[Enregistrement électronique]
Le mardi 3 décembre 1996
[Traduction]
Le président: Bienvenue à notre 45e séance. Ce matin, nous sommes réunis conformément au paragraphe 108(2) du Règlement pour une étude sur le transport, le commerce et le tourisme. Nous allons bientôt mettre un terme à la première étape de cette étude, qui, jusqu'à maintenant, a porté presque exclusivement sur la question des routes. Nous prévoyons déposer sous peu un rapport à la Chambre sur ce volet, quoique notre étude soit normalement censée porter sur tous les aspects de certains des changements qu'a connus cette industrie, particulièrement sur le chapitre des infrastructures de transport.
Ce matin, nous avons avec nous quelqu'un que nous étions impatients d'entendre, Mme Debra Ward, de l'Association de l'industrie touristique du Canada.
Madame Ward, vous pouvez prendre une dizaine de minutes pour votre déclaration préliminaire, après quoi les questions ne manqueront pas, j'en suis certain.
Mme Debra Ward (présidente, Association de l'industrie touristique du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est avec grand plaisir que je profiterai de l'occasion qui m'est offerte ici pour vous parler de la question du transport, du commerce et du tourisme.
L'Association de l'industrie touristique du Canada est le défenseur national de la communauté des intervenants en tourisme. Je crois que c'est la première fois, de mémoire récente, que le comité permanent examine les liens qui existent entre le transport, le commerce et le tourisme. Nous sommes heureux que le comité nous donne ainsi l'occasion de discuter avec lui de ce sujet. Le fait que le comité reconnaisse l'importance du tourisme, tant local qu'en provenance de l'étranger, constitue une étape importante dans la réflexion qui mènera à la création d'une politique gouvernementale en matière de tourisme. Nous y voyons un signe très positif de la croissance future que connaîtra ce secteur.
Il est clair qu'une politique visant à favoriser la croissance du tourisme est non seulement souhaitable, mais nécessaire. Dans ce domaine, les chiffres sont renversants. Au cas où certains membres du comité ne seraient pas au courant de l'importance du tourisme au Canada, je vous signale que, chaque année au Canada, on compte plus de 100 millions de voyages-personne comportant au moins une nuitée. De ce nombre, environ 15 millions sont effectués par des touristes étrangers, le reste, par des Canadiens. Comme vous pouvez le constater, les Canadiens voyagent énormément dans leur propre pays.
Naturellement, il en coûte quelque chose à tous ces gens pour se déplacer ainsi. Au total, l'activité touristique génère annuellement un revenu de quelque 42 milliards de dollars au Canada. En 1995, 17,4 milliards ont été dépensés uniquement pour le transport, l'avion et l'automobile se partageant presque également la part du lion. Par conséquent, en vous interrogeant sur les mesures à prendre concernant les routes, vous devez garder à l'esprit l'extrême importance que revêtent les routes dans l'établissement de circuits et de produits touristiques au Canada.
Je crois qu'il vaut la peine de signaler que le transport et le tourisme sont les deux membres d'une même équation. Sans l'infrastructure du réseau de transport, il n'y aurait pas de tourisme, mais sans tourisme, nous estimons que 43 p. 100 de l'ensemble des dépenses liées aux voyages au Canada disparaîtraient. Sans avoir fait de calculs à cet égard, nous pouvons affirmer que le gouvernement y perdrait alors énormément en taxes et en impôts dans différents secteurs. On peut dire à juste titre, je crois, que plus l'industrie touristique sera vigoureuse et robuste, plus elle contribuera à l'essor de l'économie dans son ensemble et, notamment, aux recettes fiscales du gouvernement.
Pour vous situer un peu, je vais d'abord vous décrire notre conception de l'industrie touristique. La définition que l'Organisation mondiale du tourisme a donnée à cette industrie vous surprendra peut-être. Cet organisme international la définit ainsi: «Les activités de personnes se rendant dans des endroits hors de leur environnement habituel et y demeurant de façon continue pendant une période n'excédant pas une année, à des fins de loisirs, d'affaires ou autres».
L'industrie du tourisme est très vaste. On est loin de l'image stéréotypée des touristes en bermudas, jouant sans arrêt de l'objectif depuis leur siège d'autocar. En réalité, le tourisme englobe beaucoup plus que cela. Faire du tourisme au Canada, ce peut être faire un voyage d'affaires à Calgary, visiter des membres de sa famille à Lunenberg; expérimenter une nouvelle spiritualité au coeur du silence des anciennes forêts dans les îles de la Reine- Charlotte.
Le tourisme moderne est véritablement né dans les années 50, après le boom de l'après-guerre. Nous n'avons pas transformé nos canons en socs de charrue, mais nos chars d'assaut en berlines, et nos bombardiers en avions de ligne à réaction. La grande route et l'exotisme des terres éloignées firent rêver les générations d'après-guerre. Et surtout, ces rêves devenaient pour la première fois bien tangibles et, grâce à la prospérité qui suivit la guerre, un nombre sans précédent de personnes avaient les moyens financiers voulus pour pouvoir les réaliser.
Le tourisme n'a pas encore atteint sa maturité, c'est une industrie en devenir, dont les besoins sont actuellement en voie de définition. On a encore tendance à percevoir le tourisme comme on le faisait dans les années 50, à l'époque où l'essence était bon marché et où la croissance mondiale annuelle était censée dépasser les 10 p. 100, ce qui a d'ailleurs été le cas jusque dans les années 70 et 80.
Comme d'autres secteurs d'activité économique, le tourisme a subi un certain nombre de changements. Les clients sont maintenant plus exigeants. Ils veulent et obtiennent qu'on leur fasse vivre des expériences plus variées, qu'on leur offre des voyages plus exotiques et qu'on leur donne une valeur accrue. Des forêts tropicales de l'Amérique du Sud aux mystérieuses glaces de l'Antarctique, ces nouveaux explorateurs, les explorateurs des années 90, les nouveaux touristes, ont posé le pied dans tous les coins du globe.
Avec l'arrivée du prochain siècle, les changements sociaux continueront à influencer le tourisme et à le réinventer. Les spécialistes en prospective et en économie ne font que s'éveiller à la réalité du tourisme; ils viennent à peine de la découvrir. Des gens comme John Naisbitt et Diane Francis, entre autres penseurs avant-gardistes, estiment que le tourisme sera l'un des grands moteurs de l'économie au 21e siècle.
