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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 10 octobre 1996

.1005

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte. C'est le quatrième jour de la quatrième semaine de notre tournée. Je vois que parce que nous sommes à Winnipeg, au pays de Lloyd Axworthy, nous avons de la nourriture. Je ne sais pas si ces deux choses sont reliées. Si des membres de l'auditoire désirent profiter de ce que nous avons à offrir, il semble que nous soyons un comité très civilisé aujourd'hui, alors n'hésitez pas.

Nous sommes très heureux d'avoir avec nous la procureure générale et ministre de la Justice du Manitoba, Mme Rosemary Vodrey. Je crois que vous avez un exposé à faire. Nous avons hâte de vous entendre et ensuite nous passerons aux questions.

L'honorable Rosemary Vodrey (ministre de la Justice et procureure générale du Manitoba): Merci beaucoup, madame la présidente, et bonjour à toutes et à tous.

Je suis heureuse d'être parmi les premières à vous souhaiter la bienvenue au Manitoba. Comme vous le savez, le Manitoba, dont l'histoire est riche en événements de toutes sortes, a une communauté multiculturelle très dynamique. Nous sommes également fiers de compter chez nous de nombreux chefs de file dans les domaines des arts et des sciences. J'espère que vous aurez toutes et tous l'occasion, pendant votre court séjour, de goûter aux mille et une joies qu'a à offrir notre province.

Permettez-moi, pour commencer, de féliciter le comité pour avoir bien voulu se déplacer afin de venir entendre directement les Manitobaines et Manitobains. J'estime qu'il est de rigueur que les politiciennes et politiciens consultent les gens qu'elles ou qu'ils représentent.

En décembre 1993, le Manitoba a tenu son tout premier Sommet sur la violence et la criminalité chez les jeunes. Plus de 500 Manitobaines et Manitobains de toutes les couches sociales y ont assisté pour proposer des solutions au problème de la criminalité chez les jeunes auquel font face nos collectivités. La Loi sur les jeunes contrevenants a fait l'objet de longues et nombreuses discussions au cours du Sommet, et la plupart des intervenantes et intervenants ont exprimé le désir de la voir renforcée et raffermie.

En tant que ministre de la Justice et procureure générale du Manitoba, j'ai entendu un nombre incalculable de Manitobaines et Manitobains présenter le même point de vue. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour saluer une Manitobaine en particulier, Mme Audrey Borody, qui est parmi nous ce matin. Mme Borody a recueilli des milliers de signatures de Manitobaines et Manitobains qui demandent que la Loi sur les jeunes contrevenants soit renforcée et améliorée. À la fin de mon exposé, je déposerai la pétition provenant de ce groupe communautaire.

Notre gouvernement a appuyé un certain nombre de changements à la Loi sur les jeunes contrevenants au cours de la dernière ronde de modifications. Par ailleurs, nous avons aussi fait de nombreuses recommandations au gouvernement fédéral, recommandations qui sont demeurées sans réponse, ce qui est, à notre sens, plutôt consternant.

J'ai demandé à M. Rock d'aller encore plus loin dans ses modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants. J'espère que le travail de votre comité contribuera à le pousser dans cette direction.

Je tiens à préciser clairement ce matin que le Manitoba est un endroit sécuritaire où il fait bon vivre et élever une famille. Cela dit, il est évident que les Manitobaines et Manitobains s'inquiètent de plus en plus de leur sécurité personnelle.

Même si le taux de criminalité est stable ou en perte de vitesse, la nature des crimes - particulièrement chez les jeunes - est en train de changer. Il est clair que plus de crimes sont maintenant perpétrés à l'aide d'armes et que le crime organisé est devenu un problème sérieux.

Comme dans bien d'autres juridictions, les gangs sont un fléau grandissant au Manitoba. Ils sont à l'origine de tout un éventail d'activités criminelles, depuis le vol d'autos, en passant par la prostitution et l'extorsion, jusqu'à un nombre alarmant de meurtres ces derniers temps.

Bien que nous devions élaborer nos politiques et lois en nous fondant sur des faits plutôt que sur des impressions, nous ne pouvons faire fi du fait que la crainte du public face au crime est ancrée dans la réalité et que la peur elle-même influe considérablement sur la qualité de vie des gens. En tant que politiciennes et politiciens, nous avons le devoir de nous attaquer à ce problème.

Au Manitoba, nous avons opté pour une démarche à trois volets. Nous devons faire en sorte que le public soit bien informé en matière de criminalité, c'est-à-dire que le Manitoba demeure, en règle générale, un endroit sécuritaire où il fait bon vivre. Nous devons également veiller à ce que nos concitoyennes et concitoyens disposent de tous les renseignements dont ils ont besoin pour savoir ce qu'il faut faire, et ce, tant comme particulier que comme collectivité, pour rendre leur milieu de vie plus sécuritaire.

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Par exemple, le Manitoba a été la première province canadienne à se doter d'un système de notification communautaire pour mettre la population au courant de la libération de criminels sexuels dangereux. Plusieurs autres juridictions se sont servies de notre système comme modèle pour l'élaboration de leur propre système.

Afin de mieux protéger les victimes d'actes criminels, nous avons pris des mesures qui limitent l'accès aux renseignements personnels dans le cas de violence au foyer et de harcèlement criminel.

Nous appuyons résolument les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants qui prévoient la participation de la collectivité au système judiciaire. Je suis fière de signaler que le nombre de comités communautaires de justice pour la jeunesse au Manitoba se chiffre à environ 70. Notre gouvernement est convaincu qu'il doit collaborer avec les collectivités à la résolution du problème de la criminalité juvénile dans la province.

Nous avons mis en place un programme nommé «Safe at Work» où la police, la Direction générale de la main-d'oeuvre féminine du Manitoba, le milieu des affaires et la population de la province se sont fixé comme objectif commun de réduire les dangers et de sensibiliser les gens à l'importance de leur sécurité personnelle pendant qu'ils se rendent à leur lieu de travail ou en reviennent.

Notre gouvernement reconnaît la valeur des mesures de prévention du crime qui ont été prises partout dans la province en décernant chaque année des prix pour la prévention du crime. Nous dresserons sous peu un inventaire des programmes novateurs de prévention du crime que certaines de nos collectivités ont mis sur pied et qui ont connu un certain succès. Nous mettrons ces programmes dans Internet afin que tous les Canadiens puissent en prendre connaissance.

Je viens de mentionner quelques initiatives que notre gouvernement a prises afin de permettre à la population de se sentir plus en sécurité et de lui fournir les renseignements dont elle a besoin pour que chacun puisse assurer sa propre sécurité personnelle. En second lieu, nous devons élaborer et maintenir des programmes de prévention du crime et offrir à la jeunesse une solution de rechange à la criminalité.

Vendredi dernier, j'ai eu l'occasion de visiter l'Armée du Salut dans le nord de Winnipeg. Notre gouvernement a versé des fonds à cet organisme afin de lui permettre de maintenir ses programmes récréatifs et éducationnels tels que le Midnight Basketball.

Nous avons également travaillé dans certaines écoles dans le cadre du programme «Streetpeace - No Need to Argue» qui s'adressait aux jeunes et les mettait au défi de mettre en oeuvre, dans leur collectivité, des initiatives en matière de prévention du crime. Le résultat a été incroyable et, plutôt que de traîner dans les rues, nos jeunes ont participé à des productions dramatiques visant à conscientiser leur collectivité à la violence raciale et à concevoir des moyens pour réduire les graffitis dans leur collectivité.

De plus, notre gouvernement annoncera bientôt un modèle de camp sportif urbain qui dotera nos jeunes de programmes récréatifs, renforçant ainsi les initiatives de prévention du crime et profitant à nos collectivités.

Nous sommes parfaitement conscients qu'une démarche globale intersectorielle est nécessaire pour s'attaquer à la criminalité chez les jeunes. Nous avons récemment mis sur pied le secrétariat de l'enfance et de la jeunesse destiné à améliorer les relations entre les ministères de la Justice, de l'Éducation, des Services à la famille et de la Santé. Le secrétariat a augmenté notre capacité de répondre aux besoins de nos jeunes d'une façon plus intégrée et globale.

Les médias, tant au niveau local que national, ont beaucoup parlé de notre système de détention rigoureuse ou camp de type militaire pour jeunes. Je devrais souligner qu'il ne s'agit que d'une seule facette d'une stratégie intégrée visant à réduire la criminalité chez les jeunes.

La détention des jeunes est, depuis septembre 1994, plus structurée et rigoureuse. Nous ne pouvons oublier que plusieurs des jeunes gardés en milieu fermé ont fait des victimes. C'est pour cela que notre gouvernement a entrepris de rendre leur détention plus rigoureuse.

Je crois qu'il est important ici de noter que les programmes de réadaptation et d'éducation font partie intégrante de notre modèle de camp de type militaire. En fait, nos jeunes actuellement détenus en milieu fermé sont aux études douze mois par année.

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De plus, beaucoup de ces jeunes n'ont jamais eu de relations positives avec leur collectivité. Nous avons donc fait en sorte que le travail communautaire soit une partie importante du séjour des jeunes dans nos institutions. De cette façon, la collectivité et, espérons-le, les jeunes délinquants vont en bénéficier.

Je pourrais continuer en énumérant les collectivités avec lesquelles le gouvernement a travaillé afin de mettre en oeuvre des initiatives de prévention du crime efficaces. Je serai heureuse de faire parvenir plus d'informations aux membres du comité qui en feront la demande.

