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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 19 mars 1996

.0904

[Traduction]

Le président: Tout d'abord, je tiens à souhaiter la bienvenue aux représentantes du Groupe de défense des enfants pauvres, Mme Popham et Mme Willens.

Comme vous le savez, nous examinons le projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada. Les membres de notre comité sont très heureux de constater le grand nombre de bonnes idées qui ont été lancées lors des interventions jusqu'à présent, et je suis certain que vous nous aiderez à comprendre davantage vos préoccupations face à ce projet de loi afin que nous puissions l'améliorer.

.0905

Nous disposons d'environ une heure. Après que vous nous aurez présenté votre exposé, nous aurons une période de questions et de réponses.

Mme Rosemary Popham (coordonnatrice, Campagne 2000): Merci, monsieur le président.

J'aimerais tout d'abord souligner que nous représentons Campagne 2000, qui est une coalition de 50 partenaires, dont fait partie le Groupe de défense des enfants pauvres. Dominique Willens est en fait membre du comité de direction du Groupe de défense des enfants pauvres, et je suis la coordonnatrice de Campagne 2000.

Parmi les autres partenaires de Campagne 2000, il y a des organismes qui s'occupent de logement, de politique sociale et de garde d'enfants, des familles et des immigrants. Si la liste des membres vous intéresse, c'est avec plaisir que nous vous en ferons part.

Campagne 2000 met l'accent sur une résolution adoptée en 1989 par toutes les parties en vue de mettre fin à la pauvreté chez les enfants. Par conséquent, nous nous intéressons de très près aux travaux que votre comité a effectués par le passé et, encore une fois, au projet de loi dont vous êtes saisi. Nous aimerions vous féliciter de vos efforts soutenus pour lutter contre la pauvreté chez les enfants et essayer de trouver les meilleurs instruments gouvernementaux pour y arriver.

Lors de l'examen de ce projet de loi, Campagne 2000 s'est posé quatre questions. D'abord, quel sera l'impact sur la pauvreté chez les enfants? Deuxièmement, la Loi concernant l'assurance-emploi est-elle un véhicule approprié pour lutter contre la pauvreté chez les enfants? Troisièmement, comment pouvons-nous améliorer les instruments de politique actuels, notamment la prestation fiscale pour enfants, afin de mieux lutter contre la pauvreté chez les enfants? Quatrièmement, quelle est la meilleure stratégie de lutte contre la pauvreté chez les enfants, à long terme?

Nous croyons que votre comité est sur la bonne voie. Il faut continuer à examiner toutes les mesures législatives et leur impact sur la pauvreté chez les enfants.

Il y a aujourd'hui 300 000 enfants pauvres de plus qu'il y en avait en 1989. Il est clair que les Canadiens continuent de s'inquiéter de cette situation. Dans des sondages au cours des trois dernières années, les Canadiens mentionnaient toujours la pauvreté chez les enfants comme étant une priorité pour le gouvernement fédéral et ils continuaient de sembler plutôt incertains quant à la façon de s'attaquer au problème. En fait, M. Martin semble partager ce dilemme. Dans une entrevue il y a environ un mois avec The Ottawa Citizen, il a dit que sa première priorité était la pauvreté chez les enfants et que si seulement il avait l'argent...

Nous félicitons donc votre comité qui continue de se pencher sur le problème de la pauvreté chez les enfants et d'essayer de trouver les fonds qui permettront de lutter contre ce problème.

Pour ce qui est de savoir si le projet de loi dont nous sommes saisis réduira la pauvreté chez les enfants, nous avons examiné les trois éléments du projet de loi. Un de ces éléments est le supplément du revenu familial; le deuxième élément est l'impact sur les congés de maternité et par conséquent sur les enfants; le troisième est l'impact sur la garde d'enfants.

Selon une étude effectuée par le Conseil canadien de développement social qui a déjà été présentée à votre comité, environ 260 000 enfants seraient admissibles au supplément du revenu familial, ou environ un enfant sur cinq qui vit dans la pauvreté. Cela ne voudrait pas dire qu'ils ne vivraient plus dans la pauvreté; cela veut dire que leur situation économique s'améliorerait. C'est un nombre important, mais cela laisse toujours dans la pauvreté quatre des cinq enfants qui vivent déjà dans la pauvreté.

En même temps, le CCDS a souligné qu'environ 30 p. 100 des familles à revenu modeste qui sont actuellement admissibles à un taux plus élevé recevraient un taux réduit et ne pourraient ainsi profiter du supplément du revenu familial.

Cette stratégie nous préoccupe beaucoup, car elle entraîne la division. Ainsi, les familles à revenu modeste qui sont à peine au-dessus du seuil de la pauvreté devront payer un taux qui aura un effet positif sur les familles plus pauvres mais qui ne sera pas avantageux pour elles. Nous croyons que cela opposera l'une à l'autre ces deux familles alors qu'elles sont toutes les deux réellement dans le besoin.

Par le passé, le régime d'assurance-chômage protégeait les familles à revenu modeste et les empêchait de sombrer davantage dans la pauvreté. Il s'agirait donc d'un revirement de cette stratégie, ce qui ne constitue pas une mesure positive.

.0910

Nous nous préoccupons en outre de l'impact de ce projet de loi sur les congés de maternité. Il semblerait que celles qui sont en congé de maternité, peu importe leur revenu, ne profiteraient pas du supplément du revenu familial. Nous estimons qu'il s'agit d'une omission importante si le projet de loi est adopté. C'est important, car il s'agit d'un moment au cours de la vie d'un enfant, pendant la période prénatale et la période postnatale, où tout soutien au revenu disponible devrait être accordé à la famille. Des recherches effectuées sur une base quotidienne soulignent l'importance d'investir dans ces premières années de la vie d'un enfant.

Deuxièmement, le nouveau projet de loi réduirait le nombre de femmes admissibles à un congé de maternité, car elles devraient avoir travaillé pendant une période plus longue. C'est un pas dans la mauvaise direction. Le Canada a déjà du retard par rapport aux pays européens dans son approche au congé de maternité, et une telle mesure représenterait une perte de soutien pour cette partie de la population.

L'an dernier, le comité permanent a reconnu l'importance de la période de la maternité dans le développement du bien-être d'un enfant en recommandant une prestation fiscale pour enfants aux femmes enceintes. Cela semblait reconnaître l'importance d'une telle période. D'un autre côté, le projet de loi semble maintenant ne plus reconnaître ce soutien. Nous ne sommes pas d'accord avec cette mesure.

Enfin, en ce qui concerne les bons d'assurance-chômage pour la garde d'enfants, nous croyons comprendre qu'à l'heure actuelle environ 100 millions de dollars sont consacrés à des bons pour la garde d'enfants et que selon le projet de loi, cette pratique serait maintenue. Rien n'indique que cela fait partie d'un plan à plus long terme pour assurer un développement sain de l'enfant, comme le ferait à notre avis un programme national de garde d'enfants. Par conséquent, nous recommandons que les 100 millions de dollars servent plutôt à financer un programme national de garde d'enfants, plutôt que de continuer à investir cette somme dans des bons.

Quant au mécanisme prévu dans la Loi sur l'assurance-emploi proposée comme stratégie de lutte contre la pauvreté pour les familles qui ont des enfants, nous aimerions soulever des questions importantes. La Loi sur l'assurance-emploi, ou la Loi sur l'assurance-chômage, n'a jamais été adoptée pour servir de stratégie de lutte contre la pauvreté. Les gens qui sont pauvres lorsqu'ils travaillent sont encore pauvres lorsqu'ils reçoivent de l'assurance-chômage. Même si, grâce à un programme de soutien du revenu familial, on les faisait passer au-dessus du seuil de pauvreté, il nous faudrait tout de même nous demander s'il s'agit d'un mécanisme approprié. Campagne 2000 croit que non, et je vais vous expliquer pourquoi.

Nous croyons qu'il y a déjà pas mal de confusion chez les Canadiens pour ce qui est de savoir quel palier de gouvernement est responsable de quels programmes. Campagne 2000 est clairement d'avis que le gouvernement fédéral devrait être responsable de la sécurité du revenu pour les familles ayant des enfants. Nous croyons qu'il existe déjà un programme sous forme de prestations fiscales pour enfants. Nous croyons qu'en ajoutant un supplément du revenu familial aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi, nous perpétuons la confusion qui existe déjà dans l'esprit des gens, nous ajoutons un autre objectif au programme et nous embrouillons les responsabilités des gouvernements, car l'emploi et la sécurité sociale sont deux questions qui relèvent des provinces, et pourtant il s'agit d'une mesure législative fédérale.

Il y a un an, le Comité permanent du développement des ressources humaines déclarait qu'il s'opposait à ce que l'admissibilité à l'assurance-chômage soit en fonction du revenu familial. Nous sommes d'accord avec le comité. Nous étions d'accord à l'époque, et nous le sommes toujours.

Deuxièmement, nous croyons qu'en incluant un supplément du revenu familial dans la Loi proposée sur l'assurance-emploi, on perpétue une iniquité dans la façon dont nous traitons les enfants au Canada. Prenons par exemple un enfant dont la famille gagne 20 000$. Je présume que cet enfant a une valeur pour la société peu importe que ce revenu provienne de l'aide sociale, de l'assurance-emploi ou du marché du travail. Cependant, à l'heure actuelle, chacun de ces enfants sera traité différemment par la société et recevra trois différents niveaux de soutien. Nous estimons que cela est problématique, et que cela serait perpétué par un système qui introduirait encore un autre programme de soutien du revenu pour les enfants.

.0915

Nous comprenons la préoccupation du comité. Ce problème a été créé parce que la prestation fiscale pour enfants ne permet pas aux familles qui reçoivent de l'aide sociale ou de l'assurance-chômage de recevoir un soutien additionnel. Nous convenons qu'il y a un problème, mais à notre avis la solution ne consiste pas à créer ce programme additionnel. Par conséquent, nous disons que la Loi sur l'assurance-emploi n'est pas un mécanisme approprié pour lutter contre la pauvreté chez les enfants.

Quelles sont donc nos recommandations? Nous recommandons que le comité utilise le programme actuel de la prestation fiscale pour enfants. Ce programme devrait être amélioré de façon à ce qu'il offre un soutien additionnel aux familles qui ont des enfants quand elles ne disposent d'aucun revenu provenant d'un emploi. Cette prestation devrait être indexée, puisqu'elle perd de la valeur tous les ans. L'option qui a déjà été recommandée par le comité il y a un an, soit d'intégrer ce programme au Programme du soutien du revenu provincial pour les familles, mérite d'être explorée.

Nous croyons cependant que malgré cela, la prestation pour enfants, si elle est améliorée et intégrée, risquerait constamment d'être une cible dans la lutte contre le déficit. Il suffit de se rappeler le commentaire de M. Martin lorsqu'il disait que si seulement il avait l'argent...

Que pouvons-nous donc faire pour nous assurer que les fonds seront toujours là? Le comité a déjà relevé la lacune évidente au niveau du soutien du revenu pour les enfants en proposant le supplément du revenu familial - et il existe effectivement une lacune évidente. Il y a le RPC pour les personnes âgées; il y a l'assurance-chômage ou l'assurance-emploi pour les adultes d'âge vulnérable sans emploi. Mais au Canada, nous n'avons pas de fonds protégés pour les familles qui ont des enfants.

Campagne 2000 recommande l'établissement d'un fonds protégé pour les familles qui ont des enfants, que l'on appellerait un «fonds d'investissement social». Ce fonds a) serait indépendant des recettes générales, de la même façon que l'assurance-emploi et le RPC; b) il protégerait les enfants contre la réduction du déficit; et c) pourrait être versé sous forme d'une prestation fiscale améliorée pour enfants, un crédit de TPS pour la garde d'enfants et même possiblement sous forme de congé de maternité ou de congé parental. Si en fait le supplément du revenu familial n'est pas adopté avec le projet de loi, cette somme pourrait peut-être également être dirigée vers un fonds d'investissement social.

J'aimerais maintenant demander à Noele de résumer nos recommandations et d'en donner les grandes lignes.

Mme Noele Willens (membre, Campagne 2000, Groupe de défense des enfants pauvres): Il y a plusieurs années, les chômeurs qui avaient des personnes à leur charge recevaient des prestations d'assurance-chômage plus élevées. Cette pratique a été complètement changée lorsque les décideurs ont fait valoir que l'allocation familiale et le crédit d'impôt pour enfants aidaient considérablement les chefs de famille à faible revenu et remplaçaient la nécessité d'accorder des prestations d'assurance-chômage plus élevées aux familles. Ne convient-il pas maintenant de revenir à l'ancienne formule en raison des lacunes des programmes conçus pour lutter contre la pauvreté chez les enfants? Le grand défi que doivent relever le comité et le Parlement consiste à mettre en place une base de sécurité du revenu en vue de réduire et d'empêcher la pauvreté chez les enfants.

Campagne 2000 sait très bien que chaque enfant que l'on empêche de sombrer dans la pauvreté ou dont l'ampleur de la pauvreté est réduite est un enfant de moins sujet aux maladies, à l'absentéisme à l'école et au décrochage scolaire. Chacun de ces enfants devient un atout pour l'avenir économique et social du Canada. Il est par conséquent difficile d'être contre un changement qui, à court terme, pourrait profiter à un groupe d'enfants qui sont pauvres, peu importe la petite augmentation de la somme que recevrait cette famille et le peu d'enfants pour lesquels cela aurait des conséquences.

Cela étant dit, Campagne 2000 ne peut être d'accord avec l'instrument de politique choisi pour atteindre l'objectif de réduire la pauvreté chez les enfants, c'est-à-dire le supplément du revenu familial proposé dans la Loi sur l'assurance-emploi. Ses lacunes sont les suivantes: il entraîne la division, son impact est trop limité et il confond dans un programme d'assurance avec un programme qui devrait plutôt reconnaître le coût spécial qu'élever un enfant représente. En outre, le gouvernement dispose d'un instrument de politique, la prestation fiscale pour enfants, qui peut être amélioré afin de mieux atteindre l'objectif de réduction de la pauvreté chez les enfants.

.0920

J'aimerais passer en revue les recommandations que nous avons faites.

Le Comité permanent du développement des ressources humaines devrait examiner de nouveau l'augmentation de la norme minimale d'admissibilité, en raison des conséquences négatives pour le congé de maternité; réorienter les dépenses pour les bons dans l'assurance-emploi en vue de créer un plan national de garde d'enfants; éliminer le supplément du revenu familial du programme d'assurance-emploi; revoir sa recommandation antérieure voulant que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces et les territoires en vue de créer une nouvelle prestation intégrée pour les enfants de familles à faible revenu; exhorter le ministre des Finances à indexer pleinement la prestation fiscale pour enfants; et exhorter le gouvernement fédéral à établir un fonds d'investissement social pour les familles qui ont des enfants.

Je vous remercie beaucoup.

Le président: Merci beaucoup de cet excellent exposé.

Je voudrais tout simplement faire remarquer aux membres du comité que la question du congé de maternité a été soulevée encore une fois. Je m'attends à ce que l'on fasse du travail sur cette question en particulier afin d'améliorer le projet de loi.

Nous allons passer aux questions du Bloc québécois. Monsieur Dubé.

[Français]

M. Dubé (Lévis): Monsieur le président, nous allons partager notre temps si cela est possible.

Premièrement, j'aimerais vous féliciter, mesdames, pour votre présentation très pertinente. Je vous félicite aussi pour Campagne 2000. Pour ma part, je suis le porte-parole de l'Opposition officielle en matière de formation et de jeunesse. Jusqu'à maintenant, il y a eu en Chambre au moins deux débats sur les objectifs que poursuit Campagne 2000, mais cela fait assez longtemps. Cela a commencé en 1989, je crois.

Je voudrais vous poser une simple question. J'ai bien lu vos différentes recommandations. Croyez-vous que...

[Traduction]

Le président: Il y a des problèmes avec l'écouteur.

Est-ce que ça va maintenant?

Vous pourriez peut-être résumer rapidement ce que vous venez de dire.

[Français]

M. Dubé: Merci pour votre présentation et félicitations pour tout le travail que vous avez fait jusqu'à maintenant. Je trouve cela très intéressant en tant que critique en matière de formation et de jeunesse. Je partage vos objectifs. Cependant, j'ai souvent constaté que les idées abordées dans les débats sur l'enfance ne se concrétisaient pas dans la réalité. Bien sûr, ce n'est pas votre faute. Plus souvent qu'autrement, ce sont des voeux pieux. Nous avons un projet de loi et je suis d'accord sur plusieurs de vos points de vue, mais j'aimerais que vous nous donniez plus d'explications sur la recommandation. On limite l'accès aux prestations et cela a un impact négatif sur la maternité. D'autre part, trouvez-vous que le projet de loi améliore la situation? Offre-t-il des réponses concrètes ou si vous trouvez que c'est un recul?

M. Crête va poser une autre question plus tard.

Mme Willens: Pour nous, ce projet de loi est une petite ébauche, une petite tentative, mais ne va pas assez loin. C'est une mesure qui peut résorber certains problèmes dans l'immédiat, mais qui n'est pas très créative au niveau des solutions et qui n'assure l'avenir, d'une certaine façon. Cette réflexion concerne le côté général.

Pour ce qui est des bénéfices pour les mères, il est évident que tout ce qui retarde les paiements à la mère va avoir un effet négatif au cours d'une période pendant laquelle elle a des besoins plus grands. Ces besoins plus grands ont été largement établis il y a très longtemps. Pour que l'enfant puisse avoir une nutrition adéquate, il faut que la mère se nourrisse correctement pendant cette période-là. Or, à partir du moment où on prolongera la période avant qu'elle puisse toucher ces prestations, on aura un problème qui va s'accélérer. En fait, on enlève aux enfants une possibilité de plus d'avoir des chances égales dans la société.

Je sais que le Comité canadien d'action sur le statut de la femme demande depuis longtemps que l'on retire les prestations de maternité de l'assurance-chômage et qu'on crée pour cela un fonds séparé pour montrer qu'on croit réellement que c'est quelque chose de positif pour la société en général. Ça n'a pas été fait. Peut-être faudrait-il regarder à nouveau de ce côté-là.

.0925

Le président: Monsieur Crête.

M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): Dans votre mémoire, à la page 2, vous avez attiré mon attention sur le fait qu'on va augmenter les prestations dans les cas où le revenu familial est de moins de 26 000$, mais que 30 p. 100 des gens qui recevaient antérieurement des montants n'en recevront plus. Les gens qui vivent juste au-dessus du niveau de la pauvreté retomberont dans leur catégorie antérieure.

