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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 8 octobre 1996

.0910

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Bonjour, mesdames et messieurs. Lorsque nous avons discuté, au départ, de notre programme de travail, c'est M. Cummins, je crois, qui a proposé de faire comparaître des représentants du ministère de la Justice et du ministère des Pêches et des Océans afin qu'ils nous disent ce qu'il est advenu des trois arrêts rendus par la Cour suprême au cours de l'été et quelles pourraient être leurs répercussions sur la politique gouvernementale.

Nous recevons aujourd'hui Charles Price, conseiller juridique principal, Section du droit des Autochtones; Pat Chamut, sous-ministre adjoint, Gestion des pêches; Ruth Grealis, avocate au ministère de la Justice et Edward Gale, des Affaires autochtones, au ministère des Pêches et des Océans.

M. Price pourrait peut-être commencer.

M. Charles Price (conseiller juridique principal, Section du droit des Autochtones, ministère de la Justice): Si j'ai bien compris, je dois vous présenter, ce matin, un résumé des trois arrêts que la Cour suprême a rendus, comme vous l'avez mentionné, en août 1996. Ils sont déjà connus comme la trilogie Van der Peet. Ils concernent la revendication du droit ancestral de pêcher à des fins commerciales.

Dans les cas en question, la Cour suprême du Canada a pu élargir et préciser l'arrêt qu'elle avait rendu en 1990 dans l'affaire Sparrow c. la Reine quant aux répercussions de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les membres du comité connaissent sans doute l'affaire et l'article en question qui est la disposition de la Loi constitutionnelle de 1982 protégeant les droits ancestraux ou issus de traités.

J'ai l'intention d'aborder le sujet en le répartissant en quatre grandes rubriques. Premièrement, je décrirai les principales questions sur lesquelles la Cour suprême a eu à se pencher dans le cadre de ces affaires. Deuxièmement, je ferai un bref résumé de chacune de ces causes et du jugement rendu par la Cour suprême. Troisièmement, Je présenterai les principales conclusions de la Cour au sujet des grandes questions abordées. Et enfin, je parlerai brièvement des conséquences juridiques de ces jugements.

Pour commencer par les principales questions soumises à la Cour suprême, comme vous le savez sans doute, le droit autochtone soulève un certain nombre de problèmes. Bien entendu, une affaire précise ne les règle pas tous; elle porte sur certains aspects précis. Dans ces cas particuliers, je crois que la Cour devait se pencher sur trois questions principales.

La première concernait l'existence, la nature et la portée des droits ancestraux. La Cour suprême avait eu récemment l'occasion de s'attarder sérieusement sur la nature de ces droits et la façon dont les groupes autochtones devaient établir les droits ancestraux qu'ils revendiquaient. Telle a été la principale question abordée dans l'affaire Van der Peet.

La deuxième question portait sur l'extinction des droits ancestraux. Au moins jusqu'en 1982, le Parlement pouvait éteindre unilatéralement des droits ancestraux ou issus de traités et l'arrêt rendu dans l'affaire Gladstone a éclairci davantage les dispositions juridiques relatives à l'extinction de ces droits.

La dernière question est celle de la responsabilité de fiduciaire de l'État, du moins pour ce qui est de justifier les atteintes aux droits qui sont protégés par l'article 35. Les relations de fiduciaire de la Couronne vis-à-vis des Autochtones présentent de nombreux aspects. La Cour suprême ne les a pas tous examinés; elle s'est seulement penchée sur l'obligation de justifier les atteintes aux droits protégés par la Constitution.

Telles sont les trois principales questions examinées. Je vais maintenant résumer chacune des affaires et les jugements qui ont été rendus.

Il y a d'abord l'affaire Van der Peet. Mme Van der Peet fait partie de la Première nation Sto:Lo, en Colombie-Britannique. Elle a été accusée, en application de la réglementation provinciale de la pêche, d'avoir vendu illégalement du poisson pris en vertu d'un permis de pêche de subsistance des Indiens. Apparemment, elle a vendu dix saumons pris par son conjoint de fait, pour la somme de 50 $. Elle a soutenu que le règlement interdisant la vente constituait une atteinte injustifiée à son droit ancestral de pêcher à des fins commerciales et qu'il ne s'appliquait donc pas à elle.

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Pour ce qui est de cet argument - et telle a été, dans un certain sens, la principale conclusion des juges - il ne s'agissait pas tant de décider si elle pouvait ou non établir son droit ancestral de pêcher à des fins commerciales, mais plutôt si le droit de pêche ancestral des Sto:Lo incluait le droit d'échanger du poisson contre de l'argent ou d'autres biens. Ce faisant, la Cour suprême semble avoir fait une distinction entre ce que j'appellerais un droit légèrement plus limité et un droit intégral de faire de la pêche commerciale, mais j'y reviendrai un peu plus tard.

Quoi qu'il en soit, se fondant sur la preuve antérieure et les conclusions des instances inférieures, la Cour suprême a estimé que Mme Van der Peet n'avait pas démontré que l'échange de poisson contre de l'argent ou d'autres biens faisait partie intégrante de la culture Sto:Lo avant l'arrivée des Européens. Le droit qu'elle revendiquait n'était donc pas protégé par l'article 35. Les juges ne se sont donc pas livrés à une analyse du reste de l'article 35 et ils n'ont pas eu à décider si ce droit avait été éteint ou s'il était justifié d'y porter atteinte.

Dans l'affaire Gladstone, deux membres de la première nation Heiltsuk, de Bella Coola, ont fait livrer 4 200 livres de rogue de hareng sur varech à Vancouver. Je n'ai sans doute pas à vous expliquer ce qu'est de la rogue de hareng sur varech. Je ne connais pas très bien ce produit moi-même, mais il semble avoir pris énormément de valeur commerciale ces dernières années en raison de la demande japonaise.

Quoi qu'il en soit, les intéressés ont tenté sans succès de vendre une partie de la marchandise, mais le tout a été saisi par les agents du ministère des Pêches et vendu par la suite pour un montant d'environ 144 000 $. Les défendeurs ont été accusés, en vertu du Règlement de pêche au hareng du Pacifique, d'avoir cherché à vendre illégalement de la rogue de hareng sur varech qui n'avait pas été pêchée en vertu d'un permis commercial ou d'un permis professionnel valide. Les défendeurs ont fait valoir que la vente de rogue de hareng sur varech faisait partie de leur droit de pêche protégé par la Constitution.

En ce qui concerne cette affaire, il avait été largement démontré, devant les instances inférieures, que ce produit de la pêche avait fait l'objet d'un commerce avant l'arrivée des Européens et l'un des témoins experts de la défense avait fait une déclaration qui semblait avoir retenu l'attention de tout le monde. Il avait dit qu'il y avait des canots de marchandises chargés de tonnes de ce produit et que cela faisait partie des activités et de la culture de ces Autochtones avant leur contact avec les Européens.

Sur la foi de ce genre de preuve, la Cour suprême a considéré que l'échange de rogue de hareng sur varech contre de l'argent ou d'autres biens constituait une caractéristique fondamentale et importante de la culture Heiltsuk avant l'arrivée des Européens et que cette activité s'était déroulée sur une échelle qu'il convient de qualifier de commerciale. Par conséquent, comme pour l'affaire Van der Peet, les juges ont fait la distinction entre le droit plus limité d'échanger simplement du poisson contre de l'argent ou d'autres biens et ce que j'ai qualifié de droit commercial intégral. Même si les juges ont maintenu la distinction, dans ce cas ils ont estimé que les Heiltsuk avaient établi leur droit de vendre le produit de pêche en question.

Comme la Cour suprême a conclu que cette activité faisait partie intégrante de la culture particulière des Heiltsuk et que ces derniers avaient donc le droit ancestral de vendre ce produit sur une échelle commerciale, cette conclusion exigeait l'analyse des autres éléments de l'article 35. Dans le cadre de son analyse, la Cour a estimé que le droit ancestral établi n'avait pas été éteint. Excusez-moi, elle a d'abord conclu que le règlement de pêche en vigueur représentait, à première vue, une atteinte à ce droit. Et pour ce qui est de la justification de cette atteinte, elle a estimé que la preuve était insuffisante pour tirer une conclusion et elle a ordonné un nouveau procès sur cette question.

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La dernière affaire met en cause une société autochtone, NTC Smokehouse, plutôt que des particuliers. Cette société exploite une usine de transformation de poisson près de Port Alberni. Elle a acheté environ 120 000 livres de saumon quinnat à des membres des premières nations Sheshaht et Opetchesaht. Ce poisson a, si j'ai bien compris, été pêché en vertu de permis de pêche de subsistance des Indiens. L'entreprise a ensuite revendu environ 105 000 livres de ce poisson à d'autres usines de transformation. NTC a été accusée d'avoir vendu et acheté du poisson qui n'a pas été pêché en vertu d'un permis de pêche commerciale valide et d'avoir vendu et acheté du poisson pêché en vertu d'un permis de pêche de subsistance des Indiens, deux infractions au règlement de pêche de la Colombie-Britannique.

Dans un certain sens, les principes énoncés dans le cadre de l'affaire Van der Peet ont été également appliqués dans ce cas. La Cour suprême a estimé que la preuve présentée aux instances inférieures ne confirmait pas l'existence d'un droit ancestral d'échanger du poisson contre de l'argent ou d'autres biens - ce qui constitue le droit fondamental - et cette conclusion niait obligatoirement un droit de pêche commerciale plus global.

Voilà pour ce qui est du résumé de ces trois affaires. Je voudrais maintenant parler des principales conclusions des juges, qui se fondent sur les grandes questions que j'ai mentionnées au départ. Il s'agit de l'existence d'un droit ancestral, de son extinction et des responsabilités de fiduciaire de la Couronne.

Pour ce qui est de l'existence d'un droit ancestral, il faut se reporter à l'arrêt Sparrow qui décrivait un cadre d'analyse pour les revendications invoquant l'article 35. J'en ai déjà dit quelques mots, mais je vais y revenir. C'est un processus en quatre étapes. Un droit existe-t-il en vertu de l'article 35? Dans l'affirmative, a-t-il été éteint? S'il ne l'a pas été, le règlement du gouvernement qui vise à régir ce droit empiète-t-il sur celui-ci? Dans l'affirmative l'État, le gouvernement, peut-il prouver que cet empiétement est justifié?

Dans l'affaire Sparrow, l'existence du droit ancestral de pêcher ne prêtait pas sérieusement à contestation. Dans ce cas, le droit que l'on cherchait à établir était le droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles. La Cour suprême ne s'est donc pas longuement penchée sur la preuve requise pour établir les droits ancestraux ou sur la nature et l'étendue de ces droits. Ces trois causes sont importantes, surtout l'affaire Van der Peet, en ce sens que la Cour suprême a eu maintenant l'occasion de fournir des précisions sur cette question.