Troisièmement, et c'est pourquoi je suis ici aujourd'hui, nous devons veiller à ce que notre système judiciaire fonctionne de façon à dissuader le crime et à garder les personnes dangereuses hors des rues. Nous devons faire en sorte que le public voie un système de justice pour les jeunes juste, efficace et efficient.

À cet égard, j'ai cinq recommandations qui, je crois, vont dans le même sens que les progrès qui ont déjà été faits. J'ai l'intention d'envoyer au comité le texte complet des recommandations, mais je tiens à les mentionner ici.

La première porte sur la responsabilité parentale. Notre gouvernement considère que la meilleure façon de prévenir la criminalité chez les jeunes est de responsabiliser leurs parents. Le système judiciaire se doit donc de profiter de toutes les occasions qui se présentent pour promouvoir ce concept.

Je ne crois pas que la meilleure solution au problème de la criminalité chez les jeunes se trouve au sein du système judiciaire: les agents de police, les juges du tribunal pour adolescents, les agents de correction et les agents de probation font du bon travail, mais ils ne peuvent remplacer l'attention parentale.

Les enfants de parents qui portent beaucoup d'intérêt à leur éducation et à leurs activités ont plus de chances de grandir dans le respect des lois. Par contre, les enfants de parents qui se désintéressent d'eux ou qui ne posent aucune limite à leur comportement présentent un risque plus élevé d'avoir des démêlés avec la justice.

À titre d'ex-psychologue scolaire, j'ai moi-même pu constater le rôle prépondérant de la vie familiale dans le développement des enfants. Les victimes de crimes font souvent face à un grand nombre de frustrations parce que le système judiciaire ne leur offre que de minimes compensations pour les dommages et les pertes qu'elles ont subis et parce que le processus judiciaire accorde un rôle infime aux parents des jeunes contrevenants.

Je demande depuis déjà un certain temps à mon homologue, M. Rock, d'accorder une plus grande place aux parents dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous nous entendons tous pour dire que les parents ont une grande influence sur la vie de leurs enfants, et chaque fois qu'un jeune a des démêlés avec la justice, nous devons nous poser la question: «Où sont ses parents?»

Vu l'apathie de l'administration dans ce dossier, le gouvernement de la province a décidé d'adopter, dans quelques semaines, une loi obligeant les parents à verser des dommages-intérêts jusqu'à concurrence de 5 000$ si, aux yeux du tribunal, ils n'ont pas bien encadré leur enfant ou n'ont pas fait des efforts raisonnables pour empêcher celui-ci de causer des dommages matériels.

Ce texte législatif permettra d'atteindre deux objectifs importants. Premièrement, il offrira un recours facile aux victimes de crimes contre les biens, leur permettant de recouvrer les pertes qu'elles ont subies. Au cours des nombreuses discussions que j'ai eues avec des victimes, à titre de ministre de la Justice, j'ai pu trop souvent constater leur sentiment d'impuissance face au rôle minime que leur accorde l'appareil de justice pénale.

Bien que le projet de loi ait pour but de répondre aux besoins des victimes, notre gouvernement soutient qu'il serait préférable de pourvoir à ces besoins par l'entremise du droit pénal.

Deuxièmement, le projet de loi permettra de réintégrer les parents dans le système judiciaire. Ce faisant, nous espérons encourager certains parents à solliciter l'aide nécessaire pour prendre soin de leurs enfants et contrôler leur comportement. Je réitère que l'établissement de limites est primordial au développement des enfants et nous espérons que cette loi créera un climat propice à l'atteinte de cet objectif.

Il est important, ici, de mentionner que bon nombre de parents de jeunes contrevenants font tout en leur pouvoir pour donner une bonne éducation à leurs enfants; les mesures législatives que nous proposons prévoient donc une série de facteurs que les agents d'audition seront tenus de prendre en considération avant de rendre une décision.

Nous demandons au comité d'inclure, dans la Loi sur les jeunes contrevenants, des mesures qui responsabiliseraient les parents à l'égard des agissements de leurs enfants. La loi pourrait être calquée sur celle du Manitoba en y incorporant la présomption de responsabilité parentale à l'égard des actes criminels des enfants tout en y précisant les facteurs dont un juge du tribunal pour adolescents doit tenir compte pour rendre une décision. Les parents pourraient être tenus responsables conjointement avec leurs enfants du paiement des dommages-intérêts accordés aux victimes.

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Comme je l'ai déjà mentionné, nous croyons qu'il est temps de réintégrer les parents dans le système judiciaire, notamment dans le cas de situations impliquant des adolescents. Une partie de la Loi sur les jeunes délinquants prévoyait l'engagement parental et nous croyons fermement que ce principe d'engagement devrait être rétabli au cours du prochain processus de modification de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Notre gouvernement est aussi préoccupé du fait que le paragraphe 11(4) exclut les parents du système judiciaire plutôt que de les y réintégrer. Comme le comité le sait, le paragraphe 11(4) exige que le tribunal ordonne la désignation d'un avocat à la demande de l'adolescent, même si les parents sont capables de payer les honoraires de cet avocat. Cette disposition est encore en vigueur alors que diminuent les paiements de transfert fédéraux pour l'aide juridique. Notre gouvernement est d'avis que la Loi sur les jeunes contrevenants devrait obliger les parents qui le peuvent et qui ne sont pas habituellement admissibles à l'aide juridique à rembourser la province pour les frais découlant de la désignation d'un avocat.

La deuxième recommandation porte sur l'âge. Plusieurs de mes collègues au Canada et moi-même avons encouragé et appuyé les modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants prévoyant le renvoi des adolescents devant un tribunal pour adultes lorsqu'ils commettent certaines infractions graves. Je suis toutefois d'avis qu'il faut maintenant examiner la question de l'âge minimum des jeunes contrevenants. Notre but n'est pas de modifier ni d'abaisser l'âge minimum. Cependant, notre gouvernement continue de croire fermement que nous avons besoin de moyens ou de processus qui nous permettront, dans les cas pertinents, d'appréhender les contrevenants de moins de 12 ans qui commettent des actes criminels et de les traduire en justice.

Les corps de police m'ont fait part de leur frustration du fait qu'ils ne peuvent prendre de mesures efficaces à l'endroit des enfants de moins de 12 ans qui commettent des crimes. Des victimes m'ont dit qu'elles se sentent oubliées par le système de justice pour adolescents et que ce système semble faire fi de leur situation lorsque les contrevenants ont moins de 12 ans. Toutes ces personnes nous disent qu'il leur faut un plus large éventail de possibilités. Notre gouvernement croit qu'elles ont raison. Nous devons admettre qu'il y a des enfants pour lesquels aucun autre système n'est satisfaisant. Lorsqu'un enfant de 10 ans vole un véhicule automobile, ce n'est pas seulement le propriétaire du véhicule qui est lésé. Le risque que d'autres personnes, y compris l'enfant de 10 ans, soient blessées gravement ou tuées est toujours présent.

Nous devons aussi nous rappeler que le vol d'un sac à main peut avoir des conséquences dévastatrices pour la victime, surtout si celle-ci est une personne âgée. Si les systèmes de protection de la jeunesse et de la famille sont dans l'impossibilité de s'occuper de certains enfants, le système de justice pour les jeunes doit pouvoir prendre la relève et fournir des recours. Il en va de la sécurité du public.

Notre gouvernement demande que votre comité examine la possibilité de mettre en oeuvre un processus qui permettrait de traduire en justice les enfants de moins de 12 ans. Nous vous offrons notre collaboration pour la définition des paramètres de ce processus.

La troisième recommandation porte sur les victimes. Notre gouvernement a fait des droits des victimes une priorité. À l'heure actuelle, les juges peuvent imposer une suramende maximale de 15 p. 100 de l'amende ou de 35$ en l'absence d'amende, dans le cadre d'une sentence imposée à l'égard d'une infraction au Code criminel, à la Loi sur les aliments et drogues ou à la Loi sur les stupéfiants. Des dispositions semblables existent au Manitoba à l'égard d'infractions provinciales. Les revenus tirés de ces suramendes sont affectés directement au financement de programmes destinés aux victimes. Les programmes visés se rapportent notamment aux traitements, au logement, aux interventions d'urgence et aux refuges d'urgence.

Des programmes provinciaux tels que le programme de défense des femmes, le programme d'aide aux enfants témoins et le programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels sont financés en tout ou en partie au moyen de ces suramendes. Grâce à l'imposition de suramendes aux victimes, nous avons été en mesure d'établir et d'appuyer bon nombre de programmes innovateurs pour aider les victimes d'actes criminels. Malheureusement, les dispositions du Code criminel qui touchent les suramendes ne s'appliquent pas à la Loi sur les jeunes contrevenants. Les programmes que j'ai mentionnés pourraient être améliorés et de nouveaux programmes pourraient être élaborés si ces dispositions s'appliquaient à la Loi sur les jeunes contrevenants. En plus de rendre possible l'amélioration des programmes, la suramende renforce le message selon lequel il existe un lien entre le crime et la victime.