Pensez-vous que les nouvelles exigences pour les nouveaux venus sur le marché du travail, par exemple 910 heures, auront un effet négatif sur les familles et sur la décision d'avoir des enfants, étant donné qu'il y aura à ce moment-là un nouvel élément d'insécurité?

En dernier lieu, j'aimerais que vous nous refassiez votre plaidoyer en faveur du fonds social dont vous parliez. Cela me semble très important. Beaucoup de gens nous disent que l'assurance-chômage ne devrait être qu'un régime d'assurance-chômage et que le reste devrait faire partie d'un autre régime, mais les groupes craignent que si ces choses sont retirées du régime d'assurance-chômage, elles vont tout simplement s'évaporer dans les idées. J'aimerais que vous élaboriez là-dessus.

[Traduction]

Mme Popham: Pour répondre à votre première question, il ne fait aucun doute que l'âge auquel les gens se marient, lorsqu'ils choisissent de se marier ou s'ils choisissent de se marier, est repoussé. Il ne fait aucun doute que les gens ont des enfants plus tard maintenant. Je ne pense pas qu'une mesure législative en particulier puisse influencer dans un sens ou dans l'autre la décision des gens à cet égard. Cependant, toute l'attitude de la société pour ce qui est de former une famille et d'avoir des enfants envoie un message clair aux gens qui, consciemment ou inconsciemment, influence les décisions qu'ils prennent.

Pour ce qui est des gens qui se considèrent comme étant au-dessus d'un seuil en particulier plutôt qu'en dessous, je ne pense pas que cela influencerait leur comportement, c'est-à-dire s'ils choisiront ou non de vivre en famille.

En fait, je pense que cette analyse - je ne veux pas dire que c'est votre analyse, mais cette analyse, qui semble être en fait la façon dont les gens perçoivent l'utilisation des programmes sociaux - est assez destructrice. L'une des choses à laquelle nous sommes souvent confrontés lorsque nous participons à des émissions-débats ou lorsque nous allons parler à des groupes au sujet de l'utilisation que les gens font des programmes sociaux, c'est la question de l'abus qu'on en fait et de quelle façon les gens s'organisent pour profiter des programmes. Cela n'est certainement pas le cas d'après notre expérience. Les gens utilisent les programmes lorsqu'ils en ont besoin. Les programmes conçus pour aider les gens lorsqu'ils se retrouvent sans emploi sont utilisés à cette fin et ne le sont habituellement pas pour d'autres raisons.

Quant à votre question au sujet de la division de ce programme pour savoir s'il devrait servir spécifiquement aux fins pour lesquelles il a été conçu, nous sommes d'avis qu'il devrait être maintenu comme programme d'assurance-emploi; que les stratégies anti-pauvreté ne peuvent aboutir avec ce mécanisme et qu'elles doivent faire l'objet d'un programme distinct; et que le gouvernement fédéral a certainement un rôle à jouer dans les deux domaines, et un rôle très particulier pour ce qui est de la réduction de la pauvreté chez les enfants, et qu'il dispose d'un outil à cette fin, soit la prestation fiscale pour enfants.

Quant à votre question au sujet du congé de maternité, corrigez-moi si je me trompe, mais je croyais que l'un des groupes qui seraient le plus touchés par les changements au titre de la norme minimale d'admissibilité serait les employés à temps partiel, groupe dans lequel on retrouve surtout des femmes, et des femmes âgées entre 24 et 44 ans. Ce sont ces mêmes femmes qui sont les plus susceptibles d'utiliser un congé de maternité pour avoir des enfants en santé et pour passer du temps avec eux. C'est l'origine de notre préoccupation.

.0930

Le président: Monsieur Crête.

[Français]

M. Crête: La Fédération des femmes du Québec est venue témoigner devant nous et a posé le même genre de questions. Il y a des éléments qui ont un impact négatif certain sur la maternité, et on ne les avait peut-être pas vus au départ. On verra si les réponses à cet égard sont intéressantes. Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur McClelland.

M. McClelland (Edmonton-Sud-Ouest): Je tiens à vous remercier pour votre exposé.

Je vais tout de suite vous dire que j'ai un parti pris, afin que vous compreniez bien dans quel contexte je vais faire mes commentaires et poser mes questions. Je pense que tout investissement que la société fait dans des enfants en particulier rapportera énormément plus tard, et qu'en tant que société nous devrions nous préoccuper bien davantage de la certitude dans la vie des enfants d'âge préscolaire et des adolescents que nous ne le faisons à l'heure actuelle. En tant que société, si nous devons faire un choix entre dépenser de l'argent pour les personnes âgées et dépenser de l'argent pour les enfants, nous devrions opter pour les enfants. Il n'est pas très logique que notre société envisage par exemple des niveaux minimums de soutien pour les personnes âgées à partir de 52 000$ par an, comme on peut le voir dans le budget, quand la moyenne est de beaucoup inférieure pour les familles ou les personnes seules qui tentent d'élever des enfants et qui disposent d'entre 15 000$ et 25 000$ par an.

Permettez-moi de vous poser les questions suivantes et de vous demander d'y répondre. Pourquoi est-ce que nous éparpillons nos ressources ici et là, avec une centaine de différents programmes de soutien? Pourquoi ne disons-nous pas tout simplement qu'en tant que société nous verserons un montant minimum à chaque famille en lui garantissant un revenu annuel? Pourquoi n'adoptons-nous pas une approche globale et n'oublions-nous pas la centaine de programmes différents pour essayer plutôt d'offrir un appui aux gens qui en ont le plus besoin de la façon la plus efficace possible? Si cela signifie que nous devons envisager par exemple un revenu annuel garanti, alors c'est ce que nous devrions faire, afin que les gens sachent à quoi ils doivent s'attendre.

Deuxièmement, il y a la prolifération du travail à temps partiel. À mon avis, l'une des raisons pour lesquelles la société un problème de certitude est la prolifération des emplois à temps partiel pour les hommes et les femmes. Les gens doivent avoir deux ou trois emplois à temps partiel pour joindre les deux bouts. L'une des raisons, c'est que lorsque quelqu'un est embauché à plein temps, les charges sociales qui sont reliées à un emploi à temps plein, y compris le congé de maternité, sont telles que les employeurs n'en veulent pas; ils ne veulent pas de toutes les charges qui se rattachent à l'embauche d'un employé à plein temps. Ils embauchent donc des employés à temps partiel. Cela existe.

Il y a ensuite le problème des pensions alimentaires. Il me semble que notre société crée toutes sortes de pauvreté chez les enfants à cause de l'échec des mariages. Lorsqu'un couple se marie et décide d'avoir des enfants, il ne demande pas à la société s'il devrait ou non avoir des enfants, mais la société en général est responsable si le mariage est un échec et que personne ne s'occupe des enfants.

Je suis fermement convaincu que les dispositions concernant les pensions alimentaires dans le budget sont un excellent pas dans la bonne direction, mais - et c'est sur cette question que j'aimerais avoir votre avis, car il s'agit ici de la pauvreté des enfants - je pense que nous devrions aller encore plus loin et dire que les pensions alimentaires qui sont déterminées par un tribunal - oublions ici le traitement fiscal - deviennent une déduction à la source et sont versées dans les coffres du gouvernement, afin que le parent qui les reçoit, homme ou femme, puisse recevoir son chèque régulièrement.

.0935

Ce serait donc une déduction à la source, et la responsabilité de payer est exactement comme une déduction fiscale, car le parent qui a la garde de l'enfant est ainsi assuré de recevoir son chèque. Lorsque le parent qui a la garde se bat constamment avec l'autre parent pour obtenir l'argent, cela crée un problème entre les parents. Il faut laisser le parent qui doit payer se battre avec le gouvernement.

Je sais que je n'y vais peut-être pas de main morte, mais il me semble que plutôt que de continuer à tourner autour du pot, il faudrait peut-être envisager des mesures pleines de bons sens.

Une voix: [Inaudible - Éditeur].

M. McClelland: Oui, mais je peux le dire et on me le laisse passer. Si, de votre côté, vous dites quelque chose comme cela, tout le monde a peur, car vous êtes un groupe de libéraux.

Le président: Malheureusement, nous lisons également les comptes rendus des journaux, et nous savons que ce n'est pas toujours le cas.

Mme Popham: Je reviens en arrière - je suis heureuse de constater que les gens autour de la table réfléchissent à ces questions sous l'angle de leur rapport avec les enfants - nous avons aussi pensé que les propositions visant les pensions alimentaires représentaient un progrès très intéressant.

La suggestion que nous avons faite relativement à la perception par le gouvernement des pensions des parents n'ayant pas la garde et au versement de ces pensions aux parents ayant la garde se retrouve dans les propositions d'application. Certaines provinces s'apprêtent déjà à y donner suite.

Malheureusement, en Ontario, où il y a un régime, le régime des obligations alimentaires envers la famille, qui permet la saisie des salaires, on revient en arrière actuellement, ce qui risque de faire s'effondrer le régime. Il y a quand même des expériences intéressantes en cours, et nous les appuyons.

J'aimerais faire une mise en garde en ce qui concerne votre analyse du problème. Je pense que c'est une erreur de croire que la pauvreté chez les enfants résulte de l'éclatement des familles. C'est quelque chose qui entretient la pauvreté chez les enfants, mais beaucoup d'enfants qui se retrouvent pauvres après la rupture de leurs parents étaient déjà pauvres. Le problème demeure donc. Même si nous avons d'excellentes lignes directrices et d'excellentes mesures d'application de la loi, nous risquons de voir s'amplifier encore davantage le problème de la pauvreté chez les enfants.

Personnellement, je serais également très prudente en ce qui concerne les questions d'aide aux personnes âgées par rapport à l'aide aux enfants. Même si, de toute évidence, je défends la cause des enfants et que je suis préoccupée au plus haut point par leur bien-être, je pense que c'est une erreur de dire que comme nous avons fait un excellent travail auprès des personnes âgées, nous devons revenir en arrière, modifier notre approche et redistribuer les fonds consacrés à ce groupe aux enfants.

Nous devons plutôt tirer des leçons de cette expérience avec les personnes âgées qui nous a amenés, comme vous l'avez dit, à prendre un fouillis de programmes inefficaces, à les regrouper pour les rendre plus efficaces et, avec la volonté politique nécessaire, à y consacrer un niveau adéquat de ressources, ce qui a permis de sortir les personnes âgées de la pauvreté alors que les enfants s'y enlisaient.

Je ne voudrais pas que nous perdions de vue le concept de l'aide réciproque et que nous décidions tout simplement de favoriser un groupe différent. Il est très important que nous investissions les uns dans les autres, que nous investissions dans les enfants et que nous reconnaissions le principe de cette réciprocité - ce qui m'amène à votre deuxième question.

Les employeurs oublient une chose lorsqu'ils ne soutiennent pas adéquatement les travailleurs à temps partiel, c'est que les enfants de ces travailleurs à temps partiel sont les travailleurs de l'avenir. Les employeurs devraient investir dans leur bien-être.

Prétendre ne pas pouvoir soutenir les travailleurs à temps partiel actuellement et, par voie de conséquence, les enfants de ces travailleurs et les exposer, par conséquent, à une plus grande insécurité financière parce qu'ils ne seront pas admissibles au programme, est manquer de prévoyance. C'est le signe que les employeurs ne comprennent pas qu'ultimement ils auront besoin que ces petits travailleurs soient en santé.

M. McClelland: Je suis d'accord, mais la situation reste la même.

Ce que je dis, c'est qu'il y a trop de travail à temps partiel qui remplace le travail à plein temps; c'est celui-ci qui permet d'édifier la collectivité sur des bases solides. Nous avons besoin de plus de travail à plein temps et de moins de travail à temps partiel. Ce qui explique le temps partiel, ce sont toutes les obligations rattachées au travail à plein temps.

C'est un problème de société, mais nous y reviendrons, parce qu'il est très complexe.

Mon point principal a trait au revenu garanti. Je sais que tout le monde de ce côté...

Mme Popham: Notre position à cet égard est qu'il devrait y avoir un niveau d'aide garanti à tous les enfants grâce à la prestation fiscale pour enfants. Cette protection serait assurée par le fonds d'investissement social.

.0940

Le président: J'aimerais faire une observation aux membres du comité. Nous sommes ici pour examiner le projet de loi. Nous devrions peut-être essayer d'en tenir compte dans nos questions.

Madame Augustine

Mme Augustine (Etobicoke - Lakeshore): Merci, monsieur le président. J'aimerais revenir sur beaucoup de points mentionnés dans l'exposé.

D'abord, je connais bien votre travail. Rosemary et moi nous sommes parlé plusieurs fois. Je sais quel est l'intérêt que Campagne 2000 et d'autres groupes ont pour le problème de la pauvreté chez les enfants au Canada. Je suis satisfaite de l'analyse que vous en avez faite.

En vous écoutant lorsque vous présentiez votre mémoire, je me disais que nous laissions de côté beaucoup d'autres problèmes reliés à l'incertitude, à cause de notre situation financière et d'autres problèmes, à cause du climat financier dans lequel nous nous trouvons. Nous pourrions essayer d'examiner de plus près un certain nombre d'autres facteurs. Essayons de voir ce que nous pouvons faire au moyen de cette loi qui est axée sur la réforme, l'abandon d'un système qui a désavantagé les femmes et les familles dans une certaine mesure en leur interdisant l'accès à l'emploi.

De la façon dont je les comprends, les propositions concernant l'assurance-emploi aideront les familles à faible revenu de façon générale. Ces familles verront leurs prestations augmenter d'environ 7 p. 100; les familles monoparentales à faible revenu verront leurs prestations s'accroître de 10 p. 100, grâce au supplément du revenu familial, par rapport à l'ancien régime d'assurance-chômage. Compte tenu du fait que le problème de la pauvreté chez les enfants est directement relié au revenu et à l'aide que touchent les parents, c'est un argument que vous avez fait valoir, je ne comprends pas pourquoi vous en faites abstraction; cette aide qui est accordée aux chômeurs canadiens doit compter pour quelque chose. Nous devons certainement nous assurer qu'ils ont l'aide nécessaire pour subvenir aux besoins de leur famille le temps qu'ils cherchent un emploi ou du travail.

J'aimerais que vous nous parliez de leur situation à la lumière de la réforme proposée et des avantages qu'elle pourrait comporter pour eux. Je pense que vous conviendrez - vous l'avez déjà fait - qu'il y a des aspects positifs à cette réforme, même si vous pouvez entretenir un certain nombre de réserves à son sujet. Je me demande si vous pourriez y revenir de façon plus précise afin de nous permettre de tenir compte de vos préoccupations et de présenter la meilleure loi possible compte tenu de notre situation actuelle.

Mme Willens: Je pense que cette loi n'entraîne pas d'augmentations de 7 et 10 p. 100. En rabaissant le plafond de la rémunération assurable, vous ramenez de fait le niveau de l'assurance-emploi à 50 p. 100, la norme nord-américaine. Si vous y ajoutez les 7 p. 100, vous dépassez à peine les 55 p. 100 qui existaient déjà; pour ce qui est des 10 p. 100, ils donnent 60 p. 100, ce qui était le niveau auparavant. La loi ne confère donc pas d'avantage supplémentaire. Elle ne fait que rendre dans certains cas ce que les gens touchaient déjà.

.0945

Mme Augustine: Puis-je dire quelque chose à ce sujet? Sous le régime d'assurance-chômage, 50 p. 100 des familles à faible revenu ne touchaient pas des prestations à 6 p. 100. Environ un tiers de ceux qui avaient droit à de telles prestations, avaient un revenu familial de 45 000$. En vertu du nouveau régime, les prestataires chef d'une famille monoparentale seront avantagés.

Mme Popham: Vous cernez une question qui nous place dans une position difficile - parce que si la loi favorise des familles ayant des enfants, nous devrions nous en réjouir.

À court terme, chacune de ces familles verraient évidemment son sort s'améliorer. À long terme, cependant, nous ne croyons pas que ce soit une bonne politique, et ce pour les raisons que nous avons indiquées.

Nous savons à quoi vous faites allusion lorsque vous parlez du climat financier. Cependant, si nous nous fions à ce que dit M. Martin, ce climat est appelé à changer. Le problème du déficit sera réglé. Entre-temps, le gouvernement s'est donné un certain nombre de priorités, dont l'élimination de la pauvreté chez les enfants.

Cette loi, en tant que reflet de la politique du pays, est loin d'être idéale.

Deux questions se posent en effet. La première a trait à sa valeur: qui vise-t-elle, qui sont les gagnants et les perdants - il y a effectivement quelques gagnants, mais, comme nous l'avons indiqué, il y a également des perdants. De même, il convient de se demander si à long terme cette loi nous permet de mettre en place le meilleur programme possible, comme nous avons essayé de le faire pour les personnes âgées.

Il y a un problème qui me préoccupe en particulier. J'ai reçu un appel vendredi d'une journaliste de Terre-Neuve qui avait tourné une émission spéciale de 20 minutes avec une famille de trois enfants dont le père avait travaillé 17 semaines mais ne serait pas admissible à l'assurance-emploi, sous le nouveau régime. La famille reçoit 12 000$ sous forme d'aide sociale. Elle a fait l'objet d'une émission à la Société Radio-Canada à Terre-Neuve. Au cours de l'émission, la fillette de la famille a mentionné le fait que pour son anniversaire, ce qu'elle souhaitait le plus au monde c'était une bague. La Société a reçu 360 appels de gens qui avaient vu l'émission. Jusque-là, le record pour cette émission avait été de 15 appels. La plupart des gens qui ont appelé voulaient donner une bague à la petite fille.

Nous voudrions que tous les enfants puissent profiter de cette loi, mais nous pensons que le problème fondamental demeure: qu'allons-nous faire des gens qui étaient admissibles à l'assurance-chômage et qui ne le sont plus en vertu du nouveau régime? Aucun assisté social ne profitera de cette mesure. Il n'y a pas de lien non plus avec l'effort en vue de régler le problème de la pauvreté chez les enfants. Cette loi ne fait que perpétuer les façons de faire au coup par coup.

M. Nault (Kenora - Rainy River): Je suis toujours perplexe lorsque les gens disent que les assistés sociaux ne profiteront pas du nouveau régime. Dans cette loi, à la partie II, au titre des mesures d'emploi en vue d'aider les gens à s'intégrer au marché du travail, 45 p. 100 des assistés sociaux qui n'étaient pas admissibles au programme auparavant le deviendront désormais. Le régime est précisément élargi et assoupli de façon à inclure beaucoup de gens qui n'étaient pas admissibles à l'assurance-chômage auparavant, qui sont assistés sociaux. Ces gens-là profiteront donc du nouveau régime.