Dans l'affaire Van der Peet, les juges ont commencé par parler du but de l'interprétation de l'article 35 et des objectifs sous-jacents de la protection des droits ancestraux ou issus de traités assurée à l'article 35. Ils ont dégagé deux aspects importants à cet égard. Premièrement, ils ont constaté que, par cette disposition, la Constitution canadienne reconnaît qu'avant l'arrivée des Européens en Amérique du Nord, le pays avait déjà été occupé par des sociétés autochtones présentant des caractéristiques propres. Le deuxième aspect est, dans un certain sens, la raison d'être de l'article 35. Autrement dit, cet article est le moyen par lequel la reconnaissance de cette occupation antérieure est conciliée avec la souveraineté de la Couronne.

Cela dit, la Cour suprême a précisé quel était le critère pour établir les droits ancestraux. Dans tout le jugement, la phrase clé... je l'ai paraphrasée, mais je vais lire ce que j'ai ici, car cela me parait toujours sinon confus, assez dense.

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L'activité revendiquée comme droit en vertu de l'article 35 doit être un élément d'une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone à l'arrivée des Européens. Tels sont les droits ancestraux, ce sont les activités qui remplissent ce critère que l'on appelle maintenant le critère de la «partie intégrante». Il ne s'agit pas de toutes les activités des groupes autochtones; ce sont les coutumes, pratiques ou traditions qui font partie intégrante de leur culture distinctive.

La Cour suprême a ensuite ajouté que pour analyser comme il faut la revendication de droits ancestraux, il fallait commencer par établir la nature précise de la revendication. J'ai déjà mentionné que, dans l'affaire Van der Peet, les juges ont fait une distinction relativement au droit de vendre du poisson. Ils l'ont fait pour deux raisons: d'une part pour s'assurer que le règlement contesté était le bon en ce sens qu'il ne sert à rien d'établir que vous possédez le droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales ou rituelles si le règlement que vous contestez interdit la vente. En effet, même si vous pouvez établir votre droit, il ne sera pas violé par un règlement interdisant la vente. D'autre part, l'inverse est également vrai: vous ne devez pas nécessairement établir que vous avez parfaitement le droit de faire de la pêche commerciale si le règlement que vous contestez interdit toute vente. C'est pour ces raisons que les juges ont déclaré qu'il suffisait que Mme Van der Peet et peut-être aussi NTC Smokehouse établissent qu'ils possédaient un droit plus limité de vendre simplement du poisson plutôt que le droit de vendre du poisson sur une échelle véritablement commerciale.

Ayant souligné l'importance de bien définir la nature du droit revendiqué, les juges ont ensuite analysé une série de facteurs permettant de décider quelles étaient les pratiques qui faisaient partie intégrante de la culture distinctive en question. J'en mentionnerai quelques-uns, mais pas tous.

Le premier facteur est qu'il doit s'agir d'une pratique revêtant une importante fondamentale pour la culture autochtone concernée. Autrement dit, toutes les pratiques auxquelles se livre un groupe ou une société autochtone n'entrent pas en ligne de compte. Comme il est dit dans le jugement, ce doit être l'une des choses qui rendent la culture de la société distinctive. Autrement dit, il doit s'agir d'une tradition, d'une pratique ou d'une coutume qui constitue une caractéristique de la culture en question. La Cour suprême a estimé que c'était là un facteur important.

Le deuxième facteur que je citerai est la nécessité d'une continuité. Autrement dit, les pratiques auxquelles les Autochtones se livraient à l'arrivée des Européens doivent représenter une certaine continuité avec celles auxquelles ils se livrent de nos jours. Les juges ont estimé que c'était surtout de cette façon que les droits évoluaient avec le temps. L'arrêt Sparrow précise que les droits ancestraux ne sont pas figés, mais qu'ils doivent pouvoir évoluer avec le temps. Parmi les exemples évidents figurent les méthodes de chasse modernes. Si à l'arrivée des Européens les Autochtones se servaient d'arcs et de flèches pour chasser, cela ne veut pas dire qu'ils doivent chasser avec ces mêmes armes en 1996; ils peuvent se servir de fusils modernes. Il reste à voir jusqu'où cela peut aller, mais le concept de la continuité est un aspect important de l'établissement des droits ancestraux.

Le troisième facteur est que la Cour a confirmé que les droits ancestraux devaient être déterminés sur une base spécifique plutôt que générale. Autrement dit, les différents groupes autochtones pourront établir différents types de droits ancestraux. On dit souvent que les droits ancestraux se rapportent à un lieu et à des faits précis, que vous devez examiner l'histoire d'un groupe donné pour déterminer quels sont ses droits et qu'il peut y avoir des différences entre les divers groupes.

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Quatrièmement, il est nécessaire de démontrer que la pratique en question est distinctive, plutôt que distincte, pour la culture en question. S'appuyant sur la définition du dictionnaire, les juges ont dit qu'une pratique n'avait pas à être distincte, c'est-à-dire unique, mais qu'elle devait constituer une caractéristique distinctive et donner à la culture en question ses caractéristiques propres.

Ils ont fait allusion au droit de pêcher pour se nourrir en disant que c'était sans doute une pratique commune à de nombreuses cultures, mais que cela n'empêchait pas les Musqueam d'établir que cette activité faisait partie intégrante de leur culture distinctive et qu'elle devait donc être considérée comme un droit ancestral.

Le dernier facteur dont je parlerai est la nécessité, mentionnée par la Cour, de tenir compte à la fois des rapports que les Autochtones entretiennent avec le territoire et des caractéristiques distinctives des sociétés et des cultures autochtones. Elle a mentionné que le titre aborigène était une sous-catégorie de droits ancestraux plus larges. Je pense que cette notion va devoir être précisée davantage à l'avenir. Son importance est devenue claire dans l'affaire Adams, plus récente, dont les membres du comité ont peut-être entendu parler. Il s'agit d'un arrêt que la Cour suprême a rendu jeudi au sujet de droits ancestraux revendiqués par les Mohawk de la région d'Akwesasne.

C'est tout ce que je voulais dire pour ce qui est de la première question, soit l'établissement des droits, l'éclaircissement et l'élaboration du critère de la «partie intégrante» qui doit, selon la Cour, servir à déterminer l'existence de droits ancestraux.

La deuxième question est celle de l'extinction des droits. La Cour suprême a confirmé qu'il n'était pas certain que les droits puissent encore être éteints après 1982, c'est-à-dire après l'entrée en vigueur de l'article 35. Elle a simplement déclaré qu'après 1982, les droits ancestraux ou issus de traités ne pouvaient pas être éteints unilatéralement.

Pour ce qui est des droits de pêche, la Cour a estimé, dans l'affaire Gladstone, que la Loi sur les pêches et la réglementation qui l'accompagne n'avaient pas pour effet d'éteindre le droit ancestral de pratiquer la pêche commerciale.

Le gouvernement avait fait valoir que les lois relatives à la protection des alevins et du frai, de même qu'un décret datant, je crois, de 1917, semblaient placer la pêche commerciale autochtone sur le même pied que la pêche commerciale non autochtone. Selon la Cour suprême, cela ne suffisait pas à démontrer que la Couronne avait clairement l'intention d'éteindre au moins le droit dont l'existence a été reconnue dans l'affaire Gladstone.

La dernière question que je voudrais aborder est le concept de la responsabilité fiduciaire de la Couronne en ce qui concerne la justification.

Étant donné que, dans l'affaire Gladstone, les juges ont reconnu qu'un droit ancestral de pêcher n'avait pas été éteint, ils ont ensuite dû déterminer si ce droit avait été violé et si cette violation était justifiée. Ils ont constaté qu'il y avait eu violation, mais, comme je l'ai dit, ils n'ont pas pu régler cet aspect de la question et ils ont ordonné la tenue d'un nouveau procès. Ils ont toutefois suggéré un resserrement du critère Sparrow pour la justification de l'atteinte à un droit ancestral de pratiquer la pêche commerciale.

Dans l'affaire Sparrow, la Cour a établi un processus de justification en deux étapes. Premièrement, la Couronne doit établir un objectif législatif valide. Dans l'affaire Sparrow, les juges ont mentionné certaines choses telles que la conservation ainsi que la santé et la sécurité du public. Une fois que vous avez établi, si possible, un objectif législatif valide, la deuxième étape consiste à établir que le droit ancestral a obtenu la priorité. Dans l'affaire Sparrow on a parlé de préserver l'honneur de la Couronne et, comme il s'agissait du droit de pêcher à des fins alimentaires, les juges ont estimé qu'il fallait accorder la priorité au droit ancestral de pêcher, après avoir assuré la conservation de la ressource.

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Comme je l'ai dit, dans l'affaire Gladstone, la Cour a précisé davantage ce critère en ce qui concerne le droit de pêcher sur une échelle commerciale. Premièrement, pour ce qui est de l'objectif législatif valide, elle a indiqué que des objectifs suffisants pourraient être l'équité régionale et économique et la reconnaissance de l'importance historique d'une pêche à laquelle se livrent des groupes non autochtones, si les circonstances le justifient.

Pour ce qui est de la deuxième étape de la justification, soit la priorité à accorder au droit ancestral de pêcher sur une échelle commerciale, la Cour a discuté du fait qu'un droit intégral de pratiquer la pêche commerciale n'a pas de limite intrinsèque. Pour ce qui est du droit de pratiquer une pêche de subsistance, on finit par prendre suffisamment de poisson pour satisfaire à ses besoins alimentaires.

Le droit de pêcher sur une échelle commerciale n'est limité que par la demande du marché et la quantité de poisson disponible. Dans ce genre de circonstances, il serait souhaitable de tenir compte de divers facteurs pour décider de la priorité à accorder à ceux qui détiennent ces droits ancestraux. De cette façon, la Cour suprême a évité de fermer complètement la pêche aux autres groupes d'usagers.

Les lignes directrices données par les juges étaient très générales. Elles laissaient seulement entendre que, pour répartir la ressource, il fallait tenir compte de l'existence de droits ancestraux et du fait qu'en vertu de la protection que leur conférait la Constitution, ces droits avaient la priorité sur ceux des autres usagers.

Telles sont les conclusions de la Cour suprême sur ces trois questions principales.

Mes dernières remarques porteront sur les effets juridiques de ces jugements. Il ne faut pas oublier qu'il s'agissait là de poursuites et non pas d'actions intentées au civil par des Autochtones pour revendiquer des droits ancestraux. Les Autochtones en question cherchaient à éviter une condamnation en vertu de la Loi sur les pêches. C'est donc le principe de la chose jugée qui s'applique à savoir que, lorsqu'un tribunal statue sur une question, vous ne pouvez pas soulever de nouveau la même question dans le cadre d'un nouveau procès. Ce genre d'affaire est d'une application limitée.

Par exemple, d'autres groupes autochtones, se fiant au raisonnement que la Cour suprême a suivi dans l'affaire Gladstone, pourraient vouloir présenter une preuve établissant leur droit ancestral de vendre du poisson et ce jugement ne les en empêcherait pas.

Même les groupes impliqués dans ces affaires gardent la possibilité de présenter de nouvelles preuves si un membre de la bande Sto:Lo, Sheshaht ou Opetchesaht faisait l'objet d'une nouvelle poursuite. En fait, je crois que les Sto:Lo ont déposé une motion devant la Cour suprême pour obtenir une nouvelle audition de leur appel et la tenue d'un nouveau procès, afin de présenter des preuves comme celles que la Cour suprême recherchait dans l'affaire Van der Peet, pour établir leur droit de vendre du poisson.