Il est très difficile de parler du passage de l'économie de la fabrication à celle de l'information et de l'économie de la production à celle des services sans parler aussi du tourisme, qui est l'un des services les plus intéressants et les plus dynamiques que nous puissions offrir.
Le Canada n'est pas le seul pays à découvrir cette réalité. Partout dans le monde, les nations ont découvert l'importance du tourisme pour leur économie nationale. Les gouvernements reconnaissent le potentiel commercial de l'industrie touristique et en tiennent largement compte dans leur planification.
Des pays aussi différents que le Costa Rica et l'Australie ont adopté des stratégies et des politiques à long terme en matière de tourisme. Les gouvernements de ces pays en tiennent compte dans tous les aspects de leurs décisions, notamment en matière de gestion financière, de fiscalité, de gestion des ressources humaines et de transport. Le tourisme est maintenant partie intégrante de leur planification d'ensemble. Dans les deux cas, les résultats se sont révélés extrêmement positifs.
Les gouvernements ont vraiment de bonnes raisons d'attacher de l'importance au tourisme. L'industrie touristique, en règle générale, est l'affaire des petits entrepreneurs. C'est d'ailleurs souvent dans des entreprises artisanales qu'on y rencontre l'excellence. Cette industrie peut être aussi bien rurale qu'urbaine. Elle peut faciliter le passage d'une économie de production à une économie de services. Elle n'exclut personne. Il n'est pas nécessaire de faire partie du secteur de la haute technologie ou de l'élite pour y jouer un rôle. Elle glorifie ce qu'il y a de mieux dans une collectivité. Elle fait appel à tout le monde et elle suscite chez chacun le sens de la fierté et l'esprit communautaire. Elle n'est donc pas uniquement lucrative.
Le tourisme ajoute une certaine dimension, une profondeur et une richesse au défi de gagner sa vie. Le premier ministre Jean Chrétien l'a reconnu dans un discours qu'il a prononcé devant l'Association de l'industrie touristique du Canada en 1994. Il y a déclaré:
- «Notre but [...] devrait être [...] de redonner au Canada sa force au sein de l'industrie touristique
mondiale. Ensemble, les gouvernements et le secteur du tourisme concevront, financeront et
offriront le meilleur programme au monde, vendant le meilleur produit touristique au monde.»
Durant la même période, le nombre de Canadiens et d'étrangers qui ont visité le Canada a augmenté et les revenus générés par le tourisme sont passés de 39 milliards en 1994 à 42 milliards de dollars en 1995. Cette industrie procure directement quelque 488,500 emplois à des Canadiens. C'est beaucoup pour une seule industrie, d'autant plus qu'il s'agit d'emplois à temps plein.
Selon l'Organisation mondiale du tourisme, le revenu mondial engendré par le tourisme en 1994 s'élevait à 321 milliards de dollars U.S., sans compter les revenus tirés du transport. Ce chiffre inclut les dépenses pour l'hébergement, les repas, les souvenirs et les loisirs. Selon les dernières statistiques dont j'ai pu prendre connaissance - j'ignore si elles reflètent la réalité, mais je l'espère - , il se dépenserait dans le monde deux fois plus d'argent pour le tourisme que pour la défense. En d'autres termes, pour chaque dollar dépensé en armements, deux dollars seraient dépensés en voyages et en activités touristiques, ce qui me semble tout à l'honneur de notre industrie.
En moyenne, le tourisme augmente de 12 p. 100 par année et est responsable de près de 10 p. 100 de la valeur des exportations mondiales. Au Canada, en 1995, on estime à 10,7 milliards de dollars les revenus d'origine internationale, y compris ceux générés par le transport. Nos plus grands partenaires commerciaux dans ce domaine sont les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France.
Quand on observe les secteurs du tourisme, des transports et du commerce, on constate que les seules industries plus importantes que le tourisme sur le chapitre de notre commerce international sont celle de l'automobile et des pièces d'automobile - grâce au Pacte de l'automobile, comme vous le savez - et celle des services d'affaires. Le tourisme nous rapporte davantage que les pâtes et papier, le blé, la forêt, les pêches, le gaz naturel, etc. Et surtout, les collectivités en bénéficient directement. Les recettes qu'on en tire peuvent être encaissées quotidiennement. L'argent ne passe pas d'abord par d'importantes sociétés; on le touche immédiatement. C'est donc un des secteurs clés de notre commerce international.
On ne s'étonnera pas de ce que l'Association de l'industrie touristique du Canada soit en faveur d'un système de transport national fort, qui soit à la fois abordable, accessible et sûr, pour encourager les Canadiens et les étrangers à visiter le Canada et rendre leurs déplacements plus agréables et plus intéressants. À notre avis, la croissance de l'industrie touristique va de pair avec la volonté politique générale exprimée par le gouvernement lorsqu'il a créé la Commission canadienne du tourisme. Elle contribuera inévitablement à la création d'emplois et de nouveaux débouchés dans toutes les régions du Canada.
Nous voudrions vous faire part d'un certain nombre de recommandations concernant des politiques qui viseraient à favoriser le tourisme et que le gouvernement devrait, croyons-nous, intégrer dans sa planification. Parmi ces politiques, certaines sont du ressort du ministère des Transports. Nous demandons à votre comité d'appuyer concrètement ces recommandations et d'inciter les autorités compétentes à y donner suite.
Le gouvernement fédéral devrait élaborer une politique et créer un environnement propres à doter notre pays d'un réseau de transport abordable, accessible et sûr. Pour ce faire, il devrait prendre l'initiative de la coordination et de l'établissement de normes applicables à l'infrastructure de transport interurbain, y compris les axes est-ouest et nord-sud par les voies aériennes, routières, maritimes et ferroviaires, et inviter à participer à cette initiative tous les partenaires qui financent cette infrastructure ou possèdent le pouvoir d'adopter des règlements ou des lois en matière de transport interurbain, y compris les provinces et le secteur privé.
J'aimerais ajouter un point qui aurait dû être mentionné dans le mémoire, à savoir qu'il ne s'agit pas ici uniquement du transport interurbain, bien sûr, mais également du transport vers les lieux touristiques vedettes, notamment vers les centres de skis, les parcs, etc.