Je suis très surpris de ce que vous dites. En vertu de l'ancienne loi, c'est vrai. Les gens de ma région qui étaient assistés sociaux et qui voulaient suivre un cours quelconque, par exemple, se voyaient répondre: «Vous n'êtes pas admissibles.» En vertu de cette nouvelle loi, 45 p. 100 des gens qui étaient assistés sociaux jusqu'ici seront admissibles. C'est un changement important, une amélioration importante, c'est une approche beaucoup plus proactive. Pourquoi affirmez-vous que ce n'est pas ce qui se passe en vertu de la partie II du projet de loi?

Mme Popham: Tout simplement parce que je n'avais pas noté ces dispositions. J'y jetterai un coup d'oeil.

Vous dites que 45 p. 100 des assistés sociaux seront admissibles au supplément du revenu familial en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi?

M. Nault: S'ils ont participé au régime au cours des trois dernières années ou des cinq dernières années pour les femmes qui touchent des prestations de maternité ou qui se sont retirées du marché pour élever leurs enfants. Nous avons inclus ces dispositions pour aider ceux et celles qui ont une participation marginale. Nous élargissons le régime pour aider une certaine catégorie de personnes.

.0950

Mon dernier point a trait aux relations fédérales-provinciales et au problème des compétences. Je comprends votre intérêt pour toute la question de la garde des enfants et votre désir d'avoir le programme le plus complet possible. Que pouvons-nous faire, cependant, lorsque les provinces nous disent de nous mêler de nos affaires et quelle est la réaction des provinces lorsque vous leur faites les mêmes suggestions que vous nous faites maintenant? Lorsque nous nous adressons aux provinces - au Québec, par exemple - elles nous envoient promener. Nous sommes limités, compte tenu de notre champ de responsabilité.

Ce projet de loi s'insère dans ce que nous croyons être une responsabilité fédérale. Le supplément du revenu familial correspond à une réalité bien particulière. Je suis curieux de savoir comment vous voyez notre situation; nous sommes pris dans un dilemme.

Mme Popham: Puis-je répondre à votre premier point d'abord? Je suis très intriguée par ce que vous m'avez dit. Compte tenu de ce fait, je me demande pourquoi seulement un enfant pauvre sur cinq profiterait de cette loi d'une façon ou d'une autre. Je réexaminerai ces dispositions. Je vous remercie de me les avoir signalées.

J'aimerais quand même comprendre pourquoi, à votre avis, mis à part le fait qu'il s'agit ici d'un projet de loi particulier et que votre travail consiste à le faire adopter, cette mesure est préférable à une prestation fiscale pour enfants, par exemple, en vue de régler le problème de la pauvreté chez les enfants.

M. Nault: Nous avons commencé à nous attaquer à ce problème dans le dernier budget. Nous avons accru le montant. D'aucuns diront que ce n'est toujours pas suffisant.

Honnêtement, nous sommes d'accord avec vous sur ce point. Pour ce qui est de l'assurance-emploi, de l'assurance-chômage, cependant, nous essayons de passer d'un régime mis en place en 1971 et conçu simplement comme une assurance à autre chose. Ce que je déplore de groupes comme le vôtre, c'est qu'ils se prononcent en faveur de l'ancien régime axé strictement sur les principes d'assurance alors qu'il n'est plus le mécanisme approprié; en vertu des nouvelles règles... Les gens de ma génération à qui je parle pensent qu'il faut un mécanisme plus dynamique sur le plan de la formation ainsi que des mesures d'emploi à l'intention des pères et des mères, des Canadiens à faible revenu pour qu'ils puissent intégrer le marché du travail.

En vertu de ce nouveau régime, 98 p. 100 des gens qui travaillent, des employeurs et des employés, verseront des cotisations. De fait, la majorité des Canadiens qui paieraient, avec une augmentation de taxes ordinaire, paieront. Quelle est la différence? C'est du pareil au même. Si nous réussissons à aider les gens dans le besoin, que ce soit dans le cadre de ce régime ou grâce à nos taxes, nous devons nous en réjouir. En réalité, vous êtes contre cette mesure parce qu'elle ne correspond pas exactement à ce que vous voulez.

Mme Popham: J'espère que nous n'avons pas été aussi simplistes. Il est clair que nous sommes d'accord avec l'objet de la loi. Ce que nous souhaitons, c'est que le principe de l'élimination de la pauvreté chez les enfants y soit incorporé.

Ce n'est pas du pareil au même. Il s'agit ici des cotisations des employés et des employeurs. Ce n'est pas la même chose qu'un engagement à protéger et à aider un groupe en particulier à partir du Trésor public. Pour nous, il y a une différence importante. Le problème est qu'il y a risque d'érosion avec une multitude de programmes, un pour chaque groupe de la société. En ce qui nous concerne, la meilleure façon de procéder est clairement d'adopter une approche concertée face au problème de la pauvreté chez les enfants.

M. Nault: Ma dernière question a trait à cet argument voulant qu'il soit préférable de passer par le régime fiscal pour ce qui est des gens qui essaient d'intégrer le marché du travail. De la façon dont je comprends le régime fiscal, il y a essentiellement un crédit d'impôt pour la garde des enfants. Pour ceux qui ont désespérément besoin de services de garde, qu'il y ait des bons ou un autre système... Le système des bons a été créé parce que les provinces nous envoient promener, car ces questions relèvent de leur compétence, et nous essayons de trouver un système qui fasse appel à la coopération.

.0955

Ce que je trouve à redire au sujet de votre argument, c'est qu'il ne résout pas le problème de la mère célibataire, par exemple, qui se présente au bureau de l'assurance-emploi pour demander de suivre des cours et d'avoir des services de garde immédiatement. Vous savez ce qui se passe à l'époque de l'année où les déclarations d'impôt sont envoyées. Lorsque les remboursements d'impôt arrivent, les gens sont déjà endettés; les remboursements ne servent pas à défrayer les services de garde sur toute l'année ou les imprévus; ils sont dépensés immédiatement. Les gens se retrouvent pris au même piège.

Voilà donc ce que je pense de cette solution. Maintenant, nous pourrons aider les gens directement, au moment où ils en auront le plus besoin. Ne croyez-vous pas que c'est un avantage pour les pauvres et les gens qui cherchent à intégrer le marché du travail?

Mme Popham: Je pense que c'est simplifier les obstacles auxquels les gens font face lorsqu'ils cherchent à intégrer le marché du travail. Cet argument suppose qu'un simple bon permettra à une personne d'obtenir les services de garde de qualité dont elle a besoin ainsi que l'emploi dont elle a besoin pour maintenir un niveau de vie adéquat.

C'est une des approches possibles, mais elle ne résout pas tous les problèmes. La recherche indique, et c'est la solution que tous les pays européens occidentaux ont adoptée, qu'il est de loin préférable d'avoir un programme de garde de qualité, faisant appel à des gens qualifiés; nous allons dans la direction contraire.

Je ne me souviens plus s'il y avait un autre volet à votre question.

M. Nault: Ma dernière question avait trait au fait que cette mesure était une restructuration fondamentale et un changement important par rapport à l'approche passive de 1971; elle représente une approche plus proactive pour amener les familles et les jeunes à obtenir de la formation; l'éducation est l'affaire de toute une vie et les outils nécessaires doivent leur être offerts.

Vous parlez des pays européens. Il se trouve que je suis issu du mouvement ouvrier. J'ai passé beaucoup de temps à examiner les programmes établis en Allemagne, en France, en Angleterre et ailleurs. Ils sont tous proactifs, non pas passifs. L'orientation que nous adoptons maintenant est celle qu'ont choisie ces pays il y a déjà plusieurs années. Si vous examinez ce projet de loi par rapport à son contexte, en oubliant les solutions idéales, vous en conviendrez. À partir du fonds qui est constitué ici, on demande aux travailleurs et aux employeurs de payer pour les services de garde, pour la formation. Pourquoi vous opposeriez-vous à ce que nous procédions ainsi chez nous alors qu'on procède de cette façon depuis des années dans les autres pays?

Mme Popham: Ces autres pays ont en même temps adopté une stratégie d'emploi assez dynamique. Vous avez raison. Les employeurs, les employés et la population de façon générale de ces pays y ont consacré plus de ressources que le Canada. Cependant, ils l'ont fait dans le contexte d'une stratégie du marché du travail, dans le contexte, pour les familles ayant des enfants, d'une reconnaissance universelle des coûts que représentent les soins aux enfants, contrairement au Canada - en établissant un autre programme distinct de la prestation fiscale pour enfants dont le Canada s'éloigne encore davantage maintenant. Ils l'ont fait dans le contexte de programmes nationaux de garde d'enfants. Ils l'ont fait dans le contexte de la reconnaissance des besoins en matière de sécurité du revenu des familles ayant des enfants. Leur approche a donc été globale. Elle ne s'est pas limitée à une loi précise.

Je répète cependant que nous n'avons rien dit contre l'objet de la loi visant à aider les familles à participer à la formation, en supposant qu'il y ait des emplois au départ, ou à avoir une meilleure sécurité de revenu. Ce n'était certainement pas l'opinion que nous voulions avancer.

Le président: Voilà qui termine ce témoignage. Je vous remercie beaucoup de nous avoir fait part d'un certain nombre de points importants. Face au problème de la pauvreté chez les enfants, vous adoptez évidemment une approche globale, qui rejoint les grandes politiques du gouvernement.

Le problème de la pauvreté chez les enfants est très important pour tous les députés, qu'ils soient du Bloc québécois, du Parti réformiste ou du Parti libéral. Il y a cependant une question que le comité voudrait voir préciser. Mme Augustine y a fait allusion. C'est la question du supplément du revenu familial. Si vous comparez la loi actuelle, le régime d'assurance-chômage actuel, aux possibilités offertes par le régime d'assurance-emploi, n'êtes-vous quand même pas d'accord pour dire que ce dernier est de loin préférable au premier?

Mme Willens: C'est toute une question piège.

Le président: Non, c'est une question très précise.

.1000

Mme Willens: Non, il ne vaut pas mieux, car il détourne le fonds de son objectif initial qui était d'aider, au besoin, ceux qui y avaient contribué.

Depuis 1984, depuis la réforme et depuis qu'on puise à même le fonds des sommes supplémentaires pour la formation, notamment, et ce sans l'accord de ceux qui y contribuaient, on sape l'objectif même du fonds et on en fait un programme de non-assurance. Le fonds est devenu une cagnotte dans laquelle on peut puiser un peu n'importe quand, chaque fois que l'on a des besoins pressants d'argent.

C'est manquer de vision et faire fi des objectifs de ceux qui y ont investi en croyant qu'ils pourraient y avoir recours le jour où ils en auraient besoin.

Il y a eu des abus, je vous l'accorde. Et on a fermé les yeux très longtemps sur ces abus, je vous l'accorde aussi. Personne n'a rien dit lorsque les employeurs prétendaient mettre à pied leurs employés, mais les réembauchaient trois mois plus tard, et utilisaient cette tactique sur une base annuelle.

Aujourd'hui, en changeant même le titre, vous essayez de nous convaincre de son utilité par des moyens indirects en parlant d'un programme d'emploi ou d'assurance-emploi alors que ce devrait encore être un programme d'assurance-chômage.

Un programme d'assurance-chômage, c'est une tout autre affaire: ça devrait être un programme en vertu duquel vous formez les gens, vous créez des emplois et vous établissez une stratégie d'emploi.

Le président: Madame Willens, n'essayez pas de me dire que vous vous faites en ce moment le porte-parole des 350 000 familles à faible revenu qui profiteront de ce supplément de revenu familial additionnel. Si je me trouvais en face de ces familles, elles me répondraient probablement qu'elles sont ravies à l'idée de recevoir jusqu'à 80 p. 100 de leurs rémunérations moyennes.

Mme Willens: Je crois qu'il faut prendre un peu de recul et regarder l'ensemble du tableau; comme l'a signalé Rosemary Popham, il nous faut une stratégie sociale globale pour régler la situation et ne pas prendre seulement un aspect isolément des autres.

Il ne faut pas intégrer à l'assurance-chômage ou à l'assurance-emploi, peu importe le terme utilisé, n'importe quelle mesure qui relèverait d'un autre secteur. Or, c'est ce que vous, vous faites.

Je croyais que le gouvernement avait pour objectif de simplifier le programme. Or, ce que vous faites, c'est y ajouter un autre fonds qui relève d'une autre mesure liée aux prestations fiscales pour enfants.

Le président: Revenons à ces 350 000 personnes que le nouveau programme avantagera. En tant que membre de ce comité, si je devais aller frapper à leurs portes, ne croyez-vous pas que, dans la vraie vie, elles ne se diraient pas ravies des modifications proposées? Ma question est très simple: c'est oui ou c'est non?

Mme Willens: Regardez comme les gens de la péninsule acadienne ou même du Québec ont réagi. Allez-y, allez frapper à leurs portes! Ils ne vous accueilleront pas avec le sourire.

Le président: Mais nous parlons du supplément du revenu familial.

Mme Willens: Ces gens-là prennent le projet de loi dans son ensemble. Vous, vous voulez isoler des autres mesures le supplément du revenu familial. Eh bien, faisons-le: isolons cette mesure, mais inscrivons-la carrément ailleurs, dans un autre programme, car elle ne devrait pas faire partie de ce projet de loi-ci.

Le président: Mais vous n'avez pas répondu à ma question. Pensez-vous que le projet de loi avantagera ces gens? Pensez-vous qu'ils en seront heureux?

Mme Willens: Dans la conjoncture économique actuelle, personne ne crachera sur un peu plus d'argent. Mais c'est un gain à court terme qui ne crée aucun emploi, et, à long terme, ce n'est pas une solution pour ces gens.

Mme Popham: Monsieur le président, vous avez peut-être déjà rencontré ces gens ou vous les rencontrerez quand le comité se promènera. Allez frapper à la porte des 30 p. 100 de familles que le projet de loi n'avantagera pas et qui recevront des prestations d'assurance-chômage moindres et qui se trouvent être juste au-dessus du seuil de 26 000$! Vous verrez comment ils vous recevront!

Cela illustre bien l'inquiétude que nous avons devant cette réforme qui sèmera la discorde: vous avez ciblé nettement les plus pauvres d'entre les Canadiens tout en retirant des familles à revenu modeste une aide financière qui les aurait empêchés de sombrer dans la pauvreté; quelle réforme myope! Vous devez reformuler votre question et vous demandez qui sont les gagnants et qui sont les perdants.

.1005

Le président: Acceptez-vous les yeux fermés que si nous ne réduisons pas le MRA à 39 000$ et que nous ne changeons rien à la loi, nous atteindrons environ 146 p. 100 du salaire moyen dans l'industrie, et que, dans une économie à concurrence mondiale comme la nôtre, les employeurs se feront la concurrence les uns les autres pour aller chercher de la main-d'oeuvre qui vit actuellement d'assurance-chômage? Pensez-vous vraiment que ce soit sain pour l'économie?

Mme Popham: Non. Mais j'essaie de comprendre votre autre question.

Le président: La voilà ma question. Je demande simplement cela crée, d'après vous, une distorsion dans l'économie, lorsque les prestations d'assurance-chômage... Si nous n'abaissions les MRA à 39 000$, les prestations d'assurance-chômage atteindraient 146 p. 100 du salaire moyen dans l'industrie. Est-ce possible? C'est cela que je voudrais savoir. Je veux avoir vos commentaires.

Mme Popham: Non, ce n'est pas possible. Mais ce n'est pas cela qui nous préoccupe. Ce qui nous préoccupe, c'est que ceux qui vivent avec des revenus de 26 100$, ne pourront pas recevoir, si j'ai bien compris, le supplément du revenu familial. La plupart de ces gens seront des perdants par rapport à ce que leur offre le programme actuel. Ors, on ne peut pas vraiment dire que ce soit des gens qui vivent confortablement.

Le président: Au nom du comité, je vous remercie chaleureusement.

Je crois que ce témoignage nous a éclairés à un ou deux égards. Nous avons notamment compris que ce sont toujours les mêmes problèmes qu'on nous signale et que les membres du comité devront s'y attaquer le plus rapidement possible.

De plus, les Canadiens semblent mal informés, comme l'a signalé plus tôt le secrétaire parlementaire, sur l'admissibilité des Canadiens à l'aide sociale tel que prévu à la partie II du projet de loi qui traite des prestations d'emploi. On envoie donc clairement un message au comité, à savoir que de part et d'autres, il faut mieux informer la population pour que l'on comprenne mieux le projet de loi.

Mme Popham: Ce serait des plus judicieux. Pour des groupes comme le nôtre, la difficulté vient de ce que nous avons reçu il y a deux jours à peine l'avis de notre comparution. Si informés que nous puissions nous croire sur tout le projet de loi, il devient extrêmement difficile de bien digérer toute l'information en si peu de temps. Par conséquent, il serait des plus utiles que vous envoyiez toute l'information nécessaire au préalable à vos prochains témoins et à l'ensemble de la population. Nous avons réussi à mettre la main sur le projet de loi et avions pensé en connaître toutes les ficelles; visiblement, ce n'était pas le cas. Vous voyez que toute information préalable serait extrêmement utile, sans parler d'un plus long préavis.

Enfin, je voudrais remercier le comité de tout le temps qu'il a consacré à la question plus vaste de la pauvreté chez les enfants, même si cela ne faisait pas partie de son mandat. Merci de nous avoir permis de nous exprimer là-dessus.

[Français]

M. Dubé: Je voudrais juste faire un commentaire en rapport avec les questions qui ont été posées aux témoins.

Je pense qu'il faut respecter les témoins ainsi que leur témoignage tel qu'ils le présentent. On leur pose des questions pour mieux comprendre ce qu'ils voulaient dire. Le rôle du comité n'est pas de convaincre les témoins que le projet de loi est bon. Ils viennent nous présenter ce qu'ils ont compris.

Pour ma part, j'ai très bien compris qu'ils s'inquiétaient parce que le programme était ciblé. On s'adresse aux plus démunis, à ceux dont le revenu est de 26 000$ et moins. Je sens que les questions débordent. C'est comme si on essayait d'arracher à tout prix aux témoins une approbation des bons côtés. Il y a certains bons côtés, mais il me semble qu'on devrait faire attention à ce point de vue-là. Les témoins sont venus nous présenter leur réaction, leur perception.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Dubé.

