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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 24 avril 1995

.1930

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes.

Ce soir, nous avons le plaisir d'entendre témoigner le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, représenté par le ministre de la Justice des Territoires du Nord-Ouest, M. Stephen Kakfwi.

Monsieur Kakfwi, je sais que vous êtes accompagné de plusieurs députés de la législature des Territoires du Nord-Ouest. Peut-être pourriez-vous nous les présenter, avec toutes les autres personnes qui vous accompagnent. Ensuite, vous pourriez nous donner votre témoignage, après quoi le comité vous posera des questions. Vous pouvez vous exprimer dans n'importe laquelle des langues officielles des Territoires du Nord-Ouest.

L'honorable Stephen Kakfwi (ministre de la Justice, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest): Merci, monsieur Allmand.

Je suis accompagné de Jeannie Marie-Jewell, députée, de Fred Koe, ACM, député, de Don Avison, sous-ministre de la Justice, des députés John Ningark et Jim Antoine et de Dennis Patterson, député d'Iqaluit.

Vous savez que nous avons dans les Territoires du Nord-Ouest un régime de gouvernement sans parti politique. Nous fonctionnons par consensus, et c'est pourquoi nous avons tenu à vous présenter autant de députés que possible pendant vos travaux.

En ma qualité de ministre de la Justice, je vais commencer notre exposé avec notre député de Deh Cho. Tous les députés présents m'aideront à répondre à vos questions, puisque nos réponses seront dans bien des cas tirées de notre expérience et de nos connaissances personnelles, qui expliquent pourquoi nous avons de telles réserves. Dans toute la mesure du possible, nous ne voulons pas vous parler de choses abstraites, mais plutôt évoquer des exemples pratiques de ce que ce projet de loi signifiera pour nous au jour le jour s'il est adopté tel quel.

Je suis donc venu ici en compagnie de députés de l'Assemblée légistative des Territoires du Nord-Ouest. Tous les députés de l'Assemblée ont décidé à l'unanimité d'exprimer nos réserves au sujet du projet de loi C-68, car nous sommes convaincus qu'il aura des répercussions néfastes sur notre mode de vie dans le Nord s'il est adopté sans modification.

Collectivement, nous espérons que le Comité permanent de la justice et des questions juridiques conclura qu'il faudrait adopter la modification que nous proposons. Nous estimons qu'elle préservera les objectifs valides du projet de loi sans nuire à l'utilisation traditionnelle et habituelle des armes à feu des habitants du Nord.

Les gens du Sud considèrent les armes à feu essentiellement comme des armes, et c'est compréhensible. Par contre, dans les Territoires du Nord-Ouest, nous les considérons comme des outils pour nourrir nos familles et notre population et les protéger des bêtes sauvages, comme les ours blancs, les grizzlis et les loups, des outils qui, pour bien des habitants du Nord, représentent la seule façon de subvenir à leurs besoins.

.1935

Une application rigoureuse de la loi comme celle qu'on envisage dans ce projet de loi limiterait l'utilisation de ces outils et criminaliserait les activités traditionnelles de gens qui veulent se montrer respectueux des lois.

Ce projet de loi risque de saper les économies traditionnelles de chasse et de déstabiliser les activités commerciales des guides et des pourvoyeurs, activités qui nous ont permis de connaître une croissance économique certaine dont nous avions grand besoin dans des régions qui, autrement, sont reléguées en marge de la société canadienne.

Les Territoires du Nord-Ouest ne sont pas comparables au Sud du Canada. Pour notre mode de vie, voire parfois même pour notre survie, nous avons besoin de pouvoir utiliser légalement des armes à feu. Nous estimons qu'il faut tenir compte de nos besoins uniques en tant qu'habitants du Nord et qu'on doit les comprendre avant que ce projet n'ait force de loi.

Plusieurs des dispositions du projet de loi nous posent des problèmes et nous croyons qu'il sera extrêmement difficile, sinon impossible, de les appliquer dans le Nord. Il a déjà été difficile d'appliquer les dispositions en vigueur sur les armes à feu, contenus dans le Code criminel. Je n'exagère pas en disant que l'incompatibilité entre ces dispositions et les pratiques de chasse traditionnelles des Territoires du Nord-Ouest s'est traduite par un degré très élevé de non-respect de la lettre de la loi.

Dans la plupart des cas, ce non-respect de la loi n'est pas une forme de désobéissance civile faite de propos délibéré. Le noeud du problème est tout simplement une question de pertinence. Nous voulons qu'on comprenne très clairement que si nous nous opposons aux dispositions du projet de loi C-68 sur l'enregistrement, la cession et d'autres aspects connexes de l'utilisation des armes à feu, cela ne signifie pas que nous ne nous préoccupions nullement des crimes de violence, des questions de sécurité concernant les armes à feu ou de la nécessité de dispenser une formation pour les manier de façon sécuritaire dans le Nord. Ces questions-là sont d'une importance vitale pour nous.

Les taux de suicide sont beaucoup trop élevés chez nous, surtout chez les jeunes. Néanmoins, nous sommes convaincus que l'enregistrement des armes à feu ne fera absolument rien pour résoudre ce problème, puisqu'il sera toujours facile de se procurer des armes dans notre société, où il est essentiel d'avoir un fusil pour survivre.

C'est le manque d'emplois, la difficulté de créer une base économique quelconque, les énormes changements sociaux et culturels que subit notre mode de vie, l'incidence du lobby anti-fourrure, la perte de nos langues et le manque de respect pour les autochtones, leur culture et leur mode de vie qui ont mené à la décimation de notre population et à l'escalade des taux de suicide et de violence familiale. L'enregistrement des armes à feu ne fera absolument rien pour y remédier.

À notre avis, il serait de loin préférable, dans notre territoire, de consacrer des ressources dont nous avons grandement besoin à la prévention des crimes et des suicides, aux services aux victimes et à la formation en matière de sécurité plutôt qu'à la mise en vigueur de ce projet de loi. Nous estimons qu'il faudrait canaliser les ressources dans ces secteurs-là. Au moment où nous allons être forcés de consacrer le peu de ressources et d'énergie dont nous disposons à la mise en oeuvre d'un régime d'enregistrement improductif qui n'a rien à voir avec nous, nous craignons - et non sans raison, à notre avis - que cette obligation ne limite notre capacité de concentrer nos ressources sur les causes sous-jacentes des crimes de violence.

Nous sommes préoccupés aussi, comme vous devriez l'être, par certaines difficultés plus subtiles inhérentes au régime qui sera établi si le projet de loi C-68 est adopté tel quel.

Il faut que le cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu comporte des garanties de contenu régional et d'accessibilité. Comme vous le savez, les niveaux d'alphabétisation sont peu élevés dans les Territoires du Nord-Ouest. En outre, et c'est plus important encore, bien des gens ne parlent qu'une seule langue autochtone ou encore ont une langue autochtone comme première langue. Dans le Nord, nous avons huit langues officielles, dont six sont des langues autochtones. Si les réalités culturelles et linguistiques de la vie dans le Nord ne sont pas respectées, le projet de loi C-68 pourrait faire obstacle à la possession légale d'armes à feu.

Il reste encore de graves problèmes à surmonter pour savoir qui devrait assurer la formation et comment elle devrait être dispensée. Même après au moins deux ans de négociations sur ce seul point, le gouvernement fédéral n'a pas encore réussi à s'entendre avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest sur les problèmes fondamentaux relatifs à la culture, aux langues et à l'accessibilité. Pourtant, il vient tout juste de réduire ses subventions pour les langues autochtones. Cette mesure va limiter notre capacité de relever le défi de rendre les lois adoptées à Ottawa compréhensibles et accessibles pour nos concitoyens qui vivent dans les régions isolées de l'Arctique canadien.

.1940

Fondamentalement, notre proposition se ramène à dire que le projet de loi C-68 va imposer un régime complexe et coûteux qui, sous plusieurs aspects importants, ne fonctionnera pas dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous reconnaissons la gravité de la situation dans le Sud du Canada et nous ne sous-estimons pas la gravité de nos propres problèmes dans le Nord. Toutefois, nous tenons à vous faire savoir que, dans un pays d'une aussi grande diversité que le Canada, il est essentiel que la loi soit appliquée de façon à tenir compte des distinctions régionales, culturelles et géographiques. Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-68 n'atteint pas cet objectif.

Nous prions votre comité d'analyser soigneusement la position du gouvernement fédéral sur tous les aspects de ce projet de loi concernant les armes à feu, surtout lorsqu'on y affirme que son application doit être universelle.

Selon nous, lorsque le moment est venu de concilier les valeurs conflictuelles de l'uniformité et de la diversité, on a injustement fait pencher la balance du côté d'une application rigide et uniforme, alors que ce n'était pas nécessaire. Le résultat est regrettable: un projet de loi conçu pour répondre aux besoins d'agglomérations comme celles de Toronto va avoir des répercussions profondément négatives sur le mode de vie de localités comme Tuktoyaktuk. Ce n'est pas la première fois que ça se produit, mais, cette fois-ci, les répercussions sont bien plus graves qu'elles ne l'ont été dans le passé. C'est là un excellent exemple de l'inégalité qui peut arriver lorsqu'on décide de traiter tout le monde de la même façon.

La Cour suprême du Canada a reconnu à diverses reprises le caractère légitime d'une approche qui tient compte de la diversité dans l'application de la loi. Il est regrettable que, dans l'ensemble, le gouvernement fédéral n'ait pas suffisamment tenu compte de ce facteur dans l'élaboration du projet de loi.

Avec toutes les différences qui distinguent une région du Canada de l'autre, nous sommes convaincus qu'il aurait été préférable qu'à plusieurs égards, et surtout dans le cas des dispositions relatives à la délivrance des permis et à l'enregistrement, le projet de loi C-68 soit rédigé de manière à permettre des différences d'application selon les régions. Cela n'aurait rien eu de nouveau: les mesures de rechange prévues à l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants ont été conçues expressément à cette fin.

Nous savons bien qu'il serait difficile de faire adopter une modification tenant compte facilement des différences régionales, en raison de la structure du projet de loi C-68. En outre, nous savons qu'il est peu probable que le Parlement le révise en profondeur.

Dans ces conditions, la façon optimale de procéder consisterait à modifier le projet de loi C-68 en substituant à l'article 186 relatif à l'entrée en vigueur, un article en vertu duquel la Loi entrerait en vigueur dans les Territoires du Nord-Ouest à une date fixée par décret sur les conseils du commissaire des Territoires du Nord-Ouest. Nous allons vous laisser une proposition d'amendement qui, à notre avis, atteindrait l'objectif recherché.

Je voudrais maintenant prendre un moment pour vous dire tout ce que je ressens sur cette question, à titre d'autochtone et d'habitant du Nord. Chasser pour me nourrir, c'est une partie de moi-même. Mes enfants apprendront à chasser et ils chasseront avec moi dans les années à venir. Pendant plusieurs mois de l'année, ma mère, qui a 74 ans, part seule du village pour aller chasser, préparer des peaux et arranger de la viande.

Nous savons et nous avons toujours su que le droit d'avoir une arme à feu pour se nourrir et se protéger contre les prédateurs est essentiel, et que si un gouvernement quelconque fait obstacle à ce droit, il doit le limiter le moins possible. Et nous ne sommes pas seuls de cet avis. Comme vous le savez, la Cour suprême du Canada est arrivée exactement à la même conclusion dans l'arrêt Sparrow.

Quand j'analyse le projet de loi C-68, je ne peux que conclure que, si ses rédacteurs ont tenté en théorie de respecter les droits des autochtones, avec des dispositions comme l'alinéa 110 t), ils n'ont certainement pas respecté vraiment la norme établie par la Cour suprême dans l'arrêt Sparrow. L'amendement que nous proposons permettrait au gouvernement fédéral de respecter les critères énoncés dans cet arrêt.

.1945

Je tiens aussi à souligner que, même si les droits des autochtones au Canada et dans les Territoires du Nord-Ouest bénéficient d'un traitement particulier en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle, les autochtones ne sont pas les seuls à vivre au nord du 60e parallèle. Beaucoup de nom-autochtones ont adopté notre mode de vie. Ce sont des amis, des parents, des membres de nos familles. Eux aussi vont subir le contrecoup des changements proposés par le projet de loi C-68.

L'alinéa 110t) n'aura aucune valeur s'il finit par contribuer à séparer les autochtones des non-autochtones du Nord. L'absence de toute déclaration claire du gouvernement fédéral sur la façon dont il propose de surmonter ces difficultés ne fait qu'aggraver le problème.

Bien des gens de ma localité, voire du Nord tout entier, m'ont fait part de leurs craintes et de leur angoisse quant à l'effet de ces changements. Les pourvoyeurs sont d'avis que le projet de loi ne tient aucunement compte de ce qu'ils font, de leur façon de faire, de leur contribution à l'économie du Nord et de la mesure dans laquelle leur gagne-pain risque d'être sapé par ces changements. Ils ont raison, mais leurs voix ne sont pas entendues dans le débat.

Je pense que le projet de loi a été rédigé par des gens bien pensants qui veulent combattre la tendance croissante à l'utilisation illégale des armes à feu dans le Sud du Canada. C'est compréhensible. Bien que nous ayons de grosses réserves à l'égard de ces aspects du projet de loi C-68, qui auront des répercussions néfastes sur notre mode de vie dans le Nord, nous appuyons de tout coeur une grande partie des objectifs du projet de loi.