Le gouvernement du Canada devrait créer un programme d'infrastructures qui incorpore les objectifs de développement du tourisme, à savoir l'accessibilité, l'abordabilité et la sécurité du réseau de transport. Ce programme serait mis en oeuvre par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, en partenariat avec le secteur privé là où les circonstances s'y prêtent.
Le gouvernement fédéral devrait revoir toutes les taxes imposées sur le transport, en s'inspirant peut-être de ce qui se fait aux États-Unis, où l'on recourt de plus en plus au mode de tarification directe et où la concurrence s'accentue, notamment entre les divers modes de transport et les itinéraires. Autrement dit, les règles du jeu ont changé considérablement en matière de financement des transports. Je suis sûr qu'il s'agit là d'une question dont le comité voudra débattre.
Ce que nous voulons dire, c'est qu'en envisageant l'imposition directe de frais d'utilisation, qu'il s'agisse, par exemple, de frais d'entrée dans les parcs nationaux ou de droits de passage sur la Transcanadienne, ou encore de routes à péage, on devrait opter pour un juste équilibre entre le financement à même les recettes fiscales générales du gouvernement et celui provenant de la perception de droits d'utilisation.
Par ailleurs, le gouvernement du Canada devrait songer à éliminer tout obstacle réglementaire ou législatif à l'intermodalité. Comme vous le savez, l'intermodalité n'est pas du tout la même chose dans le cas du service-voyageurs et dans celui du transport des marchandises. Grâce à l'intermodalité, les voyageurs peuvent passer directement d'un mode de transport à l'autre avec le même billet. À notre avis, ce système, qui est plus courant en Europe qu'au Canada, permettrait de déplacer les gens plus efficacement et, partant, en plus grand nombre dans tout le Canada.
Enfin, nous demandons au gouvernement du Canada de favoriser l'établissement de politiques fédérales et provinciales propres à favoriser la concurrence entre transporteurs sur les marchés nationaux et internationaux.
Voilà qui met fin à mon exposé, monsieur le président. Vous avez pu constater que nous avons adopté une approche politique très large. Nous n'avons pas formulé de recommandations précises concernant un mode de transport ou un secteur particulier, mais, si vous le désirez, nous pouvons aller davantage dans les détails. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, madame Ward.
Monsieur Crête.
[Français]
M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): Je vous remercie de votre présentation. Elle apporte de l'eau à mon moulin.
On dit qu'aux États-Unis, les autoroutes ont été construites en fonction du système de défense nationale. Je crois que la nouvelle planification des différents réseaux routiers de Transports Canada devrait se faire en fonction du tourisme, du transport et du commerce. Le tourisme est un axe qui prend de l'importance pour l'avenir et je pense que ce fait appuie assez bien votre démonstration.
Par contre, j'aimerais que nous discutions de votre première recommandation. Il m'apparaît qu'on tombe dans un très vieux piège canadien quand on dit que la solution, c'est que le gouvernement fédéral prenne en main la coordination, la définition des normes applicables à l'infrastructure, etc., y compris dans les provinces et le secteur privé.
Il est illusoire de croire qu'on peut vivre en dehors du système juridique dans lequel on est. Le système canadien accorde des compétences aux provinces. Il est important que ces choses soient mises en place en tenant compte de la structure existante et soient accomplies à la suite de consensus.
Avez-vous des arguments à me donner à ce sujet et pouvez-vous nuancer votre position par rapport à cette question? Ai-je vraiment bien compris ce que vous vouliez dire dans votre première recommandation?
[Traduction]
Mme Ward: Je vous remercie de me donner l'occasion d'expliciter mon point de vue à cet égard. Je crois que vous soulevez là une excellente question, qui nous donne d'ailleurs à nous aussi du fil à retordre, car je ne crois pas que la réponse soit simple.
En formulant cette recommandation, notre intention n'était pas de sous-entendre que le gouvernement fédéral devrait et pourrait assumer à lui seul cette responsabilité. Naturellement, chaque autorité compétente a, dans une large mesure, la main haute sur le développement et le maintien de ses infrastructures.
Cela dit, il n'en demeure pas moins qu'une structure de collaboration doit être mise en place, et que c'est au gouvernement fédéral qu'il incombe de convier les parties à s'asseoir autour d'une table pour tenter d'en arriver, si possible, à un consensus sur le modèle d'infrastructure routière, de signalisation routière et de réseau de transport dont nous entendons nous doter. Les étrangers qui nous visitent n'ont pas à se demander si ceci ou cela est de compétence provinciale ou fédérale, ce n'est pas leur problème. Idéalement, ils ne devraient s'apercevoir de rien de tel. Leurs déplacements d'un point à l'autre de notre pays devraient se faire rondement et agréablement.
Ce que nous voulons dire par là, c'est que le gouvernement fédéral a la responsabilité d'aider les Canadiens, par l'entremise de leurs administrations provinciales, à trouver une façon de définir ensemble des normes nationales. Je crois toutefois qu'à défaut de consensus, il devra établir lui-même ces normes.
[Français]
Le président: Monsieur Crête.
M. Crête: Merci beaucoup de ces renseignements. J'aurais une autre question que je pose davantage en vue d'accroître mes connaissances.
J'aimerais que vous nous parliez des projections que vous avez pour l'avenir relativement à l'accroissement du tourisme international au Canada. Par exemple, le golfe Saint-Laurent est en voie d'être reconnu comme un parc maritime international et sera régi par une loi provinciale et une loi fédérale. Il pourrait devenir un joyau mondial d'attraction. Au Canada, il y a sûrement d'autres points de ce type.
J'aimerais savoir si vous avez des projections pour les cinq, dix ou quinze prochaines années relativement à l'accroissement du tourisme international et à l'impact qu'il aura sur les différents modes de transport. Pouvez-vous nous fournir des détails à ce sujet, immédiatement ou plus tard?
[Traduction]
Mme Ward: Volontiers, bien que j'hésite beaucoup à avancer de mémoire des prévisions chiffrées.
Ces dernières années, nous avons observé une augmentation de plus de 10 p. 100 du nombre de touristes japonais, allemands et français qui visitent notre pays. Il s'agit toutefois là de chiffres relativement petits si l'on songe qu'à l'échelle planétaire il y a en moyenne chaque jour aux alentours de 200 millions de personnes qui voyagent en touristes.
