[Enregistrement électronique]
Le mercredi 19 mars 1997
[Traduction]
Le président (M. Michel Dupuy (Laval-Ouest, Lib.)): Il y a quorum. D'après les dernières nouvelles, notre vote est reporté jusqu'à 17 h 30, ce qui va nous obliger à interrompre notre séance au moment où la sonnerie se fera entendre. Cela nous laisse quand même pas mal de temps et nous allons l'utiliser de notre mieux.
Aujourd'hui, nous allons aborder le chapitre 19 de l'ALENA. Nous allons entendre M. Cheng du cabinet Osler, Hoskin et Harcourt, M. Goodwin, président de Tracon Consultants Limitée, et M. Peter Clark de Grey, Clark, Shih et associés limitée, qui est bien connu du comité.
Je vais commencer par le premier nom qui figure sur ma liste et inviter M. Ronald Cheng à prendre la parole.
M. Ronald C. Cheng (avocat, Osler, Hoskin et Harcourt): Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Comme vous l'avez mentionné, je comprends que notre discussion va être centrée sur le chapitre 19 de l'ancien accord de libre-échange qui est devenu l'ALENA.
Je n'ai pas préparé d'exposé, comme l'ont fait d'autres témoins, mais j'ai pris quelques notes à titre d'aide-mémoire, et je les ai données au greffier pour qu'il les distribue. Je suis désolé mais à cause de problèmes de temps, je n'ai pu vous fournir ces notes en anglais et en français.
J'aimerais aborder très rapidement trois questions. Premièrement, j'aimerais faire quelques observations générales au sujet du chapitre 19, notamment sur le fait que l'on s'entend, je crois, de façon générale pour dire que ce mécanisme a donné de bons résultats. Deuxièmement, du point de vue d'un praticien, la procédure prévue par ce chapitre représente une évolution pour le droit administratif canadien et celui des autres pays concernés. Troisièmement, je parlerai de certains aspects que vous et les membres du comité pourraient examiner et qui permettraient de renforcer le mécanisme et même peut-être de l'améliorer.
Pour ce qui est de l'existence d'un consensus général voulant que le mécanisme prévu par ce chapitre 19 a permis d'accélérer l'examen des décisions relatives aux recours commerciaux, je crois que toutes les parties le reconnaissent. Cela est peut-être encore plus vrai si on le compare avec les mécanismes traditionnels d'examen judiciaire aux États-Unis que cela ne l'est pour le Canada.
C'est ce qui explique que certains observateurs ont affirmé que ces mécanismes avaient profité davantage aux citoyens canadiens et mexicains qui ont pu l'utiliser, évitant ainsi d'avoir à faire face à la procédure normale de l'examen judiciaire américain, qu'ils n'ont bénéficié aux citoyens américains qui auraient autrement eu recours à l'examen judiciaire canadien. Selon certains, le fait que les critiques et les contestations dont a fait l'objet le chapitre 19 proviennent principalement des États- Unis plutôt que des autres pays signataires de l'ALENA démontre le bien-fondé de cette affirmation.
C'est ce qu'illustre très bien les trois demandes présentées au comité pour contestation extraordinaire par les Américains que vous connaissez tous - la viande de porc, les porcs vivants et le bois d'oeuvre - qui concernaient toutes des prétendues subventions dont bénéficiaient les exportations canadiennes vers les États- Unis.
Par contre, si vous jetez un coup d'oeil à la page 2 de mes notes et au tableau qui y figure, qui contient les demandes d'examen présentées en vertu du chapitre 19 et les résultats obtenus, vous constaterez que les résultats des demandes présentées aux termes du chapitre 19 sont plus équilibrés que pour ce qui est du Canada et des États-Unis, que ne le laisseraient penser les trois cas importants que je viens de mentionner.
Comme le tableau l'indique, les demandes d'examen concernant des décideurs américains sont sensiblement plus nombreuses - 36 contre 28 - mais le taux de succès n'est pas sensiblement plus élevé pour les Canadiens qui contestent les décisions américaines que pour les Américains qui contestent celles prises au Canada.
Plus précisément, des groupes spéciaux du chapitre 19 ont entendu six décisions de Revenu Canada au sujet de marges de dumping. Ces six décisions ont été renvoyées et ont entraîné, comme l'indique le tableau, des modifications du montant des droits. Par comparaison, ces groupes ont été amenés à examiner 21 décisions du DOC (ministère du Commerce) américain relativement au dumping ou de subvention, dont 16 ont entraîné une modification des droits et les cinq autres non. Autrement dit, toutes les décisions de Revenu Canada qui ont été examinées ont entraîné un changement des droits alors que trois quarts seulement des décisions du ministère du Commerce américain ont également débouché sur des modifications.
Le chapitre 19 appelle une autre observation générale qui a fait l'objet de discussions, il s'agit de la comparaison qu'on a inévitablement, ou presque, tenté de faire entre le chapitre 19 et le mécanisme de règlement des litiges de l'OMC cri en 1994. Cette comparaison appelle certains brefs commentaires qui peuvent intéresser vos travaux.
Il est évident que le mécanisme du chapitre 19 et celui de l'OMC ne sont pas interchangeables sous leur forme actuelle. Le fait que le mécanisme de l'OMC vise uniquement les gouvernements le rapproche davantage du mécanisme de règlement des litiges du chapitre 20 de l'ALENA plutôt que de celui du chapitre 19. C'est peut-être précisément pour cette raison que le mécanisme du chapitre 19 a été beaucoup plus utilisé que celui du chapitre 20.
La deuxième différence est que les groupes spéciaux de l'ALENA examinent si les décisions contestées sont conformes au droit interne, comme vous le savez, celui du décideur. Le mécanisme de l'OMC vise à vérifier si les décisions sont conformes aux critères internationaux de l'OMC, qui ne sont pas toujours les mêmes.