Nous reconnaissons qu'il faudrait imposer des peines plus lourdes à ceux qui sont jugés coupables d'avoir utilisé des armes à feu pour commettre des voies de fait, des agressions sexuelles, des vols et d'autres crimes graves. Nous sommes favorables aux mesures de lutte à la contrebande des armes à feu. Nous reconnaissons en outre qu'il est tout à fait logique, voire essentiel, que le gouvernement limite la possession d'une vaste gamme d'armes d'assault dont la seule raison d'exister est d'être offensives ou de plaire à des collectionneurs qui préfèrent les armes dangereuses et exotiques. En fait, nous estimons que le gouvernement devrait accélérer le calendrier de mise en oeuvre de ces réformes-là.

Néanmoins, même sous sa forme actuelle, et en dépit de ses bonnes intentions, le projet de loi fait inutilement tort aux habitants du Nord, et c'est pourquoi il doit être modifié. Grâce à l'amendement de l'article 186 que nous proposons, il serait possible de ne faire entrer en vigueur que les dispositions qui sont logiques dans le contexte des Territoires du Nord-Ouest. À notre avis, c'est la façon la plus indiquée de procéder pour tenir compte de nos réserves.

Je vous remercie de m'avoir écouté. J'aimerais maintenant inviter le député de Deh Cho, M. Jim Antoine, à vous faire part de ses observations, après quoi nous pourrons répondre à vos questions.

M. Jim Antoine (député, Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest): Je suis ici avec mes collègues de l'Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest pour vous parler des très graves réserves que beaucoup de mes commettants et de mes concitoyens de l'ensemble des Territoires du Nord-Ouest ont exprimées au sujet du projet de loi C-68.

Avant de venir ici, j'ai parlé du projet de loi avec plusieurs dirigeants régionaux de l'Arctique occidental - la plupart du temps, j'ai dû le faire dans ma propre langue - et particulièrement avec de nombreux aînés qui nous transmettent la sagesse qu'ils ont acquise au fil des ans. Monsieur le président, je puis vous assurer que les habitants du Nord comprennent qu'il faut prendre des mesures pour surmonter les graves problèmes liés aux crimes de violence dans le Sud du Canada.

Nous regardons les émissions télévisées par satellite des grandes villes du pays de même que des États-Unis et, comme vous, nous éprouvons un choc effarant en constatant qu'on utilise des armes à feu obtenues légalement pour commettre des crimes. Nous comprenons le sentiment que les habitants des grands centres urbains doivent éprouver. Nous comprenons les réactions des victimes qui ont perdu des êtres chers à cause d'une violence insensée ou de méthodes non sécuritaires d'entreposage et de maniement d'armes à feu. Nous comprenons les pressions que cette situation a créées sur les législateurs, pour qu'ils adoptent des lois susceptibles de surmonter ces problèmes épouvantables de notre monde moderne.

Nous comprenons tout cela, mais puisque nous le comprenons, nous ne savons pas pourquoi il est si difficile pour les autres Canadiens de comprendre notre situation. Une grande partie des habitants des Territoires du Nord-Ouest vivent dans des conditions différentes de celles qui règnent partout ailleurs au Canada. Nos petites agglomérations, notre style de vie autochtone et notre relation particulière avec la terre sont autant de facteurs qui nous définissent.

.1950

J'estime que sous sa forme actuelle, le projet de loi C-68 changera tout cela de façon plus réelle et plus insidieuse que la plupart des Canadiens des grandes villes du Sud peuvent le comprendre.

J'ai dit tout à l'heure que j'avais parlé de ce que j'allais vous dire avec de nombreux aînés et chefs dénés. Les préoccupations et la colère rentrée qu'ils m'ont communiquées au sujet des répercussions que le projet de loi aurait sur leur vie en disaient long.

Je me rappelle clairement qu'un de nos aînés les plus respectés m'a regardé droit dans les yeux en me racontant qu'on avait dit à ses gens qu'ils n'étaient plus autorisés à se servir des méthodes de piégeage qu'ils avaient apprises dans l'enfance. On nous impose de plus en plus de restrictions sur notre façon de nourrir nos familles. Cet aîné m'a demandé ce qu'on essayait de leur faire: essayait-on de les détruire en les forçant à vivre de l'assistance sociale? C'est ce qu'il m'a déclaré, monsieur le président.

Il faut que les Canadiens comprennent le rôle qu'une utilisation intelligente des armes à feu joue dans tous les aspects de notre mode de vie dans le Nord, surtout pour les autochtones. Dans notre culture, nous croyons que le Créateur nous a mis sur la terre et nous a entourés d'animaux sauvages pour que nous puissions survivre. En retour, nous devons veiller sur l'environnement et utiliser judicieusement les outils qui nous ont été donnés.

C'est de cette façon que nous avons envisagé notre utilisation des armes à feu au fil des ans. Pour nous, ce sont des outils qui nous servent à nous acquitter de nos responsabilités de nourrir nos familles et les habitants de nos localités ainsi que de nous protéger contre les prédateurs quand nous sommes partis dans les bois, dans les montangnes et ainsi de suite.

Nous tendons à nous servir de différentes armes à feu à différentes fins. Par exemple, j'en ai sept, deux carabines .22 pour chasser le petit gibier à plumes, le lièvre et même le canard et l'outarde. J'ai aussi une carabine de fort calibre, une .30-.30 300 Savage, et une carabine .30-.06 à verrou et une autre .30-.06, semi-automatique, celle-là. On m'a donné cette dernière carabine, dont les chargeurs n'ont que trois balles, soit dit en passant. J'ai aussi un fusil de calibre 12 pour chasser le canard et la bernache, et un .410 pour chasser le petit gibier à plumes et le lièvre. Je vous parle de moi pour vous donner un exemple. C'est la même chose pour la plupart des familles du Nord.

Ces armes-là sont utilisées par toute la famille. Je m'en sers, tout comme ma femme, mes deux fils et ma fille. Nous allons chasser et nos armes à feu sont comme des outils dont nous nous servons pour assurer notre subsistance, mais ils sont aussi plus que cela. Après avoir servi 13 ans comme chef, je me suis fait demander par mon peuple de le représenter comme député à l'Assemblée législative. Quand j'ai démissionné de mon poste de chef, les Dénés de Fort Simpson ont organisé une fête en mon honneur et, ce jour-là, ils m'ont offert une carabine. Pour eux comme pour moi, ce cadeau symbolique était plus qu'une arme à feu, c'était une déclaration sur ce qui est important dans notre culture, sur les responsabilités que je continuais d'assumer au service de la collectivité, et c'était une question d'honneur.

Je me rappelle l'accord de principe au sujet de la première revendication territoriale globale dans les Territoires du Nord-Ouest. Le ministre fédéral des Affaires indiennes de l'époque avait rendu hommage aux chefs autochtones qui avaient participé aux négociations en leur offrant des armes à feu comme des carabines .30-.30.

L'aîné dont je vous parlais il y a quelques minutes m'a dit la semaine dernière posséder 22 carabines. Il a abattu son premier orignal avec la carabine de son père quand il avait 12 ans. Pour lui, ces carabines ne font pas partie d'une collection d'armes à feu. Ce sont des biens qui lui tiennent à coeur, qui lui ont été donnés par d'autres aînés, par des êtres chers qui sont décédés, ses deux fils. Un jour, il les laissera à son tour à ses propres enfants et petits-enfants, qui se rappelleront ses enseignements et ceux de ses prédécesseurs. Cet aîné se demande pourquoi les autres Canadiens n'arrivent pas à comprendre l'importance que revêt cette question pour nous. Pour ce vieillard honorable, c'était une insulte d'avoir à rédiger un examen pour pour pouvoir tenir des carabines qui représentent tant de choses à ses yeux.

La façon de vivre dans des communautés traditionnelles autochtones est différente de celle dont on vit dans le Sud du Canada. Nous n'avons pas de formules de demande, de certificat d'enregistrement et de cours de formation comme les vôtres. Nous avons vécu pendant des siècles dans le Nord sans avoir à publier des règlements dans la Gazette, sans devoir remplir une demande en triple exemplaire pour obtenir l'autorisation de faire quelque chose et sans criminaliser différents aspects de notre mode de subsistance. Essayer de nous imposer ces obligations maintenant, c'est saper le fondement même de notre identité. Les gens à qui je parle veulent que les autres Canadiens s'en rendent compte.

.1955

Pour vous, monsieur le président, il est logique d'imposer une limite d'âge pour déterminer quand quelqu'un peut commencer à se servir d'une arme à feu, pour qu'on sache quand un jeune est prêt.

Ma mère m'a donné ma première carabine .22 quand j'avais 15 ans parce qu'elle savait que j'étais assez vieux pour qu'on me la confie. J'ai chassé le lièvre et le canard avec cette carabine, et j'ai appris la valeur de mettre de la nourriture sur la table et de la partager avec les autres membres de ma collectivité.

Il y a à Fort Simpson une femme qui sait que ses petits-enfants et ses neveux sont assez vieux pour avoir des armes à feu quand ils deviennent aussi grands qu'elle. C'est de cette façon-là que nous décidons en pareil cas, pas en nous fondant sur une loi qui établit des limites d'âge obligatoire.

Monsieur le président, il est peut-être logique pour vous d'imposer des limites rigoureuses sur le partage des armes à feu, mais ce n'est pas le cas pour nous.

Que devrais-je faire si mon frère Gerry Antoine, le grand chef du Conseil de la Première nation Deh Cho, venait me dire qu'il y a des caribous dans les alentours et que, comme il est pressé, il a besoin de ma carabine .300 Savage pour pouvoir obtenir de la viande de caribou? Devrais-je refuser de lui prêter ma carabine? Devrais-je lui dire qu'il doit attendre qu'on ait rempli toutes les formules nécessaires? Devrais-je lui dire que nos oncles, nos aînés, ont eu tort de nous prêter des armes à feu quand nous en avions besoin pour nous nourrir? Devrais-je lui dire d'aller au magasin acheter un paquet de viande de l'abattoir d'Edmonton plutôt que de se servir des dons que le Créateur a mis sur nos terres pour que nous nous en servions? Devrais-je au contraire agir en homme d'honneur et le laisser se servir de ma carabine puis me faire dire par la GRC et par les tribunaux que je suis un criminel parce que j'ai enfreint votre projet de loi C-68?

Monsieur le président, vous n'aurez jamais à répondre à ce genre de questions, et vos commettants non plus. Pourtant, avec le projet de loi C-68, je vais devoir y répondre, comme les Dénés, les Métis et les Inuit que je représente. Pourquoi les autres Canadiens sont-ils incapables de le comprendre?

Pour vous, monsieur le président, il est logique d'imposer des restrictions très précises pour forcer les gens à conserver leurs armes à feu sous clef, mais c'est parce que vous ne savez pas ce que signifierait le fait de devoir trouver la clef d'un coffret métallique verrouillé quand il y a un grizzly à 100 mètres. Pour moi, ce risque-là est très réel chaque fois que je vais chasser dans les montagnes où mes ancêtres ont chassé avant moi. Au printemps, dans les montagnes lointaines de Deh Cho, quand on chasse pour se nourrir, il y a des caribous, des orignaux, des ours, des castors, des tétras, des canards et des bernaches, et il faut toujours être prêt.

L'utilisation des armes à feu est un élément fondamental de nos vies traditionnelles de Dénés. Nous voulons que vous le compreniez.

Je sais que certains ont dit que c'est faux, parce que ce sont des Européens qui ont introduit des armes à feu dans notre culture. On leur a dit que la chasse traditionnelle se faisait à l'arc et à la lance. Je vais vous dire tout de suite ce que j'en pense: c'est ridicule.

Dans notre tradition, quand nous chassons, ce qui est important, ce n'est pas l'outil utilisé pour abattre l'animal. C'est notre façon de le débusquer, le respect que nous lui témoignons en le tuant vite et en utilisant tout l'animal pour nous nourrir et nous vêtir. Par exemple, quand nous abattons un orignal, nous mangeons sa viande, sa cervelle, son foie, son coeur, sa panse et certaines parties de ses entrailles. Ce qui est important, c'est aussi notre coutume de partager la viande avec toute notre famille et tous les membres de notre collectivité. C'est aussi notre façon de transmettre ces valeurs à nos descendants. Quand nous abattons un orignal ou un caribou, nous rendons grâce au Créateur. Pour nous, c'est ce que nous entendons par la chasse traditionnelle, et utiliser une arme à feu dans ce contexte fait tout autant partie de la tradition.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler que, dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons signé en 1921 des traités garantissant que notre mode de vie autochtone serait maintenu et protégé par la Couronne, dans le rôle de fiduciaire qu'elle avait offert de jouer. À l'époque, les armes à feu faisaient partie de notre mode de vie depuis plus de 100 ans.

Alors, si quelqu'un vient déclarer à votre comité que chasser avec des armes à feu ne fait pas partie du mode de vie traditionnel des autochtones, je lui demanderais de lui dire qu'il ne sait pas de quoi il parle. Dites-lui de venir dans les Territoires du Nord-Ouest pour savoir ce qu'il en est avant de commencer à exprimer des opinions non fondées et de dire des mensonges.