Toutefois, je puis vous assurer que nous prévoyons vraiment que la demande de produits touristiques canadiens augmentera énormément au cours de la prochaine décennie. Si nous le croyons, c'est que les étrangers se font de notre pays une tout autre idée que celle que nous nous en faisons nous-mêmes. Nous percevons le Canada comme un pays immense, vide et froid, et cela nous fait sourire d'étonnement de constater que notre police montée exerce un tel pouvoir d'attraction.
Peut-être avons-nous cette impression de nous-mêmes, mais si vous demandez à des étrangers qui nous rendent visite ce qu'ils aiment du Canada, à des Japonais, par exemple, qui manquent cruellement d'espace dans leur pays, ou à des Allemands, qui ne peuvent se servir chez eux d'un avion particulier parce que leur espace aérien est déjà accaparé par les vols commerciaux et militaires, ils nous répondent qu'ils ont trouvé ici un pays d'une incroyable beauté, peuplé de gens sympathiques, où l'on a la faune et la flore à sa porte, et une foule d'autres atouts qu'ils avaient à peine osé imaginer.
Voilà ce qu'on s'attendra de trouver chez nous. Alors, comment allons-nous réagir? Si nous nous trouvons ennuyeux, sachons qu'on nous trouve aimables et sûrs - et Dieu sait si la sécurité est devenue un précieux atout de vente! Nous prévoyons qu'un nombre sans cesse croissant d'étrangers viendront nous visiter, non seulement pour la beauté naturelle de nos lieux, mais aussi pour nos valeurs spirituelles. Il sera de plus en plus impérieux, pour assurer l'essor de notre industrie touristique, de développer des destinations comme celle dont vous venez de parler, l'estuaire du Saint-Laurent, et d'autres joyaux du patrimoine mondial que nous aurons bientôt à offrir.
Quant à la planification des transports et des infrastructures appropriées, encore là, il s'imposera de plus en plus que, dans la mesure du possible, nous donnions à nos visiteurs la possibilité d'atteindre rapidement les lieux touristiques qui les attirent, sans qu'ils risquent de se trouver dans des embouteillages ou de souffrir de la pollution. Mais je ferai remettre au président du comité des chiffres plus précis à cet égard.
Le président: Merci.
En parlant de la faune à nos portes, je cède la parole à M. Gouk.
M. Gouk (Kootenay-Ouest - Revelstoke): Vous m'avez ravi mon effet, monsieur le président. J'allais parler de la faune que j'ai devant moi à la Chambre lorsque je...
Le président: Justement, je savais que vous alliez tenir de tels propos, monsieur Gouk.
M. Gouk: Disons que, pour l'instant du moins, c'est un match nul. Je vais laisser l'évidence parler à ma place.
Madame Ward, j'ai trouvé votre exposé très intéressant et très convaincant. Vous avez bien fait valoir vos arguments.
Quant au contenu de vos recommandations, je tiens d'abord à vous signaler, à propos de la déréglementation dans le secteur aérien, que, contrairement à ce qu'en ont dit certains syndicalistes et même le premier ministre de ma province, j'appuie cette mesure que je trouve progressive. Elle a permis d'ouvrir l'espace aérien, ce qui, à mon sens, est une bonne chose.
J'anticipe peut-être un peu, mais je crois que le comité s'apprête à recommander l'imposition de taxes spéciales sur les carburants pour financer la réfection des infrastructures routières nationales, une autre mesure qui m'apparaît fort souhaitable.
Je pense vraiment que c'est au secteur privé qu'il incombe d'assurer l'intermodalité des services de transport, car pratiquement tous les transporteurs, à l'exception de VIA Rail, appartiennent à des intérêts privés. Certaines sociétés comme Greyhound, par exemple, ont commencé à combiner leurs services d'autocars avec leurs services aériens. Encore là, je crois que ce genre d'initiative doit émaner du secteur privé. Bien sûr, nous devrions envisager des moyens d'appuyer de tels projets si on nous en fait la demande, mais ils doivent être initiés par l'entreprise privée.
Vous avez parlé du transport interurbain. Je crois que nous pouvons, depuis nos bureaux de députés, collaborer à la réalisation de certains projets de cette nature. Je le fais déjà dans ma circonscription, et je suis sûr que beaucoup d'autres députés s'efforcent eux aussi de promouvoir les voyages en train et peut- être même d'amener les sociétés de transport ferroviaire à combiner leur service avec le service d'autocars sur le territoire de leur circonscription. Mais, outre cela et ce que vous avez déjà mentionné à propos de la négociation ou, au besoin, de l'imposition de normes nationales, notamment en matière de signalisation routière, quelles mesures précises, selon vous, le comité devrait- il envisager de proposer?
Mme Ward: C'est une bonne question. Je crois que vous avez fait état de deux ou trois hypothèses dont je voulais justement vous entretenir. L'une d'elles est l'imposition de taxes spéciales sur les carburants dont le produit serait réinvesti dans l'infrastructure routière. On appliquerait donc le principe de l'utilisateur-payeur.
M. Gouk: Nous examinons justement cette possibilité.
Mme Ward: Je suis ravie d'entendre qu'on se penche sérieusement sur cette question. C'est une mesure que nous réclamons depuis fort longtemps. À notre avis, son adoption serait un grand pas dans la bonne direction.
L'autre point que j'aimerais aborder avec vous rapidement concerne la déréglementation et l'ouverture de l'espace aérien. Vous avez vous-même effleuré le sujet dans vos propos.
Je tiens à signaler pour le compte rendu - cela ne surprendra personne - que l'idée de rétablir la réglementation nous donne de l'urticaire. Je trouve cette suggestion ridicule, digne de Buzz Hargrove. Elle est à tout le moins rétrograde. Nous estimons que le gouvernement du Canada a agi judicieusement face aux difficultés de Canadien. Une autre mesure dont nous souhaitons l'adoption dans ce domaine, c'est l'abolition, ou une diminution, de la taxe sur les carburants pour aéronefs. Le comité pourrait fort bien en faire la recommandation.
Globalement, je crois essentiel que le comité prenne sur lui de recommander au gouvernement que toute loi en matière de transport tienne compte du tourisme, afin qu'aucune disposition législative ne vienne faire obstacle à la croissance de notre industrie touristique.