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La quatrième recommandation porte sur les armes et les gangs. J'ai déjà parlé de l'évolution de la criminalité chez les jeunes. Notre gouvernement est d'avis que les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants doivent être renforcées afin que soient prises des mesures concernant les infractions au cours de la perpétration desquelles une arme est utilisée ou une activité de gang est en cause. L'article 85 du Code criminel prévoit l'imposition d'une sentence additionnelle lorsqu'une arme à feu est utilisée dans la perpétration d'un acte criminel. J'ai appuyé fermement les parties du projet de loi C-68 qui avaient pour effet d'augmenter les peines prévues au Code criminel pour les criminels qui font usage d'armes à feu. J'ai également encouragé M. Rock, à plusieurs reprises, à étendre ces dispositions afin qu'elles visent toutes les armes, et non pas uniquement les armes à feu. Je vous incite à inclure des dispositions semblables dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

Notre gouvernement voudrait que le Code criminel fasse l'objet d'une modification qui prévoirait l'imposition d'une sentence minimale obligatoire de même nature s'il est établi que des activités de gang ont été un facteur dans la perpétration d'une infraction grave. Ce genre d'infraction devrait aussi s'appliquer à la Loi sur les jeunes contrevenants. Par ailleurs, on doit indiquer de façon non équivoque que le lien qui existe clairement entre les activités de gang et les crimes violents graves ne sera pas toléré.

En dernier lieu, concernant la publication de noms, bien que nous reconnaissions tout le progrès qui a été accompli dans le domaine de la publication des noms des jeunes contrevenants, nous croyons qu'il faut faire plus. En effet, la Loi sur les jeunes contrevenants est circonscrite, embarrassante et restrictive même si elle prévoit à l'heure actuelle un nombre limité de circonstances dans lesquelles le tribunal pour adolescents peut permettre la publication. Au Manitoba, nous n'avons pas encore trouvé une seule affaire où nous avons été en mesure de remplir les exigences prévues au paragraphe 38(1.5) de la Loi sur les jeunes contrevenants. Pourtant, dans certaines affaires, la police ou les procureurs de la poursuite étaient d'avis que la publication du nom d'un jeune contrevenant s'imposait, dans l'intérêt de la sécurité publique. Je recommande donc qu'il suffise de se demander si la publication est dans l'intérêt de la sécurité publique.

Par économie de temps, je n'ai fait que mentionner de façon générale cinq questions à propos desquelles la Loi sur les jeunes contrevenants devrait, selon nous, faire l'objet de modifications. Comme je l'ai indiqué plus tôt, je ferai parvenir sous peu au comité un mémoire écrit contenant plus de détails à ce sujet. J'aimerais cependant prendre un instant pour aborder la question du partage des frais en ce qui concerne les services destinés aux jeunes contrevenants.

M. Rock a suggéré que les ressources fédérales soient de moins en moins affectées au maintien des services de garde. J'ai déjà mentionné notre vigoureux programme de comités communautaires de justice. Je crois que nous faisons figure de chef de file au Canada dans la constitution de tels comités. Néanmoins, il y aura toujours des jeunes contrevenants qui, en raison de la gravité des infractions qu'ils commettront ou de la persistance de leur délinquance, devront faire l'objet de mesures de garde dans l'intérêt de la sécurité publique.

Le Manitoba a mis sur pied un système de classification des contrevenants qui s'est avéré très efficace dans la détermination des besoins des contrevenants et du risque de récidive. Au Manitoba, 74 p. 100 des jeunes placés sous garde sont à risque plus élevé. Les jeunes à risque plus élevé constituent un danger pour la collectivité en raison de leur comportement prédateur. A mon avis, toute tentative visant à manipuler la réalité à l'aide d'une formule de partage des frais est mal venue; le partage des frais devrait plutôt se faire selon une méthode flexible qui reconnaîtrait que les conditions régionales varieront d'une juridiction à l'autre.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous faire part du point de vue de notre gouvernement au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants et de nos recommandations quant aux modifications à y apporter. Notre gouvernement est d'avis qu'une méthode globale s'impose si on veut aborder d'une manière efficace le problème de la criminalité chez les jeunes. Nous croyons fermement qu'un aspect de cette méthode consiste à renforcer et à rendre plus efficaces les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les jeunes qui font des victimes doivent assumer les conséquences de leurs actes.

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Le comité est en mesure de recommander le genre de modifications que la plupart des Manitobains et, j'en suis convaincue, la plupart des Canadiennes et Canadiens, demandent.

Je vous remercie d'être venus au Manitoba et d'avoir donné aux Manitobaines et Manitobains la possibilité de s'adresser directement à vous. Je vous souhaite bonne chance dans la poursuite de vos travaux.

Je vais remettre au comité les pétitions que je voulais déposer. Je pense qu'il serait important, en terminant, que je vous lise le texte de la pétition:

Ce sont des signatures recueillies au Manitoba.

Merci beaucoup.

La présidente: Merci. Le greffier les prendra et nous serons heureux de les inclure dans notre compte rendu.

Mme Vodrey: Puis-je ajouter encore quelque chose? J'ai le total du nombre de signatures et j'estime important de le signaler dans le compte rendu. Le nombre total de noms contenus sur ces pétitions est de 7 904, et j'en ai remis d'autres provenant de notre province.

Merci beaucoup.

La présidente: Merci. Cela représente beaucoup de travail.

Monsieur St-Laurent.

[Français]

M. St-Laurent (Manicouagan): Vous nous avez livré un texte assez éloquent sur la façon dont vous voyez la problématique des jeunes contrevenants. J'aurais des questions relatives à la manière dont vous abordez la question. Vous parlez amplement de l'aspect punitif pour les jeunes contrevenants de 10 à 12 ans et vos recommandations font état du droit des victimes au niveau du traitement et des indemnisations. Vous parlez d'élargir un peu la loi sur les armes afin d'y inclure toutes les armes, y compris les armes blanches, j'imagine. Vous mentionnez aussi un élément pas banal, soit la publication des noms. C'est une chose quand même très importante.

J'étais curieux, au départ, de voir comment vous aborderiez la question de la responsabilité parentale et, à moins que votre énoncé ne soit pas complet, vous semblez la limiter à l'aspect monétaire. Les parents des agresseurs auraient une responsabilité monétaire envers les victimes ou les parents des victimes.

Vous parlez beaucoup de la punition et travaillez beaucoup sur cette question. En effet, ce matin, je n'ai vu que du travail sur la punition. En tant que ministre, comment entendez-vous régler le problème? Lorsque le jeune est dans la rue et qu'il fait des coups, c'est pour lui une façon de s'exprimer. Tout le monde est d'accord sur cela. Il s'exprime d'une manière «maladive».

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Il y a un problème derrière tout cela et il faut en chercher la cause. Il faut prévenir l'arrestation d'un jeune de 10 ans pour le vol d'un voiture parce que vous le faites dès lors entrer dans une sorte de système carcéral qui est inefficace, où il va apprendre encore mieux comment voler une voiture et ne pas se faire prendre. S'il est un peu chanceux, s'il y reste assez longtemps, il va peut-être apprendre les rudiments d'un vol de banque et ensuite essayer.

J'aimerais vous entendre parler du vrai problème. Comment entendez-vous le régler? Je pense que vous avez suffisamment parlé de la punition.

[Traduction]

Mme Vodrey: Je vous remercie beaucoup de votre question. Vous avez soulevé un certain nombre de questions auxquelles je suis heureuse de répondre.

Je commencerai par dire que notre objectif est de réintégrer les victimes dans le système. Depuis bien longtemps, on met surtout l'accent sur les contrevenants et il est important pour nous de continuer de le faire, mais à notre avis, il faut maintenant réintégrer les victimes dans le système.

En ce qui concerne les enfants de moins de 12 ans, nous voulons qu'il y ait un mécanisme pour eux. Vous aurez remarqué que nous n'avons pas fixé d'âge minimum, nous n'avons pas mentionné d'âge précis. Nous savons cependant, parce que les policiers nous le disent, qu'il y a des jeunes contrevenants pour qui les autres services d'aide à l'enfance se sont révélés inefficaces.

Ils ont reçu de l'aide, mais cette aide qui venait de l'extérieur du système judiciaire n'a pas réussi à modifier leur comportement. Nous croyons qu'il faut un mécanisme pour les intégrer au système judiciaire.

Je me permets de vous rappeler, comme je l'ai dit dans mes remarques, que le système judiciaire offre aussi des programmes. Le système judiciaire du Manitoba comporte quatre volets dans son programme institutionnel. L'un de ces volets est un programme de réinsertion sociale.

Nous reconnaissons que les jeunes qui viennent à nous ont des problèmes très complexes. Leur comportement criminel peut résulter d'erreurs de jugement, et parfois de problèmes de toxicomanie. On peut quelquefois mieux s'attaquer à ces problèmes en établissement.

Vous avez aussi mentionné que les jeunes tournent mal parfois. Ils apprennent dans la rue à voler des voitures. C'est un fort bon endroit pour apprendre à voler une voiture. On n'améliore pas les choses en laissant ces jeunes dans la rue. Lorsqu'on place des jeunes dans des établissements, ils peuvent profiter de programmes destinés à les aider à cet égard.

Il existe également dans nos établissements des programmes de services communautaires - d'interaction positive avec la collectivité. Je serai heureuse de vous faire parvenir des listes des endroits où nos jeunes gardés en milieu fermé font maintenant quelque chose de positif dans la collectivité. Et ils reçoivent en retour quelque chose de positif dans cette collectivité, une reconnaissance positive.

Nous reconnaissons aussi que certains de ces jeunes - et je l'ai vu à titre de psychologue scolaire - font souvent l'école buissonnière. Ils ne vont pas à l'école, ils ne s'engagent pas sur le plan scolaire. Devrions-nous amener ces jeunes dans le système judiciaire pour la jeunesse? Devraient-ils vraiment être placés dans un établissement?