Je ne ferai aucun commentaire quant à leurs chances de succès. Je dirai simplement que la question du droit ancestral de vendre n'est pas encore réglée. On peut s'attendre à ce que des groupes autochtones demandent à présenter des preuves, comme dans l'affaire Van der Peet, pour établir leur droit ancestral de vendre.

Enfin, c'est dans ce contexte que le ministère des Pêches cherche à gérer la pêche sur la côte Ouest.

Le président: À votre avis, cela va-t-il se répercuter sur la politique des pêches?

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M. Price: Il serait peut-être préférable que le ministère réponde à cela, mais je dirai simplement que la Cour suprême a précisé davantage le critère s'appliquant aux droits ancestraux. Elle n'a pas établi de façon définitive qui possède ou ne possède pas de droit ancestral de vendre du poisson sur une échelle commerciale.

Le président: Pat.

M. Pat Chamut (sous-ministre adjoint, Gestion des pêches, ministère des Pêches et des Océans): Merci, monsieur le président.

Mes observations feront suite à celles que M. Price a formulées au sujet des jugements. Je résumerai les principales conséquences de ces jugements pour la gestion des pêches, après quoi je parlerai un peu des répercussions que cela peut avoir sur la politique et les programmes du ministère.

Il y a cinq grands principes que je retiens de ces jugements. Comme M. Price l'a fait valoir, il y a là énormément d'informations et ce sont des jugements très compliqués, mais j'en ai dégagé cinq grands principes qui me paraissent importants.

Premièrement, la Cour a conclu à l'existence d'un droit ancestral de vendre du poisson dans certaines circonstances.

Deuxièmement, elle a dit clairement que ce droit n'était pas universel et ne s'appliquait pas à tous les groupes, mais qu'il devait être établi cas par cas, en fonction de la situation particulière du groupe en question.

Troisièmement, dans ce qu'on appelle maintenant je crois la trilogie Van der Peet, la Cour a établi un critère pour déterminer si un droit de pêche commerciale existait ou non. Le principe fondamental de ce critère est que la vente ou le commerce en question doivent avoir fait partie intégrante de la culture distinctive de la société autochtone. Autrement dit, cela devait être une caractéristique fondamentale de cette société avant l'arrivée des Européens.

Quatrièmement, la Cour a déclaré que lorsque ce droit existait, il n'était pas absolu. Autrement dit, le droit peut être limité si certains facteurs comme l'équité régionale ou la participation historique des pêcheurs non autochtones le justifient. La Cour nous a donc indiqué la façon dont le gouvernement fédéral pouvait réglementer ce droit et quelles étaient les considérations qui pouvaient permettre de le limiter.

Cinquièmement, la Cour a conclu que, sur les trois affaires qu'elle a examinées, la tribu Heiltsuk possédait le droit ancestral de vendre de la rogue de hareng sur varech. Elle a également déclaré que le conseil tribal Nuu-chah-nulth, le groupe en cause dans l'affaire dite NTC Smokehouse, de même que les Sto:Lo, le groupe impliqué dans l'affaire Van der Peet, n'avaient pas le droit ancestral de vendre du saumon.

Tels sont les cinq principales conclusions que je crois importantes du point de vue du ministère des Pêches, pour ce qui est de nos politiques et programmes futurs. Comme pour un grand nombre de jugements de ce genre, la Cour nous a donné des indications assez claires au sujet d'une question très importante, mais en laissant largement la place à l'interprétation et à des débats inévitables quant à la façon précise d'appliquer les critères et de régler la question de la justification.

Le ministère a des questions très complexes à régler sur le plan de sa politique et de ses programmes afin que ceux-ci se conforment aux indications de la Cour suprême.

J'aimerais passer en revue certaines questions découlant de ces affaires. Nous n'avons pas toutes les réponses, mais nous les examinons très activement.

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La première et la plus urgente est celle que soulève l'affaire Heiltsuk, l'affaire Gladstone. La Cour suprême a confirmé l'existence d'un droit ancestral de vendre de la rogue de hareng sur varech, mais elle n'a pas pu dire si la violation de ce droit était justifiée ou non. Elle a donc ordonné la tenue d'un nouveau procès pour déterminer si ce droit avait été violé injustement.

La question que nous devons résoudre, en collaboration avec nos collègues de la Justice, est de savoir si l'affaire Gladstone devrait faire l'objet ou non d'un nouveau procès qui permettrait d'obtenir une opinion plus précise de la Cour au sujet des violations justifiables. C'est la première question à régler.

Au cas où nous déciderions de ne pas retourner devant les tribunaux pour que soit réentendue la cause déjà jugée en 1988, si nous décidons de ne pas intenter de nouveau procès, il s'agit de voir quelles mesures le ministère devra prendre pour respecter le droit que la Cour suprême a reconnu à la bande Heiltsuk. Voilà la première question.

La deuxième question importante est celle des programmes de vente pilotes lancés par le ministère en 1992 dans certaines régions de la côte Ouest. Depuis 1992, le ministère a autorisé ces programmes dans trois secteurs: le bas Fraser, la rivière Somass et la Skeena où les Autochtones ont été autorisés à vendre leurs prises.

Dans deux des trois régions où des programmes pilotes ont été menés, la Cour suprême a estimé que les Autochtones n'avaient pas le droit ancestral de vendre sur une échelle commerciale. Je dois dire que les ventes pilotes n'ont pas été autorisées parce qu'il s'agissait d'un droit. Il s'agissait d'une décision de politique de la part du ministre; ce programme n'a pas été mis sur pied pour faire suite au droit de vendre sur une échelle commerciale.

C'est une question que nous allons certainement devoir réexaminer en priorité. Nous examinons les ventes pilotes en fonction de l'arrêt de la Cour suprême, et nous prendrons une décision quant à leur avenir avant la saison de 1997.

Monsieur le président, excusez-moi un instant.

Une voix: Ne vous étouffez pas.

M. Chamut: Je suis trop ému.

La troisième question que j'aimerais aborder est celle de l'affirmation des droits d'autres groupes. Dans son jugement, la Cour a défini une norme qui permet à un groupe de revendiquer un droit de pêche commerciale et il faut sans doute s'attendre à ce que de nombreux groupes estiment pouvoir satisfaire à cette norme ou à ce critère. M. Price a déclaré, en conclusion, que les Sto:Lo avaient effectivement demandé que leur cause soit réentendue afin de pouvoir présenter de nouveaux faits, car ils pensent pouvoir démontrer que certaines pratiques faisaient partie intégrante de leur culture avant l'arrivée des Européens et remplir ainsi le critère attestant de leur droit ancestral. Je crois que d'autres groupes penseront pouvoir également remplir ce critère et qu'il faut donc s'attendre à un certain nombre de revendications. Cela représente un très sérieux défi pour notre ministère étant donné qu'il ne nous revient pas de juger ou de créer des droits.

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L'existence d'un droit ancestral est déterminée de deux façons différentes. Un droit ancestral peut être établi par les tribunaux, comme dans l'affaire Sparrow de même, je crois, que dans l'affaire Gladstone. La deuxième méthode permettant de définir des droits est la négociation de traités.

Le gouvernement préfère certainement régler cette question au moyen de négociations. Mais pour ce qui est de régler les défis immédiats qui se posent à nous, le processus de négociation de traités n'est sans doute pas suffisamment rapide pour nous permettre de décider rapidement quels sont les groupes qui ont le droit de pêcher sur une échelle commerciale. Le ministère des Pêches et des Océans n'a pas pour rôle de créer des droits. Je pense que cela va poser des difficultés. Nous aurons besoin d'une stratégie.

Une solution que nous envisagerons est la poursuite du transfert des permis de pêche commerciale aux Autochtones afin de leur permettre de participer davantage à la pêche commerciale. Mais je dirais que, dans ces cas et surtout le dernier, les décisions politiques n'ont pas encore été prises. Nous examinons les options et les décisions seront prises avant la saison de pêche de 1997.

C'est tout ce que j'ai à dire, monsieur le président, et je me ferai un plaisir de répondre aux questions.

Le président: D'accord. Merci de vos présentations. Cela devrait susciter une discussion assez animée.

Monsieur Bernier, voudriez-vous commencer?

M. Bernier (Gaspé): Je ne sais pas si je peux sortir un peu du cadre de référence qu'on a ce matin, c'est-à-dire la trilogie des jugements, mais je vais m'en inspirer quand même en partie.

J'aimerais savoir si les témoins de ce matin ont pu parcourir le jugement du vendredi 4 octobre, lequel disait qu'au Québec, les autochtones auraient un droit de pêche sans nécessairement avoir de permis.

J'aimerais parler de ce qui se vit actuellement dans la baie des Chaleurs, c'est-à-dire la pêche au homard par les Micmacs de Listuguj, qui était anciennement Restigouche. Pour moi, c'est un phénomène un peu nouveau. Je dois dire que mon collègue John Cummins aura la chance de poser d'autres questions plus loin. C'est peut-être par lui que j'ai commencé à être sensibilisé à la question des pêcheries autochtones.

Je ne veux pas remettre en cause le droit des autochtones de pêcher, mais j'ai entendu dire ce matin de quelle façon vous tentez d'établir ces endroits. Je vois que c'est du cas par cas. C'est vrai que je n'ai pas encore lu au complet le jugement de vendredi dernier, mais où s'en va-t-on avec cela? À un moment donné, fait-on du droit ou y a-t-il une portion politique là-dedans? Une nation s'adresse à une autre pour lui dire qu'elle était là avant les autres et qu'elle veut pêcher. De quelle façon cela a-t-il influencé les actions du ministère des Pêches et des Océans?

M. Ovide Mercredi, en 1994 ou 1993, a écrit La Stratégie des pêches autochtones, justement à Listuguj. Le comité ne s'est pas penché là-dessus. Je sais que c'est un document qui avait été remis à M. Tobin. Actuellement, on gère le phénomène autochtone cas par cas. Mais à chaque fois, et c'est ce que John m'avait fait comprendre, le ministère recule.

J'aimerais savoir si, à un moment donné, on aura une ligne de conduite. Le problème qui m'inquiète le plus est de savoir comment on va gérer la cohabitation. Le ministère des Pêches et des Océans va-t-il racheter des permis? Vous disiez plus tôt que vous vouliez qu'on émette des permis commerciaux pour les pêcheurs de saumon.

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Dans le cas de la baie des Chaleurs, va-t-on racheter des permis de pêche au homard pour permettre aux autochtones de pêcher? Est-ce vers cela qu'on s'en va? En attendant, cela a un impact. Comment gère-t-on cet impact? Cela crée des tensions sociales entre les deux clans. J'ai peut-être posé trop de questions, et je vais laisser les témoins répondre.

[Traduction]

Le président: Qui veut répondre à cela?