Revenons sur un exemple que vous avez utilisé, celui de Greyhound et de Greyhound-WestJet, de la propriété locale par opposition à la propriété internationale d'entreprises. Greyhound Air s'est révélée toute une bénédiction pour le tourisme au Canada. J'ai voyagé avec Greyhound Air et j'ai aimé le service qu'on y offre. À bord des appareils de cette société, les passagers ne sont pas des gens cravatés accrochés à leur porte-documents, mais plutôt des gens ordinaires qui rendent visite à leur parenté, des gens qui normalement ne voyagent pas en avion. Ce transporteur a conquis un tout nouveau marché en appliquant des méthodes de commercialisation très ingénieuses, en offrant des prix avantageux et en permettant l'interconnexion directe de ses services-voyageurs par autocar et par avion - l'intermodalité.
C'est un service nécessaire, un service bien accueilli. Il n'aurait pas fallu que le gouvernement du Canada soit en mesure de bloquer ce genre d'initiative pour des questions de propriété étrangère et par des tours de passe-passe. Le comité devrait, s'il le peut, recommander que la législation soit revue pour en éliminer toute disposition susceptible de nuire à la réalisation d'un solide programme d'infrastructures dans ce domaine.
Si jamais la question de savoir dans quelle mesure les routes devraient être à péage ou non se pose, le comité devrait également y regarder de près. Nous avons besoin d'un bon réseau routier, bien organisé. Si le péage, permanent ou temporaire, est un moyen de financement valable pour le réseau routier, nous devrions avoir assez de souplesse pour le permettre, là où il est nécessaire à la réalisation de projets.
Donc, ce que nous vous demandons essentiellement, c'est de promouvoir l'adoption de politiques générales de nature à créer un environnement propice au développement autonome de l'industrie des transports.
Le président: Permettez-moi d'y aller d'une ou deux questions. J'ai trouvé intéressante votre réponse aux remarques de M. Gouk à propos de taxes spéciales sur les carburants.
Dans votre exposé, vous soulevez une série de questions qui feront normalement l'objet d'une étude plus approfondie par le comité dans le cadre de son examen de questions touchant le commerce et le tourisme. Je pense notamment à l'intermodalité, dont nous avons d'ailleurs largement entendu parler dans différentes régions du pays.
L'un des exemples qu'on nous en a donné, c'est celui de l'ouverture de l'espace aérien qui devait favoriser la venue de nombreux touristes dans la région de Vancouver, d'où ils partiraient en croisière. Il semblerait que cela ne soit pas si facile. Nous avons quelque difficulté à saisir où réside le problème à cet égard, à déterminer quels sont les obstacles exactement. Dans une large mesure, les problèmes semblent tenir aux rapports entre entreprises. Il fut un temps où ce qui faisait obstacle, semble-t-il, c'étaient les limitations relatives à l'utilisation de l'espace aérien. Mais maintenant que ces restrictions ont été levées, on serait porté à présumer que les transporteurs aériens peuvent à loisir prendre entente avec des exploitants de croisières maritimes et offrir des forfaits comprenant l'utilisation des deux modes de transport. J'aimerais que, peut-être au second tour, vous nous donniez des précisions concernant la façon dont les règlements gouvernementaux peuvent poser obstacle à cet égard.
La question qui nous préoccupe le plus actuellement est celle des routes. Dans votre réponse à M. Gouk, si je vous ai bien compris, vous avez affirmé que vous verriez d'un bon oeil l'établissement d'une taxe spéciale sur les carburants. Est-ce que vous dites cela parce que vous croyez qu'il serait important d'avoir un programme cohérent et un calendrier précis de rajeunissement de notre réseau routier, ou est-ce parce que l'établissement de taxes spéciales vous semble souhaitable en soi?
Mme Ward: C'est la première hypothèse qui est la bonne, pas la deuxième. Je ne crois pas qu'il soit indiqué d'imposer des taxes spéciales sauf dans un but valable et précis, continu et permanent. Comme vous le savez sans doute, les taxes actuelles sur les carburants, qui sont très élevées, sont allées grossir les fonds du Trésor au lieu d'être réinvesties dans les infrastructures de transport.
Dans la situation où nous sommes - je vais maintenant parler plus particulièrement des routes - , nos infrastructures vont nous coûter dix fois plus cher qu'elles ne l'auraient dû parce que nous n'avons pas pris soin de réparer les crevasses quand elles étaient encore étroites. Nous sommes maintenant condamnés à refaire le pavé au complet. Je ne crois pas que nous puissions nous permettre de commettre de nouveau une telle erreur.
Pour financer ces travaux, il faudra, à mon avis, prévoir un fonds spécial. Il ne serait que juste qu'un tel fonds soit garni par les usagers des routes. En payant une taxe sur les carburants, ils s'assureraient que les routes sont maintenues en bon état. Les organismes représentants les usagers des routes devraient par ailleurs collaborer avec l'industrie touristique pour essayer de prévoir sur quels axes la circulation est le plus susceptible d'augmenter, de façon à pouvoir mieux planifier les programmes de construction routière.
Je vais vous donner un exemple. Quelqu'un a signalé tout à l'heure que le réseau routier américain a d'abord été conçu pour permettre à la nation d'assurer sa défense. Dans une large mesure, c'est précisément et effectivement cet objectif qui a présidé à son implantation.
Peut-être serez-vous intéressés de savoir dans quelles circonstances on a construit une certaine route dans la région de Branson, au Missouri. Branson était devenue une sorte de Grand Ole Opry. Cette ville regorgeait de ce que j'appellerais des petites vedettes, comme Tony Orlando. Il s'y faisait des affaires d'or et la ville avait prospéré du jour au lendemain. Aucune route d'accès à cette ville n'avait été prévue depuis l'autoroute Inter-États. Pour combler cette lacune, l'État du Missouri s'est empressé d'adopter une loi extraordinaire pour permettre à des équipes de travailler jour et nuit à la construction de ce tronçon, et ce, jusqu'à ce qu'il soit terminé. C'est le même genre de loi que la Californie a adoptée pour la reconstruction de ses infrastructures après le tremblement de terre de Los Angeles.
On constate donc que les Américains n'hésitent pas à recourir à des lois spéciales pour accélérer la construction de routes. Je rêve du jour où il nous faudra adopter au Canada une loi extraordinaire qui nous amènerait à travailler 24 heures sur 24 à la construction d'une route d'accès subitement rendue nécessaire par un accroissement marqué du nombre de touristes.