Dans notre tradition, nous ne vivons pas aux crochets de l'État. J'ai souvent été irrité d'entendre dire que tout ce que les Indiens veulent, c'est que le gouvernement leur donne de l'argent. C'est faux. Toutefois, si notre aptitude à faire de la chasse de subsistance devait être sapée, la capacité de nos collectivités de subvenir à leurs besoins en souffrirait.

Je vais vous parler de mon point de vue de président du Comité permanent des finances de notre Assemblée législative. Nous savons depuis bien des années que la chasse, la pêche et le piégeage ont nettement contribué à réduire les dépenses d'aide sociale dans les limites de notre compétence et qu'il n'est pas évident de trouver les fonds nécessaires à notre part de l'administration et des régimes d'enregistrement et d'application découlant du projet de loi. Je me demande quelle importance a été ou sera accordée aux facteurs économiques résultant de cette initiative législative.

.2000

En terminant, je répète que nous comprenons qu'une loi visant à réduire les risques associés à l'usage illégal d'armes à feu s'impose. Mais je demande aux membres du comité de comprendre nos préoccupations et de modifier le projet de loi en fonction des variations régionales. Ainsi, on assurerait le contrôle des armes à feu, avec tous les avantages que cela entraînerait, tout en respectant les principes qu'ont à coeur les gens que je représente.

Merci de nous avoir écoutés, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

Nous commençons maintenant notre période de questions.

[Français]

Monsieur Langlois, vous avez 10 minutes.

M. Langlois (Bellechasse): Merci beaucoup, monsieur le président. Je voudrais remercier les témoins de leur présentation pondérée qui nous fait découvrir et qui met l'accent davantage sur toute une réalité canadienne qui ne devrait échapper à personne. Je trouve ça transcendant par rapport à ce qu'on a eu comme présentation cet après-midi et je veux joindre mon indignité à celle de certains de mes collègues par rapport à la dernière page qu'on a vue cet après-midi où on associait le Parti libéral du Canada, le sigle du Parti libéral, en faisant un genre de patriot game qu'on voulait cibler.

Il y a une violence dans cette page, monsieur le président, qui est tout à fait inacceptable dans une société démocratique, et...

Le président: On l'a mentionné à la fin de notre réunion cet après-midi. Quelqu'un a déjà mentionné cette cible.

M. Langlois: Alors, ce n'est pas par télépathie, mais en voyant cela, ça m'avait heurté. Je vais revenir à nos témoins. Excusez-moi.

Vous avez mentionné au début, pendant votre présentation, que certaines modifications pourraient faire en sorte que le projet de loi soit acceptable, mais dans le fond, au-delà d'amendements ou de modifications, il semble que ce soit l'ensemble du projet de loi dont vous n'avez finalement pas besoin, que déjà les dispositions législatives qui existent sont amplement suffisantes pour régir ce qui se passe sur le territoire sur lequel vous avez autorité actuellement. Est-ce que je saisis bien votre point de vue ou si ce que vous avez exposé est une position de compromis?

[Traduction]

M. Kakfwi: Nous savons que les dispositions actuelles de la loi ne sont généralement pas respectées dans les Territoires du Nord-Ouest. Personne n'a évalué les effets de ces dispositions sur la criminalité, le taux de suicides ou la violence familiale. Le gouvernement a néanmoins la ferme intention de faire adopter ce projet de loi.

Notre territoire est immense mais très peu peuplé. Nous n'avons même pas l'influence politique nécessaire pour amener le gouvernement à revenir sur sa décision.

Nous vous suggérons de dépenser votre argent à meilleur escient. Nous savons que la mise en oeuvre de cette loi dans les Territoires du Nord-Ouest coûtera des millions de dollars et qu'elle ne permettra pas de sauver une seule vie, de mettre fin à la violence contre une seule femme ou de prévenir un seul suicide. Elle n'aura aucun des résultats promis par le ministre. Pour appliquer cette loi, on dépensera de l'argent dont nous, dans le Grand Nord, avons besoin pour lutter contre la violence familiale, aider les victimes de violence, ouvrir des refuges pour les femmes battues, offrir des services de counselling aux victimes et pour bien d'autres choses pour lesquelles nous n'avons pas de ressources à l'heure actuelle.

Vous dites que c'est un compromis. Comme nous l'avons dit, nous sommes d'accord avec certaines des dispositions du projet de loi. Nous trouvons justifié d'imposer des peines à ceux qui abusent de la loi et qui font un mauvais usage des armes à feu. Tout le monde devrait être tenu d'apprendre comment manier une arme à feu en toute sécurité et ces mesures devraient s'appliquer d'une façon uniforme dans tout le pays.

.2005

Je le répète, dans l'ensemble, nous estimons que le projet de loi a été rédigé par des gens pleins de bonnes intentions, qui n'ont toutefois que des connaissances très limitées des Territoires du Nord-Ouest et des régions rurales. Ce sont des citadins qui ont conçu ce projet de loi pour des citadins et des centres urbains. Il m'apparaît illogique, mais moi, je connais très peu Toronto, Montréal et les autres grandes villes.

[Français]

M. Langlois: Dans votre mémoire, vous traitez de la question constitutionnelle et semblez opposer deux concepts: le concept sur la propriété et les droits civils qu'on retrouve à l'article 92 de l'AANB de 1867 et celui de la loi criminelle de l'article 91 du même acte de 1867. Vous en arrivez à la conclusion, en comparant les deux dispositions de la Loi constitutionnelle, qu'il peut s'agir effectivement d'une législation qui touche la propriété et les droits civils.

J'aimerais savoir si vous avez étudié, d'autre part, la relation, le conflit constitutionnel qu'il pourrait y avoir entre la juridiction provinciale sur la propriété et les droits civils et celle qui est établie dans le préambule de l'article 91 sur le pouvoir fédéral de légiférer pour «la paix, l'ordre et le bon gouvernement». Avez-vous envisagé cette portion-là?

Si je résume ma position - prenant comme hypothèse qu'il ne s'agirait pas de droit criminel, mais bien de législation sur la propriété et les droits civils - , cela relèverait quand même de la compétence fédérale parce que cela toucherait la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada.

[Traduction]

M. Kakfwi: Le sous-ministre de la Justice, M. Avison, répondra à votre question.

M. Don Avison (sous-ministre de la Justice, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest): C'est une question que nous avons étudiée en détail avec nos collègues des provinces qui se préoccupent aussi des effets possibles du projet de loi. Nous sommes dans une position plutôt délicate en raison du fait que notre situation constitutionnelle et celle du territoire voisin du Yukon diffèrent de façon fondamentale de celle des provinces, en ce sens que nous ne jouissons pas, en matière de propriété et de droits civils, des mêmes pouvoirs que nos voisins du sud.

À l'issue de leur étude du projet de loi, les provinces ont jugé que certains aspects du projet de loi C-68 relevaient de la propriété et des droits civils et que la nature réglementaire de plusieurs aspects du projet de loi est contraire au partage des pouvoirs entre le palier fédéral et les provinces.

Par conséquent, nous avons consacré notre énergie à examiner non pas le partage des pouvoirs prévu aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle, mais plutôt le lien du projet de loi avec l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et le fait que ce projet de loi pourrait limiter et même violer les droits autochtones et les droits de chasse puisqu'il serait contraire aux principes énoncés dans l'arrêt Sparrow.

Je répondrai donc à votre question ainsi: c'est plutôt au mois de mai, au moment de la comparution des provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta devant votre comité, que vous pourrez étudier cette question plus attentivement.

[Français]

M. Langlois: Monsieur Kakfwi a mentionné tout à l'heure qu'une modification à l'article 186, relativement à l'entrée en vigueur du projet de loi relativement aux Territoires du Nord-Ouest, pourrait régler la question en excluant, à toutes fins utiles, les Territoires du Nord-Ouest.

Personnellement, j'ai beaucoup de difficulté à réconcilier cela avec l'article 15 de la Charte de 1982, qui nous dit que:

[Traduction]

.2010

[Français]

Cela nous amène à nous poser la question suivante. Dans un pays comme le Canada, à supposer que le législateur fédéral agisse à l'intérieur de ses sphères de compétences, peut-il appliquer des critères juridiques différents à une population des territoires septentrionaux et en appliquer d'autres à la population du Toronto métropolitain, de la ville de Montréal, de Maria, de Montmagny? Est-ce qu'on peut avoir deux critères, deux normes de lois différentes dans le pays?

Ma deuxième question est complémentaire à ma première. Est-ce que les droits inhérents qui sont reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, pour les populations autochtones, selon vous, pourraient permettre de passer outre aux stipulations de l'article 15?

[Traduction]

M. Avison: Si vous me le permettez, monsieur le président, je répondrai également à cette question.

Je répondrai oui à la première question, parce que la Cour suprême du Canada a déjà tranché en ce sens dans un certain nombre de causes. La plus importante sur laquelle j'attire votre attention est la décision concernant R. c. Sheldon S. portant sur l'application de l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette affaire concerne les programmes de mesures de substitution qui peuvent varier d'une province à l'autre.

La même chose s'est produite à propos des différents genres d'ivressomètre que les provinces utilisent. La Cour suprême a déclaré que les provinces peuvent moduler leurs priorités en matière d'application de la loi en fonction des circonstances propres à chaque région.

En fait, dans l'affaire R. c. Sheldon S., la cour a déclaré - et elle traitait, dans ce cas, d'une situation où l'Ontario ne disposait d'aucun programme de mesures de rechange - , qu'il est essentiel qu'un pays aussi complexe et aussi diversifié que le Canada dispose d'une certaine souplesse pour tenir compte de différences à l'échelle régionale. Partant, les juges ont décrété que le fait, pour une province, de ne pas offrir de programme qui soit conforme aux dispositions de l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants - même si celui-ci est offert partout ailleurs au pays - , ne constitue pas, en droit, une violation de l'article 15 de la Charte des droits et libertés.

Nous estimons donc que vous n'avez même pas à en arriver à la question de l'article 35 pour constater que vous pouvez passer outre aux dispositions de l'article 15 pour tenir compte des différences régionales.

Le deuxième aspect important, c'est que nous ne demandons pas une exemption en ce qui a trait uniquement aux intérêts des peuples autochtones parce que, comme le ministre le précisait, il convient de protéger ici aussi, les besoins et les intérêts de non-autochtones.

On ne se retrouve donc jamais dans la situation où il convient d'établir une distinction en fonction des différentes catégories mentionnées à l'article 15. Par conséquent, l'argument serait trop faible pour être invoqué devant un tribunal, en regard de l'article 15 de la Charte, et avoir une quelconque chance de succès.

M. Ramsay (Crowfoot): Je tiens également à souhaiter la bienvenue à ces messieurs et à cette dame. J'ai beaucoup aimé votre exposé et je comprends bien la position dans laquelle ce projet de loi place des gens comme vous qui vivez dans le genre d'environnement qui est le vôtre et qui ont besoin d'armes à feu. Je comprends tout à fait votre situation.

J'estime que dans de nombreuses régions du Canada, on retrouve le même genre de situation où l'on ne considère pas les armes à feu comme étant des armes, mais plutôt comme des outils, des instruments.

J'ai reçu des lettres d'organisations sportives américaines, dans lesquelles des gens me disent qu'ils boycotteront le Canada, qu'ils n'y viendront pas pêcher ni chasser, parce qu'on y exige l'enregistrement des armes à feu. Je me demande si cette situation aura des conséquences économiques sur votre région. Pouvez-vous m'en parler?

Je comprends également le genre de frustration que provoquent chez vos gens, dans les Territoires du Nord-Ouest, certaines parties du projet de loi C-17. La loi a été pensée dans cette partie du pays, surtout à Ottawa, et cet article particulier du projet de loi oblige les propriétaires d'armes à feu à stocker leurs armes dans une pièce et leurs munitions dans une autre. Ils doivent les enfermer dans des pièces séparées. On n'a pas, ici, tenu compte du fait qu'il y a des gens ou des familles complètes qui vivent dans des habitations d'une seule pièce.

.2015

Donc, je comprends la frustration et peut-être même la confusion que peuvent ressentir des gens de votre région face à ce genre de mesure législative qui a une connotation tellement négative et qui est synonyme d'impossibilité sur le plan pratique. Prenons donc les aspects de ce projet de loi qui, selon moi, vont continuer à être cause de frustration pour des gens vivant dans votre environnement.

Comme vous représentez un gouvernement, je tiens à vous poser une question. Je vais le faire de la façon la plus diplomatique possible, mais je me dois de vous la poser parce qu'il s'agit de quelque chose qui me préoccupe: le partage des pouvoirs dans une démocratie.

Il doit exister un partage des pouvoirs entre ceux qui élaborent la loi et ceux qui sont chargés de l'appliquer ou de la mettre en vigueur. Jusqu'ici, le ministre de la Justice n'a pas réussi à obtenir, pour ce projet de loi, l'appui d'au moins trois gouvernements provinciaux, ni, d'après ce que je crois savoir, de deux gouvernementaux territoriaux. Il semble, toutefois, rechercher l'appui des chefs de police et de l'Association canadienne des policiers, l'organisme représentant les agents patrouilleurs.

C'est là l'autre volet de la démocratie auquel je faisais allusion, le partage des pouvoirs. Nous, parlementaires, devrions être responsables de l'élaboration des lois. Les organismes d'application de la loi, quant à eux, devraient être régis par la loi puisque leurs membres sont rémunérés et assermentés pour faire respecter la loi.