Nous avons des programmes scolaires. Ils s'étendent sur 12 mois par année, parce que nous avons souvent peu de temps pour nous occuper de ces jeunes. S'ils se trouvent dans nos établissements pendant l'été, il faut quand même qu'il y ait cette possibilité de les faire participer aux programmes.

Pour ceux qui entrent dans le système de justice pour les jeunes et qui passent devant nos comités de justice pour la jeunesse, nous faisons maintenant officiellement participer la collectivité au processus afin que le jeune subisse les conséquences de ses actes et qu'on s'assure qu'il les subit jusqu'au bout.

Dans mon exposé, j'ai mis l'accent sur un système de justice que je qualifierais d'holistique, dans lequel on fait de la prévention et l'on assure le partage de l'information entre les divers ministères et services gouvernementaux. Mais il y a des jeunes qui ne semblent pas bénéficier d'être tenus à l'écart du système de justice, comme on peut le constater par leur comportement récidiviste et par le genre d'actes criminels qu'ils commettent.

Nous croyons qu'il faut mettre au point un mécanisme permettant de les ramener dans le système pour qu'ils bénéficient des instruments qui sont déjà en place dans ce système, quoiqu'ils ne soient peut-être pas appliqués aussi rigoureusement.

Vous avez posé une longue question. Je sais qu'il y a une foule de questions.

Vous avez demandé ce que nous ferions en fait de prévention. Nous avons un certain nombre de programmes en place. Ce sont vraiment des programmes au niveau de la base.

Nous avons notamment un programme qui s'appelle No Need to Argue. J'en ai parlé tout à l'heure. Des jeunes identifient un problème dans leur collectivité et travaillent de façon positive pour le résoudre. Nous avons mis cela sur pied et l'avons étendu à toute la province.

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Nous avons un programme qui s'appelle Streetpeace qui est une ligne téléphonique consacrée au problème des gangs de jeunes; des jeunes ou des membres de leur famille peuvent ainsi rejoindre un professionnel et s'ouvrir à lui de leurs préoccupations relativement aux activités des gangs de jeunes. Nous avons un secrétariat à l'enfance et à la jeunesse pour déceler les besoins des enfants de façon globale, pas seulement de façon sectorielle.

Nous tentons d'aider les programmes de prévention en partenariat avec la collectivité, mais il y a des jeunes qui doivent être amenés dans le giron du système de justice. C'est notre avis et c'est l'avis des Manitobains.

[Français]

M. St-Laurent: Notre travail nous a amenés à rencontrer, à Montréal entre autres, un groupe de jeunes contrevenants qui subissaient un traitement bien particulier, qui était, soit dit en passant, très, très efficace. Nous avons demandé à ces jeunes qui étaient en cure ce que cela aurait changé pour eux si l'âge minimum de 12 ans avait été reporté à 10 ans. Je vous prie de croire qu'on a vécu un moment de forte émotion quand une élève, une jeune contrevenante qui sortait à peine du milieu de la prostitution, de la drogue et tout, s'est levée les larmes aux yeux et a dit comme ça, avec une fermeté incroyable, qu'à 10 ans, ce n'est pas des policiers qu'on a besoin, mais des bras de sa mère.

Comment voyez-vous le rôle des parents dans votre processus? Vous avez parlé de la responsabilité parentale, de la responsabilité monétaire et matérielle des parents du jeune contrevenant à l'égard des victimes. Comment voyez-vous le rôle des parents, pas nécessairement celui des parents des jeunes victimes, mais celui des parents qui se mobilisent en groupe ou en association pour tenter d'en arriver à des solutions pour faire baisser le taux de criminalité chez les jeunes?

[Traduction]

Mme Vodrey: Premièrement, nous croyons que les parents doivent participer au système de justice pénale. Nous croyons qu'ils doivent être responsables, au même titre que leurs enfants, surtout lorsque les agissements de ces derniers ont fait des victimes. Au Manitoba, nous avons établi cela clairement dans notre domaine de compétence, à savoir les dommages aux biens. Nous croyons que le Parlement du Canada devrait faire savoir clairement que les parents doivent être responsables, au même titre que leurs enfants.

J'ai dit tout à l'heure que rien ne peut remplacer l'influence des parents. Les travailleurs sociaux et les agents de police ne peuvent pas se substituer aux parents. Dans notre projet de loi, nous avons prévu une défense pour les parents qui ont cherché à obtenir de l'aide supplémentaire pour les soutenir dans leur rôle de parent, afin de mieux communiquer avec un enfant difficile et de savoir comment s'y prendre pour lui imposer des limites. Nous avons stipulé que les parents qui ont cherché à obtenir cette aide, le cas échéant, peuvent invoquer cela en défense à l'égard des responsabilités parentales, parce que les parents assument une part de responsabilités.

Par conséquent, je ne suis pas certaine que nous divergions d'opinion là-dessus. Il est important de reconnaître que les jeunes enfants ont besoin de leur mère, mais il arrive parfois que des enfants aient besoin aussi du système de services sociaux pour l'enfance et il y a des enfants qui ont tout simplement besoin du système de justice, parce que les efforts de la famille ont échoué.

Vous avez soulevé deux points: la responsabilité parentale et le fait de soumettre les jeunes au système de justice. J'espère avoir répondu à vos questions.

Pourrais-je ajouter autre chose? J'ai bien des choses dont je voudrais vous entretenir. Vous avez demandé comment les parents peuvent être partie prenante. Nous accueillons les parents à bras ouverts dans nos comités de justice pour les jeunes. Car nous avons des comités de justice pour les jeunes fort actifs. Nous accueillons la participation des parents et d'autres membres de la collectivité à ces comités.

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Voici comment cela fonctionne au Manitoba. Par l'entremise de nos Comités de justice pour les jeunes, des parents ou un groupe de parents s'intéressent à un jeune et assument la responsabilité à son égard. Parce que cela a lieu dans la collectivité du jeune, ils côtoient le jeune dans ses activités quotidiennes et sont en mesure de lui fournir le soutien constant dont il a besoin pour ne pas s'écarter du droit chemin.

[Français]

M. St-Laurent: Est-ce que la participation des parents à votre processus fonctionne bien? Je vous prie de me fournir une brève réponse puisque j'ai une autre question et que le temps qui m'est accordé est presque écoulé.

[Traduction]

Mme Vodrey: Nous sommes toujours très heureux quand les parents participent au processus. Nous croyons que nos comités de justice pour les jeunes ont donné de très bons résultats pour certains jeunes et que la participation des parents a été utile. Nous encourageons cela.

[Français]

M. St-Laurent: Si cela a si bien fonctionné, comment se fait-il que vous soyez obligés de mettre des dents, non pas de petites mais de très longues dents, au nouveau sens que vous donnez à votre justice? Ce n'est peut-être pas nouveau pour vous, mais c'est différent pour moi. On ne s'entend sûrement pas sur cette question; on se respecte, mais on ne s'entend pas.

Donc, si cela fonctionne si bien avec les parents, si les résultats semblent si bons, pourquoi êtes-vous aussi - excusez-moi - agressive dans vos demandes?

[Traduction]

Mme Vodrey: Cela fonctionne très bien pour certains jeunes. Il y a des jeunes pour lesquels ça ne fonctionne pas. Ce sont souvent des récidivistes ou des jeunes qui ont laissé des victimes derrière eux.

Nous invitons les parents à participer au système au moment qui leur convient le mieux, et un comité de justice pour les jeunes est une bonne façon de le faire. Il ne faut pas perdre de vue qu'il y a des victimes. Ces comités permettent à l'enfant et à la famille de travailler avec la victime, mais je peux vous dire qu'une chose est claire pour nous au Manitoba, c'est que peu importe s'il y a eu condamnation ou pas, les victimes ne veulent pas être laissées pour compte. Elles veulent qu'on tienne compte de leurs griefs et nous avons déclaré que les parents doivent assumer une partie de la responsabilité, aux côtés de leurs enfants.

Il n'est pas obligatoire de se joindre à un comité de justice pour les jeunes. Les parents le font volontairement, s'ils le souhaitent. Nous disons maintenant dans la loi que nous voudrions que les parents y participent.

Je peux vous dire - et je suis certaine que votre expérience vous l'a également appris - que ce ne sont pas tous les enfants qui ont des parents désireux de participer au processus. C'est ce que les victimes ont constaté. Quand elles font des démarches auprès des familles, il arrive souvent que celles-ci s'en lavent les mains.

La présidente: Merci, monsieur St-Laurent. Vous avez quelque peu dépassé le temps qui vous était imparti, mais c'était intéressant pour nous tous.

Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Je veux d'abord remercier nos témoins de ce matin. Vos cinq recommandations sont pleines de bon sens et rétablissent un certain équilibre dans une loi et un processus qui, à mon avis, étaient extrêmes à certains égards. Vos recommandations sont bien pondérées et je crois qu'elles permettraient d'améliorer notre système de justice pour les jeunes.

Je n'ai que dix minutes. Nous dépensons beaucoup d'argent pour sillonner le pays et pourtant, j'ai moins de dix minutes pour poser des questions et je dois donc choisir parmi les questions que vous avez abordées en fonction de mes priorités.

Mais je voudrais d'abord dire ceci. Nous étions hier en Alberta, où nous avons visité un établissement de détention pour jeunes. Nous avons eu un entretien avec des jeunes ainsi qu'avec le personnel. Ils nous ont donné une liste des détenus de leur établissement qui sont qualifiés de criminels notoires. Il y en avait 35 sur 197.