M. Chamut: Si vous le permettez, monsieur le président, j'essaierai de répondre aux dernières questions soulevées quant à la situation à Listuguj. Je laisserai mes deux collègues répondre en ce qui concerne les arrêts Adams et Côté rendus par la Cour suprême jeudi dernier.

À Listuguj, les Autochtones veulent exercer leur droit de pêcher le homard pour satisfaire à leurs besoins alimentaires. Je dirais que nous ne réglons pas cette question au cas par cas, mais que nous abordons plutôt la situation à Listuguj conformément à la politique en vigueur pour la gestion de la pêche autochtone.

Les Autochtones ont manifesté le désir de pêcher le homard. Comme le veut notre politique, nous les avons rencontrés pour déterminer quels étaient leurs besoins. Nous n'avons pas réussi à négocier de façon constructive avec la bande et, comme nous n'avons pas pu parvenir à une entente, le ministère a imposé à la bande un permis de pêche communautaire qui lui permet de pêcher pour satisfaire à ses besoins alimentaires, sociaux et rituels.

La solution que nous avons adoptée est conforme à la politique que nous aurions appliquée dans n'importe quelle autre circonstance.

Dans le cas de Listuguj, la situation est d'autant plus compliquée que plusieurs pêcheurs commerciaux estiment que l'exercice du droit ancestral des Autochtones va compromettre leurs prises futures. Nous avons donc rencontré les représentants des pêcheurs commerciaux, vendredi dernier, à Ottawa.

Nous tiendrons d'autres discussions avec les pêcheurs commerciaux de Gaspé, mercredi ou jeudi de cette semaine. Nous discuterons avec eux de certaines des options afin que l'exercice du droit de pêche ancestral n'entraîne pas de conséquences sociales ou économiques inacceptables pour eux.

Il serait prématuré, pour le moment, de parler de la façon dont nous travaillerons avec ces pêcheurs pour éviter qu'ils ne soient lésés. Il faudra davantage de discussions, tant avec les Autochtones que les pêcheurs commerciaux. Ces discussions commenceront cette semaine, et je suis sûr qu'elles se poursuivront au cours des jours à venir.

Mais je conclurai en soulignant que nous nous occupons de cette question conformément à la politique en vigueur au ministère. Notre objectif est triple: premièrement, nous voulons veiller à ce que la pêche se déroule de façon à ce que les objectifs de conservation soient atteints; deuxièmement, nous devons nous acquitter de notre obligation de fiduciaire en tenant compte des droits ancestraux; troisièmement, nous devons faire en sorte que les pêcheurs commerciaux de la région ne soient pas traités injustement. Ces trois objectifs guident donc notre façon d'aborder le problème.

Monsieur Price, pourriez-vous parler des affaires Adams et Côté?

M. Price: Je n'ai pas l'intention de m'étendre longuement sur ces deux affaires. Disons que les juges ont appliqué les arrêts rendus dans la trilogie Van der Peet et conclu qu'au moins deux groupes autochtones du Québec avaient le droit ancestral de pêcher à des fins de subsistance.

.1000

L'importance de cette affaire est sans doute reliée à un argument particulier à savoir que cela s'est passé au Québec, qui se trouvait sous un régime français, lequel ne reconnaissait pas l'existence de droits ancestraux. Lorsque les Britanniques ont pris le pouvoir en 1763, les droits ancestraux n'étaient pas reconnus dans cette région. L'argument selon lequel les droits ancestraux n'existent pas dans ce qui était antérieurement la Nouvelle-France a été rejeté... Je ne suis pas certain qu'il ait été rejeté par la Cour suprême, mais les juges ont estimé que, quoi qu'ait fait le régime français, les droits ancestraux pouvaient quand même exister dans ce qui avait été la Nouvelle-France.

Pour ce qui est de pêcher sans permis, je crois que dans ce cas, la Cour a estimé que le régime de permis n'était pas justifié et non pas qu'un permis ne devait jamais être exigé. Il existe une jurisprudence selon laquelle les permis ne constituent pas une atteinte aux droits en soi. La question portait davantage sur les conditions imposées. Dans ce cas, la réglementation était très imprécise, sans lignes directrices réelles pour que les permis soient émis en tenant compte des droits ancestraux, si bien que le problème se situait plutôt à ce niveau-là. Il ne s'agissait pas de rejeter toute possibilité d'exiger un permis.

[Français]

M. Bernier: Je n'ai pas bien compris le dernier intervenant. J'ai lu dans les journaux que les autochtones auraient le droit d'aller pêcher sans permis. Je n'ai pas compris l'explication que le monsieur m'a donnée. Ce n'était pas une limitation de leurs droits. Mettez-vous à ma place ou à la place des profanes du droit autochtone, c'est-à-dire les gens qui, pour la première fois, ouvrent leur journal le vendredi matin et se demandent ce que c'est que cela. Comment va-t-on faire pour gérer cette cohabitation?

Dois-je comprendre que tous ceux qui sont autochtones au Québec peuvent aller pêcher n'importe où et que le territoire où ils iront pêcher ne doit pas nécessairement être rattaché à leur territoire de résidence? Comment va-t-on gérer tout cela? C'est peut-être M. Chamut qui aura cette tâche difficile.

La réponse de M. Chamut sur Listuguj avait trait aux permis communautaires. Vous nous dites que vous allez essayer de tout faire pour qu'il y ait le moins d'impact possible pour les pêcheurs. D'abord, le permis qu'ils ont limite le nombre de casiers, mais s'ils pêchent toute l'année durant, c'est sûr qu'ils vont sortir plus de homards que les pêcheurs commerciaux.

Donc, y a-t-il moyen de les limiter dans le temps? Si leur objectif n'est que la subsistance, on sait très bien maintenant qu'on peut garder le homard vivant en captivité durant toute une saison. On appelle cela, je pense, faire de la stabulation. J'aimerais aussi savoir si, outre la limitation du nombre de casiers, il existe une limitation du nombre de livres par habitant, puisque ce n'est que pour la subsistance. On ne peut manger 10 livres de homard par jour.

[Traduction]

M. Chamut: Je suis d'accord pour dire que, dans la plupart des cas, on ne peut pas manger dix livres de homard par jour, mais cela s'est déjà vu.

Le permis communautaire émis à la fin septembre précisait que la bande pouvait pêcher avec 200 casiers, sans préciser la quantité maximale de homard qui pouvait être pris. En effet, nos négociations avec les Autochtones n'ont pas abouti et nous avions des bases juridiques très limitées pour imposer un plafond. Mais j'ajouterais qu'en plafonnant le nombre de casiers à 200, nous limitons la quantité de homard qui peut être prise.

.1005

Nous avons également tenu compte du fait que la saison du homard touchait à sa fin compte tenu du mauvais temps et des conditions de pêche défavorables. On ne pourra bientôt plus continuer à pêcher. Nous avons donc conclu que la limitation du nombre de casiers nous permettrait de nous acquitter de nos responsabilités sur le plan de la conservation, tout en laissant aux Autochtones suffisamment de temps pour satisfaire à leurs besoins pour l'année.

Nous nous attendons à poursuivre nos discussions avec la bande de façon à ce qu'en 1997 nous disposions d'une solution permettant d'atteindre les trois objectifs que j'ai exposés plus tôt.

Le président: Combien de casiers y a-t-il en réalité?

M. Chamut: Selon le décompte le plus récent, environ 80, c'est-à-dire beaucoup moins que le nombre autorisé par le permis.

Le président: Monsieur Cummins, vous êtes bien préparé. Allez-y.

M. Cummins (Delta): Je voudrais faire une observation sur cette dernière question, pour la gouverne de mon collègue du Bloc.

M. Bernier: Excusez-moi. Il me manque une partie de la réponse. Y avait-il une deuxième partie?

[Français]

Dans sa réponse, le monsieur de la Justice ne m'a pas dit quel était l'impact du jugement de vendredi dernier, dans lequel on dit que les autochtones peuvent aller pêcher n'importe où sans avoir de permis et que leur territoire de pêche n'est pas nécessairement rattaché à leur territoire de résidence. Je voulais savoir si c'était bien ce que je devais comprendre du jugement. Si c'est cela, comment va-t-on gérer cette situation? Excusez-moi, John, mais je n'ai pas eu de réponse.

[Traduction]

M. Chamut: Je vais essayer de répondre à la première question concernant les permis, mais comme je ne suis pas avocat, si je fais erreur, mes collègues me corrigeront certainement.

Si j'ai bien compris, le jugement que la Cour suprême a rendu jeudi indiquait que la façon dont le permis était délivré ne permettait pas d'exercer un droit ancestral.

Il y a un autre jugement que j'aimerais mentionner, le jugement dit Nikal. Il a été rendu au printemps 1996, je crois. Il portait sur une affaire de pêche en Colombie-Britannique. Dans son jugement, le tribunal a conclu qu'un permis de pêche n'empiète pas nécessairement, en soi, sur le droit ancestral de pêcher à des fins de subsistance.

Pour ce qui est de la situation au Québec, les juges ont estimé que le régime de réglementation en vertu duquel le permis avait été émis ne permettait pas d'exercer un droit ancestral car il n'indiquait pas comment le permis devait être délivré aux Autochtones. Autrement dit, un permis peut être émis pour régir la pêche autochtone, mais il doit l'être dans le cadre d'une réglementation qui n'empiète pas inutilement sur l'exercice de ce droit.

Si j'ai bien compris, il suffirait d'apporter quelques modifications au régime de réglementation pour pouvoir encore émettre un permis.

Le président: Monsieur Price, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Price: Je n'ai rien à ajouter. M. Chamut a très bien décrit la situation.

Pour ce qui est de pêcher n'importe où, sans vouloir interpréter ces affaires, je dirais que la Cour a pris soin d'indiquer - et je ne veux pas me lancer dans toute cette question des droits ancestraux par opposition au titre aborigène - , même s'il existe des droits ancestraux indépendamment du titre aborigène, cela ne veut pas nécessairement dire que ces droits peuvent être exercés n'importe où. Selon toutes probabilités, l'exercice de ce droit restera limité à un endroit donné. Les juges n'ont pas été très précis quant à la façon dont cela s'appliquerait en pratique, mais ils ont pris soin d'éviter de dire que les droits ancestraux pouvaient être exercés n'importe où.

.1010

Le président: Monsieur Cummins.

M. Cummins: J'allais seulement relever une chose qui m'a paru assez curieuse dans les commentaires de M. Chamut à propos de Listuguj. Il a dit qu'il y aurait peut-être quelques problèmes cette année, mais que tout irait bien l'année prochaine et que cela ne toucherait pas l'économie locale. Il tenait le même genre de discours dans une lettre adressée à la mairesse Mary Ashley et au conseil municipal de Campbell River, en 1993. Il disait ceci:

Le discours n'a pas changé. C'est toujours la même chose. Ce qui a changé, c'est la justification de ce processus.