D'après moi, il y a une question qui a déjà été examinée par des groupes spéciaux du chapitre 19 qui illustre fort bien cette différence: il s'agit de savoir si les décideurs, dans quelque pays qu'ils se trouvent, qui déterminent si des importations subventionnées ou sous-évaluées ont causé un préjudice peuvent ou doivent tenir compte du volume et de l'effet cumulatifs des importations subventionnées ou sous-évaluées, quelle que soit leur provenance.
Le code de l'OMC énonce que les décideurs en question peuvent tenir compte de l'effet cumulatif des importations. C'est ce que font également les dispositions canadiennes postérieures à l'OMC. Par contre, les dispositions américaines postérieures à l'OMC exigent qu'il soit tenu compte de l'effet cumulatif des importations. La décision d'un décideur américain qui a tenu compte de l'effet cumulatif peut être acceptable ou non selon qu'elle est soumise à un groupe spécial de l'OMC ou à un groupe spécial du chapitre 19, étant donné les différences qui existent entre eux sur le plan de la compétence.
Il existe un exemple voisin. Comme beaucoup d'entre vous le savent, aux termes du code de l'OMC, lorsqu'elles sont minimes, les subventions ou les sous-évaluations ne peuvent donner lieu à une conclusion de préjudice, en fonction de certains critères arithmétiques. Ces critères sont pratiquement les mêmes que ceux des lois commerciales canadiennes et américaines.
Cependant, la législation américaine contient une autre disposition qui prévoit que ces importations de valeur minime n'ont pas à être exclues dans le cas où le décideur américain conclut qu'elles «vont déboucher très rapidement sur des volumes ou des marges de dumping qui ne sont pas négligeables». Là encore, il m'apparaît évident qu'un groupe spécial qui aurait à déterminer si une décision américaine est conforme au droit américain et conforme au code de l'OMC pourrait fort bien en arriver à des conclusions opposées.
Enfin, il existe une différence importante entre le mécanisme de l'OMC et celui du chapitre 19, à savoir que l'instance qui entend l'appel du premier examen ne peut renvoyer la question devant le groupe spécial pour lui demander de compléter ou de préciser sa décision, lorsqu'il s'agit du mécanisme de l'OMC. L'organe d'appel peut uniquement confirmer ou infirmer la décision. Par contre, comme vous le savez, les comités pour contestation extraordinaire du chapitre 19 ont le pouvoir de renvoyer la décision au groupe binational pour plus ample examen.
Le deuxième des trois sujets que j'ai mentionné au début est le changement institutionnel que représente le mécanisme du chapitre 19 sur le plan du droit administratif.
C'est une des premières fois, je crois, en droit canadien en tout cas, que l'examen judiciaire d'une décision d'un tribunal administratif est confié à un autre tribunal administratif et non pas à une instance véritablement judiciaire.
En créant les comités spéciaux du chapitre 19, on voulait confier l'examen de ces décisions à un groupe d'experts et non pas aux tribunaux nationaux d'un pays signataire, organes qui n'auraient la même expertise dans ce domaine. Comme vous le savez, la plupart des membres de ces groupes ont une formation d'avocat mais il faut qu'ils soient également experts en commerce. Avec l'ALENA, les listes des personnes susceptibles de constituer un groupe spécial doivent comprendre, dans toute la mesure du possible, des juges ou d'anciens juges.
En tant que praticien, il me paraît intéressant de noter que dans les milieux juridiques, on justifie traditionnellement la création de tribunaux administratifs parce que les décisions à prendre dans certains domaines spécialisés exigent davantage d'expertise que de connaissances juridiques. Les résultats obtenus grâce aux groupes spéciaux du chapitre 19 semblent indiquer qu'il faut encourager la pratique consistant à faire examiner les décisions des tribunaux spécialisés par des experts plutôt que par des juristes.
Le tableau auquel je vous ai demandé de vous référer il y a un instant à la page 2 de mes notes démontre que même les décideurs spécialisés peuvent se tromper ou qu'il faudrait au moins qu'ils soient tenus de justifier leurs décisions et de les rendre davantage transparentes aux autres spécialistes du domaine.
Ce tableau, si je peux vous demander de vous y référer encore une fois, fait ressortir un aspect intéressant du mécanisme du chapitre 19.
Qu'il s'agisse de décisions américaines, canadiennes ou mexicaines, on constate que ce sont plutôt les décisions qui touchent le calcul des marges de dumping ou de sous-évaluation - qui sont, pourrait-on dire, des décisions plus empiriques et donc plus susceptibles d'être vérifiées et donc plus spécialisées - qui ont fait plus souvent l'objet de demandes d'examen par un groupe spécial que les décisions relatives au préjudice qui concernent davantage des principes juridiques comme l'importance du préjudice ou le lien de cause à effet.
Cinquante-trois décisions que j'appellerai empiriques ont fait l'objet d'une telle demande contre 18 décisions en matière de préjudice. Sur ces 53 demandes, 30 ont débouché sur une décision, les autres ayant été retirées ou n'ayant pas encore fait l'objet d'une décision.
Sur ces 30 décisions, 24 ont été renvoyées au décideur et six seulement ont été confirmées.
Comme je l'ai déjà mentionné, au Canada, les six groupes spéciaux qui ont examiné les décisions de Revenu Canada ont renvoyé les décisions à leur auteur et ordonné la modification des droits, que ces modifications aient été importantes ou non.
Les résultats obtenus par le DOC américain ne sont guère plus reluisants. Trois quarts, soit 16, des 21 décisions examinées ont fait l'objet d'un renvoi et ont débouché sur des modifications des droits dans 15 de ces cas. Un de ces 15 cas a été la subvention aux porcs vivant, que nous connaissons tous, qui a entraîné une réduction importante des droits. La dernière et seizième affaire a entravé la suppression des droits compensateurs dans le cas de bois d'oeuvre.