Je vais lire rapidement la liste des infractions commises par quelques-uns de ces 35 détenus: meurtre dans un restaurant; meurtre d'un chauffeur de taxi; meurtre; meurtre d'un jeune frère de neuf ans dans une famille d'accueil; homicide involontaire à l'occasion d'un vol avec effraction; complot en vue d'une prise d'otages dans un établissement.

.1050

Je signale cela à votre attention et à celle du comité parce que cela nous fait prendre conscience qu'il se passe des choses très graves dans notre société. Vous parlez de victimes; il est indéniable que ces crimes laissent dans leur sillage de nombreuses victimes qui subissent un tort considérable. Je crois donc que les victimes doivent participer au processus et je souscris à vos recommandations à cet égard.

Je veux maintenant vous poser une question. Le professeur Bala a comparu devant notre comité et il a lui aussi recommandé de réduire l'âge de 12 à 10 ans. Vous n'allez pas aussi loin. Vous dites seulement qu'il devrait y avoir un mécanisme permettant d'assujettir au système de justice les jeunes de 10 et 11 ans, en fait de moins de 12 ans, qui ont commis un crime grave. Je vais vous lire ce que le professeur Bala a dit à l'appui de sa recommandation. Je cite:

Il ajoute:

À la fin de son témoignage, il dit:

J'avais des réserves au sujet du changement qui s'est produit en 1984, date à laquelle nous sommes passés de la Loi sur les jeunes délinquants à la Loi sur les jeunes contrevenants. Je vais vous présenter mon point de vue et je vous invite à me faire part de votre réaction. En 1984, le gouvernement fédéral, à mon avis, a abandonné la responsabilité de protéger la société contre les agissements des jeunes de moins de 12 ans. D'après le gouvernement fédéral, personne de moins de 12 ans ne peut plus commettre d'actes criminels. Des enfants de 12 ans commettent des vols, se rendent coupables de dommages à la propriété et même d'agressions, mais le gouvernement fédéral a abdiqué toute responsabilité envers la société relativement à ces actes. Il s'est déchargé de cette responsabilité sur les provinces, qui peuvent s'attaquer au problème non pas au titre du code pénal, mais en s'appuyant sur les pouvoirs constitutionnels conférés aux provinces au chapitre des services d'aide à l'enfance. C'est pourquoi il n'y a plus au Canada la moindre uniformité quant au traitement que l'on réserve aux contrevenants de moins de 12 ans.

Avez-vous une opinion sur la constitutionnalité de ce changement, qui date de 1994?

Mme Vodrey: Je ne crois pas pouvoir me prononcer en matière constitutionnelle, mais mes préoccupations demeurent les mêmes. Ce qui a manqué et qui manque encore, c'est un instrument permettant d'amener ces jeunes dans le système de justice, même dans les cas où il est évident que c'est ce qu'il faut faire. Vous avez dit qu'on s'était déchargé de cette responsabilité - j'hésite à utiliser ce terme - ; ce qui se passe, c'est qu'on envoie tous ces jeunes vers un système au détriment de l'autre et qu'on supprime ainsi l'accès aux ressources de cet autre système, nommément le système de justice, et cela me préoccupe grandement. Notre gouvernement s'en inquiète.

Il doit y avoir un moyen de faire en sorte que ces jeunes, surtout ceux qui sont accusés des crimes haineux dont vous avez donné des exemples, soient assujettis au système de justice pour que la réaction soit plus satisfaisante, autant pour la victime que pour le jeune lui-même, qui pourrait ainsi bénéficier d'un traitement plus global.

.1055

Je voudrais toutefois revenir à ce que vous avez dit au début de votre intervention, à savoir que nous n'allons pas assez loin, ou peut-être que nous n'allons plus aussi loin. Nous n'avons tout simplement pas discuté de l'établissement d'un plancher, ce qui serait la façon la plus courante de procéder. Nous n'avons pas établi de plancher. En fait, dans bien des cas, c'est défini par l'acte criminel. L'acte criminel lui-même est l'élément qui fait entrer le jeune dans le système de justice, de sorte qu'il n'est pas question... ou encore le comportement criminel répétitif, de sorte que les jeunes de moins de 12 ans ne puissent être utilisés par des jeunes plus âgés et échapper ainsi au système de justice, laissant des victimes dans leur sillage. Nous croyons que nous pourrions aller plus loin.

M. Ramsay: Merci. Il me reste juste le temps de poser une brève question.

Je ne crois pas qu'il soit possible pour le gouvernement fédéral de se décharger sur les provinces de sa responsabilité constitutionnelle de maintenir la paix, l'ordre et le bon gouvernement. À mon avis, ce n'est pas constitutionnellement possible. Je me trompe peut-être là-dessus, mais si j'ai raison, il n'en demeure pas moins que c'est exactement ce qui s'est passé en 1984. Le gouvernement fédéral a tenté de refiler aux provinces sa responsabilité constitutionnelle, avec le résultat que nous n'avons plus de cadre juridique uniforme pour nous occuper des enfants de moins de 12 ans qui commettent des actes très graves. Le traitement qui leur est réservé est donc très variable d'une province à l'autre. Je crois que c'est mauvais et que nous sommes sur la mauvaise pente, étant donné que certains - pas beaucoup - ont suggéré au comité de relever l'âge de 12 à 14 ans ou à un âge quelconque supérieur à 12 ans.

Avez-vous des commentaires ou des suggestions dont vous voudriez faire part au comité au sujet de ce délestage qui s'est produit en 1984, alors qu'il me semblait très clair que ce dont on se délestait ainsi, ce n'était pas des ressources, mais bien la responsabilité constitutionnelle, ce qui est inadmissible à mon avis?

Mme Vodrey: Je dirai d'abord que je partage vos préoccupations quant au manque d'uniformité dans le traitement des actes criminels commis par des jeunes de moins de 12 ans, puisqu'on s'en remet entièrement aux provinces à cet égard. C'est une difficulté. Une réponse uniforme transmettrait aux jeunes le message qu'il existe un cadre juridique pour s'occuper de leur comportement criminel. C'est donc préoccupant.

Je voudrais faire une digression et dire que j'ai les mêmes préoccupations en matière de responsabilité parentale. Nous adoptons au Manitoba une loi à cet égard, mais il n'y a pas de traitement uniforme relativement à la responsabilité parentale d'un bout à l'autre du pays et nous croyons que ce devrait être le cas. Je peux vous dire que le gouvernement du Manitoba ne serait absolument pas d'accord pour relever l'âge au-dessus de 12 ans. Nous voulons un mécanisme pour nous occuper des enfants de moins de 12 ans qui commettent des actes criminels et qui laissent des victimes, et nous sommes disposés à travailler de concert avec vous à l'élaboration de ce mécanisme.

La présidente: Je voudrais faire une précision. Je crois que M. Ramsay a involontairement faussé quelque peu les témoignages. Il y a eu très peu de suggestions visant à relever l'âge au-dessus de 12 ans - une ou deux, je crois. Je ne poursuivrais pas dans cette voie.

Monsieur Gallaway.

M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Merci, madame la présidente.

Je vous souhaite la bienvenue, au nom des députés de ce côté-ci.

Je vais poursuivre dans la même veine, au sujet de l'âge, parce que vous avez soulevé quelque chose que nous avons déjà entendu, à savoir que la police ressent une certaine frustration. Vous avez décrit cela en disant qu'il n'y avait aucun recours efficace pour les enfants de moins de 12 ans qui commettent des crimes. Je suppose que vous proposez un mécanisme permettant d'amener dans le système, à l'occasion, des enfants de n'importe quel âge, mais particulièrement de moins de 12 ans. Est-ce bien ce que vous proposez?

.1100

Mme Vodrey: Oui, nous proposons un mécanisme permettant d'amener dans le système des enfants de moins de 12 ans. Nous ne proposons pas d'établir un âge minimum.

M. Gallaway: D'accord.

Vous avez également dit que les enfants doivent se rendre compte que leurs actes entraînent des conséquences. J'attire votre attention sur un article publié hier dans le Edmonton Journal et que j'ai lu hier soir dans l'avion, au sujet d'un jeune de sept ans qui a poignardé une personne. C'était un crime très grave. Je suppose que dans ces circonstances - dans l'hypothèse où il s'agissait d'un acte de violence isolé - vous proposeriez que l'enfant soit assujetti au système de justice pénale.

Mme Vodrey: Nous n'avons pas de mécanisme pour le faire actuellement. Nous sommes disposés à travailler de concert avec vous pour en élaborer un, mais nous avons élaboré au Manitoba un modèle d'évaluation du risque qui, à mon avis, pourrait fort bien être utilisé dans ces circonstances pour évaluer s'il y a lieu de faire intervenir le système de justice.

Nous n'essayons pas d'être arbitraires. Nous disons qu'il y a des mécanismes de présélection. La Couronne peut fort bien utiliser notre outil d'évaluation du risque pour décider si un jeune doit être soumis au système de justice pour les jeunes ou s'il serait mieux d'appliquer dans son cas le système d'aide à l'enfance.

Nous essayons de fournir un mécanisme plus raisonnable, mais nous avons reconnu, et la police et les victimes nous l'ont d'ailleurs dit, qu'il y a beaucoup de jeunes, surtout âgés de 10 et 11 ans, mais certains encore plus jeunes, qui commettent des actes criminels et dont le comportement criminel à répétition indique que le système de justice est le meilleur moyen de s'occuper de leur cas.

