours, aucune banque n'était ouverte et ce dépanneur s'est transformé en banque. Il fournissait les chandelles mais aussi l'argent. Mais où pensez-vous que le propriétaire de ce dépanneur a pu obtenir de l'argent? Il a dû prendre l'argent dans ses poches. Quand il n'a plus eu d'argent, les clients se sont mis en colère contre lui parce qu'il n'était pas un bon banquier. C'est un système bien inéquitable et l'on demande beaucoup aux petits entrepreneurs.

Mme Catherine Swift: Et nous prévoyons que cela va s'aggraver. Lorsqu'une banque va fermer, vous allez voir que les gens vont vouloir faire des retraits en espèces dans les magasins.

On a beau dire qu'il n'y aura plus de papier dans nos bureaux dans les années 90 et qu'on n'utilisera plus l'argent comptant dans notre société. Je ne suis pas sûre que nous connaîtrons cela de notre vivant.

Le président: Sophia Leung et M. Cullen vont poser les dernières questions adressées à la FCEI.

Mme Sophia Leung: Merci, monsieur le président.

Votre tableau 3 m'intéresse. Vous mentionnez que le mouvement des caisses de crédit se développe rapidement au Manitoba. Je me demande si vous avez des renseignements sur la Colombie- Britannique. Je suis certaine qu'il y a une corrélation avec la mosaïque démographique, la composition des usagers. Pensez-vous que la situation a changé depuis l'arrivée de la Banque de Honkong et son rachat de la Bank of B.C.?

Mme Catherine Swift: Il est difficile de faire des généralisations au sujet des caisses de crédit et des autres institutions financières parce qu'elles ne s'intéressent pas aux mêmes secteurs du marché. La Colombie-Britannique est un bon exemple parce que le mouvement des caisses de crédit est actif dans cette province et que la Banque de Honkong, en particulier, s'est intéressée davantage que les autres institutions financières au marché de la petite entreprise.

Mme Sophia Leung: Alors qui utilise les caisses de crédit?

M. Brian Gray: Habituellement, ce sont les petites entreprises qui utilisent les services des caisses de crédit et les prêts qu'accordent ces dernières ressemblent davantage à des prêts personnels qu'à des prêts commerciaux. Ces utilisateurs ont fréquemment une hypothèque avec ce genre d'institution.

Nous avons constaté au Québec, par exemple, qui est la province où la concurrence est la plus vive à cause du Mouvement des Caisses Desjardins qui possèdent des actifs considérables et de la Banque Nationale qui est en fait une banque régionale, c'est que le niveau de satisfaction envers l'ensemble des institutions financières y était beaucoup plus élevé et que les deux institutions que je viens de mentionner arrivaient au premier et au second rang.

Nos données indiquent également que, lorsque les entreprises se développent et atteignent une taille plus importante, elles sont amenées à s'adresser aux banques traditionnelles parce que les caisses de crédit n'ont pas les moyens de leur offrir tous les services bancaires. Par exemple, pour les services de gestion de trésorerie, les devises étrangères et pour les transactions commerciales plus complexes, ces entreprises ont tendance à délaisser les caisses de crédit pour s'adresser aux banques traditionnelles.

J'ajouterais, au sujet de la Banque Hongkong du Canada, que c'est un cas pratiquement unique en Colombie-Britannique dans le sens que cette banque a acheté une entreprise qui était bien établie, ce qui lui a permis de faire rapidement concurrence aux autres institutions, ce que les nouveaux arrivants ont souvent du mal à faire. Le réseau de distribution est l'élément essentiel des services offerts aux petites entreprises.

Mme Sophia Leung: Elle est très compétitive.

M. Brian Gray: Oui, elle l'est, et nos chiffres le confirment.

Mme Sophia Leung: Elle s'est beaucoup développée.

Est-ce que les caisses de crédit aident davantage les personnes pauvres et défavorisées? Pouvez-vous constater l'existence d'un tel rapport?