Le 25 août 1994, le ministre de la Justice s'est adressé aux chefs de police, à Montréal. C'était avant que la mesure législative ne soit déposée. Il a donné un discours assez long et il a, je pense, traité de la question relativement en détail, mais à la fin de son discours il a déclaré:

Je me dois ici de préciser, aux fins du compte rendu, que l'Association des chefs de police n'est pas financièrement indépendante du gouvernement fédéral.

L'Association canadienne des policiers a tenu son congrès ici, il y a quelques semaines, et le ministre de la Justice en a rencontré les représentants, également, avec qui il semble en train de négocier et dont il a bien sûr demandé l'appui. Apparemment, l'Association canadienne des policiers, qui représente bien sûr les agents patrouilleurs et le personnel subalterne, lui a demandé de supprimer l'article 745 du Code criminel. Il a alors indiqué qu'il y songerait.

Les gens de l'Association canadienne des policiers éprouvaient, eux aussi, certaines réserves à propos de la criminalisation du non-enregistrement des armes à feu et ont proposé qu'à la place, on saisisse l'arme du contrevenant. À ce propos, le ministre de la Justice devait déclarer sur les ondes de la télévision: «Je crois que nous arriverons à nous entendre».

En tant que représentants d'un gouvernement, n'êtes-vous pas inquiets par le fait que les deux institutions - le gouvernement d'un côté, qui élabore les lois et ceux qui sont chargés de l'appliquer, de l'autre côté - semblent se donner la main?

M. Kakfwi: Je vais répondre à la dernière partie de la question de M. Ramsay à propos du partage des pouvoirs et des responsabilités de chacun. Je demanderais ensuite à M. Koe, député d'Inuvik, de nous parler d'un sujet qui nous préoccupe, celui des pourvoiries dont les pourvoyeurs eux-mêmes viendront, je pense, vous parler directement, un peu plus tard. Après, M. Ningark viendra nous dire si nos collectivités du Nord pourront jamais se conformer aux actuelles dispositions en matière d'entreposage des armes.

.2020

Il y a un mois, les ministres de la Justice se sont réunis à Victoria. Lors de cette rencontre, un groupe de ministres dont je faisais partie a demandé à M. Rock s'il n'y avait pas moyen qu'il soit d'accord avec nous qui représentions également un gouvernement, et qu'il accepte d'atténuer sa position sur certains aspects, surtout en ce qui a trait aux dispositions sur les sanctions. Il nous a répondu par un «non» sans équivoque.

Alors, quelle ne fut pas ma surprise de voir un peu plus tard sur les écrans aux informations nationales, un monsieur Rock souriant dire que s'il n'était pas disposé à chercher à s'entendre avec nous, il était prêt à le faire avec les chefs de police qui lui avaient demandé exactement la même chose. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que c'est ainsi qu'il nous traitait, d'une façon qui n'est certes pas du meilleur goût. Je m'en souviens très bien. Comme je l'ai vu à la télé, j'ai été profondément affecté et je suis sûr que d'autres ministres de mon gouvernement ont ressenti la même chose.

Le président: Et jusqu'ici, il n'a pas modifié sa position.

M. Kakfwi: Je vais demander à MM. Koe et Ningark de vous répondre.

M. Fred E. Koe (député, Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest): Les conséquences économiques d'une telle disposition sur les chasseurs sportifs et les pourvoyeurs des Territoires du Nord-Ouest sont loin d'être négligeables. Elles ne sont peut-être pas aussi graves quand on voit cela à notre échelle, quand on parle de millions de dollars, mais elles le sont à l'échelon individuel, à celui du guide ou du propriétaire de pourvoirie d'une petite collectivité.

Imaginons, par exemple, la situation d'un guide de Sachs Harbour qui est engagé par un groupe de chasseurs, par l'intermédiaire d'un pourvoyeur aux États-Unis. Dans le cas d'un boeuf musqué, ces chasseurs dépenseront jusqu'à 13 000$ U.S. et si c'est un ours polaire, il leur en coûtera jusqu'à 20 000$ U.S. Eh bien, le gros de cet argent se retrouve directement dans la collectivité de Sachs Arbour et une bonne partie tombe même dans les poches du guide. Et ce genre de rentrée d'argent n'est pas négligeable en plein milieu de l'hiver, quand il n'y a aucune autre activité économique. Il n'y a plus ni construction, ni exploitation minière et les gens n'ont pas grand-chose à faire. De plus, c'est la morte saison pour le piégeage parce que le marché de la fourrure, comme vous le savez, subit grandement les contrecoups de l'action des lobbyistes de la fourrure, notamment de ceux qui font campagne contre la chasse au phoque.

Ce que je veux dire, c'est que les effets au niveau de chaque particulier se font cruellement sentir. Un guide peut fort bien n'avoir qu'un seul chasseur pour client dans une seule année, sans compter que le nombre de têtes de gibier que l'on peut abattre est limité par collectivité ou par région. Ces guides doivent permettre aux chasseurs de tuer leurs bêtes, sans quoi on ne les choisira peut-être pas l'année suivante. Alors, ils travaillent très fort et ils sont très soucieux d'écologie dans le cas de la plupart des animaux. Par exemple, ils se déplacent en traîneau à chiens plutôt qu'en motoneige et ils couchent sous la tente. C'est ainsi que les choses se passent.

Et il y a beaucoup de chasse qui se déroule ainsi aux quatre coins des Territoires du Nord-Ouest. Donc, le fait pour ces chasseurs particuliers de ne plus pouvoir mener ce genre d'activités aurait des conséquences économiques très graves.

M. John Ningark (député, Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest): Tout d'abord, monsieur le président, permettez-moi de vous dire combien je me réjouis d'être ici devant ce comité fédéral pour étudier cette mesure.

Mais si je n'étais pas ici ce soir, je serais en train de chasser. Je serais couché à côté de mon fusil chargé. Je ne plaisante pas, monsieur le président; je suis honnête quand je vous dis cela.

.2025

Je crois en un gouvernement central fort. Je suis fier d'être Canadien. Je crois dans le système de justice de ce pays. Je crois dans l'équité et dans l'application de la loi de ce pays, à condition qu'elle tienne compte des particularités de nos différentes régions.

Quand je suis chez moi, je regarde les débats de la Chambre à la télévision, en compagnie de ma famille et de mes amis. Parfois, mon père me demande ce qui se passe et je le lui explique.

Le président: Où habitez-vous?

M. Ningark: À Pelly Bay, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Mon père veut savoir ce que fait le gouvernement. Je dois lui traduire parce qu'il ne parle ni ne lit ni n'écrit l'anglais. Mais très souvent, il dit dans sa propre langue qu'il est fier d'être Canadien, tout comme moi, tout comme nous.

Pour répondre à la question de l'honorable député au sujet de l'entreposage des armes à feu et des munitions, je dirais que dans notre partie du pays, on voit les choses avec les yeux du chasseur qui veut aller battre la campagne le lendemain. Il est très rare que le Créateur nous envoie le temps idéal pour chasser. La plupart du temps, en hiver, nous devons attendre des jours entiers avant que les conditions ne soient assez bonnes pour nous permettre de partir. Et pendant que nous attendons, nous laissons notre arme à feu et nos munitions dans un même coin. Très souvent, le fusil est même chargé, parce que le jour ne dure pas très longtemps chez nous. Très souvent en effet, quand on s'y attend le moins, le gibier surgit et là, il faut sauter sur l'occasion. C'est peut-être la seule chance que vous aurez de tuer une bête de toute la semaine.

Dans notre coin de pays, et surtout dans le Nord, il n'est pas pratique d'entreposer armes à feu et munitions séparément.

En 1983, pour la célébration de Noël, toute la collectivité s'était rassemblée dans la salle communautaire. Vers minuit, deux jeunes garçons, agités, on fait irruption. Ils criaient, pleuraient presque. On avait du mal à les comprendre. Finalement, ils se sont calmés et nous ont dit qu'un ours polaire traînait en plein milieu de la ville. L'un deux nous a même indiqué où il se trouvait.

Alors, un homme s'est précipité dehors. Il a aperçu l'ours, près de chez lui, essayant de piller sa réserve. Il s'est mis à courir vers la porte de sa maison. Il n'était plus qu'à une cinquantaine de mètres de l'ours quand il a glissé. La bête s'est jeté sur lui et l'a traîné. Voyant cela, son fils qui savait que son père gardait toujours une arme chargée sur la galerie, s'est précipité pour la prendre et s'est mis à courir après l'ours qui traînait toujours son père. Il lui a tiré dessus, l'a atteint et a sauvé la vie de son père.

Voilà pourquoi il est tellement important qu'on respecte notre point de vue. Il n'est pas seulement question de coutumes, il est aussi question de protection.

Quand nous partons chasser, que ce soit sous la tente ou dans un igloo, avant de nous coucher pour la nuit, nous laissons toujours une arme chargée à côté du lit pour nous défendre contre des ours polaires ou des loups qui rôderaient.

Mme Barnes (London-Ouest): Je vous souhaite la bienvenue, sachez que j'apprécie de voir que vous avez pris le temps de venir nous rencontrer et d'effectuer ce long voyage.

Vous avez à juste titre souligné qu'il est très difficile, pour un député siégeant ici, à Ottawa, de créer et d'adapter une mesure législative en fonction des réalités, diverses, d'un pays aussi grand que le nôtre, en tenant compte de toutes les différences qu'on y trouve. C'est l'impression que j'ai eue quand nous nous intéressions à la Loi sur les jeunes contrevenants, un peu plus tôt, et c'est exactement ce que je ressens aussi aujourd'hui.

.2030

Cet été, il faudra que je m'organise pour visiter les Territoires du Nord-Ouest, où je ne suis jamais allée. En vous écoutant, j'essaie d'imaginer comment les choses se passent là-bas et je m'efforce de les comprendre. Il fallait, je crois, absolument que vous veniez nous rencontrer pour raconter votre histoire. Cela dit, je vous propose de laisser un peu de côté cette question des armes à feu pour parler d'avenir.

En page 8 de votre mémoire, vous parlez de la campagne d'information publique très poussée qui sera nécessaire pour expliquer toutes les répercussions de la loi proposée aux gens du Nord, et vous dites que celle-ci devrait tenir compte du fait qu'un bon nombre de résidents du Nord n'ont pas de langue écrite et qu'ils ne lisent ni ne comprennent le français ou l'anglais. Dans ce contexte, imaginons qu'il ne soit pas ici question de loi sur les armes à feu. Supposons que l'on parle d'une autre mesure législative très importante à propos de laquelle il faudra absolument faire circuler de l'information dans les Territoires du Nord-Ouest.

Alors, comment vous y prenez-vous pour parler d'une nouvelle loi, différente, aux résidents des territoires environnants qui, comme vous nous l'avez dit aujourd'hui, parlent différentes langues en usage dans les Territoires du Nord-Ouest? Comment vous y prendriez-vous? Combien de temps vous faudrait-il et à quel véhicule auriez-vous recours pour que les gens en arrivent à comprendre suffisamment bien une nouvelle mesure législative complexe et technique, risquant de modifier des habitudes fort probablement très ancrées dans votre culture et votre mode de vie?

M. Kakfwi: Tout d'abord, avant d'adopter une loi, nous essayons de prendre le plus de temps possible pour donner la possibilité aux résidents de nos collectivités de comprendre ce que nous nous proposons de faire et, pour cela nous faisons appel à tous les députés de l'Assemblée législative qui font une tournée pour expliquer le projet de loi. Le gouvernement lui-même... moi-même, comme ministre, par exemple, si je parraine un projet de loi, je fais la tournée des régions au nom du gouvernement pour promouvoir le projet de loi. De leur côté, les députés expliquent et appuient le projet de loi ou le rejettent.

On distribue des trousses d'information dans les collectivités. Les textes sont traduits en différentes langues. Nous faisons des émissions de radio et de télévision. Avant l'entrée en vigueur de la loi, nous organisons un processus de consultation poussé. Nous veillons également à donner les coudées franches à un comité permanent pour qu'il puisse sillonner les territoires et tenir des audiences. Donc, tous nos députés doivent voyager.

Comme vous le savez, les Territoires du Nord-Ouest ont une superficie de 1,5 million de milles carrés et s'étendent sur toute la largeur du Canada. Ils occupent en fait un tiers de la superficie du territoire canadien. C'est donc énorme et cette région est aussi diversifiée que le Sud du Canada.

Nous devons savoir comment les gens vivent à Pelly Bay, et nous devons le savoir tout aussi bien que pour Yellowknife, Colville Lake, Tuktoyaktuk et d'autres lieux encore, parce que c'est nous qui préparons les lois pour ces gens. Il semble donc qu'il serait bien d'obliger tous les députés fédéraux à sillonner le Canada pour être au moins au courant des conséquences que leurs lois peuvent avoir sur les gens.

Par exemple, nous éprouvons énormément de difficultés en ce qui a trait à la formation au maniement des armes à feu. Dans les Territoires du Nord-Ouest, nous n'exigeons pas encore que les gens suivent un cours sur la sécurité des armes à feu. Par deux fois nous avons remis l'application de ce programme parce que nous ne parvenions pas à nous entendre avec le gouvernement fédéral sur son contenu et sur la façon de le donner. Dans la plupart de nos collectivités, personne n'a les qualifications nécessaires pour enseigner des cours autres que ceux que nous offrons à l'heure actuelle.