Comme je l'ai mentionné, il y avait trois sujets et ceci est le troisième. Je voulais examiner rapidement les façons dont on pourrait améliorer le mécanisme du chapitre 19. La publicité qui a entouré la saisine du comité pour contestation extraordinaire dans l'affaire du bois d'oeuvre nous a sensibilisés aux allégations de partialité et aux possibilités de conflit d'intérêts chez les membres des groupes spéciaux ainsi que chez les avocats qui comparaissent devant eux.
En tant que praticien, c'est une chose que je rencontre tous les jours, non seulement devant ce genre d'instance mais également dans d'autres situations. On admet généralement que c'est un problème fondamental dont doit tenir compte tout mécanisme de résolution des conflits; c'est une question qu'il faut régler pour empêcher qu'elle ne vicie le mécanisme.
Seule une magistrature indépendante et, si je peux m'exprimer ainsi, autosuffisante, est vraiment à l'abri des allégations de partialité. Cependant, dans le contexte de l'ALENA, il n'est peut- être pas réaliste d'espérer créer et financer un tel système. Cela était vrai manifestement au moment où les accords ont été négociés et je ne sais pas si cela risque de changer à l'avenir, avec l'importance croissante que prend ce problème et la plus grande sensibilisation des intéressés.
Quoi qu'il en soit, on pourrait peut-être améliorer la situation en utilisant des groupes spéciaux composés de trois et non de cinq membres, ainsi qu'en créant des listes nationales de membres potentiels qui seraient réduites, en partant de l'idée que plus ces listes sont réduites, plus les risques de conflit d'intérêts diminuent.
Enfin et très brièvement, les études et les commentaires relatifs au chapitre 19 ont également porté sur la question de savoir si le processus permet de créer des précédents juridiques distincts des précédents juridiques nationaux établis par les tribunaux des différents pays qui sont parties à l'accord. Cela ne résoudra pas entièrement le problème et ne mettra pas fin complètement à cette incertitude mais il serait bon que les décisions des groupes spéciaux aient force de précédent pour les groupes spéciaux futurs, ce qui supprimerait un élément d'incertitude qui entoure ce que l'on peut appeler une jurisprudence distincte.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Cheng.
Monsieur Goodwin.
M. D.J. Goodwin (président, Tracon Consultants Limitée (Ottawa)): Merci, monsieur le président.
J'ai préparé un exposé et j'aimerais aborder certains aspects que l'on trouve dans mon document. J'ai principalement abordé la question du coût pour le public et pour les citoyens que représente le recours à un groupe spécial et la façon dont les exportateurs et les importateurs canadiens ont accès à ce mécanisme. J'ai également formulé certains commentaires, comme l'a fait M. Cheng, au sujet des catégories de personnes qui devraient figurer sur la liste des membres potentiels de ces groupes et les problèmes que ces listes soulèvent à l'heure actuelle.
J'ai préparé ce document en essayant de répondre à la question qui nous était posée, à savoir présenter une analyse critique de la façon dont fonctionne le système. Mon analyse critique procède d'un point de vue administratif.
Le chapitre 19 vise à créer une instance d'accès facile chargée de réviser les décisions que prennent les administrations sur les questions commerciales. Par accès facile, on entend au moins quatre choses différentes: premièrement, un mécanisme peu coûteux; deuxièmement, des décisions rapides; trois, des décisions impartiales et quatre, des décisions fondées sur les connaissances et l'expérience. Nous allons voir comment les hommes d'affaires canadiens peuvent bénéficier de ces quatre critères.
L'économie canadienne et sa croissance récente ont été alimentées principalement par les exportations. La croissance de l'emploi au Canada reflète habituellement, les études l'ont démontré, celle des petites et des moyennes entreprises. Ce sont ces entreprises, les petites et moyennes, qui ont besoin d'avoir accès à cette instance. Ce sont les sociétés qui devraient pouvoir profiter de cette facilité d'accès.
Je crois que tout le monde reconnaît que le système des groupes spéciaux bilatéraux a donné de bons résultats pour les exportateurs canadiens. Le Canada a obtenu des succès dans les affaires suivantes: le bois d'oeuvre, la ficelle de lieuse, les feuilles de métal inoxydable, les framboises rouges et d'autres produits, comme la viande de porc congelée.
Les décisions qui ont été rendues tant par les groupes spéciaux canadiens qu'américains ont répondu à deux de ces critères, à savoir des décisions rapides et impartiales. Je crois qu'il faut l'admettre. Mon exposé porte sur les deux autres points et fait ressortir ce qui me paraît être une lacune des groupes spéciaux sur le plan des deux autres critères: premièrement, un mécanisme peu coûteux et deuxièmement, des décisions fondées sur les connaissances et l'expérience. Le mot clé ici est l'expérience.
Commençons par parler du coût de ces recours. Les affaires soumises aux groupes spéciaux entraînent des coûts importants pour l'appelant, pour l'organisme gouvernemental et pour le secrétariat des groupes spéciaux. Les petites et moyennes entreprises qui exportent aux États-Unis font face à des frais judiciaires démesurés par rapport à leur chiffre d'affaires.
De la même façon, l'entreprise américaine qui exporte au Canada va devoir exposer des coûts comparables mais pour un producteur ou un exportateur américain, ces coûts représentent le plus souvent un pourcentage beaucoup plus faible de leur chiffre d'affaires que dans le cas d'un producteur canadien. C'est pourquoi les exportateurs américains ont davantage tendance à utiliser ce mécanisme de résolution des litiges commerciaux, lorsqu'il ne reste plus que cette possibilité.