M. Gallaway: Sauf votre respect, madame la ministre, je trouve cela très difficile à comprendre. Dans l'exemple que j'ai donné, supposons que l'enfant en question est amené dans le système. Vous avez dénoncé le manque de ressources sur le plan de l'aide juridique. Vous avez dit que le système de justice était la solution, mais en même temps, votre province va fournir le programme, en l'occurrence pour ce jeune contrevenant.

À quoi sert - j'essaie d'y voir clair - de soumettre ce jeune de moins de 12 ans au système de justice, avec tous les coûts que cela entraîne, pour, au bout du compte, le remettre dans un système que vous allez fournir? Pourquoi ne feriez-vous pas tout simplement appel à votre législation sur l'aide à l'enfance?

Mme Vodrey: Dans mon exposé, j'ai bien précisé que nous cherchons à multiplier les options disponibles dans le cas d'un jeune qui a commis un acte criminel. C'est notre point de départ.

Le principe qui sous-tend tout cela, c'est la protection du public, la sécurité publique. Il est évident que lorsqu'un jeune n'est pas soumis au système de justice ou lorsque le système ne semble pas permettre d'imposer des conséquences à un acte, nous n'agissons pas dans l'intérêt supérieur de la sécurité publique.

Je suis très consciente du temps, madame la présidente. J'ai ici un exemple assez long d'une jeune personne qui a commis des actes criminels à répétition. Cela vient du service de police de Winnipeg.

La présidente: Les contraintes de temps ne visent nullement à vous limiter, cela s'applique plutôt à nous. Allez-y librement, dites tout ce que vous estimez devoir dire.

Mme Vodrey: D'accord. Merci beaucoup, madame la présidente.

Je voudrais donc prendre quelques instants pour vous faire part de ce cas qui nous a été fourni par la division de la jeunesse de notre service de police de Winnipeg. Nous croyons que dans ce cas, un tel mécanisme aurait été très utile. D'après notre service de police, ce n'est nullement un cas isolé.

.1105

Le jeune en question a eu 12 ans en 1993. Mais en 1991, un dimanche matin, une femme de 79 ans se rendait à l'église et s'est fait voler son sac à main par le jeune. Celui-ci s'est fait prendre à partager l'argent ainsi volé avec des copains dans un magasin de la localité, et il a avoué bien candidement être l'auteur du vol. Il avait 10 ans à l'époque. Les autorités de l'aide à l'enfance ont été averties et elles ont fait savoir au service de police que l'on ferait un suivi.

En 1992, le jeune s'est fait prendre au deuxième étage d'un immeuble de bureaux où il essayait de voler de l'argent dans les sacs à main et les pupitres des employés. Quelques jours plus tard, il a essayé de voler des articles dans un magasin de jouets. Pris la main dans le sac, il a essayé de s'enfuir en brisant une fenêtre du magasin.

Six jours plus tard, il s'est fait prendre à essayer de voler des sacs à main dans les bureaux administratifs de notre plus grand hôpital. Attrapé par une employée, il a réussi à s'échapper en lui donnant un coup de poing en plein visage. Il a été appréhendé tout de suite après par le personnel de sécurité. Il a alors brandi un couteau de l'armée suisse pourvu d'une lame de trois pouces de longueur et en a menacé deux agents de sécurité. En fin de compte, on a réussi à le désarmer et à le maîtriser.

Moins d'un mois plus tard, le jeune et quelques-uns de ses amis ont abordé une femme de 18 ans à un arrêt d'autobus et ont exigé qu'elle leur remette son sac à main. Elle aussi ayant refusé, le sujet a sorti un couteau et lui en a donné un coup. Le sac à main s'est ouvert et ils lui ont volé son portefeuille.

Quelques mois plus tard, le sujet était à bicyclette quand il s'est approché d'une femme de 61 ans et lui a arraché son sac à main qu'elle tenait sur l'épaule gauche. Le même jour, je crois, le sujet est entré dans un bureau où il a volé un portefeuille dans un pupitre. Mécontent de sa maigre récolte de 20$, il a essayé d'utiliser la carte bancaire pour retirer du comptant à un guichet automatique.

Peu après, la même année, le sujet était encore à bicyclette quand il a volé le sac à main d'une femme de 63 ans. Plusieurs jours plus tard, il s'est fait prendre à faire du vol à l'étalage dans une boutique de cadeaux. Plusieurs jours après, le sujet a arraché le sac à main que tenait une femme de 70 ans, et il a eu l'honneur de se faire arrêter pour ce délit par notre chef de police lui-même.

Manifestement, le fait d'avoir été arrêté par le chef de police n'a pas semblé l'impressionner outre mesure. Quelques jours plus tard, il a agressé un jeune de 14 ans et lui a volé ses gants et un bâton de baseball. Il n'avait pas encore 12 ans.

Ensuite, l'incident suivant est arrivé juste après l'anniversaire de notre sujet. Il s'est fait prendre pour vol à l'étalage et on a enfin pu prendre des mesures contre lui, porter des accusations et le détenir à notre centre de détention pour les jeunes du Manitoba.

Voilà donc un exemple d'un jeune qui commet des infractions à répétition, qui est censé être supervisé par le système d'aide à l'enfance, sans le moindre résultat.

M. Gallaway: La plupart des systèmes d'aide à l'enfance comportent un mécanisme quelconque permettant de retirer l'enfant de son milieu et de l'encadrer de manière qu'il ne puisse plus récidiver.

Le cas que vous venez de décrire est assurément très intéressant, mais à l'âge de 10 ans, c'était là un enfant intenable. Il est évident qu'il n'y avait aucune intervention des parents dans ce cas, et l'on peut même se demander s'il y avait des parents. En même temps, quel rôle ont joué les autorités d'aide à l'enfance de votre province dans tout cela?

Autrement dit, ma question est la suivante: votre législation sur l'aide à l'enfance vous permet sûrement de retirer cet enfant de son foyer et de le mettre sous garde dans un cadre quelconque, mais vous dites qu'il faut procéder en appliquant le Code criminel, avec tous les coûts que cela suppose, au lieu de s'en remettre à la législation de protection de l'enfance, qui entraîne traditionnellement des coûts moins élevés.

Mme Vodrey: Je ne suis pas en mesure de vous donner les détails de ce cas pour ce qui est de retirer l'enfant de son foyer, mais on peut supposer que nos services d'aide à l'enfance ont fait tout ce qu'ils pouvaient en l'occurrence.

Mais l'enfant, comme vous l'avez dit vous-même, était absolument intenable et le système des services d'aide à l'enfance n'arrivait pas à le prendre en main. C'est pourquoi nous disons qu'il faut élargir l'éventail des options de manière à pouvoir, dans le cas d'un jeune comme celui-là, qui commet des infractions à répétition, jour après jour et parfois deux fois le même jour, de soumettre cet enfant au système de justice. Il faut aussi un moyen quelconque de venir en aide à la victime.

M. Gallaway: Ma question est la suivante: pourquoi voudriez-vous criminaliser un acte commis en l'occurrence par un enfant de 10 ans, alors que vous pourriez peut-être tout simplement renforcer votre Loi sur les services à l'enfance et à la famille, sans que cela coûte aussi cher que l'intervention des tribunaux? Le résultat serait le même. Vous devrez payer de toute façon.

.1110

Mme Vodrey: Ce qui nous préoccupe, c'est que le système de services d'aide à l'enfance ne prévoit pas la responsabilité à l'égard des actes criminels. Il ne prévoit pas non plus de recours pour les victimes. Nous croyons que la Loi sur les jeunes contrevenants est la législation fédérale qui traite des activités criminelles des jeunes personnes et nous sommes d'avis que les jeunes de ce genre doivent être soumis au système de justice et doivent répondre de leurs actes devant le système de justice.

M. Gallaway: J'ai une dernière question. J'essaie de trouver où ça se trouve dans votre exposé, mais vous avez parlé de la responsabilité des parents. Cela m'intéresse beaucoup, à titre de membre du comité. La responsabilité parentale doit être un facteur dans tout cela.

Vous avez dit quelque chose qui m'a semblé intéressant, à savoir que vous avez demandé àM. Rock d'accroître ou de renforcer le rôle des parents dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Vous avez fait remarquer que cela n'a rien donné. Vous avez dit que le fédéral n'avait pas bougé et que vous alliez présenter un projet de loi visant à rendre les parents qui n'ont pas fait d'efforts raisonnables pour empêcher leurs enfants d'endommager les biens d'autrui responsables à hauteur de 5 000$.

Encore une fois, sauf votre respect, vous avez recours au droit civil. N'est-ce pas exact? Vous auriez pu faire cela il y a deux ans.

Mme Vodrey: Oui, nous avons recours à notre cour des petites créances, et oui, nous avons recours au droit civil. Notre projet de loi est actuellement à l'étude à la Chambre, à l'étape de la deuxième lecture. Il sera renvoyé au comité qui tiendra des audiences, et notre gouvernement l'adoptera au plus tard le 7 novembre.

C'est ainsi que nous avons commencé à demander au ministre Rock de réintégrer la responsabilité des parents dans la loi. À notre connaissance, lors de la première phase, il n'a pas été tenu compte de notre requête.

Notre gouvernement a donc annoncé qu'il allait agir dans les secteurs relevant de sa compétence. C'est ce que nous avons fait. Toutefois, nous voudrions que les mesures que nous avons prises trouvent un écho dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

M. Gallaway: Mais en fait, nous ne pourrions pas faire figurer le pendant de ce que vous avez fait dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Vous avez agi de votre propre initiative, dans vos champs de compétence constitutionnelle.