Ce matin, M. Chamut a mentionné que l'élément commercial de la stratégie de pêche autochtone était une décision politique sans rapport avec les jugements rendus par les tribunaux. Dans le Vancouver Sun du 22 août 1996, juste après les trois jugements, on lui attribue les propos suivants:

M. McWhinney (Vancouver Quadra): De qui sont ces paroles?

M. Cummins: De M. Chamut, citées dans le Vancouver Sun du 22 août 1996.

Cela contredit directement cette annonce publiée en 1993 par le ministère des Pêches et des Océans dans le Vancouver Sun et The Province. Elle posait la question suivante:

Afin qu'on sache bien qu'il parlait de la vente de poisson, le ministère ajoutait:

Monsieur Chamut, dans une lettre adressée aux conseils municipaux et aux districts de Colombie-Britannique, le 17 mai 1993, vous disiez:

Dans une lettre adressée à la B.C. Fishermen's Survival Coalition, le 28 octobre 1993, vous disiez ceci:

Je pourrais continuer. J'ai ici toute une pile de lettres dans la même veine qui émanent de ministres des Pêches comme M. Reid de Terre-Neuve, M. Crosbie, vous-même, monsieur Chamut, Maryantonett Flumian, etc., qui disent toutes que la politique se fonde sur l'obligation constitutionnelle définie par les tribunaux. Vous changez maintenant votre refrain. Quand aviez-vous raison? Est-ce aujourd'hui ou en 1993? Que devons-nous croire?

M. Chamut: Le ministère et moi-même, en tant que fonctionnaire, n'avons pas changé de discours pour ce qui est d'expliquer la Stratégie de pêche autochtone. L'annonce dont vous parlez présentait la Stratégie comme un programme national conçu pour mettre en oeuvre l'arrêt de la Cour suprême. S'il y a un malentendu, c'est peut-être parce que bien des gens ont cru que la Stratégie prévoyait seulement des programmes de vente pilotes dans le bas Fraser. Ce n'est pas le cas.

.1015

La Stratégie de pêche autochtone est un programme conçu, comme le dit l'annonce, et comme les lettres l'ont confirmé, pour permettre au gouvernement fédéral de s'acquitter de ses obligations de fiduciaire en permettant aux Autochtones de pêcher pour satisfaire à leurs besoins alimentaires, sociaux et rituels. En même temps, ce programme comprenait un élément qui permettait aux Autochtones de vendre, à titre expérimental, le poisson pêché dans un secteur de pêche autochtone. Comme je l'ai dit tout à l'heure, trois projets pilotes ont été lancés en 1992.

Le malentendu porte sur le fait que la Stratégie est associée uniquement au projet pilote de vente, ce qui n'est pas le cas. Le ministère ne peut pas mettre ce programme en place en considérant qu'il s'agit d'un droit et ce n'est pas ce qu'il a fait. Ce programme fait suite à une décision politique prise par le ministre.

Je crois que nous avons fait preuve de logique depuis que ce programme a été instauré en 1990.

M. Cummins: Je ne vois pas de logique dans vos propos, monsieur Chamut.

Passons à la Gazette du Canada du mercredi 30 juin 1993 où vous avez publié le règlement autorisant cette pêche commerciale exclusivement autochtone. Dans le cadre de votre justification vous dites ceci:

Vous vous servez des tribunaux pour justifier la réglementation que vous prenez pour ces permis communautaires.

Cela manque de logique, monsieur Chamut. Quand vous avez mis ce programme sur pied... pendant un an au moins, M. Crosbie n'a cessé de répéter que c'était à cause de l'arrêt Sparrow. On lui a finalement fait clairement comprendre qu'il n'en était rien et c'est devenu tout à coup une décision politique. C'est un fait.

Je ne pense pas qu'il soit utile d'en discuter davantage...

Une voix: Non.

M. Cummins: ...étant donné que vos propos de 1993 contredisent directement ce que vous disiez en août de cette année.

Le président: Je pense toutefois que vous pourriez répondre à cela.

M. Chamut: Oui, j'en serais ravi. Je peux seulement dire que mes déclarations de 1992 sont les mêmes que celles qui ont été faites en 1996. Nous avons toujours précisé que ce n'était pas à nous d'établir l'existence de droits ancestraux.

Nous avons reconnu que nous avions l'obligation de gérer la pêche de façon à satisfaire au droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles, et que la réglementation de 1993 a été mise en place sur cette base. Elle ne visait pas spécifiquement à autoriser des ventes pilotes.

Vous devez comprendre que la Stratégie de pêche autochtone est, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, un programme national qui permet de gérer la pêche autochtone d'un bout à l'autre du pays. Elle ne vise pas seulement à autoriser des ventes pilotes pour une question de politique ministérielle.

M. Cummins: Encore une fois, monsieur Chamut, vous vous contredisez et votre ministère aussi. Le 26 mai 1994, dans la Gazette du Canada, à propos du règlement visant la pêche commerciale autochtone, vous dites de nouveau à la page 94-390:

Le nouveau règlement remplace également le règlement prévoyant la délivrance de permis individuels de pêche de subsistance aux Autochtones. Les permis individuels de pêche de subsistance sont incompatibles avec la nature communautaire des perspectives de pêche autochtones, tel que défini dans le jugement Sparrow, et avec la politique de participation accrue des groupes autochtones à la gestion de leurs propres affaires.

À la suite du jugement Sparrow, une politique de négociation d'ententes avec les groupes autochtones a été adoptée comme moyen le plus efficace et rentable d'assurer la gestion des pêches autochtones et de limiter les répercussions de la réglementation sur ces pêches.

Suit une description du règlement. Vous vous servez de l'arrêt Sparrow pour justifier ce règlement dans la Gazette du Canada. C'est là noir sur blanc. Tout le monde peut le lire.

Une autre chose que je voudrais vous dire, monsieur Chamut...

Le président: Je pense que M. Chamut devrait répondre à cela avant que nous ne passions à un autre sujet.

.1020

M. Chamut: Je n'ai pas les documents sous les yeux, mais je crois que l'article de la Gazette du Canada dont vous parlez établissait les bases pour le permis de pêche communautaire.

M. Cummins: Je peux vous le répéter. Cela va plus loin.

Le président: En effet, pour les permis communautaires.

M. Cummins: Oui, et ces permis communautaires s'appliquaient à des ventes pilotes.

M. Chamut: Non. C'est sans doute la raison de notre désaccord, monsieur le président.

Le permis communautaire mentionné dans la Gazette du Canada constituait notre réponse. Selon l'arrêt Sparrow, le droit de pêcher pour satisfaire à ses besoins alimentaires, sociaux et rituels était en fait un droit communautaire. On craignait que l'émission de permis individuels de pêche de subsistance n'était plus adéquate étant donné la nouvelle définition de la nature du droit. Nous avons pris un règlement sur la pêche communautaire pour pouvoir accorder des permis de pêche autochtone, non pas pour des projets pilotes de vente, mais pour l'ensemble de la pêche autochtone du pays. C'est sur cette base que nous opérons et c'est sur cette base que nous avons émis le permis aux Autochtones de Listuguj.

Nous ne sommes pas d'accord quant à savoir si le permis communautaire permet d'autoriser des ventes pilotes, mais ce n'est certainement pas le cas. C'est un moyen d'autoriser une pêche autochtone.

Le président: John, il vous reste cinq minutes. Avez-vous une question?

M. Cummins: Il est clair qu'en le permettant, vous êtes allé au-delà de ce que prévoit la loi. Nous pouvons nous reporter à l'arrêt Gladstone dans lequel les juges ont dit ceci:

Dans votre propre factum vous en parlez également. Dans son factum, le gouvernement parle du droit de pêcher et mentionne qu'il existe un droit public de pêcher. Il est fait mention de NTC Smokehouse en indiquant que le ministère de la Marine et des Pêcheries a pour politique de ne pas priver le public du droit de pêcher dans les eaux à marée. Vous avez tenté, au moyen d'un règlement, de priver le public du droit de pêcher dans ces eaux, autrement dit, d'autoriser une pêche exclusive. Vous n'avez pas le droit de le faire par voie de règlement.

Vous pouvez vous reporter à ce qu'a dit A.W. McLelan, sous-ministre suppléant de la Marine et des Pêcheries à Sir John A. Macdonald. C'était le 30 janvier 1882. Il mentionne que «le droit de pêcher dans les eaux publiques ne peut pas être exclusif, sauf avec la sanction expresse du Parlement».

Pour ce qui est du droit public de pêcher, voici ce qu'a dit le solliciteur général de la province du Canada, commissaire des terres de la Couronne, le 11 mars 1863: «Comme je l'ai dit, la Loi vise plutôt à réglementer la pêche qu'à accorder le pouvoir de conférer des droits exclusifs».

Autrement dit, ce programme est en vigueur depuis 1992, sans le consentement du Parlement, et il est donc illégal. Le ministre a outrepassé ses pouvoirs depuis 1992. Vous le savez parfaitement. Voilà pourquoi vous avez refusé de porter des accusations contre moi en 1995, et de nouveau en 1996.

M. Chamut: Monsieur le président, l'affaire Gladstone fait allusion à l'existence d'un droit de pêcher dans les eaux à marée en vertu de la common law, mais on ajoute que ce droit ne peut être abrogé qu'en adoptant une loi pertinente. Ce principe me paraît bien établi.

Il est aussi bien établi dans le droit canadien que le droit public de pêcher est assujetti à la réglementation fédérale. Il y a une Loi sur les pêches qui régit cela et qui nous autorise à émettre des permis et à réglementer l'ouverture et la fermeture de la pêche dans le cadre d'un régime global de réglementation. C'est un exercice tout à fait légitime de l'autorité fédérale.

.1025

Monsieur le président, on nous a dit que les programmes de vente pilotes cadraient tout à fait dans l'exercice légitime du pouvoir de réglementation des pêches du ministre. Les ventes pilotes ne créent pas de pêcheries exclusives. Une pêcherie exclusive se définit généralement comme un droit de propriété et tel n'est pas l'effet des ventes pilotes. Elles représentent simplement l'exercice du pouvoir que la Loi sur les pêches confère au ministre pour limiter et réglementer la pêche. Ce que nous faisons à cet égard ne diffère en rien de la façon dont nous gérons les autres pêches côtières, que ce soit la pêche à la traîne, à la seine ou au filet maillant, des pêches pour lesquelles nous octroyons des permis pour divers types d'engins, tout cela étant clairement autorisé par la Loi sur les pêches.

Le président: Pourquoi se reporte-t-on à la Grande charte pour les droits de pêche dans les eaux à marée? D'où cela vient-il?

M. Cummins: La Grande charte contenait un article, je crois que c'était l'article 47 ou 49, qui enlevait à la Couronne le droit d'accorder des faveurs à des amis; autrement dit, elle ne permettait pas à la Couronne de dire que le poisson de certaines eaux ne pouvait être pris que par un certain groupe de personnes. Depuis cette époque, on considère que le droit de pêcher est un droit public. La limitation de ce droit public, c'est-à-dire le système de permis dont M. Chamut a parlé, constitue une limitation, mais tout le monde a quand même accès à la pêche. Si vous achetez un permis, vous pouvez pêcher.

