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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le vendredi 22 novembre 1996

.1336

[Traduction]

La présidente: Reprenons. Nous allons passer à la deuxième partie; j'ai conservé ma liste de noms et je vais donner maintenant la parole aux personnes qui n'ont pas eu l'occasion d'intervenir ce matin.

Nous arrivons au second thème, celui des approches possibles au traitement des enfants et des jeunes qui se retrouvent dans le système de justice pour les jeunes. Il s'agit donc de l'étape qui suit le dépôt des accusations. Je crois que ce thème permet d'aborder toute une série de questions, depuis les âges maximum et minimum jusqu'au renvoi, jusqu'aux rapports entre les policiers et les jeunes, et toute une série de questions. Je vais demander à Mme Torsney de prendre cinq minutes pour nous exposer son point de vue.

Mme Torsney (Burlington): Merci, madame la présidente. J'espère que nous allons nous en tenir aux thèmes proposés mais je voulais prendre un peu de recul et peut-être aménager une transition avec la section suivante.

Je voulais approfondir un point que Mme de Villiers avait mentionné et dont j'ai parlé déjà à plusieurs reprises. Je n'ai pas d'enfant, ce que j'ai oublié de mentionner plus tôt, mais j'ai toujours pensé que l'éducation des enfants était un travail très important; les parents s'en chargent sans y être nécessairement préparés et il n'y a pas de programmes dans ce domaine. La seule qualité qui est exigée est la capacité de faire des enfants.

C'est pourquoi je me demande - et j'en ai déjà parlé dans les écoles et dans des établissements qui s'occupent de jeunes qui ont déjà des problèmes - pourquoi nous n'avons pas introduit différents modèles d'éducation des enfants dans ce groupe témoin d'enfants d'âge scolaire. Pourquoi ne parlons-nous pas de cela avec les autorités scolaires? Pourquoi n'y a-t-il pas davantage de programmes en règlement des conflits et de médiation par les pairs dans les écoles? Pourquoi le Earlscourt Project doit-il faire face à des enseignants qui déclarent «Non, notre politique c'est la tolérance zéro. Je n'ai pas envie de connaître vos autres programmes. Nous savons comment enseigner.» Pourquoi n'essayons- nous pas d'intégrer ces autres éléments?

Il existe différents modèles. Le Community Child Abuse Council de Hamilton, qui est financé par le Rotary Club, offre un programme qui vise à enseigner à ces jeunes diverses techniques de résolution de conflit et des moyens de mettre fin au cycle de la violence. Je crois qu'il faudrait étendre ce genre de programme.

Comme l'a déclaré un enseignant de ma circonscription qui travaille sur la gestion du comportement comme un préalable à l'instruction, nous devons découvrir de meilleures façons de communiquer avec les enfants, y compris les enfants qui ne semblent pas avoir de démêlés avec la justice.

Vous avez parfaitement raison, Mme de Villiers. Il serait bon que tous les enfants acquièrent des aptitudes en matière de résolution de conflits et aient accès à de l'information sur la communication avec les parents. L'enfant a eu accès à un bon modèle parental ou ça n'a pas été le cas, si c'est le modèle qu'il a eu, il peut en avoir conservé certains aspects.

Comment faire pour arrêter ce cycle? J'ai été très déçue d'apprendre que, dans les établissements pour jeunes délinquants en Alberta, on n'enseignait même pas les compétences parentales à ces enfants, qui n'avaient sans doute eux-mêmes guère eu accès à de bons modèles parentaux.

Cela se fait un peu dans l'est de l'Ontario. Cela fait très peur... Un des garçons a dit qu'il était tout à fait décidé à avoir des enfants - tout ce qu'il faut c'est les aimer - ce qui est un bon début, évidemment. Un autre a dit «C'est une question de coups. Mon père ne me frappait pas souvent; c'est ma mère qui me battait.» Voilà ce qu'il appelait les compétences parentales. Cela m'a fait très peur de voir que ce garçon allait bientôt être parent.

Pour en revenir à la tolérance zéro, je me demande pourquoi on réagit autant pour des cas comme celui qui m'a été rapporté où, dans une école de ma circonscription, deux garçons ont pris un de leurs camarades par le bras et l'ont mis de force sous la douche pendant 15 secondes après la classe de gymnastique. L'enfant n'était même pas trempé. C'était une blague. La plupart de ceux qui sont assis à cette table ont sans doute déjà fait quelque chose de semblable à la fin d'une classe de gymnastique. Ils sont rentrés chez eux et le lendemain, les deux garçons ont été inculpés de voies de fait.

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Cela entraîne une augmentation des crimes violents dans notre collectivité. Pour ce qui est des deux garçons qui ont fait cela, et je n'approuve pas leur comportement, ne serait-il pas préférable de dire, réunissons les parents et les enfants pour parler de cela, essayons de comprendre la peur qu'a eu le garçon qui ne savait pas que la douche n'allait durer que 15 secondes et pour apporter une réponse mieux adaptée à leur comportement.

Cela fait très peur de savoir qu'on va les traduire devant les tribunaux parce que, nous le savons tous, ils vont apprendre des choses au sujet des activités criminelles ou ils vont tout simplement se rendre compte qu'on leur donne une petite tape sur la main et pas plus. Ce sont des jeunes qui ont eu des démêlés avec la justice, ils ont maintenant un dossier, ils ont vu une image déformée du système et cela est mauvais pour la collectivité et pour ces enfants. Je trouve important de rechercher de meilleures façons d'agir, en particulier dans les écoles.

Madame de Villiers, lorsque nous nous trouvions à Toronto, le procureur général et le solliciteur général de l'Ontario nous ont présenté un exposé. Lorsque je leur ai demandé pourquoi le ministre de l'Éducation, le ministre des Services sociaux et communautaires et le ministre de la Santé n'étaient pas venus, ils ont cru que je faisais là une remarque partisane et ils se sont mis en colère contre moi. J'ai trouvé cela vraiment dommage, parce que c'était une occasion dont nous aurions pu tous profiter.

Je suis inquiète parce que le gouvernement fédéral peut bien faire ce qu'il veut mais ce n'est pas lui qui met en oeuvre la loi. Il peut transférer tous les fonds possibles mais il y a encore des gouvernements qui préfèrent réduire les impôts et les services plutôt que de fournir des services aux enfants.

Monsieur Leschied, je ne connais pas bien les mécanismes. Ils doivent venir de la collectivité. C'est elle qui doit faire savoir qu'elle en a assez de voir ses membres être victimisés, qu'elle n'est pas satisfaite des réponses qu'on donne actuellement et qui exige que le gouvernement provincial mette en oeuvre un tel programme. Ce n'est pas que nous nous disputions; tout simplement, nous ne disposions pas du mécanisme qui nous permettrait de contrôler cela, et il est extrêmement frustrant d'apprendre tout ce qui arrive à nos adolescents et que nous ne pouvons rien faire.

J'aimerais savoir ce qui est arrivé aux jeunes qui ont fait la blague de la douche, savoir comment faire pour amener les gens à essayer de nouvelles solutions à l'égard des adolescents, et pour encourager ces solutions créatrices et ces solutions communautaires, que ce soit en Alberta... La bonne chose que nous avons apprise en Alberta, c'est l'existence de comités de justice communautaires qui semblent découvrir de nouvelles solutions, travailler ensemble et mieux faire connaître la loi. Lorsqu'il y a eu des victimes... on a découvert plus souvent des solutions satisfaisantes, davantage que les victimes espéraient en obtenir avec le système. Il semble que cela serve quelques personnes et que la loi suscite des réactions très négatives parce que les gens ont peu d'être victimisés. Personne n'aimerait vivre de cette façon et il nous faudra trouver de meilleures façons de s'attaquer à ce problème.

Je suis sûre que j'ai dépassé mes cinq minutes et je ferais mieux de m'arrêter. Espérons que nous réussirons à laisser ce cercle et à leur enseigner de meilleures façons de faire pour que nous puissions offrir de meilleures solutions lorsque les jeunes se trouvent en situation de conflit.

La présidente: Je ne veux pas régimenter les idées. Si vous voulez parler d'autres sujets, faites-le; je ne vous en empêcherai pas mais il est important pour le comité de parler des adolescents qui se trouvent dans le système et des genres de problèmes que cela soulève, notamment la question de savoir s'ils devraient être traduits devant les tribunaux. Il y a un certain nombre de personnes qui estiment qu'il y a des jeunes dans nos institutions qui ne devraient pas s'y trouver, des jeunes dans des établissements qui, comme nous l'a déclaré notre ami de Nouvelle- Écosse, M. Lonar, ne devraient pas y être. Il y a également l'idée de M. Bala qui pense qu'il y a des enfants plus jeunes qui devraient peut-être être dans ces établissements, idée qui a fait réagir assez vivement certains d'entre nous.

Enfin, je tiens à vous rappeler que le comité espère qu'avec ce thème on abordera la question du renvoi, qui est une question difficile pour nous, et que certains d'entre vous choisiront également de parler des conditions de détention et de ce que l'on devrait offrir aux détenus, garde en milieu ouvert ou en milieu fermé ou autre. Ai-je suffisamment expliqué les choses?

Monsieur Keeling, vous étiez le témoin suivant sur ma liste. Voulez-vous prendre la parole maintenant ou voulez-vous que je vous la donne par la suite?

Dr Ken Keeling (psychologue en chef, Centre Syl Apps): Cela ne me dérange pas. Je crois que je peux me concentrer aussi bien l'après-midi que le matin.

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Je voulais faire un certain nombre d'observations, dont certaines concernent ce que disait ce matin M. Doob au sujet de la loi et des réponses qu'elle apportait aux questions que nous allons aborder cet après-midi.

Si la Loi sur les jeunes contrevenants est si peu populaire, c'est parce que les attentes à l'égard de ce que pourrait faire une loi à propos des jeunes étaient trop élevées. On l'a annoncée comme la réponse à ce que l'on appelait le désastre qu'avait provoqué la Loi sur les jeunes délinquants, au moment où on l'a présentée pour la première fois. Cela a amené la population à s'attendre à une loi révolutionnaire.

Ce n'est pas une révolution, c'est une évolution. La loi elle- même est en train d'évoluer et le comité existe parce que la loi est en train d'évoluer.

J'ai découvert certains aspects auxquels il serait utile de réfléchir. Je ne les ai pas trouvés dans les idées sur les systèmes sociaux qu'on enseigne habituellement dans les départements de psychologie ou les facultés de droit. Ils ont plutôt trait à la capacité des systèmes de s'auto-organiser. Un aspect important est que les systèmes ont tendance à demeurer stables.

J'ai lu assez d'articles de Tony pour savoir que le taux de la criminalité, et même le taux des meurtres, est un chiffre relativement stable chez les jeunes. Cela veut dire que même avec les meilleurs programmes possibles - et c'est ce qui nous amène à la discussion de cet après-midi - il n'y aura pas nécessairement de miracles. Ce ne sont pas des antibiotiques, ce sont simplement des progrès technologiques.

Même lorsque Alan et Don Andrews présentent leurs idées, ils ne prétendent pas qu'ils vont guérir tous les jeunes contrevenants à qui l'on offre un programme de maîtrise de la colère ou de compétences parentales.

L'équilibre que nous devons tous rechercher doit s'établir entre les attentes raisonnables et ce que les cercles de détermination de la peine permettent d'obtenir et ce que les cliniciens vont découvrir... Ils vont tous connaître des échecs, quel que soit l'endroit où ils travaillent, mais ces échecs ne veulent pas nécessairement dire... cela est progressif.

Lorsque je donne des conférences, je trouve difficile de parler aux citoyens; ils voient tout en noir et blanc. Pouvez-vous les guérir ou ne pouvez-vous rien faire pour eux? Il faut trouver une voie médiane. Ces questions sont apparues au cours des conversations très agréables que j'ai eues au moment du repas avec des députés et des membres du comité.

Il existe maintenant des catalogues des approches efficaces, notamment ceux qu'ont réalisés Alan Leschied et Don Andrews. La foi ne figure pas dans la table des matières. C'est ce qui m'inquiète. L'élément central de notre société qui me préoccupe vraiment est l'application du deuxième principe des systèmes, à savoir la loi de l'entropie. Lorsque les systèmes sociaux évoluent vers l'entropie, ce qui veut simplement dire qu'ils ont tendance à se dissoudre dans chaos, on essaie d'augmenter le nombre des règles, des lois et des règlements.

Je crois que l'on pourrait calculer le poids des règlements qui ont été adoptés par tous les niveaux de gouvernement depuis 10 ans. Je ne sais s'ils le font à Queen's... calculer le poids de ces règlements.

Je me souviens que la Commission de réforme du droit avait repéré je ne sais combien d'infractions, même si elles ne faisaient pas toutes partie officiellement du Code criminel. Elles venaient des règlements, qui se transformaient en lois de fait.

Si nous pensons qu'il suffit de suivre un certain nombre de procédures nouvelles pour réadapter les jeunes, nous allons être énormément déçus dans quelques dizaines d'années. Par contre, si nous tenons compte de la façon dont notre société choisit les solutions qui lui conviennent, qui conviennent à nos collectivités, aux différentes approches, il me semble que nous pourrons faire ce qu'il faut. Il ne faut pas oublier qu'il n'est pas possible que tout le monde s'entende sur l'utilité des différents programmes.

Je ne pense pas que le cadre de la question choisie pour notre deuxième séance exige que l'on trouve immédiatement une réponse magique à tout cela. Ce sont des notions relativement stables.

Lorsque l'on veut aider les familles dysfonctionnelles, que ce soit à l'école, par des programmes de compétences parentales, en réunissant des membres de la collectivité pour qu'ils s'attaquent à leurs problèmes, comme de nombreuses collectivités autochtones le font dans notre pays, peu importe. La question est comment y parvenir sans nuire au processus en imposant des méthodes rigides qui vont finalement devenir plus importantes que les programmes. Voilà ce que je crains.

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J'ai entendu dire quelque part, je ne dirai pas où, qu'on devrait mettre sur pied un programme de maîtrise de la colère à tel endroit. On va donc dire à ces gens qu'ils ont besoin d'un programme de maîtrise de la colère. Nous allons constituer un groupe. Nous allons appeler cela la maîtrise de la colère. Peu nous importe ce qu'on y fait vraiment.

Alan connaît cette question de l'intégrité des programmes.

Je peux vous dire que les possibilités qu'offrent les cercles de guérison m'intéressent énormément mais je sais aussi que certains y verront une façon pour quelqu'un d'obtenir une subvention de 25 000 $ pour réunir des gens. Nous allons appeler ça un cercle de guérison mais ce ne sera qu'une façade. Il faut faire des choix en étant conscient des résultats possibles et il faut les définir avec intégrité.

Je suis d'accord avec Priscilla de Villiers lorsqu'elle souligne l'importance de l'intégration. Là où je ne suis pas d'accord, c'est que des expériences menées aux États-Unis et au Canada ont démontré que ce n'est pas avec de l'argent qu'on résout les problèmes.

On peut faire des choses extraordinaires, même avec peu de moyens, si l'on veut vraiment faire quelque chose.

Je travaille dans un établissement tertiaire et pour la plupart de mes clients, c'est le bout du rouleau. Je travaille à Syl Apps, qui est un établissement à sécurité maximum pour l'étape I.

L'Ontario est une de ces provinces étranges où les enfants de 16 ans passent à l'étape II et où ceux de moins de 16 ans s'occupent de commettre des infractions. Lorsque cela est suffisamment grave, ils se retrouvent dans des endroits comme Syl Apps.

Cela est beaucoup plus difficile là-bas. Nous savons, par exemple, que si l'on suit les jeunes suffisamment longtemps, on constate que c'est un problème très grave. L'issue est presque automatique dans le cas d'un jeune qui est incarcéré avant 16 ans pour ce qui est de la récidive.

Nous avons suivi 60 jeunes de 1976 à 1986 et la recherche que nous avons effectuée indique un taux de récidive de 88,5 p. 100 10 ans après. Cinq ans après, ce taux était d'environ 80 p. 100, il n'a donc guère augmenté au cours des cinq dernières années. La plupart des programmes obtiennent de très bons résultats pour les deux premières années. Même Syl Apps obtient des résultats assez bons, avec un taux de 40 p. 100 après deux ans.

On a obtenu des résultats comparables - 95 p. 100 - dans la Connecticut Training School for Boys... étude faite par une psychiatre, Helen Otow Lewis, qui espérait obtenir un résultat bien différent. Le chiffre le plus bas que je connaisse est celui de la Lyman School du Massachusetts, où on a suivi des jeunes pendant 25 ans. Après cinq ans, le taux de récidive n'était que de 75 p. 100.

Cela nous renvoie aux questions 2 et 3 et également à l'intervention précoce. Il existe de nouvelles techniques et nous les essayons. Alan a animé des ateliers à Syl Apps. Nous essayons de mettre sur pied beaucoup de ces programmes dans mon établissement et dans d'autres également.

Je n'aime pas beaucoup vous dire cela mais si vous réussissez à me faire perdre mon emploi - et je suis suffisamment convaincu de la stabilité du système pour savoir que je le conserverai jusqu'à ma retraite - et si vous réussissez à éviter que d'autres jeunes soient envoyés à Syl Apps, et si la société est vraiment décidée à trouver des façons plus créatrices que celles qu'elle utilise actuellement, cela serait préférable pour tout le monde. Je termine là-dessus parce que je crois que j'ai déjà pris trop de temps.

La présidente: Merci.

Monsieur Bastien, voulez-vous faire des observations sur cette intervention?

[Français]

Me Normand Bastien (avocat, directeur, Division jeunesse, Centre communautaire juridique de Montréal): J'étais prêt pour le premier segment et je suis en train d'écrire des notes pour le deuxième.

Nous nous retrouvons dans l'application même de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il y a plusieurs aspects. L'un des principes de cette loi qui a fait ses preuves là où il est mis en application est le recours aux mesures de rechange lorsqu'il n'est pas nécessaire d'agir autrement.

Je crois comprendre qu'au Québec, le programme de recours aux mesures de rechange existe depuis 1984. Il a été utilisé. De mémoire, selon les statistiques de 1993 et 1994, le Québec était la province où on avait le moins recours à la judiciarisation. Le programme des mesures de rechange a été ajusté et adapté, il a évolué avec le temps et il a même été refait. On y a apporté certains amendements. Il produit des effets intéressants.

Je présume que les modèles de mesures de rechange qui ont fonctionné sont à l'origine du modèle qu'on est en train de développer pour les adultes. Il faut continuer à recourir à ce programme de mesures de rechange.

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Par ailleurs, lorsqu'on ne peut régler la situation au niveau des mesures de rechange, il faut penser à la judiciarisation. Il faut surtout ne jamais perdre de vue que les personnes que nous avons à représenter ou qui font l'objet d'une intervention en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants sont des adolescents, des gens en processus d'éducation. Leur éducation, par définition, n'est pas terminée puisqu'on les considère comme des adolescents.

En ce sens, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes tous, que nous soyons juges, criminologues, avocats, intervenants sociaux ou policiers, des adultes à leurs yeux et qu'ils nous observent. Nous sommes condamnés à la cohérence. Un avocat qui banaliserait, par exemple, un acte commis en disant que ce n'est pas grave confirmerait le jeune dans sa déviance.

Nous, les adultes, sommes des spécialistes dans nos professions et tenons certaines choses pour acquises, ne serait-ce que le plaidoyer de non-culpabilité lors de la comparution. Les jeunes adolescents qui sont vraiment sur le point de devenir de jeunes contrevenants ou qui le sont, sont généralement des personnes qui ont perdu pas mal d'estime d'eux-mêmes et qui ont aussi perdu énormément confiance dans tout ce qui s'appelle adulte.

Il ne faudrait pas s'imaginer que parce qu'un adolescent comparaît un matin et rencontre une personne qui devient son avocat, il va se confier subitement à cet individu qu'il n'a jamais rencontré auparavant. Il est normal que, dans un premier temps, l'avocat puisse à la première occasion enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité.

Dans notre jargon, dans le système dans lequel on vit, cela semble logique. Le jeune qui est là a souvent reconnu sa culpabilité en faisant une déclaration aux policiers et confirmé sa culpabilité à son intervenant social ou à ses parents, mais voilà qu'il rencontre un individu qui le représente en tant avocat et qui enregistre un plaidoyer de non-culpabilité. Il y a une différence dans le discours. De notre côté, nous savons ce que veut dire un plaidoyer de non-culpabilité, mais pour le jeune, c'est souvent la confirmation qu'avec un bon avocat, il va pouvoir s'en sortir. Ce n'est pas un reproche qu'on fait aux avocats, mais une réalité. C'est le système qui veut cela.

Chez les adultes, dans les cas d'actes criminels, on enregistre un plaidoyer de non-culpabilité ou de culpabilité le matin du procès. Il a fallu qu'on passe par l'enquête préliminaire et qu'on soit cité à procès, et c'est le matin du procès qu'on demande à un adulte s'il enregistre un plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité, alors qu'en matière sommaire, il faut faire cela immédiatement, à la première occasion.

Il me semble qu'au nom de la cohérence, il y aurait lieu de trouver un moyen de retarder le plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité, surtout le plaidoyer de non-culpabilité. Ce ne serait pas compliqué, je pense. Cela pourrait se faire au niveau administratif.

Toujours dans ce domaine de la cohérence, on dit souvent, et on l'a entendu ce matin, qu'on souhaite que les avocats adoptent de nouvelles façons de faire. Je vous ai mentionné, dans ma brève présentation de ce matin, que j'avais eu l'occasion de coprésider un comité du Barreau du Québec qui a fait un rapport sur la représentation des enfants par avocat.

Dans ce rapport, nous avons souhaité avoir un code de déontologie adapté à la représentation des enfants, mais pas parce que, avocats que nous étions, nous pensions qu'il ne fallait pas représenter un individu qui est accusé ou présumé coupable de quelque chose, cela au point de le faire renoncer aux droits qu'il a comme citoyen. Au contraire, nous pensons que si on lui a donné des droits, on doit les faire respecter, mais il y a des façons d'agir qui peuvent être très différentes, ne serait-ce que parce qu'il ne faut pas tenir pour acquis que les droits sont compris. Il faut expliquer chacun d'entre eux ainsi que le processus judiciaire.

Mais on allait plus loin que cela. On disait aussi qu'un procureur de la Couronne qui travaille dans un domaine comme celui-là devrait agir différemment avec des enfants. Pourquoi est-il nécessaire qu'un procureur de la Couronne qui décide d'accuser un jeune contrevenant mette 12 chefs d'accusation pour viser une transaction criminelle? Il est certain que ce n'est qu'une stratégie pour éventuellement provoquer un plaidoyer de culpabilité.

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Donc, on nous condamne à faire du plea bargaining. On va jusqu'à dire: «Tu retires tel chef si je plaide coupable à un autre chef.» Comme adultes, nous démontrons à nos jeunes, par cette seule attitude de la Couronne, que la justice se marchande. Est-il nécessaire d'avoir ce modèle de justice dans ce domaine? Il me semble qu'on pourrait respecter tous les droits et toutes les règles de droit, mais de façon différente, que l'on soit procureur de la Couronne ou juge.

Il y a un autre élément important: il ne faut pas tenir pour acquis qu'un jeune ne comprend pas le système. En matière de jeunes contrevenants, quand nous sommes avocat, nos clients savent tout le temps qu'ils ont transgressé une loi et qu'il y aura une sanction quelque part. Ils sont très rares, ceux qui ne s'attendent pas à quelque chose.

Ce qui rend les choses difficiles, ce sont les retards. Le système judiciaire ne doit pas essayer de récupérer les retards accumulés à d'autres niveaux, que ce soit au niveau du système policier, au niveau de la Couronne ou au niveau du programme des mesures de rechange. Si on a mis huit mois à franchir toutes ces étapes, le système judiciaire ne pourra récupérer le retard; il va devoir s'y ajuster. Si on veut que le système judiciaire récupère tout cela, on va probablement nuire et montrer une mauvaise image du système judiciaire.