.1010

J'ai trouvé excellent ce dernier témoignage, car il a poussé les membres du comité à s'engager dans ce qui me semble être un débat très sain. Bien sûr, il revient aux témoins eux-mêmes d'être très convaincants, comme vous l'avez été. Mais il revient aussi aux membres du comité d'ouvrir le débat, s'ils estiment qu'on a mal compris les faits. Cela me semble être très sain.

Pour ce qui est du style de questions posées, c'est un choix individuel et je ne voudrais pas, comme président, imposer quoi que ce soit. Il ne me viendrait jamais à l'idée de vous empêcher de poser vos questions, car vous êtes habituellement bien informés et très convaincants.

M. Nault: Là-dessus, je trouve ridicule que l'opposition laisse entendre que les députés ministériels n'ont pas le droit de rectifier les faits, particulièrement lorsque les questions posées par l'opposition tournent autour de mauvaises informations et laissent entendre certaines faussetés au sujet du projet de loi.

Nous avons pour objectif d'informer les Canadiens - car ils écoutent les séances de comité et peuvent obtenir le procès-verbal de nos délibérations - , mais aussi d'aider les témoins à mieux comprendre certains aspects auxquels ils n'auraient pas songé. Je m'inscris en faux contre la déclaration de mon collègue d'en face selon laquelle un député ne devrait pas poser des questions en fonction de ses propres perceptions à lui.

Si nous devions croire comme parole d'Évangile ce qu'ont dit certains témoins et ce qu'affirme l'opposition, il faudrait alors jeter ce projet de loi-ci aux poubelles. Pour notre part, nous croyons qu'il vaut beaucoup mieux que ce que prétendent certains des députés d'en face. C'est ce qui explique nos questions. Je m'inscris en faux contre ce qui vient d'être dit, et je ne crois pas qu'il faille changer la façon dont nous posons nos questions, du côté ministériel.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Nault.

Au nom du comité, je vous remercie d'avoir comparu.

Nous suspendons la séance pendant quelques minutes, le temps que nos prochains témoins arrivent.

.1013

.1029

Le président: Souhaitons la bienvenue aux représentantes de l'Union internationale des travailleurs unis de l'alimentation et du commerce - Région canadienne, Mmes Janet Dassinger et Josefina Moruz.

Mesdames, nous sommes à étudier le projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada. Nous avons déjà entendu plusieurs témoins qui nous ont fait d'excellentes suggestions. Notre objectif premier, c'est de bonifier ce projet de loi-ci, et c'est ce qui explique votre participation. Nous vous accordons environ 40 minutes: vous prendrez d'abord la parole, et puis après nous pourrons vous poser des questions.

.1030

Mme Janet Dassinger (directrice, Programmes et politiques de formation, Union internationale des travailleurs unis de l'alimentation et du commerce - Région canadienne): Merci beaucoup.

Étant donné que votre invitation nous est parvenue hier soir à 22 heures, nous n'avons pas eu le temps de préparer un mémoire. Toutefois, nous vous enverrons au cours de la semaine notre mémoire officiel dans les deux langues.

Je vais tenter de vous donner un aperçu de ce que nous pensons du projet de loi, et puis nous répondrons avec plaisir à vos questions.

Pour votre gouverne, l'Union internationale est un très grand syndicat canadien. Nous comptons quelque 185 000 membres de part et d'autre du pays, qui travaillent dans une vingtaine de secteurs de l'économie. Le gros des membres de notre syndicat travaille dans l'alimentation au détail, dans la distribution et le traitement des aliments, mais nous comptons un nombre croissant de membres dans d'autres secteurs, tels que les soins de la santé, les services de l'alimentation, les chaînes d'hôtels et de motels, tous les types de fabrication et de services, les soins personnels de santé, etc. Vous voyez que nous nous occupons des Canadiens de toutes les tranches d'âge et que nous représentons toutes sortes de différents secteurs. En Ontario seulement, nous comptons 80 000 membres, et quelque 40 000 autres au Québec. Nous sommes un très grand syndicat.

D'entrée de jeu, laissez-nous vous dire que nous nous opposons aux modifications proposées au programme d'assurance-chômage. Nous souscrivons à ce qu'a dit le Congrès du travail du Canada au sujet des projets de loi et sommes d'avis qu'ils présentent plusieurs dangers.

Nous nous inquiétons de l'absence de pouvoirs discrétionnaires dévolus au gouvernement et nous inquiétons de la façon dont les décisions seront prises.

Ce qui nous préoccupe également beaucoup, c'est que ces mesures législatives représentent la huitième compression d'importance à l'assurance-chômage depuis 1981, et la deuxième effectuée par ce gouvernement-ci. Étant donné la diminution des dépenses et la chute sensible des prestations que reçoivent les Canadiens, on peut se demander si ces compressions sont justifiées. À ce jour, rien de ce que nous avons lu ne nous en convainc.

Je vais maintenant entrer dans le vif du sujet et vous expliquer pourquoi nous estimons avoir une compréhension toute particulière des implications de la réforme de la Loi sur l'assurance-chômage.

En effet, notre syndicat a une expérience de première main pour ce qui est des effets de la réforme de l'assurance-chômage et des programmes du marché du travail. Depuis 1991, nous avons pris activement part à diverses initiatives nationales liées à la formation en milieu de travail mais, ce qui est plus pertinent pour les délibérations d'aujourd'hui, nous nous sommes attachés à offrir des mesures d'adaptation de la main-d'oeuvre et de l'aide aux travailleurs déplacés de notre syndicat.

Nous avons créé un programme original appelé le programme des licenciements et des fermetures, qui était appuyé par ce que l'on appelait alors le ministère de l'Emploi et de l'Immigration. Nous l'avons fait en réponse aux vagues de licenciements dans tous les secteurs de notre syndicat.

Au tout début, ces licenciements touchaient surtout le secteur de la transformation alimentaire. Nous avons constaté que des milliers de nos membres du secteur de la transformation de la viande, de la volaille, des fruits et des légumes et de la fabrication des produits non alimentaires se retrouvaient déplacés. Ces emplois disparaissaient par milliers. Cependant, depuis 1993, nous constatons qu'une seconde vague frappe le secteur alimentaire du détail, ce qui a provoqué la perte de milliers d'emplois à temps plein d'un bout à l'autre du pays. Il s'agit d'emplois rémunérateurs accompagnés d'avantages sociaux que l'on remplace par des emplois à temps partiel mal payés et précaires.

De même, dans le secteur de la vente au détail de produits non alimentaires, là où notre syndicat fait des percées, les travailleurs des magasins à rayons doivent constamment rivaliser pour un maigre nombre d'heures, sans espoir de jamais travailler à temps plein.

Dans d'autres secteurs où le nombre de nos syndiqués augmente comme celui des boissons et aliments, des hôtels et motels, des soins de santé parapublics et privés et des services personnels, les travailleurs sont aussi victimes de licenciements et d'une réduction des heures de travail.

Bref, il n'y a pratiquement aucun secteur de l'économie où les travailleurs sont à l'abri, et on note l'abandon évident d'emplois à temps plein pour des emplois à temps partiel peu rémunérés, avec peu ou pas d'avantages sociaux et aucune garantie relative au nombre d'heures de travail.

.1035

Pour illustrer l'ampleur du problème, je vais citer en exemple quelques entreprises dont les fermetures ont touché notre syndicat l'année dernière. Je n'en nommerai que quelques-unes, mais lorsque vous lirez notre mémoire, vous constaterez que la liste est beaucoup plus exhaustive:

- En Ontario, par exemple, les magasins Miracle Food Mart, 700 emplois à temps plein; Canada Packers, 950 emplois à temps plein; l'usine de tomates et de ketchup Heinz, 200 emplois à temps plein; les magasins d'escompte Valdi, 724 emplois à temps partiel.

- Dans le Canada Atlantique, Coca-Cola à Moncton, Moosehead Breweries à Halifax, Labatt Brewing à St. John's, Dalton Fisheries à Terre-Neuve, le IGA de Truro, ce qui représente la perte de plus de 300 emplois.

- Dans l'ouest du Canada, Labatt Brewing à Winnipeg, 150 emplois à temps plein; Fraser Valley Foods en Colombie-Britannique, où 500 emplois à temps plein doivent disparaître le1er avril.

On entend dire que les choses s'améliorent - et j'y reviendrai tout à l'heure - mais ce n'est pas ce que nous constatons. Les mises à pied se poursuivent dans tous les secteurs.

Si je fournis ces renseignements, c'est pour que vous compreniez notre inquiétude au sujet des réductions de l'assurance-chômage dans un pareil contexte.

Notre syndicat a aussi acquis une expérience considérable dans la formation, par le biais de notre conseil de formation sectorielle. Le Conseil canadien des fabricants de produits alimentaires a été cofondé par notre syndicat et par d'autres, associés aux fabricants canadiens de produits alimentaires. Nous entendons fournir une formation à plus de 200 000 syndiqués du secteur de la transformation alimentaire et nous estimons que les changements prévus risquent d'avoir des effets préjudiciables sur ces initiatives sectorielles, particulièrement la dévolution des programmes du marché de travail aux provinces. Encore une fois, j'y reviendrai tout à l'heure.

Enfin, outre cette expérience directe que nous avons des programmes d'aide aux syndiqués licenciés et des initiatives sectorielles, notre syndicat est représenté à la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre, au Centre canadien du marché du travail et de la productivité, à plusieurs conseils provinciaux de mise en valeur de la main-d'oeuvre, à ABC Canada et à deux conseils sectoriels. Voilà pourquoi nous comprenons très bien la politique énoncée dans le bill, ainsi que ses répercussions sur les programmes de main-d'oeuvre.

Les changements que l'on se propose d'apporter à l'assurance-chômage et aux programmes du marché du travail s'inscrivent dans un environnement qui continue d'être caractérisé par un taux de chômage élevé chronique et une multiplication des emplois à temps plein et aléatoire.

Depuis 1991, nous avons acquis une connaissance très intime de la façon dont ces facteurs touchent directement les hommes et les femmes qui en subissent le contrecoup. Par conséquent, c'est avec beaucoup d'amertume que nous entendons tous les gouvernements et les médias rabâcher qu'il est nécessaire de réformer l'assurance-chômage et les programmes du marché du travail. À notre avis, ces appels à la réforme sont presque toujours fondés sur des prémisses injustifiées en ce qui a trait aux effets de l'assurance-chômage, soit que l'assurance-chômage augmente la dépendance, que les prestataires ne veulent pas travailler, que des réductions sont nécessaires parce qu'il faut comprimer les dépenses sociales, etc.

En fait, nous en sommes venus à considérer la litanie des explications des effets de l'assurance-chômage comme huit grands mensonges, et je vais les passer rapidement en revue.

Mensonge no 1: les choses s'améliorent. J'ai déjà mentionné le fait que dans tous les secteurs de notre économie, nous continuons de constater un nombre record de mises à pied, de St. John's à Victoria. Malheureusement, nous n'avons pas les ressources qui nous permettraient de recueillir de façon systématique des données, comme le font les gouvernements, mais nos représentants dans tous les coins du pays nous informent qu'aucun syndicat local n'a pas fait l'objet de licenciements considérables.

Dans le secteur de la vente alimentaire au détail, où nous représentons 90 000 membres partout au pays, la proportion du travail à temps plein est en baisse de 15 à 20 p. 100. Dans de nombreuses entreprises, les emplois à temps partiel qui ont remplacé les emplois à temps plein qui ont été éliminés commandent des salaires beaucoup plus bas. Ainsi, chez Miracle Food Mart, on a supprimé 700 emplois à temps plein à un salaire horaire de 14,85$ pour les remplacer par des emplois à temps partiel à 6,85$ l'heure. On a débauché volontairement un grand nombre de travailleurs à temps plein pour les réembaucher par la suite à un salaire plus bas, sans tenir compte de leur ancienneté. En outre, ces travailleurs sont maintenant forcés de rivaliser pour leurs heures de travail avec des travailleurs à temps partiel de plus en plus nombreux.

Dans le secteur de la transformation des aliments, un grand nombre de travailleurs âgés ont été jetés sur le pavé en raison de la fermeture de grandes usines. Canada Packers, dans l'ouest de Toronto, a licencié environ 950 employés, surtout les travailleurs âgés et, dans bien des cas, physiquement diminués par la nature de leur travail. Et comme vous le savez sans doute, leurs chances de trouver un autre emploi sont pratiquement nulles.

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Récemment, la division Fraser Valley Foods de Pillsbury a décidé de mettre à pied quelque 500 travailleurs pour la plupart d'origine indo-canadienne qui auront besoin d'énormément de recyclage pour acquérir ne serait-ce que des compétences de base, et je ne parle pas de compétences professionnelles.

Face aux changements proposés, ainsi qu'à la confusion qui semble régner au niveau local dans les centres de développement des ressources humaines, où le personnel ne sait pas trop quels programmes d'emplois sont disponibles, les travailleurs sont extrêmement perplexes et amers. Ils savent que leur situation empire. Ils constatent que même d'anciens programmes auxquels il était difficile d'accéder, comme celui de l'achat direct, disparaissent. Ils constatent aussi que les programmes communautaires d'aide à l'emploi qui étaient sensibles à leurs besoins disparaissent aussi de jour en jour.

Compte tenu du resserrement des critères d'admissibilité, de la réduction des prestations et de ce qui semble être une transition très chaotique vers de nouveaux programmes d'emplois, il ne suffit pas de dire que l'économie prend du mieux pour que ce soit véritablement le cas.

Mettons maintenant dans le même panier les mensonges deux et trois, selon lesquels les bénéficiaires de l'assurance-chômage sont des fraudeurs, sont trop dépendants de leurs prestations et qu'ils ne veulent pas travailler.

L'expérience de notre syndicat contredit cela. Au cours des six dernières années de bouleversement économique au Canada, nous avons eu affaire à des travailleurs fortement motivés à travailler et à prendre toutes les mesures, quelles qu'elles soient, pour retourner sur le marché du travail. Même les travailleurs qui ne parlent pas couramment ni l'anglais ni le français et qui font face à d'autres obstacles sont fermement déterminés à réussir. Des personnes qui ont travaillé toute leur vie, souvent dans des emplois qui feraient frémir de nombreux Canadiens, comme les salaisons et les abattoirs de volaille, ont cette volonté et ce désir de travailler.

Le problème ne tient pas, comme les champions de la réforme le laissent entendre, au fait que ces personnes ne sont pas suffisamment motivées. La situation est plutôt attribuable à une économie caractérisée de façon constante par des taux de chômage élevés et de moins en moins d'emplois rémunérateurs aux plus bas échelons de la hiérarchie professionnelle. Même lorsque les travailleurs se recyclent, un grand nombre sont incapables de trouver un emploi dans leur nouveau domaine, et lorsqu'ils y réussissent, ils doivent souvent accepter des salaires beaucoup moindres. Les travailleurs font ce qu'ils peuvent pour éviter l'assurance-chômage et, notamment, ils acceptent des emplois à temps partiel peu rémunérateurs.

Je vais vous donner l'exemple de Valdi, entreprise de vente au détail de produits alimentaires. Lorsque Valdi a fait faillite, plus de 700 employés à temps partiel ont perdu leurs emplois. Un comité d'adaptation de la main-d'oeuvre syndical a fait savoir que plus de 80 p. 100 d'entre eux souhaitaient se recycler et étaient disposés à se déplacer pour avoir accès à la formation. Huit mois après ce licenciement, 90 travaillaient à temps plein, 250 à temps partiel et 112 suivaient des cours de formation.

Même si les chiffres ne le montrent pas, nous savons, grâce à un suivi et à des renseignements anecdotiques, que ces personnes voulaient travailler et que c'est la raison pour laquelle elles ont accepté des emplois qui, dans la plupart des cas, leur offraient un salaire et des avantages sociaux moindres et, bien souvent, pas d'avantages sociaux du tout. Si ces nouveaux emplois n'étaient pas aussi intéressants que leur emploi précédent ou que les prestations d'assurance-chômage, comment expliquer alors que ces travailleurs les aient acceptés?

Dans le cas du Miracle Food Mart, nous avons des preuves encore plus convaincantes. En juillet 1994, nous avons fait un sondage auprès d'un groupe d'employés à temps plein qui avaient perdu leurs emplois. Nous avons appris que leur moyenne d'heures de travail était passée de 37 à 15 et que leur salaire horaire moyen avait baissé de 17,33$ à 5,98$. En plus d'accepter ce genre de travail, ces personnes, dont plus de 93 p. 100 avaient en moyenne une 12e année, ont réclamé de la formation dans divers domaines comme les mathématiques, la lecture, l'écriture, les compétences de base, etc.

Si ces travailleurs sans emploi sont représentatifs - et notre expérience des six dernières années dans tous les secteurs le confirme - comment expliquer que le gouvernement insiste pour dire que le régime d'assurance-chômage crée la dépendance et que la corruption y règne? Il semble que ce soit plutôt un mythe commode pour justifier les coupures.

Enfin, les allégations de fraude ne sont pas non plus corroborées par les faits. Les propres chiffres du ministère sur le taux de détection de la fraude et les accusations connexes sont bas. Après avoir aidé pendant des années des prestataires et après avoir formé des représentants syndicaux locaux pour les défendre, nous sommes arrivés à la conclusion que les motifs d'inadmissibilité et d'exclusion sont presque toujours de nature administrative.

En dépit de tous les efforts pour simplifier le processus de demande et de rapport, le régime d'assurance-chômage est mystérieux et compliqué pour la plupart des Canadiens. Honnêtement, qui d'entre nous ne redouterait pas d'avoir à se rendre dans un centre de développement des ressources humaines pour présenter une demande de prestation d'assurance-chômage? On n'y explique pas la plupart des règles et règlements et souvent, aucune information n'est fournie au sujet des programmes d'assurance-chômage ou encore des droits à l'assurance ou des conditions d'admissibilité pour les programmes d'adaptation, quand les travailleurs ont la chance de pouvoir en avoir.

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Lorsqu'à ce manque général d'information s'ajoute l'incapacité de parler de l'une ou l'autre langue officielle, on comprendra aisément que des erreurs peuvent se glisser. Malheureusement, en matière d'assurance-chômage, il semble que la présomption d'innocence n'existe pas.