.2035

Le gouvernement fédéral vient juste de diminuer le financement qu'il accordait au titre des langues autochtones, mais il se trouve que cette mesure législative va nécessiter la mobilisation de ressouces humaines accrues si l'on veut pouvoir offrir aux résidents des Territoires du Nord-Ouest ce cours sur la sécurité des armes à feu.

Rares sont les collectivités du Nord où il y a des agents de la GRC et quand il y en a, ils sont seuls dans la plupart des cas. Quand ils sont deux, ils sont surchargés de travail à cette période de l'année.

Pour l'instant, six de nos collectivités au moins ne sont pas reliées au réseau téléphonique. On n'y trouve pas d'ordinateur. Alors, comment ce projet de loi va-t-il être mis en oeuvre... comment le système d'enregistrement va-t-il fonctionner... tout cela nous dépasse. Nous ne disposons ni des ressources ni des capacités voulues pour le faire.

L'un de nous vous a dit que dans une collectivité de 400 âmes on pouvait fort bien trouver plus de 1 000 fusils. Combien de temps faudrait-il à une personne pour enregistrer toutes ces armes ou pour garder les dossiers à jour pour cette collectivité uniquement? Pour une personne qui connaît les ordinateurs, cela représente un bon travail à plein temps. Donc, ne serait-ce que pour mettre en oeuvre le système d'enregistrement envisagé, vous aurez besoin de beaucoup plus qu'un ou deux policiers.

Mme Barnes: D'après ce que je crois comprendre du système d'enregistrement, ce ne sont pas forcément les policiers qui seront chargés de le gérer. En fait, je ne crois même pas que cela soit envisagé.

J'ai sous les yeux l'article 97 du projet de loi où il est question de délégation, lequel, je pense, devrait s'appliquer fort bien au cas des Territoires du Nord-Ouest:

Quant à moi, cette disposition n'est nullement restrictive. Je pense qu'il s'agit d'un véhicule dont vous pourriez vous servir pour adapter cette mesure aux réalités de vos collectivités, puisqu'il y est question de délégation de pouvoirs. Et la situation serait alors très différente de ce qui se passerait dans le cas, par exemple, d'une collectivité comme la mienne, c'est-à-dire London, ou ailleurs dans une région plus populeuse.

Compte tenu des délais de mise en oeuvre de cette mesure, il faudra procéder par le biais de la délégation de pouvoirs. Je crois que vous avez parfaitement raison. J'imagine que dans les différentes collectivités, les anciens participeraient à la délégation de pouvoirs d'une façon bien différente de ce qui se ferait dans les régions plus peuplées, plus réglementées, plus techniques, en ce qui a trait à la diffusion de l'information.

Je ne pense pas que notre travail consiste ici, aujourd'hui, à nous demander comment cela sera réalisé mais nous devons plutôt reconnaître que ce projet de loi renferme en fait un véhicule permettant de combler l'écart entre l'intention et la réalité, puisqu'il faut bien reconnaître que les choses seront différentes et présenteront des degrés de difficulté différents d'une région du pays à l'autre.

J'aimerais que vous nous disiez, vous qui êtes ministre de la Justice des Territoires du Nord-Ouest, si vous pouvez envisager de travailler avec le gouvernement pour déterminer comment il sera possible d'appliquer, dans vos collectivités, la loi qui ressortira de tout ce processus, en ayant recours aux dispositions relatives à la délégation de pouvoirs. Je sais que c'est une tâche difficile.

M. Kakfwi: En fait, nous avons du mal à imaginer que nous puissions demander à nos gens de participer à la mise en oeuvre de cette mesure législative. Je vais vous donner un exemple. L'année dernière, un agent de la protection de la faune dans les Territoires du Nord-Ouest a arrêté un groupe de pêcheurs et leur a annoncé, à brûle-pourpoint: «Ce que vous faites est illégal, vous devez avoir un permis de pêche pour cela». Il s'adressait à des gens dont le peuple pêchait là depuis des milliers d'années. C'était en juillet dernier.

En janvier, nous avons subi une vague de froid avec des températures de -45. À cause de cela, un groupe des nôtres est allé couper du bois pour permettre à nos anciens de se chauffer. Eh bien, l'agent des ressources naturelles est intervenu pour leur dire: «je tiens à vous dire que ce que vous faites est illégal. Vous devez avoir un permis pour couper du bois».

.2040

On ne l'a pas écouté et il a également été obligé de quitter la ville. Ce ne sont pas les jeunes extrémistes qui l'ont chassé. Ce sont les anciens, les gens qui ont besoin de bois pour se chauffer. Ce sont les anciens qui lui ont donné l'ordre de partir, en disant qu'il était inacceptable que cet homme se mêle de leur façon de vivre, de leur droit de vivre sur leurs terres comme ils l'avaient toujours fait.

Nous savons que la GRC dans les Territoires du Nord-Ouest, les tribunaux et les procureurs de la Couronne ne sont pas favorables à ce projet de loi. Ils ne pensent pas que ce projet de loi va nous apporter quoi que ce soit. Il ne va pas réduire la criminalité. Il est important de signaler que nous savons cela lorsque nous discutons avec eux.

En fait, je crois que la GRC appréhende de voir cette loi entrer en vigueur parce que cela va l'éloigner des gens avec qui elle tente d'établir des liens étroits. C'est une crainte que nous partageons tous. Personne d'entre nous ne veut être celui qui dira à nos gens qu'il est désolé, mais qu'il faut appliquer cela.

Mme Barnes: Une dernière question.

Le président: Le temps est largement dépassé.

Mme Barnes: Très bien.

Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Je suis très heureuse de vous souhaiter la bienvenue ici. Cela me rend aussi un peu nostalgique. J'ai passé 15 ans dans le Nord de l'Alberta et j'étais responsable pour la province de la région s'étendant jusqu'aux Territoires du Nord-Ouest et jusqu'à la frontière avec la Saskatchewan. Je suis contente de voir ici des gens qui savent ce que c'est que la vie dans le Nord, où les armes à feu ne sont pas des jouets, mais des outils nécessaires.

Dans la collectivité d'où je viens, il y avait un jeune garçon qui faisait du camping avec ses parents pas très loin de la ville. Il a été attaqué dans sa tente au milieu de la nuit par un ours noir. Au printemps, il y avait des ours noirs sur le terrain de golf. C'est une réalité que les gens ont appris à respecter.

J'ai travaillé dans le Nord pendant 15 ans et je connais les gens et je sais dans quelles circonstances ils vivent, et je ne dirais pas qu'ils n'accordent aucune attention aux règles ou aux lois, mais ils se rendent compte qu'il y a des lois qui ne peuvent leur être appliquées.

Vous avez déjà mentionné que les gens n'observent pas beaucoup les lois dans cette région et que cela ne va pas faire baisser le nombre des suicides, parce que ce sont d'autres facteurs qui entrent en jeu et non pas les armes à feu.

Pensez-vous qu'il existe une possibilité de faire respecter cette loi dans le Nord si le projet est adopté? Éprouvez-vous à l'heure actuelle des difficultés avec l'application de la loi par les autorités? Avez-vous du mal aujourd'hui à faire appliquer la loi par les personnes qui sont chargées de le faire et est-ce que vous pensez que cela pourrait devenir encore plus difficile? Ou est-ce une chose que vous pouvez accepter en décidant de faire comme si elle n'existait pas?

M. Kakfwi: Je vais demander à M. Patterson de répondre à votre question.

M. Dennis Patterson (député, Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest): Avant d'être élu député en 1979, je travaillais comme avocat de l'Aide juridique dans une clinique qui s'occupait d'aider les Inuit de l'Île de Baffin à comprendre la loi et à participer davantage au fonctionnement du système judiciaire. C'est dans cette perspective que je vais répondre à votre question.

Il est important de comprendre que les dispositions actuelles en matière d'enregistrement des armes à feu, qui ont été renforcées il y a trois ans environ, je crois que c'était par le truchement du projet de loi C-17, sont pratiquement inapplicables dans les Territoires du Nord-Ouest. Je vais vous décrire un peu ce que veut dire présenter une demande d'AAAF, en particulier si votre langue n'est ni l'anglais ni le français.

Tout d'abord, on vous présente un formulaire de quatre pages, je crois, dans une langue qui n'est pas la vôtre. Il vous faut vous procurer une photo de passeport. Je ne peux pas vous dire toutes les difficultés que représente chez nous l'obtention d'une photo de passeport. C'est peut-être déjà difficile dans le Sud, je n'en sais rien, mais dans le Nord, c'est toute une entreprise que de vouloir se procurer une telle photo passeport. Il en faut deux, je crois, pour ce formulaire.

Il faut ensuite payer des droits de 50$. On nous dit, ne vous inquiétez pas, les gens n'auront pas à payer ce droit. Il y a une exonération pour ceux qui utilisent ces armes pour subvenir à leurs besoins. Je vais vous dire comment ça se passe dans ma collectivité. Chez nous, c'est la GRC locale qui décide de vous exonérer ou non de ce droit. Entre parenthèses, je tiens à dire que la GRC n'aime pas beaucoup avoir à prendre ce genre de décisions.

.2045

Ils ont décidé qu'ils n'accorderaient d'exonération qu'aux gens qui reçoivent des prestations d'assistance sociale. Il y a beaucoup de gens qui vivent de la chasse, qui ont des permis de chasse et qui sont très fiers de ne pas être des assistés sociaux. Ils ne gagnent pas beaucoup d'argent, mais ils ne sont pas des assistés sociaux. Ces gens-là ne sont pas exonérés.

C'est peut-être un problème récent et il faudra le régler. Je vous donnais simplement un exemple des nombreux obstacles qui existent actuellement.

La plupart des gens disent qu'ils n'ont pas envie de s'occuper de ces choses. Les anciens disent qu'ils vont être n'obligés de vendre ou d'échanger des armes entre eux. On n'applique aucunement aujourd'hui les règles relatives aux AAAF. C'est la même chose pour les exigences en matière d'entreposage sécuritaire et M. Ningark en est la preuve la plus évidente.

Nous n'avons pas encore réussi à nous entendre sur ce qui existe à l'heure actuelle, le cours de sécurité dans le maniement des armes à feu. Ce qui existe à l'heure actuelle est manifestement impraticable. Ces lois sont plutôt enfreintes que respectées. C'est pourquoi nous ne voyons pas comment l'on pourrait nous demander de mettre en place un système encore plus lourd.

Je sais que l'on dit que les chefs de police sont en faveur de ce projet de loi, et je sais que la position officielle de la GRC lui est également favorable, mais je peux vous affirmer que les policiers qui travaillent dans nos collectivités, qui essaient d'améliorer les relations avec les autochtones, de favoriser les politiques communautaires, n'ont pas du tout hâte de mettre en oeuvre ce projet de loi. Ils nous disent qu'ils n'ont pas envie de savoir si nous avons des armes à feu chez nous. Dans notre collectivité, il est exceptionnel qu'il n'y ait pas d'armes dans une maison. Ils le savent et ils savent qui sont les propriétaires de ces armes.

Pour répondre à votre question, je dirais qu'il est impossible d'appliquer ce projet de loi. La plupart des nouvelles dispositions renforcées sont inapplicables. C'est pourquoi nous vous demandons de reporter l'application de ce projet de loi pour ce qui est des Territoires du Nord-Ouest. Nous ne savons pas combien de temps il faudrait attendre, mais nous savons qu'il serait impossible aujourd'hui de le mettre en application et qu'il nous faudra beaucoup de temps pour mettre sur pied un régime qui puisse fonctionner.

Tout cela peut avoir des conséquences terribles. Ces conséquences seront des dossiers criminels et des peines d'emprisonnement obligatoire, ce qui va réduire encore le respect que les gens du Nord éprouvent pour le système judiciaire.

Le président: Monsieur Gallaway, cinq minutes.

M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Vous allez devoir excuser mon ignorance pour ce qui est des Territoires du Nord-Ouest. Je ne connais pas beaucoup de choses à leur sujet.

J'aimerais vous poser une question pour mettre tout ceci en perspective. Quelle est la population des Territoires du Nord-Ouest?

M. Kakfwi: Soixante-dix mille.

M. Gallaway: Et quelle est la population de Yellowknife?

M. Kakfwi: Quinze mille personnes environ.

M. Gallaway: Très bien. Est-il raisonnable d'affirmer qu'il y a environ 65 000 personnes qui...

Une voix: Cinquante-cinq mille.

M. Gallaway: Cinquante-cinq mille? Eh bien, j'en ajoute quelques-unes pour Yellowknife? Il y a donc 55 000 personnes qui éprouveraient beaucoup de difficultés à respecter ce projet de loi ou qui même ne pourraient le faire.

M. Kakfwi: Ce chiffre est sans doute un peu trop élevé mais...

M. Gallaway: J'essaie de comprendre la situation et ce que vous avez dit ici ce soir m'a beaucoup intéressé. Votre point de vue est que ce projet de loi répond à des objectifs qui sont importants pour les autres régions du Canada, mais pas pour les Territoires du Nord-Ouest. Est-ce bien cela?