Une autre élément est la sévérité, parce que c'est de cela qu'on parle. La probation doit commencer, non pas dans un ou deux mois, mais tout de suite après qu'elle est ordonnée. On a constaté dans plusieurs cas qu'un juge, après un certain temps, s'en référait à la probation, mais qu'il fallait attendre deux ou trois mois avant qu'il y ait une réelle prise en charge par le système de probation. Les récidives, elles, se produisaient dans le mois suivant.

Évidemment, on n'hésite pas: un bris de probation est inexcusable. On réaccuse le jeune, d'un acte criminel s'il le faut, mais le système qui avait l'obligation de répondre à ses besoins s'en lave les mains, parce qu'il manquait de ressources. On ne pardonne pas au jeune ses écarts, mais le système adulte, qui devait mettre en place le système de probation, a pris tout le temps qu'il fallait pour y arriver.

On pourrait en dire beaucoup là-dessus. Je ne voudrais pas passer sous silence le système de renvoi. Le système de renvoi, à mon sens, doit demeurer, quelle que soit la loi que nous ayons. Malheureusement, le système de renvoi est, depuis fort longtemps, très mal utilisé. Le renvoi est prévu, à moins que je ne me trompe totalement, pour les individus dont les problèmes sont tels qu'on ne peut assurer leur réhabilitation dans le système juvénile sans mettre en péril la sécurité publique. Cela n'a rien à voir avec le crime qui a été commis.

Or, malheureusement, on a recours au renvoi dans les cas spectaculaires. On y a recours dans des cas où, souvent, l'acte commis est très sérieux, où il n'y a souvent pas d'antécédents judiciaires. On est surpris de constater que, même s'il y a eu un crime sérieux de commis, les tribunaux ne renvoient pas. Là, on discrédite le système en disant que la loi n'est pas bonne. Par contre, il y a des jeunes qui ont commis une douzaine ou une vingtaine d'introductions par effraction. Ils ont tout fait: la probation, les centres de réadaptation, etc., et ils continuent. Je ne vois jamais de demandes de renvoi pour ces individus, mais on a la preuve que ces gens ont des problèmes tels que le système ne peut les réhabiliter. Il serait bien plus simple d'obtenir un renvoi pour un tel individu. Une fois qu'il aura été renvoyé une première fois, s'il y a récidive, le prochain renvoi sera très facile. Mais il demeure qu'il faut adapter le renvoi. Il faut y avoir recours quand c'est nécessaire et ne pas attendre des cas spectaculaires pour espérer un renvoi.

Le renvoi n'est pas placé là où il devrait l'être dans le processus judiciaire. Encore là, on nous condamne, et cela discrédite toute la Loi sur les jeunes contrevenants, à faire la démonstration, avant un plaidoyer ou une déclaration de culpabilité, qu'un individu n'est pas réhabilitable. On présume de sa condamnation.

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Cela devient encore plus incohérent le jour où on donne au jeune le fardeau de démontrer cela. Donc, il a le fardeau de démontrer que sa réhabilitation est conciliable avec la protection du public, et il est contraignable; c'est-à-dire que la Couronne peut, s'il s'agit d'un cas relativement important comme une tentative de meurtre où il y a eu sévices graves, exiger des rapports psychiatriques et le jeune devra s'y soumettre. Il est contraignable quant au contenu de ces rapports en vertu de l'article 16. Je trouve qu'il y a là un problème.

Chez les adultes, il y a un processus de déclaration de délinquant dangereux, mais après une condamnation. Pourquoi n'y aurait-il pas lieu de déplacer le renvoi après la déclaration de culpabilité? Il me semble qu'à ce moment-là, on jugerait de vraies affaires. Dans le processus de renvoi, la version des faits est toujours la version la plus noire possible et, pour éviter que le policier qui témoigne sur les faits soit mal pris avec son témoignage, on fait entendre l'individu qui ne viendra pas témoigner au procès, parce que le ouï-dire est admis en cette matière.

Pour terminer, il ne faut pas s'attendre à ce que la Loi sur les jeunes contrevenants règle tous les problèmes. Si vous avez un délit relativement mineur et donnez aux gens l'impression qu'on va régler tous les problèmes de cet individu à cause de ce délit, vous faites erreur. Pour un individu qui a des problèmes énormes et qui n'a commis qu'un seul vol à l'étalage, on ne pourra jamais obtenir un placement en centre de réadaptation pour deux ou trois ans. Donc, il ne faudrait pas laisser croire aux gens qu'on va régler tous ces problèmes. Il y a d'autres lois qui peuvent fonctionner en même temps et on ne devrait pas écarter l'une quand on décide d'appliquer l'autre.

[Traduction]

La présidente: Merci, Bastien.

Monsieur Cadman, j'avais noté votre nom ce matin. Voulez-vous commenter ce qui vient d'être dit?

M. Chuck Cadman (cofondateur, CRY (Crime Responsibility and Youth)): J'aurais quelques commentaires à faire sur les sujets abordés ce matin. Je ne pense pas que l'on puisse trop insister sur la nécessité d'intervenir très tôt, en particulier, à l'école primaire. Dans notre cas, je crois que les signes étaient là, et si l'on avait fait quelque chose, je ne pense pas que je serais là ici aujourd'hui.

Nous avons mentionné que les professionnels, les enseignants et les personnes de ce genre pouvaient déceler ces signes, mais n'oublions pas qu'il y a aussi beaucoup d'autres personnes dans la collectivité - des citoyens ordinaires - qui sont tout à fait capables de le faire aussi.

Je parle d'expérience. J'ai été l'entraîneur de mon fils pour le soccer pendant plus de 10 ans, dès l'âge de quatre ans et demi jusqu'au jour où il est mort. Je l'ai également entraîné à jouer au base-ball. Vous pouvez me croire, les entraîneurs voient beaucoup de choses. Malheureusement, il n'y a pas grand-chose qu'ils puissent faire. La seule chose qu'ils puissent faire est de parler aux parents et de leur dire «Votre fils a des problèmes dans ce domaine; vous feriez mieux de faire quelque chose.» Si le parent décide de ne rien faire, de ne pas tenir compte de l'avertissement, il n'y a personne d'autre à qui s'adresser, parce que nous ne connaissions personne d'autre et il nous fallait espérer que les choses s'arrangeraient.

Je connais un garçon qui dès l'âge de sept et huit ans nous a paru susceptible d'avoir des problèmes; il y a quelques mois, j'ai ouvert le journal et j'ai vu qu'il était accusé d'avoir commis une infraction sexuelle grave. Nous l'avions prévu.

Il y a d'autres personnes - les chefs scouts et les cheftaines des guides et les personnes de ce genre - qui peuvent s'apercevoir de ce genre de choses. Il faudrait peut-être leur demander de participer à ce processus, parce que je crois qu'ils ont beaucoup à dire.

C'est tout ce que je voulais dire à ce sujet.

Pour ce qui est des sujets dont nous parlons maintenant, quelqu'un a mentionné les compétences parentales. Je ne sais pas très bien ce que le gouvernement fédéral peut faire à ce sujet, parce que c'est habituellement le conseil scolaire d'une municipalité qui détermine ce genre de choses. Dans ma municipalité, nous venons d'avoir des élections municipales et le conseil scolaire a pris des décisions qui m'inquiètent beaucoup parce qu'il vient de supprimer les cours de compétences parentales dans les écoles secondaires et ils ont également complètement supprimé le financement accordé à la résolution de conflit et à la médiation par les pairs. Ils s'inspirent de certains principes que je ne partage pas nécessairement. S'il est possible de faire quelque chose à votre niveau, j'en serais très heureux.

Pour ce qui est de la déjudiciarisation, le procureur général de la C.-B. a annoncé, il y a quelques semaines, la décision de consacrer à la déjudiciarisation et aux mesures de rechange des fonds qui étaient auparavant utilisés à d'autres choses, décision que j'appuie sans aucune réserve.

Je m'occupe d'un programme communautaire qui est offert par des bénévoles à Ridge Meadows. Ils m'appellent lorsqu'on leur envoie un jeune contrevenant qui a fait l'objet d'une mesure de déjudiciarisation à l'égard de voies de fait simples. Je parle à l'adolescent et à ses parents. Cela fait quelques années que je le fais et je crois m'être occupé d'une douzaine de jeunes environ. Il y a des adolescents qui ont terminé leur entrevue en pleurs. J'ai reçu des lettres de remerciements de ces enfants et c'est une chose dans laquelle je crois beaucoup.

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Il faut faire tout ce que nous pouvons, mais je crois tout de même qu'il y a un point à ne pas dépasser en matière de déjudiciarisation et de mesures de rechange. Il faut utiliser ces techniques pour une infraction mineure, pour une première infraction et peut-être, pour une deuxième infraction mineure, comme le vol à l'étalage. Je ne pense pas que la déjudiciarisation devrait s'appliquer aux cas de meurtre ou de viol. Voilà tout ce que j'avais à dire.

La présidente: Merci, M. Cadman.

Monsieur Henteleff, j'avais noté votre nom ce matin et vous avez de nouveau levé la main cet après-midi.

M. Yude Henteleff (solliciteur honoraire, Association canadienne des troubles d'apprentissage du Canada): J'ai caché les deux ce matin mais surtout cet après-midi.

Il ne faut pas oublier que nous parlons de sujets de compétence fédérale. C'est de la Loi sur les jeunes contrevenants qu'il s'agit. La discussion de ce matin a été fort utile pour ce qui est de l'intervention précoce. Il ne faut pas oublier que cet aspect ne relève pas de la compétence fédérale - la plupart de ces aspects n'en relèvent pas. J'espère que le gouvernement fédéral va accorder des ressources suffisantes pour tous les projets novateurs qui vont dans ce sens.

Je veux parler de la LJC. Dans notre mémoire, nous énumérons un certain nombre de modifications qui ont des répercussions non souhaitables sur les enfants ayant des besoins spéciaux. Je ne vais pas vous les répéter parce que vous avez déjà ces renseignements. Nous devons examiner la LJC et il ne faut pas oublier qu'à l'heure actuelle, nous emprisonnons davantage d'enfants, pour des périodes plus longues, pour des infractions moins sévères que nous ne l'avons jamais fait, sans disposer d'aucun élément indiquant que cela donne de bons résultats. Dans ce contexte, je crois qu'il nous faut revoir les principes à la base de la Loi sur les jeunes contrevenants et je vous soumets, pour examen, les principes suivants.

Tout d'abord, pour que la LJC introduise un équilibre entre les besoins et les droits des jeunes contrevenants et la protection de la société, il faut que l'objectif principal de la LJC soit énoncé comme étant le souci de traiter les jeunes contrevenants comme étant d'abord des jeunes ayant des besoins spéciaux et ensuite comme des contrevenants. Deuxièmement, le droit à l'égalité reconnu par la Loi sur les jeunes contrevenants veut dire que tous les enfants ayant des besoins spéciaux ou autres ont droit aux ressources que peut leur offrir un environnement social, culturel, éducatif, physique qui leur permette de développer au maximum tous les aspects de leur personnalité.

Je propose d'incorporer les cinq principes suivants dans le prolongement de cet énoncé de principe: premièrement, un système de services complet et intégré; deuxièmement, des services accessibles; troisièmement, la participation de la collectivité à la planification et à la mise en oeuvre des services; quatrièmement, des ressources ciblées sur les groupes prioritaires; et cinquièmement, la déjudiciarisation.

Je voudrais parler quelques instants de certains groupes prioritaires. On nous a parlé ce matin de la collectivité autochtone de Regina. Au Manitoba, la situation est pratiquement identique pour ce qui est du nombre des personnes se trouvant dans le système de justice pour les jeunes et dans le système pour adultes. Deuxièmement, les parents célibataires. Un rapport daté du 21 novembre 1996 indique qu'on a évalué à 457 000 les enfants de 4 à 11 ans qui vivent dans une famille dirigée par une mère célibataire. Le revenu moyen des familles où il y a deux parents est de 56 000 $ par année, contre 22 058 $ pour les familles dirigées par une mère célibataire.

Les chiffres que je vais vous citer ne veulent pas dire que les mères célibataires sont responsables des problèmes de leurs enfants. Que ce soit dans le domaine de l'hyperactivité, des troubles de comportement, des troubles affectifs, des problèmes de comportement, de redoublement, des problèmes scolaires ou des difficultés d'adaptation sociale, on retrouve ces problèmes deux fois plus souvent chez les enfants des familles monoparentales que chez ceux des familles où il y a deux parents. C'est pourquoi il est absolument essentiel de cibler les groupes prioritaires.

Je suggère d'examiner ce qui suit à titre de proposition émanant du comité: que le ministère de la Justice lance une initiative communautaire visant à mettre sur pied divers projets pilotes dans les différentes régions du Canada. Le projet communautaire s'inspirerait d'une approche intégrée qui permettrait d'offrir aux jeunes contrevenants à risque élevé un programme efficace. Ce modèle ferait intervenir des partenaires comme les corps policiers, les services à l'enfance et à la famille, les services sociaux municipaux, les procureurs de la Couronne, les conseils scolaires, les services correctionnels pour les jeunes, les services médicaux et psychologiques et, comme dans le cas de Brandon, les représentants de la collectivité autochtone.

Ce projet comprendrait un certain nombre d'étapes, notamment choisir les projets répondant aux critères, élaborer un projet d'approche qui permettrait de cibler les jeunes contrevenants à risque; évaluation; conception de programmes basés sur les études effectuées pour répondre aux besoins; recrutement de partenaires et entente sur l'approche proposée, les rôles, la responsabilité et le calendrier; suivi et publication des résultats. On peut espérer que ces étapes seraient achevées en six mois. Les résultats obtenus grâce à ces projets pilotes pourraient être diffusés à toutes les provinces et les territoires et nous espérons que ces projets seraient le fruit d'un partenariat entre les provinces et le gouvernement fédéral.

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Ce que vous avez vu dans tous les rapports présentés ce matin, qu'il s'agisse de Sydney, Nouvelle-Écosse, Vancouver ou Brandon, c'est que nous possédons déjà beaucoup d'expérience pratique, madame la présidente, pour ce qui est de ce qui peut et devrait être fait. Nous ne pouvons nous permettre d'attendre plus longtemps et c'est pourquoi je propose ce genre de mesures concrètes. C'est le genre d'initiative qui pourrait servir d'exemple à l'ensemble du pays.

La présidente: Merci, M. Henteleff.

Heather Kinnear, M. Jeffers et ensuite, Mme Reid-MacNevan.

Mme Heather Kinnear (directrice, Association des agents de probation de l'Ontario): Merci.

J'aimerais faire porter mes commentaires sur les premier et deuxième thèmes proposés, parce que j'estime qu'ils sont reliés. J'ai entendu quelqu'un dire tout à l'heure que la prévention et l'intervention étaient peut-être deux choses différentes, mais pour notre association, il existe un lien très étroit entre ces deux éléments. Lorsque nous parlons d'intervention précoce auprès des jeunes enfants, principe que j'appuie totalement, il ne faut pas oublier que la pièce manquante, ce sont les parents.

Je m'occupe autant du système pour adultes que du système pour les jeunes contrevenants. Je crains que, si nous consacrons nos efforts et nos ressources aux jeunes et qu'ils retournent dans des maisons où règne un climat de violence et des comportements malsains, cela n'aggrave les possibilités de récidive et, la plupart d'entre nous seraient d'accord là-dessus, nous n'allons pas dans la bonne direction.

Je tiens à mentionner que, lorsque nous parlons de prévention, il ne faut pas exclure les programmes de traitement offerts aux personnes qui vivent dans les foyers où il y a des jeunes contrevenants.

C'est pourquoi nous estimons qu'une bonne intervention auprès des délinquants peut avoir un effet préventif. Je crois que nous voyons les choses de façon linéaire. Nous parlons de prévention primaire, de prévention secondaire et peut-être même, tertiaire. Je vois cela comme un cycle. Lorsque l'on travaille avec les jeunes contrevenants qui sont dans le système, on fait souvent de la prévention. Il s'agit peut-être du plus âgé d'une famille de cinq enfants, de sorte que ce que vous faites avec cet enfant et en amenant les parents à participer au processus de changement, peut avoir un effet préventif sur les plus jeunes.

Si l'on envisage d'apporter des modifications à la loi qui viseraient à renforcer la responsabilité des parents, notre association recommande que l'on examine la possibilité d'obliger les parents à participer au traitement et au processus de changement et à les tenir responsables de façon très directe, s'ils ont également besoin de services de counselling familial. J'ai entendu certains collègues dire qu'ils aimeraient beaucoup avoir le parent en probation plutôt que l'adolescent. Il existe donc peut- être des façons de modifier cette loi qui nous permettrait d'offrir le traitement nécessaire.

En tant qu'agent de probation et de libération conditionnelle ou en tant qu'agent de probation, de délégué à la jeunesse - nous portons beaucoup de chapeaux et nous les changeons selon la personne qui se trouve en face de nous - nous croyons que pour pouvoir dire ce qui donne de bons résultats dans le système actuel, une fois que l'adolescent est dans le système, il faut commencer par faire une bonne évaluation. Il faut évaluer à la fois le risque et les besoins et élaborer un plan individualisé qui cible les facteurs qui risquent de contribuer à la récidive de l'adolescent.

Cela ne veut pas dire que nous allons tout faire nous-mêmes. Je crois qu'il serait possible d'incorporer certaines idées que j'ai entendu exprimer ici aujourd'hui dans le système correctionnel communautaire qui existe déjà. Je crois qu'il faut conserver et préserver cela mais nous ne pouvons nous permettre de réduire les ressources consacrées aux services correctionnels communautaires.

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J'ai entendu dire qu'en Ontario, on consacrait environ 20 p. 100 du budget à environ 80 p. 100 des contrevenants se trouvant dans la collectivité et 80 p. 100 du budget aux 20 p. 100 des contrevenants se trouvant en établissement. Dans un monde où les ressources sont limitées, si nous voulons traiter les contrevenants, il va falloir redéployer nos ressources. Je crois que tout le monde est d'accord avec cela.

En tant qu'agents de probation et de libération conditionnelle, nous jouons le double rôle dont on parle ici. Nous vivons ces problèmes et ce défi qui consiste à essayer de protéger la population tout en répondant aux besoins du contrevenant. Je vois souvent la balance que l'on retrouve dans notre logo ou notre symbole, parce qu'on essaie constamment d'équilibrer ces deux choses; elles ne travaillent pas toujours en sens contraire. J'aimerais voir adopter une approche structurée et systémique à la prévention du crime qui dissipe ce mythe. Si l'on répond aux besoins des contrevenants et si l'on tient compte de leurs problèmes, on protège aussi le public.

Nous avons certes besoin d'une approche structurée à la prévention de la criminalité mais je crois qu'il est également important de mieux faire comprendre les jeunes. Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas les jeunes. J'aimerais prendre un exemple qui parle de ce que certains d'entre nous ont vécu, et je devrais sans doute m'inclure dans ce nombre. Si je regarde ma jeunesse... je pense que tout le monde serait d'accord pour dire qu'il y a toujours un peu de défi, de rébellion et on conteste les limites. Je crois que ceux qui ont des adolescents le reconnaîtraient.

Ce qui se produit, d'après moi, c'est que les jeunes qui viennent d'un environnement favorable et qui ont des relations saines avec les parents, vont sans doute contester l'heure de rentrée ou fréquenter des personnes que leurs parents n'aimeraient pas les voir fréquenter mais ils vont le faire à un niveau moindre. Par contre, les jeunes qui viennent de familles dysfonctionnelles et qui ont des antécédents compliqués vont contester le système parce qu'ils n'ont pas de lignes de conduite parentales à contester. Il est normal que les adolescents nous mettent à l'épreuve et essaient de nous contester.

Si l'on lançait une initiative structurée de prévention de la criminalité dans notre pays, une des choses à faire serait d'essayer d'expliquer pourquoi en tant que société, nous réagissons aussi vivement à certaines choses, et de façon tout à fait légitime. Lorsqu'un adolescent dévalise quelqu'un ou l'attaque et vole une paire de Reebok, par exemple, les gens sont horrifiés qu'ils se produisent des choses de ce genre.

Par contre, je vois tous les jours des adultes qui maltraitent leur femme, parfois de façon très violente, parce que le souper n'est pas sur la table à l'heure fixée ou parce que cette personne a regardé quelqu'un d'autre. Pourtant, dans notre système, il est beaucoup plus difficile de mettre en jeu la responsabilité des adultes. Nous avons beaucoup de mal à obtenir des condamnations de ce genre d'affaires. Je crois qu'il y a une série d'articles du Toronto Star qui illustrent fort bien cela. Mais il est aussi très facile de prendre une attitude accusatoire, d'attraper ces jeunes et de les obliger à assumer les conséquences de leurs actes.

J'aimerais vous transmettre l'idée que la prévention et l'intervention ne sont pas nécessairement des choses qu'il faut considérer séparément.

La présidente: Merci.

Monsieur Jeffers.

M. Ken Jeffers (consultant, Harriet Tubman Community Organization): Il me paraît important que la Loi sur les jeunes contrevenants reconnaisse la nécessité d'adopter une approche culturelle à l'intervention et qu'elle appuie et encourage une telle approche. Si vous examinez les statistiques que j'ai mentionnées ce matin au sujet des taux d'incarcération en Ontario, vous constaterez qu'en 10 ans il y a eu une augmentation de 204 p. 100 du nombre des jeunes Noirs incarcérés, cela indique un problème grave.

Il faut reconnaître le fait qu'il existe une culture des jeunes qui est universelle et nous devons connaître cette culture universelle des jeunes et la façon dont elle juge le crime et le châtiment. Il me paraît très important d'offrir à tous les intervenants du système de justice la possibilité d'essayer de comprendre ce que tout cela veut dire, parce que nous savons qu'il faut que la justice soit administrée de façon impartiale.

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À titre d'exemple, nous voyons beaucoup de jeunes Noirs en probation et nous faisons des sessions de groupe avec eux dans le but de faciliter la réadaptation sociale de certains d'entre eux. Il y a beaucoup de colère chez eux, ils pensent qu'ils n'ont pas été traités de façon équitable par le système de justice.

Par exemple, ces jeunes voient le marchandage de plaidoyer comme un complot entre les avocats et les juges. Il y a beaucoup de jeunes qui estiment avoir été complètement exclus de ce processus et qui perçoivent le marchandage de plaidoyer de cette façon. Nous voyons tous les jours l'expression de cette colère et de ce sentiment d'aliénation. Il me paraît également très important que cette perception ait également été confirmée par le rapport du juge Cole sur le racisme systémique, dans lequel on admet qu'il y a des préjugés et de la partialité dans notre système de justice et qu'il faut lutter contre tout cela.

Je suis profondément convaincu que toute la question de la réadaptation sociale des adolescents doit se faire au niveau de la collectivité, tenir compte des différences culturelles qui existent chez les jeunes et favoriser la participation des personnes plus âgées et des pairs. Il nous est arrivé d'obtenir d'excellents résultats en amenant des pairs à participer à ce que nous appelons un contrat d'auto-amélioration ayant pour but la réadaptation sociale. J'ai pensé qu'il était important de le mentionner. Avec l'augmentation de la population, l'augmentation du nombre des jeunes ayant d'autres origines ethniques - Asie du Sud, Asie du Sud-Est, jeunes Noirs - qui ont été incarcérés, il faut se pencher sur cet aspect et en tenir compte dans les décisions.

La présidente: Merci, M. Jeffers.

Mme Reid-MacNevan et ensuite M. Doob, puis le sergent d'état- major Bouwman.

Mme Susan Reid-MacNevan (vice-présidente, Questions de politique, Société John Howard du Canada): Merci. Je voulais prendre quelques minutes pour parler de ces trois thèmes, en insistant bien évidemment sur celui du milieu, Shaughnessy.

Un des aspects dont j'ai parlé plus tôt...

La présidente: Vous devenez très habile.