De meilleurs services de counselling, axés sur la réalité linguistique et culturelle, feraient beaucoup pour corriger ce problème, mais les changements proposés aux programmes du marché du travail vont plutôt exacerber les difficultés. Au lieu d'offrir davantage de counselling dans les centres de développement des ressources humaines et de mettre sur pied un système cohérent de formation communautaire, ces centres sont fermés et remplacés par des kiosques informatisés installés dans les centres commerciaux, où l'on affiche des emplois peu rémunérateurs. Les travailleurs doivent attendre en moyenne 8 à 12 semaines pour une entrevue avec un conseiller en emploi du ministère dans bien des endroits, ce qui est beaucoup trop long quand la période de prestations rétrécit comme une peau de chagrin.

Mensonge numéro 4: la non-concordance des compétences. Voici un autre argument qu'avance fréquemment le gouvernement fédéral pour expliquer sa réticence à s'attaquer au véritable problème, soit un taux de chômage élevé chronique. Au lieu de reconnaître à quel point les Canadiens ont du mal à trouver un travail, il nous demande de croire qu'il y a suffisamment d'emplois disponibles, mais que les travailleurs n'ont pas les compétences voulues pour les assumer.

Le mensonge numéro 4 est dans la même lignée que ceux portant sur la dépendance et la fraude. Au lieu d'assumer la responsabilité qui est celle d'essayer de réduire le chômage, le gouvernement impose aux travailleurs individuels la responsabilité de pouvoir dénicher les nouveaux emplois disponibles dans les secteurs de pointe. Les preuves écrasantes recueillies par notre organisme montrent que les emplois qui sont créés ne sont pas des emplois pointus rémunérateurs pour lesquels les travailleurs peuvent se recycler, mais des emplois à temps partiel ou aléatoires comportant très peu de sécurité.

L'autre effet dévastateur de la théorie de la non-concordance des compétences est qu'il donne lieu à des solutions simplistes. La réaction officielle face à ce prétendu problème a été d'exiger que l'on produise davantage de renseignements sur le marché du travail. Le problème, d'après ce qu'on nous dit, ce n'est pas qu'il n'y a pas d'emploi, mais que les gens ne sont pas informés au sujet des débouchés d'emplois qui existent.

Nous reconnaissons la valeur d'une bonne information sur le marché du travail, mais nous comprenons aussi que le gouvernement ne peut créer de toutes pièces de l'information sur quelque chose qui n'existe pas. En outre, cette information n'est pas vraiment utile sans counselling personnalisé. Dans les nouveaux programmes du marché du travail, on se propose d'abandonner le counselling fourni par les centres de développement des ressources humaines pour embrasser les kiosques électroniques. Je ne sais ce qu'en pensent les membres du comité, mais pour ma part, je ne voudrais pas être sur le pavé avec, comme seule ressource, un écran d'ordinateur.

La diffusion de l'information n'est qu'une composante du processus de counselling. On peut même dire que c'est la moins importante. Et pourtant, de plus en plus, on réduit les programmes et les services et on demande aux travailleurs de trouver, et ensuite de financer, leur propre formation.

Mensonge numéro cinq: Il faut réduire les dépenses sociales pour lutter contre le déficit. Je n'ai pas l'intention de m'étendre là-dessus car je suis convaincue que vous comprenez la position du syndicat. Les dépenses sociales au Canada ne sont pas élevées relativement à celles d'autres pays de l'OCDE. En fait, la caisse affiche un surplus et continuera d'en afficher un. Nous sommes contre le fait de sabrer dans les programmes sociaux pour lutter contre le déficit. Nous invitons plutôt le gouvernement à adopter, en matière de politique économique et monétaire, une approche plus systématique génératrice d'emplois qui permettrait de lutter contre le déficit grâce à l'accroissement des recettes.

Mensonge numéro six: l'assurance-chômage nuit à la souplesse et à la mobilité. J'ai dit tout à l'heure que les travailleurs voulaient travailler et qu'ils étaient prêts à prendre les mesures nécessaires pour trouver du travail, y compris déménager. Notre syndicat est au fait du cas de bien des travailleurs qui déménagent d'une ville à l'autre, d'une région à l'autre et même d'une province à l'autre, notamment dans la région Atlantique du Canada pour trouver du travail. En fait, l'un de nos syndicaux locaux à Terre-Neuve a jeté les bases d'une initiative d'envergure, la création d'une banque nationale d'emplois, pour que ses syndiqués puissent accéder à des emplois à l'extérieur de la province.

Nous rejetons les allégations selon lesquelles l'assurance-chômage réduit la mobilité. Encore une fois, les faits ne corroborent pas cela. Les gens sont prêts à se déraciner et à déraciner leur famille pour acquérir un niveau de vie décent. N'est pas cependant ce que nous ferions tous?

J'ajouterai que le fait que les travailleurs les plus compétents et les plus scolarisés quittent les provinces affligées d'un fort taux de chômage n'est guère propice à l'aplanissement des disparités entre régions.

Mensonge numéro 7: l'assurance est un programme social. À notre avis - et à cet égard, nous sommes d'accord avec le Congrès du travail du Canada - , l'assurance-chômage a été créée pour stabiliser le revenu des travailleurs en leur fournissant un revenu de remplacement temporaire, et l'admissibilité est fondée sur les paiements effectués au cours de la période travaillée et non pas sur le revenu individuel ou familial.

Mensonge numéro 8: La baisse des primes va créer des emplois. Cette allégation semble l'écho du mythe répété par le gouvernement Harris à risque, selon qui les allégements fiscaux consentis aux Ontariens nantis vont créer des emplois comme par magie. Le CTC rapporte qu'il n'a encore eu aucune réponse à sa requête pour obtenir une évaluation du programme de réduction des primes pour la petite entreprise, programme qui remonte au budget de décembre 1992.

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Cette idée d'une baisse des primes est un des avatars de la théorie du ruissellement dont on a rebattu les oreilles aux Canadiens sous une forme ou sous une autre depuis les 10 dernières années. Ce message a été livré de façon tellement convaincante qu'un grand nombre de Canadiens n'ont pas encore mis en doute sa validité.

Cependant, tous les gouvernements devraient prendre bonne note que la population commence à être à bout de patience. En dépit de toutes les concessions exigées par les employeurs, les années de vaches grasses qu'on leur a promises ne se matérialisent pas. Au lieu de cela, il y a énormément d'insécurité et le plus grand scepticisme parmi les travailleurs quant aux avantages des théories du marché.

Le travail à temps partiel: c'est une menace bien réelle pour nos membres et, encore une fois, je tiens à réitérer que nous avons 90 000 travailleurs dans le secteur de la vente au détail d'aliments, dont la plupart sont des travailleurs à temps partiel, 70 à 80 p. 100 d'entre eux. Plus de la moitié de ces emplois à temps partiel sont occupés par des femmes.

Si le nombre d'heures travaillées par les travailleurs à temps partiel varie selon les conventions collectives, on peut toutefois décrire la situation de façon générale. Le maximum d'heures ne dépasse assurément pas 24 heures et le minimum peut être aussi bas que quatre heures. Le minimum est un quart de travail, qui peut durer seulement quatre heures. Le nombre d'heures travaillées peut donc fluctuer de 4 à 24 heures par semaine.

Les changements proposés relativement à l'admissibilité des travailleurs à temps partiel auront des conséquences catastrophiques pour nos membres, mais nous appuyons un changement qui permettrait de compter les heures d'admissibilité à compter de la première heure. Si l'on relève le seuil aussi haut qu'il est proposé de le faire, beaucoup de membres devront travailler deux fois plus de semaines qu'actuellement pour être admissibles.

Par exemple, un membre du syndicat qui travaille en moyenne 15 heures dans un magasin d'alimentation, dans une région où le chômage est de 8 à 9 p. 100, devra travailler 39 semaines dans le cadre des changements proposés, au lieu de 17 semaines actuellement. Pour un travailleur qui est nouvellement admissible, par exemple quelqu'un qui travaille en moyenne 10 semaines et qui deviendrait admissible, le nombre de semaines nécessaires serait de 59. On ne peut dire que c'est une amélioration.

Pour les travailleurs qui travaillent 15 heures par semaine ou plus, le nouveau plafond représente une pénalité. Pour les travailleurs nouvellement admissibles, une période d'admissibilité extrêmement longue, conjuguée à des prestations extrêmement basses, rend l'assurance-chômage presque inutile. Mais peut-être est-ce justement là le but recherché.

Voici une illustration frappante des conséquences sur les employés à temps partiel. Après un long conflit de travail parmi les employés de Miracle Food Mart, nous avons accepté la demande de la compagnie d'éliminer 700 emplois à plein temps. La compagnie a donc éliminé ces emplois et les employés à temps partiel qui font maintenant le travail ont été réduits au salaire minimum. Cette mise à pied a créé une foule de problèmes sur le plan de l'assurance-chômage et des programmes de formation.

Bien qu'il y ait une disposition dans la loi pour les travailleurs qui choisissent une mise à pied volontaire pour céder la place à d'autres, l'admissibilité aux prestations a été interprétée de façon fort différente et divergente par les agents d'assurance-chômage locaux. DRHC nous a dit que le nombre total d'employés avait en fait augmenté à cause de la création d'emplois à temps partiel et de la disparition d'emplois à plein temps, de sorte que nous n'étions pas en mesure de demander des prestations d'assurance-chômage pour nos membres. Certains membres à qui on avait offert des emplois à temps partiel à un salaire représentant moins de la moitié de leur salaire antérieur ont refusé et ont donc été considérés comme ayant démissionné. En bref, beaucoup de nos membres ont été considérés non admissibles.

Deux autres problèmes sont venus exacerber le manque de soutien du revenu. Premièrement, quand les travailleurs ont été jugés non admissibles à l'assurance-chômage, ils ont également été jugés non admissibles à la formation financée par l'assurance-chômage. Cela a donné lieu à une situation tout à fait regrettable où certains travailleurs du même magasin n'avaient pas droit à l'assurance-chômage et à la formation, contrairement à d'autres de leurs ex-collègues.

En outre, bien qu'en l'occurrence, le programme du gouvernement fédéral, nommément le service d'aide à l'adaptation de l'industrie, ait fourni des fonds pour un comité d'adaptation patronal-syndical, il a été dit très explicitement que c'était une exception et que les mises à pied dans la vente au détail n'étaient pas considérées comme faisant partie du mandat du service. En plus, on a considéré que ceux qui avaient accepté une indemnité de départ n'avaient pas besoin d'adaptation.

Le résultat global de la limitation de l'accès aux programmes de soutien du revenu, de formation et d'adaptation a été profondément troublant pour notre syndicat. On laissait entendre que des milliers de travailleurs du secteur de la vente au détail dans l'alimentation méritaient moins que d'autres, pour une raison ou une autre, les prestations d'assurance-chômage, les programmes de formation et d'autres mesures d'adaptation, ce qui était à la fois fort troublant, mais aussi très révélateur quant à la perception du gouvernement fédéral vis-à-vis les travailleurs des secteurs non industriels.

On fait erreur en pensant que les travailleurs bien rémunérés à qui on offre une mise à la retraite avec prime font leur choix librement et volontairement. Pour la plupart de nos membres, le choix consiste à accepter une mise à la retraite avec prime, c'est-à-dire un semblant d'indemnisation, et la rétrogradation à un emploi à temps partiel moins bien rémunéré, ou une mise à la retraite avec prime et un retour à un travail à temps partiel moins bien rémunéré et faire face à la concurrence pour des heures de travail rares. De plus, chaque fois qu'un autre magasin fermait, les travailleurs étaient envoyés à un autre endroit, augmentant ainsi le réservoir de main-d'oeuvre excédentaire, de sorte qu'il y avait encore plus de gens se faisant la concurrence pour des heures de travail rares.

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Nous savons donc que dans un tel contexte, les travailleurs - et c'est un mode de vie pour bien des travailleurs de notre secteur - arrondissent leur revenu provenant de ces emplois à temps partiel grâce à d'autres emplois à temps partiel, qui sont habituellement aussi mal rémunérés. Nous savons que dans l'affaire de Miracle Food Mart, les gens sont allés travailler dans des stations-service, des restaurants-minute et à d'autres emplois mal rémunérés de la vente au détail. Ainsi, une telle combinaison d'emplois à temps partiel mal rémunérés et l'absence d'avantages sociaux constituent un mode de vie pour un grand nombre de nos membres.

En somme, la situation des travailleurs à temps partiel devient de plus en plus intenable. Ils n'ont pas accès à bon nombre des programmes d'adaptation et de formation à cause d'interprétations strictes des critères d'admissibilité à l'assurance-chômage et à cause du principe selon lequel les travailleurs du secteur non industriel ne font pas partie du mandat des programmes d'adaptation du gouvernement fédéral.

Les modifications proposées ne feront rien pour les aider. La période d'admissibilité sera considérablement allongée et parce que ces gens auront travaillé moins d'heures à un salaire inférieur, le taux de leurs prestations sera minuscule. Pour comprendre à quel point leur situation est critique, les membres du comité pourraient peut-être se demander comment ils survivraient avec un taux de prestations égal à 55 p. 100 du salaire minimum.

Enfin, les programmes d'emploi proposés ne seront pratiquement d'aucun secours. Les prêts et subventions de perfectionnement feront passer la responsabilité du financement de la formation aux particuliers. Il est illusoire de penser qu'une personne qui peut difficilement faire des économies et dont le taux de prestations sera extrêmement bas pourra profiter d'une formation utile et à long terme, même avec l'aide de prêts et de subventions. De plus, comme les programmes d'adaptation subissent continuellement des compressions, y compris les programmes d'emploi communautaires et les services d'orientation offerts aux centres de perfectionnement des ressources humaines, les travailleurs de ce secteur n'auront pas d'autres recours que de s'adresser aux kiosques informatiques.

Le secteur des aliments au détail, qui faisait autrefois l'envie des autres secteurs pour ses emplois stables et ses bons salaires, est en train de devenir un autre ghetto à faible rémunération avec peu de stabilité et d'avantages sociaux. Les changements proposés pour le travail à temps partiel ne feront rien pour mettre fin à cette transformation.

Je vais essayer de résumer, parce que j'ai déjà parlé assez longtemps. Je peux certainement vous donner plus d'explications si vous en voulez. Cependant, je tiens à faire une remarque générale au sujet de l'incidence de la dévolution.

Nous sommes très inquiets pour les travailleurs qui, même maintenant, font déjà face à une confusion et à un désordre considérables aux centres locaux de perfectionnement des ressources humaines. C'est ce que nous entendons dans toutes les régions du pays, en dépit des programmes provinciaux qui peuvent exister. Les programmes d'emploi subissent des compressions ou font l'objet d'accords vraiment à court terme avec le ministère du Développement des ressources humaines, de sorte qu'ils sont sérieusement déstabilisés et ne disposent pas des fonds nécessaires pour survivre. Par conséquent, les travailleurs en chômage expriment énormément de frustrations, même présentement, au sujet de ce qui semble être une transition très chaotique de l'ancien programme de planification de l'emploi et d'autres programmes aux nouveaux outils de création d'emplois.

À l'échelle nationale, comme je l'ai déjà mentionné, nous sommes très engagés à poursuivre le processus de consultations sectorielles auquel nous participons. Nous sommes très préoccupés par le sort de ces structures nationales, qui ont donné à mon avis des résultats très positifs en augmentant le niveau de formation et plus particulièrement le financement de la formation dans le secteur privé. Nous nous demandons quelles seront les conséquences de la dévolution et quels effets déstabilisateurs la transformation pourrait avoir sur ces structures très fructueuses.

Enfin, nous sommes très préoccupés par les pouvoirs que donnent les projets de loi au gouvernement en ce qui concerne l'utilisation des fonds à des fins de mise en valeur. Il nous semble qu'on responsabilise très peu les intervenants du marché du travail et que le rôle des commissions de mise en valeur de la main-d'oeuvre est réduit à presque rien. Même les commissions provinciales sont menacées. Nous sommes donc fort préoccupés par les conséquences de la dévolution, par le manque de réflexion qui semble avoir précédé les changements proposés aux programmes relatifs au marché du travail et par le manque de débats publics sur la façon dont on passera au nouveau régime.

En conclusion, nous tenons à dire que nous sommes fortement opposés aux amendements. Nous ne croyons pas qu'il y ait eu un débat ou un examen suffisant des conséquences. Nous rejetons catégoriquement la prémisse selon laquelle les travailleurs sont instables, paresseux ou dépendants. Toute notre expérience nous montre le contraire. Nous sommes préoccupés par le fait qu'on passe d'un appui public à des interventions privées et ponctuelles. Nous sommes profondément préoccupés par les propositions du gouvernement fédéral et nous le prions de reporter ces projets de loi et d'entreprendre de grandes consultations publiques au sujet des stratégies et des moyens pour créer plus d'emplois et favoriser la croissance économique sans viser uniquement la réduction des dépenses sociales.

Merci.

Le président: Je vous remercie beaucoup pour votre exposé.

Nous aurons un tour de questions de sept minutes. Nous commencerons par M. Dubé, du Bloc, suivi de M. Regan, du parti ministériel.

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[Français]

M. Dubé: Je vous remercie de votre présentation. Bien que vous ayez déploré au début ne pas avoir eu beaucoup de temps pour vous préparer, vous nous avez donné beaucoup de renseignements sur vos secteurs d'activité.

Dans le fond, vous dites que les secteurs du travail que vous représentez, au sein de votre association syndicale, sont un monde qui est en train de changer considérablement. Les emplois à temps plein se transforment en emplois à temps partiel, d'une part, et il y a aussi une concurrence accrue de la part des employés à temps partiel qui arrivent d'ailleurs pour combler les trous, pourrait-on dire.

Vous avez également parlé des travailleurs indépendants, dont vous vous souciez, mais vous n'avez pas parlé du phénomène du recours accru à la sous-traitance par les entreprises. Vous êtes un syndicat, mais on constate un phénomène: les entreprises, les grandes comme les moyennes, essaient d'éviter la syndicalisation des employés en ayant recours assez massivement à la sous-traitance. C'est une dimension dont vous n'avez pas parlé, mais il est important d'en parler parce que c'est aussi une transformation importante du monde du travail dans lequel vous êtes.

Vous dites que vous avez présenté un mémoire. J'aimerais beaucoup en prendre connaissance. Vous dites qu'il est difficile de mettre des chiffres partout, mais vous avez dit au début qu'il y avait eu une diminution de 25 p. 100 des emplois à plein temps et une diminution des salaires. L'entreprise menace de fermer et dit à ses gens: Si vous voulez conserver votre emploi, prenez un emploi à temps partiel. On offre aux gens des emplois diminués. Vous dites qu'il y a un nivellement des salaires vers le bas et cela confirme ce que vous dites, à savoir que l'économie va mal.