En outre, il faut tenir compte de ce qu'il en coûte aux gouvernements de participer à ces appels. Le coût de ce mécanisme, qui comprend ceux du secrétariat et ceux de Revenu Canada ou du TCCE, représente un pourcentage plus élevé du budget fédéral canadien que du budget fédéral américain. Les montants sont à peu près les mêmes mais proportionnellement, la part du Canada est beaucoup plus élevée. Il en coûte donc au Canada, tant au trésor public - c'est-à-dire au gouvernement - et qu'au trésor privé - sociétés, proportionnellement davantage pour une société canadienne que pour une société américaine.
J'ai décrit dans une annexe de mon exposé la procédure administrative que Revenu Canada doit suivre pour confectionner son dossier administratif concernant une affaire susceptible d'être soumise à un groupe spécial.
Passons maintenant au quatrième critère, et le deuxième, d'après moi, à soulever certains problèmes, à savoir obtenir des décisions fondées sur les connaissances et, le mot clé, sur «l'expérience». Depuis deux ou trois ans, il semble que les groupes spéciaux canadiens sont plus fréquemment composés d'universitaires que de commercialistes, ou comme le mentionne l'ALENA, de juges principalement. Je ne pense pas que cette liste contienne le nom d'un juge. Quelqu'un pourra peut-être me corriger là-dessus.
Personne ne conteste les connaissances de ces universitaires. Ces personnes n'ont toutefois pas l'expérience pratique de l'administration d'une décision de Revenu Canada ou d'une décision du tribunal concluant à l'existence d'un préjudice.
Nous avons vu, à plusieurs reprises, des commercialistes refuser de participer à un groupe spécial, ou même dans un cas, se retirer en raison d'allégation de conflit d'intérêts. Il y a conflit lorsque le membre du groupe spécial est appelé à juger d'une décision du TCCE et qu'il comparaît en même temps devant le même TCCE pour une autre affaire. Cet avocat doit choisir en fonction de considérations économiques s'il préfère comparaître devant le TCCE ou siéger en tant que membre d'un groupe spécial. Où gagne-t-il son argent? Devant quelle instance gagne-t-il davantage? C'est certainement devant le TCCE.
En conclusion, je n'ai pas de solution magique à apporter à la question du coût ou de l'expérience mais je suggère dans mon étude que l'on crée une liste de membres de groupes spéciaux qui soit davantage permanente. En outre, je suggère que si l'on compare la procédure de la Cour fédérale à celle de la préparation des dossiers administratifs de Revenu Canada et du dépôt des documents pour l'appelant, on constatera que c'est la procédure de la Cour fédérale, que ces groupes spéciaux devaient remplacer, qui coûte moins cher tant pour le secteur privé que pour le secteur public.
Ces deux problèmes méritent d'être examinés et il serait bon d'y remédier afin de faciliter l'accès à ces groupes spéciaux.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Goodwin.
Monsieur Clark.
M. Peter Clark (consultant, Grey, Clark, Shih et associés Limitée): Merci, monsieur le président.
J'aborde cette question d'une perspective légèrement différente, d'une perspective qui appelle une certaine réserve, puisque je suis membre des groupes spéciaux prévus par le chapitre 19, par le chapitre 20 et par l'OMC. Je ne peux donc pas vraiment parler en détail des affaires que j'ai entendues ni du raisonnement qui précède la prise de décision mais je peux toutefois formuler certains commentaires sur ce que j'ai vu jusqu'ici et sur ce qui s'est dit au sujet de ce système.
Il y a des personnes qui ont critiqué le fait que le mécanisme des groupes spéciaux n'ait pas répondu à leurs attentes. C'est peut-être parce que ces personnes n'ont pas très bien lu les accords au départ et qu'elles n'ont pas compris qu'elles ne devraient pas avoir des attentes aussi grandes.
Ce mécanisme a principalement été conçu pour remplacer l'examen judiciaire au Canada et aux États-Unis qui fait appel à des mécanismes et à des critères d'examen relativement semblables. La différence est que les juges ou les groupes des membres spéciaux devraient être choisis parmi des spécialistes du commerce, des professeurs, et comme les États-Unis l'ont exigé à l'égard de l'ALENA - cela n'était pas une demande canadienne - parmi des juges à la retraite, désir qu'ils n'ont pas été en mesure de combler.
Le mécanisme du chapitre 19 qui figure dans l'accord de libre- échange n'a pas fait l'objet de longues négociations. C'était une solution de dernière minute qui a été concoctée après que M. Reisman ait quitté la table de négociation en disant qu'il fallait trouver quelque chose pour régler le cas des subventions et des lois commerciales. C'est la solution qui a été proposée à ce moment. Elle n'a pas eu pour effet de modifier les critères d'examen.
Une des raisons qui explique que certaines personnes soutiennent qu'il ne faudrait pas hésiter à sanctionner les autorités administratives des deux pays est que les praticiens et les universitaires sont souvent bien plus près des véritables questions - certaines universitaires du moins. Par exemple, M. Sauvageau connaît fort bien ces choses et c'est un ancien universitaire. Ces personnes ont tendance à intervenir davantage que les juges, qui ont adopté une certaine attitude et approche à l'égard d'organismes comme Revenu Canada ou le ministère du Commerce américain.
En outre, dans ce domaine, les tribunaux américains sont bien souvent plus interventionnistes que leurs homologues canadiens. L'exception la plus récente sur ce point est celle des pâtes alimentaires, puisqu'il y a eu renvoi devant notre tribunal en fonction des faits, chose assez inhabituelle. Je ne sais pas très bien si elle a été renvoyée à cause des faits ou d'une mauvaise rédaction de la décision. Nous le saurons éventuellement.