Mme Reid-MacNevan: ... est que les gens ont peur des adolescents, ils les voient comme des personnes inquiètes et inquiétantes. J'ai trouvé très encourageant que les réactions des gens autour de cette table indiquent qu'il y a une convergence d'opinions sur la réalité de cette peur. Il ne s'agit pas simplement de savoir si les gens ont vraiment peur ou s'ils se font des peurs; la population a peur des adolescents et il faut faire quelque chose pour dissiper ces craintes. Je suis de cet avis.

C'est la façon d'y parvenir qui soulève de nombreux problèmes. Cela découle en partie de ce qu'a dit Tony ce matin au sujet du groupe de travail fédéral-provincial-territorial, qui a répété qu'ils n'étaient pas certains des principes à appliquer. Je pensais que cela avait été réglé.

La dernière fois que j'ai comparu devant le comité permanent j'étais convaincue que j'avais quelque chose de positif à vous dire - ce qui est nouveau - dans la mesure où je défendais l'idée que la meilleure protection de la société à long terme est la réadaptation sociale. Cela me paraît être un excellent principe directeur mais si l'on doit revenir sans cesse sur les principes de base, je ne sais pas trop où il faudrait aller à l'avenir. Je recommande vivement au comité permanent de considérer que cela fait partie de l'objectif reflété dans le projet de loi C-37.

Il y a un autre élément qui me paraît très important pour ce qui est de l'avenir; c'est que les commentaires de Mme de Villiers ne sont pas très différents de ce qu'aurait pu dire la société John Howard. Il n'arrive pas souvent que CAVEAT et la société John Howard aient la même opinion. Mais il s'agit de l'importance de tenir compte du fait que les victimes et les contrevenants viennent du même bassin d'individus qui ont peut-être été maltraités dans le système. Que ce soit un manque d'intervention précoce, une éducation inadaptée, la pauvreté chez les enfants, un manque de services offerts aux familles, nous parlons du même genre de choses. Je voulais attirer l'attention là-dessus parce que c'est ce que nous essayons de faire.

Il y a beaucoup de gens qui ont parlé de collaboration entre les organismes et cela m'apparaît être un domaine important dont il faut tenir compte.

Je tiens toutefois à répondre aux questions que vous nous avez demandé d'examiner, Shaughnessy, dans ce contexte.

Vous souhaitiez savoir quel genre de conditions doit-on offrir aux adolescents qui sont incarcérés. Je sais très bien que les conditions qui existent à l'heure actuelle ne sont pas bonnes. Nous avons appris à nos risques et dépens qu'en Ontario, les établissements de garde en milieu fermé pouvaient être des endroits très dangereux. Nous avons eu deux émeutes dans un de nos établissements de la phase II. Un jeune contrevenant est mort dans un établissement de détention de la phase II. J'ai parlé à de nombreux jeunes contrevenants qui m'ont dit avoir très peur lorsqu'ils étaient incarcérés dans un établissement de garde en milieu fermé.

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Je pense qu'on ne devrait pas envoyer beaucoup de jeunes dans les établissements de garde en milieu fermé, ces établissements devraient être réservés aux contrevenants dangereux, qui sont relativement peu nombreux; il faut que les jeunes demeurent dans le système de justice pour les jeunes et que nous réservions les dispositions en matière de renvoi aux seuls contrevenants qui seraient déclarés des délinquants dangereux s'ils étaient des adultes.

Cela nous ramène à la raison d'être initiale du système de justice pour les jeunes. Je suis profondément convaincue qu'il faut avoir un système de justice distinct pour les jeunes et qu'il faut que les adolescents demeurent dans ce système.

En fin de compte, seuls les contrevenants dangereux devraient être incarcérés en milieu fermé. Après quoi, il faudrait mettre en place un mécanisme de libération très progressive et très précise accompagné d'un programme structuré. Ces délinquants dangereux ou récidivistes passeraient de la garde en milieu fermé à la garde en milieu ouvert, et de là, ils rentreraient dans leur collectivité d'origine où ils participeraient à une série de programmes de traitement journaliers.

Très bien. Cela paraît excellent mais je suis également profondément convaincue qu'il y a trop de jeunes dans les établissements de garde en milieu ouvert, et qu'il ne serait pas nécessaire de placer ces jeunes dans des environnements résidentiels structurés, si la collectivité était prête à créer des établissements de traitement de jour et à garder ces jeunes chez eux.

Que faire avec les jeunes qui n'ont pas de parents? Eh bien, c'est là qu'intervient la collaboration entre les divers organismes, nous devrons travailler à établir des liens étroits entre les réseaux éducatif, de santé et de santé mentale, entre les services communautaires et sociaux, de façon à ce qui est en fait un problème de santé mentale ou de protection de l'enfance ou un problème médical ou de santé ne soit pas traité comme un problème pénal; il faut encourager la collectivité à participer activement, non seulement pour ce qui est de la prévention au départ, mais à travailler avec les enfants qui se trouvent dans ces établissements de traitement journalier pour que les membres de la collectivité prennent conscience des problèmes auxquels font face certains de ces enfants.

La plupart des jeunes n'ont pas à être incarcérés. Il y en a qui ont parfois besoin d'être dirigés mais ils n'ont certainement pas besoin d'être placés en milieu ouvert. Je recommande fortement que nous travaillions à réaliser ce but. Si nous y parvenions, les adolescents n'auraient pas à subir la violence qu'ils connaissent lorsqu'on les place dans nos établissements pour jeunes.

Une des raisons qui nous pousse à critiquer le renvoi devant les tribunaux pour adultes et l'incarcération des jeunes dans les établissements pour adultes est qu'ils vont subir des violences lorsqu'ils vont se trouver dans un pénitencier pour adultes. J'estime qu'il n'est guère mieux de les mettre dans un établissement pour jeunes contrevenants où il y a de la violence. Je pense vraiment que nous devrions réexaminer complètement ce que nous faisons à certains de nos jeunes.

Le dernier point que j'aimerais aborder, par rapport à la question générale, est que, si nous sommes vraiment convaincus en tant que société qu'il faut prendre soin des jeunes, je me demande alors pourquoi nous nous intéressons si peu à ce que vont vivre les jeunes qui sont finalement envoyés devant les tribunaux pour adultes. Il y a une partie de moi qui pense que nous reconnaissons que nous avons échoué et je n'aime pas beaucoup dire que nous avons échoué avec certains jeunes. Je n'aime pas l'idée d'envoyer quelqu'un dans un milieu où l'on sait que cette personne va être maltraitée comme elle ne l'a jamais été. Si nous échouons et si nous pensons que le meilleur endroit pour nous débarrasser de nos échecs, c'est de les mettre dans des cages, de les traiter aussi durement, alors je pense que cela en dit long sur qui nous sommes et non sur ce que nous voudrions être comme société.

La présidente: Merci.

M. Doob, le sergent d'état-major Bouwman et ensuite, M. Bala.

M. Anthony N. Doob (professeur au Département de psychologie, Centre de criminologie, Université de Toronto): Je vais essayer de répondre à deux questions qui ont été soulevées. La première est celle de Paddy Torsney concernant les jeunes contrevenants non violents et la deuxième était celle de la présidente au sujet des renvois.

Pour ce qui est des contrevenants non violents, il y a un aspect qui me paraît particulièrement intéressant, si l'on veut essayer de comprendre la question et d'essayer de trouver une solution, c'est qu'il existe de grandes variations d'une province à l'autre sur la façon dont le système traite les jeunes, en particulier lorsqu'ils ont commis des infractions mineures. Lorsque l'on recherche les meilleures solutions et examine la façon dont les provinces sanctionnent les infractions mineures sans recourir au système, je crois que, pour ce qui est des choix possibles, il y a une difficulté que l'on retrouve dans certaines provinces - et l'Ontario est une d'entre elles - où l'on a tendance à voir les problèmes et les problèmes criminels en terme de laisser passer ou de faire quelque chose, ce qui veut dire saisir les tribunaux. Il ne faudrait pas que la décision de faire quelque chose consiste toujours à saisir les tribunaux et la tolérance zéro ne veut pas dire, d'après moi, qu'il faut être intolérant à l'égard de toutes les formes de violence. Il ne faut pas que la décision prise soit toujours de traduire le jeune devant les tribunaux. Nous avons déformé les mots et la tolérance zéro veut dire porter une accusation et faire quelque chose veut dire saisir les tribunaux.

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J'aurais tendance à regarder ces aspects-là et je constate qu'il existe des variations énormes entre les provinces.

Je vais vous donner un exemple. Lorsqu'on examine le chiffre des jeunes qui sont traduits devant les tribunaux pour des infractions mineures et qu'on exprime ce chiffre par rapport à 1 000 enfants, ce qui se rapproche de ce que disait Bill Trudell, nous faisons tous ces choses, même si nous ne l'admettons pas habituellement, en tout cas pas de façon aussi franche que lui. Parce qu'on pense que les infractions mineures, en fait, les voies de fait simples en particulier, sont vraiment fréquentes - les jeunes se battent; ils font des choses comme se lancer des boules de neige, ils mettent des camarades sous la douche et toutes sortes de choses qui pourraient les amener devant les tribunaux - ce que l'on constate pour les infractions mineures c'est qu'en Ontario, par exemple, on traduit devant les tribunaux 70 p. 100 d'enfants de plus que la Colombie-Britannique ne le fait. L'Ontario traduit devant les tribunaux cinq fois plus d'enfants que le Québec.

Ce que l'on peut en déduire, ce n'est pas que les jeunes Ontariens sont pires que les autres mais plutôt que la C.-B. et le Québec - pour ne citer que les deux autres provinces les plus peuplées, à titre de comparaison - font les choses différemment. Elles semblent réussir à traiter ces problèmes différemment.

Si l'on s'intéresse alors à ce qui arrive ensuite dans le système, on constate qu'une fois traduits devant les tribunaux, les jeunes suivent un certain processus et lorsqu'on arrive à la fin, il y en a un certain pourcentage, qui est très semblable d'une province à l'autre, qui sont placés sous garde. Au lieu d'étudier, en fin de parcours, les jeunes qui sont placés sous garde, il me semble qu'il faudrait plutôt regarder ce qui se passe au départ.

Par exemple, on pourrait logiquement s'attendre que, si le Québec réussit à trier les cas, même les voies de fait mineures qui justifient des accusations, on pourrait s'attendre à ce qu'un plus fort pourcentage de ces jeunes soient placés sous garde, parce qu'ils devraient représenter les cas les plus difficiles. Ce n'est toutefois pas ce qui se passe; les résultats sont très comparables.

Nous devrions donc examiner ces problèmes aussi bien du point de vue du système de justice pour les jeunes que de ce qui existe à l'extérieur, et nous avons des exemples. Nous ne sommes pas obligés d'aller très loin en Ontario; il nous suffit d'aller un petit peu plus à l'est.

La deuxième question portait sur les renvois. Je suis heureux que la présidente nous ait demandé d'aborder la question du renvoi maintenant plutôt que dans le cadre du troisième thème, qui traite des attitudes à adopter face au petit nombre de jeunes contrevenants qui récidivent et qui sont dangereux. J'espère que ce n'est pas parce qu'elle s'est trompée. Je souhaite qu'elle veuille que nous abordions cette question avec les autres grandes questions que soulève le système de justice pour les jeunes, parce qu'il me semble que la question du renvoi est une question très intéressante et qu'elle est très révélatrice de la façon dont nous considérons les jeunes et le système de justice pour les jeunes, en général.

Pour tout ce qui intéresse la justice pénale, le renvoi a pour effet de transformer un jeune en adulte. C'est une chose assez bizarre lorsque l'on y réfléchit parce que cela veut dire que lorsqu'un jeune fait quelque chose de grave, il est tout d'un coup considéré comme un adulte. On devrait alors considérer ce même adolescent, qui vient d'être accusé d'avoir commis une infraction très grave, comme un adulte pour ce qui est de voter, de consommer de l'alcool et toutes sortes de choses. Cela semble très bizarre et il est très possible que cela reflète en fait l'incapacité fondamentale de notre système de justice pour les jeunes à apporter une solution dans ce genre de cas.

J'aimerais dire quelques mots au sujet du rapport du groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur cette question, parce que les auteurs du rapport estiment, comme je l'ai conclu après avoir lu cette partie du rapport, qu'il n'y a pas suffisamment de jeunes qui font l'objet d'un renvoi. J'ai un peu de mal à voir ce que représente ce «pas assez». Est-ce que plus de 100 jeunes ne serait pas assez? Est-ce trop? Est-ce à peu près ce qu'il faut? Je ne sais pas quelle est la réponse. Il semble que le groupe de travail fédéral-provincial-territorial ait estimé que ce n'était pas assez que de renvoyer devant les tribunaux pour adultes quelque 123 jeunes en 1994-1995. Je ne sais si c'est trop ou si c'est bien. Je ne sais pas comment ils en sont arrivés à cette conclusion.

Pour essayer de comprendre ce que veut dire ce «pas assez», je pourrais peut-être me poser certaines questions: le système de justice pour les jeunes est-il capable de s'occuper des jeunes qui ont été condamnés? On peut présumer qu'ils ont été accusés d'une infraction ou qu'ils s'y trouvent pour des choses relativement graves. Je regarde le fait que les tribunaux pour adolescents ont prononcé l'année dernière quelque 74 000 condamnations. Un peu plus de 11 000 de ces jeunes ont été placés sous garde et 46 d'entre eux ont été condamnés à un placement sous garde en milieu fermé supérieur à 24 mois. Si l'on estime, logiquement, que ce sont ces jeunes qui devraient faire l'objet d'un renvoi, il ne me semble pas que le fait d'avoir condamné 46 jeunes à une peine d'emprisonnement se situant entre deux et trois ans, ou peut-être un peu plus avec les dispositions relatives au meurtre, crée une pression suffisamment forte pour que l'on pense à renvoyer ces jeunes devant les tribunaux pour adultes. Il y a peut-être d'autres arguments. Je ne les connais pas.

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Je crois que lorsqu'on examine les réponses qu'apporte le groupe de travail fédéral-provincial-territorial, que j'ai déjà critiqué parce qu'il aborde les questions sans préciser au départ les principes qu'il convient d'appliquer, il est facile de savoir pourquoi il souhaite qu'on utilise davantage le renvoi. Le groupe de travail affirme que c'est pour mieux répondre aux contrevenants dangereux et violents. Lorsqu'il parle de mieux répondre aux contrevenants violents et dangereux, il semble vouloir dire que c'est pour pouvoir leur imposer des peines plus longues. J'ai déjà abordé cette question, dans une certaine mesure.

Ailleurs, le groupe mentionne un autre principe, qui est le désir d'insister sur l'objectif de dénonciation au moment de l'imposition de la peine, et il signale que l'on peut considérer le renvoi comme une décision ou comme une peine. Les auteurs du rapport laissent entendre que la dénonciation de l'acte commis par le biais du renvoi renforcerait la confiance de la population.

Je ne suis pas du tout convaincu par ces arguments, en partie pour les raisons que j'ai déjà mentionnées. Je me souviens qu'en 1992, ce qui n'est pas très loin, on nous avait dit que cela allait renforcer la confiance de la population; on voulait changer les dispositions en matière de renvoi pour y parvenir. Je me souviens très bien que tout récemment, le ministre de la Justice nous a dit que les changements apportés aux dispositions en matière de renvoi accompliraient, notamment, exactement la même chose. Nous voici donc, moins de deux ans plus tard, les changements ont été adoptés, et nous n'avons pratiquement pas eu le temps de les appliquer, et voilà qu'on nous dit que nous devrions encore les changer.

Il me paraît tout à fait irresponsable de proposer une telle chose. Il y a des dispositions qui sont actuellement en vigueur et nous devrions prendre le temps de les appliquer pour voir ce qu'elles donnent. Mais pour ce qui nous intéresse ici, il me semble qu'agir autrement revient à suggérer que si l'on augmente le nombre des renvois cela va renforcer notre sécurité, que c'est la meilleure façon de régler le problème de la criminalité des jeunes et que les changements apportés à la loi vont d'une façon générale régler le problème de la criminalité. Je pense que si le comité se déclare favorable à ce genre de choses, c'est le message qui sera compris.

La présidente: Merci, M. Doob.

Sergent Bouwman, M. Bala et ensuite Mme Church.

Certains d'entre vous m'ont demandé si leur nom figurait sur la liste. Oui, il y figure. Je dois dire qu'il y a un certain décalage entre le moment où vous me faites signe et celui où vous avez la parole - ce n'est pas la même chose pour moi; je peux parler quand je veux.

Sergent d'état-major Jake Bouwman (cofondateur, Sparwood Youth Assistance Program): J'aimerais signaler que je n'exprime pas l'opinion de la Gendarmerie royale mais celle d'un commandant de détachement et également, citoyen.

Cela dit, mon programme a démarré il y a deux ans à Sparwood. Ken dit qu'après deux ans tout s'arrête. J'espère que ce n'est pas ce qui va se passer pour moi.

Nous avons référé 95 p. 100 de toutes les infractions commises par des jeunes à des conférences familiales. Les victimes ont déclaré être satisfaites à 95 p. 100 de ce système. Tout le monde dit que c'est peut-être parce qu'il s'agit d'infractions mineures, peut-être des vols à l'étalage. Nous avons eu des voies de fait causant des lésions corporelles avec menaces de mort. Nous avons eu un cas d'agression sexuelle que nous avions refusé. La poursuite est venue nous demander de nous en occuper parce que nous avions une meilleure chance d'obtenir certains résultats; et c'est ce que nous avons fait.

Je ne veux pas dire que notre programme est parfait. Il s'en faut de beaucoup. C'est un outil dans une boîte à outils qui en contient beaucoup d'autres et qui devrait être accessible à tous. Le comité pourrait peut-être recommander que la Loi sur les jeunes contrevenants soit changée non pas uniquement pour que l'on examine la possibilité de la déjudiciarisation mais pour appuyer officiellement la déjudiciarisation avant le dépôt des accusations et pour permettre à la collectivité d'utiliser toutes les méthodes novatrices possibles, bien entendu, pourvu qu'elles soient conformes au droit.

Mais je n'aimerais pas que l'on ajoute d'autres règles. Il faudra à l'avenir gagner des parties de football avec des buts plus larges et non pas plus étroits. Je crains que si nous adoptons davantage de lois, davantage de règles, il va être difficile à la société de réagir efficacement.

Pour ce qui est des trois thèmes proposés, je m'occupe en fait de tous ces thèmes, parce que, lorsqu'il y a quelque chose qui ne va pas avec le système judiciaire, c'est toujours la faute du policier. C'est la première personne qui parle aux victimes et celles-ci en profitent.

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Il y a environ 14 mois, un juge - et je ne mentionnerai pas son nom - nous a demandé si nous serions prêts à nous occuper de contrevenants ayant commis une deuxième ou une troisième infraction. Nous avons décidé de ne pas nous en occuper pour le moment parce que nous pensions qu'on devrait donner une seule chance aux jeunes. Il m'a ensuite demandé si je pensais que le système actuel ne fonctionnait pas très bien. J'ai dit qu'effectivement, c'était ce que je pensais. Il m'a demandé pourquoi nous étions prêts à renvoyer dans un système qui, nous le savons, ne fonctionne pas, une personne qui a commis une autre infraction après avoir suivi notre programme. Nous avons parlé de tout cela et nous nous sommes en fait occupés de jeunes qui avaient commis une seconde et une troisième infraction, et ils n'ont pas récidivé, même après une troisième infraction. En fait, on a vu il n'y a pas longtemps ces jeunes récidivistes prendre le café chez moi.

Tous les jeunes ne sont pas mauvais. Ils peuvent se réadapter entre eux mais je crois qu'il faut que la collectivité y participe. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut imposer par voie législative. Il faut être prêt à travailler - les agents de probation, les poursuivants, les jeunes.

Je ne critique pas les juges ni les procureurs de la Couronne. Je dis simplement qu'il arrive que la lettre de la loi nous empêche parfois de faire certaines choses mais que l'esprit de la loi nous y autoriserait. Je vous demande de laisser les policiers, les agents de probation, les procureurs de la Couronne et, oui, même les avocats de la défense, combler ce vide.

La présidente: Merci.

M. Bala, Mme Church et ensuite, Mme Toutant.

M. Nicholas Bala (professeur et vice-doyen de la faculté de droit, Université Queen's): J'aimerais faire quelques commentaires.

Premièrement, vous avez demandé pourquoi le public est-il si monté contre la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est une question de psychologie sociale très intéressante mais complexe. Je crois qu'en partie au moins, cela reflète une certaine ambivalence à l'égard de l'adolescence. J'ai remarqué que, lorsque certains d'entre vous parlaient de leur rôle de parent et de l'adolescence de leurs enfants, ils disaient en fait que c'était une étape de la vie très difficile. Je crois que l'on devrait tenir compte de cet aspect-là.

Cela reflète également le fait que nous vivons à une époque d'incertitude sociale et l'on pourrait dire que nous nous préparons à donner à nos enfants un avenir qui n'est pas particulièrement brillant. Par exemple, si l'on pense à des choses comme le chômage chez les jeunes ou aux difficultés qu'ils rencontrent pour se trouver un premier emploi, qu'il s'agisse de décrocheurs de l'école secondaire ou de diplômés de l'université, nous leur offrons un avenir très incertain. Il est donc possible que nous réagissions à cause d'un sentiment de culpabilité.

Je pense que, d'une certaine façon, les hommes politiques utilisent un peu cette dynamique lorsqu'ils disent que si vous les élisez, ils vont modifier la Loi sur les jeunes contrevenants et résoudre le problème de la criminalité des jeunes que connaît le Canada. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas et j'aurais tendance à être très prudent au sujet de ce genre d'affirmation. Plutôt que d'encourager ce genre de sentiment général, il faudrait dire que c'est un problème social très complexe qui comporte de nombreux aspects et que vous ne réussirez peut-être qu'à améliorer certaines choses. Ne vous donnez pas des objectifs trop ambitieux.

Bien sûr, la situation aux États-Unis indique que la population demande constamment que l'on soit de plus en plus sévère et à un certain niveau, il n'est pas possible de satisfaire à ce genre de demande. Nous n'arriverons jamais à supprimer les crimes et nous n'arriverons jamais à supprimer les crimes commis par les jeunes. Que l'on menace de pendre les gens ou de les fouetter, cela va continuer. C'est pourquoi il faut être très prudent et faire preuve de largeur de vue.

Pour ce qui est des mesures de rechange et des conférences familiales, je dirais que ce sont là d'excellentes idées et il y a des gens qui en ont parlé de façon très éloquente. Je sais, par exemple, que le juge Lilles a décrit certaines expériences menées en Nouvelle-Zélande. Je crois que ce sont des expériences très importantes et je pense que le gouvernement fédéral pourrait faire deux choses.

La première est d'ordre financier. Essayer de structurer les sommes versées aux provinces de façon à encourager les mesures de rechange, les conférences familiales, les décisions communautaires et non pas la construction d'établissements de détention.

Deuxièmement, penser au rôle du juge. J'ai remarqué que le rapport du groupe de travail fédéral-provincial contient d'excellentes choses au sujet des conférences familiales mais il envisage de laisser aux provinces le soin de décider si elles souhaitent y avoir recours ou non. Je pense que le gouvernement fédéral a là un rôle à jouer. Une façon serait de donner aux juges le pouvoir de déclarer qu'ils ne pensent pas qu'une affaire donnée devrait se retrouver devant le tribunal pour adolescents et de leur permettre de recommander que l'affaire soit soumise à une conférence familiale; il faudrait leur donner la possibilité de faire évoluer le système.