Quand on est ici, au Parlement, du côté de l'Opposition, on entend les gens du parti ministériel dire: Depuis qu'on est arrivés au pouvoir, le taux de chômage a diminué de x p. 100. Il faut dire que c'est vrai, car il y a eu une certaine diminution.

Ce que vous dites est aussi un élément très important: le marché du travail évolue, il se transforme, il s'émiette, dirais-je, et les salaires baissent. Pendant ce temps, le gouvernement dit: On va diminuer le plafond des prestations, parce qu'au train où on va, on rattrapera la moyenne des salaires industriels. Or, vous représentez 185 000 personnes, et je suis persuadé que chez vous, le salaire hebdomadaire ou annuel n'est pas aussi élevé, parce que vous avez beaucoup de gens à temps partiel.

J'ai compris ce message-là. Dans le contexte, vous avez de la difficulté à répondre au président qui disait: Suggérez-nous des améliorations. Dans le fond, le statu quo, qui était déjà précaire, serait pour vous une amélioration. Vous avez bien indiqué que vous avez dû subir dans votre secteur plusieurs coupes à l'assurance-chômage, ne serait-ce que dans le projet de loi C-17. J'ai oublié le numéro du projet de loi présenté par M. Valcourt, mais il entraînait déjà une détérioration des conditions de vie.

Je ne vous demande pas de répondre à mes questions aujourd'hui, mais j'aimerais beaucoup que vous nous fournissiez dans votre mémoire des données concernant la moyenne des salaires annuels de vos membres à temps plein, et l'impact financier de ces mesures sur ceux qui perdent leur emploi à temps plein et se font ensuite offrir des emplois à temps partiel moins bien rémunérés. Nous aimerions avoir un aperçu de cela.

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Le gouvernement n'a pas pris suffisamment acte de cette transformation actuelle de l'emploi. Au contraire, dans le cadre de la réforme de l'assurance-chômage, on fait comme si les choses étaient encore comme elles étaient il y a trois ou quatre ans et on ne tient pas compte de la situation actuelle. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

Mme Dassinger: Je peux répondre très brièvement que la sous-traitance n'a pas été un problème aussi important pour notre syndicat que pour d'autres, mais nous allons certainement en parler. Merci d'avoir demandé ces renseignements.

En ce qui concerne les diminutions de salaire qu'on dit justifiées pour sauver les entreprises, nous entendons cela continuellement, que ce soit dans le secteur des aliments au détail ou dans celui de la fabrication. De fait, c'était justement l'objet du conflit de travail avec Miracle Food Mart, car ses dirigeants prétendaient que l'entreprise était dans une situation financière tellement précaire avec une marge de profit tellement basse, de moins de 1 p. 100, qu'ils avaient besoin de ces énormes concessions. Ils demandaient plus de travail à temps partiel afin d'augmenter leur marge de manoeuvre.

Je tiens à ajouter que notre syndicat s'est montré très conciliant à cet égard, parce que nous comprenons que les entreprises doivent être rentables. Cependant, bien des fois, cela ne nous a rien donné. Les brasseries nous ont fait des demandes semblables, exigeant du travail par équipe et d'autres mesures de la qualité. Nous avons très bien travaillé et coopéré, ce qui n'a pas empêché des installations rentables de fermer leurs portes. Nous constatons donc que dans tous les secteurs, des réductions de salaire n'apportent pas vraiment les résultats escomptés.

Les enjeux de la stabilisation de l'emploi sont grands pour nous. Tout dernièrement, nous avons signé une convention collective de sept ans avec l'un des supermarchés à succursales plus avertis. Nous avons une clause de réexamen des salaires, mais je pense que cela démontre vraiment la détermination du syndicat à s'assurer que les commerces sont rentables. Nous devons cependant aussi faire preuve d'un grand scepticisme face aux entreprises qui utilisent très facilement cette menace de fermeture pour faire baisser encore davantage les salaires.

Je suis d'accord avec vous pour dire que le marché du travail se transforme, et qu'il le fait d'une façon qui ne semble pas être positive pour les travailleurs. J'apporterai donc beaucoup d'attention à vos demandes dans le mémoire que nous allons préparer et j'essaierai de vous fournir les chiffres que vous avez demandés.

Le président: Très bien, encore une question.

[Français]

M. Dubé: Vous dites que votre association syndicale offre des activités de formation en cours d'emploi à ses membres. Quel genre d'activités de formation offrez-vous? Considérez-vous que c'est vraiment à vous de les offrir? Ne serait-ce pas plutôt la responsabilité des entreprises? À mon avis, l'entreprise a avantage à avoir un personnel mieux qualifié. Je trouve un peu curieux que vous fassiez un peu une oeuvre de suppléance à cet égard.

[Traduction]

Mme Dassinger: La question exige une très longue réponse, mais j'essaierai d'être extrêmement brève.

Nous avons trois initiatives principales. Nous avons un programme d'adaptation de la main-d'oeuvre destiné à aider les travailleurs en chômage. Nous avons dû le faire parce que les sociétés n'assument pas leurs responsabilités à cet égard. Je peux l'affirmer sans équivoque. Aucune loi ne les y oblige et la plupart d'entre elles ne le font pas volontairement, ou si elles le font, les sommes qu'elles consacrent à l'adaptation de la main-d'oeuvre sont vraiment minimes.

Nous offrons un programme de formation de base aux syndicats locaux afin de les aider à coordonner les activités de formation de base: l'anglais et le français langue seconde et l'alphabétisation pour les anglophones et les francophones.

Enfin, nous négocions des accords au niveau local en vue d'offrir une formation professionnelle. Nous demandons généralement une contribution d'un cent par heure à la caisse de la formation. Cette caisse peut être en fiducie conjointe ou non, au gré de la société et du syndicat local.

Pour vous donner un exemple digne de mention, nous avons un syndicat local dans le sud-ouest de l'Ontario qui possède une telle caisse, gérée conjointement par les supermarchés Zehrs. Cette initiative a été extrêmement positive. Toute la stratégie de cette entreprise vise l'amélioration des services aux consommateurs et la valeur ajoutée, plutôt que la compression des coûts grâce à la réduction des salaires. Les dirigeants de l'entreprise ont planifié et organisé conjointement avec nos membres un programme de formation qui rendra l'entreprise plus concurrentielle en offrant un meilleur service à la clientèle, notamment.

C'est là le type de formation que nous offrons, parfois conjointement avec les employeurs, parfois sans eux. Nous participons également à des initiatives sectorielles nationales, ayant récemment créé le Canadian Grocery Producers Council pour les travailleurs de l'industrie alimentaire.

Quant à savoir à qui incombe la responsabilité, nous pensons en effet qu'elle incombe aux employeurs. Nous pensons également qu'il faut des fonds publics, étant donné qu'on a démontré, je pense, que les initiatives sectorielles peuvent donner d'excellents résultats.

.1110

Nous croyons donc qu'il s'agit d'une responsabilité partagée. Nous sommes certainement disposés à faire notre part, mais nous ne serions pas du tout fâchés de voir imposer une taxe pour la formation ou toute autre mesure pour amener l'employeur à contribuer davantage au coût de la formation. Nous sommes certainement disposés à faire de notre mieux pour aider nos membres.

[Français]

M. Dubé: J'aimerais dire en terminant qu'au Québec, bien que certaines entreprises y aient réagi, il y a une taxe de 1 p. 100 pour la formation. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Dubé.

Monsieur Regan, nous avons évidemment décidé de dépasser les 40 minutes prévues. C'est une discussion très intéressante. Je vous en prie.

M. Regan (Halifax-Ouest): Merci, monsieur le président.

Merci d'être venues aujourd'hui. Je veux poser six questions.

Vous avez dit sans équivoque que vous voulez nous voir rejeter le projet de loi complètement. Nous pourrions peut-être nous arrêter ici et ne pas vraiment discuter des différents aspects du projet de loi, mais je pense qu'il est important - nous n'allons probablement pas le rejeter complètement; je ne prévois pas que nous le fassions - et nécessaire de discuter des divers aspects du projet de loi. J'espère que nous pourrons nous entendre sur certains sujets de discussion.

Je veux parler par exemple de la question de la récupération dans le cas des travailleurs à revenu élevé. Je peux vous dire que dans ma région, la région de l'Atlantique, je trouve beaucoup d'appui pour une telle mesure de la part de gens qui se plaignent depuis longtemps de ceux qui gagnent bien leur vie en travaillant chaque année six, huit ou dix mois, pour ensuite recevoir des prestations d'assurance-chômage le reste de l'année, une année après l'autre. Ils disent que ce n'était pas le but du programme. Ils estiment que cela n'a pas de sens d'agir ainsi une année après l'autre. Je me demande si vous êtes de cet avis.

Certains travailleurs à faible revenu de la région de l'Atlantique pourraient dire qu'il est préférable de revenir à la règle de 10 et 42 - ce qui est peu probable. Mais ce sont eux qui appuieraient certainement la règle de la récupération, il me semble, dans le cas des personnes qui ont des revenus élevés. Ils seraient probablement aussi en faveur de l'idée d'abaisser le maximum de la rémunération assurable, qui est de 39 000$. Ils estiment que le régime devrait être maintenu pour ceux qui en ont le plus besoin et non pour ceux qui n'en ont pas autant besoin. C'est ma première question.

Deuxièmement, je veux parler du diviseur. Nous avons entendu la semaine dernière des représentants des syndicats de la construction. Ils ont admis qu'il fallait donner aux travailleurs un encouragement à travailler un peu plus longtemps que la période vraiment nécessaire pour être admissible. Autrement dit, si la période d'admissibilité est égale à 12 semaines de 35 heures de travail, les gens devraient être obligés de travailler un peu plus longtemps ou l'on devrait utiliser le revenu gagné sur cette période comme diviseur pour calculer les prestations. Vous comprenez probablement très bien ce que je veux dire, je pense.

Quel devrait être ce diviseur? À l'heure actuelle, le projet de loi stipule par exemple que dans les régions où la période d'admissibilité est équivalente à 12 semaines de travail ou 420 heures, le diviseur est de 16 semaines. On diviserait donc le revenu sur les 16 dernières semaines pour déterminer la base à partir de laquelle on calculerait les prestations. Et dans une région où la période d'admissibilité est de 16 semaines, le diviseur serait de 20 semaines. Dans une région où la période d'admissibilité est de 20 semaines, le diviseur est 20 semaines. Je crains que ce soit un peu dur, ou que cela cause des difficultés dans certaines régions, d'ajouter ces quatre autres semaines.

Il me semble également très juste de dire que dans les régions où le taux de chômage est le plus élevé, on devrait augmenter la période d'admissibilité de quatre semaines pour obtenir un diviseur, pour offrir un stimulant, mais on n'a pas besoin d'un tel stimulant dans les régions où le taux de chômage est le plus bas, là où la période d'admissibilité est de 20 semaines.

Que penseriez-vous si, par exemple, au lieu de dire que dans les régions où la période d'admissibilité est de 12 semaines, ou l'équivalent... qu'on en exige deux de plus et que dans d'autres régions, on en exige encore deux de plus, et deux de plus à chaque endroit, plutôt que d'en exiger quatre de plus à certains endroits et aucune de plus lorsque la période est de 20 semaines... si vous comprenez? C'est ma deuxième question.

Troisièmement, j'ai été heureux de voir que vous appuyez - ou il semble que vous appuyez - le nouveau système fondé sur le nombre d'heures. Il me semble que l'ancien régime, en vertu duquel on n'était pas admissible si on travaillait moins de 15 heures par semaine et on ne pouvait jamais avoir droit aux prestations d'assurance-chômage, semblait encourager les employeurs, en particulier dans vos secteurs, à embaucher seulement des travailleurs à temps partiel. Il y a des gens qui veulent travailler à temps partiel, mais on semble en trouver de plus en plus ces temps-ci qu'on peut qualifier de travailleurs à temps partiel involontaires. Ils veulent un emploi à plein temps et ils ne peuvent pas en trouver. En raison de ces changements, les entreprises ne devraient plus être portées à embaucher seulement des travailleurs à temps partiel. Je pense que c'est un aspect positif et j'espère que vous êtes d'accord.

En outre, les gens qui travaillent peu d'heures à plusieurs emplois, ceux qui n'étaient pas... ou plutôt, dis-je, ceux qui travaillent peu d'heures dans chaque emploi, travaillent en fin de compte un bon nombre d'heures par semaine et se trouveront finalement avantagés par le nouveau régime.

Quatrièmement, vous parlez des problèmes des centres d'emploi du Canada, où l'on ne semble pas bien connaître les règlements régissant les différents programmes. Cela ne m'étonne pas, étant donné qu'ils ont 39 différents programmes à administrer. Ce n'est pas surprenant. Au fur et à mesure qu'on mettra en oeuvre les cinq mesures qui ont semblé réussir le mieux dans le passé à mettre les gens au travail et à leur donner une indépendance à long terme, les employés de ces centres trouveront les programmes plus simples à comprendre et à expliquer. On affectera des crédits plus importants à ces programmes, pour un total de 2,7 milliards de dollars.

.1115

J'aimerais savoir lesquelles des cinq mesures actives vous aimez ou n'aimez pas. Je suis persuadé que vous savez de quelles mesures il s'agit: les subventions salariales, les suppléments de revenu, les mesures d'aide au travail indépendant, les partenariats pour la création d'emplois et les prêts et subventions de perfectionnement.

Cinquièmement, vous avez parlé de ceux qui gagnent 55 p. 100 du salaire minimum et de leur situation. J'estime que pour les travailleurs à faible revenu qui ont des familles, les travailleurs pauvres, c'est un bon projet de loi, parce qu'ils pourront en effet recevoir jusqu'à 80 p. 100, et non55 p. 100, grâce au supplément du revenu familial. C'est donc une mesure positive pour 360 000 personnes, y compris les enfants, du pays.

Enfin, pendant plus de 15 ans, nous avons vu le coût de la caisse - c'est-à-dire le coût des cotisations payées par les employeurs et les employés, qui contribuent à cette caisse - passer de 9 à 20 milliards de dollars. Même si vous en enlevez les sommes consacrées aux mesures actives ou aux différentes mesures du régime, la croissance de ces coûts est beaucoup plus rapide que la croissance du chômage au pays, et elle est beaucoup plus rapide que la croissance de l'inflation.

Nous devons aborder ce problème et le fait qu'il s'accroît tellement et qu'au début des années quatre-vingt-dix, pendant la récession, la caisse a connu un déficit de 9 millions de dollars et le gouvernement a dû premièrement financer ce déficit, en plus de faire face à tous les autres problèmes qu'entraînait déjà la récession, et il a fini par augmenter les cotisations.

Je sais que vous ne pensez pas par exemple qu'il s'agit de la théorie de la percolation, mais il me semble que si l'on songe dans une petite entreprise à embaucher quelqu'un et qu'on se rend compte qu'il faudra payer tant de plus parce que les cotisations ont augmenté, cela peut décourager l'embauche. Il me semble donc que c'est vraiment lié à la question de l'embauche.

Voilà donc six bonnes questions que je vous pose.

Mme Dassinger: Je dispose de combien de temps, monsieur le président? Je pourrais parler pendant une heure sur chacune de ces questions.

Le président: Deux jours.

Mme Dassinger: Je suis persuadée que vous ne voulez pas m'écouter pendant deux jours.

La règle de la récupération me pose trois problèmes. Premièrement, c'est vraiment fondé sur ce que je crois être une hypothèse fausse, selon laquelle les travailleurs peuvent contrôler leurs heures de travail. Je ne pense pas qu'on ait suffisamment tenu compte des différences entre les régions, par exemple, entre les régions rurales et urbaines, et entre différentes régions du pays, en ce qui concerne la nature des marchés du travail. C'est complètement fondé sur la notion que les travailleurs prennent consciemment des décisions délibérées et que de bons emplois sont disponibles. Je pense que si nous examinons la situation de près, nous verrons que ce n'est pas vrai.

En ce qui concerne les travailleurs à revenu élevé, il est tout aussi difficile pour quelqu'un qui a un revenu élevé de maintenir ses revenus lorsqu'il se retrouve sans emploi que pour quelqu'un qui a un faible revenu.

L'objet même de la caisse d'assurance-chômage au moment de sa création - et je suis persuadée que M. Allmand se souvient très bien de l'époque où elle a été crée - était de remplacer les salaires...

M. Nault: C'était en 1940.

M. Regan: Il se souvient de l'année où elle a été créée. Je veux parler de chaque année.

Mme Dassinger: Je ne suis pas aussi vieille que cela. Je veux parler des années soixante-dix, quand les dispositions plus généreuses ont été instaurées. On y voyait un programme de remplacement du salaire, un programme de remplacement du revenu - et non un programme social. L'objet en a été continuellement altéré depuis.

En ce qui concerne les travailleurs à faible revenu...

M. Regan: Je suis désolé de vous interrompre, mais l'une des distorsions ne vient-elle pas du fait qu'on dise que quelqu'un qui gagne un revenu élevé peut retirer de la caisse beaucoup plus que ce qu'il n'y verse chaque année? On s'éloigne ainsi des principes de l'assurance. Le Parti réformiste veut qu'on suive les stricts principes de l'assurance.

Je ne veux pas prendre cette voie, mais nous pourrions le faire et cela nuirait à une grande partie de notre société.

Je veux parler des gens qui ont des revenus élevés et qui cotisent une petite somme chaque année, mais qui en retirent beaucoup plus tous les ans, et je vous pose la question, parce que je pense que des gens dans nos régions tiennent à ce qu'on apporte un changement à cet égard.

Mme Dassinger: Je pense qu'il s'agit vraiment de déterminer si vous considérez le programme d'assurance-chômage comme un programme de remplacement du revenu ou un programme social. S'il s'agit d'un programme de remplacement du revenu, il est alors fondé sur la participation des travailleurs pendant qu'ils ont un emploi, et ils doivent donc cotiser proportionnellement à leur rémunération. Si l'on considère qu'il s'agit d'un programme social, il faut alors fixer un plafond, comme dans le cas de l'aide sociale.

À notre point de vue, il s'agit d'un programme de remplacement du revenu qui est fondé sur les cotisations des employeurs et des employés. Nous pensons que le programme garde ainsi son intégrité. Plus nous y apportons de changements et plus nous apportons des distorsions à son objectif original - en finançant par exemple la formation et le travail obligatoire, toutes les mesures qui sont proposées dans ce projet de loi - plus nous nous éloignons de cet objet premier et cela doit nous préoccuper énormément.