Des droits exclusifs ne peuvent être accordés qu'avec le consentement du Parlement. Comme le disait le solliciteur général de la province du Canada, des droits de pêche exclusifs ne peuvent pas être accordés par la Couronne. Autrement dit, vous ne pouvez pas le faire par voie de règlement. Le ministre n'en a pas le pouvoir. Seul le Parlement a le pouvoir de conférer des droits exclusifs alors que cette stratégie de pêche autochtone en confère. Elle ne respecte pas la loi étant donné que le ministre a outrepassé ses pouvoirs en autorisant ces pêches... et il le fait toujours. Voilà pourquoi, dans la nouvelle Loi sur les pêches, l'article 17 confère au ministre le pouvoir de le faire.

Le président: Avons-nous une réponse? Dans ce cas, nous passons du côté du gouvernement.

M. Chamut: Je pense avoir exprimé mon opinion. Je ne crois pas pouvoir ajouter grand-chose.

M. McWhinney: Je me demande si je ne pourrais pas demander quelques éclaircissements, surtout à M. Price.

Nous conviendrons que l'article 35 de la Charte ne crée pas de nouvelle loi. Il reconnait simplement l'existence de ce qui existe déjà, mais il s'abstient délibérément d'en définir la teneur. Est-ce une bonne interprétation de votre position?

M. Price: En fait, cet article confère une protection constitutionnelle à des droits qui existaient ou continuent d'exister en vertu de la common law.

M. McWhinney: Mais sans les définir.

M. Price: Oui. En fait, comme vous le savez, il y a eu une série de conférences constitutionnelles qui visaient à définir ces droits. Elles ont eu lieu dans les années 80.

M. McWhinney: Je mentionnerai seulement en passant que l'article 35 ne figurait pas dans la version initiale, mais que le sénateur Ray Perrault, moi-même et plusieurs autres personnes ont suggéré de l'inclure au premier ministre d'alors. Nous avons préconisé qu'il ne définisse pas les droits, mais qu'il se contente de les préserver. Nous sommes partis du principe qu'ils seraient précisés par des jugements, de nouvelles lois ou de nouvelles ententes, par ce que nous appelons, plutôt à tort du point du vue du droit constitutionnel, des traités.

Pour ce qui est du deuxième point, vous conviendrez également qu'il n'y a rien qui corresponde à ce qu'on appelle, en droit civil, la jurisprudence constante et que nous appellerions une série de précédents, rien sous la forme d'arrêts de la Cour suprême, si ce n'est quelques décisions sans grand rapport entre elles et portant sur des faits précis. Est-ce exact?

.1030

M. Price: Je ne suis pas certain d'avoir compris la question.

M. McWhinney: Pour ce qui est de définir les droits ancestraux, en ce qui concerne la pêche, les jugements rendus pourraient se compter sur les doigts d'une seule main?

M. Price: Les lignes directrices dont nous disposons sont assez générales et...

M. McWhinney: Et assez limitées.

M. Price: Oui.

M. McWhinney: Vous conviendrez également que les décisions sont variées. Elles semblent parfois constituer le plus petit dénominateur commun et elles sont axées sur des faits précis. Autrement dit, elles ont été prises en fonction de faits spécifiques ou elles se limitent à des circonstances bien précises.

M. Price: Je ne sais pas très bien où tout cela nous mène, mais...

M. McWhinney: Vous pouvez exprimer votre désaccord si vous le voulez.

M. Price: Je crois que l'arrêt Van der Peet faisait allusion à cela ainsi qu'à l'arrêt Kruger, qui est le principal...

M. McWhinney: Nous conviendrons également que la Cour suprême a manifesté une tendance à respecter les limites de ses propres capacités pour ce qui est d'établir les faits et qu'elle s'en est donc remise, de façon assez surprenante, aux jugements des instances inférieures qui ont rendu les premiers jugements.

M. Price: Je ne suis pas certain de vouloir en discuter avec vous, mais en général les cours d'appel s'en remettent aux faits constatés en première instance.

M. McWhinney: Disons dans les domaines où des compétences particulières sont requises. Je crois qu'en général, les tribunaux de dernier recours n'hésitent pas à imposer leur propre interprétation des faits juridiques, qui sont définis comme des faits de notoriété publique. Il s'agit là d'un domaine assez particulier dans lequel les tribunaux s'en sont remis aux instances inférieures, n'est-ce pas?

M. Price: Je dirais que c'est exact dans l'ensemble.

M. McWhinney: Pour en revenir, en faisant une petite digression, à la Grande charte, vous conviendrez que la grande charte est l'une des lois britanniques que le Canada a reçues, selon la terminologie juridique de l'époque, au moment de la colonisation, n'est-ce pas?

M. Price: Je pense que c'est ce que le Conseil privé a décidé. Ces affaires concernant la pêche sont importantes, mais il y a également eu d'importantes affaires avant cela. Elles ont été jugées au début du siècle et elles étaient...

M. McWhinney: Mais comme toutes ces lois britanniques, qui ont été reçues au Canada au moment de la colonisation officielle - et je suppose que les lois françaises ont été reçues en même temps au Québec - ont pu être modifiées, abrogées ou supplantées par des lois ultérieures de l'assemblée législative canadienne compétente.

M. Price: Oui, sous réserve des limites imposées par la Constitution.

M. McWhinney: Parlez-vous de limitations constitutionnelles remontant aussi loin que la Grande charte ou à une loi britannique...? Sommes-nous limités?

M. Price: Je ne suis pas certain de vouloir me lancer dans un débat sur...

M. McWhinney: N'avons-nous pas aboli, par exemple, la règle limitant la succession monarchique...

M. Price: Nous nous éloignons beaucoup des questions de pêche pour nous lancer dans le droit constitutionnel.

M. McWhinney: Je le sais, mais...

M. Price: Il est possible que, depuis 1982...

M. McWhinney: Cependant, les lois dont nous avons hérité au moment de la colonisation - nous ne parlons pas de 1867 et des dispositions prises alors, mais des lois dont nous avons hérité - sont placées sous la juridiction des assemblées législatives canadiennes compétentes.

Par conséquent, même si l'interprétation de la loi peut être discutable, M. Chamut aurait raison de dire que la Loi sur les pêches peut supplanter ou modifier la Grande charte dans la mesure où elle ne s'y conforme pas.

Je ne vous demande pas de répondre par l'affirmative ou la négative. C'est une autre question.

M. Price: Je n'en disconviens pas.

M. Cummins: Cela me paraît insensé.

M. McWhinney: Non, c'est élémentaire, mais il s'agit peut-être de voir si cela a été fait.

M. Cummins: La Grande charte est citée par les juges, non seulement dans cette affaire, mais dans d'autres, ce qui lui confère un certain poids. La réglementation des pêches ne peut certainement pas la supplanter.

M. McWhinney: Elle a du poids, mais il ne fait aucun doute que la Constitution canadienne de 1867 créait un pays souverain possédant des pouvoirs pléniers en ce qui concerne ses propres dispositions constitutionnelles, dans les limites fixées par la Loi de 1867.

.1035

M. Cummins: Mais il n'y a pas eu de loi habilitante. Voilà de quoi nous parlons.

M. McWhinney: Telle était la deuxième question soulevée, mais pour ce qui est du principe général, vous devez reconnaître...

Le président: Je pense que nous devrions nous adresser à nos témoins. Nous avons des témoins, alors servons-nous-en. Si vous voulez discuter de la Grande charte ou d'autre chose, vous pouvez le faire à un autre moment.

M. McWhinney: Je parlais avec M. Price et M. Cummins est intervenu, à juste titre, car cette question l'intéressait, mais je crois que M. Price y a répondu.

Le président: Il faudrait quand même en finir.

M. McWhinney: Ma question suivante est celle-ci.

En l'absence de jurisprudence constante et de jugements définitifs de la part de la Cour suprême, même de simples questions comme l'existence d'un droit de pêche ancestral, qui font partie des questions couvertes par l'article 35, doivent être tranchées en fonction de la jurisprudence et selon que cette dernière a considéré qu'il s'agissait de principes généraux ou d'un fait particulier dans une affaire particulière soumise à la Cour, n'est-ce pas?

M. Price: Je ne suis pas certain d'avoir compris.

M. McWhinney: Je croyais vous avoir entendu dire tout à l'heure - ou peut-être était-ceM. Chamut? - que le droit ancestral de pêcher était reconnu comme un droit général. Mais j'ai cru comprendre également qu'il s'agit là de jugements particuliers rendus dans des circonstances précises et que ces questions doivent être déterminées au cas par cas. Ou diriez-vous qu'un principe général se dégage de cette jurisprudence assez limitée et éparpillée?

M. Price: Il serait plus exact de dire que ces décisions s'appliquent à un endroit précis. Ce sont les preuves présentées pour des groupes donnés qui établiront quels sont leurs droits.

M. McWhinney: Par conséquent, nous dépassons la dimension juridique. Mais pour ce qui est de déterminer la portée des droits ancestraux sur le plan de la pêche, étant donné le caractère limité de la jurisprudence et l'absence de définition à l'article 35 de la Constitution, on a en principe une stratégie autochtone qui prévoit une liaison entre les divers ministères et un examen de la situation pour déterminer s'il y a lieu de procéder par voie judiciaire, par voie législative ou par traité. Serait-ce la position du gouvernement? Je crois que cette question est davantage du ressort deM. Chamut.

M. Chamut: Désolé, monsieur McWhinney. Pourriez-vous répéter la question?

M. McWhinney: Nous examinons la stratégie relative à ces questions. Si la jurisprudence est relativement limitée et axée sur les faits, l'article 35 ne donnant pas lui-même de définition des droits ancestraux, la stratégie qui permettra de tenir compte des jugements des tribunaux, de la jurisprudence, de la législation et des traités reste encore à négocier, n'est-ce pas? Nous avons là une question dont les contours restent encore à définir.

M. Chamut: Dans mes propos, j'ai tenté de décrire le droit de pêcher commercialement comme un droit déterminé au cas par cas. Notre ministère n'est pas en mesure de porter des jugements quant à savoir si un groupe possède ou non ce droit.

Je préférerais que nous puissions négocier une entente afin d'éviter ce qui peut être souvent une procédure judiciaire très longue et très difficile. Je crois préférable, en effet, de négocier des ententes, mais le temps que cela exigera nous amènera à nous poser des questions plus immédiates quant à la façon de procéder à court terme jusqu'à ce que nous disposions d'une procédure de négociation qui permettra de résoudre certaines de ces questions plus adéquatement et de façon plus définitive.

M. McWhinney: Merci.

Le président: Il reste quelques minutes, Harold. Voulez-vous les utiliser ou préférez-vous que je vous redonne la parole plus tard?

M. Culbert (Carleton - Charlotte): Je peux les utiliser. Je n'ai qu'une ou deux brèves questions à poser.

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Bonjour et bienvenue. Vous vous réjouirez d'apprendre que je ne suis ni avocat ni constitutionnaliste et que mes questions n'iront donc pas du tout dans ce sens. Mais attendez-vous... J'ai oublié de revoir l'histoire de la Grande charte avant de quitter mon bureau ce matin...

Des voix: Oh, oh!