.1450

Je voudrais aborder brièvement une autre question, celle du renvoi. Je pourrais reprendre tout ce qu'a dit le professeur Doob. En particulier, de nombreuses études, tant canadiennes qu'étrangères, indiquent que le renvoi n'a pas pour effet de renverser la protection de la société. Les jeunes ne se demandent pas s'ils vont être seulement condamnés à trois, cinq ou dix ans, avant de décider de faire telle chose parce que la peine sera beaucoup plus courte. Ce n'est pas de cette façon que les adolescents raisonnent. Il y en a qui en parle de cette façon après coup mais je crois que tous les éléments, qu'ils soient individuels ou généraux, indiquent que cela n'améliore pas la protection de la société. En fait, de nombreuses études démontrent que si l'on envoie un grand nombre d'adolescents dans les prisons pour adultes, il en découle très souvent un taux de récidive très élevé et des répercussions beaucoup plus préjudiciables à la société. Si l'on regarde ce qui se passe aux États-Unis, dans certains États, on renvoie littéralement des centaines et même des milliers d'adolescents - et on a même recours à la peine capitale - , cela n'améliore pas la protection de la société.

J'appuie tout à fait le professeur Doob lorsqu'il dit qu'il faudrait attendre de voir les résultats que donne les modifications que vous avez adoptées récemment, en tant que comité du gouvernement. Il n'est pas souhaitable d'augmenter le nombre des renvois tant qu'on n'aura pas démontré que cela est nécessaire. Je signalerais néanmoins que si vous voulez modifier les dispositions relatives au renvoi, ou même les examiner, il serait sans doute préférable d'envisager un renvoi postdécisionnel plutôt que de conserver le modèle actuel du renvoi avant le procès, qui ne permet pas au juge de se faire une idée précise de la situation. En fait, le mécanisme est presque conçu pour l'empêcher de prendre connaissance de la situation, cela constitue une dépense et un fardeau inutile pour le système. Je proposerais donc un système qui envisagerait le renvoi après la décision.

Enfin, il y a la question du rôle des parents et c'est une question complexe. Quelqu'un a proposé, je crois, d'obliger les parents à suivre un traitement ou des services de counselling avec leur adolescent. Cela se fait dans certains États américains. Je crois que c'est un élément qu'il conviendrait d'envisager sérieusement, même si je ne suis pas naïf au point de croire que cela donnera toujours de bons résultats. Mais c'est quelque chose qu'il serait peut-être bon d'envisager.

Je suis heureux de voir que personne ici n'a soulevé la question de la responsabilité civile des parents, même si j'ai noté que le groupe de travail fédéral-provincial avait abordé cette question. Je suis contre cette initiative au départ pour des questions de principe - je crains en effet que cela ne fasse croire aux adolescents qu'ils ne sont pas responsables de leurs actes mais que ce sont leurs parents qui le sont - mais je vous signale que c'est sans doute contraire aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle. Vous avez votre propre avocat qui pourrait vous conseiller sur ce point mais je crois que si quelqu'un devait le faire, ce devrait être les provinces. Malheureusement, je crois qu'il y en a quelques-unes qui vont dans cette direction mais je ne pense pas que le gouvernement fédéral ait le pouvoir de le faire.

La présidente: Merci.

Je vais exercer mes prérogatives de présidente et violer les règles de cette fonction en mentionnant que l'idée d'un renvoi postdécisionnel a certainement attiré mon attention. J'espère que nous pourrons peut-être en parler aussi en abordant le troisième thème ou qu'il y a peut-être d'autres personnes qui veulent en parler.

Lorsque vous avez mentionné cet aspect, M. Bala, j'ai remarqué que les membres des professions juridiques qui se trouvent dans cette salle hochaient la tête en signe d'assentiment. Je crois que c'est peut-être dû au fait que, lorsqu'on a travaillé dans ce domaine pendant 10 ou 15 ans, ou suffisamment longtemps pour devenir un juge et juger un meurtre ou quelque chose du genre, on a automatiquement tendance à chercher à protéger les droits de quelqu'un. Il me semble difficile avant de s'être prononcé, avant même de déclarer l'accusé coupable, de penser à ce que pourrait être la peine à lui infliger.

Je ne vais sans doute pas me limiter à ce petit commentaire mais j'aimerais que nous parlions un peu de cela aujourd'hui.

Mme Church, Mme Toutant et ensuite, le juge King - je sais que vous êtes ici.

Mme Leslie Church (membre du Conseil de la jeunesse de la ville d'Edmonton): Merci. Je vais aborder un certain nombre de points qu'a soulevés la présidente et je vais ensuite traiter d'un point qui m'est propre.

Tout d'abord, pour ce qui est des limites d'âge fixées par la Loi sur les jeunes contrevenants, sujet qui n'a guère été touché jusqu'ici, je crois que fixer l'âge maximum de la Loi sur les jeunes contrevenants à 18 ans me paraît tout à fait raisonnable, non seulement parce qu'il concorde avec l'attribution d'un certain nombre de privilèges au Canada - comme un intervenant y a fait allusion - mais également parce que je pense que c'est un âge auquel un bon nombre de jeunes fréquentent encore l'école secondaire. Ils connaissent encore à cet âge certains problèmes que l'on rencontre à l'école secondaire. L'atmosphère de l'école secondaire, qui est bien souvent toute nouvelle, amène fréquemment le jeune à se trouver en contact avec d'autres jeunes contrevenants. Ils sont bien souvent particulièrement vulnérables à ce moment de leur vie et susceptibles de devenir des jeunes contrevenants.

.1455

Pour ce qui est de l'âge limite inférieur, l'âge de 12 ans, j'aimerais croire que la Loi sur les jeunes contrevenants est suffisamment souple, ou pourrait le devenir, pour pouvoir s'appliquer à des enfants un peu plus jeunes, dans les cas de crimes graves et violents. Je crois que les jeunes sauraient qu'ils doivent assumer les conséquences de leurs actes, même à cet âge-là.

À l'heure actuelle, et ce n'est pas uniquement pour le bien des enfants qui ont moins de 12 ans, il y a deux raisons pour lesquelles nous devrions le faire. Tout d'abord, dans l'intérêt de ces enfants, il me paraît important qu'ils sachent qu'il y aura des conséquences s'ils décident d'exercer des activités criminelles, et qu'ils ne s'en tireront pas facilement. L'autre raison est que cela pourrait dissuader certaines personnes plus âgées qui ont tendance à profiter des jeunes enfants parce qu'elles savent qu'à l'heure actuelle ils sont intouchables et ne peuvent être traduits devant les tribunaux.

Voilà ce que je pense des limites d'âge prévues par la Loi sur les jeunes contrevenants.

Dans le cas du renvoi devant les tribunaux pour adultes, je n'étais pas d'accord avec les modifications qui ont été proposées et adoptées en 1995. Il me paraît anormal que le tribunal pour adolescents soit tenu de s'opposer au renvoi automatique des jeunes de 16 et 17 ans devant les tribunaux pour adultes lorsque l'on tient compte du principe fondamental de la Loi sur les jeunes contrevenants qui est, pour l'essentiel, que les jeunes ont des besoins spéciaux et ont besoin de direction jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 18 ans. Je crois qu'on a adopté ces modifications à cause de la publicité et des vives réactions du public à la suite d'articles publiés dans les médias, et non pour tenir compte des besoins particuliers des jeunes contrevenants. Ces modifications répondaient à une demande de la part du public découlant d'un manque de confiance injustifié dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

Ce qui m'amène à la question de savoir si nous traitons les jeunes plus ou moins sévèrement que les adultes. Si l'on regarde les possibilités de probation que l'on offre aux adultes, on constate qu'elles sont beaucoup plus nombreuses alors que les jeunes contrevenants doivent dans la plupart des cas purger leur peine jusqu'au bout. En outre, si l'on examine le projet de loi C-41, on constate qu'il prévoit une peine communautaire, l'idée de permettre aux adultes de purger leur peine chez eux en respectant un couvre-feu. Si l'on compare cela avec le système pour les jeunes, je crois qu'il faudrait introduire des mécanismes beaucoup plus proches de ceux-ci dans le système pour les jeunes.

Cela m'amène au placement sous garde. Si l'on emprisonne 25 p. 100 des jeunes contrevenants... Nous savons que si nous n'exécutons pas les criminels, un sur trois reprendra le chemin du crime. De la même façon, je crois que l'établissement de détention se rapproche beaucoup de l'école professionnelle dans le sens que la recherche m'a permis de constater que lorsqu'un jeune contrevenant est envoyé en prison parce qu'il a volé des voitures, il en ressort en sachant comment faire des introductions par effraction. Il est de nouveau envoyé en prison, devient plus violent à chaque séjour, dans chaque voyage qu'il fait dans le système.

Je pense que ce manque de traitement nous amène à nous en remettre au système judiciaire pour ce qui est de l'indemnisation, du placement sous garde et du service. Dans une certaine mesure, ces choses sont utiles, mais je crois que le système des jeunes contrevenants devrait mettre principalement l'accent sur le traitement. S'il y a placement sous garde, il faudrait mettre l'accent sur la formation professionnelle parce que cela va réduire la récidive. Cela permet aux contrevenants de briser le cycle du désespoir dont nous avons tant parlé aujourd'hui et qui touche l'ensemble des jeunes. C'est ce désespoir qui amène les adolescents à commettre des infractions.

La deuxième chose dont j'aimerais parler est celle de la confidentialité, qui, je crois, joue un rôle dans ce thème ainsi que dans le thème suivant. Je suis favorable à l'idée de la confidentialité parce que j'estime que, si l'on porte atteinte à la confidentialité du système pour les jeunes, l'on porte atteinte aux principes fondamentaux de la réadaptation et de la réintégration des jeunes dans la société. Il est déjà suffisamment difficile de réformer un délinquant parce qu'il fait partie d'un groupe et manque d'estime et de respect de soi. Les jeunes contrevenants ont tendance à réaliser leurs prédictions parce qu'ils n'ont guère d'estime pour eux-mêmes et ont donc tendance à s'engager sur la voie du crime. Il faut, je crois, rompre les liens qui existent entre le jeune contrevenant et le groupe auquel il est identifié ou réformer l'ensemble du groupe - ce qui est beaucoup plus difficile. Lorsque la confidentialité n'est pas respectée, cela condamne le contrevenant à demeurer dans son groupe, qu'il le veuille ou non.

Dernièrement, il y a eu de vives réactions de la part du public, parce que les gens pensent que l'on devrait publier le nom des jeunes contrevenants. Cela me paraît très mauvais. La seule garantie que nous ayons de réintégrer les jeunes contrevenants dans la société est de leur fournir le moyen de le faire et de devenir des membres respectés de la société, sans qu'ils aient à vivre avec ce stigmate.

.1500

En résumé, la Loi sur les jeunes contrevenants contient des mécanismes très bien adaptés aux jeunes contrevenants mais je ne pense pas nécessairement qu'elle a été mise en oeuvre comme il le faudrait. C'est peut-être à cause d'une insuffisance de fonds. Je ne connais pas bien ce domaine. Mais il me paraît évident qu'il faut mettre à nouveau l'accent sur le traitement des contrevenants.

La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, madame Church.

[Français]

Madame Toutant, s'il vous plaît.

[Traduction]

Mme Cécile Toutant (coordinatrice, Unité des adolescents, Institut Philippe Pinel de Montréal): Je ne sais pas à quel moment vous voulez faire une pause-café. Je peux attendre après la pause.

[Français]

La vice-présidente (Mme Torsney): Vous pouvez continuer pendant quelques minutes.

Mme Toutant: Premièrement, je pense que si, dans une famille, chaque fois que les enfants contestent la façon dont les parents les élèvent, ces derniers changent d'idée, les enfants vont cesser de croire que leurs parents savent ce qu'ils font. En modifiant à répétition la Loi sur les jeunes contrevenants, à mon avis, on a miné la confiance dans cette loi. C'est, selon moi, un problème politique. Je ne pense pas que c'est la communauté qui ne croit pas que la loi est valable. On a fait certaines critiques et on a eu très peu de volonté politique de répondre autrement que par des changements.

Deuxièmement, quand on parle de traitements pour des adolescents violents ou des adolescents dangereux, on parle d'une période de temps relativement longue. On ne change pas les comportements en trois mois. On constate que plus de 80 p. 100 des placements en milieu de garde sont pour une période de moins de trois mois et que 90 p. 100 de ces placements sont pour une période de moins de six mois. On est donc en droit de se demander la raison de tous ces placements en milieu de garde.

C'est excessivement dangereux à un autre niveau, parce qu'on donne l'impression que les jeunes ont profité des ressources au niveau juvénile parce qu'ils ont été placés en milieu de garde. Si la personne est placée pour une très courte période, il ne faut pas s'attendre à des changements. Le changement exige plus de temps.

Ma troisième remarque porte sur le renvoi. Tous les automatismes son mauvais, à mon avis, et je supplie les membres du comité de ne pas les supporter. Ils empêchent qu'on évalue chaque situation et chaque personne indépendamment de son délit. Je vais vous donner en exemple d'une recherche qui a été faite au Québec sur la récidive de trois groupes. Le premier groupe comprenait des adolescents meurtriers, le deuxième, des adolescents violents qui n'avaient pas commis de meurtre et le troisième, des adolescents qui n'avaient que des antécédents de délits contre la propriété.

Quand on a fait l'évaluation de la récidive violente dans ces trois groupes, on s'est aperçu que les meurtriers qui n'avaient pas un mode de vie délinquant antérieurement à leur délit affichaient un taux récidive violente de zéro. Chez ceux qui avaient un mode de vie délinquant, il y avait de la récidive, mais très peu de récidive violente. Chez les adolescents qui avaient commis des délits contre la propriété, il y avait plus de récidive violente que dans les deux autres groupes.

Donc, lorsqu'on a des mesures automatiques de renvoi, on se dit que l'adolescent qui a tué doit automatiquement être envoyé dans le système adulte et on ne cible pas les bons cas. Dans le système juvénile, on est capable de les traiter la plupart du temps et, quand ce n'est pas possible, après plusieurs tentatives, on utilise le renvoi. Donc, on a besoin de changements pour pouvoir utiliser ces moyens-là.

La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup. Madame King, s'il vous plaît.

[Traduction]

Le juge Lynn King (Cour de l'Ontario, Division provinciale): Je veux vous présenter des commentaires très simples. Ils concernent certains changements que l'on pourrait apporter à la Loi sur les jeunes contrevenants.

.1505

Lorsqu'on examine les statistiques, on constate que 40 à 50 p. 100 des jeunes sont placés en probation. Lorsque je siège, je me demande toujours «Pourquoi vais-je envoyer ce jeune en probation? Qu'est-ce que cela va donner?» Bien sûr, je me demande aussi pourquoi je le place sous garde et ce que cela va donner.

Le rapport prédécisionnel est à l'heure actuelle obligatoire lorsque le placement sous garde est envisagé. Je n'aime pas beaucoup ajouter des règles mais je crois qu'il faudrait également rendre obligatoire les rapports prédécisionnels lorsqu'on envisage la probation, pour que les gens justifient leur décision.

Je suis en train de voler quelque chose qui appartient à Jim Robb et Martin. Il y a des choses qui doivent figurer dans les rapports prédécisionnels mais il y a une chose qui est très importante et qu'on n'y trouve pas, ce sont les programmes de soins. Cela existe dans les services de protection de l'enfance; les organismes doivent présenter un programme de soins. Les rapports prédécisionnels portent uniquement sur les antécédents, l'instruction et le dossier du jeune. Il est très rare qu'ils comprennent un programme de soins. C'est la partie la plus difficile.

Le juge est donc en train de siéger, il a devant lui un enfant qui a fait certaines choses et à la fin de l'audience, il dit «Probation, neuf mois». C'est une perte de temps et d'argent. Si nous voulions vraiment essayer de réadapter les adolescents, il faudrait être prêt à faire l'effort. Chaque enfant est différent et chacun mérite qu'on établisse un programme de soins pour lui. En l'absence de programme de soins, ils ne devraient pas être mis en probation, ni placés sous garde.

J'en arrive au placement sous garde. Je suis en faveur des modifications qui sont entrées en vigueur en janvier 1996 et qui disent qu'on ne peut placer quelqu'un sous garde que lorsqu'on a essayé toutes les autres possibilités. C'est ce que je fais tout le temps. Mais j'aimerais que l'on modifie encore la loi pour qu'elle dise qu'on ne peut placer un jeune sous garde que si l'on veut le réadapter.

Il faut réfléchir à cette question parce qu'il est évident que nous incarcérons les gens pour les punir. Si nous pensions vraiment que nous allions les réadapter, nous ne leur donnerions pas 10, 30 jours ou deux mois d'incarcération. La véritable raison pour laquelle on incarcère des gens est qu'il y a quelqu'un qui en colère contre eux, et ces personnes pensent que, si on impose une peine sévère et de courte durée, le jeune va savoir qu'il a fait quelque chose de mal et il va changer. On a démontré que cela ne fonctionnait pas. Cela ne donne rien. Je ne sais pas ce qu'il en est des adultes mais je sais qu'il ne faut pas punir les adolescents en les incarcérant, en espérant que cela va les changer.

La loi devrait énoncer les principes sur lesquels pourrait s'appuyer la décision de placer un jeune sous garde. Cela est une question très difficile. C'est une question que l'on étudie depuis des temps immémoriaux. S'agit-il de punir? S'agit-il de dénoncer un geste? S'agit-il de réhabilitation?

Dans le cas des adolescents, je crois que l'on peut dire que cela vise uniquement la réadaptation sociale et l'on ne devrait placer un adolescent sous garde que lorsqu'on estime que cela va l'aider à se réadapter. Cela ferait disparaître une bonne partie de ces peines de 10, 20 ou 30 jours que l'on impose assez futilement. Cela est une perte d'argent et c'est un traitement cruel et inusité.

La dernière chose que j'aimerais mentionner est qu'il devrait exister un principe - qui pourrait figurer dans la Loi sur les jeunes contrevenants - d'après lequel toute décision devrait tenir compte des troubles de fonctionnement dont souffre le jeune, y compris les difficultés d'apprentissage, et indiquer les moyens choisis pour le faire.

Je sais que M. Henteleff a quitté la salle mais je peux vous dire que, d'après mon expérience, d'après les statistiques, et de toutes les façons possibles, il y a plus de 50 p. 100 des jeunes qui souffrent de troubles d'apprentissage ou d'un déficit de la capacité d'attention. C'est comme les personnes qui souffrent du syndrome de l'alcoolisme foetal. Ces personnes ne réagissent pas aux mêmes signaux sociaux que les autres. Elles sont là, on les traite comme si elles n'avaient pas de troubles d'apprentissage. Nous prétendons qu'elles n'en ont pas. Si nous n'avons pas de motif valable pour justifier la décision et si nous ne savons pas comment la peine va les aider, nous ne devrions pas être là.

La décision doit être adaptée à la personne. J'aimerais que l'on modifie en ce sens la Loi sur les jeunes contrevenants.

La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, votre Honneur.

La personne suivante sur la liste est M. Lonar.

M. William Lonar (directeur intérimaire, Young Offenders Institution; ancien surintendant, Centre jeunesse de la Nouvelle- Écosse): J'aimerais présenter un commentaire au sujet de l'incarcération.

En Nouvelle-Écosse, nous avons un établissement de 120 lits qui est tout le temps plein. Lorsque j'examine la situation, je constate qu'il y a 10 à 15 p. 100 de cette population qui n'a pas envie de partir lorsque le temps est venu de le faire, parce qu'ils n'ont pas d'endroit où aller. Il y a un autre 10 à 15 p. 100 de la population qui se comporte mal pendant l'incarcération pour rester plus longtemps dans l'établissement.

Pour un autre 10 ou 15 p. 100 de ce groupe, nous passons la moitié de leur peine à essayer de leur trouver un endroit pour vivre parce qu'on ne peut les renvoyer dans leur foyer. Cela me préoccupe, parce qu'il y a près de 70 p. 100 de cette population qui pourrait purger des peines plus courtes et 30 p. 100 qui ne devraient même pas se trouver dans l'établissement. Ils pourraient participer à d'autres programmes communautaires.

.1510

Nous ne pouvons envoyer tous ces jeunes en probation parce que les services de probation sont surchargés à l'heure actuelle. Il ne sert à rien de donner 100 ou 120 cas à un agent de probation. Cela ne donne aucun résultat. Mais si l'on demande à un délégué à la jeunesse de s'occuper de 10 à 12 adolescents dans la collectivité, il peut prendre contact avec les parents, avec la famille, l'école et tout le reste, cela est efficace et beaucoup plus rentable.

Nous sommes en train d'essayer de mettre au point ce système en Nouvelle-Écosse. Nous avons demandé à deux ou trois membres de notre personnel de l'établissement de s'établir dans diverses collectivités de la province. Nous avons donc démarré un programme de ce genre.

Nous constatons qu'il y a beaucoup de jeunes qui sont passés par notre établissement et qui reprennent contact avec nous après leur libération. Un an, six mois, deux ans plus tard, ils rappellent le travailleur qui s'est occupé d'eux dans l'établissement parce qu'à l'extérieur, il n'y a ni ressources, ni soutien. Ils sont inquiets parce qu'ils prennent de nouveau des drogues ou quelque chose qui leur est arrivé. Ce qui me préoccupe, c'est que ces enfants sont obligés de rappeler l'établissement où ils ont été incarcérés parce qu'il n'y a rien pour eux dans la collectivité, ni ressources, ni soutien.

Pour ce qui est de la durée de la peine, la durée moyenne du séjour au Centre jeunesse de Nouvelle-Écosse est d'environ neuf mois. Soixante pour cent environ de la population actuelle a commis des crimes violents. Ce n'est pas en incarcérant des adolescents pendant 30, 60 ou 90 jours, voire même pendant trois ou quatre mois, que l'on va pouvoir les réadapter. Nous offrons des programmes de traitement contre la toxicomanie. Nous avons un programme de traitement destiné aux contrevenants sexuels, et nous avons un programme de traitement pour les victimes de mauvais traitements, mais tout cela s'adresse aux jeunes placés sous garde. Lorsque je regarde ce qui se fait dans la collectivité, les jeunes qui ne se retrouvent pas dans l'établissement peuvent suivre peut- être un programme de lutte contre la toxicomanie, mais il n'y a pas de programme pour les délinquants sexuels dans la collectivité. La seule façon de traiter un adolescent de 13 ou 14 ans qui a commis une infraction sexuelle est de l'envoyer dans un établissement de détention.

Nous tentons à l'heure actuelle de collaborer avec différents ministères du gouvernement. Il y a quatre ministères du gouvernement de la Nouvelle-Écosse qui se consultent régulièrement et qui ont commencé à mettre en commun un certain nombre de ressources. Nous sommes même en train de nous demander ce qu'il faudrait faire pour remettre à un jeune un mandat de dépôt qui lui permettrait de se rendre dans l'établissement. Serait-il possible de laisser des jeunes venir dans notre établissement uniquement pour suivre ces programmes? Nous allons demander à des membres de notre personnel de travailler dans la collectivité. Nous allons offrir ces programmes aux jeunes qui se trouvent dans la collectivité avant qu'on ne les envoie dans notre établissement.

En fin de compte, nous aimerions réduire notre population de 30 à 40 p. 100, et utiliser le personnel de l'institution pour offrir ces programmes aux jeunes dans la collectivité.

Une dernière observation sur le suivi postpénal, qui me paraît absent, du moins en Nouvelle-écosse. Le jeune qui est traduit devant les tribunaux reçoit par exemple une peine de six mois à laquelle vient s'ajouter une période de probation de six mois. Lorsque cela est terminé, le système de justice ne s'occupe plus de lui. L'adolescent va peut-être se retrouver chez lui ou ailleurs, mais ses problèmes sont toujours là. Il est possible qu'on ait commencé à faire quelque chose à ce sujet mais il n'y a rien qui permette de poursuivre cet effort. Lorsque l'enfant atteint l'âge de 16 ans, il ne bénéficie d'aucun service de soutien.

Nous sommes obligés de les renvoyer soit dans le même milieu familial, soit dans le système de bien-être municipal. Il y a quelques foyers de groupe mais ils sont surpeuplés. Il n'y a donc pas grand-chose. Il y a des jeunes qui purgent des peines de cinq, six et sept mois, qui ont parlé des choses graves qu'ils avaient déjà vécu, qui ont ouvert certaines portes, qui ont fait certains progrès mais que l'on revoit ensuite dans la collectivité. Quatre, cinq, six mois plus tard, il faut tout recommencer.