.1120

Je veux répondre à la question concernant le ressentiment qu'éprouvent les travailleurs à faible revenu par rapport aux travailleurs à revenu élevé. Je pense que c'est vrai et j'estime que tous les paliers de gouvernement ont exploité cette injustice. Or, il y a de plus en plus d'injustice sur le marché du travail, de sorte qu'il est très commode de dire qu'il déplaît vraiment aux personnes à faible revenu que vous ayez du travail alors qu'ils n'en ont pas, que vous gagnez davantage qu'eux, etc.

On se trouve dans une situation où l'on dit aux gens qu'un tel autre se fait vraiment rouler, alors ils devraient se contenter de ce qu'ils ont, et je pense que les gouvernements ont dans bien des cas honteusement exploité cette situation. Cela contribue à cette mentalité du plus petit dénominateur commun. Au lieu de dire que la situation sera meilleure pour tous les travailleurs s'il y a plus de personnes à revenu élevé et si les gens reçoivent des prestations plus élevées, nous faisons l'inverse. Nous disons que la situation de telle personne est encore pire et qu'il faut donc être au même niveau que cette personne. Je pense que c'est une mentalité vraiment dangereuse. Nous faisons tous les efforts possibles pour corriger cette mentalité parmi nos membres parce que lorsqu'on adopte cette logique, on ne réussit qu'à ramener tout le monde au plus bas niveau.

En ce qui concerne les mesures incitatives, cela rejoint l'impression erronée selon laquelle les gens peuvent choisir leur emploi. Je n'ai rien à redire contre tout cela, y compris les mesures relatives au marché du travail, si le taux de chômage national était de 5 p. 100. Je pourrais accepter cela, mais pas quand le taux de chômage est supérieur à 10 p. 100 depuis des années. Vous dites que les dépenses sont passées de 9 à 20 milliards de dollars mais n'oubliez pas non plus que c'est autour de 1970 que le gouvernement fédéral a abandonné l'objectif du plein emploi.

Ce n'est donc pas vraiment étonnant vu le taux élevé chronique et systématique de chômage, que les dépenses ont augmenté. Comment réduire les dépenses sinon en réduisant les prestations? C'est exactement ce qui a été fait: huit fois depuis 1971. J'ai bien du mal à accepter l'idée que les gens doivent être poussés à chercher du travail.

Évidemment, je ne peux que vous parler de mon point de vue subjectif à moi, qui ai travaillé avec des hommes et des femmes du syndicat. Les gens veulent travailler. Ils veulent un emploi à temps plein et veulent trimer dur. Ils ne veulent pas se tourner les pouces huit mois de l'année. Moi, je suis allée partout, de Plum Point à Terre-Neuve jusqu'à la vallée du Fraser en Colombie-Britannique, et s'il y a...

M. Regan: [Inaudible - Éditeur] ... le syndicat nous disait la semaine dernière que ces mesures incitatives étaient nécessaires...

Mme Dassinger: Qui ça? Les syndicats de la construction? Eh bien, je ne peux pas parler en leur nom...

M. Regan: C'est basé sur ce qu'ils ont vu, ce qui doit être différent de vous.

Le président: [Inaudible - Éditeur] ... conversation, ce n'est pas possible. Vous avez posé vos questions et maintenant nous voulons entendre les réponses pour savoir comment améliorer le projet de loi.

Mme Dassinger: Oui. Pour ce qui est du calcul des heures, nous sommes en faveur du fait que l'on commence à compter à partir de la première heure. Ce que nous avons du mal à accepter, c'est que le nombre minimum soit doublé ou triplé de sorte que comme dans le cas que je vous ai cité, la personne nouvellement admissible à 10 heures devra travailler 56 semaines. Ce sont eux qui auront le moins de gains assurables.

Vous avez relevé le fait que beaucoup d'entre eux cumulent quantité de petits emplois à temps partiel. Vous savez que leur situation est très précaire parce que dans la plupart des cas, il n'y a pas d'avantages sociaux. Les gens dégotent le moindre emploi qu'ils peuvent trouver.

Mais cela a aussi d'autres conséquences pour les travailleurs du commerce de détail. Certains d'entre eux bénéficient d'avantages sociaux que nous avons négociés: l'assurance pour les soins de santé et les prestations d'aide sociale. C'est pour cette raison qu'ils conservent leur emploi à temps partiel au lieu de chercher un emploi à temps plein. Ils savent que s'ils travaillaient à temps plein à Zellers, par exemple, ils ne bénéficieraient pas d'un régime d'avantages sociaux. Ils essaient donc de conserver leur emploi et de travailler le plus grand nombre d'heures possible.

La difficulté c'est que les magasins exigent beaucoup de disponibilité de leurs employés; il est donc très difficile pour eux d'organiser leur vie. C'est évidemment le cas des femmes qui doivent jongler avec le travail et la famille. C'est loin d'être idéal lorsque l'on travaille comme pompiste le mardi, au dépanneur le mercredi et dans un grand magasin le jeudi et le vendredi. Vous voyez?

Oui, ils vont être admissibles parce qu'ils auront réussi à accumuler suffisamment d'heures pour avoir droit à l'assurance-chômage. Mais la barre est placée si haut et cela vient compliquer à tel point leur travail et leur vie familiale que ce n'est pas une solution de rechange acceptable à un emploi à plein temps bien rémunéré, ce qu'ils souhaitent vraiment.

Pour enfin répondre à votre question sur les mesures relatives à l'emploi, nous avons beaucoup à redire contre la nouvelle insistance mise sur la responsabilité de l'individu. Pour moi, la désorganisation qui règne dans les centres de perfectionnement des ressources humaines n'a rien à voir avec le fait qu'il y a trop de programmes. C'est causé par les changements apportés constamment à la politique et aux programmes de DRH, anciennement la CEI.

.1125

Je ne suis pas une spécialiste des programmes d'emploi, mais pour les avoir étudiés au cours des six dernières années, je ne m'y connais pas trop mal. Au peu qu'on les examine, je vous assure que c'est effarant. Ce n'est pas parce qu'il y en a trop, c'est parce qu'ils changent tous les deux ans. Le vent tourne tous les mois et il faut se familiariser avec toute une flopée de programmes.

Je ne pense donc pas qu'il y a trop de programmes pour le personnel. C'est plutôt qu'ils changent trop souvent. Cela s'explique aussi en partie par l'absence d'un cadre de justification.

La Commission de mise en valeur de la main-d'oeuvre, les commissions provinciales et locales formaient un tout très rationnel et cohérent, même si c'est aux conservateurs qu'on le doit. Je suis très triste de voir que cela a disparu. Cela mettait un peu d'ordre dans un domaine très compliqué.

Le président: Votre temps est écoulé. Je vous remercie beaucoup. C'est avec plaisir que nous lirons votre mémoire.

J'aimerais donner une précision ici. Comme il n'est pas question de conserver le statu quo - je le précise clairement à tous les témoins - , j'aimerais que vous nous donniez des suggestions sur la façon d'améliorer le projet de loi dans les limites qui sont les nôtres. Nous sommes tenus de respecter certains paramètres. Telle est la situation.

Il faut donc que les gens comme vous qui viennent témoigner nous aident à trouver une solution dans le cadre qui est le nôtre. Dans votre mémoire, je vous serais très reconnaissant d'en tenir compte.

Merci beaucoup.

Mme Dassinger: Merci.

Le président: Nous entendrons maintenant l'Association canadienne pour l'intégration communautaire représentée par sa vice-présidente exécutive, Diane Richler, son premier vice-président, Raffath Sayeed, et un membre de conseil d'administration, Ann West.

Je vous souhaite la bienvenue. Vous savez quelle est notre tâche, nous essayons d'améliorer le projet de loi C-12, une loi que nous a confié la Chambre des communes. Au comité, nous préférons que les témoins nous donnent la synthèse de leurs principaux arguments. Nous passons ensuite à une période de questions qui nous permettent de nous attarder sur certains points importants.

Je vous cède la parole.

M. Raffath Sayeed (premier vice-président, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Raffath Sayeed. Je suis premier vice-président de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire. Je viens de Lloydminster, la onzième province du Canada. Certains d'entre vous en ont peut-être entendu parler. Elle se situe à la frontière de l'Alberta et de la Saskatchewan. Elle a sa spécificité bien à elle.

Je suis accompagné par Ann West, un membre de notre conseil d'administration, et par Diane Richler, notre vice-présidente exécutive.

Je vais commencer par vous donner une mise en contexte qui évoque les principes qui nous guident et que nous nous sommes donnés à Saint John, au Nouveau-Brunswick. Quatre cents parents militants, professionnels et gens du milieu venus de toutes les provinces et territoires du pays se sont réunis pendant deux jours et demi pour dégager un consensus. Celui-ci est le résultat d'un effort d'introspection par des gens à l'écoute de leur milieu. Nous avons appelé le document la déclaration de Saint-Jean et vous la trouverez en annexe du mémoire.

.1130

Je dois m'excuser. Le mémoire a été préparé en vitesse parce qu'on m'a informé de la réunion d'aujourd'hui à 9 heures du matin hier alors que je voyageais dans la campagne de la Saskatchewan. Il fallait aller remplacer un médecin qui avait besoin d'aide. Je pratique la médecine familiale et quand Diane m'a dit avoir besoin de moi, j'ai pris le vol de nuit pour me rendre ici. Je vais donc vous en faire la lecture.

Nous, les familles et les citoyens du Mouvement pour l'intégration communautaire à l'oeuvre à une époque de transformation sociale, culturelle et économique, avec l'appui de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Charte canadienne des droits et libertés, sensibles à la crainte et à la réalité de la discrimination et de l'exclusion occasionnée par le fait d'avoir un handicap et reconnaissant la diversité des êtres, le besoin d'établir des relations et la richesse que présente un milieu ouvert à tous et aux contributions de chacun, exprimons notre foi dans une société dans laquelle les êtres et les familles sont assurés du droit à la vie, à l'égalité, au respect et à la dignité; sont libres de disposer d'eux-mêmes; disposent de toute l'information voulue sur leurs droits et l'attachement de la société à les protéger; disposent des moyens financiers pour être membres à part entière de la société - voilà la question essentielle qui nous intéresse ici - voient leurs capacités reconnues et ont l'occasion de les mettre en valeur; vivent dans un milieu sûr, disposent des produits de première nécessité; et reconnaissent les responsabilités de la vie et les possibilités d'y contribuer. Voici les objectifs que nous nous sommes fixés pour nos frères, nos soeurs, nos enfants.

Je suis le père de quatre enfants, dont le deuxième souffre d'une déficience mentale. J'étais militant dans le milieu et je faisais du bénévolat auprès des handicapés mentaux avant même d'être marié. Comme médecin, je vois des malades ayant une déficience mentale à qui l'on a refusé la possibilité de participer à part entière à la société.

Je donne aussi de l'emploi à 12 personnes. Ce sont des gens qui veulent travailler, qui sont loyaux, qui croient en une honnête journée de travail et qui veulent recevoir un salaire honnête pour une journée de travail honnête. En insistant trop sur l'assurance-emploi, on a raté l'occasion d'effectuer une véritable réforme. Les exclus resteront des exclus mais cette fois-ci sur l'ordre du gouvernement.

Grâce aux progrès technologiques, aujourd'hui tout le monde peut travailler. Il est faux de dire qu'il n'y a pas de travail. Beaucoup de gens, grâce à l'ordinateur et à d'autres techniques, peuvent obtenir et conserver un emploi.

Ceux qui ont une déficience mentale sont victimes de discrimination ouverte. Malgré les protections de la Charte canadienne des droits, de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des lois provinciales, les personnes handicapées font état de discrimination persistante au travail sous forme de renvois, d'absence d'aménagements raisonnables, de harcèlement sexuel, surtout chez les femmes. Pour ces raisons, il leur est impossible d'acquérir de longs antécédents de service dans un emploi à temps plein, 12 mois de suite - la définition du prestataire de première catégorie - même s'ils ont pu acquérir de la formation et de l'expérience. Cela signifie que beaucoup de personnes handicapées sont à l'extérieur du marché du travail ou travaillent à temps partiel.

.1135

Pendant une brève période, j'ai été commissaire en chef suppléant de la Commission des droits de la personne de l'Alberta. Dans les six mois qui ont suivi l'inclusion de la déficience mentale dans le Code des droits de la personne, le nombre de plaintes pour ce motif est passé de 3 à 9 p. 100 du total: on leur refusait le moindre aménagement ou même une entrevue. S'ils arrivaient à obtenir un emploi, il y en a qui ont été congédiés sans qu'on leur donne une deuxième chance.

Il existe de nombreux exemples de personnes ayant une déficience mentale qui travaillent. À St. George Bay à Terre-Neuve, il y a une personne handicapée multiple qui est propriétaire de sa propre entreprise. Elle reçoit de l'aide d'un groupe communautaire mais c'est elle le propriétaire et elle a des travailleurs à son compte.

Dans ma ville, il y a quelqu'un qui est pupille de l'État et qui est censé dépendre d'un curateur. Il ne peut pas aller à un pique-nique sans la permission de l'État, mais aujourd'hui il est aide-soudeur et gagne 10$ l'heure. Il y a des gens qui travaillent comme ouvreurs de cinéma ou à la caisse, qui est informatisée, ce qui évite d'avoir à manipuler de l'argent puisque les gens se servent de leur carte Interac. Il est donc faux de dire qu'il n'y a pas de travail et que ces gens-là seront laissés pour compte à cause de la technologie.

Ce qui nous manque le plus, c'est la possibilité d'obtenir de la formation et le peu d'aménagements que l'on trouve dans les établissements postsecondaires. La nouvelle rengaine, c'est que les provinces vont s'en charger. Mais rien n'existe actuellement dans les provinces pour assumer cette responsabilité, et avec toutes les pressions qui s'exercent sur la santé et l'éducation...

Comme médecin, je sais qu'on peut faire du sentiment quand on demande aux gens où ils veulent que soit dépensé leur argent. Voulez-vous une greffe cardiaque ou l'ablation de votre vésicule biliaire ou préférez-vous encore donner votre argent à un assisté sociale anonyme et sans visage? On penchera d'abord pour la santé et ensuite pour l'éducation, parce que les gens y attachent du prix. Et nous sommes laissés pour compte. On ne nous donnera pas la chance. Oubliez la définition de prestataire de première ou de deuxième catégorie, il n'y aura aucun antécédent de travail. Ceux dont nous sommes le porte-parole continueront de vivre dans la misère et l'exclusion.

Aujourd'hui, on consacre environ quatre milliards de dollars aux personnes handicapées. Si cet argent était dépensé utilement, nos gens iraient rejoindre les rangs des travailleurs et des contribuables, retrouveraient leur dignité et leur citoyenneté pleine et entière dans un pays qui se fait le défenseur des droits de la personne partout dans le monde.

Je vais m'arrêter ici et laisser Ann dire quelques mots.

Le président: Madame West.

Mme Ann West (membre du conseil d'administration, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Je travaille dans une école pour des adolescents handicapés et toutes les deux semaines on me paie 330$. À la fin du mois, je reçois à peu près 286$, ou peut-être moins. Je n'ai pas assez d'argent dans un compte ni dans les deux pour payer mon loyer et mon épicerie. Je n'ai pas beaucoup d'argent.

Le bureau des prestations familiales m'a écrit pour me dire que j'allais recevoir de moins en moins d'argent. À la fin de chaque mois, je reçois une carte et un ami à moi la remplit et l'envoie au bureau des prestations familiales. Ce que je ne comprends pas, c'est que j'ai des médicaments et je dois payer à peu près 45$ parce que mes prestations familiales ne peuvent pas servir à payer mes remèdes mais elle me rembourse mes frais dentaires.

.1140

Si la personne chargée de mon dossier s'en va, je n'entends jamais parler de celle qui la remplace. Les préposés refusent de me donner le nom de la personne qui s'occupe de moi. Quand un nouveau arrive, il ne me téléphone pas pour me le dire. Je deviens très frustrée. Je leur ai écrit pour leur dire que si je n'ai pas ce que je veux je vais me retrouver dans la rue.

Si je perds mon emploi, reçois du bien-être et veux trouver un autre travail, je vais avoir bien du mal. Je fais le même travail depuis 25 ans. Si je perds ce travail-là, j'aurai bien du mal à en trouver un autre.

M. Sayeed: Diane voudrait poser quelques questions à Ann.

Mme Diane Richler (vice-présidente exécutive, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Pourriez-vous nous expliquer une ou deux choses? Vous avez dit que vous recevez 330$ toutes les deux semaines pour votre travail.

Mme West: Oui.

Mme Richler: Ça signifie que le reste de l'argent que vous recevez vient des prestations familiales, le programme de l'Ontario.

Mme West: Oui.

Mme Richler: Vos frais dentaires sont aussi remboursés, mais vous devez payer vos remèdes avec l'argent que vous recevez.

Mme West: Oui.

Mme Richler: Vous travaillez depuis 25 ans. Pourriez-vous nous dire ce que vous faites. Qui est votre employeur?

Mme West: Mon employeur, c'est la Commission scolaire de Peel. Je m'occupe de deux garçons handicapés mentaux. Je les aide et parfois je les emmène dans les salles de classe.

Souvent, la maîtresse me demande de m'asseoir en cercle avec les jeunes de la classe. Elle me donne un livre et je leur fais la lecture. Ils aiment beaucoup ça. Des fois je mets de la musique et ils aiment ça, écouter.

Mme Richler: Merci. J'aimerais résumer certaines choses. Tant que vous ne gagnerez pas plus d'argent que maintenant, vous ne perdrez pas vos prestations familiales et vous continuerez d'être remboursée pour vos frais dentaires.

Mme West: C'est ça.

Mme Richler: Vous travaillez à temps plein pour la commission scolaire, mais elle n'est pas obligée de vous donner un plein salaire.

Mme West: Non.

Mme Richler: Comment vous trouvez ça?

Mme West: Eh bien, pas terrible.

Mme Richler: Pourquoi, pas terrible?

Mme West: Ça me dérange quand ils me disent ce qui se passe.

Mme Richler: Et vos amis? Est-ce que beaucoup de vos amis travaillent à temps plein?

Mme West: Oui, la plupart de mes amis travaillent à temps plein, mais ils me disent eux aussi qu'ils ont peur de perdre leur travail.

Mme Richler: Est-ce qu'ils se font payer de la même façon que vous?

Mme West: Ils reçoivent moins que moi.

Mme Richler: Merci beaucoup.