Je crois que le fait d'avoir ces groupes spéciaux est une bonne chose et je ne dis pas cela parce qu'ils me paient royalement la somme de 400 $ par jour pour faire partie de ces groupes spéciaux, honoraires qui sont inférieurs à ce que je gagne habituellement avant le petit déjeuner. Ce n'est pas là que l'on s'enrichit.
Ce mécanisme est fort utile. Mais il est victime des perceptions qu'ont les différents pays des conflits qui s'y retrouvent. Je crois que mes deux collègues qui m'ont précédé ont parlé de cette question.
Il faut être bien sûr être au-dessus de tout soupçon, tout comme la femme de Caesar, mais j'ai également constaté que lorsqu'il s'agit des groupes spéciaux, il y a des gens que j'estimais très honorables et honnêtes qu'on a traité de pires coquins dès qu'ils ont été invités à faire partie de ces groupes spéciaux.
Cela est excessif mais il s'agit des États-Unis et ce sont là des perceptions que l'on retrouve chez les Américains. Malheureusement, il semble que nous soyons également en train d'importer chez nous ce genre de perception.
Par exemple, il n'est pas possible d'exécuter un contrat pour le gouvernement - ou d'avoir un associé qui représente le gouvernement - et faire partie d'un groupe spécial. Cela me semble ridicule. Même lorsque j'ai été embauché à contrat par le gouvernement, j'étais rarement d'accord avec mes employeurs et je le leur ai clairement fait savoir. Je ne pense pas que l'on puisse se faire acheter dans ce genre de situation mais il faudra attendre pour en savoir davantage.
En fait, ce mécanisme est moins lourd pour les institutions canadiennes que pour les institutions américaines. C'est parce que les critères d'examen sont plus rigoureux au Canada. Même dans le cas de Revenu Canada, les groupes spéciaux reconnaissent l'existence d'un pouvoir discrétionnaire très large et appliquent la norme sanctionnant le caractère manifestement déraisonnable d'une décision. Les lois canadiennes accordent davantage de pouvoirs discrétionnaires que de pouvoirs délégués, ce qui est plus difficile à contrôler.
On a parlé des membres canadiens des groupes spéciaux qui comparaissaient devant le Tribunal canadien du commerce extérieur, et qui avaient à juger des décisions prises par ce tribunal. Il y a une façon d'éviter ce genre de situation: siéger uniquement sur les groupes spéciaux américains, ce que j'ai fait.
J'ai examiné de nombreuses études et rapports concernant ces groupes spéciaux et je crois que les organismes canadiens, en particulier au début, ont pris ce processus plus au sérieux que les organismes américains.
Je ne dirais pas que Revenu Canada donne suffisamment de poids aux décisions des groupes spéciaux. Il ne traite pas les décisions de ces groupes ni leurs conclusions comme des précédents. Il a tendance à accepter les décisions qui donnent aux lois un sens plus restrictif et à ne pas tenir compte de celles qui vont en sens contraire.
Ce que je dis là n'est pas nouveau. Je l'ai déjà dit à Revenu Canada. Il faudrait accorder davantage d'importance aux conclusions des groupes spéciaux et leur attribuer la force d'un précédent.
Il serait dangereux de réviser le mécanisme des groupes spéciaux, parce qu'il nous est impossible de le changer de façon unilatérale. Il faudrait négocier ces changements avec les États- Unis et maintenant, avec le Mexique. Le risque est de voir ce mécanisme disparaître. Les Mexicains ne sont pas très satisfaits de ce mécanisme, parce que certaines décisions ont été en leur défaveur.
M. Cheng vous a fourni des données utiles au sujet de certains changements. Je signalerai uniquement que dans certains cas, les changements de droits ont été minimes.
Lorsqu'on calcule la marge de dumping selon la méthode du prix coûtant majoré, c'est un jeu à somme nulle parce que lorsque les coûts augmentent, les bénéfices diminuent et l'on arrive en bout de ligne aux mêmes chiffres. C'est ce qui explique que ces changements aient souvent été inférieurs à un pour cent.
Il est déjà arrivé une fois, voire deux, que Revenu Canada ait augmenté les marges de dumping après que l'affaire lui ait été renvoyée. Cela arrive lorsque les gens mettent de l'avant certains principes sans calculer les conséquences de l'application de ces principes, ce qui veut dire qu'ils sont tout simplement mal préparés.
On a mentionné que l'OMC ressemblait davantage au mécanisme du chapitre 20. Je serais assez d'accord avec ces personnes parce que l'OMC s'attaque en fait à la base du problème, à savoir à la conformité des dispositions législatives nationales avec les obligations internationales.
Dans le cas d'un groupe spécial du chapitre 19, il s'agit de savoir si les dispositions législatives ont été bien appliquées, et non pas de savoir si ces dispositions sont compatibles avec les obligations internationales.
Lorsqu'un problème porte sur les questions essentielles qui sont visées par le code antidumping de l'OMC, il faut déclencher immédiatement le mécanisme de règlement des litiges prévu par cet organisme, parce qu'avec ce mécanisme, la décision est annulée dès qu'elle comporte un vice de fond.
Avec le mécanisme du chapitre 19, il est très difficile de faire renverser une décision concluant à l'existence d'un préjudice, à moins d'avoir beaucoup de chance. Il n'est pas arrivé très souvent, d'après ce que j'ai vu, que ces groupes spéciaux suppriment complètement la marge de dumping ou les droits compensateurs. Cela peut arriver mais c'est très difficile et lorsque cela se produit, il y a toujours une contestation extraordinaire, ce qui risque d'amener les membres du Congrès à remettre en question l'ensemble de l'accord.
Les coûts d'un examen par un groupe spécial sont inférieurs à ceux d'une poursuite judiciaire intentée aux États-Unis et supérieurs à ceux d'une poursuite au Canada. Je suis certainement d'accord avec mon ami M. Goodwin sur ce point.