Cela ne devrait pas nécessairement se passer comme cela. En modifiant l'utilisation de nos fonds, pour les consacrer à la collectivité et au personnel qui y travaille, cela ne se produirait pas. Mais la transition va prendre quelques années, parce que pendant 10 ans, on a surtout mis l'accent sur les établissements. Finalement, je crois qu'il y a d'excellents programmes qui en sont soit à l'étape de conception soit à celle de la mise en oeuvre et qui vont remplacer l'incarcération - par exemple, les programmes de surveillance intensive où l'on travaille avec le jeune et sa famille, ce genre de choses.

Le thème choisi pour la matinée me paraît extrêmement important. Si l'on ne fait rien avant de nous envoyer ces jeunes, on ne pourra pas faire des miracles en six mois, en un an, un an et demi dans nos établissements ou nos programmes communautaires. Cela ne donnera rien. On nous amène des jeunes qui ont 14, 15, 16 ou 17 ans.

Voilà tout ce que j'avais à dire. Merci.

La présidente: Merci.

.1515

Le juge Lilles.

Le juge Heino Lilles (juge de la Cour territoriale du Yukon): Merci, madame la présidente. J'ai un certain nombre d'observations à vous communiquer.

Je vais commencer par vous dire que j'ai noté près de 100 sujets que j'aimerais aborder. Voilà les mauvaises nouvelles. Les bonnes nouvelles découlent de deux choses. La plupart des gens qui se trouvent ici ont déjà abordé, de façon beaucoup plus éloquente que moi, la plupart des sujets que je voulais toucher; pour les autres, vous êtes sauvé parce que je ne peux pas lire ma propre écriture, elle est tellement mauvaise.

Je vais aborder un certain nombre de sujets, comme l'ont fait déjà plusieurs personnes. Je tiens à vous dire que les commentaires que j'ai entendus ici aujourd'hui m'ont fort impressionné. Ils sont tous éclairants, magnifiques et spectaculaires. Je suis très encouragé par le fait que le comité s'est engagé à traduire tout ce qu'il a entendu aujourd'hui dans les recommandations qu'il va présenter au ministre. Voilà qui me paraît excellent.

La présidente: Il faut que je vous dise qu'en tant qu'ancienne criminaliste, je trouve très agréable d'avoir tous ces juges autour de moi et d'être aux commandes. Allez-y.

Le juge Lilles: Je suis content que vous ayez fait cette observation, madame la présidente.

Pour ce qui est de la séance de ce matin, je crois que nous l'avons tous trouvé très rassurante parce que nous entendions des choses que nous connaissions tous. En fait, je crois que le Parlement, du moins depuis le rapport Horner, connaît toutes les choses dont nous avons parlé ce matin.

Le rapport Horner a été présenté au Parlement, il y a quatre ans. Je crois que c'était un excellent rapport, très éclairant. Il a été rédigé par un ancien policier qui a très bien décrit quels étaient les causes et les facteurs principaux en matière de criminalité. Il a présenté d'excellentes recommandations; une des principales était qu'il fallait consacrer un pour cent du budget annuel de la justice à la prévention, pour en arriver à y consacrer cinq pour cent après cinq ans.

Je ne pense pas que cela ait été fait, madame la présidente, et c'est le genre d'initiative qui aurait dû être mis en oeuvre. Je crois que c'est à vous à veiller à faire bouger les choses parce que tout ce que vous avez entendu aujourd'hui vous indique que si l'on veut modifier les choses, ce n'est pas en changeant la Loi sur les jeunes contrevenants qu'on y arrivera. Il faudra aller au-delà de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Si vous êtes d'accord avec cette affirmation, vous savez aussi qu'il existe d'autres défis pour le gouvernement. Il s'agit de supprimer les obstacles insurmontables qui séparent les divers ministères du gouvernement et qui empêchent d'adopter une approche intégrée à tous ces problèmes.

J'ai entendu un bref commentaire de Duncan Sinclair à la radio. Duncan Sinclair est le pape de la destruction des hôpitaux en Ontario, et un de mes anciens chefs à Queen's. Il faisait remarquer que nous dépensions beaucoup trop de temps à réagir dans le réseau de santé et que nous ne dépensions pas suffisamment d'argent dans le domaine de la prévention. Eh bien, le système de justice se trouve exactement dans la même situation.

Il y a une synergie que nous font perdre les obstacles à l'intégration de l'action des ministères. Par synergie, je veux dire des économies exponentielles. Cette synergie s'explique par le fait que les interventions qui permettraient d'augmenter de façon importante la santé de la collectivité et de réduire les dépenses dans ce domaine sont pratiquement les mêmes que celles qui réduiraient le coût de la justice. Et le savez-vous? Ces interventions réduiraient également de façon importante le coût des services sociaux ainsi que celui de l'éducation.

Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas supprimer ces obstacles. Je sais, peut-être pas autant que je le devrais, que cela ne sera pas facile, mais c'est une tâche difficile qu'il faut accomplir et qui est urgente.

Je voulais dire à M. Keeling, ne vous inquiétez pas, vous aurez pris votre retraite depuis longtemps avant que votre emploi disparaisse. Tout en regardant en arrière, on verra que les juges des tribunaux pour adolescents vont vous garantir un emploi pour vous, pour vos enfants et pour les enfants de vos enfants, si l'on se fie à ce qui s'est fait jusqu'ici.

J'ai déjà signalé cet aspect. Le taux d'incarcération des jeunes au Canada est le double de celui des États-Unis. Il est 10 à 15 fois supérieur au taux d'incarcération par 100 000 jeunes si on le compare à la plupart des pays européens, à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande. Que se passe-t-il ici? Qu'est-ce qui ne va pas?

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Tony Doob a mentionné que les provinces ont recours de façon très variable aux tribunaux pour adolescents. Il vient de publier une étude à ce sujet, qu'il a faite avec un collègue. On trouve une constatation particulièrement éclairante dans cette étude, d'après moi, c'est que peu importe le nombre des affaires soumises au tribunal, peu importe le juge qui siège, il y a 33 à 36 p. 100 des jeunes qui seront placés sous garde.

Ce n'est pas un phénomène national. C'est un phénomène international. Il y a cinq ou six ans, l'Angleterre a mis en oeuvre un programme intensif d'avertissement par les policiers qui leur a permis de déjudiciariser 20 à 30 p. 100 des cas. On craignait que le taux d'incarcération n'augmente brutalement. Il a en fait légèrement baissé. Il est à peu près resté au même niveau.

Je suis convaincu que la seule façon efficace de réduire le taux d'incarcération des jeunes est de réduire le nombre des jeunes traduits devant les tribunaux. Si l'on veut vraiment changer les choses, c'est ce qu'il faut faire. Il y a d'autres petits ajustements que l'on peut faire, mais si l'on veut vraiment modifier la situation, c'est la seule façon d'y parvenir.

Quelqu'un a mentionné les peines avec sursis imposées aux adultes, les dernières modifications au Code criminel. Cela me paraît une question importante. J'en ai parlé à plusieurs reprises avec des collègues qui m'ont déclaré qu'ils s'attendaient à ce que l'absence de dispositions parallèles dans la Loi sur les jeunes contrevenants fasse l'objet de contestations judiciaires fondées sur les dispositions de la Charte en matière d'égalité.

C'est pourquoi j'inviterais le comité à examiner ce genre de disposition ou plutôt leur absence. Il est possible que l'on soit en train de préparer quelque chose. Vous pourrez peut-être prendre les devants. Bien utilisées, ces dispositions pourraient avoir un effet positif et donner aux tribunaux une autre occasion, une autre raison de se demander s'il est vraiment nécessaire d'envoyer cette personne en prison, peine avec sursis, ou si nous pouvons la garder dans la collectivité.

Nous avons également parlé des moins de 12 ans. Je dois dire que je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon ancien collègue et coauteur, le professeur Bala. Je ne vois aucune raison d'abaisser l'âge minimum à moins de 12 ans, pour faire entrer les jeunes de 10 et 11 ans dans le système de justice pour les jeunes contrevenants. La raison superficielle - on pourrait poser la question simpliste suivante: si la Loi sur les jeunes contrevenants donne des résultats aussi mauvais pour les jeunes de 12 à 18 ans, comment peut-on vouloir l'appliquer aussi aux jeunes de 10 et 11 ans?

Sur un plan plus concret, et beaucoup plus coûteux, il faut savoir qu'on serait pratiquement obligé de créer un nouveau niveau d'établissement destiné aux enfants de 10 et 11 ans. Il ne faudrait pas, je crois que la société ne l'accepterait pas, placer les enfants de 10 ans avec des jeunes de 16 et 17 ans. Il faudrait également offrir des types de programmes différents à ces enfants. C'est bien gentil de parler des 10 et 11 ans mais il faut savoir que cela va coûter très cher. Sommes-nous prêts à en payer le prix?

J'ai aussi un problème génial. Je ne suis pas convaincu que les provinces et les territoires aient exercé tous leurs pouvoirs en matière de droits civils, de santé mentale et de services sociaux à l'égard des moins de 12 ans. Je sais fort bien que les provinces aimeraient beaucoup transférer au gouvernement fédéral la responsabilité à l'égard des enfants de 10 et 11 ans. Je crois que les gouvernements provinciaux cherchent principalement à faire supporter ces coûts par le gouvernement fédéral.

Cela se produit déjà lorsque des organismes de protection de l'enfance disposant de ressources insuffisantes remettent leurs pupilles au réseau des jeunes contrevenants pour des infractions relativement mineures alors qu'un parent normal dans une maison normale réglerait seul ce genre de cas sans faire intervenir la police. C'est pourquoi je me pose beaucoup de questions au sujet de cette initiative et je demanderais au comité de l'examiner très soigneusement avant de donner suite à cette recommandation.

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Au Yukon, nous avons consacré plusieurs années à mettre sur pied un programme de conférence familiale pour les moins de 12 ans. Je crois que ce programme va bientôt démarrer. Je recommanderais aux autres provinces et territoires d'examiner cette possibilité, parce que cette approche permet de réunir la famille et d'aborder très tôt les questions liées à l'école, à l'éducation, à la nutrition et à la santé. Cela me paraît un mécanisme qui offre d'énormes possibilités et qui peut être adopté ailleurs.

On a parlé de la probation. C'est un grand problème. Les juges placent les jeunes en probation et nous avons certaines attentes au sujet de ce que devrait donner la probation. Cela se produit rarement. Il arrive que nous placions un jeune en probation et celui-ci va être, pendant un certain nombre de mois, obligé de voir quelqu'un de façon intensive. Il nous arrive parfois de placer un jeune en probation dans le seul but de régler un problème mineur. Il me serait utile en tant que juge que la loi fédérale, quel que soit le nom que l'on pourrait lui donner, prévoie plusieurs niveaux de probation, pour que, lorsque le juge parle de probation de niveau un ou de niveau quatre, il puisse raisonnablement s'attendre à ce que l'adolescent voie, au cours des trois premiers mois, un travailleur au moins une fois par semaine en personne et non pas lui parle au téléphone. Cela aiderait beaucoup les juges.

Pour ceux d'entre vous qui oeuvrent au sein du système, je vais vous signaler une chose assez particulièrement que nous faisons au Yukon; nous révisons toutes les ordonnances de probation qui concernent des jeunes. Par exemple, si je place un jeune en probation pour une durée de 12 mois, la durée légale, et que je lui ordonne de ne pas troubler l'ordre public et de bien se conduire, et de comparaître devant le tribunal lorsqu'il en est requis - comparaître devant le tribunal lorsqu'il en est requis veut dire que je peux ordonner à cette personne de revenir dans trois mois me dire comment se passe la probation - c'est un excellent mécanisme qui permet aux jeunes de rendre compte de ses actes. Si la loi indiquait clairement aux autres juges qu'ils pouvaient utiliser cette disposition de cette façon, je crois que cela pourrait être utile.

Lorsque vous étiez à Whitehorse, certaines personnes vous ont dit que la Loi sur les jeunes contrevenants était assez difficile à comprendre. Je ne sais pas si on vous l'a dit ailleurs; je sais qu'après votre départ, j'ai entendu une nouvelle de ce genre. Cela m'a fait réfléchir, et je me suis dit que cela était très juste. Voici une loi qui traite de questions fondamentales qui touchent la famille, les parents et les jeunes. Il y a très peu d'avocats qui, telle qu'elle est rédigée actuellement, puissent la lire et la comprendre et faire des commentaires intelligents à son sujet. Il n'est pas surprenant qu'il y ait beaucoup de parents et de citoyens qui ne savent pas très bien ce qu'elle contient. Je suis certain qu'on vous a présenté des observations, au cours de vos audiences, qui étaient fondées sur de fausses conceptions au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les gens la connaissent mal.

Vous feriez une contribution importante à la justice pour les jeunes en traduisant en langage simple la Loi sur les jeunes contrevenants. En théorie, cette loi devrait avoir un effet dissuasif sur les adolescents. Les adolescents devraient comprendre la loi et savoir ce qu'elle veut dire. Ce n'est pas le cas. Les parents ne le savent pas et les citoyens non plus. Merci.

La présidente: Puisque c'est déjà officiel, je vais vous dire, en toute confidence, qu'un ministre provincial s'est déjà plaint des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants en matière de libération conditionnelle.

Monsieur Trudell, je veux donner à tout le monde la chance de s'étirer un peu avant de terminer la séance.

M. Bill Trudell (président, Conseil canadien des avocats de la défense): Je vais m'efforcer de faire très rapidement un certain nombre de commentaires. Nous faisons maintenant partie du système et je représente aujourd'hui les avocats de la défense de l'ensemble du pays. Il est clair qu'il y a des disparités à l'échelle du pays pour ce qui est des mesures extrajudiciaires, de la déjudiciarisation et de la garde. Il y a des enfants qui veulent rester à l'intérieur et d'autres qui arrivent devant le tribunal avec les yeux pochés.

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Ce qui, je pense, est vu dans certaines provinces comme une garde en milieu ouvert pourrait être considérée comme une garde en milieu fermé en Ontario. Il y a donc des disparités puisque les enfants ne sont pas tous représentés de la même façon et ne sont pas sur un pied d'égalité. Ils n'ont pas les mêmes chances sur ce plan. C'est un problème tout à fait marquant que le gouvernement fédéral se doit d'examiner.

En ce qui concerne l'article 56, il n'y a rien de magique. Un jeune qui se retrouve au poste de police, qu'il s'agisse ou non d'un petit enfant qui fait le malin, va être vite très impressionné par le cadre. Ce n'est pas la peine d'aller bien loin. Si, en sortant de cette salle, vous montez dans votre automobile et qu'un agent de police vous demande d'arrêter votre véhicule, vous allez avoir des sueurs froides, que ce soit pour une contravention de stationnement ou pour toute autre chose. Les adultes le ressentent et il ne faut donc pas croire que les jeunes qui se retrouvent sous la garde de la police y échappe.

Il y a d'excellents agents de police comme il y a d'excellents avocats, et il y en a de mauvais comme il y a de mauvais avocats. Il n'en reste pas moins que si les agents de police respectent les règles et font preuve d'un peu de discipline, l'article 56 ne pose aucun problème. Il n'y a rien de magique dans l'article 56; c'est l'application de la common law. Tout ce que l'on dit au sujet de l'article 56 et toutes ces histoires à propos des gens qui s'en sortent sur des points de détail ne sont qu'accessoires; on en fait beaucoup de tapage, mais ce n'est pas exact.

Si nous voulons protéger les jeunes, si nous voulons les traiter à part pour qu'ils ne soient pas mélangés avec les adultes et ne soient pas traités comme tels tant qu'ils n'ont pas atteint cet âge magique qui leur permet de voter pour le bon parti, il nous faut instituer des mesures de protection. À mon humble avis, il ne faut pas toucher à l'article 56.

Les renvois posent un problème très intéressant. D'après moi, si l'on doit procéder à un renvoi, c'est parce que nous ne savons plus quoi faire du jeune et parce que nous avons échoué. Le renvoi est la sanction qu'impose l'opinion publique. Le système s'adressant aux jeunes contrevenants serait trop laxiste. Il faudrait les renvoyer devant un autre tribunal.

Au nom de tous les avocats de la défense, je veux souligner ici tout le travail qu'a accompli le groupe d'étude mais, lorsqu'il parle d'augmenter le nombre de renvois, je considère qu'il a totalement tort. Lorsqu'on parle de renvois et lorsqu'on considère la nature d'une audience de renvoi, il faut bien voir qu'un jeune, tout comme un adulte, est présumé innocent. Si toutefois on organise une audience de renvoi avant même que le jeune soit reconnu coupable, il est peut-être présumé innocent en théorie, mais dans la pratique on part du principe qu'il est coupable.

Lorsqu'un médecin interroge mon client, je fais ce que font tous les avocats de la défense, je dis au médecin et au client qu'ils n'ont pas à parler de l'infraction. Je leur dis qu'ils n'ont aucune obligation de parler de ce qui s'est passé. Comment le médecin peut-il se présenter devant le tribunal et aider justement sur ce point le juge? Je ne peux pas le permettre. Je dois protéger mon client parce que cet enfant réfléchit dans sa tête. Nous sommes encore au tout début de la procédure et la conduite et la responsabilité criminelles ont deux dimensions: il y a l'acte lui- même et il y a l'intention.

Comme tout avocat de la défense, je ne vais pas autoriser mes clients à parler des événements. Je lie alors les mains du psychiatre, du psychologue, du juge. Le juge se retrouve en face d'un meurtre ou d'un crime horrible, l'opinion publique crie vengeance et l'enfant est renvoyé devant un tribunal pour adultes. Ça ne marche pas.

Je pense que beaucoup de gens seraient d'accord avec vous dans notre pays, et l'on économiserait beaucoup d'argent, si vous vous prononciez d'abord sur la culpabilité ou l'innocence de l'accusé et si vous décidiez ensuite - nous parlons alors du châtiment, car tout se ramène à ça - s'il doit être ou non renvoyé.

Pour ce qui est d'abaisser l'âge, je vois mal d'où vient cette idée. Il s'agit là de tenir responsable un enfant de 10 ans. Je ne permettrais pas à un enfant de 10 ans de garder un autre enfant de 12 ans, ou encore un enfant de cinq ans ou de deux ans. En tant que parent, je serais critiqué. Nous parlons ici de responsabilité.

Il ne s'agit pas ici pour moi de dire à mon client, je sais que vous avez déclaré à tout le monde que vous êtes coupable, mais je vous dis en fait que vous ne l'êtes pas. Ce n'est pas mon travail. Mon travail, c'est de lui expliquer comment le système fonctionne et de le protéger contre ce qui peut se passer par la suite, dans un an, deux ans, cinq ans.

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Revenons un peu en arrière. Le professeur Bala a parlé de responsabilité. Avec tout le respect que je lui dois, que signifie la responsabilité pour un enfant de 12 ans? S'il ne comprend pas cette notion, elle n'a aucun sens à mon humble avis. Nous abdiquons nos responsabilités en traduisant ces jeunes devant la justice pénale, qui impose en fait un châtiment à des gens qui ont enfreint les règles de notre société et qui ne peuvent plus y vivre, indépendamment de l'existence de la Loi sur les jeunes contrevenants. Si ce n'est pas pour les protéger dans l'enceinte d'un poste de police, oublions la Loi sur les jeunes contrevenants. Si nous avons cette loi, c'est parce que dans ce grand pays nous reconnaissons que les enfants ne sont que des enfants et à mon humble avis il n'est pas très brillant de revenir sur ces acquis pour céder aux pressions de l'opinion publique.

Je tiens à dire deux dernières choses et j'en aurai terminé. J'aimerais que le ministère de la Justice se lance dans notre pays dans un grand programme d'éducation permettant d'expliquer en quoi consiste, non seulement le système pour les jeunes contrevenants, mais aussi la justice pénale. C'est la seule chose que l'on n'apprend pas dans les écoles. Si nous faisions quelques efforts pour essayer d'expliquer ces choses à la population, qui réagit au sujet d'une affaire qui a eu lieu hier à Toronto et dans laquelle il semble que quelqu'un ait pris trois à trois ans et demi de prison, les gens se plaignant... Il y a toute une histoire derrière cela. Cet enfant a écopé du maximum, mais il y a une explication pour tout ce qui s'est passé. Si on en parlait aux gens et si on leur faisait comprendre pour quelle raison le juge a décidé de ne pas prononcer un renvoi, pour quelle raison il a prononcé cette sentence, quelle était la position de la Couronne, et comment l'affaire s'est jouée, nous n'éprouverions pas les difficultés actuelles.

Une dernière chose - et j'apprécie le fait d'être ici - c'est que personne n'a parlé des garderies. Je pense que l'argent consacré par le gouvernement fédéral à un programme national de garderie donnera... Il faut que quelqu'un s'occupe des enfants. Lorsqu'il y a des familles monoparentales ou désunies... lorsque des enfants sont laissés à l'abandon en l'absence de toute structure, ils se retrouvent vite entre les mains des avocats de la défense.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, Bill.

J'ai pu constater en particulier que dès que vous avez mentionné la question de l'âge, il y a une dizaine de personnes qui ont voulu prendre la parole. Je pense que cela nous renvoie au troisième sujet de discussion. Je dois vous dire que notre comité a véritablement besoin d'aide au sujet des quelques enfants qui sont dangereux. C'est l'une des raisons pour lesquelles vous êtes ici et vous ne vous en sortirez si facilement, même si vous voulez continuer à parler d'autre chose.

Nous allons faire une courte pause. Je laisserai ensuite tout d'abord la parole à Neil Jessop, en premier lieu parce qu'il est de Windsor, et ensuite parce qu'il doit nous quitter à 16 heures. Il ne parle pas beaucoup, mais lorsqu'il parle, c'est généralement à bon escient.

Faisons une pause de 10 minutes.

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La présidente: Nous sommes de retour. J'adore ce marteau.

Je voulais simplement préciser une chose, juge Lilles, au sujet de l'un de vos commentaires. Vous serez peut-être content d'apprendre que notre comité a le même personnel de recherche et le même personnel de soutien administratif que lors de la rédaction du rapport Horner. Je peux vous assurer que cela a parfois une influence.

Il y a une autre chose. Je peux vous en parler parce qu'il n'y a pas de membre de l'opposition ici et que par conséquent personne ne pourra m'accabler de reproches à moins que quelqu'un ne nous regarde à la télévision. Lors du congrès biennal de politique du Parti libéral national, qui doit nous amener à élaborer une plate-forme électorale, les militants de base de notre parti ont adopté une motion prioritaire visant à faire en sorte que un pour cent du budget de la justice soit directement consacré à la prévention de la criminalité. Cette motion a été présentée par le groupe parlementaire libéral. Elle provient des représentants élus, des parlementaires.

Je pense qu'il y a des signes qui se profilent à l'horizon. Je voulais simplement vous le signaler. J'aurais peut-être dû vous le dire en aparté, mais ce n'est pas un mal que tout le monde le sache aussi.

Le juge Lilles: C'est une excellente nouvelle, madame la présidente. Je dois vous dire que Patricia m'a renseigné de son côté au sujet du personnel de soutien. Je crois qu'elle m'a dit qu'un politicien chassait l'autre mais que son personnel était toujours là pour veiller au grain.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: J'espère que toutes les caméras sont tournées vers elle et que la retransmission est en couleur.

Madame Torsney, vous avez la parole.

Mme Torsney: Pour tous ceux qui nous regardent, je dois dire qu'il n'y a pas de libération conditionnelle dans le système pour les jeunes. Tout le monde ici a compris que c'était étrange, mais le grand public ne le sait pas nécessairement.

La présidente: Merci. C'est une excellente observation.

Professeur Doob, j'inscris votre nom.