Je crois donc qu'il serait très prudent, souhaitable et défendable de n'utiliser les taxes sur les carburants que pour la réalisation de travaux routiers.
Le président: Vous avez parlé, au passage, de la question des péages. Je n'ai pas bien compris si vous voyez le péage comme un moyen de tirer davantage profit du tourisme ou comme une source de financement des travaux de réfection routière qui s'imposent.
Mme Ward: Je crois que c'est un moyen auquel nous aurions avantage à recourir pour financer les travaux de rajeunissement de notre infrastructure routière. Le problème que peuvent poser les péages, c'est qu'ils risquent d'agacer les touristes qui voyagent en groupe. Dans leur cas, les péages devraient être compris dans le prix des forfaits. S'ils savent d'avance qu'ils doivent assumer le coût de péages, ils l'accepteront plus facilement. Les routes à péage étant généralement particulièrement expéditives et fiables, ce qu'il en coûte pour les emprunter est compensé par le fait qu'on peut y rouler plus vite et qu'on y risque moins d'être retardé.
Donc, les péages ne posent pas problème comme tels si le payeur est bien prévenu; tout est dans la façon dont on les traite. Par ailleurs, rien ne nous garantit qu'ils seront abolis, une fois la route payée. L'hypothèse de l'imposition de péages fait donc naître quelques inquiétudes précises, mais nous croyons essentiellement que les routes à péage pourraient constituer une précieuse source de financement, pourvu que les utilisateurs en soient bien prévenus et que les tarifs soient bien affichés. D'ailleurs, certaines expériences nous en ont prouvé l'utilité.
Le président: Je suis en train de réfléchir à votre deuxième recommandation. Vous y proposez la mise en oeuvre d'un programme d'infrastructures qui incorpore les objectifs de développement du tourisme, à savoir l'accessibilité, l'abordabilité et la sécurité du réseau de transport. Ce programme serait réalisé par les gouvernements fédéral et provinciaux, en partenariat avec le secteur privé là où les circonstances s'y prêtent. Pourriez-vous développer juste un peu plus votre pensée à ce sujet?
Mme Ward: Je songe par exemple à certains projets de construction de routes à péage qui ont été réalisés conjointement, en partenariat avec le secteur privé...
Le président: C'est ce que vous avez à l'esprit?
Mme Ward: Le cas du pont reliant l'Île-du-Prince-Édouard à la terre ferme l'illustre bien.
Le président: Je vois. Merci beaucoup de votre exposé fort éloquent et bien préparé.
Mme Ward: Merci.
Le président: Merci.
Mme Ward: Je vous souhaite bonne chance dans vos délibérations.
Le président: Notre prochain témoin est M. David W. Glastonburry de Transport 2000 Canada. Monsieur Glastonburry, vous avez déjà comparu devant notre comité, n'est-ce pas?
M. David W. Glastonburry (président, Transport 2000 Canada): Oui, c'est juste.
Le président: Vous êtes donc au courant que vous ne devez prendre qu'une dizaine de minutes pour votre exposé, de manière à nous laisser du temps pour vous poser des questions.
M. Glastonburry: Monsieur le président, ai-je l'honneur d'être le dernier témoin que vous entendrez dans le cadre de cette étude?
Le président: Non, mais vous avez eu l'honneur d'être inscrit parmi la liste des témoins.
M. Glastonburry: Merci.
Le président: Vous serez peut-être effectivement le dernier témoin que nous entendrons en public. Certains ministres et d'autres personnes nous entretiendront toutefois plus avant de cette question.
M. Glastonburry: C'est bien.
Monsieur le président, membres du comité, je vous sais gré de nous permettre de participer à votre étude qui porte à la fois sur les transports, le commerce et le tourisme.
Transport 2000 Canada est un groupe voué à la promotion de modes de transport écologiquement, socialement et financièrement durables.
Pas plus que le commerce ne saurait dépendre d'une seule et unique marchandise, le transport et le tourisme ne peuvent, non plus, dépendre que des autoroutes. Au Canada, ce que nous avons fait, en réalité, c'est de construire une infrastructure pour «ouvrir» le pays, créer des emplois et favoriser le tourisme, bref, pour stimuler l'activité économique.
Certains prétendront que ces objectifs demeurent toujours valables, mais d'autres se demandent s'il n'y a pas eu surconstruction et si cette surconstruction non seulement ne nous a pas empêchés d'utiliser à meilleur escient les ressources investies, mais n'a pas même contribué à neutraliser et à déprécier certains investissements que nous avions effectués antérieurement.
De bons exemples de cette surconstruction sont les nouvelles voies situées sur le pourtour de localités qui, souvent, ont passablement investi dans la construction d'hôtels et de restaurants; la réduction des services ferroviaires locaux pour rendre plus expéditif le transport de marchandises en vrac sur les grandes lignes; ou l'utilisation de traversiers de plus grand tonnage qui ne peuvent plus desservir les petits ports à cause de leur fort tirant d'eau.
La question des transports au Canada ne diffère pas de la question environnementale en ce sens qu'elle nécessite, elle aussi, une combinaison soigneusement calculée de solutions écologiquement, socialement et financièrement durables. Aucun mode de transport ne permettra à lui seul d'atteindre tous ces objectifs.
La politique de l'utilisateur-payeur est à l'ordre du jour de tous les paliers de gouvernement. Mais, malheureusement, elle n'est pas appliquée de façon universelle et uniforme dans le domaine des transports.
Le gouvernement fédéral ayant maintenant pour politique de transférer à l'entreprise privée ses responsabilités en matière de transports, ce sont les usagers qui assument la responsabilité de la viabilité financière et opérationnelle des aéroports, des systèmes de navigation, des traversiers, des ports et des chemins de fer.
Les provinces et les municipalités appliquent la même politique pour les transports publics, mais à une exception près: le principe de l'utilisateur-payeur n'est pas appliqué aux autoroutes. Pourquoi appliquer ce principe partout ailleurs sauf aux autoroutes?
L'usage accru de la route est porteur de coûts indirects d'origines diverses: torts causés à la santé par les gaz d'échappement des véhicules automobiles, soins donnés aux victimes d'accidents de la route dont le coût est imputé aux régimes de santé provinciaux, besoins de services policiers et autres, dommages causés par les pluies acides et le changement climatique, inconvénients liés à l'étalement urbain et à la pollution par le bruit, besoins accrus en espaces de stationnement et engorgement de la circulation.