J'examinerais toutefois cette question d'un autre angle. Le Canada voulait que l'on adopte ce mécanisme spécial pour protéger nos exportations vers les États-Unis, notre accès à ce pays pour éviter de nous heurter à des décisions arbitraires et mal fondées. Il serait donc bon d'examiner la situation du point de vue de l'exportateur, non pas par rapport à la taille de sa société ou du coût que cela représente par rapport à ses recettes globales, mais plutôt en fonction du fait que le marché américain est en général huit à douze fois plus vaste que le nôtre et que le nôtre est proportionnellement plus petit. Le coût de l'entreprise qui exporte au Canada est, exprimé en unités de produits exportés, beaucoup plus élevé qu'il ne l'est pour l'exportateur canadien qui expédie ses marchandises aux États-Unis.
M. Goodwin a raison lorsqu'il dit que les petites entreprises ne peuvent se payer le luxe d'utiliser ce mécanisme. Mais le fait est qu'elles ne peuvent pas non plus utiliser les recours judiciaires. C'est une grave lacune que comportent nos deux systèmes, mais ce n'est pas en modifiant ce mécanisme que l'on pourra régler ce problème.
Le mécanisme de l'OMC n'est pas parfait parce qu'ils ont eux aussi commencé à se préoccuper des questions de conflit d'intérêts. Lorsqu'on examine les personnes qui comparaissent devant l'OMC, qui composent les groupes spéciaux, on constate que, dans la plupart des cas ce sont des Suisses, des Nordiques ou des Néo-zélandais, personnes irréprochables, neutres, et qui appliquent des régimes commerciaux particulièrement inéquitables. Cela n'empêche pas ces personnes de siéger en qualité de juge.
C'est qu'en effet les Canadiens et les autres sont trop dangereux pour qu'on leur demande de faire partie de ces groupes spéciaux. Ce sont soit des laquais de l'Union européenne ou des larbins des États-Unis. Il va falloir changer cette perception parce que cela risque de compromettre la crédibilité de cet organisme, si l'on ne réussit pas à élargir les catégories de personnes qui participent à ces décisions.
En résumé, on pourrait sans doute essayer d'ajuster le mécanisme du chapitre 19 pour essayer l'améliorer. Le danger est qu'en proposant de réviser le chapitre 19 au moyen de négociations avec les États-Unis, nous risquons fort de nous trouver bloqués au Congrès et de revenir les mains vides, compte tenu de l'attitude du Congrès à l'égard de l'ALENA en particulier et de la souveraineté américaine, de la loi Helms-Burton et des autres questions qui font l'objet de contestations devant l'OMC ou aux termes de l'ALENA et compte tenu de l'insatisfaction à l'égard des résultats obtenus avec le mécanisme du chapitre 20 pour les secteurs laitiers et avicoles.
Il est peut-être préférable de conserver ce que nous avons, même si ce mécanisme est imparfait, plutôt que de risquer de le perdre.
Merci.
Le président: Merci, monsieur Clark.
Comme vous l'avez sans doute remarqué, on a encore changé l'heure des votes. La sonnerie vient de commencer, il y a quelques minutes. C'est la sonnerie d'une demi-heure. Nous allons poursuivre les questions pendant une quinzaine de minutes et nous devrons ensuite faire une pause. Il va y avoir un autre vote plus tard cet après-midi. Il devrait suivre très rapidement le premier vote et être précédé d'une autre sonnerie d'une demi-heure. Nous allons nous assurer que c'est bien l'horaire qui va être suivi avant de décider si nous allons lever la séance ou nous réunir à nouveau avant la fin de l'après-midi. Il nous reste donc une douzaine de minutes pour les questions.
Monsieur Sauvageau, vous avez la parole.
[Français]
Vous avez une dizaine de minutes.
M. Benoît Sauvageau (Terrebonne, BQ): Oui, mais il faut que je lui donne la moitié de mon temps, n'est-ce pas? Je peux prendre 10 minutes si vous le voulez, mais ce ne sera pas juste pour mon collègue libéral.
Le président: Je crois que ce serait très gentil de partager avec M. Cullen au cas où on ne pourrait pas se retrouver plus tard cet après-midi.
M. Benoît Sauvageau: Cela m'arrive parfois. Profitez-en.
Monsieur Clark, je vous remercie de vos gentils propos. Vous avez parlé de certaines similitudes entre le chapitre 20 de l'ALENA et les tribunaux de l'OMC.
On a déjà parlé avec d'autres témoins qui étaient venus nous rencontrer. On s'était demandé s'il serait imaginable d'éliminer le tribunal de l'ALENA et d'orienter les poursuites sur les différends commerciaux au niveau du tribunal de l'OMC. C'est ma première question. Voici la deuxième.
Le premier ministre Chrétien, à Miami, a parlé d'une grande zone américaine de libre-échange d'ici 2005. Quand on aura fini, en 1998, d'étudier notre règlement des différends commerciaux à trois pays, le Canada, les États-Unis et le Mexique, est-ce qu'on va être dépassés pour l'autre zone de négociation?
Je vais attendre la réponse. On verra ensuite s'il reste du temps pour mes deux autres collègues.
[Traduction]
M. Clark: Je vais essayer de vous répondre très rapidement pour vous donner le temps de parler à mes amis.
La difficulté que poserait le transfert à l'OMC d'un mécanisme de règlement des litiges comparable à celui de l'ALENA est qu'à la fin des négociations à Genève sur les dispositions relatives au règlement des litiges, les Américains ont fait insérer une clause qui empêcherait le recours au mécanisme de règlement des litiges de l'OMC, en particulier dans les cas de mesures antidumping et qui empêcherait un nouvel examen de la situation. Ils souhaitaient que ce mécanisme porte sur la compatibilité avec l'accord mais pas sur l'appréciation des faits.