Je vais donner la parole au sergent Jessop, et je veux juste vous rappeler que nous essayons maintenant de rester plus ou moins dans le cadre des contrevenants dangereux et à long terme, mais pour tenir compte du fait qu'il habite Windsor et qu'il doit nous quitter, nous allons l'entendre.

Le sergent Neil Jessop (président, Association canadienne des policiers): Merci, madame la présidente, et mes remerciements à tous ceux qui tiennent compte de ma situation et qui m'accordent la possibilité de parler.

Madame la présidente, j'ai pu constater au cours de mes 28 années de service que la majorité des gens qui sont en contact avec le système judiciaire, qu'il s'agisse des victimes, des jeunes contrevenants, des agents de police, des avocats de la Couronne, des avocats de la défense et des juges, ont de bonnes intentions. J'ai entendu de nombreuses critiques à leur sujet aujourd'hui, critiques que je rejette en majorité.

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La Loi sur les jeunes contrevenants et celle qui l'a précédée ont été rédigées par des gens qui étaient aussi conscients des problèmes et aussi attentifs à l'époque que nous le sommes à l'heure actuelle. Je peux vous dire par expérience que dans une large mesure le système s'appliquant aux jeunes contrevenants échoue parce que l'on n'y affecte pas suffisamment de ressources, que la déjudiciarisation échoue faute de ressources et que la probation échoue faute de ressources. On ne peut pas placer 150 enfants sous la supervision d'une seule personne et on ne peut demander à un agent de police de s'occuper de 12 à 18 cas à la fois. Il est évident que le système marcherait mieux si l'on y affectait les ressources nécessaires. Malheureusement, la justice passe après la défense nationale, la santé et un certain nombre d'autres dossiers.

Je vais maintenant aborder les trois sujets qui nous occupent, parce qu'il me faut bientôt partir. Au sujet de l'article 56, je crois avoir une opinion bien personnelle en ce qui a trait aux déclarations. En tant que parents, nous passons toute notre vie à apprendre à nos enfants à être honnêtes, droits et francs. Dès qu'ils entrent en contact avec le système judiciaire, la première chose que nous leur disons, c'est de ne pas parler, de cacher la vérité, de mentir. Ce sont des choses qui sont incompatibles avec les convictions de la plupart des Canadiens.

Cela dit, je considère que si l'on montrait à ceux qui sont pris en charge par le système et qui ne connaissent pas la valeur de toutes ces choses tous les avantages qu'il y a à dire la vérité, à être honnête et droit, et si on leur fournissait les ressources dont ils ont besoin après avoir donné ces explications - ce qu'ils ne font pas, d'ailleurs - le système des déclarations pourrait être changé. Les avocats de la défense, les juges, les responsables des poursuites et les agents de police les respecteraient bien davantage. Je ne sais pas si Bill est d'accord avec moi sur ce point, mais c'est le cas d'un grand nombre de gens auxquels j'ai pu parler.

Pour ce qui est des renvois après jugement, je suis d'accord et je pense que c'est un principe utile.

Je viens de parler avec un juge qui travaille désormais au ministère de la Justice et qui m'a demandé ce que je pensais de la mesure consistant à rabaisser l'âge au-dessous de 12 ans. Je vais vous dire, madame la présidente, à vous ainsi qu'aux autres membres ici présents, ce que j'ai déjà dit devant votre comité. Il est peu probable que nous puissions corriger le système au point où il ne serait pas nécessaire de ramener l'âge à 10 ou à 8 ans. Malheureusement, avec tout ce que j'ai l'occasion de voir dans mon travail - j'occupe toujours les fonctions d'agent de police - il va y avoir une demande pour que cela se fasse. À mon avis, il est indéniable que cela va se produire, probablement un peu après le début du siècle.

Je suis arrivé après 10 heures et je n'ai pu malheureusement assister aux premières conversations.

Au sein du Conseil national de prévention du crime, nous nous sommes beaucoup intéressés aux enfants. Je pense qu'on parle de la période prénatale, n'est-ce pas Joan, jusqu'à l'âge de 12 ans? Si l'on veut contribuer à résoudre tous ces problèmes, qui se reposent ensuite dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants, il convient de traiter par des moyens appropriés la situation de nos enfants entre l'âge de zéro et de 12 ans ou même avant leur naissance jusqu'à l'âge de 12 ans. Je pense avoir été d'accord avec une vingtaine des intervenants devant ce comité et vous semblez tous d'accord pour dire la même chose que 45 000 agents de police canadiens. Nos enfants ne reçoivent pas l'attention qu'ils méritent.

J'ai dit à quelqu'un que j'agis pour le compte de la Couronne les samedis et les dimanches matins parce que la plupart des avocats n'aiment pas travailler le week-end. Ce sont ces jours-là que nous traduisons les jeunes contrevenants devant les tribunaux. C'est mon expérience personnelle. Je ne m'en occupe pas le reste de la semaine. Invariablement, ils viennent de foyers monoparentaux, ils n'ont pas de foyer ou leurs parents ne s'occupent plus d'eux. Dans certains cas, nous ne pouvons même pas contacter un parent en mesure de se présenter devant le tribunal ce matin-là pour prendre en charge leur enfant et en assumer la garde.

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Par conséquent, les juges font ce qu'ils ont à faire, comme je vous l'ai déjà dit tout à l'heure. Ils les renvoient sous bonne garde. Il n'y a pas d'autre solution. Dans une large mesure, ces jeunes sont mieux protégés en prison qu'à l'extérieur parce qu'il y a de nombreuses personnes qui les exploitent lorsqu'ils sont en liberté.

C'est tout ce que j'avais à dire. Je vous remercie.

La présidente: Merci.

Je vais demander à M. Maloney de nous présenter le troisième sujet de discussion. J'ai de nombreux noms sur ma liste et je vais essayer de donner la parole à tout le monde.

Monsieur Maloney, vous pouvez commencer.

M. Maloney (Erie): Merci, madame la présidente.

Le troisième sujet de discussion a trait aux mesures à prendre face au petit nombre de jeunes contrevenants dangereux et récidivistes. M. Ramsay nous a quittés, mais il s'agit ici de la nécessité de protéger le public contre ces individus. La question qui se pose est la suivante: comment concilier le besoin de protection du public avec ce que nous avons entendu aujourd'hui, à savoir le besoin de mieux réhabiliter les contrevenants?

Voilà donc comment se pose la question, c'est bien simple. Comment concilier le besoin de protection du public avec le besoin de réhabilitation des jeunes enfants?

La présidente: Merci.

Madame Martz.

Mme Liza Martz (conseiller juridique, Tribunal de la famille de Vancouver, Division jeunesse): Madame la présidente, c'est à la fois un avantage et un inconvénient de parler à la fin de la journée. Tout le monde a déjà dit ce que l'on avait à dire, quel que soit le point de vue abordé. Je pense que c'est un avantage parce que je me ferai peut-être des amis en restant très brève.

Mes observations portent en fait sur le sujet précédent, mais je pense qu'elles s'appliquent à la question, telle que l'a formulée M. Maloney. J'aimerais m'en tenir au rôle que jouent les établissements de garde. Il y a trois sujets que j'aimerais aborder rapidement.

Il y a en premier lieu ce qui se passe dans ces établissements. En second lieu, ce que les gens qui travaillent au sein de la collectivité savent de ce qui s'y passe. Je veux évoquer par là le manque de coordination et d'échange d'information entre les différents dispensateurs de services, entre les établissements et la collectivité. En troisième lieu, il y a ce qui se passe lorsque le jeune quitte l'établissement de garde.

Sur la situation à l'intérieur des établissements, j'aimerais m'arrêter quelques instants sur ce qu'a dit tout à l'heure Mme Reid-MacNevan, à savoir que nombre d'établissements de notre pays sont en fait très dangereux pour nos jeunes. On se demande ce qu'il faut faire des jeunes contrevenants dangereux. En fait, nous devons bien prendre conscience du fait que bien souvent nous les envoyons dans des endroits très dangereux.

J'habite Vancouver. Le principal établissement dans lequel nous envoyons nos jeunes dans la région du grand Vancouver et du sud de la partie continentale est le Centre de détention des jeunes de Willingdon. Il y a eu des mauvais traitements dans ce centre. Les mauvais traitements infligés par les autres et à soi-même continuent à se produire. J'ai pu lire avec intérêt, récemment, dans les rapports rédigés par le médiateur au cours des dernières années, que les mauvais traitements infligés par les autres ou à soi-même, les cas de coupures ou de suicide, se présentent comme un problème majeur pour quiconque venu de l'extérieur se penche sur la vie de cet établissement. Ces établissements posent donc des problèmes tout à fait fondamentaux. Nous devons nous pencher sur ces problèmes.

Je pense que tout le monde s'accorde à dire autour de cette table que nous avons besoin de bons programmes au sein de ces établissements. Il va sans dire que lorsqu'on se contente d'entasser des jeunes dans un établissement, ce n'est pas dans un souci de réhabilitation mais avant tout pour protéger la société. Tout le monde s'entend là-dessus. Je n'ai pas beaucoup l'habitude de ce genre d'expédient, quand je compare mon expérience à celle des gens autour de cette table...

Des voix: Oh, oh!

Mme Martz: Vous m'avez mal comprise. Ça se voulait respectueux.

La présidente: Excusez-nous, mais ce n'est pas ainsi que nous l'avons compris.

Mme Martz: Je vous présente mes excuses. Je voulais dire par là que nombre d'entre vous pourront penser que je ne sais pas de quoi je parle.

Quoi qu'il en soit, je crois savoir que l'on a tellement progressé au sein de notre établissement local qu'il y a même désormais des programmes scolaires. C'est tout récent, ce qui me paraît ahurissant. On peut y faire des études désormais, mais c'est récent.

Comme je vous l'ai dit plus tôt, j'ai représenté des enfants confiés aux soins du ministère, qui vivaient au départ dans des milieux très difficiles et instables. Lorsqu'ils ont fait de grosses bêtises et qu'on les envoie en prison, ils sont véritablement à la croisée des chemins. Bien souvent, leur seul espoir est de pouvoir bénéficier de programmes appropriés et il faut que nous ayons de bons programmes dans ces établissements.

En second lieu, il s'agit de savoir ce que les gens qui travaillent au sein de la collectivité connaissent au sujet des établissements de garde. J'ai bien l'impression ici que ces établissements fonctionnent d'une manière bien trop isolée.

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Par définition, un établissement de garde est tenu à l'écart au sein de la société, mais j'ai aussi l'impression que les professionnels qui y travaillent se tiennent eux aussi à l'écart.

Mon rôle, en tant qu'avocate de la défense, a été bien souvent de faire prendre conscience aux professionnels de leur rôle auprès des jeunes. Ce n'est pas quelque chose que j'ai appris à la faculté de droit, mais cela m'est apparu évident dans mon travail. Je l'ai fait parce que je voulais présenter aux juges des propositions de sentences leur laissant savoir tout ce qu'il y avait de positif dans la vie des jeunes.

J'ai été étonnée de constater qu'il m'incombait à moi de m'assurer que le travailleur qui était censé avoir une relation directe avec le jeune dont il s'occupait avant que ce dernier aille en prison se tienne au courant de la date du prononcé de la sentence. Je leur faisais savoir quand l'enfant allait sortir afin qu'ils sachent plus ou moins quand ce jeune allait se retrouver plongé au sein de la collectivité. Je les accompagnais au tribunal. Je leur téléphonais afin de m'assurer que ces travailleurs sociaux, opérant au sein de la collectivité, sachent bien à quelle date le jeune allait être libéré. Je faisais en sorte que ces gens sachent que le jeune avait rencontré au sein de l'établissement un conseiller en matière de toxicomanie et d'alcoolisme, qui s'était en fait penché pour la première fois sur ses problèmes.

Souvent, ces gens de l'extérieur ne savaient pas ce qui s'étaient passé. Il arrivait souvent qu'un jeune rencontre pour la première fois un conseiller psychologique au sein de l'établissement et que les intervenants de l'extérieur ne le sachent pas.

La nécessité d'intégrer et de coordonner les services est un sujet qui a été abordé par de nombreux intervenants aujourd'hui. Il m'apparaît que nous courons à un véritable échec si nous consacrons aux établissements des ressources qui profitent à ces enfants sans que les gens de l'extérieur le sachent. L'étude des dossiers en commun s'impose. Il faut que l'on y ait recours bien plus souvent que je ne l'ai vu par le passé.

Enfin, je veux parler de ce qui se passe après la libération. J'ai bien moins de choses à dire à ce sujet après avoir entendu M. Lonar en parler si éloquemment en début d'après-midi. Il a mentionné le terme de «convalescence», dont j'aime les connotations.

Mme Torsney nous a demandé de nous pencher sur les solutions de type communautaire. Ce qui me frustre au sujet des programmes de garde, c'est que les progrès que les jeunes peuvent réaliser au sein d'un établissement sont inutiles s'il n'y a aucun prolongement par la suite au sein de la collectivité.

Pour répondre à la question posée par M. Maloney, à savoir ce qu'il nous faut faire des quelques contrevenants très dangereux, nous disons qu'il nous faudra toujours chercher à les réinsérer un jour au sein de la collectivité. Je ne pense pas que nous puissions nous dispenser de cette obligation.

Ils sont jeunes, et il me paraît important de rappeler qu'ils ne font que commencer à apprendre à vivre à l'extérieur de l'établissement. Ils peuvent toujours réaliser des progrès à l'intérieur, mais bien souvent ils n'ont pratiquement pas eu la possibilité de se demander comment ils allaient bien pouvoir vivre à l'extérieur.

Les jeunes que j'ai représentés avaient été élevés dans des foyers qui n'avaient rien de normal. Ces jeunes n'avaient jamais pris de repas à heure fixe, n'avaient jamais eu de conversations normales, n'avaient jamais bénéficié d'un soutien approprié. Nous ne pouvons leur demander de faire la transition entre un cadre structuré au sein duquel ils ont éventuellement appris les règles de base de la vie en société et une vie au sein d'une collectivité dénuée de programmes de transition comme à l'heure actuelle. J'ai pu constater que ces programmes n'existaient pratiquement pas. La période de probation qui suit la libération est faite de rencontres régulières avec des agents de probation débordés et surchargés de travail.

Je terminerai par une demande précise qui va dans le même sens que ce que nous a dit M. Lonar. Nous avons besoin d'établissements de transition et éventuellement d'une définition plus précise de la garde en milieu ouvert. Quelqu'un a parlé d'un parcours obligé allant de la garde en milieu fermé à la garde en milieu ouvert et à quelque chose d'autre encore. C'est la seule façon de procéder. Nous ne pouvons pas demander à nos jeunes de faire le saut par leur seul moyen.

La présidente: Je vous remercie.

Nous allons entendre Mme Pennell, puis M. Garber-Conrad.

Je ne vous oublie pas, M. Cadman.

Joan Pennell (présidente, Comité de la justice et de la criminalité chez les jeunes, Conseil national de prévention du crime): Merci, madame la présidente.

Sur la question des contrevenants dangereux, il nous faut bien voir que la définition d'un contrevenant dangereux évolue très rapidement.

Si je dis cela, c'est parce que je pense à la prolifération des prisons aux États-Unis. Cela est dû en grande partie à la politique de privatisation et au fait que les prisons sont devenues une industrie à but lucratif.

Au Canada, nous avons réussi pour l'instant à éviter cette orientation, mais nous devons faire très attention à la définition d'un jeune contrevenant dangereux quand les pressions économiques se font sentir dans un sens différent. Je veux simplement réaffirmer qu'à mon sens, une prison, un établissement de garde en milieu fermé ou toute autre institution de ce genre ne doit jamais être à but lucratif.

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Je tiens à dire par ailleurs qu'un certain nombre de démarches que nous avons entreprises jusque-là pour ce qui est éventuellement des infractions plus bénignes ou moins graves, ne sont pas appelées à disparaître comme si de rien n'était pour la simple raison que l'on a affaire à un jeune contrevenant dangereux.

Je prendrai là encore l'exemple des conseils de famille. Elles se sont avérées très utiles à Terre-Neuve et au Labrador lorsque nous y avons eu recours parallèlement à la procédure judiciaire. D'un côté, nous saisissons les tribunaux et certaines personnes sont emprisonnées, mais de l'autre il y a les conseils de famille. Il est alors possible d'aborder le problème de la sécurité des personnes qui ont été victimes d'incidents très graves.

Le procédé nous paraît aussi très utile au moment de la libération. Nous pouvons ainsi faire participer à la planification la collectivité et les familles au sein desquelles vont se retrouver ces jeunes. Les gens qui ont exprimé cette solution nous ont dit que c'était la meilleure façon de nous assurer que la collectivité contrôle ce qui se passe lorsque des contrevenants très dangereux sortent de prison.

Je tenais aussi à vous dire qu'il est important de penser, non seulement aux contrevenants dangereux, mais aussi aux méthodes dangereuses. Nous avons déjà parlé des dangers de l'incarcération. Je dois vous dire que les conférences familiales - là encore parce que je connais très bien la question - peuvent s'avérer excellentes et être la bonne méthode dans certaines collectivités qui ont pris conscience des problèmes, qui sont prêtes à y affecter les ressources nécessaires. Elles ont la formation indispensable.

En disant cela, je ne pense pas à la formation de certains professionnels, mais aussi à la formation de la collectivité, qui doit avoir appris à aborder ces problèmes. Lorsqu'on cherche à transposer sans ménagement ces solutions au sein d'une autre collectivité, cela ne donne pas nécessairement de bons résultats et peut s'avérer dangereux au lieu d'être utile.

Sur la question des contrevenants dangereux, j'aimerais aussi que l'on tienne compte des différences selon les sexes. Je sais que je n'ai pas assisté au début de la discussion et nous avons peut- être évoqué le sujet un peu plus tôt. Toutefois, lorsqu'on compare le parcours des garçons et des filles, on s'aperçoit qu'ils évoluent différemment dans leurs démêlés avec la justice. Je pense qu'il nous faut en tenir compte lorsque nous nous penchons sur la définition d'un jeune contrevenant.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, madame Pennell.

M. Martin Garber-Conrad.

M. Martin Garber-Conrad (directeur exécutif, Edmonton City Centre Church Corporation): Merci.

Mes observations portent en fait sur le deuxième sujet de discussion, mais je pense qu'elles peuvent s'appliquer, au moins en partie, au troisième sujet.

Je pense qu'il y a deux grandes questions qu'il nous faut bien distinguer. D'un côté, qui va travailler en faveur des jeunes pour faire diminuer la criminalité? De l'autre, qui va travailler en faveur de la collectivité pour renforcer le sentiment de sécurité? Je considère qu'il s'agit là de deux problèmes complètement différents qui appellent des solutions radicalement différentes.

Nous savons que l'incarcération ou que le placement sous garde ne sont pas en soi des solutions magiques. Si elles l'étaient, nous n'aurions pas ici la même discussion. Bon gré mal gré, nous devrions convenir que nous obtenons ainsi des résultats et qu'il nous faut nous y résigner.

Malheureusement - ou heureusement, selon le point de vue que l'on adopte - il n'en est pas ainsi. Ce qui marche effectivement, c'est tout ce qui s'apparente à un travail personnel, cohérent et à long terme, axé sur des relations de confiance avec les jeunes. On obtient des résultats en comprenant le caractère cyclique du comportement des jeunes, en brisant les schémas délictuels et dysfonctionnels dans lesquels ils sont plongés, ce qui implique de nombreuses tentatives d'abandonner leur mode de vie, la rue, tout ce qui s'y rattache, et de nombreux efforts pour revenir dans le droit chemin.

Il faut donc leur donner une deuxième et une troisième chance, pas simplement par laxisme et par laisser-aller, mais parce que c'est tout simplement comme ça qu'il faut faire. Il faut assurer un suivi, sinon ce n'était pas la peine d'intervenir au départ. Il faut traiter les problèmes sous-jacents et des problèmes comme celui du logement. Le fait de ne pas avoir de logement dans lesquels ils sont en sécurité amène de nombreux jeunes à la délinquance. Il faut des programmes qui les prennent immédiatement en charge. Pour les jeunes, il ne faut pas de liste d'attente. Il faut des solutions multiples, pluridisciplinaires, impliquant l'intervention de plusieurs ministères, si l'on veut obtenir les résultats souhaités.

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Par conséquent, dans la mesure où la moitié de la solution dépend des gouvernements, il faut que tous ces services et tous ces ministères travaillent en collaboration avec le ministère de la Justice, et que le ministère de la Justice ainsi que le système s'appliquant aux jeunes contrevenants collaborent par ailleurs avec la collectivité, y compris avec les communautés autochtones et multiculturelles. Il est indéniable que certains jeunes peuvent tirer un grand profit des structures, du sentiment de responsabilité, de la prise en charge et même de la discipline, mais toutes ces notions ne sont pas synonymes d'incarcération.

Si nous extrapolons quelque peu en appliquant tout cela à notre troisième sujet de discussion, soit celui des récidivistes ou des auteurs d'un délit grave, je ne pense pas que la liste que je viens de vous donner soit si loin de la réalité. La différence, c'est que les intervenants seront des agents de police plutôt que des travailleurs sociaux ou des personnes s'occupant des jeunes au sein de la collectivité, mais il sera toujours aussi nécessaire d'instaurer une relation, de faire preuve de cohérence et de travailler de manière approfondie et à long terme.

D'un autre côté, la nécessité de renforcer le sentiment de sécurité au sein de la collectivité appelle des solutions tout à fait différentes. La loi peut avoir de nombreux effets. Le renforcement du sentiment de sécurité du public n'est pas l'un d'entre eux. Il suffit de voir les États-Unis. Les renvois, les peines de longue durée, les lourdes sanctions, les sentences punitives, etc., ne renforcent pas le sentiment de sécurité dans le public. Voyez les U.S.A. On ne pourra jamais construire suffisamment de prisons pour que la population se sente en sécurité si les conditions sociales continuent à sécréter, à encourager, à récompenser et parfois même à exiger la criminalité. Voyez l'exemple des États-Unis.

C'est une question de principe. Ce sont des choses qui n'ont rien à voir. Ce ne sont pas les lois qui amènent le public à se sentir en sécurité et elles ne peuvent pas améliorer la situation. C'est le contrôle exercé par la collectivité qui détermine le sentiment de sécurité dans le public. Il y a une certaine relation avec le niveau réel de la criminalité, mais c'est bien davantage une question de perfection. Il faut donc avant tout s'occuper des perceptions, qui sont en grande partie contrôlées par les médias.

La seule façon d'agir est de renforcer la collectivité. Le sentiment de sécurité augmente lorsque les collectivités se développent et lorsqu'on cimente des liens entre gens différents au sein de ces collectivités. C'est à la condition, et uniquement à la condition, que chacun ait la possibilité de voir des jeunes, et que les jeunes soient intégrés à des collectivités unies, que la population se sentira plus en sécurité.

Une dernière chose sur la question de l'âge, quoi que vous pensiez des défauts du système pour les jeunes contrevenants et des raisons pour lesquelles vous estimez qu'il ne fonctionne pas. Autrement dit, s'il est trop laxiste, trop indulgent et trop peu répressif, s'il ne donne pas de bons résultats pour les jeunes de 12 à 17 ans, pourquoi pensez-vous qu'il va fonctionner pour les jeunes de 10 ans? Si, d'autre part, vous pensez qu'il est trop dur et trop répressif et sans pitié pour les jeunes de 12 ans, pourquoi voulez-vous l'infliger aux enfants de 10 ans? Si l'on abaisse l'âge à 10 ans, pourquoi ne pas y aller carrément et aller jusqu'aux enfants d'âge préscolaire et aux nourrissons? Pourquoi ne pas passer au stade prénatal et envoyer les foetus dans les centres pour jeunes contrevenants?

Je vous remercie.

La présidente: M. Bala nous semble ici tout seul dans son camp.

Monsieur Cadman.

M. Cadman: Je voudrais vous dire quelques mots des renvois. J'ai peut-être un point de vue que vous n'êtes pas très nombreux à avoir considéré.