Mme Jeannie Marie-Jewell (députée, Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest): La difficulté vient du fait que même s'il n'y a que 55 000 personnes qui habitent à l'extérieur de Yellowknife, il faut essayer de comprendre - puisque vous êtes quelqu'un du Sud - que ces personnes sont réparties entre quelque 63 collectivités dans le Nord. Il serait extrêmement difficile de trouver suffisamment de gens pour mettre en oeuvre ce projet de loi, si l'on tient compte du fait que sur ces 63 collectivités, je crois que l'on peut dire qu'il y en a au moins 50 qui ont une façon de vivre très traditionnelle.

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M. Gallaway: C'est ce que je voulais savoir.

Ce que vous dites ce soir m'intéresse beaucoup. Je crois que M. Antoine a mentionné l'arrêt Sparrow. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest pense-t-il que l'arrêt Sparrow va lui éviter d'avoir à appliquer ce projet de loi ou pensez-vous que cette affaire représente une autre raison de s'opposer à ce projet de loi?

M. Kakfwi: Monsieur le président, lorsque les gens sont arrivés au pays, je ne crois pas qu'ils pensaient que les Premières nations autochtones avaient beaucoup de droits. Même M. Trudeau, au début des années soixante-dix, ne pensait pas qu'il existait des droits autochtones. Mais l'arrêt Calder a amené certaines personnes à changer d'idée.

Quelles que soient vos idées ou vos préférences politiques, tout le monde reconnaît que le droit autochtone le plus fondamental est celui de chasser. C'est le droit le plus fondamental et le plus élémentaire que tout le monde reconnaît aux autochtones. C'est au moins un point de départ. L'arrêt Sparrow dit en fait qu'il ne faille pas y touchez. Si vous n'avez pas besoin d'y toucher, n'y toucher pas. Voilà en gros ce que dit cette décision judicaire.

M. Gallaway: Si je peux aller un peu plus loin, si l'arrêt Sparrow dit qu'il ne faut pas toucher au droit de chasse, cela veut dire que vous soutenez que le projet de loi C-68 ne s'applique pas à vous parce qu'il touche au droit de chasse. Pour reprendre vos propres termes...

M. Kakfwi: Je dis simplement que les gens qui ont préparé ce projet de loi auraient dû examiner sérieusement cette question avant de le faire. Il ne sert pas à grand-chose d'adopter un projet de loi qui va être contesté par la suite et faire l'objet d'attaques constitutionnelles. Voilà ce qui nous paraît constituer un problème.

M. Gallaway: Je comprends fort bien.

Je ne voudrais pas prendre trop de temps. Il est tard. J'ai une dernière question. Je crois qu'un certain nombre d'entre nous ont reçu ces lettres, qui n'ont certainement pas été envoyées spontanément, de groupes comme les Kentucky Riflemen, qui disent qu'ils ne viendront pas chasser au Canada. Je voudrais savoir si d'après vous, le fait d'exiger un certificat, un formulaire d'enregistrement ou quelque chose du genre à la frontière va avoir un effet sur le nombre des clients qui se rendent dans les Territoires du Nord-Ouest pour chasser?

Mme Marie-Jewell: Cela va probablement encore faire augmenter les cas de suicide parce que cela va restreindre énormément notre base économique. Nous avons chez nous quelques pourvoyeurs qui représentent une certaine base économique, parce que dans la plupart de nos collectivités, il n'y a pas beaucoup d'activités économiques comme c'est le cas dans les villes du Sud. Lorsqu'on vit dans le Nord, dans les petites collectivités, il faut apprendre à survivre. La chasse traditionnelle est ce qui permet à beaucoup de gens de survivre.

M. Gallaway: Avez-vous des clients qui vous ont parlé de ce projet de loi? Vous ont-ils dit qu'ils ne viendraient pas?

Mme Marie-Jewell: Parmi mes électeurs, il y a beaucoup d'anciens qui estiment que ce projet porte atteinte à leurs droits fondamentaux et ils trouveraient insultant qu'on adopte ce genre de projet de loi. Il faut savoir que les anciens sont très respectueux des lois. Je dirais que notre génération ressent non pas de la pitié pour eux, mais de la sympathie et que nous essayons de leur faire comprendre la façon dont ce projet de loi devra être mis en oeuvre et nous les encourageons à le respecter. Comme je l'ai mentionné, c'est une région où il faut apprendre à survivre et si on leur retire cela en leur imposant les lois du Sud, c'est comme cela qu'ils les considèrent, ils auront beaucoup de mal à comprendre ce qui se passe.

Le président: Monsieur Nault.

M. Nault (Kenora - Rainy River): Je tiens à vous dire au départ que je viens d'une circonscription du nord de l'Ontario où vivent beaucoup d'autochtones. En fait, un bon nombre de ces collectivités sont très isolées. Je dirais qu'il y en a près de 23 sur les 46 communautés des Premières nations que je représente. Nous connaissons, dans ces collectivités, les mêmes difficultés et les mêmes problèmes que ceux que vous venez de nous décrire. L'entreposage est bien sûr un problème.

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Je peux aussi vous dire que depuis l'arrivée du programme de formation obligatoire en 1991, il n'y a pas une seule AAAF qui ait été accordée dans les collectivités autochtones que je représente. Cela veut dire que personne n'a suivi ce programme de formation. Cela ne veut pas dire que personne n'a acheté d'armes depuis 1991. Cela veut simplement dire que les gens n'appliquent pas la loi telle qu'elle est, mais comme vous l'avez raconté ce soir.

Malgré tout, il demeure un problème grave, et je sais que c'est la même chose dans le Nord, et c'est le trop grand nombre de suicides que l'on enregistre dans mes collectivités. Il y a sans doute environ la moitié de ces suicides qui sont commis avec des armes à feu.

J'aimerais que vous me disiez deux choses ce soir. Tout d'abord, comment pensez-vous vous attaquer à ce problème tout en tenant compte des particularités culturelles et régionales? Il est bien évident que les anciens et les dirigeants des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon souhaiteraient qu'il ne soit pas aussi facile de se procurer une arme à feu pour se suicider. De la même façon, il doit bien y avoir des gens dans votre société, dans vos collectivités, comme c'est le cas chez moi, qui ne devraient pas, selon moi, avoir accès à une arme à feu à cause de la façon dont ils s'en servent pour eux ou pour les autres.

J'aimerais beaucoup savoir comment vous envisagez de lutter contre ce problème si ce projet de loi n'est pas adopté. À l'avant-dernière page, vous nous dites que vous trouvez encourageant que le ministre et ses fonctionnaires se soient engagés à tenir compte des aspects culturels et régionaux dans la mise en place du cours obligatoire sur le maniement des armes à feu. J'en déduis que vous êtes en train de négocier et que vous espérez que le ministre comprend les différences qui existent entre les communautés autochtones et les autres, et bien entendu entre les régions rurales du Nord et nos amis qui habitent à Toronto, Montréal, Vancouver et tous ces endroits où la plupart d'entre nous ne souhaitent pas vivre.

Pourriez-vous me décrire ce soir comment vous envisagez de vous y prendre? Je suis confronté au même dilemme que vous. J'aimerais faire quelque chose pour réduire la gravité de ces problèmes dans mes collectivités mais je ne sais pas quoi, parce que je n'arrive pas à convaincre mes collègues qui vivent dans les centres urbains qu'il doit exister une autre façon de faire les choses dans le Nord qui nous donnerait le même résultat.

M. Kakfwi: Je suis heureux que vous ayez posé cette question. C'est une question à laquelle tous les membres des Assemblées législatives du Nord doivent faire face, parce que nous connaissons tout ce qu'ont souffert nos gens depuis une trentaine d'années. Nous savons que nous nous trouvons tous dans une terrible situation.

Tout récemment, le gouvernement a déclaré qu'il faut redonner aux gens le pouvoir de se gouverner. Nous estimons qu'il faudrait redonner aux gens de nos collectivités, qui ont toujours été indépendants, autonomes et capables de faire fonctionner leur propre système de gouvernement, le droit, le pouvoir et les ressources. Lorsque nous présentons cette offre à nos collectivités et que nous leur disons, voyez, nous sommes votre gouvernement depuis longtemps, nous possédons ce pouvoir et celui-ci, et Ottawa celui-là, nous savons que nous ne vous avons pas bien servi, parce qu'il est évident que cela ne va pas très bien et nous allons maintenant vous rendre tout cela... Nous avons présenté cette offre il y a plus de trois ans - en fait, il y a six ans. Les gens ne se sont pas précipités pour nous demander de leur donner tout cela. Ils nous ont plutôt dit que ce n'est pas si facile; ne pensez pas que vous allez vous en sortir en nous remettant simplement ces pouvoirs. Ils nous a été impossible de faire beaucoup de choses parce qu'on nous a empêché de les faire. Il faut penser à intégrer l'ensemble de la collectivité dans cette démarche. Vous ne pouvez pas interdire à quelqu'un de se servir de son bras pendant dix ans et lui remettre une raquette dans les mains en lui disant de jouer au tennis maintenant. Cela ne peut se faire.

Les gens nous disent donnez-nous les moyens de reconstruire notre culture; donnez-nous des fonds; ne nous dites pas comment les dépenser; contentez-vous de nous donner les moyens et le pouvoir de prendre nos propres décisions et nous allons le faire. Cela réduira le nombre des suicides. Cela va mettre un terme à la désintégration sociale.

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N'adoptez pas de lois qui vont nous nuire. N'adoptez pas de lois dont vous ne comprenez même pas vous-mêmes les effets. Nous allons faire nous-mêmes ces choses. Si vous voulez des fonds pour le tourisme donnez-en aussi pour l'harmonie des familles, pour les programmes de désintoxication, les programmes de prévention du suicide, les programmes qui vont favoriser la tolérance zéro dans toutes nos collectivités et le respect des femmes et des anciens. Voilà les choses que nous avons perdues ou qui disparaissent peu à peu. C'est de ça que nous parlent nos gens.

M. Nault: La question que j'ai posée fait bien évidemment appel à la collaboration entre tous les intéressés pour en arriver à une solution.

Tout d'abord, il est très facile de délivrer un permis à tous les gens qui chassent dans le Nord. Il suffit de donner à tout le monde un permis. Cela ne devrait pas prendre beaucoup de temps parce que si votre communauté est comme la mienne, 85 p. 100 des gens que je connais sont des chasseurs et des propriétaires d'armes. Cela ne devrait donc pas être trop compliqué de trouver une façon de donner à tout le monde un permis, parce que c'est la première étape du processus.

La deuxième étape du processus porte sur l'enregistrement des armes d'ici l'an 2003. Cela semble assez lointain pour nous, pour d'autres ce délai est trop long ou trop court, cela dépend de quel côté de la clôture on se trouve. Néanmoins, j'aimerais vous demander si vous pensez qu'il serait possible d'amener les peuples autochtones et le gouvernement à imaginer une solution pour ce qui est de l'enregistrement des armes d'ici l'an 2003?

M. Kakfwi: Le calendrier que l'on retrouve dans le projet de loi est une insulte aux gens du Nord et aux peuples autochtones en particulier. Comment faire pour réconcilier tout cela? Si on vous donne une bonne gifle au visage, combien de temps va-t-il vous falloir pour pardonner et dire «je sais qu'il fallait le faire, mais maintenant, il faut s'entendre et réfléchir à la meilleure façon de vivre ensemble»? J'ignore combien de temps cela peut prendre.

Dans le Nord, nous n'appliquons pas les dispositions actuelles. Alors, avec ce projet de loi, même si les gens voulaient collaborer, je me demande si le gouvernement fédéral aurait la capacité, l'argent et des gens décidés pour mettre sur pied ce système d'enregistrement. Nous ne le pensons pas. Nous ne le pensons vraiment pas.

Le président: Monsieur Breitkreuz.

M. Breitkreuz (Yorkton - Melville): Merci beaucoup pour votre exposé. Ce que vous avez dit m'a beaucoup intéressé parce que cela ressemble à ce que l'on me dit dans ma propre collectivité. Je vis dans une collectivité du Nord-Est de la Saskatchewan. Nous sommes des législateurs et il faut regarder l'ensemble de la situation pour élaborer des lois qui vont améliorer notre société. Les gens de ma région n'arrivent pas à voir quels sont les principes de ce projet de loi qui pourraient améliorer leur société. C'est pourquoi j'ai beaucoup aimé vos propos.

J'ai vécu pendant un certain temps dans le Nord de la Saskatchewan avec des autochtones. J'ai beaucoup aimé les traîneaux à chiens, la chasse et toutes ces choses. Aujourd'hui encore, bon nombre de mes amis et de mes voisins sont des autochtones. Lorsque vous dites que les gens d'Ottawa imaginent des lois qui ne seront d'aucune efficacité, c'est exactement ce que me disent mes amis et mes voisins et cela n'a pas de rapport avec leur origine ethnique non plus qu'avec leur situation sociale. Ils pensent tous que cela ne sera pas efficace.

Serait-il possible de tirer une ligne, une frontière sur le Canada... ? Serait-ce le 60e parallèle? Serait-il possible de tirer une ligne qui séparerait les gens du Nord du reste du Canada? Ne faudrait-il pas que cette ligne englobe une bonne partie de la Saskatchewan parce que les gens des régions rurales disent exactement les mêmes choses que vous?