Je doute fort que les membres des groupes spéciaux de l'OMC respectent cette clause à la lettre mais il leur sera difficile de réentendre à nouveau l'affaire et d'apprécier les preuves. Cela va poser un problème.
Pour ce qui est de l'accord plus général de libre-échange avec les Amériques, il serait difficile, mais pas impossible, d'utiliser le genre de mécanisme de règlement des litiges que prévoit l'ALENA. Il faudrait lui apporter des changements mais il y a peu de pays qui aient des systèmes aussi ouverts que celui du Canada, des États-Unis, et dans une mesure moindre, du Mexique.
La plupart des pays latino-américains ont emprunté pour leur système antidumping et de droits compensateurs le modèle de la Communauté européenne, qui est un modèle administratif où tout est fait en secret par le même organisme. Il s'agit de mécanismes administratifs qui favorisent les négociations avec les exportateurs pour essayer de les amener à s'engager à limiter leurs exportations, à augmenter leurs prix ou à faire les deux.
Il ne faudrait pas perdre de vue ce que nous faisons avec l'ALENA. Il faut essayer d'élargir la portée de l'ALENA. Il faudrait certainement éviter que les États-Unis multiplient leurs relations bilatérales. Je ne crois pas qu'il nous soit impossible de régler les difficultés que nous connaissons dans le domaine du règlement des litiges, notamment dans l'ensemble des pays d'Amérique. Il faut en fait que ces nouveaux pays adoptent des mécanismes plus transparents. Les Brésiliens ont adopté un système fermé de type européen, ce qui ne les a pas empêchés d'être particulièrement ouverts et équitables dans le contrôle judiciaire de leurs propres mesures antidumping, et ils en ont en fait annulé un certain nombre.
J'espère que cela répond à vos questions.
[Français]
M. Benoît Sauvageau: C'était rapide, mais je crois que oui. Je vais relire les bleus et je vous dirai si c'est le cas quand on va se revoir, mais je crois que oui.
M. Cheng a parlé dans sa présentation d'un tribunal permanent, si j'ai bien compris. Est-ce que vous seriez d'accord qu'au niveau de l'ALENA, on mette en place un tribunal permanent? Il y aurait une liste de panélistes différents, mais il y aurait un tribunal permanent.
Monsieur Cheng, dans votre première suggestion, vous avez parlé d'un organisme judiciaire indépendant. Est-ce que vous envisagiez, en faisant ce commentaire, un tribunal permanent au niveau de l'ALENA?
[Traduction]
M. Cheng: Je dirais, monsieur Sauvageau, que l'idée d'un organisme décisionnel permanent n'est pas nouvelle. Je ne pense pas que M. Clark ou moi critiqueraient la création d'un organe permanent. La seule différence entre un tel organe et le système actuel est que l'on peut ajouter des personnes aux listes de nomination, et qu'il n'y a pas de tribunal permanent.
Il est important que vous déterminiez si, par tribunal permanent, vous souhaitez créer un organe judiciaire distinct et indépendant dans le sens d'organe financé, qui a des membres permanents, qui est cri comme le secrétariat l'a été jusqu'ici, et qui est composé, dirons-nous, décideurs salariés et non pas de membres de groupes spéciaux ad hoc composés à mesure que le besoin s'en fait sentir. Le fait que ce genre d'organisme devrait être tripartite au lieu de bilatéral, américain et canadien, ne soulève aucun problème, même s'il s'agissait d'y intégrer sept ou huit pays.
Je n'ai pas d'autres commentaires. Peut-être que M. Clark souhaite en faire d'autres.
M. Clark: Je ne pense pas que cela soit un problème. Je trouve tout de même préférable d'avoir recours à des experts pour ce genre de choses.
J'aimerais revenir sur la question que vous avez posée à propos de l'OMC. J'ai essayé de vous répondre brièvement et je ne vous ai pas donné toute la réponse. J'estime qu'il serait moins difficile de confier à l'instance d'appel, ou au deuxième niveau d'examen, de l'OMC le pouvoir d'examiner les faits, d'en rechercher d'autres et de faire le genre d'étude à laquelle procède un groupe spécial de l'ALENA. Cela ne s'est pas encore produit mais cela ne saurait tarder.
Je vous dirais très franchement que je ne vois pas comment ce deuxième degré d'appel peut se prononcer sans avoir accès à des faits supplémentaires.
M. Benoît Sauvageau: Thank you.
Le président: Monsieur Cullen.
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Thank you very much.
Thank you, Mr. Sauvageau.
Monsieur Cheng, vous avez dit, si j'ai bien compris, qu'il est possible qu'un groupe spécial de l'ALENA prononce une décision qui serait incompatible avec celle que prendrait l'OMC. Si cela est bien le cas, les parties n'auraient-elles pas tendance à rechercher le forum où elles peuvent espérer obtenir la décision qui leur est le plus favorable?
M. Cheng: Je crois qu'il faudrait répondre oui à cette question. Par contre, la différence qui existe entre le chapitre 19, le chapitre 20 et l'OMC est, comme je l'ai mentionné, qu'il y a des mécanismes où seuls les gouvernements peuvent intervenir et d'autres où ce sont des personnes privées. Je crois que la grande différence est qu'une personne privée peut utiliser le dernier recours que représente le chapitre 19. En fait, je vous ai mentionné que c'est une des raisons pour lesquelles je crois qu'on a eu recours bien plus fréquemment au mécanisme du chapitre 19 qu'à celui du chapitre 20.
Je crois que vous voulez également savoir avec votre question si je disais qu'il fallait faire une différence. J'essayais simplement de signaler que puisque l'on appliquait deux types de dispositions différentes, il était normal d'en arriver à des situations différentes et à des réponses différentes. C'est tout ce que je voulais dire.