L'opinion que j'ai au sujet des renvois - et je vous dis incidemment que je considère qu'ils doivent être automatiques pour tous les crimes graves de type violent, et tout particulièrement les meurtres - n'a rien à voir avec la durée de l'incarcération. La durée de la peine que va purger derrière les barreaux le meurtrier de mon fils ne va pas me ramener Jesse. C'est mon problème et on n'y peut rien. Ça me paraît sans grande importance. Ce qui me paraît important, c'est la question de la perpétuité, l'emprisonnement obligatoire à vie. Si je m'exprime ainsi, c'est pour tenir compte des conséquences de l'action commise, du crime.

Pour remettre les choses en perspective... Je me laisse aller à l'émotion et je comprends bien que ce n'est pas l'endroit, mais c'est ainsi. Tous les matins, je me lève à 5 h 30 pour aller au travail. Contrairement à ce que l'on peut croire, ce que je fais aujourd'hui n'est pas mon seul travail. Je dois me lever et passer devant la chambre de mon fils en sachant qu'il n'est plus là et tous les soirs je vais me coucher en sachant qu'il n'est plus là. Chaque fois que revient la Fête des mères, ma femme tombe dans une dépression et je dois composer avec cela parce que c'est la conséquence des agissements d'un autre jeune de 17 ans.

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Je ne pense pas trop exiger de la société en lui demandant qu'elle lui fasse assumer les conséquences de son action pour le reste de sa vie. S'il faut qu'il y ait des conséquences dans 10 ou 15 ans, lorsqu'il aura sa propre famille et lorsqu'il voudra traverser la frontière avec ses enfants pour aller à Disneyland, si la douane lui refuse l'entrée aux États-Unis en lui disant qu'il a tué quelqu'un dans sa jeunesse... C'est quelque chose que mon fils ne pourra jamais faire. C'est quelque chose que Tom Greenman ne pourra jamais faire avec ses enfants. Je ne pense pas que ce soit trop demander que leurs meurtriers soient mis en face des mêmes conséquences.

Il ne s'agit pas de savoir pendant combien de temps ils vont purger leur peine derrière les barreaux; il s'agit des conséquences.

La présidente: Merci.

Le juge Gove, suivi de Mme Peterson-Badali et de M. Leschied.

L'hon. juge Thomas Gove (Cour provinciale de la Colombie- Britannique): Je resterai très bref parce que je pense que l'on a déjà dit en grande partie ce que j'avais à dire.

Il est important de poser comme principe en vertu de la loi qu'à chaque étape - depuis le jour où le jeune a été aidé pour la première fois, c'est la formulation que je tiens à utiliser, jusqu'aux mesures de déjudiciarisation et autres - le jeune et sa famille se voient accorder la possibilité d'assumer la responsabilité de ce qui s'est passé. Par responsabilité de la famille, j'entends le besoin de faire en sorte que les familles soient encouragées à assumer comme il se doit la responsabilité d'élever et de discipliner leurs enfants. Je pense qu'il faut nous en souvenir.

Je pense aussi qu'il est important que les jeunes qui assument cette responsabilité en soient en quelque sorte récompensés. C'est l'un des éléments qu'il me paraît très important de prendre en considération en matière de déjudiciarisation.

De plus, que la sentence amène le jeune à suivre des mesures de probation ou à purger sa peine en milieu ouvert ou en milieu fermé, il faut à mon avis que la famille s'implique et soit consultée. Je constate souvent que ce n'est pas le cas. Ce n'est pas le cas parce que nos tribunaux pour adolescents, du moins ceux que je fréquente, sont très occupés et ont une charge de travail très lourde. Souvent, je dois m'assurer que les parents sont quelque part dans la foule à l'arrière de la salle, et bien souvent ils ne se présentent pas si je ne les appelle pas. Même lorsqu'un jeune est condamné à être placé sous bonne garde, j'estime qu'il est important que sa famille, proche ou élargie, et que les membres de la collectivité, participent à la planification en prévision de sa libération. Comme l'a dit Mme Martz, souvent ce n'est pas le cas.

On a dans une certaine mesure évoqué aujourd'hui la possibilité de changer certaines règles, et j'utilise ce terme à dessein, concernant la façon dont nous conduisons la procédure devant les tribunaux. Je vous déconseille de rendre les choses encore plus difficiles qu'à l'heure actuelle. Je vous ai parlé tout à l'heure de notre charge de travail. Si la procédure devient encore plus compliquée, s'il nous faut plus de temps et si nous avons davantage de règles, nous ne pourrons peut-être plus faire ce que nous devons faire pour les jeunes et pour leur collectivité.

Cela dit, si vous voulez absolument jouer avec les règles, vous pourriez peut-être faciliter le recours aux dispositions permettant de revoir les sentences de placement sous garde aux termes de l'article 28. J'ai eu la possibilité de lire le rapport qui a été rédigé par le groupe de travail, et je sais que l'on y parle longuement des difficultés que l'on éprouve pour obtenir la révision d'une affaire devant un tribunal. Pour remédier à la situation, on y recommande tout un tas de solutions de rechange. La meilleure façon de procéder serait peut-être de réentendre les affaires plutôt que d'établir des systèmes parallèles.

J'aimerais faire une observation au sujet de la durée des peines d'emprisonnement prononcées. L'un des orateurs précédents a fait observer qu'il n'y avait pas grand intérêt à prononcer des peines de courte durée parce qu'il fallait qu'elles soient longues pour présenter un intérêt sur le plan de la réhabilitation. Je ne travaille pas dans un établissement et je n'ai donc pas la compétence nécessaire, mais je ne suis pas d'accord avec cette solution pour la plupart des peines d'emprisonnement. Lorsqu'ils prononcent la plupart des peines d'emprisonnement, je ne crois pas que les juges s'attendent à ce qu'il y ait une réhabilitation. Je ne crois pas qu'ils s'attendent à ce qu'il en ressorte des citoyens modèles. Toutefois, à moins que vous n'ayez le sentiment que l'emprisonnement est un moyen plus efficace de réhabilitation, ce qui n'est pas mon cas, je considère qu'il faut alors lui attribuer un autre objectif que celui de la réhabilitation et laisser les peines de longue durée aux jeunes que l'on doit éventuellement tenir à l'écart de la collectivité parce que cette dernière a besoin d'être protégée.

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Je suis inquiet lorsque je vois des jeunes être condamnés à 18 ou à 24 mois d'emprisonnement pour qu'ils puissent bénéficier d'une réhabilitation. Je pense que ça ne se produit jamais.

Les peines courtes ont à mon avis des effets très souhaitables. Une courte peine assagit nombre de jeunes que je rencontre. Elle les éloigne de la drogue et leur permet de se désintoxiquer. Comme l'a dit Mme Martz, elle leur permet de bénéficier de programmes, de faire des études et de rencontrer un conseiller spécialisé dans l'alcoolisme et la toxicomanie. Une fois cela accompli, on obtient une meilleure réhabilitation en libérant les jeunes qu'en les laissant au sein de l'établissement.

Mme Martz nous a parlé de l'établissement de garde en milieu fermé qui dessert la région de Vancouver et des basses terres de la Colombie-Britannique, et elle a évoqué la violence que l'on y rencontre. Je pense qu'il nous faut reconnaître par ailleurs que nos établissements ne réussissent pas à faire ce pourquoi ils ont été conçus. L'établissement dont elle parle - d'ailleurs, il n'a pas été construit dans ce but; c'était au départ une maison de correction pour les jeunes filles - a la capacité d'accueillir 60 jeunes, mais il y en a rarement moins de 100. Il est normal d'avoir deux occupants par cellule. Ces derniers mois, j'ai eu à connaître d'un certain nombre d'accusations d'agression sexuelle en raison de cette double occupation. Ce n'est pas un endroit qui se prête à la réhabilitation.

Incidemment, on a soulevé à plusieurs reprises la question de l'âge, pour savoir si l'on devait le rabaisser à moins de 12 ans. Si vous êtes prêt à approfondir cette question, il vous faudrait peut-être vous demander pourquoi on a fixé au départ cet âge à 12 ans. Je me souviens d'une discussion semblable dans les années 70 dans une autre enceinte - à l'époque, c'était placé sous l'égide du solliciteur général - et on se demandait surtout s'il ne fallait pas plutôt fixer l'âge à 14 ans. Je me demande pourquoi, 20 ans plus tard, nous pensons à rabaisser encore cette limite en la portant à moins de 12 ans. Je vous remercie.

La présidente: Merci, Votre Honneur.

Madame Peterson-Badali.

Michele Peterson-Badali (professeur, Institute of Child Study, Université de Toronto): J'avais moi aussi bien des choses à dire qui ont déjà été dites et j'abonderai tout à fait dans le sens des observations faites par Liza et par le juge Gove. Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'établissement, nous n'obtiendrons aucun résultat si nous n'avons pas de bons plans de prise en charge et des programmes appropriés s'adressant aux enfants, par exemple. Nous l'avons dit et redit maintes et maintes fois aujourd'hui.

L'une de mes inquiétudes lorsque je siège en ces lieux - et quelqu'un l'a mentionné un peu plus tôt - c'est que nous parlons d'application. Nous continuons à parler d'application. Je me demande quels sont les moyens que l'on pourrait prendre pour dire aux provinces ce qu'elles doivent faire pour améliorer la situation. L'une des choses que l'on a suggérées, et qui me paraît être très censée, ce serait d'imposer certaines conditions aux paiements de transfert de manière à donner un certain mordant à un certain nombre de mesures que l'on préconise depuis longtemps et que l'on a répétées aujourd'hui.

Ce que m'a aussi proposé le directeur exécutif de Justice for Children and Youth en ce qui a trait aux programmes destinés aux enfants, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur des établissements, c'est d'établir un certain nombre de lignes de conduite que devraient respecter les programmes et les établissements de garde. Ces lignes de conduite pourraient être suffisamment uniformes d'une province à l'autre pour qu'il n'y ait pas trop de disparités entre les provinces en ce qui a trait aux programmes à la disposition des enfants - il ne s'agit pas d'imposer certains types de programmes ou certains contenus mais de faire en sorte qu'une prise en charge des jeunes soit faite immédiatement après le prononcé de la sentence, qu'il y ait un accès suffisant au traitement et que les jeunes ne soient pas déplacés d'un endroit à l'autre.

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Le groupe Justice for Children and Youth a pu constater entre autres, et c'est en partie en rapport avec l'incident de Bluewater, que les jeunes contrevenants sont déplacés et ballottés d'un endroit à l'autre. Indépendamment de ce qui se passe pour les courtes peines d'emprisonnement, les enfants qui sont emprisonnés à plus long terme ne bénéficient pas de soins continus parce que leurs programmes sont interrompus chaque fois qu'ils sont déplacés d'un établissement à l'autre.

Si l'on pouvait inciter en quelque sorte les provinces à prendre cette orientation, on aurait peut-être la possibilité de faire en sorte que les programmes donnent des résultats afin que les jeunes contrevenants, que ce soit ou non des contrevenants récidivistes violents, pour qu'il y ait une chance quelconque... Je répète qu'il est terriblement important par ailleurs qu'il y ait une transition lors du retour dans la collectivité, parce que l'on ne peut pas espérer faire des miracles si lors de son retour au sein de la collectivité le jeune ne bénéficie d'aucun appui. C'est tout ce que j'avais à dire.

La présidente: Merci, madame Peterson-Badali.

M. Leschied.

Alan Leschied (directeur associé, London Family Court Clinic): J'aurai rapidement trois points à faire valoir, madame la présidente.

Tout d'abord, votre comité, si je comprends bien, envisage d'élargir les chefs d'accusation permettant de renvoyer un adolescent à un plus jeune âge devant un tribunal pour adultes. Ce que j'aimerais que vous considériez lorsque vous vous pencherez sur cette disposition, c'est ceci: pourquoi vouloir sacrifier davantage d'individus à un système destiné aux adultes, à un système qui s'est rarement révélé efficace sinon pour exposer des individus violents à un milieu brutal dans l'espoir qu'ils reviendront au sein de la société moins violents et plus sociables?

En second lieu, sur la troisième question qui a trait aux jeunes contrevenants récidivistes et dangereux, il est trop facile de se saisir de la question et d'apporter une mauvaise réponse, la mauvaise réponse étant les camps de redressement, l'incarcération punitive, appelez-le comme vous voulez. Notre province a entrepris de revoir toutes ces possibilités. Même notre province a rejeté le principe des camps de redressement, parce que les recherches effectuées ne permettent pas de justifier ce genre d'intervention, mais j'ai l'impression que la société s'attend à ce que votre comité envisage sérieusement le recours à des interventions de ce type. Elles ne donnent tout simplement aucun résultat, je tenais à le rappeler au comité.

Troisièmement, j'aimerais parler brièvement des renvois. Bill Trudell a bien argumenté la question, mais je tenais à ce que vous entendiez le point de vue d'un évaluateur. J'ai pris part à des affaires très en vue dans ce secteur - à Whitefish, à Oshawa et à Pointe-Claire, au Québec - et en tant qu'évaluateur il est tout à fait illogique d'aider le tribunal à prendre une décision aussi importante si je ne peux pas demander au jeune dans quelles circonstances il a choisi de se retrouver dans une situation l'amenant à commettre un crime aussi violent. À mon avis, il est tout à fait illogique de conserver cette disposition prévoyant une possibilité de renvoi avant la déclaration de culpabilité. Je ne crois pas que ce soit utile pour le tribunal qu'on conserve cette disposition à ce moment-là. Il m'apparaît bien plus logique en tant qu'évaluateur de présenter des recommandations à la cour en ce qui a trait aux circonstances de l'infraction au stade de l'audience sur le prononcé de la peine.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, monsieur Leschied.

Shannon Cumming.

Shannon Cumming (avocate, coordonnatrice des projets spéciaux, Nation métisse): Merci, madame la présidente.

Je voudrais vous parler des projets de type communautaire en tant que moyen, non seulement d'éviter que les jeunes se retrouvent aux prises avec le système d'administration de la justice les concernant, mais aussi de faire en sorte qu'ils soient pris en charge une fois qu'ils ont des démêlés avec ce système. Dans la localité de Fort Smith où je réside, nous avons institué un programme appelé Aiguillon de l'évolution. Il s'intitulait jusqu'alors Nouveau départ, mais nous nous sommes aperçus que cette appellation avait été récupérée par la suite par un certain parti et nous ne voulions par que les gens fassent de faux rapprochements. Un certain nombre de jeunes autochtones, pouvant aller jusqu'à 300, va y participer. C'est essentiellement un programme de formation professionnelle et d'acquisition de compétences. Il a été mis au point par le Congrès des peuples autochtones en collaboration avec la nation métisse, le Conseil autochtone de la Nouvelle-Écosse, Développement des ressources humaines Canada ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Il a quatre grandes particularités. La première consiste à réorienter la culture autochtone à l'intention des jeunes. La deuxième est de renforcer l'esprit d'initiative. La troisième, d'élaborer des plans d'action individuels pour les jeunes. Enfin, la quatrième consiste à faire en sorte que les jeunes eux-mêmes mettent en application ces plans d'action.

À mon avis, ces différentes composantes correspondent à deux objectifs distincts. Le premier est de rétablir la fierté que ressent chacun pour sa culture. Les gens qui comme moi ont des parents et des grands-parents qui sont allés dans des écoles résidentielles comprennent mieux, je pense, que ceux de bien d'autres localités qu'il s'agit là de problèmes de génération et qu'il faudra bien plus longtemps que nous le voudrions pour les résoudre.

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S'il a du succès, le programme de Fort Smith va donc se poursuivre pendant trois ou quatre ans. Pour une raison ou pour une autre, je pense à la manchette suivante: «Le programme Aiguillon de l'évolution enregistre un énorme succès - le gouvernement l'annule». Je pensais à l'observation faite tout à l'heure par M. Keeling, qui a déclaré que le gouvernement n'appuyait les projets que sur une courte durée et qu'au moindre signe d'échec, il changeait d'avis.

J'ai pensé qu'il me fallait parler de tout projet susceptible d'apporter de l'espoir à nos communautés. Il m'a paru nécessaire de préciser - et ce ne sont pas que des statistiques - que les foudres de la Loi sur les jeunes contrevenants et du Code criminel tombaient en priorité sur les peuples autochtones. Personne n'est davantage jeté en prison que les membres de nos communautés.

Lorsque je rentrerai chez moi, je pense que c'est à bon droit que les jeunes de ma communauté vont me demander quelles sont les nouvelles dispositions de la loi et ce que ça va entraîner pour eux. Je devrai leur répondre que la loi est plus dure.

À notre point de vue, il est vraiment important de nous mettre à parler des solutions parce que nous ne pouvons pas aller plus loin dans la voie de l'incarcération des autochtones. Vous ne pourrez jamais avoir plus de succès que vous n'en avez à l'heure actuelle, et il est temps que ça finisse.

Merci, madame la présidente.

La présidente: Je vous remercie.

Sandi Gleason, suivie Heather Kinnear et Janis Page.

Sandi Gleason (membre du Conseil national de prévention du crime): Je ne sais pas par où commencer. Je vois que tout se tient dans le système. Cela forme un tout. C'est un continuum. Dans le système dont vous parlez, un contrevenant dangereux passe par toutes les étapes, à une, deux ou parfois trois reprises. Entre le moment où il fait de la prison, où il bénéficie des ressources au sein de la collectivité et où il subit un traitement, il peut arriver qu'ils se ressaisissent et vous n'aurez plus alors affaire à un contrevenant dangereux.

Je veux vous parler en fait des ressources communautaires. Chez nous dans les communautés autochtones, où nous organisons des cercles de détermination de la peine et où nous appliquons certaines mesures extrajudiciaires au sein de la collectivité, nos communautés ont un besoin criant de ressources. Nous n'avons pas les ressources disponibles pour régler les problèmes découlant des sentences prononcées par les cercles de détermination de la peine ou des mesures extrajudiciaires. Nous faisons face à de nombreux cas d'agression sexuelle et de violence familiale.

La communauté est d'accord, elle veut participer et être un associé à part égale. Pourtant, lorsque les gouvernements lui disent d'appliquer des mesures extrajudiciaires, de procéder à la déjudiciarisation, d'agir finalement, ils ne lui donnent pas les outils et ne lui procurent pas les ressources ou les compétences lui permettant de le faire dans de bonnes conditions. Ce n'est qu'un emplâtre sur une jambe de bois. La plupart des programmes ont beaucoup de succès, mais ils ne vont pas au coeur du problème qui fait que la personne a eu au départ des démêlés avec le système.

Le gouvernement fédéral et celui des territoires cherchent-ils en fait à réduire le nombre d'autochtones? Nous représentons une industrie qui vaut des millions de dollars pour les gens qui travaillent dans le système et qui gagnent de l'argent en incarcérant des autochtones. Je pense, quand je vois ce genre de choses et tous les gens qui travaillent dans ces secteurs...

Comme l'a dit Darren précédemment, lorsque nous avons lancé tous ces projets chez nous, les gens ont eu peur pour leur emploi. Lorsque nous nous sommes mis à organiser des cercles de détermination de la peine - à une époque, je travaillais à la prison et la population carcérale a commencé à baisser - les gens priaient pour que les détenus affluent à nouveau dans les prisons.

Nous sommes donc en présence de deux systèmes différents ici. Nous sommes en présence d'une industrie qui gagne de l'argent sur le dos des gens. Face aux mesures extrajudiciaires, bien des gens espèrent que ces mesures échoueront, surtout dans les communautés autochtones, parce qu'elles font baisser les statistiques et pourtant elles ne répondent pas aux besoins des gens. Je parle principalement du Yukon et de ce que nous voyons ici.

La formation et les compétences dont ont besoin les communautés pour mettre en application des mesures extrajudiciaires, ce sont des compétences en médiation, en consultation de base - il faut donner les outils aux familles - et en formation parentale. On en a parlé à maintes reprises. Nous n'avons même pas chez nous de centres de traitement pour les jeunes. Nous avons uniquement un centre de traitement des délinquants sexuels, qui vient juste de démarrer. Nous avons un autre programme qui vient juste de voir le jour, dans lequel on s'occupe de préserver la sécurité des enfants.

Où sont les programmes devant nous permettre de faire face à ces comportements? Nos enfants et notre population doivent en majorité se rendre à l'extérieur du territoire pour trouver les ressources dont ils ont besoin pour régler leurs problèmes. Ils reviennent ensuite et ils ne peuvent alors bénéficier du suivi et de la prise en charge nécessaires. La plupart du temps, on voit bien des gens qui sont restés sobres pendant longtemps se remettre à boire parce que les services de prise en charge n'existent pas au sein des communautés.

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Il y a bien des choses qui se passent ici et dont parlent les gens - et c'est la même chose au Conseil national de prévention du crime - bien souvent ces programmes n'atteignent pas les communautés autochtones rurales. En majorité, la population qui vit en dehors des centres urbains est autochtone. Les ressources vont en grande partie aux grandes villes. Bien des communautés auxquelles nous avons affaire n'ont à la base ni les ressources ni les compétences leur permettant de remédier aux nombreux problèmes qui les touchent.

Lorsque nous parlons de toutes ces choses, avons-nous défini les besoins de chacune des communautés? Ce n'est pas un programme appliqué indifféremment à toutes les localités du Canada qui va donner des résultats. Je pense qu'il nous faut considérer d'abord les régions dans lesquelles la criminalité est très élevée. Nous savons que dans le territoire toutes les communautés ne présentent pas un niveau de criminalité élevée chez les jeunes. Il y aura peut-être un ou deux contrevenants dans chacune d'entre elles, mais il y en aurait une quantité dans quelques-unes. Examinons ce qui se passe dans celles-ci et essayons de répondre à leurs besoins.

Nous avons fait un certain nombre d'études dans le territoire. Nous venons d'en terminer une sur la violence familiale. Nous avons parlé aux victimes agressées par leur conjoint et nous nous sommes penchés sur leurs problèmes. La majorité des victimes avec lesquelles nous avons parlé étaient des femmes autochtones. Certaines d'entre elles n'avaient jamais déposé de plainte. Certaines l'avaient fait. D'autres ne s'adresseront jamais plus au système parce qu'elles ont effectivement déposé une plainte.

Dans leur majorité, ces femmes ne demandaient pas une sanction, mais une guérison pour elles-mêmes et pour leur famille. Parmi les femmes qui ne s'adresseront jamais plus au système, il y a celles à qui tout le monde a conseillé de quitter leur mari alors qu'elles ne voulaient pas le faire. Finalement, tout le monde leur a dit qu'elles avaient subi un échec, elles et leur famille, et elles ne veulent donc plus rien savoir du système. Pourtant, personne n'a jamais appris à ces femmes à faire face à la violence familiale chez elles. Il était entendu qu'à la deuxième ou à la troisième fois que la femme se présenterait, le mari irait en prison.

Nous avons beaucoup de programmes en prison, toutes sortes de programmes. Pourtant, lorsque les détenus sortent de prison et se retrouvent dans leur communauté, les familles n'ont pas appris ce qu'on leur a appris en prison. Bon nombre de questions dont nous parlons ont une dimension familiale et nous n'embrassons pas toute la réalité.

Pour ce qui est des renvois, nous qualifions ces enfants de contrevenants dangereux et nous les déférons devant le tribunal pour adultes. En les qualifiant ainsi à un très jeune âge, est-ce que nous n'aggravons pas leur cas? Une fois qu'ils entrent dans le système, les gens de l'intérieur se disent qu'ils ont devant eux un contrevenant dangereux et qu'il faut donc faire attention. Il est marqué au fer rouge et sa réputation le suit au sein du système pour adultes. Au bout d'un certain temps, il se dit que puisqu'on le considère ainsi, il va se montrer à la hauteur de sa réputation de personne dangereuse. C'est encore un enfant dans un système pour adultes, et pourtant il est déjà dangereux. Il est placé dans un cadre encore plus dangereux.