• 1425

Mme Catherine Swift: Il serait peut-être préférable de poser cette question à d'autres témoins mais du point de vue de la petite entreprise, les caisses de crédit sont davantage axées sur la collectivité... Nous avons eu de nombreuses discussions avec des représentants des caisses de crédit au cours de cette étude. Ils reconnaissent sans difficulté que c'est un de leurs atouts parce qu'ils ne peuvent offrir les mêmes services. Il leur faut offrir quelque chose de plus. Ces caisses ont l'avantage d'être en prise directe sur la collectivité, et c'est comme cela qu'elles attirent leurs clients.

M. Brian Gray: Et la stabilité des directeurs de comptes.

Mme Catherine Swift: Oui, les directeurs de comptes sont plus proches de leurs clients, c'est très juste, Brian, parce qu'ils ne sont pas mutés aux quatre coins du pays.

Le président: Merci, madame Leung.

Monsieur Cullen.

M. Roy Cullen: Merci.

Mme Swift, MM. Gray et Whyte, vous avez un avion à prendre, je crois, et je dois retourner à la Chambre des communes mais j'aimerais vous féliciter pour la qualité de vos documents.

J'aimerais parler du tableau 1 de votre mémoire, qui concerne les difficultés que les PME déclarent avoir eu en matière d'accès au crédit. Les chiffres atteignent 37 ou 38 p. 100 et les derniers se situent autour de 32 p. 100. Les banques nous montrent des tableaux d'après lesquels le taux d'approbation des prêts est d'environ 85 p. 100. Je n'ai pas ces chiffres avec moi mais cela a attiré mon attention. Elles demandent ce qu'elles pourraient faire d'autre. Leur taux d'approbation des prêts aux petites entreprises et des prêts commerciaux en général est très élevé. Comment expliquez-vous cet écart?

Mme Catherine Swift: En fait, il est intéressant de constater que nos données indiquent que, lorsque nous posons aux banquiers les mêmes questions, nous obtenons à peu près les mêmes réponses, ce qui n'est pas choquant; cela est normal. Il faut toutefois tenir compte du fait que, pour apprécier le pourcentage d'approbation ou le pourcentage des refus, je crois que les banques parlent surtout des pourcentages d'approbation, il y a beaucoup d'entreprises qui ne figurent même pas dans cette base de données parce que les banquiers n'enregistrent ces données que pour les entreprises qui réussissent à franchir les premières étapes du processus. Il y a un nombre très élevé de demandes, vous savez ce dont je parle, qui ne figurent même pas dans ces données. Je n'ai rien contre ces chiffres, ils ne sont pas faux mais il faut tenir compte du contexte. C'est pourquoi nous nous interrogeons au sujet de ces chiffres.

M. Brian Gray: Nous les trouvons également très inquiétants. Ne nous basons pas sur la fin de la récession, sur l'année 1994. Basons-nous sur une période comparable du cycle économique, la fin des années 80. Comme vous pouvez le constater, le niveau d'inquiétude actuel est presque le double de ce qu'il était à cette époque. Cela fait maintenant six ou sept ans que la récession est terminée et ce n'est qu'aujourd'hui que le montant des prêts se rapproche du niveau qu'il avait atteint avant la récession. De notre point de vue, cela est carrément inexcusable. Cela explique peut-être aussi pourquoi la création d'emploi n'est pas ce qu'elle devrait être. Elle n'a pas atteint les niveaux que nous espérions.

M. Roy Cullen: Merci.

Le président: Merci, M. Cullen.

J'aimerais remercier les représentants de l'ACEI pour leur témoignage. Je crois comprendre que vous devez partir.

Mme Catherine Swift: Oui, merci beaucoup.

Le président: Nous apprécions votre participation. Merci.

Madame Bennett.