Même si l'on a établi un système de péage sur certaines autoroutes provinciales, comme l'autoroute Coquihalla en Colombie- Britannique, la 407 en Ontario et la 104 en Nouvelle-Écosse, le principe de l'utilisateur-payeur n'est toujours pas intégralement appliqué. On n'a pas relevé le défi de recouvrer auprès des usagers les sommes nécessaires au remboursement des emprunts contractés pour la construction des routes. En outre, une série de questions restent sans réponse: comment financer les frais d'entretien des routes, le maintien des normes de service et de sécurité quand les travaux d'entretien n'ont pas été exécutés en temps importun, les dommages causés à la chaussée par le passage de camions plus lourds et plus longs et l'accroissement modéré du trafic?
On comprend que le gouvernement fédéral veuille créer des emplois, assurer le développement économique et se ménager l'appui de l'électorat, mais les modalités de sa contribution à l'infrastructure routière n'obligent pas les provinces à rendre compte de l'utilisation des fonds et leur permettent de construire de nouvelles routes au lieu de réparer les routes existantes.
Le récent programme d'infrastructures, qui a coûté 6 milliards de dollars et qui était pourtant conçu au départ pour réparer et améliorer l'infrastructure existante, a lui aussi donné lieu à d'importants travaux de construction de nouvelles routes. On a, certes, créé des emplois à court terme, mais certains projets ont accéléré le déclin des transports publics. En somme, dans certains cas, les mesures prises dans le cadre de ce programme ont accéléré l'étalement urbain, favorisé la création de nouveaux espaces de stationnement et engorgé davantage les routes, tout en retardant l'adoption de mesures d'entretien qui se font cruellement attendre.
Le gouvernement doit donner la primauté au respect des «règles du jeu» si tant est qu'il est vrai qu'il veut faire sienne la politique de l'utilisateur-payeur. Soit qu'il cesse complètement d'investir dans les autoroutes, soit qu'il utilise ses investissements à la façon de nos voisins du Sud.
Dans le cadre du programme ISETEA, l'Intermodal Surface Transportation Efficiency Act de 1991, le gouvernement américain investit les fonds disponibles pour l'infrastructure des transports notamment pour l'implantation ou l'amélioration de gares intermodales, de lignes de trains de banlieue et de transport en commun, et de voies cyclables ou pédestres.
Les auteurs d'un récent livre vert intitulé: Transport: The Way Forward, recommandent au gouvernement britannique de se préoccuper davantage de la pollution environnementale liée au transport, surtout de trouver des moyens de rendre la population moins dépendante de l'automobile. Le livre vert propose l'adoption de mesures gouvernementales pour mieux exploiter l'infrastructure en place, réduire l'usage de l'automobile, notamment dans les villes, investir dorénavant dans les transports publics davantage que dans la construction de routes, et minimiser les dommages causés aux routes par les camions qui transportent de lourdes cargaisons.
Au Canada, certaines administrations locales, comme la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton, par exemple, s'efforcent, en adoptant des mesures appropriées en matière d'urbanisme et de zonage, de réduire l'usage de l'automobile au profit des transports publics. Pourquoi le gouvernement fédéral sape-t-il délibérément leurs efforts par ses initiatives?
Le tourisme occupe une place de plus en plus importante dans le développement économique du Canada. Bien que les États-Unis demeurent notre plus grand réservoir de touristes, la croissance de l'apport étranger à cette industrie dans notre pays tient à l'augmentation du tourisme non continental. Les gens qui traversent l'océan pour venir nous visiter ont l'habitude d'utiliser chez eux un système de transports publics efficace, fiable et bien intégré. Une fois au Canada, ils recherchent des moyens de transport semblables à ceux qu'ils connaissent dans leur pays. Parce que le Canada a mis l'accent sur l'usage de l'automobile, il ne peut rien offrir de tel sur la plupart de ses circuits touristiques.
S'il donne suite à la deuxième phase du programme d'infrastructures, le gouvernement devrait en faire porter une bonne part sur l'amélioration des infrastructures de transport autres que le réseau routier. Les fonds fédéraux-provinciaux du programme pourraient servir à rajeunir les transports publics dans le noyau central des villes, ce qui favoriserait du même coup la création d'emplois spécialisés et le développement des centres- villes en plus d'accroître notre potentiel touristique.
Un programme de construction routière donne aux gens, qu'ils soient de la région ou en visite, le sentiment de pouvoir s'éloigner plus rapidement de l'endroit où ils se trouvent. Un programme d'incitation à utiliser les transports intégrés permet aux gens, notamment aux touristes, de se rendre ici ou là plus rapidement. N'est-ce pas là ce que nous souhaitons tous?
Le président: Monsieur Gouk.
M. Gouk: Dans votre mémoire, vous abordez plusieurs points intéressants, dont l'un a été soulevé à maintes reprises par différents témoins. Malheureusement, comme une bonne partie des témoins que nous avons entendus représentent des organismes nationaux et vivent ici même à Ottawa, un important centre urbain, la vision globale en souffre.
Vous avez donné l'exemple de la Grande-Bretagne. La densité de population de ce pays est infiniment supérieure à celle du Canada. Je comprends et j'endosse certaines de vos affirmations. Force nous est cependant de reconnaître que, dans une très large mesure, le Canada est un pays rural. Les solutions que beaucoup de gens avancent pour remédier au problème des transports au Canada ne seraient tout simplement pas applicables dans l'ensemble de notre pays. Le Canada est si immense que les véhicules personnels y sont une absolue nécessité dans la majorité des régions.
Une chose que j'ai trouvée intéressante dans votre exposé, c'est votre référence au principe de l'utilisateur-payeur. Vous avez dit qu'il faudrait entreprendre d'appliquer ce principe pour recouvrer les coûts liés à notre réseau routier. Justement, parmi les hypothèses que nous examinons actuellement, il y a l'imposition d'une taxe spéciale sur les carburants. Le gouvernement fédéral dépense environ 300 millions de dollars par année pour le réseau routier national. Il en tire quelque5 milliards. Nous nous sommes entretenus avec divers groupes - du moins moi - , notamment avec des représentants d'associations d'automobilistes, qui nous ont dit qu'ils n'avaient rien contre le principe de l'utilisateur-payeur, mais qu'avant d'en venir là, il faudrait d'abord établir ce que les usagers des routes paient déjà. Or, tout indique que ceux qui utilisent notre réseau routier en assument déjà le coût. C'est tout simplement que l'argent est utilisé différemment de ce qu'il en est dans d'autres domaines. Une telle taxe spéciale risquerait donc de poser problème.