Sur toute cette question, il y a quatre choses à considérer. Tout d'abord, il y a le foyer. Si l'on ne répond pas à ses besoins au foyer, l'école ou la garderie intervient alors. Si l'école ou la garderie n'interviennent pas, la collectivité le prend alors en charge. Enfin, si la collectivité ne fait rien, tout le monde se retrouve devant le tribunal.

Il y a trois choses qui font défaut à ces enfants avant même qu'ils se retrouvent devant un tribunal. La société affirme qu'elle ne peut plus rien faire et les envoie donc devant le tribunal. Les familles disent qu'elles ne veulent pas s'en occuper ou qu'elles n'ont pas les moyens pour le faire, de sorte qu'il faut mettre l'enfant quelque part afin qu'il soit pris en charge.

J'ai justement rencontré la semaine dernière une femme qui ne peut plus tenir son fils parce qu'elle n'a pas les moyens de l'aider dans sa détresse tant qu'il ne sera pas pris en charge par la justice pénale. Elle doit tout payer. C'est une mère de famille monoparentale. Tout repose sur ses épaules. Elle se demande finalement si elle doit abandonner son enfant à son sort ou quitter son emploi pour bien jouer son rôle de parent. Elle se retrouve coincée dans ce dilemme.

Voilà ce que je voulais vous dire. Toutefois, le plus important à mon avis c'est que si vous n'avez pas au sein de la collectivité des structures permettant de remédier à tous ces problèmes, aucune loi et aucune intervention humaine ne pourra donner de résultat.

La présidente: Je vous remercie.

Heather Kinnear, Janis Page et le professeur Doob.

Mme Kinnear: Je ferai porter certaines de mes observations, si vous le voulez bien, sur ce qui peut nous paraître à l'occasion donner de bons résultats, à nous qui nous occupons de contrevenants à haut risque en tant qu'agents de probation. J'emploie l'expression «à haut risque» parce que cela englobe aussi les contrevenants dangereux. Je suis très préoccupée par les récidivistes, les contrevenants agissant par habitude, qui ne sont peut-être pas dangereux mais qui commettent constamment des vols par effraction, qui ont de nombreux comportements déviants et criminels que leur reproche à bon droit la collectivité.

L'une des choses qui nous paraît efficace, c'est lorsqu'on associe à la sentence... s'il doit y avoir une période d'incarcération et si l'individu concerné doit passer par différents paliers, il arrive une période au cours de laquelle le niveau de sécurité diminue.

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Lorsque ce jeune voit la lumière au bout du tunnel - et j'insiste aussi sur le fait que la garde en milieu fermé doit permettre de dispenser en même temps un traitement substantiel. Notre association n'est certainement pas partisane d'une garde qui ne comporte pas cet élément. Nous avons eu des cas - et je suis quelque peu déçue d'entendre des gens nous dire que le système a complètement échoué. Je comprends que la prison ne donne peut-être aucun résultat, mais je ne suis pas aussi convaincue que le système correctionnel au sein de la collectivité soit un échec complet. Je conviens qu'il reste beaucoup de choses à améliorer, mais je pense que nous avons eu aussi beaucoup de réussites.

Lorsque des jeunes contrevenants ont suivi un traitement au sein d'un établissement et réussissent à s'amender progressivement - ça arrive - ils se retrouvent alors à un autre niveau, à un niveau d'intégration au sein de la collectivité, dans le cadre de la garde en milieu ouvert, en bénéficiant de bons programmes. Je vous citerai en exemple l'article 27 sur les écoles aux termes de la Loi sur l'éducation qui, dans notre région, a été mis à profit ces derniers temps par les foyers de garde en milieu ouvert et qui a eu un retentissement considérable sur les jeunes qui s'y trouvent. Ces jeunes peuvent alors retourner dans le système scolaire, se mettre à obtenir des crédits alors que traditionnellement, lorsqu'ils arrivent dans mon bureau - je précise que je m'occupe avant tout des adolescents de 16 et de 17 ans - ils sont déjà très nombreux à avoir abandonné l'école du fait de leur comportement délinquant ou pour toute autre raison. Ils ont alors la possibilité d'obtenir du succès. Ils peuvent participer à différents programmes sociaux, aux manifestations sportives...

Nous les submergeons d'activités très sociales, si je peux m'exprimer ainsi. On leur fait par ailleurs prendre des responsabilités et, pour l'essentiel, on leur fait accepter le fait qu'ils doivent changer - très tôt - pour pouvoir s'en sortir.

Le rôle de l'agent de probation, à mon avis... Si nous pouvions améliorer ce système, et pas nécessairement en augmentant le nombre d'agents de probation, même si c'est une chose que j'aimerais... mais il nous faudrait nous associer à la collectivité et nous demander comment faire un bon suivi. Il y a à l'heure actuelle des agents de probation qui font un excellent travail en faisant le lien entre les différents systèmes. Ce sont eux qui vont établir les plans de mise en liberté. Ils vont se demander: où vont se retrouver ces jeunes à haut risque? Comment faciliter la transition? Comment aider l'enfant à bien se représenter le système?

Face à des clients à haut risque, dont les besoins sont grands, il faut aborder toutes les questions et utiliser le système dans son intégralité.

La présidente: Je vous remercie.

Janis Page, suivi du professeur Doob, de Jim Robb et enfin du professeur Bala.

Janis Page (directrice, John Howard House, Edmonton): Je parle en général d'après mon expérience personnelle des jeunes, que je fréquente quotidiennement.

J'aimerais dire tout d'abord, qu'il s'agisse du premier, du deuxième ou du troisième point, qu'il est très important de traiter individuellement chaque jeune et chacun des jeunes contrevenants. Nous qui travaillons auprès des jeunes - moi-même et d'autres personnes qui sont mes collègues - nous devons adapter individuellement à chacun des jeunes tous les tours que nous avons dans notre sac.

Je veux que l'on sache que je suis d'accord avec la majeure partie de ce que vous dites, à savoir que la majorité des jeunes incarcérés pourraient être traités plus efficacement ailleurs. Pour la plupart, nous ne pouvons même pas imaginer ce par quoi ces jeunes sont passés. C'est cas par cas et en comprenant la diversité de leur milieu, ce qu'ils doivent vivre sur le plan des études et dans la société, qu'à mon avis nous pouvons apporter quelque chose à ces jeunes.

Ce que j'ai dû véritablement apprendre entre autres en travaillant auprès de ces jeunes, c'est à mesurer la réussite, parce que ce que je considère comme une réussite pour mes enfants ou pour ceux de M. Tout-le-monde est très différent de ce que j'entends par réussite pour la plupart des jeunes avec lesquels nous travaillons.

Nous devons évaluer les besoins au départ. Nous devons évaluer la situation réelle de chacun des enfants qui vient nous voir. Quelles sont les possibilités de tel jeune et de quel soutien bénéficiera-t-il à l'extérieur une fois qu'il nous aura quittés? Il faut que nous soyons prêts à le libérer au moment même où nous le prenons en charge.

Pour en revenir à la collectivité, qui nous paraît à tous la meilleure solution dans bien des cas, je pense qu'il est très important de limiter à un très petit nombre les placements sous garde, qu'il s'agisse de garde en milieu ouvert ou en milieu fermé. C'est comme dans toute salle de classe. Les agents de probation dont nous parlons perdent une grande partie de leur efficacité lorsque les chiffres augmentent trop. C'est la même différence qu'entre une famille de quatre enfants et une famille de 12 - plus le groupe est restreint, plus les enfants reçoivent de l'attention.

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Ce que nous faisons entre autres dans notre foyer de groupe, c'est utiliser des bénévoles de notre collectivité en les faisant venir dans notre foyer. Nous leur disons qui sont ces enfants. Les enfants les regardent faire et leur demandent: pourquoi faites-vous cela? Ils ne sont pas payés pour ce genre de travail. Ils aiment véritablement les enfants.

Ce qui me préoccupe le plus pour les enfants que je vois quotidiennement, c'est le moment de leur libération et le fait qu'il n'y a plus alors de suivi. Même s'ils ont bien progressé pendant qu'ils étaient avec nous, tout se passe alors comme beaucoup d'entre vous l'ont dit. S'ils ont passé leur vie à faire des bêtises, comment peut-on les changer en trois mois?

Sur le troisième point, qui a trait aux jeunes contrevenants récidivistes, nous devons nous poser la question suivante: qu'avons-nous fait au départ pour remédier à ces besoins et à leur situation, et intervenons-nous suffisamment tôt?

Il faut revenir complètement en arrière. À mon avis, la prévention et l'intervention rapide réduiraient le nombre de jeunes contrevenants récidivistes. Pour ce qui est des contrevenants dangereux, je dois convenir avec Mme Martz que de gré ou de force il nous faut être réalistes et reconnaître que tous les jeunes contrevenants vont être relâchés un jour ou l'autre au sein de la collectivité et qu'il nous faut donc leur donner les moyens nécessaires et préparer la collectivité à les accueillir.

La présidente: Merci, Janis.

Le professeur Doob, suivi de Jim Robb et du professeur Bala.

M. Doob: Je vous remercie.

Il s'agit cet après-midi des «attitudes à adopter face au petit nombre de jeunes contrevenants qui récidivent et qui sont dangereux». J'aimerais en tirer une conséquence. On pourrait facilement penser qu'il y a un petit groupe de jeunes identifiables que l'on peut définir d'avance comme devant être les auteurs d'infractions violentes graves. Je pense que l'on aurait tort et qu'il ne faut pas oublier que même s'il y a de nombreux jeunes qui ont besoin de différentes formes d'intervention sociales, médicales, éducatives et autres, nous pourrions très difficilement déterminer à l'avance quels sont ceux qui vont commettre des infractions violentes très graves et nous sommes mal placés pour le faire.

Pour revenir à la question qui est posée, il faut en fait penser à deux choses. La première, c'est la capacité de la Loi sur les jeunes contrevenants - ou de la loi telle qu'elle est formulée - à traiter du cas de ce groupe d'enfants. La question se ramène en fait à ceci: y a-t-il un problème décelable au sein du système qui nous empêche finalement de faire ce qu'il faut faire? Je n'ai rien vu de tel; je n'en ai pas entendu parler, mais je crois qu'il faut se poser la question.

En second lieu, et je pense que les enjeux sont tout à fait différents, il y a non seulement la question de savoir ce que nous pouvons faire en terme de prévention, chose dont nous avons parlé ce matin, mais aussi de ce que nous allons faire du petit nombre de jeunes contrevenants qui ont commis des infractions graves au sein de la collectivité. Je me fais l'écho de ce qui vient d'être dit par différentes personnes et qui consiste à nous rappeler que ces enfants vont revenir un jour au sein de la collectivité.

Pour replacer les choses dans leur contexte, je pense qu'il nous faut nous rappeler qu'il y a à l'heure actuelle au Canada environ 2,4 millions d'enfants ayant l'âge d'être un jeune contrevenant. Quelque 68 000 enfants se retrouvent devant les tribunaux chaque année et 57 d'entre eux y ont été accusés l'année dernière d'homicide. Pour que l'on voie bien qu'il s'agit d'un petit nombre, on peut dire aussi que 57 enfants ont été responsables au Canada de l'ensemble des homicides commis par de jeunes contrevenants. Cela signifie donc que ce nombre est relativement faible.

Là encore, ce n'est pas parce qu'il n'y en a qu'un petit nombre que l'on peut facilement identifier ce groupe à l'avance. Il y a sans aucun doute certains besoins qui sont décelables et qui peuvent surtout s'appliquer à ce groupe en particulier, mais cela n'entraîne pas que nous pouvons l'identifier à l'avance. Ce que cela signifie, par contre, pour ces enfants et leurs victimes que nous n'avons pas su protéger, lorsque ces actes extrêmement graves de violence ont été commis, c'est qu'il nous faut effectivement aborder la question du ciblage des ressources après coup. Je pense que c'est là une question que votre comité doit être en mesure d'aborder.

Le problème se ramène en fait à se demander ce que nous pouvons effectivement faire. Que peut-on faire dans le cadre des programmes de traitement surchargés des provinces pour remédier à ce problème bien réel? Doit-on dispenser des traitements à l'intérieur ou à l'extérieur des établissements de garde et, là encore, comme l'ont déjà fait remarquer au comité différentes personnes, quel doit être le lien entre les deux.

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À mon avis, votre comité a pour rôle de voir s'il y a de véritables besoins de changement dans la Loi sur les jeunes contrevenants; si cette loi pose des problèmes qui laissent penser que l'on ne peut pas bien faire face à la situation posée par ce groupe. Je vous le répète, je n'ai rien vu de tel.

Je considère que votre comité a par ailleurs la responsabilité de recommander différents moyens de réduire l'ensemble du fardeau imposé aux programmes de traitement ainsi qu'au système de justice pour les jeunes pour que nous puissions en fait concentrer nos ressources sur ce qui n'est finalement qu'un petit groupe afin de remédier efficacement à ses véritables problèmes.

Enfin, j'invite votre comité à mettre l'accent sur la réduction à long terme des risques et non pas sur la prévention à long terme. Je le dis en toute connaissance de cause parce que lorsque nous privilégions la prévention immédiate des risques que vont présenter par la suite ces enfants, nous parlons en fait généralement de prévention à court terme. Il s'agit d'incarcérer ces enfants pendant une courte période pour nous sentir plus tranquille. Ce qu'il nous faut faire, finalement, c'est réduire les risques que vont poser ces jeunes à la collectivité à long terme. L'accent doit être mis en fait sur le long terme - pour que l'on se sente plus en sécurité au Canada.

Nous devons évidemment nous occuper des besoins et des problèmes à court terme, de ce que nous devrons faire de ces jeunes. Nous devons nous rappeler, toutefois, qu'il faudra les relâcher un jour et je pense que c'est sur ce point que nous devons faire porter nos ressources plutôt que d'essayer tout simplement de prolonger de quelques mois leur période d'incarcération. Je vous remercie.

La présidente: Merci.

M. Robb, suivi du professeur Bala. Il nous restera ensuite trois autres intervenants et je vous rappelle donc qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps. Nous avons en fait très peu de temps et je vous demanderai donc de rester brefs.

Jim Robb (conseiller juridique principal, Bureau de l'aide juridique, Division jeunesse, Edmonton): Merci. Il peut être utile de savoir que mon cas est très différent de celui du juge qui est assis à côté de moi parce que je n'arrive plus à relire mes notes. Ce sont de véritables pattes de mouche.

Lorsque mon projet a débuté à Edmonton et à Calgary il y a un peu plus de trois ans, les réalités se sont imposées à nous, et à moi en particulier, très rapidement. L'un des premiers cas dont je me suis occupé, un appel sur sentence, impliquait un jeune autochtone de 17 ans appartenant à la catégorie dont nous avons parlé - celle des récidivistes auteurs d'infractions graves. Il avait déjà été condamné à 20 reprises. Il avait 17 ans.

Nous sommes allés en Cour d'appel pour contester une sentence de garde en milieu fermé. La partie de la peine restant à purger a été transformée en garde en milieu ouvert et on lui a enjoint de suivre un traitement contre l'alcoolisme et la toxicomanie. Six mois plus tard, nous avons appris qu'il s'était pendu dans sa cellule. Peu de temps après, deux autres enfants ont cherché eux aussi à se pendre dans leur cellule.

Après vérification, nous avons constaté que cet enfant n'avait bénéficié d'aucun traitement contre l'alcoolisme ou la toxicomanie, ne serait-ce qu'une heure, pour ne pas parler d'un jour, d'un mois ou de deux mois. Même si le problème était évident, depuis l'âge de 12 ans, cet enfant n'avait bénéficié d'aucun traitement. Aucun.

De cet événement, nous avons pu tirer quelques tristes enseignements. Tout d'abord, il y a un mouvement qui vise à faire une distinction fictive entre la garde en milieu ouvert et la garde en milieu fermé. En Alberta, c'est en grande partie une fiction. Pour les jeunes contrevenantes du nord de l'Alberta, il y a six lits disponibles dans les foyers de groupe - je dis bien six. Pour les garçons, il y en a 37. À chacun des moments considérés, il n'y aura éventuellement qu'une seule fille placée sous garde qui pourra disposer d'un lit à l'extérieur de l'établissement correctionnel.

Les établissements correctionnels de l'Alberta ont été réaménagés pour pouvoir accepter des personnes faisant l'objet d'une détention provisoire, d'une garde en milieu fermé et d'une garde en milieu ouvert. Il en est résulté des installations conçues pour recevoir 175 détenus mais qui en accueillent jusqu'à 330. On ne peut y parvenir qu'en évitant d'augmenter le budget consacré à l'alimentation. En Alberta, ce dont se plaignent surtout les jeunes détenus, les jeunes contrevenants, c'est de la faim, parce qu'ils ne mangent pas à leur faim.

En guise de traitement psychologique, on leur fait absorber des médicaments pour qu'ils se tiennent tranquilles. C'est ça, la réalité.

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Lorsque j'entends un groupe d'étude qui veut s'en prendre à des enfants plus jeunes et les renvoyer devant un tribunal pour adultes, impliquer de nouveaux critères aux nouveaux renvois pour que l'on soit pratiquement assuré de pouvoir renvoyer plus facilement davantage d'enfants de plus en plus jeunes, je me dis que cela revient à reporter les coûts sur les établissements fédéraux. Nous allons nous saisir d'enfants de 14 ans et les placer dans le pénitencier à sécurité maximale d'Edmonton, dans un milieu dominé par les guerres raciales, par le trafic d'aiguilles.

Il nous faut d'une façon ou d'une autre accepter les responsabilités que nous confère la loi actuelle envers les jeunes. Nous voulons qu'il soit plus facile de prononcer des condamnations. Débarrassons-nous de l'article 56. En parlant aux agents de police, vous constaterez que lorsqu'ils font un effort pour obtenir une déclaration ou une renonciation aux dispositions de l'article 56, la plupart de ces enfants sont tout disposés à parler. Ce n'est pas un problème. Il faut cependant que dans les quelques cas où nous voulons essayer d'obtenir une condamnation, il y ait davantage de condamnations.

Notre dilemme, à mon avis, c'est que nous avons progressivement laissé penser au cours des cinq dernières années que la Loi sur les jeunes contrevenants est un échec pur et simple et que par conséquent nous devons respecter notre promesse de la rendre plus sévère. L'un des inconvénients de cette façon de penser, c'est de savoir ce que l'on va faire la prochaine fois lorsque le prochain train de mesures draconiennes va échouer. Nous nous mettons à modifier cette loi tous les deux ans.

J'en reviens à mon exemple du départ, celui de ce jeune garçon qui n'a bénéficié d'aucun traitement entre l'âge de 12 et de 17 ans même s'il avait été déjà condamné à plus de 20 reprises.

Nous nous mettons à débattre de la durée des peines alors qu'à mon avis le problème fondamental est d'utiliser de la manière la plus efficace le temps dont nous disposons pour nous occuper de ces jeunes, qu'il s'agisse d'une peine d'une durée d'un mois ou de six mois.

Il y a une modification absolument indispensable, qui va totalement à l'encontre du rapport du groupe d'étude, et qui doit consister à préciser clairement qu'il faut faire une distinction entre la garde en milieu ouvert et la garde en milieu fermé. Ne suivez pas ceux qui préconisent qu'il ne faut qu'un seul niveau de garde, permettant ainsi au personnel des établissements et aux directeurs provinciaux de déterminer quels sont les enfants qui vont être affectés à tel niveau. Cela permet d'éliminer les différents niveaux de garde, comme cela s'est produit très rapidement en Alberta. On va plus loin que l'unique décision imposant des restrictions - il y a en Alberta une décision de la Cour d'appel qui assimile une peine d'emprisonnement à une garde en milieu ouvert à condition qu'un certain traitement soit dispensé. Si vous adoptez une forme unique de garde, vous autorisez une dissolution des programmes, ce qui s'est passé en fait en Alberta, et à un rythme très rapide.

À Edmonton, un programme de maîtrise de la colère est dispensé pendant la période de garde à des jeunes qui n'ont montré aucun signe de colère. Tant que les jeunes se tiennent parfaitement bien et à condition qu'ils ne se mettent jamais en colère, les jeunes sont autorisés à assister aux séances du groupe de consultation en maîtrise de la colère. Voilà le genre de stupidité que l'on retrouve dans le système. Que l'enfant soit placé ou non sous bonne garde, il nous faut mieux utiliser le temps que nous pouvons leur consacrer lorsqu'ils passent devant les tribunaux.

Lorsqu'on se retrouve devant le tribunal, si l'enfant a été relâché et s'il a commis une infraction grave, nous envisageons la solution de la probation. Nous mettons cet enfant en probation. Il ne voit pas l'agent de probation avant un mois. Il n'y a pas de rapport présentenciel en vue de la probation de sorte que le dossier est maigre. En général, il est suivi une fois par mois pendant trois ou quatre mois et il s'agit d'une conversation téléphonique. La plupart de ces conversations durent 20 minutes. Nous ne faisons rien. Nous n'approfondissons pas.

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À mon avis, les contrevenants dont le cas est le plus préoccupant - ceux qui n'ont fait preuve d'aucune bonne volonté ou qui n'ont fait aucun progrès malgré tous les programmes qui ont été mis à leur disposition - sont ceux qui doivent faire l'objet d'une garde en milieu fermé. C'est là qu'ils doivent être. Il ne s'agit pas à mon avis d'ouvrir davantage nos établissements ou de renvoyer davantage d'enfants dans les établissements pour adultes. Il nous faut plutôt réduire nos populations carcérales pour pouvoir mieux nous occuper de ces enfants.

Laissez-moi aborder très rapidement une ou deux autres questions. Le seuil fixé à 12 ans - je vous demande instamment de ne pas le ramener à 10 ans. Je me suis fait des cheveux blancs, je vous le dis bien franchement, en défendant des petits bouts de choux aux termes de l'ancienne LJD lorsque nous avions effectivement affaire à des enfants de 10 et de 11 ans. S'il vous plaît, ne nous faites pas revenir en arrière. Au moins, dans le cadre de la LJD, il n'y avait pas une barrière aussi infranchissable entre le système d'administration de la justice et celui de l'aide à l'enfance auquel nous pouvions confier ces enfants de 10 et de 11 ans, ce qui se passait dans la plupart des cas.

À l'heure actuelle, la grande difficulté, nous l'avons entendu répéter à maintes reprises autour de cette table et nous la rencontrons tous les jours, c'est que nous avons un programme d'aide à l'enfance qui pourrait s'appliquer aux enfants traduits devant la justice mais, à partir du moment où ces derniers sont devant la justice, ce n'est plus possible. Pour les enfants qui bénéficient de l'aide à l'enfance - il y a un programme de consultation en cas d'agression sexuelle, mais la seule façon pour s'en prévaloir c'est de faire en sorte que l'enfant soit reconnu coupable, auquel cas il est placé sous garde et on lui supprime le régime de l'aide à l'enfance. Il faudra en finir un jour avec ce genre d'idioties.

Ne faites pas de bêtises. S'il vous plaît.

La présidente: Merci, monsieur Robb. En fait, en tant qu'opposant de l'abaissement de l'âge de responsabilité, vous avez coupé l'herbe sous les pieds au professeur Bala, qui devait avoir le dernier mot sur cette question mais qui m'a dit en partant qu'il n'aurait pu de toute façon que se répéter.

Je vous remercie tous. Si vous me le permettez, je tiens aussi à remercier tout particulièrement notre personnel de la Chambre des communes et celui de la Bibliothèque du Parlement qui ont été en partie à l'origine de tout ce qui se fait ici et qui ont évidemment tout fait, à mon avis, pour que notre séance d'aujourd'hui soit très productive.

Je tiens à tous vous remercier. Quand je pense à tout le temps que vous nous avez consacré au cours des derniers mois et au niveau des discussions que nous avons eues aujourd'hui, j'ai du mal à le croire. Nous arrivons à la fin de nos travaux et nous devrions déjà nous ennuyer à mourir alors que je suis prête, pour ma part, à recommencer du début. Tous mes remerciements. Tout cela a été très utile et nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir consacré votre temps. Merci.

La séance est levée.

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