Mme Carolyn Bennett: J'aimerais poser une question à M. Ernst. Lorsque l'on parle des pauvres, ce qui m'inquiète ce sont les services d'encaissement de chèques. Que savez-vous de cet aspect? Pensez-vous que ce soit un genre de service financier qu'il conviendrait d'examiner? Il y a des gens que je connais, en particulier les personnes pauvres qui se déplacent en fauteuil roulant, et ce qui m'inquiète... Il leur est souvent impossible de s'y rendre en chaise roulante, alors elles donnent leur chèque à quelqu'un pour qu'il l'encaisse en leur nom et cette personne part avec le chèque. Pourrions-nous faire quelque chose, pour ce qui est des taux usuraires? Que fait-on dans ce domaine pour les personnes les plus démunies?

M. Richard Ernst: Je ne connais pas bien les services d'encaissement de chèques mais je connais un peu mieux certains modèles étrangers. Il semble effectivement que certains de ces modèles offrent la possibilité de mettre fin à ces pratiques usuraires. Dans certaines régions...

Mme Carolyn Bennett: Si les banques laissaient ces personnes déposer de l'argent et les autorisaient à le retirer sans leur accorder de crédit, pensez-vous que ces autres commerces seraient obligés de cesser leurs activités? Comprenez-vous ce que je veux dire?

• 1430

M. Richard Ernst: Il faut trouver le moyen de donner à ces personnes un accès au crédit en tenant compte de leurs ressources et de leur donner également les outils dont elles ont besoin pour améliorer leur situation. À la suite du sommet sur le microcrédit, on a élaboré et mis en oeuvre des pratiques adaptées à cette catégorie de personnes. C'est un domaine en évolution. Certains modèles comprennent un groupe de pairs qui est chargé d'évaluer un projet d'entreprise présenté par un groupe ou un particulier.

Mme Carolyn Bennett: Comme Calmeadow.

M. Richard Ernst: Comme Calmeadow et il existe d'autres modèles de crédit comme Women and Rural Economic Development. C'est un domaine en pleine évolution.

Je ne sais pas très bien quelles pourraient être les répercussions de ces nouveaux modèles sur les services d'encaissement de chèques, mais il demeure que ces programmes de microcrédit, lorsqu'ils sont bien conçus et adaptés, évitent à ces personnes d'avoir à emprunter à des taux usuraires. Dans certains pays, les gens empruntent aux personnes à qui ils vendent leurs produits. Cela réduit d'autant pour eux la possibilité de retirer un profit raisonnable de leur travail. Mais si elles avaient accès à un crédit à des taux d'intérêt raisonnables, et à des structures de soutien conçues pour faciliter l'exécution de leur projet d'entreprise et pour les aider à rembourser leurs prêts consentis à des taux incroyables, des taux de 98 p. 100 qui sont devenus chose normale dans certains programmes de microprêts de certains pays...

Mme Carolyn Bennett: Je devrais peut-être adresser ma question aux représentantes du CCA, pour dire qu'il y a des gens qui aimeraient bien avoir accès au crédit. Ils ne peuvent même pas ouvrir un compte bancaire et alors... Vous avez félicité l'ABC au sujet des pièces d'identité que l'on demande pour ouvrir un compte bancaire. Qu'est-ce qui vous préoccupait?

Mme Sandra Carnegie-Douglas: Oui, ce sont là des choses préoccupantes mais nous parlions des règles particulièrement strictes que l'on applique à quelqu'un, disons à une femme de couleur ou à une femme qui veut démarrer une entreprise, et qui n'a pratiquement jamais emprunté auparavant. Les chances qu'une telle femme obtiennent un prêt sont extrêmement faibles. Il va falloir qu'elle trouve un homme ou un membre de sa famille qui soit prêt à la cautionner.