Mme Vodrey: Nous croyons en fait que la loi devrait faire allusion au comportement. Nous voudrions que vous repreniez le modèle qui nous a servis. Notre modèle correspond à notre domaine de compétence, mais nous croyons que si vous voulez envisager d'inclure la responsabilité des parents, nous pourrions à notre tour envisager d'exiger un dédommagement au profit des victimes acte criminel, et nous estimons qu'il s'agit là d'un élément important. C'est un des aspects de la responsabilité des parents auquel nous voudrions que vous songiez.

Nous voudrions également que la responsabilité des parents s'étende aux frais juridiques. Les parents qui ne sont pas admissibles à l'aide juridique devraient en fait payer les frais d'avocat de leur enfant.

La présidente: Vouliez-vous poser une brève question?

M. Gallaway: Oui.

Très brièvement, vous voudriez qu'une somme de 5 000$ soit également prévue dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette règle devrait-elle selon vous être étendue aux autres contrevenants, ou entendez-vous traiter les jeunes contrevenants différemment suivant l'âge? En d'autres termes, les contrevenants de plus de 18 ans seraient assujettis au Code criminel, n'est-ce pas?

.1115

Mme Vodrey: Je sais bien que le Code criminel prévoit ce genre de sanction contre l'accusé, mais dans le cas des jeunes contrevenants, il faut que les parents soient responsables au même titre que le jeune. C'est pourquoi nous réclamons qu'on prévoie un mécanisme dans la Loi sur les jeunes contrevenants pour responsabiliser les parents et qu'il y ait dédommagement au profit des victimes.

La présidente: Madame la ministre, merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d'être venue vous adresser à nous. Nous sommes parfaitement conscients du fait qu'il s'agit ici nettement de compétences fédérales et provinciales qui se chevauchent et les décisions que nous prendrons auront une grande incidence non seulement sur vos administrés et les nôtres, mais également du point de vue de l'administration provinciale. Nous le savons.

Au risque de lancer un défi aux autres provinces, je vous dirai que les mesures que vous avez prises sont très impressionnantes. Peu importe que les membres du comité soient d'accord avec vous ou non, le fait que vous soyez accompagnée de tant de fonctionnaires témoigne de l'importance que vous accordez au sujet. Vous ne vous êtes pas tout simplement contentée de rester sur le plan politique, et nous vous en sommes reconnaissants. Vous nous avez fourni des éclaircissements. Nous ne sommes pas en mesure de vous dire tout de suite si nous donnerons suite à vos recommandations, mais je pense que vous vous rendez compte que nous avons bien cerné les enjeux. Il s'agit de notre quatrième semaine de tournée et les enjeux se précisent. Par conséquent, votre contribution nous est utile.

Vous avez parlé d'un outil d'évaluation du risque que vous avez mis au point. Ce n'est pas dans toutes les provinces qu'on demande de rabaisser l'âge, mais dans aucune des autres provinces où on a réclamé qu'il soit rabaissé, avons-nous constaté qu'on avait fait ce genre de travail. Si vous pouvez nous aider, nous aimerions beaucoup avoir accès à cet outil d'évaluation du risque.

Dans la même veine des questions de M. Gallaway, je voudrais vous en poser une brève. On nous dit que votre législation sur l'enfance ne contient pas d'article qui vous permettrait d'intervenir du simple fait qu'un jeune a commis une infraction.

D'après moi - et c'est un point de vue tout à fait personnel - il y a là une difficulté car dès que nous prenons des mesures, il y a fusion des systèmes. Je pense que M. Gallaway a tout à fait raison. Si nous vous donnons les moyens d'avoir recours à l'appareil de justice pénale pour rejoindre et saisir un enfant qui s'achemine vers la délinquance, il va falloir de toute façon que vous puissiez lui offrir un programme quelconque. Il ne s'agit pas de le mettre dans un établissement pénitentiaire fédéral et ce n'est pas ce que vous souhaitez. Dans une autre province, c'est ce que l'on réclamerait mais je sûr que ce n'est pas votre but.

Cela dit, cela signifiera sans doute que l'approche judiciaire sera amalgamée à l'approche sociale. Avez-vous envisagé de modifier votre loi sur l'enfance - dont je ne connais pas le titre - ou la loi qui vous permettrait de prendre un enfant en charge afin de résoudre ce genre de situation?

Mme Vodrey: Merci beaucoup, madame la présidente.

Tout d'abord, nous vous donnerons volontiers notre outil d'évaluation des risques.

La présidente: Merci. Nous vous en sommes reconnaissants.

Mme Vodrey: Il a été mis à jour et il est fort utile.

Notre Loi sur les services à l'enfant et à la famille fait l'objet d'un examen par le ministre des Services à la famille. Nous sommes prêts à travailler en collaboration avec les membres de votre comité pour trouver des mécanismes à l'intention des jeunes de moins de 12 ans, mais nous sommes toujours d'avis que l'on doit pouvoir, grâce aux dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants, traduire cette jeune personne en justice. Au sein de notre administration, les ministères à vocation connexe travaillent assurément ensemble mais je continue de soutenir qu'il faudrait prévoir un mécanisme dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous voudrions que ce mécanisme nous vienne du Parlement du Canada, qu'il soit éloquent et qu'il nous donne un cadre législatif sur l'attitude à l'égard des jeunes, qui traite des conséquences des actes d'un enfant de moins de 12 ans qui commet un crime.

Merci beaucoup.

La présidente: Nous allons faire une courte pause pendant que les témoins suivants s'installent.

.1120

.1139

La présidente: Nous reprenons la séance.

Nous accueillons de Troubles d'apprentissage - Association canadienne, Yude Henteleff, qui en est le directeur exécutif.

Si je ne m'abuse, vous voulez faire un exposé. Ensuite, nous vous poserons des questions.

M. Yude Henteleff (directeur exécutif, Troubles d'apprentissage - Association canadienne): Je l'espère bien. Merci beaucoup, madame la présidente.

Quand l'association m'a demandé de préparer cet exposé, je ne savais pas que cette question prendrait de telles proportions.

La présidente: Nous non plus.

.1140

M. Henteleff: Je connais la question des difficultés d'apprentissage du fait que je suis le père d'un enfant qui en a et que je suis avocat depuis plus de 25 ans.

Quand on m'a demandé de faire cet exposé, je me suis dit: «Pourquoi? À quoi bon?» Au fil des ans, il y a eu nombre de bons comités et de bons groupes dont le sort a été typiquement canadien. Nous avons produit les meilleurs rapports qui invariablement ont été mis aux oubliettes.

Quand Rosemary Vodrey, la ministre de la Justice du Manitoba, a parlé d'une pétition présentée par 7 400 personnes, je me suis rappelé d'une étude qui remonte à 1969 intitulée «Un million d'enfants». Il s'agit d'un rapport préparé par la Commission sur l'étude des troubles d'apprentissage chez l'enfant, que l'on appelle couramment le rapport CELDIC. Les exemplaires de cette étude sont très rares mais j'en ai un. Je vais vous le prêter. Je ne peux pas vous le donner car j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux pour certaines raisons. Il ne cesse de me rappeler tout ce que nous avons appris et le peu que nous mettons en oeuvre. Ainsi, la ministre représente peut-être 7 400 personnes mais j'aime à croire que moi je représente un million d'enfants.

Le Conseil pour l'enfance en difficulté a préparé, en 1971, une étude intitulée «Normes à l'intention de ceux qui enseignent aux enfants exceptionnels au Canada». Permettez-moi de lire les deux citations en exergue à cette étude.

La première est de Georges Vanier, que vous connaissez tous assurément.

Il est honteux que des livres comme «Un million d'enfants» et une étude préparée par le Sénat du Canada, en 1974 ou 1975, et intitulée «Normes servant à déterminer les causes d'un comportement criminel chez les enfants» aient été ni plus ni moins boudées.

Je voudrais vous citer aussi un texte de Pierre Elliott Trudeau: «Aidons tous les enfants à vivre une existence riche et satisfaisante». Ce genre d'existence ne se réalise pas en punissant pour punir, en emprisonnant pour dissuader, comme si c'était là le moyen de résoudre un problème de longue date avec lequel sont aux prises les jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Ce matin, le ministre de la Justice a dit tout simplement qu'il n'y avait qu'une seule solution: l'emprisonnement. Qu'on montre aux jeunes qu'on est sérieux et le tour sera joué.

Le fait est que la Loi sur les jeunes contrevenants, qui vise à un équilibre entre la protection du public et la prestation de services qui conviennent aux jeunes, s'est révélée un échec flagrant.

Permettez-moi de vous donner des statistiques. Au fur et à mesure de mon exposé, vous comprendrez, je l'espère, qu'un des aspects les moins bien compris et sur lequel on a le moins travaillé est celui du sort des enfants qui ne peuvent pas apprendre, qui subissent un échec scolaire.

Je ne sais pas si vous connaissez l'étude nationale publiée en septembre 1993 par Ressources humaines et Travail Canada et qui s'intitule «Après l'école». Cette étude contient les résultats d'une enquête nationale qui compare les décrocheurs et les détenteurs de diplôme d'études secondaires pour le groupe d'âge de 18 à 20 ans. Si vous voulez comprendre pourquoi tant de nos jeunes ont des démêlés avec la loi, il vous faut lire cette étude.