M. Culbert: Mais j'ai une ou deux questions à poser, monsieur le président.

Étant donné la loi actuellement en vigueur ou, si vous me passez l'expression, la «vieille Loi actuelle sur les pêches», pour ce qui est de la surveillance et de l'application, la nouvelle loi permettra-t-elle des améliorations. Dans l'affirmative, de quelle façon? Ou devons-nous nous fier uniquement à la Constitution? Je veux parler des droits ancestraux, de la pêche, etc.

M. Chamut: Monsieur le président, nous essayons d'apporter quelques améliorations aux dispositions d'application de la loi. Ces dernières devraient apporter des éclaircissements supplémentaires, certains pouvoirs ou encore des améliorations sur le plan des peines prévues, de façon à favoriser l'observation de la loi.

Pour répondre à votre question, en plus de ces améliorations, nous devons certainement faire en sorte que toute nouvelle loi soit conforme à la Constitution et aux obligations que celle-ci confère au gouvernement fédéral.

Par exemple, dans la loi et le règlement, nous devons tenir compte de ce que la Cour suprême nous a dit dans l'affaire Sparrow à propos des droits ancestraux. Quand nous recevons ces jugements, nous devons veiller périodiquement à modifier toute disposition contraire de la réglementation afin qu'elle se conforme à nos obligations constitutionnelles.

À titre d'exemple, quand le jugement Sparrow a été rendu, il a eu des répercussions sur un grand nombre des règlements en vigueur, parce que ces derniers empiétaient indûment sur un droit ancestral. Ces règlements ont été modifiés et un certain nombre de changements ont permis de tenir compte de l'existence nouvellement constatée d'un droit qui était protégé par l'article 35.

M. Culbert: Monsieur Chamut, si j'ai bien compris, toute nouvelle loi doit chercher à clarifier les situations ambiguës en tenant compte des exigences de la Constitution?

M. Chamut: En effet, si une anomalie de ce genre existe, nous essayons de la déceler. Je pourrais demander à mes collègues s'ils sont au courant de changements qui ont été apportés pour la raison que vous mentionnez. J'ignore s'il y en a eu.

Monsieur Gale.

M. Edward Gale (directeur général, Affaires autochtones, Gestion des pêches, ministère des Pêches et des Océans): Non. Je ne peux pas citer de changement particulier que nous ayons apporté cette fois-ci à la loi à la suite des jugements rendus. Ce que nous avons fait a été examiné par des spécialistes du droit constitutionnel de même qu'un certain nombre d'autres conseillers juridiques, et c'est conforme à nos obligations constitutionnelles.

En troisième lieu, je dois dire que la Loi sur les pêches est en fait, une loi habilitante. Elle comporte très peu de dispositions précises. Elle établit un cadre juridique et ce qu'on pourrait appeler des pouvoirs génériques qui, souvent, prennent corps sous la forme de règlements. C'est donc plus souvent dans les règlements qu'on trouvera des détails susceptibles de causer des problèmes en ce qui concerne la gestion des pêches.

Côté et Adams est un bon exemple. Il s'agit d'un jugement récemment rendu au Québec qui s'en prenait au pouvoir d'octroi des permis prévu dans le règlement. En fait, ce règlement a été modifié depuis.

Le président: Nous aurons maintenant des tours de cinq minutes. Monsieur Bernier.

.1045

[Français]

M. Bernier: Monsieur le président, je vais essayer d'être bref. J'aimerais demander àM. Chamut de me donner une définition de ce qu'on entend par la quantité que les autochtones ont le droit de pêcher pour leur subsistance.

Plus tôt, j'ai terminé par une boutade à propos des dix livres, mais je ne suis pas sûr d'avoir reçu une réponse claire. À quelle quantité les autochtones ont-ils droit en vertu du permis subsistance?

En ce qui a trait au jugement de vendredi dernier, lequel dit que les autochtones peuvent aller pêcher n'importe où, son interprétation me fait peur. J'aimerais savoir si ce jugement a un impact sur la demande des Micmacs de Listuguj, parce que s'ils peuvent aller pêcher en dehors de leurs territoires, le problème que l'on vit dans la baie des Chaleurs s'étendra sans doute ailleurs. S'ils pensent qu'il n'y a pas assez de homard ou que le homard n'est pas assez gros dans la région de la baie des Chaleurs, en face de Listuguj, ils pourront venir le pêcher là où il est plus gros. Donc, il est important de savoir quelle quantité ils ont le droit de prendre.

[Traduction]

M. Chamut: Pour ce qui est de savoir combien de poisson suffit à répondre aux besoins alimentaires, cela n'a pas été quantifié. C'est une des questions les plus complexes que nous devons résoudre. Nous le faisons dans le cadre d'un processus de négociation. Un droit de pêche de subsistance doit certainement être limité d'une façon ou d'une autre, étant donné que la quantité de poisson qu'une personne ou un groupe peut consommer doit avoir certaines limites.

Dans d'autres domaines, nous essayons de parvenir à un consensus ou à une entente quant à la quantité de poisson requise pour satisfaire aux besoins alimentaires d'une bande. Les besoins alimentaires des divers groupes sont comblés par diverses espèces de poisson. Dans bien des cas, nous cherchons donc un juste milieu afin de satisfaire à des besoins alimentaires raisonnables. Cela varie d'une bande à l'autre, selon ses préférences, selon ses possibilités, et en fonction de certains facteurs historiques.

Si nous négocions avec un groupe, comme le jugement Sparrow nous ordonne de le faire, et si ce groupe ne veut pas négocier une capacité de pêche raisonnable pour répondre à ses besoins alimentaires, le ministère a le pouvoir de lui imposer un permis stipulant une quantité de poisson ou un régime de pêche donné qui, de l'avis du ministère, lui permettra de répondre à ses besoins. Ce n'est donc pas illimité. Mais nous préférons négocier une entente, car c'est plus conforme aux exigences du jugement Sparrow, et un consensus permet une gestion plus harmonieuse de la pêche. Mais comme je l'ai dit, lorsque ce consensus n'est pas possible, nous pouvons imposer un permis autorisant un groupe à pêcher une quantité limitée de poisson pour répondre à ses besoins alimentaires.

Pour en revenir à la question de Listuguj et de l'application des jugements rendus, jeudi dernier, aux activités de pêche de la bande, vous avez demandé si ces jugements permettraient ou non à la bande Listuguj de pêcher dans pratiquement n'importe quel endroit où la pêche est meilleure que dans son propre territoire. Si j'ai bien compris, la Cour suprême a indiqué clairement que le droit de pêcher pour satisfaire à ses besoins alimentaires était associé à un droit limité sur le plan géographique.

.1050

La Cour a apporté un certain nombre de précisions quant à savoir si ce droit doit être associé ou non à un titre aborigène. Elle a conclu qu'un titre n'était pas une condition préalable nécessaire pour revendiquer le droit de pêcher pour se nourrir, mais elle a déclaré que ce droit était limité du point de vue géographique.

Par conséquent, dans les circonstances que vous évoquez, je dirais que la bande Listuguj a le droit de pêcher pour satisfaire à ses besoins alimentaires, dans son territoire traditionnel. Si la bande Listuguj décidait d'exercer ce droit à un endroit plus éloigné, je ne pense pas qu'elle exercerait légitimement son droit ancestral, car ce serait en dehors de son cadre normal et traditionnel d'activité et de pêche.

Le président: D'accord. John, avez-vous une question?

M. Cummins: Oui. C'est à propos de ce que M. Chamut vient de mentionner. Il a dit que les besoins alimentaires variaient d'une bande à l'autre, selon les possibilités. En fait, il aurait dû préciser qu'il s'agissait des possibilités de vente.

Dans le factum du gouvernement sur l'affaire Van der Peet, il est dit que les prises faites par les Indiens comme pêche de subsistance avaient beaucoup augmenté ces dernières années. En 1979, les Indiens ont pêché environ 290 000 saumons quinnat dans le cadre de leur pêche de subsistance, dont 135 071 pour les Sto:Lo, soit 57 p. 100 du total. En 1987, ces prises se chiffraient à environ 468 000 dont 256 734 pour les Sto:Lo, soit 55 p. 100 du total. Cela représente 370 livres de saumon par Sto:Lo et par an. Je suppose qu'ils ne mangent pas chez McDonald.

Le factum du gouvernement ajoute:

Dans une lettre qu'il adressait à Bob McKamey, le 4 octobre 1993, Ross Reid, alors ministre des Pêches et des Océans disait ceci:

Mais vous aussi, monsieur Chamut, dans une lettre adressée à Mary Ashley et au conseil du district de Campbell River, vous reliez la vente de poisson aux jugements de la Cour suprême. Dans le deuxième paragraphe de cette lettre, vous dites:

Au quatrième paragraphe vous dites:

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Vous reliez les deux. Le gouvernement en a fait autant et M. Reid aussi. Le gouvernement a relié les deux éléments dans son propre factum.

M. Chamut: Monsieur le président, je ne sais pas exactement quelle est la question. Si c'est celle que nous avons déjà abordée, ma réponse est la même. La Stratégie de pêche autochtone était un programme qui visait certainement à régler la question du droit ancestral de pêcher pour répondre à des besoins alimentaires, sociaux et rituels.

Le programme de vente pilote faisait partie de cette stratégie. Je ne crois pas avoir jamais dit ou laissé entendre que les projets de vente pilote ne faisaient pas partie de la Stratégie de pêche autochtone. C'en est un très petit élément par rapport à l'ensemble des objectifs et des buts du programme.

Quant à savoir s'il y a un lien ou non, je n'ai jamais laissé entendre, pas plus que les renseignements que M. Cummins a sous les yeux, que les projets de vente pilote n'ont pas été annoncés dans le cadre de la Stratégie de pêche autochtone. Mais il n'en reste pas moins que cette stratégie a été conçue pour que nous respections nos obligations de fiduciaire envers les Autochtones en ce qui concerne la pêche de subsistance. En même temps, nous avons autorisé le programme de vente pilote pour diverses raisons que M. Cummins a indiquées dans la lettre.

M. Cummins: Vous avez fait le lien avec les jugements rendus.

M. Chamut: C'est ce que vous affirmez, monsieur. Je ne crois pas que ce soit lié aux jugements des tribunaux comme vous le dites. Les jugements en question avaient été rendus par des instances inférieures. Ils venaient de l'être au moment où cette lettre a été rédigée.

M. Cummins: Non, vous avez fait le lien avec l'arrêt Sparrow dans la lettre que j'ai ici.

Le président: C'est une question d'opinion. L'un dit qu'il y a un lien et l'autre dit le contraire. Je ne pense pas que cela nous mènera bien loin.

M. Chamut: Monsieur le président, je peux seulement réaffirmer ce que j'ai déjà dit.

M. Cummins: À quel moment?

M. Chamut: Chaque fois que j'ai eu l'occasion de parler publiquement ou de communiquer avec quelqu'un, par lettre ou de vive voix.

Une voix: D'accord.