M. Roy Cullen: D'après vous, cela devrait-il nous préoccuper et devrions-nous nous y intéresser?
M. Cheng: Je ne veux pas vous induire en erreur dans le sens que je ne pense pas que l'on puisse examiner le mécanisme du chapitre 19 dans le même contexte que l'on examine le mécanisme de l'OMC. Je dis en fait qu'il y a un cercle fermé, si l'on veut, au sein de l'ALENA. J'ai mentionné dans mon commentaire que d'autres personnes s'étaient demandées à quoi servait le mécanisme du chapitre 19. Pourquoi ne pas s'adresser directement à l'OMC et laisser de côté le chapitre 19? J'essayais d'indiquer que cela n'était pas possible parce qu'il ne s'agit pas de recours alternatifs.
M. Roy Cullen: Je crois que c'est le sens de certains témoignages que nous avons entendus plus tôt. C'est ce que je croyais avoir compris lorsque vous avez abordé ce point. Je voulais simplement préciser cela et je vous en remercie.
Pour ce qui est du choix des membres des groupes spéciaux, nous n'avons pas encore parlé de choisir des économistes ou des hommes d'affaires. Je sais qu'il est peut-être un peu bizarre d'aborder ce sujet mais a-t-on jamais pensé choisir les membres de ces groupes spéciaux parmi les hommes d'affaires ou les économistes?
J'ai suivi la dernière séquence de l'affaire du bois d'oeuvre au moment où les producteurs américains soutenaient que les exportations de billes de bois représentaient une subvention. Cela m'a semblé un argument assez technique. En fait, c'est un argument artificiel mais c'est en outre une question économique ou commerciale très technique.
Vous pourriez peut-être me donner une idée de la différence que cela ferait si l'on introduisait parmi ce groupe de personnes des gens ayant cette formation et des experts dans ce domaine. Pensez-vous que la composition actuelle, qui comprend principalement des avocats, des universitaires et quelques juges, devrait être conservée ou devrait-on inviter des gens du monde des affaires et des économistes à participer également à ces groupes spéciaux?
M. Clark: Je ne suis pas un avocat et je suis membre de ces groupes spéciaux; le ministère des Finances m'a rémunéré pendant 14 ans en tant qu'économiste. Il y a des gens dont le nom figure sur cette liste qui ne sont pas des avocats. C'est une chose pour laquelle le Canada s'est beaucoup battu.
Ces personnes apportent effectivement une perspective différente mais lorsqu'on se trouve dans une situation où il n'est pas possible de faire connaître les faits et où il s'agit d'examiner la compatibilité d'une mesure avec le droit en vigueur, on constate que ce genre d'expérience bien qu'utile a des limites.
M. Cheng: J'aurais simplement deux brefs commentaires à faire au sujet des experts. Je suis pour l'essentiel d'accord avec M. Clark. Habituellement, les experts ne siégeraient pas en appel; ils participeraient plutôt à la décision de première instance, aux audiences devant le TCCE ou l'ITC, par exemple, voire même devant Revenu Canada ou le DOC américain.
Là encore, je ne voudrais pas que vous pensiez que je prends la chose à la légère mais je dirais que si l'on avait choisi une personne du monde des affaires connaissant particulièrement bien le secteur du bois d'oeuvre, il est probable qu'elle aurait été accusée de partialité plus rapidement encore que les personnes qui ont entendu cette affaire, et qui ont déjà attiré pas mal d'attention.
M. Roy Cullen: Dans un certain sens, c'est un véritable dilemme. Cela revient à écarter les personnes qui connaissent le mieux le domaine, qu'il s'agisse d'hommes d'affaires ou d'avocats. N'est-ce pas un peu la situation?
M. Clark: Plus vous avez réussi dans votre domaine, plus vous risquez de voir votre nomination contestée parce que vous avez davantage de clients.
M. Cheng: L'autre aspect intéressant, nous sommes tous en train de parler de partialité ou d'apparence de partialité, est qu'en fait, à part les déclarations qui ont été faites au sujet de la partialité du Comité pour contestation extraordinaire dans le cas du bois d'oeuvre, il n'existe, d'après moi, aucun élément officiel permettant de savoir ce qui constitue une apparence de partialité suffisante pour envisager la mise à l'écart d'un membre d'un groupe spécial.
D'après mon souvenir, il est déjà arrivé qu'un membre de ce groupe se retire parce qu'il allait être amené à comparaître, non pas devant un autre groupe spécial, mais devant le Tribunal du commerce extérieur. Certaines parties ont également présenté des arguments, tant devant le Tribunal du commerce extérieur au Canada que devant les groupes spéciaux bilatéraux, fondés sur des allégations d'impartialité.
En laissant de côté les finesses juridiques, l'on peut dire qu'il n'y a eu aucune déclaration officielle sur ce point, à part l'unique jugement du Comité pour contestation extraordinaire. Ce comité a fixé des normes particulièrement rigoureuses, selon la plupart des gens. En outre, ces normes se trouvaient dans l'opinion dissidente, et n'ont donc guère de poids puisqu'il ne s'agit pas de l'opinion majoritaire. Nous sommes donc libres à l'heure actuelle de proposer des normes, si c'est ce que souhaitent les parties que nous représentons.
Le président: Monsieur Cheng, je regrette mais je dois rappeler à mes collègues que nous devons aller voter. Je vais devoir mettre un terme à notre séance parce qu'on vient de me signaler que nous allons devoir rester à la Chambre des communes pour le deuxième vote, qui va suivre immédiatement le premier.
Je suis désolé d'avoir à couper court à notre audience de cet après-midi mais j'aimerais exprimer notre reconnaissance à nos trois témoins. Nous nous réunirons de nouveau après le congé de Pâques, le 9 avril.
Merci beaucoup.