Un de mes voisins est venu me voir l'autre jour et m'a dit que s'il n'avait pas eu une arme avec lui, son jeune enfant aurait risqué d'être mordu par un animal enragé; il avait besoin de son arme. Bien souvent, les gens d'Ottawa ne comprennent pas la situation qui existe dans le reste du Canada et je crois que c'est un problème.

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Cela crée un énorme ressentiment à l'endroit du gouvernement. Je peux vraiment comprendre ce que vous avez dit quand vous vous êtes demandé ce qui arriverait si quelqu'un devait aller dans cette région et entreprendre maintenant de mettre cette loi en application. Cela crée un énorme ressentiment qui se répercute négativement sur l'ensemble de la société et sur l'attitude des gens à l'égard de la loi. C'est une chose dont nous devons nous préoccuper.

Où faudrait-il fixer la limite? Je crois comprendre que vous venez directement du nord, mais est-il facile de fixer cette limite? Vous faudrait-il la fixer à travers le centre de Yellowknife? Je suis convaincu qu'il n'y a pas qu'un seul groupe de gens qui vivent dans cette ville. Où va-t-on commencer à tracer cette limite? S'agira-t-il d'une limite irrégulière, ou ne peut-on pas l'établir simplement au 60e parallèle? Si le projet de loi n'a pas d'utilité bien claire pour vous là-bas, où peut-il bien en avoir, dans quelles parties du Canada? Où tireriez-vous la ligne?

M. Kakfwi: Au cours des audiences de votre comité, différents gouvernements et différents groupes viendront vous exposer leurs recommandations particulières.

Le président: Nous allons entendre plus tard les représentants des gouvernements de la Saskatchewan et de l'Alberta.

M. Kakfwi: Oui, et je pense qu'ils en feront une analyse très détaillée, car nous avons été en contact avec les autres gouvernements. Ils savent ce que nous faisons. Nous avons dit que nous allions centrer notre exposé sur notre propre territoire et parler surtout de la situation unique des habitants du Nord, des autochtones des Territoires du Nord-Ouest.

À Victoria, nous avons dit à M. Rock que si certaines provinces, comme le Québec, la Colombie-Britannique et l'Ontario, sont tellement favorables à l'enregistrement des armes à feu et tellement convaincues que cet enregistrement contribuera énormément à réduire leur taux de criminalité et leur taux de violence, qu'on commence donc à y mettre ce système en oeuvre pour voir s'il peut donner de si bons résultats. Voyons les statistiques que nous en tirerons en résultats mesurables. Nous appuierons la concentration dans ces seules provinces des ressources que le gouvernement promet d'affecter à ce système.

Mieux encore, appliquons-le uniquement à Montréal; appliquons-le à Toronto, à Vancouver et à Victoria. Nous verrons l'excellent travail que le gouvernement y accomplira et dans quelle mesure ce système contribuera à y réduire la criminalité et la violence. Nous applaudirons le gouvernement et nous l'appuierons; plutôt que d'éparpiller ses maigres ressources dans tout le pays, nous lui enjoignons de les concentrer là où elles auront une incidence maximum, et si ce système donne des résultats extraordinaires, nous admettrons publiquement que nous avions fait fausse route. Nous viendrons demander humblement de participer à l'application du système. Mais, comme vous le savez, notre argument n'a pas été bien reçu.

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney (Hamilton Mountain): Ma question est très brève. A-t-on discuté de cette question dans votre assemblée législative?

M. Kakfwi: Oui, nous en avons discuté, et nous avons eu de longs entretiens avec le ministre l'automne dernier, longtemps avant la présentation du projet de loi. Nos échanges ont été fructueux jusqu'à un certain point. Il faut en reconnaître le mérite au ministre. Il a porté attention à certaines de nos observations. Par exemple, à propos de la disposition concernant l'achat de munitions, il avait voulu à un moment donné nous limiter à acheter des munitions uniquement pour les armes à feu que nous possédons, de telle sorte que ceux d'entre nous qui vivent dans des localités isolées n'auraient pu acheter de munitions que pour eux-mêmes. Les munitions ne sont évidemment pas disponibles localement; elles ne l'ont jamais été.

De même, la disposition selon laquelle nous ne pourrions posséder qu'un certain nombre de boîtes de munitions n'est pas du tout réaliste, car dans de nombreuses localités, nous ne recevons qu'une livraison par année et c'est tout. Nous ne pouvions donc pas acheter nos trois boîtes ou quel que soit le nombre auquel on voulait nous limiter.

Il a compris la justesse de nos observations. Nous lui avons exposé des exemples convaincants à propos des graves répercussions que cette loi allait avoir.

Comme vous le savez, et comme nous le savons, cette initiative avait été promise dans le Livre rouge ou dans un autre document du genre. Elle revêt donc d'autant plus d'importance aux yeux du premier ministre et du parti. Elle est également assortie d'un calendrier très serré.

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On ne devrait pas tant se presser pour une initiative qui est tellement controversée, mais je suppose qu'on le fait à cause des engagements politiques. Les responsables devraient faire une pause durant l'été et en profiter pour réévaluer les priorités; à la rentrée, à l'automne, on pourrait voir s'ils sont toujours du même avis à ce sujet. C'est là notre point de vue.

Mme Phinney: Puis-je vous interrompre? Est-ce là votre point de vue personnel, ou celui de l'ensemble de l'assemblée législative?

M. Kakfwi: C'est le point de vue de tout le monde à l'Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest.

Mme Phinney: Vous avez dit souhaiter qu'on amende l'article 186. Il n'y est question que de temps. Il prévoit simplement que lorsque le projet de loi sera adopté, le gouvernement en fixera la date d'entrée en vigueur. Voulez-vous seulement qu'on modifie cette question de temps? Je ne fais que reprendre ce que vous avez dit et je me demande si cela incluait également, dans votre cas, des ressources pour mettre en application certaines des dispositions du projet de loi. Souhaitez-vous voir modifier ces deux aspects, ou seulement la question de temps?

M. Kakfwi: Nous avons dit que le projet de loi ne pourrait, en grande partie, être appliqué dans les Territoires du Nord-Ouest. Si vous voulez adopter le projet de loi tel quel, nous demandons alors qu'on lui apporte un amendement - dont nous allons vous donner un libellé précis, et expliquer pourquoi nous estimons qu'il s'impose - disant essentiellement que le projet de loi ou telle de ses dispositions devrait entrer en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret du gouverneur en conseil sur l'avis du Commissaire des Territoires du Nord-Ouest. C'est parce que nous avons besoin de temps et que le gouvernement fédéral a besoin de temps pour arriver à comprendre combien tout cela coûtera, qui va mettre la loi en application et comment cela se fera.

Voilà à quoi cela se résume. C'est pourquoi nous disons sans crainte de nous tromper que sous sa forme actuelle, le projet de loi ne fonctionnera pas. Il n'est pas applicable tel qu'il est. Il va transformer en criminels la majorité des habitants des Territoires du Nord-Ouest. Il n'y a pas un tribunal, pas un agent de la force publique dans les Territoires du Nord-Ouest qui attende l'adoption du projet de loi sous son libellé actuel. Il va rendre la vie extrêmement difficile non seulement aux autochtones et aux habitants du Nord, mais aussi aux agents de la force publique et aux tribunaux.

Nous serions très heureux de déposer le texte de cet amendement si l'un de vos fonctionnaires voulait venir le chercher.

Le président: Nous l'avons déjà.

Monsieur Morrison, le greffier m'a donné votre nom, mais nous avons encore sur la liste trois membres du comité qui n'ont toujours pas posé de questions. D'après la règle, ce n'est qu'après avoir épuisé la liste des membres du comité que nous pouvons donner la parole aux non-membres, à moins de consentement unanime. Quelqu'un d'autre de votre parti veut-il prendre la parole? C'est maintenant au tour de votre parti.

M. Ramsay: Il me semble que ce que nous venons d'entendre est plein de bon sens, à mes yeux. Ce que ces représentants élus nous ont dit me paraît bien logique.

Si je comprends bien, vous dites n'avoir besoin ni du projet de loi C-68 ni de certains éléments au moins de la loi C-17. Est-ce bien là ce que vous voulez dire, que vous n'avez tout simplement pas besoin de cette loi, que vous pouvez vous débrouiller sans elle, qu'elle ne vous sera pas du tout bénéfique et que vous pouvez donc vous en passer?

M. Kakfwi: Il est difficile de ne pas insulter les rédacteurs, car je crois que l'intention est bonne. Les rédacteurs n'avaient cependant pas l'envergure ni les connaissances pour faire ce qu'ils essaient de faire. Pas plus que le ministre lui-même, ils ne peuvent nous affirmer catégoriquement que leur loi va sauver des vies, ni démontrer de façon convaincante que l'enregistrement des armes à feu va renverser les tendances que nous observons au Canada aujourd'hui.

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Si nous tenions un débat, nous serions en faveur de la restriction et peut-être même de l'interdiction pure et simple de l'usage des armes d'assaut de type militaire. La plupart des habitants des Territoires du Nord-Ouest n'ont que faire des armes de poing. Nous n'irions pas jusqu'à dire qu'il faudrait les interdire totalement, mais elles ne nous sont pas utiles, contrairement aux armes d'épaule.

Nous sommes et avons été favorables aux cours de sécurité, et nous avons élaboré nos propres cours dans les Territoires du Nord-Ouest, et cela depuis quelque temps. Nous sommes en faveur de l'entreposage à Yellowknife. Nous pensons que les munitions et les armes à feu doivent être tenues séparées si possible et gardées sous clef. Il en va cependant autrement dans les villages, pour des raisons de sécurité, comme l'a dit M. Ningark.

Nous pouvons tous vous citer des cas d'ours qui viennent dans les villages. L'année dernière, rien qu'à Fort Smith, 17 ours ont été tués. Des ours viennent dans nos villages presque tous les jours, de même que des loups.

La vie est très différente pour nous. Aussi naïfs que nous puissions être dans les Territoires du Nord-Ouest, nous n'oserions jamais composer un projet de loi pareil et le proposer aux Canadiens. Nous ne croyons pas qu'il permettra d'atteindre l'objectif visé. Certains éléments du projet de loi pourraient y contribuer, mais il faudrait démanteler le projet de loi C-68 tel qu'il est présentement. Ce serait préférable, à notre avis.

M. Gagnon (Bonaventure - Îles-de-la-Madeleine): J'ai senti dans votre exposé la noblesse de la façon dont vous chassez et dont vous utilisez toujours toutes les parties d'un animal. J'ai grandi près d'une localité autochtone appartenant à une réserve micmac, dans la péninsule gaspésienne, et c'est une chose que j'ai toujours remarquée. Souvent, les pourvoyeurs accueillent des chasseurs du Sud, de l'Est ou de l'Ouest qui y viennent pour le sport, ce qui, d'après mon expérience, n'a jamais été le cas pour aucun des membres de nos Premières nations.

Je sens également aujourd'hui une différence fondamentale entre votre exposé et celui de la National Firearm Association ou l'opinion de n'importe quel autre groupe qui nous a écrit à nous, députés. Vous revendiquez essentiellement le droit de chasser, tandis que tous les autres groupes revendiquent le droit de porter des armes. Il s'agit là d'une différence fondamentale entre vous et la plupart des Canadiens et certainement les députés du Parti réformiste en face de nous.

Vous parlez du droit de chasser, mais quelques-uns de mes électeurs, des aînés, trouvent très difficile de faire une demande de permis de pêche auprès d'un bureau provincial. Vous, cependant, vous pêchez depuis un millénaire. Mais dans cette localité autochtone, à Restigouche, les gens s'enregistrent maintenant entre eux. J'ai l'impression qu'il existe maintenant un rôle pour les aînés, pour les membres de la communauté, consistant à s'administrer eux-mêmes et à contrôler les armes à feu et certains droits de pêche, pourvu que cela se fasse entre vous-mêmes.

Puisque vous revendiquez de chasser et que vous venez d'une région qui est très différente du Canada du Sud et du Canada urbain, j'aimerais que vous nous disiez comment vous pourriez mettre en application vos propres règlements, qui respecteraient l'esprit de la loi, mais qui tiendraient également compte de vos traditions plus que séculaires.

Je collabore avec le solliciteur général et nous tâchons de conclure des accords tripartites et d'assurer un maintien de l'ordre public tout en tenant compte des intérêts de la communauté. Certains efforts ont été faits avec succès dans diverses communautés autochtones un peu partout au Canada. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Je sais que vous faites encore face à des problèmes de violence et de mauvais traitements, comme dans beaucoup d'autres communautés, mais je suis convaincu que nous pourrions faire quelque chose de différent en collaboration avec vous. J'aimerais savoir ce que vous pensez sur les trois points que j'ai abordés.

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M. Kakfwi: Nous avons déjà dit que partout où la chose est possible, nous, en tant que gouvernement, sommes disposés à rendre à nos communautés leur droit inhérent à se gouverner elles-mêmes et à légiférer. Il est vrai qu'au Yukon, l'accord sur les revendications territoriales conclu par le gouvernement comporte des dispositions permettant aux Premières nations du Yukon de légiférer en matière d'armes à feu. Il reste au gouvernement fédéral à voir comment ce projet de loi peut être compatible avec cet accord.