Nous disons que les banques devraient trouver de nouvelles façons de faciliter l'accès au crédit. Ce dont vous parlez, je suis désolé mais je ne me souviens pas de votre nom, ce sont des initiatives qui ont été lancées dans certains pays. Nous avons constaté que dans ces pays, les personnes qui font partie d'un groupe défavorisé mettent sur pied leur propre structure de prêts, sur une base locale et communautaire. Elles mettent en commun leur argent pour le prêter à un de leurs membres qui peut alors démarrer son entreprise, grâce au soutien des autres.

Nous estimons qu'il faut faire de la recherche pour obtenir des données qui nous donnent une image exacte de la clientèle qui a effectivement accès aux services bancaires; des données qui expliquent pourquoi les groupes dont nous parlons n'ont pas accès à ces services et comment l'on pourrait les améliorer. Nous aimerions que le groupe de travail prenne en considération ces suggestions pour examiner ce que pourrait être l'avenir...

Mme Carolyn Bennett: Le Conseil national des femmes du Canada a signalé hier que, même sans parler du crédit, il y avait des personnes qui n'étaient même pas en mesure d'ouvrir un compte auprès d'une banque, en particulier les bénéficiaires de l'aide sociale, et qu'elles étaient ainsi obligées d'encaisser leur chèque en entier une fois par mois. Ces personnes sont alors extrêmement vulnérables parce qu'elles ont cet argent sur elle ou chez elle.

Je voudrais savoir si vous considérez que les recommandations de l'ABC sont appropriées ou s'il devrait être possible de déposer directement dans un compte bancaire les prestations d'aide sociale. Ces personnes ne devraient avoir aucune difficulté à ouvrir un compte bancaire parce qu'elles reçoivent de l'argent du gouvernement. C'est un motif qui devrait leur permettre d'avoir un compte bancaire.

Les contacts que j'ai eus comme omnipraticienne avec des personnes qui ont déjà eu des problèmes de toxicomanie, notamment, m'ont appris qu'il n'est pas bon pour ces personnes d'avoir une telle somme au début du mois. Nous devrions donner à ces personnes, les plus démunies de notre pays, les moyens de payer directement leur loyer et ce genre de choses.

• 1435

Mme Sandra Carnegie-Douglas: Oui, ce serait leur donner un genre d'accès qu'elles n'ont encore jamais eu. Le fait est qu'une fois qu'elles touchent leur chèque, elles ont de l'argent qu'elles peuvent dépenser de différentes façons. Elles pourraient utiliser ces fonds pour ouvrir des comptes et y faire des dépôts.

Mme Carolyn Bennett: Elles pourraient même obtenir des cartes de crédit.

Mme Sandra Carnegie-Douglas: Tout à fait.

Mme Carolyn Bennett: Je voulais simplement faire remarquer que vous devez être un peu jalouse de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante parce qu'elle est en mesure de faire une enquête auprès de ses membres et d'obtenir ce genre de données. Vous devriez peut-être profiter de l'occasion pour nous demander des fonds pour que les groupes de femmes puissent faire la même chose.

Mme Sandra Carnegie-Douglas: En fait, nous observons quels sont les types d'organismes de charité auxquels les banques accordent un soutien lorsque nous essayons de faire le genre de recherche qui nous fournirait les données que nous voudrions vous transmettre. Chaque fois qu'un groupe de femmes décide de parler des questions qui les touchent, on leur répond qu'elles ne parlent que de cas isolés et qu'elles n'ont pas les données qui permettraient de connaître la situation réelle.

La plupart du temps, nous n'avons pas de données précises parce qu'il faut de l'argent pour faire des recherches. Condition féminine Canada vient de couper les fonds au CCA, c'est pourquoi nous disons que les banques devraient également examiner à qui elles distribuent des fonds et se demander si elles aident vraiment les différentes composantes des collectivités qu'elles prétendent servir.

Mme Carolyn Bennett: Merci.

Le président: Y a-t-il d'autres questions, monsieur Valeri? Madame Bennett?

Mme Carolyn Bennett: Non.

Le président: Alors, je vais peut-être leur poser une question.