Ann vient de vous donner un exemple de ce dont le Dr Sayeed parlait: la discrimination dont sont victimes ceux qui ont des emplois à temps plein mais qui ne sont pas nécessairement rémunérés pour leur travail. Ce n'est pas toujours parce que leur employeur essaye de les exploiter, mais plutôt parce que c'est le système qui les exploite. Ils n'ont pas les moyens de quitter leur emploi parce qu'ils perdraient les diverses formes d'aide qui y sont associées, pas seulement le salaire, mais aussi l'assurance-médicaments, l'assurance-soins dentaires, parfois les services auxiliaires, qui les aident à vivre là où ils sont.

.1145

Pour terminer, je vous dirai que si nous sommes devant vous aujourd'hui, ce n'est pas tant pour discuter des conséquences directes pour les personnes handicapées du projet de loi sur l'assurance-emploi mais plutôt des effets secondaires. Si l'on n'adopte pas de vision globale face à la question de l'emploi des personnes handicapées, on risque d'accentuer la discrimination systémique sur le marché du travail.

Je constate avec intérêt qu'il y a beaucoup de membres du caucus de l'Atlantique ici aujourd'hui, que certains changements de la loi intéressent au plus haut point. Hélas, les personnes handicapées n'habitent pas toutes dans la même circonscription mais sont réparties sur la grandeur du territoire. Pourtant il y a aujourd'hui au moins un demi-million de personnes handicapées qui pourraient être au travail et payer des impôts.

Si elles habitaient toutes l'une de vos circonscriptions, je suis certaine qu'elles se feraient entendre beaucoup plus fort ici. C'est ce que nous voudrions.

Ce qui nous inquiète aussi, c'est que la réforme à l'étude par votre comité, celui des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées, et par le Comité des finances frappera aveuglément les personnes handicapées. Vous qui étudiez la dimension assurance-emploi direz, nous nous occupons d'un segment de la population, quelqu'un d'autre s'occupe des personnes handicapées. Ce que nous craignons, c'est que les personnes handicapées tombent à travers les mailles du filet. En créant une multitude de programmes qui, chacun, exclut les personnes handicapées, on les forcera à se tourner vers l'aide sociale alors qu'elles veulent contribuer à l'économie et payer leurs impôts.

À l'occasion d'un petit déjeuner postbudgétaire lundi dernier, M. Martin a demandé quelles seraient les conséquences pour l'économie d'intégrer un plus grand nombre de personnes handicapées au marché du travail. D'après les recherches préliminaires que nous avons faites, le chiffre serait de quatre milliards de dollars. Nous aimerions pouvoir le prouver. Malheureusement, nous craignons que la fragmentation de la réforme rende la chose impossible.

Pour terminer, nous avons été un peu réconfortés d'apprendre dans le rapport non encore publié mais largement répandu des ministres provinciaux des services sociaux, que sont censé publier les premiers ministres provinciaux, qu'ils sont disposés à collaborer avec le gouvernement fédéral pour les programmes destinés aux personnes handicapées. Très exactement, il a été question d'un programme de soutien du revenu. Nous ne voulons surtout pas que le gouvernement fédéral crée un mécanisme qui enlèvera aux personnes handicapées les formes d'aide dont elles ont besoin et les empêchera de travailler.

C'est là-dessus que se termine notre exposé. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président: Merci.

M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Monsieur le président, j'aimerais obtenir un éclaircissement avant de passer aux questions. Je serai très bref.

Représentez-vous les personnes atteintes de maladie mentale ainsi que les personnes ayant une déficience mentale? Par exemple, représentez-vous les schizophrènes et autres malades de ce genre, ou simplement les déficients mentaux?

M. Sayeed: Nous représentons principalement les personnes ayant une déficience mentale. Il peut arriver que certaines de ces personnes souffrent de maladie mentale, mais nous sommes essentiellement les porte-parole de personnes ayant un handicap intellectuel.

M. Allmand: Merci.

Le président: Merci beaucoup de votre exposé.

Nous commençons par les députés du Bloc, monsieur Dubé.

[Français]

M. Dubé: C'est la troisième fois que j'ai l'occasion d'entendre des représentants de votre association dans le cadre du Comité du développement des ressources humaines. Vous vous souvenez sans doute qu'il y avait eu une préconsultation, ensuite le Livre vert et enfin une tournée partout au Canada.

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Je constate aujourd'hui que vous déplorez le fait que rien de ce que vous aviez dit n'a été retenu. Dans le projet de loi, il n'y a rien de spécifique pour répondre aux besoins des personnes handicapées, alors que vous auriez aimé qu'il y en ait.

Vous souhaitez qu'il y ait un fonds spécial pour cela. Vous dites que les provinces avaient indiqué qu'il y en aurait peut-être un, mais vous craignez qu'il n'y en ait pas, et le fédéral n'en crée pas un.

Le gouvernement fait beaucoup d'efforts pour faire la promotion de ce projet de loi. Il dit: Oui, il réduit les prestations en général, mais on va aider davantage ceux qui en ont plus besoin. Qui a davantage besoin de mesures que les personnes que vous représentez aujourd'hui? On est obligés de constater qu'il n'y a rien de nouveau par rapport à ce qui existait autrefois.

Si vous vouliez ne faire ajouter qu'une chose nouvelle pour pallier à cette absence de services, quelle serait-elle?

Mme Richler: Nous voudrions qu'on n'ait pas les mêmes exigences pour les personnes handicapées que pour les autres personnes. Le gouvernement devrait voir qu'on ne peut pas utiliser les mêmes mesures pour les personnes avec un handicap qui veulent se qualifier pour les prestations d'un programme.

Vous avez probablement vu que notre rapport n'était disponible qu'en anglais. Vous devez nous en excuser parce que nous avons eu très peu de temps pour le préparer.

Nous faisons une recommandation à la page 7 et je vais vous la lire en anglais.

[Traduction]

Nous recommandons à la page 7 l'adoption de la recommandation suivante formulée par la Coalition des organisations provinciales, ombudsman des handicapés: que l'exigence visant les prestataires de première catégorie pour l'admissibilité aux prestations exclue les personnes handicapées; en outre, que les personnes qui ont un handicap soient exemptées des limites de temps visant l'admissibilité aux prestations d'emploi et que l'établissement d'une période de prestation à un moment quelconque, que ce soit pendant que la personne est handicapée ou non, soit suffisant pour une personne handicapée.

[Français]

Si les exigences étaient les mêmes pour les personnes ayant un handicap, il leur serait impossible de se qualifier pour toutes les prestations. Nous ne voulons pas qu'il y ait une situation de discrimination où les gens ayant un handicap n'auraient pas accès à tous les programmes de formation.

M. Dubé: Je voudrais qu'on se comprenne bien là-dessus. Êtes-vous en train de dire que vous voudriez que les exigences soient moins sévères pour les personnes handicapées? Voulez-vous qu'on conserve les anciens critères, donc le statu quo, par rapport aux normes d'admissibilité, ou si vous souhaiteriez une amélioration par rapport à ce qu'il y avait antérieurement à cet égard?

Mme Richler: Oui. Ce qu'il y avait dans le passé ne suffisait pas. Nous avons déjà fait cette même lutte pour des personnes qui ne pouvaient pas se qualifier. Maintenant, avec tout l'espoir que nous avons mis dans la réforme, nous espérons qu'on pourra insérer dans le système quelque chose pour les personnes ayant un handicap.

M. Dubé: Merci.

[Traduction]

Le président: Merci.

Monsieur McClelland, avez-vous une question?

M. McClelland: Oui, merci.

En fait, mon expérience de parlementaire au cours des deux dernières années et au sein de divers comités... Je suis membre régulier du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées, de sorte que je suis le dossier d'assez près. Je ne cesse de m'étonner des moyens intéressants dont disposent les personnes handicapées pour se faire entendre au Parlement du Canada. Je ne sais pas si c'est simplement parce que cela fait bien ou parce que les gens continuent à venir ici... et que c'est une soupape de sécurité, car cela donne l'impression que les choses bougent.

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Je sais toutefois que la plupart des parlementaires sont relativement conscients de la situation et des problèmes auxquels se heurtent non seulement les personnes ayant une déficience mentale, ainsi que des problèmes de vie communautaire et autres dont votre organisme s'occupe, sans oublier les problèmes de mobilité, etc. Le problème semble venir de l'absence de l'obligation de rendre compte.

Avez-vous lu le rapport que les personnes handicapées ont préparé après la dernière session? Êtes-vous au courant de ce rapport et des recommandations qu'il contient?

Mon problème, c'est que nous sommes aujourd'hui dans ce comité en train de parler exactement des mêmes choses dont nous discutions au Comité des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées, mais il semble que personne n'est là pour rendre compte auprès des personnes handicapées des progrès réalisés ou des mesures prises, et c'est peut-être pour cela que ces personnes sont laissées pour compte. Qu'en pensez-vous? Je regrette de ne pas pouvoir être plus direct. Je suis certain que les autres le seront. Pourriez-vous me dire si vous partagez mon impression qu'il n'y a aucune obligation de rendre compte ou aucun responsable au sein du gouvernement du Canada auquel on puisse demander des comptes? Y a-t-il un sous-ministre compétent? Quel est le niveau de responsabilité pour les personnes handicapées dans la structure hiérarchique du gouvernement canadien? Est-ce une question qui revêt une haute priorité ou qui au contraire passe après beaucoup d'autres?

M. Sayeed: Vous avez sans doute exprimé haut et clair notre frustration, qui explique pourquoi nous comparaissons chaque fois que possible devant un comité - et que nous tenons bon. C'est pourquoi lorsque cette occasion s'est présentée, j'ai sacrifié ma vie familiale, une journée de travail pour prendre le train de minuit et être ici à temps. Je reprendrai mon travail à l'heure prévue, à23 heures aujourd'hui. Quelqu'un d'autre me remplace jusqu'à cette heure-là. Nous ne laissons jamais passer une occasion de venir parler à nos dirigeants, car nous espérons qu'un jour ou l'autre vous nous écouterez et nous ouvrirez des portes.

Lorsque vous avez parlé des handicaps en général... c'est vrai, les personnes handicapées ont des difficultés pour s'intégrer au marché du travail. Nous sommes les porte-parole de ceux qui se trouvent en bas de l'échelle, ceux qui en général n'ont pas les moyens de se défendre eux-mêmes. Ils ne sont pas tous aussi éloquents que Anne. Nous sommes fiers de la compter au sein de notre conseil d'administration. Elle y fait une contribution extrêmement positive.

Nous ne savons pas qui au gouvernement fédéral est responsable des personnes handicapées. Nous aimerions qu'une personne soit désignée. Il serait souhaitable qu'un mécanisme de contrôle soit mis en place pour s'assurer que tous les ministères fédéraux réfléchissent à l'incidence de leurs politiques.

M. McClelland: Permettez-moi d'intervenir, monsieur le président, pour dire que le comité pourrait peut-être faire quelque chose d'utile pour faire avancer les choses, de concert avec notre comité, en recommandant que les personnes handicapées au Canada soient représentées par un sous-ministre. Nous savons que jamais cette responsabilité ne sera confiée à un ministre, mais désigner quelqu'un au niveau de sous-ministre est bien le moins que nous puissions faire.

Nous avons essayé d'obtenir une déclaration sur l'incidence de toutes les décisions prises au Cabinet. Il y a déjà eu un document publié à ce sujet, pour établir en quoi ces mesures vont toucher les femmes, comment elles vont toucher les minorités, etc. Nous nous sommes donc dit que l'on pouvait y ajouter un autre élément.

Le président: Monsieur McClelland, je pense assister aux mêmes réunions que vous et que tous les autres. Cela n'a évidemment aucun rapport avec la Loi sur l'assurance-emploi dont nous discutons actuellement. Est-ce que je me trompe? C'est bien un aparté que vous faites?

M. McClelland: Non, parce que les témoins sont ici pour discuter de cette mesure...

M. Nault: M. McClelland devrait savoir que le comité auquel il a siégé l'an dernier a fait des recommandations au gouvernement. Le rapport et ses recommandations ont été soumis au gouvernement, et il y aura une réponse. Le député doit se rappeler que l'une des recommandations porte sur cette question même, à savoir qui est responsable des personnes handicapées. Le gouvernement va répondre à cette question. S'il veut bien faire preuve de patience, il obtiendra sa réponse et les représentants de l'organisme qui témoignent aujourd'hui l'obtiendront également. La question posée dans ce rapport était la suivante: le ministre du Développement des ressources humaines est-il responsable des personnes handicapées?

Le président: Je prends note de la remarque de M. McClelland.

M. McClelland: C'est pour cela que j'ai posé la question.

Le président: Très bien. Merci.

Madame Augustine.

.1200

Mme Augustine: Monsieur le président, je tiens à remercier nos témoins, surtout pour avoir pris le train de nuit, comme ils l'ont dit, et d'être malgré cela aussi enthousiastes aujourd'hui.

Je tiens à insister encore une fois sur le fait que nous sommes très sensibles aux besoins et aux problèmes des personnes handicapées. Il importe de signaler que le comité est parfaitement au courant du fait que les personnes handicapées sont sous-représentées dans notre population active. Nous savons également que lorsqu'elles finissent par trouver un emploi, elles sont généralement cantonnées dans des postes mal rémunérés et peu intéressants.

Je tiens également à rappeler que tout cela tourne précisément autour de la question de l'équité, de la nécessité de s'occuper de tous et chacun et de nous assurer que ce projet de loi est aussi parfait que possible, de sorte que Ann n'ait plus à s'inquiéter de son avenir et de sa place dans le monde du travail. C'est également l'objectif que nous poursuivons surtout lorsque nous prévoyons une certaine souplesse dans le système.

À la partie II, plusieurs mesures sont énoncées relativement à l'expansion de l'emploi, à l'admissibilité aux prestations d'emploi de ceux qui ont présenté une demande dans un délai de trois ans, au système de calcul des heures de travail, à l'extension de la protection, aux partenariats sur le marché du travail. Toutes ces initiatives qui se trouvent à la partie II du projet de loi sont directement en rapport avec les questions que vous avez soulevées devant nous.

Je tiens à profiter de l'occasion pour remercier les témoins, et pas vraiment pour poser une question précise mais plutôt pour leur demander de continuer à participer à nos cotés à l'examen des diverses parties de ce projet de loi, surtout dans les domaines où une certaine souplesse est prévue dans les divers programmes.

Le président: Quelqu'un veut-il conclure?

Mme Richler: J'aimerais faire une remarque à ce sujet. Bon nombre d'entre vous savent que notre expérience dans tous les domaines relatifs à l'emploi a été des plus négative. Il va sans dire que les centres d'emploi du Canada n'ont jamais fait preuve délibérément de discrimination à l'égard des personnes en raison de leur handicap. Toutefois, comme vient de le signaler la députée, lorsqu'on considère la population active du Canada, il saute aux yeux que les personnes handicapées ne sont pas traitées sur un pied d'égalité.

Les belles paroles ne suffisent pas, le désir d'avoir un système plus souple ne suffit pas, à moins que le projet de loi ne renferme des dispositions précises qui garantissent que les personnes chargées d'appliquer la loi seront tenues de faire en sorte que la main-d'oeuvre reflète la diversité de la collectivité. Le fait de dire que le système sera plus souple que par le passé n'est pas une garantie pour les personnes handicapées. Cela ne leur donne pas plus d'emplois.

Nous savons que les systèmes sont en pleine évolution, mais d'après notre expérience, par le passé, on a mesuré le succès des anciens centres d'emploi du Canada d'après le nombre de personnes qui trouvaient un emploi après s'être adressées à eux. Si certaines prennent plus de temps à acquérir leur formation, si certaines personnes ont besoin d'aide pour faire leur travail, et que cela entraîne des dépenses pendant un certain temps, ces personnes font mauvais effet dans les résultats. Tant que l'on ne tiendra pas un registre sur le nombre de personnes handicapées qui ont reçu de l'aide, tant qu'il n'y aura pas de moyens d'évaluation et que des gens ne seront pas tenus responsables de garantir aux personnes handicapées leur participation à la population active, il est à craindre que rien ne change et que la bonne volonté qui existe peut-être ne se traduise par des emplois réels pour les personnes ayant un handicap.

M. Allmand: Je tiens à signaler que j'ai également siégé au Comité des personnes handicapées et participé à l'élaboration de ce rapport, qui était unanime. Il est intéressant de voir que M. Dubé, M. McClelland et moi-même étions tous membres de ce comité. Vous avez raison de dire que nous avons fait de nombreuses recommandations dans ces domaines et que nous attendons encore la réponse du gouvernement, mais je pense qu'il serait utile que nos attachés de recherche ou le greffier obtiennent un exemplaire de ce rapport pour les membres du comité, car les recommandations de l'autre comité... Il serait regrettable que nous poursuivions notre étude et approuvions des propositions qui vont à l'encontre de ce qu'un autre comité a recommandé à l'unanimité. Autrement dit, il faut que la main droite sache ce que fait la gauche.

.1205

Le président: Nous savons très bien que la droite devrait toujours savoir ce que mijote la gauche.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Monsieur Sayeed.

M. Sayeed: Je tiens simplement à vous remercier de nous avoir invités à comparaître et à vous dire que nous comptons sur vous pour faire preuve de leadership et de prévoyance en nous donnant une loi qui nous vienne en aide. Enfin, j'ajoute que notre rêve est d'avoir un emploi comme les autres Canadiens. Si nous le réalisons, nous serons très heureux.

Le président: Merci beaucoup.

À titre personnel, je tiens à vous dire que je me rappelle avoir lu le rapport où il est question de la situation des personnes handicapées au Canada. Il ne fait aucun doute qu'il nous faut prendre ce problème plus à coeur, faire davantage pour faire tomber bon nombre des obstacles. Je suis certain que certains députés - en fait tous les députés - sont très sensibles aux questions touchant les Canadiens handicapés.

Je tiens également à vous féliciter d'avoir participé aux débats lorsque le gouvernement a modifié dernièrement certaines lois concernant les personnes handicapées, ainsi que dans le dossier des prêts aux étudiants. Pour la première fois depuis longtemps, il existe désormais au Canada des subventions spéciales qui améliorent les possibilités pour les personnes handicapées.

Nous sommes donc à l'écoute et allons essayer d'améliorer la qualité de vie des Canadiens que vous représentez. Mais surtout, nous allons essayer de bâtir une société meilleure.

Merci beaucoup.

M. Sayeed: Merci à vous.

Le président: La séance est levée jusqu'à 15 h 30.

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