Tout d'abord, nos gouvernements vont faire valoir des arguments très détaillés pour démontrer qu'il s'agit d'un domaine relevant davantage de la juridiction provinciale, et que si le projet de loi est si maladroit et si lourd de la façon dont il est sorti du cabinet du ministre fédéral, c'est parce qu'il n'aurait jamais dû en sortir pour commencer. Sur le plan de la juridiction, cette initiative n'aurait pas dû voir le jour dans le cabinet du ministre fédéral. Il s'agit plutôt d'un problème juridictionnel dont il conviendrait davantage que les provinces s'occupent.

S'il existe un moyen de permettre aux Premières nations de légiférer pour réglementer l'utilisation sans risque des armes à feu plutôt que de prévoir des peines pour les utilisateurs, nous devrions le faire.

Le président: Si je vous ai bien compris, vous avez dit que dans les Territoires du Nord-Ouest, on n'a pas grand-chose à faire des petites armes de poing et des armes automatiques de type paramilitaire. Est-ce exact?

M. Kakfwi: Les autochtones n'ont absolument rien à faire des armes d'assaut de type militaire ou des armes de poing. Nous n'y connaissons rien et nous ne les utilisons pas.

Le président: Je voudrais vous poser des questions à propos d'autres appareils modernes pour lesquels il faut habituellement faire immatriculer et qui sont utilisés dans le nord.

Vous avez dit tout à l'heure que vous abandonniez les motoneiges pour revenir aux chiens, mais je pense que les motoneiges sont encore utilisées abondamment dans le Nord, et qu'elles servent pour la chasse. Est-il nécessaire de les faire immatriculer ou enregistrer? Quelle difficulté cela pose-t-il si c'est nécessaire? Quelles règles régissent l'utilisation des motoneiges, et vous en servez-vous encore pour chasser?

M. Koe: La plupart des municipalités ont leurs propres règlements municipaux pour réglementer l'utilisation des motoneiges à l'intérieur des limites de la municipalité. Nous n'avons pas de système d'immatriculation dans les territoires pour l'utilisation des motoneiges. Ces véhicules y sont abondamment utilisés. J'ai parlé des chiens, mais on s'en sert plus particulièrement pour la chasse à l'ours polaire. Les motoneiges ne sont pas utilisées pour la chasse sportive à l'ours polaire, mais pour la poursuite traditionnelle de l'ours de nos jours...

Le président: Utilise-t-on les motoneiges, et avez-vous besoin d'une plaque d'immatriculation si vous les utilisez pour chasser?

M. Koe: Non, nous ne les faisons pas immatriculer.

Le président: L'immatriculation sert uniquement à leur utilisation sur le territoire municipal?

M. Koe: Certaines municipalités ont leurs propres règlements et arrêtés municipaux qui en régissent l'utilisation. À Yellowknife, il faut payer des frais d'immatriculation et faire enregistrer sa motoneige.

Le président: Je m'interroge à propos de l'autre véhicule moderne qu'est un bateau. Dans le sud, il faut faire immatriculer son bateau. Qu'en est-il dans les territoires? Qelles lois y régissent l'utilisation des bateaux?

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M. Koe: Les lois sont assez semblables. Dans le cas d'embarcations d'une certaine dimension, je crois qu'il faut les enregistrer auprès du ministère des Transports si elles doivent naviguer sur les océans et les très grands lacs. En général, toutefois, il n'est pas nécessaire d'obtenir un permis pour les canoes et les autres petites embarcations comme les petits voiliers.

Le président: Comme les embarcations utilisées dans la Baie d'Hudson?

M. Koe: Non.

M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Je voulais simplement savoir ce qu'on peut faire à partir de maintenant. Monsieur le ministre, vous avez déclaré que ce projet de loi ne pourrait produire les résultats escomptés dans les Territoires du Nord-Ouest et vous avez aussi affirmé que vous ne tenteriez pas de le mettre en application dans les Territoires du Nord-Ouest si ma mémoire est fidèle. En outre, vous avez recommandé que la date d'entrée en vigueur soit fixée par décret, selon les recommandations du commissaire du territoire. À Victoria, vous aviez dit à M. Rock que ce projet de loi devrait d'abord être mis à l'essai en Ontario, au Québec et dans certaines autres régions du Canada pour voir si les résultats seraient probants.

En supposant qu'un tel essai n'aura jamais lieu, que votre amendement ne sera jamais adopté et que le projet de loi sera mis en application dans tout le pays d'un océan à l'autre, avez-vous planifié ce qui se produira ensuite? Avez-vous prévu des négociations avec le ministère fédéral de la Justice? Nous avons amplement le temps de procéder à des négociations durant l'étude des amendements article par article et je crois qu'il serait malheureux de ne rien faire. À mon avis, les négociations entre votre ministère et le ministère fédéral de la Justice pourraient être très fructueuses. Êtes-vous de cet avis? Avez-vous prévu d'autres rencontres à cet effet? Que devrions-nous faire maintenant selon vous?

M. Kakfwi: Si vous devez me citer il est important de me citer fidèlement. Je ne voudrais pas qu'on me considère comme un ministre de la Justice qui n'a pas l'intention de respecter la loi. J'ai déclaré que si ce projet de loi est adopté, le procureur général des Territoires du Nord-Ouest est M. Allan Rock et non moi-même. Je regarderai donc M. Rock faire tous ses efforts pour tenter de mettre en application le projet de loi. Il m'a affirmé récemment que si tout allait bien, et non si je me comportais bien, je pourrais peut-être devenir procureur général des Territoires du Nord-Ouest si le gouvernement fédéral décidait de nous confier les poursuites judiciaires au cours des prochains mois. Je n'aurai pas à soutenir M. Rock dans ses efforts pour faire respecter la loi, au contraire je devrai plutôt compter sur son appui à cet égard.

Je voudrais que ce soit clair; jamais je n'ai préconisé que qui que ce soit, y compris moi-même, ne respecte pas la loi. Cependant, je crois fermement que, lorsqu'on élabore des mesures législatives et qu'on promulgue des lois, celles-ci ne doivent pas entrer en conflit avec d'autres lois plus fondamentales. C'est peut-être ce qui se produit en l'occurence; les dispositions de ce projet de loi s'opposent en premier lieu aux lois régissant les droits des autochtones et aussi aux lois stipulant que certaines des peines prévues pourraient constituer une punition inhabituelle et cruelle en vertu de la Charte des droits et libertés si elles sont appliquées uniformément d'un bout à l'autre du pays. Voilà l'argument que nous tentons de faire valoir.

Je n'ai jamais prôné le non-respect des lois.

M. MacLellan: En ce qui concerne la deuxième partie de votre intervention, lorsque vous demandez ce qu'on doit faire maintenant, en supposant que l'amendement que vous proposez n'est peut être pas satisfaisant, prévoyez-vous d'autres réunions avec le ministère fédéral de la Justice pour formuler d'autres suggestions et peut-être proposer des amendements au projet de loi qui le rendraient acceptable pour les Territoires du Nord-Ouest? Prévoyez-vous participer à des rencontres avec le ministère de la Justice dans le but d'obtenir des changements à cet égard?

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M. Kakfwi: Si la population canadienne disposait de plus de temps pour donner son avis et tenter de modifier cette mesure législative, nous serions très heureux de participer par exemple à la révision du projet de loi, article par article. Nous ferions notre part avec plaisir puisque, je l'ai dit déjà, nous sommes entièrement d'accord avec certains éléments de ce projet de loi.

Cela ne se produira pas, pour des raisons purement politiques. Je ne crois pas qu'on vous laisse le loisir de discuter de ce projet de loi avec vos électeurs dans vos circonscriptions cet été, car ceux-ci pourraient vous faire changer d'idée. Le projet de loi devrait être adopté grâce à certaines mesures décisives qui seront prises en juin. Nous aimerions reporter l'échéance car ainsi nous pourrions faire un meilleur travail. À notre avis, il n'est pas nécessaire de dépenser de telles sommes et de consacrer tant d'efforts à des mesures dont les résultats sont douteux.

Si vous êtes convaincus du bien-fondé du paragraphe que vous avez ajouté, qui devrait nous donner certaines garanties selon vous, si ce paragraphe 110 t) est vraiment valable, le projet de loi ne devrait peut-être pas être adopté avant que les règlements ne soient clarifiés et avant qu'ils fournissent ces garanties déjà données selon le ministre. Nous aimerions obtenir ces garanties avant l'adoption du projet de loi.

Le président: Chers collègues, M. Morrison n'est pas membre du Comité, mais il aimerait poser quelques questions. Ai-je votre consentement unanime à cet égard?

Des voix: D'accord.

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Comme le président l'a dit, je ne suis pas membre du Comité, mais je suis heureux d'être ici ce soir. C'est très réconfortant d'entendre vos présentations. Le gros bon sens est parfois rare à Ottawa.

J'ai vécu dans toutes les régions des Territoires du Nord-Ouest. Je sais d'où vous venez, et je sais de quoi comprends vos arguments. Il m'est arrivé d'avoir à tirer sur des ours à mon chalet. Je saisis donc très bien vos propos.

De tout ce que vous avez dit ici ce soir, ce qui m'inquiète avant tout est l'amendement que vous avez proposé. Votre façon de voir le Canada du Sud est erronée. Le Canada du Sud n'est pas composé uniquement de Toronto et de Montréal, heureusement! Il existe au Canada de vastes régions semi-sauvages et de très nombreuses petites collectivités rurales, même dans ma province de la Saskatchewan, qui ressemblent énormément aux petites collectivités isolées des Territoires du Nord-Ouest.

Les gens de ces collectivités utilisent essentiellement les mêmes arguments et font des commentaires très semblables à ce que vous avez dit ce soir et ils sont tout aussi véhéments à ce sujet.

Je tiens donc à vous demander, à vous prier plutôt, de bien vouloir accorder votre appui et votre coopération à tous les gens des régions rurales du Canada, aux agriculteurs, aux éleveurs et aux bûcherons. Nous devrions nous liguer contre un ennemi commun, si je peux m'exprimer en termes aussi crus. Je n'aime pas voir des dissensions dans nos rangs. Voilà donc ma demande. Je vous prie de songer sérieusement à ce que vous faites. Il ne faut pas laisser le gouvernement diviser pour mieux régner, c'est-à-dire diviser entre eux les habitants des régions rurales du Canada. Merci.

Le président: Est-ce que quelqu'un désire répondre?

M. Kakfwi: Oui.

Je me demande si vous êtes bien conscient du fait que nous ne savons pas qui sont les libéraux, les réformistes ou les membres du Bloc québécois. D'ailleurs, nous ne tenons pas à le savoir pour le moment. Tous les membres du Comité accueilleront favorablement les questions, pourvu qu'elles soient formulées en termes respectueux.

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Nous comprenons parfaitement ce que vous dites car nous savons très bien ce que veulent le Québec et l'Ontario. La majorité des députés appartiennent à ces deux provinces; ce sont elles qui dirigent le pays en fait. Les peuples autochtones, et surtout ceux des Territoires du Nord-Ouest, ont toujours vécu en marge de la société canadienne.

Je tiens à préciser que s'il y avait lieu de croire que personne ne défendrait la cause des régions rurales du Canada, nous le ferions sans hésiter car nous savons ce que signifie être isolés et marginalisés. Toutefois, nous sommes certains, absolument convaincus, que d'autres gouvernements et d'autres groupes viendront et sauront défendre énergiquement leur point de vue devant vous durant les audiences de ce Comité. Nous savons que d'autres gouvernements présenteront des arguments solides et techniquement très détaillés et qu'ils feront valoir des points très valables. Ils connaissent nos démarches auprès du Comité et nous travaillons de concert avec eux.

Je vous assure donc que nous n'avons pas choisi délibérément de mener seuls notre propre combat, parce que cela ne réussit jamais. Nous collaborons avec tous les autres paliers de compétences.

Le président: Merci beaucoup. Votre témoignage a touché bon nombre des membres du Comité et je sais qu'ils s'efforceront de concilier vos recommandations à la nécessité d'instaurer des lois très sévères sur le contrôle des armes à feu dans les régions où elles sont essentielles. Nous apprécions beaucoup votre témoignage.

Je tiens à rappeler aux membres du Comité que la séance de demain aura lieu à 9h30 dans la pièce 308, car la salle où nous sommes aujourd'hui avait été réservée il y a déjà longtemps. Nous reviendrons ici mercredi. Demain matin les travaux porteront sur le Budget des prévisions des services correctionnels. Plus tard dans la matinée et dans l'après-midi, nous aborderons le projet de loi C-86.

M. Kakfwi: Monsieur Allmand, nous devons dire aux membres du Comité et à tous les autres membres que, comme vous le savez, nous avions fortement recommandé que le Comité visite les Territoires du Nord-Ouest pour voir quel est le mode de vie dans cette région et constater à quel point la situation est différente dans le Nord. Vous dites maintenant que ce n'est pas possible; ce n'est pas entièrement impensable mais c'est impossible pour le moment. Je réitère donc l'invitation.

Si les membres du Comité ne peuvent se rendre dans les Territoires du Nord-Ouest, peut-être qu'en votre qualité de président, vous pourriez faire un court séjour dans notre région. Nous vous amènerions dans les collectivités des Inuits ou chez les Dénés et Métis pour vous montrer que les exemples cités aujourd'hui sont très réels. Le Comité pourrait sans doute profiter de votre présence parmi nous, fût-elle très brève. Je vous invite donc à nous rendre visite.

Le président: Merci. J'y réfléchirai.

La séance est levée.

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