Comme vous le savez sans doute, notre comité est chargé d'examiner l'avenir du secteur des services financiers. C'est là l'élément central de notre tâche. Les gens confondent souvent notre comité et les autres organismes qui examinent les deux projets de fusion. Ce n'est pas ce que nous faisons. Bien sûr, nous sommes nécessairement amenés à examiner les éléments qui devraient composer le secteur des services financiers du XXIe siècle. Je me demandais comment vous voyez l'avenir. Quelle va être l'évolution de ce secteur au cours des 20 ou 30 prochaines années? Pensez-vous que l'on verra apparaître des mégabanques ou des groupes financiers importants? Comment voyez-vous l'avenir?

M. Normand Lafrenière: J'aimerais essayer de vous répondre.

Le secteur de l'assurance me paraît constituer un excellent exemple. Il existe de nombreuses compagnies d'assurance et elles se font une vive concurrence pour obtenir l'attention des clients, pour trouver des clients. J'aimerais donc que les autres composantes du secteur des services financiers prennent la même orientation mais ce n'est pas ce qui se passe.

Nous constatons que le secteur bancaire comprend de moins en moins d'institutions. Cela fait 30 ans que nous protégeons les banques. Nous avons adopté pour elles les règles limitant la propriété des actions à 10 et 25 p. 100, ce qui a permis de construire au Canada un secteur bancaire puissant. C'était peut- être une excellente idée au départ mais après 30 ans, nous avons décidé de leur ouvrir les portes pour voir si elles réussiraient facilement à absorber les autres secteurs financiers. Elles ont progressé très rapidement pour ce qui est des sociétés de fiducie et des valeurs mobilières. La même chose pourrait fort bien se passer dans le secteur de l'assurance.

Les banques ont la possibilité de créer des compagnies d'assurance par le biais de leurs filiales. Elles le font déjà mais cela ne leur suffit pas. Elles n'arrivent pas à absorber le secteur de l'assurance suffisamment rapidement de cette façon. Elles ont donc décidé de demander un autre traitement de faveur. Avec ce traitement spécial, elles auront accès aux renseignements personnels fournis par leurs clients. Elles auront également accès aux clients qui se trouvent dans leurs locaux et elles pourront leur faire rencontrer un agent d'assurance qui va essayer de les convaincre d'acheter de l'assurance auprès de la banque et non pas auprès de ses concurrents.

Nous avons vu ce qui s'est passé au Québec. Ils ont laissé entrer les institutions financières et en dix ans, les caisses populaires se sont appropriées 11 p. 100 du marché. Ce n'est pas parce que leurs prix sont concurrentiels ou que leur service est meilleur. Elles ne prétendent même pas offrir un meilleur service. Ce qu'elles ont par contre, et ce que les autres n'ont pas, c'est un accès direct aux clients qui se trouvent chez elles. Elles peuvent amener ces personnes à leur agent d'assurance et c'est ce qui leur permet d'acquérir une bonne part du marché de l'assurance.

• 1440

En élargissant la gamme des produits offerts par les banques, en leur donnant l'autorisation de vendre de l'assurance au détail, nous allons dans la direction opposée à celle dans laquelle nous devrions nous engager. Nous devrions rechercher les moyens d'augmenter le nombre des banques qui exercent leurs activités au Canada. Il faudrait inviter les banques étrangères à s'implanter au Canada. On pourrait également aider les coopératives de crédit et les caisses populaires à créer des institutions bancaires. C'est une option que nous, les mutuelles, envisageons de plus en plus sérieusement.

Au lieu de donner davantage de pouvoirs aux banques, il faudrait donner plus de pouvoirs aux autres acteurs du secteur financier pour en accroître progressivement le nombre. Voilà mon opinion.

Le président: Je ne comprends pas. Vous avez dit ce que vous aviez à dire mais y a-t-il d'autres aspects du secteur des services financiers dont vous aimeriez nous parler? Pensez-vous que nous allons voir apparaître des banques encore plus puissantes que celles qui existent aujourd'hui?