Le dernier point sur lequel j'aimerais avoir des éclaircissements concerne votre allusion au fait que le gouvernement fédéral, de par ses initiatives, minerait délibérément les efforts de certaines administrations municipales, ceux déployés par la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton, par exemple. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire par là - comment une initiative fédérale peut-elle contrecarrer une initiative municipale?
M. Glastonburry: Songeons par exemple au cas où les fonds fédéraux serviraient à la construction d'une route expéditive permettant de contourner certaines localités. Une telle mesure risquerait de nuire au tourisme, que vous voulez pourtant favoriser par votre étude, si la route de contour avait pour effet de priver les commerçants installés sur l'ancienne route de la clientèle des touristes.
Prenons un exemple un peu plus près de nous, celui du transfert de responsabilités. Le gouvernement fédéral contribue au financement du réseau routier de l'Ontario. Le gouvernement provincial ontarien a entrepris de transférer la responsabilité de certaines de ses routes aux municipalités. On est à même d'en constater les effets quand on voyage le long de la voie maritime du Saint-Laurent et qu'on voit que la route numéro 2 relève maintenant des municipalités. Cela continuera...
M. Gouk: Permettez-moi de vous interrompre... Vous avez cité l'exemple de la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton. Comme je vis ici et que je ne connais pas beaucoup les autres régions de l'Ontario... Je viens de la Colombie-Britannique, mais je voyage passablement dans les alentours. Pour bien comprendre ce que vous voulez dire, j'aimerais savoir précisément ce que le gouvernement fédéral a fait pour saper les efforts et les initiatives de la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton.
M. Glastonburry: Dans l'exemple que je vais vous donner, l'affaire est encore en suspens... Vous avez sûrement lu dans les journaux qu'il était question de construire de nouveaux ponts sur la rivière des Outaouais, par exemple. Or, il se trouve qu'il avait également été question de doter la région d'un train de banlieue. Le projet d'élargir des ponts ou d'en ajouter de nouveaux n'entrave pas nécessairement celui d'un train de banlieue, mais l'intérêt que suscite le projet de train de banlieue s'en trouve atténué, d'autant plus que le gouvernement fédéral a manifestement fait volte-face et appuie maintenant l'idée de nouveaux ponts.
M. Gouk: Est-il vrai que votre organisme s'emploie surtout à promouvoir le transport ferroviaire?
M. Glastonburry: Non. Il est vrai que nous consacrons beaucoup de temps aux chemins de fer. Vous avez tout à fait raison. Cependant, nous nous efforçons d'être universels et nous comparons les mérites de tous les modes de transport.
Le président: Monsieur Cullen.
M. Cullen (Etobicoke-Nord): Monsieur Glastonburry, merci de votre exposé.
Dans votre mémoire, vous parlez des coûts indirects liés à un usage accru des routes. D'aucuns soutiennent que, dans l'hypothèse où nous ferions payer par les usagers du réseau routier le coût du maintien des grandes routes, disons, il faudrait leur faire assumer, en plus des coûts directs de construction et d'entretien du réseau, les coûts indirects de l'utilisation des routes, que vous définissez comme étant les coûts liés à l'environnement, à la sécurité, et aux services policiers. À ma connaissance, aucune administration n'a encore fait assumer de tels coûts par les usagers. Je me demande, bien que vous ne l'ayez pas affirmé clairement, si vous n'êtes pas essentiellement en train de nous dire que nous devrions inclure les coûts indirects dans la note que devraient acquitter les usagers de nos routes. Auriez-vous des exemples d'autorités qui ont effectivement appliqué une telle politique?
M. Glastonburry: Non. Je vais d'abord répondre à la première partie de votre question. Oui, j'estime que c'est une mesure à laquelle mous devrions songer, et peut-être le comité devrait-il se pencher sur cette question.
En réponse à la deuxième partie de votre question, je dois dire que je sais que certaines recherches ont été effectuées en ce sens, mais je ne connais pas d'exemple d'autorités qui auraient effectivement appliqué une telle politique.
M. Cullen: Merci. Je crois que si on voulait appliquer en l'occurrence le principe de l'utilisateur-payeur, l'imposition d'un péage visant à recouvrer les seuls coûts directs de construction et d'entretien des routes serait déjà difficile à faire avaler aux usagers, à plus forte raison, je crois, si on y ajoutait les coûts indirects. Mais cela ne soulève-t-il pas d'ailleurs toute la question de savoir si, en toute logique, dans l'hypothèse où l'on ferait assumer ainsi les coûts indirects du réseau routier par ceux qui l'utilisent, nous ne serions pas amenés à appliquer la même médecine dans l'ensemble du domaine public?
M. Glastonburry: Oui, je conviens avec vous que c'est la seule façon équitable d'envisager la chose.
M. Gouk a mentionné que nous passions le gros de notre temps à examiner des hypothèses ferroviaires, mais, comme je le signale dans mon mémoire, il y a des cas où le mode de transport ferroviaire n'est pas la solution indiquée. Ce pourrait fort bien être la route qui offre la meilleure solution. L'une de nos préoccupations, par exemple, a été la détérioration du service interurbain d'autocars dans notre pays. Une multitude de localités dépendent de ce service, non seulement pour le transport des voyageurs, mais également pour l'expédition des colis. Il y a donc certaines régions où le transport routier par autocar est l'option à privilégier.
M. Cullen: Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Glastonburry.
M. Glastonburry: Ce fut pour moi un plaisir de participer à vos audiences, messieurs.
Le président: Les membres du comité auraient-ils l'obligeance de s'attarder un peu?
M. Gouk: Allez-vous rester vous aussi?
Le président: Effectivement, cette fois-ci, je vais rester moi aussi, monsieur Gouk.
Nous allons maintenant siéger à huis clos. Je demanderais donc aux gens qui se trouvent dans la salle et qui ne sont pas expressément autorisés à participer à notre séance à huis clos de bien vouloir se retirer.
Merci beaucoup.
[La séance se poursuit à huis clos]