M. Chamut: À ma connaissance, nous n'avons jamais dit que les ventes pilotes avaient été mises sur pied parce que les Sto:Lo, les Nuu-chahnulth ou les Skeena avaient le droit ancestral de vendre du poisson. Notre ministère n'a ni le pouvoir, ni l'intention de créer ou de définir un droit. Pour une question de politique, nous avons autorisé les Autochtones de trois régions précises à vendre du poisson, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que la Loi sur les pêches confère au ministre.

Le président: Monsieur Wells.

M. Wells (South Shore): Monsieur le président, j'ai une brève question sur le même sujet, mais je voudrais changer de côte pour un instant.

Peut-être peut-on dire que la Stratégie de pêche autochtone cherchait à répondre à l'arrêt Sparrow.

M. Chamut: C'est exact.

M. Wells: De façon générale.

Je voudrais passer à l'affaire Donald Marshall. Je ne sais pas qui pourra me répondre, mais quelqu'un connaît certainement le sujet.

Toutes les affaires dont nous avons parlé jusqu'ici se fondent sur des droits ancestraux. Dans l'affaire Marshall, je crois que c'était un droit issu de traités.

M. Chamut: C'est exact.

M. Wells: C'est important en soi, mais peut-être pourriez-vous nous parler de la décision rendue dans l'affaire Marshall et de son importance.

M. Chamut: Monsieur Wells, n'étant pas avocat, je dois préciser que mes propos ne se fondent pas sur une connaissance détaillée de la loi.

Dans l'affaire Marshall, on affirmait que les traités signés entre les Micmacs et le gouvernement britannique de l'époque conféraient aux Autochtones un droit issu de traités de vendre le produit de leur pêche. Au moins deux traités différents ont été invoqués, soit celui de 1761 et celui qui l'a précédé immédiatement.

.1100

Comme vous le savez, les deux parties ont présenté une preuve volumineuse. Selon le jugement initial du tribunal, le traité de 1761 ne conférait pas de droit issu de traités autorisant les Autochtones à vendre leur poisson.

M. Wells: Était-ce du poisson en général ou seulement des anguilles? Était-ce limité à une espèce donnée?

M. Chamut: Si j'ai bien compris, c'était encore plus général. Il s'agissait de permettre aux Micmacs de se livrer au commerce... je crois que c'étaient des produits de la pêche et de la chasse.

L'infraction qui a donné lieu au procès était la pêche et la vente d'anguilles sans permis de pêche commerciale et M. Marshall a affirmé que le traité l'autorisait à le faire. Le tribunal a conclu que non. S'il avait rendu un jugement différent, je ne crois pas qu'il se serait appliqué uniquement à la pêche à l'anguille; son application aurait été beaucoup plus vaste et se serait sans doute étendue à d'autres animaux.

Bien entendu, la cause est maintenant en appel et nous nous attendons à ce que d'autres jugements soient rendus par l'instance supérieure.

M. Wells: Avez-vous autre chose à ajouter? Tout le monde partage cette opinion?

M. Chamut: Vous ne devez pas nécessairement être d'accord avec moi.

M. Wells: Je ne cherche pas des motifs de désaccord. Je veux seulement savoir si quelqu'un souhaite ajouter quelque chose.

Le président: Peut-être ne sont-ils pas vraiment prêts à répondre à cette question, mais nous examinons d'autres jugements plutôt que celui-ci.

M. Wells: C'est très important pour la côte est, et je pense pour tout le monde...

Le président: Je suis d'accord sur ce point.

M. Wells: ...c'est peut-être aussi important.

J'ai une dernière question. Monsieur Price, dans la trilogie, telle qu'on l'appelle, deux affaires comportaient des jugements dissidents. Je me demande même si ce n'était pas le cas pour les trois. Ces jugements dissidents revêtent-ils une importance quelconque, d'autant plus... Était-ce l'arrêt Van der Peet qui comportait deux jugements dissidents?

M. Price: Les trois affaires ont fait l'objet de jugements dissidents. Les juges dissidents n'étaient pas les mêmes. Dans l'affaire Gladstone, c'est le juge LaForest, je crois, qui a émis une opinion différente. Dans les deux autres, c'étaient les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin.

Je ne suis pas certain que ce soit vraiment important. La Cour suprême n'est pas toujours unanime.

Dans l'affaire Sparrow, c'était le jugement de la Cour. Je dirais seulement que les opinions étaient partagées à sept contre deux ou à huit contre un. Dans certains cas, c'était plus compliqué, car vous aviez cinq juges qui allaient dans une direction et cinq autres dans une autre direction. Je peux dire que même s'il y a eu des jugements dissidents, le verdict a été rendu à la majorité.

Cela ne veut pas dire qu'un jour on ne puisse pas se référer à ces jugements dissidents. Il arrive parfois qu'on s'y réfère...

M. Wells: La Cour siégeait donc au grand complet.

M. Price: En effet.

M. Wells: Les décisions ont été rendues à huit contre un et à sept contre deux.

M. Price: Oui.

Le président: Je crois avoir coupé la parole à Harold tout à l'heure. Avez-vous une autre question?

M. Culbert: Oui, monsieur le président, s'il nous reste une minute ou deux.

Monsieur Chamut, si vous vous souvenez des questions précédentes, je voulais en venir au fait que tout nouveau permis émis pour de nouvelles espèces de poisson, aujourd'hui et demain, devra offrir les mêmes possibilités de pêche commerciale aux Autochtones ou aux Premières Nations. Est-ce exact?

M. Chamut: Ce n'est pas tout à fait comme vous l'avez dit.

M. Culbert: Alors dites-moi ce qu'il en est.

.1105

M. Chamut: Nous avons indiqué que nous allions examiner la possibilité de pêcher de nouvelles espèces actuellement sous-exploitées et que, dans le cadre de notre politique, nous comptions offrir aux groupes autochtones la possibilité de participer à ces nouvelles pêches.

Pour une question de politique et non pas de droit, nous avons dit que nous accorderions des permis à des groupes autochtones pour leur permettre de se joindre à la pêche commerciale. Ils obtiendront des permis au même titre que les autres groupes. Il s'agit avant tout d'une politique de promotion sociale visant à accroître la présence autochtone dans le secteur de la pêche commerciale. Mais c'est surtout une question de politique et non pas une question de droit.

M. Culbert: Depuis combien de temps est-ce votre politique?

M. Chamut: C'est depuis 1993, environ, que l'on s'efforce d'accroître la participation autochtone par ce moyen.

M. Culbert: Cela fonctionne-t-il?

M. Chamut: Un certain nombre de bandes en ont bénéficié. Je sais par exemple que, pour la pêche au crabe, des permis temporaires ont été émis et que des groupes autochtones en ont obtenu un certain nombre. Nous avons également élargi les possibilités pour ce qui est des oursins, une nouvelle pêche pour laquelle nous avons accordé des permis à des bandes. Cela leur a apporté des débouchés économiques et je pense donc que cette politique a eu des résultats positifs. Je ne crois pas qu'un grand nombre de permis aient été transférés de cette façon, mais je pense qu'avec le temps il y en aura davantage, au profit des communautés autochtones.

M. Culbert: Merci.

Monsieur le président, simplement pour apporter un éclaircissement au sujet d'une question que M. Cummins a soulevée tout à l'heure, je viens d'étudier la Grande charte et je ne vois pas où il y est fait mention de la pêche, sauf pour ce qui est d'enlever les bordigues des cours d'eau, ou plus précisément de les enlever de la Tamise et de la Medway et dans toute l'Angleterre, sauf sur le littoral. C'est la seule allusion à la pêche que j'ai pu trouver dans la Grande charte.

Monsieur Cummins, je me demande où cela figure. Comme je l'ai dit, je ne prétends pas être avocat.

M. Cummins: Je ne conteste pas l'opinion de la Cour suprême. Jetez un coup d'oeil sur l'affaire Gladstone; c'est là quelque part à l'article 47 ou un autre.

M. Culbert: Merci, monsieur le président.

Le président: Nous n'avons presque plus de temps. Avez-vous une autre brève question, John?

M. Cummins: En fait, une ou deux petites, si vous le permettez.

Dans l'affaire Van der Peet, la Cour suprême a dit ne pas pouvoir démontrer que les Sto:Lo avaient effectivement le droit de pêcher sur une échelle commerciale, mais que tout groupe qui en aurait la possibilité, pourrait toutefois faire la preuve de ce droit. J'aimerais savoir quelles sont, selon vous, les chances que d'autres groupes puissent faire la preuve d'un droit de pêche commerciale.

M. Price: Je ne suis pas certain de pouvoir exprimer une opinion. Les juges ont énoncé le critère à appliquer. Si l'affaire Van der Peet est importante, c'est en raison de ce critère et nous devrons attendre de voir les preuves que les groupes autochtones intéressés pourront produire. Comme je l'ai dit, et comme M. Chamut l'a dit aussi, je pense, les groupes autochtones sont convaincus de pouvoir remplir ce critère. Mais ce n'est pas à moi d'en parler.

M. Cummins: Cela étant, monsieur Chamut, le budget des dépenses pour 1996-1997 comportait une section sur la Stratégie de pêche autochtone, comme vous le savez sans doute, et il y est dit que vous préparez un document de discussion sur l'orientation future de la SPA et que vous tiendrez des consultations approfondies avec les parties prenantes d'ici le 31 mars 1996. Cela a-t-il été fait?

Dans la deuxième partie, il est dit que vous allez préparer un mémoire à l'intention du Cabinet, en 1996, ce qui sera suivi par la préparation d'un document de politique sur la SPA.

Je voudrais donc savoir qui vous avez consulté et quelles seront les répercussions de ces jugements sur l'orientation de la SPA étant donné les remarques du conseiller juridique?

.1110

M. Chamut: Monsieur le président, nous avons entamé des consultations l'hiver dernier et au début du printemps. Nous avons rencontré un très grand nombre de groupes du pays qui représentaient les Autochtones, les titulaires de permis de pêche commerciale, de même que les pêcheurs sportifs.

Nous avons rencontré la plupart des groupes organisés des deux côtes pour parler de la Stratégie de pêche autochtone, pour connaître leur opinion sur la progression de la politique et nous comptons soumettre bientôt un mémoire au Cabinet. Il est certain que les jugements de la Cour suprême auront certaines conséquences juridiques, et c'est ce que nous examinons, comme nous l'avons dit tout à l'heure. Nous avons l'intention de réexaminer la question des ventes pilotes, avant de prendre une décision définitive.

Le président: Merci beaucoup d'être venus. Nous avons eu une matinée très intéressante. Je ne pense pas que le sujet soit déjà épuisé et nous vous demanderons sans doute de revenir.

Chers collègues, comme vous le savez, la Loi sur les pêches a été déposée en première lecture. Si vous avez des suggestions à faire quant aux dates où nous devrions aller dans vos circonscriptions ou dans vos provinces, faites-le moi savoir. Nous devrions nous réunir à notre retour du congé de l'Action de Grâces pour déterminer ce que nous ferons. Réfléchissez à ces questions. Nous nous reverrons le 29 octobre; je crois que la prochaine réunion portera sur la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique.

La séance est levée.

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