M. Normand Lafrenière: Non, je ne le pense pas. J'aimerais voir davantage de banques étrangères au Canada. La solution consiste, d'après moi, à ouvrir la porte aux succursales des banques étrangères. Nous ne verrons pas de banques plus puissantes. Il y aura davantage de fournisseurs et cela sera une bonne chose pour notre économie.

Le président: Et vous aimeriez que ces banques étrangères se développent.

M. Normand Lafrenière: J'aimerais qu'on leur facilite l'accès au marché canadien. Les succursales des banques étrangères devraient pouvoir exercer leurs activités au Canada.

Le président: Merci.

M. Thomas Rice: Je me trouve dans une situation spéciale. Rice Financial est une entreprise canadienne de services financiers indépendante. Nous offrons aux Canadiens des services de courtage de dépôt à durée fixe, nous leur vendons des fonds communs de placement et nous offrons de l'assurance-vie, des prestations sociales et des régimes de retraite.

Nous offrons toute une gamme de produits. Nous représentons plus d'une centaine d'institutions financières, ainsi que les grandes banques, et nous fournissons à ces institutions des actifs qu'elles rentabilisent. La plupart des grandes institutions financières, notamment les banques, reconnaissent l'utilité de nos services qui sont offerts dans les collectivités rurales dont elles se retirent parce qu'elles n'accordent plus de prêts dans ce secteur. Elles veulent toutefois avoir accès aux actifs et à la richesse des Canadiens qui vivent dans ces régions et elles utilisent d'autres structures comme la nôtre pour y parvenir.

On ne peut pas arrêter la mondialisation et on ne peut pas arrêter les économies d'échelle. Je m'inquiète par contre qu'on accorde des privilèges et qu'on ait fait et qu'on fasse encore, un usage abusif de ces privilèges sans qu'il existe d'infrastructure véritablement concurrentielle permettant à d'autres établissements de concurrencer les institutions en place.

La Federation of Canadian Independent Deposit Brokers, dont je fais partie, est en mesure de vous fournir beaucoup de renseignements sur les sujets dont vous avez parlé, comme la vente liée et le secteur des fonds communs de placement, si vous n'en avez pas. Lorsqu'on pense au risque que courent les Canadiens, on constate que le risque le plus réel est celui de la sécurité des dépôts et, je crois, des autres moyens dont disposent les Canadiens pour placer ces dépôts et prêter de l'argent à leurs voisins, dans leur propre collectivité au lieu de les remettre à un organisme réglementé.

Le temps est peut-être venu d'offrir à d'autres institutions financières la possibilité d'utiliser le système de paiements à titre de banque non réglementée. Certaines institutions utilisent déjà ce système mais elles doivent s'adresser aux grandes banques pour obtenir l'autorisation de le faire et celles-ci leur facturent des frais supplémentaires. Il va falloir uniformiser progressivement les règles de jeu dans ce domaine.

L'abus des privilèges en matière d'information est un autre aspect que j'aborde dans mon mémoire. Cela concerne d'autres personnes ici, en particulier les personnes à faible revenu et celles qui font partie de la catégorie des investisseurs mal informés. Ce sont elles qui s'adressent aux banques pour faire des placements sûrs, qui utilisent leur argent pour s'assurer une certaine sécurité et ce sont des personnes mal informées. Il est évident que l'investisseur sophistiqué est capable de comprendre la notion de risque mais ce sont les personnes mal informées dont la situation est préoccupante.

Dès qu'elles ont reçu un dépôt ou un actif, la plupart des grandes banques, croyez-moi, envoient des cartes de crédit ou des offres de crédit mentionnant qu'elles sont prêtes à accorder automatiquement un crédit supplémentaire de 1 000 $, 2 000 $ ou 5 000 $. Il suffit de signer pour y avoir droit. Elles le font pour l'unique raison qu'elles savent que ces personnes ont des biens chez elles. Les documents qu'elles font signer et les droits qu'elles possèdent leur permettent d'avoir accès à ces biens lorsqu'elles accordent un crédit.

La Loi sur la faillite et l'insolvabilité n'a pas modifié la situation. Tout cela a évolué progressivement depuis dix ans à cause de la faillite de nombreuses institutions. La loi a été modifiée mais elle comporte encore de nombreuses lacunes parce qu'elle accorde aux institutions d'autres moyens de se faire rembourser des créances sur d'autres biens. Cela risque ensuite de saper l'infrastructure sur laquelle repose notre système.

• 1445

Le président: Merci, monsieur Rice.

Monsieur Ernst.

M. Richard Ernst: Nous constatons que le microcrédit se développe. Combiné à des programmes d'épargne adaptés aux personnes les plus pauvres, le microcrédit ne peut que se développer. Le microcrédit et les mécanismes d'épargne vont s'intégrer à la mondialisation. Je dirais que dans quelques années, peut-être d'ici l'année 2005, il y aura du microcrédit dans nos collectivités, avec ou sans la participation des grandes banques. Il existe certainement des initiatives que l'on peut lancer pour faciliter l'accès au crédit et je crois qu'il appartient au comité de prendre des mesures pour faciliter cet accès, parce que c'est de cette façon que l'on pourra donner davantage de pouvoir aux personnes défavorisées.

Le président: Merci.

Madame Carnegie-Douglas.

Mme Sandra Carnegie-Douglas: C'est également le sujet qui nous préoccupe: l'accessibilité. Nous appuyons toute mesure qui pourrait faciliter l'accès au crédit. Les fusions des grandes banques qui vont encore réduire le nombre des banques et les opportunités tout en aggravant les questions d'accès ne font pas partie de l'avenir des institutions financières tel que nous le voyons; il faudrait plutôt augmenter le nombre des banques, la diversité des institutions, pour que les gens puissent faire des choix.

Il y a un autre aspect dont je n'ai pas beaucoup parlé mais qui a été mentionné par un député, c'est la question de l'ombudspersonne. C'est une proposition que nous appuyons sans aucune réserve. À l'heure actuelle, il en existe un certain nombre, et il y en a en fait douze, fait qui n'est pas très bien connu. Pour ce qui est des pratiques discriminatoires, bien souvent les membres des groupes défavorisés n'ont pas accès à ces institutions. C'est pourquoi nous sommes en faveur de créer un tel organisme, combiné à des mesures législatives. Oui, c'est un mécanisme lourd et complexe, mais ce sont des aspects qu'il convient également d'examiner: l'accès à cet organisme, le soutien financier qui sera accordé aux secteurs défavorisés pour qu'ils puissent y avoir recours pour que les questions d'accès ne deviennent pas un autre obstacle.

Le président: Merci.

Au nom du comité, j'aimerais vous remercier. Je vais vous dire que le comité des finances s'est donné comme objectif de préparer pour l'avenir un secteur des services financiers de premier ordre. Nous n'allons pas nous contenter d'étudier la situation actuelle. Nous allons examiner les tendances qu'on retrouve non seulement au Canada mais aussi à l'étranger. Nous allons essayer de proposer un système de premier ordre qui reflète toutes les réalités de notre pays. Je veux dire par là un système qui aiderait les acteurs canadiens à se tailler une place à l'échelle mondiale, tout en accordant à nos consommateurs une protection de première classe, un régime qui favoriserait une concurrence mondiale, tant interne qu'étrangère, et qui reflète la confiance que le comité place dans notre pays d'abord et surtout et en deuxième dans notre population. C'est là, pour l'essentiel, ce que recherche le comité.

Nous vous remercions de nous avoir communiqué vos idées; elles vont nous inciter à nous donner des objectifs ambitieux et à construire un système qui va non seulement servir la population canadienne aujourd'hui mais aussi les générations à venir.

Merci.

La séance est levée