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Permettez-moi de vous parler des personnes qui ont des difficultés d'apprentissage parce qu'après tout, c'est en partie la raison de ma présence ici. De 10 à 15 p. 100 de la population souffre de troubles d'apprentissage. Cette proportion est cinq fois plus élevée chez les jeunes contrevenants, d'après une étude faite récemment en Ontario. Une étude toute récente des services correctionnels du Canada montre que chez les contrevenants adultes, cette proportion est trois fois plus élevée que dans la population en général.

Il est important de savoir que ce n'est pas à cause d'un comportement intrinsèque que ces enfants ont des démêlés avec la justice. Pas du tout. Ils n'ont pas de propension inhérente à la criminalité. Ce n'est pas là la nature du problème. Le problème tient au fait que ces enfants ont des difficultés énormes à se servir des sens dont nous nous servons normalement pour comprendre le monde qui nous entoure. Je ne parle pas ici de ceux qui n'auraient pas une vision parfaite ou une ouïe parfaite mais de difficultés, chez ces enfants, à recevoir de l'information, à la transformer, à l'analyser, à l'appliquer, et des difficultés, par exemple, à se rappeler des expériences passées et à les adapter à une situation présente. Ils ont des difficultés de perception, de réflexion, de mémoire, d'application. Cela n'a rien à voir avec l'intention, absolument rien. Cela a tout à voir avec des troubles neurologiques.

Ces enfants ne sont pas responsables des troubles dont ils souffrent car... On sait d'après des travaux génétiques très récents que ce genre d'affections est génétique. Cela peut se traduire aussi par des difficultés physiques et autres.

Je vous ai rappelé le très grand nombre d'études effectuées. Dans le corps de mon rapport, je cite au moins onze études majeures toutes effectuées par notre association depuis 1979. Il en est une qui nous intéresse plus particulièrement et que je vais vous laisser. Elle a été financée en partie par le gouvernement fédéral, le Solliciteur général du Canada, et en partie par la Fondation Samuel et Saidye Bronfman. Elle s'intitule «Difficultés d'apprentissage et jeunes contrevenants: Arrêter la décision». Nous avons organisé des ateliers à l'intention des juges pour enfants et des agents de probation et ce aux quatre coins du pays. J'en ai animé deux. Un pour le personnel manitobain en 1988 et un autre pour celui de la Saskatchewan en 1987 et en 1989.

Les gens qui s'occupent des jeunes contrevenants dans l'appareil judiciaire, en particulier les juges pour enfants, reconnaissent que toutes les promesses qu'offrait la Loi sur les jeunes contrevenants, qui nous emballait au départ, parce que nous n'étions pas satisfaits des dispositions de la Loi sur les jeunes délinquants, cette dernière négligeant de répondre adéquatement aux besoins spéciaux des jeunes enfants... Quoi qu'il en soit, c'était la première fois que l'expression «difficultés d'apprentissage» figurait dans la loi. Nous nous en sommes réjouis en nous disant qu'on avait compris. Mais on n'avait pas compris, et on continue de ne pas comprendre. Si on avait compris, si on était sensibilisé au problème, il existerait des programmes.

Sauf le respect que je lui dois, je dirais que la ministre, avec son exposé aujourd'hui, fait figure de petite loupiote dans une mer d'obscurité. Si vous avez l'impression qu'on fait au Manitoba quoi que ce soit de significatif pour répondre efficacement aux besoins de l'enfance en difficulté, alors elle vous a induits en erreur. Je ne saurais qualifier cela autrement.

Quand on parle de quelque 75 p. 100 des jeunes qui seraient des enfants à risque et qui par conséquent deviennent des enfants au comportement plus ou moins aberrant, on constate que la ministre ignore une donnée statistique - et à mon avis il s'agit d'ignorance - publiée dans une étude récente, en 1996 en Ontario. J'y reviendrai plus tard. Effectivement, 75 p. 100 des enfants qui ont des démêlés avec la justice sont des enfants à risque car ce sont des enfants en difficulté d'apprentissage du fait qu'ils sont autistiques, ou encore qu'ils souffrent de troubles d'un autre ordre. Il y a des gens qui utilisent le mot «retardé». Je n'aime pas ce mot. Il est péjoratif. Il n'en demeure pas moins que 75 p. 100 de tous les enfants justiciables sont des enfants dysfonctionnels, qui viennent de familles perturbées, et au Manitoba, ils ont affaire à un appareil judiciaire dysfonctionnel.

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Je suis consterné et épouvanté quand, en réponse à vos questions, on vous donne l'exemple d'un jeune ayant des ennuis très graves et, qu'à partir de là, on établit des principes généraux qui n'ont rien à voir avec la réalité.

Le Dr P.S. Koopman de l'Université de Colombie-Britannique écrit dans un rapport que les jeunes en difficulté d'apprentissage sont plus susceptibles que les autres délinquants d'être incarcérés. Le taux de réincarcération de ces mêmes jeunes est alarmant.

Le Dr Koopman définit une personne ayant des difficultés d'apprentissage comme quiconque souffrant de dysfonctionnement précis dans son développement fondamental. Le langage, la connaissance et la capacité à réfléchir correctement - en fait toute la personnalité - sont affectés par le problème. Et voilà que le gouvernement dit «enfermez-les, le plus tôt sera le mieux». Le gouvernement a affaire dans 75 p. 100 des cas à des enfants ainsi atteints, et c'est un problème qu'il n'a pas créé lui-même.

Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas s'occuper des familles dysfonctionnelles. Bien sûr qu'il le faut. Je ne sais pas si la question a été posée... Je pense que M. Gallaway a fait allusion à la Loi sur la protection de l'enfance. Où se trouvaient tous les organismes qui auraient dû intervenir plus tôt quand l'enfant courait des risques, quand il était un prédélinquant... Où étaient-ils? Voulez-vous savoir où ils étaient? Ils s'occupaient de leur propre petit empire, de leur propre petite affaire.

Qu'il est pratique de pouvoir blâmer la personne qui est la moins en mesure de se défendre. L'enfant. Quels droits a un enfant? Un enfant ne vote pas, monsieur Ramsay. Un enfant n'a pas de pouvoir, surtout s'il est dysfonctionnel ou encore si pour toutes sortes de raisons il est le moins capable de se défendre lui-même.

Que fait la société alors? La juge Rosalie Abella a très bien exprimé les choses. Elle a posé la question: Pourquoi, quand la société semble ne pas savoir quoi faire, se rabat-elle sur les personnes les moins à même de se défendre elles-mêmes et pourquoi en fait-elle les amortisseurs de chocs pour la société. Pourquoi trouvons-nous si facile de les blâmer? Je sais pourquoi. Parce qu'ils sont les moins capables de se défendre eux-mêmes. C'est simple.

Les gens se demandent souvent alors pourquoi ces enfants ont des démêlés avec la justice. En effet, ils ont toute une panoplie de capacités. À certains égards, la nature même de ce dont ils souffrent nous amène à parler de difficultés d'apprentissage spécifiques. Ils peuvent être brillants en mathématiques mais pourris dans d'autres matières. Les autorités ne les comprennent pas et leur disent: «tu réussis si bien en mathématiques, pourquoi ne pas en faire autant dans les autres matières?»

Je me souviens d'avoir été témoin, grâce à un circuit fermé de télévision, des comportements d'une jeune personne qui avait du mal à appréhender l'espace. Elle ne pouvait pas se situer par rapport aux choses qui l'entouraient. On a donc mis deux chaises dos à dos et on lui a demandé de marcher entre les deux. Quand l'écart était très large, elle y parvenait. Au fur et à mesure qu'on rapprochait les chaises, elle essayait de se comprimer, de s'amincir toujours davantage. Elle n'avait aucune notion de son...

La présidente: Y est-elle parvenu?

M. Henteleff: Elle n'arrivait pas à se situer par rapport à son corps. Elle n'avait aucune notion de son corps à partir de la taille. Je vais vous expliquer ce que cela signifie dans un instant afin que vous en compreniez les conséquences.

Pour finir, elle ne pouvait pas se serrer assez pour passer entre les deux chaises. Elle a piqué la plus terrible des crises de rage que j'ai jamais vue. Elle s'est mise à lancer les chaises, à tout saccager. Cette enfant avait un quotient intellectuel de plus de 130. C'est l'appréhension de l'espace qui était son problème. Elle n'arrivait pas à distinguer ce qui est en haut de ce qui est en bas, ce qui est à droite de ce qui est à gauche. Nous, nous tenons tout cela pour acquis. Songez un peu à une enfant comme elle qui essaierait d'apprendre la géométrie, les mathématiques ou la physique sans avoir une notion des chiffres et de l'espace.

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Ces enfants, face à l'autorité ou à des gens puissants, font tout de travers. Koopman dit:

Ce sont des excentriques. Ils ne sont acceptés par personne. Malheureusement, à cause de cela précisément, ils s'acoquinent avec des enfants qui pour d'autres raisons ont des démêlées avec la justice mais qui les acceptent.

Il est clair que quand on emprisonne ces enfants, sans leur donner aucunement l'aide dont ils ont besoin - et essentiellement on ne les aide pas - ils abandonnent, ils se rebellent, et ils essaient de se gagner l'estime des autres de la seule façon qu'ils connaissent, la seule façon qu'on leur a enseignée.

Lisez le dernier livre de Bernard Schissel - et je vous le recommande chaudement - intitulé Social Dimensions of Canadian Youth Justice, publié en 1993. Il rend compte de ce qui arrive à 75 p. 100 des enfants qui ont affaire à notre appareil judiciaire et qui sont là à cause de difficultés d'apprentissage ou d'autres troubles qu'on a jamais diagnostiqués correctement, ou qu'on a jamais diagnostiqués du tout, et c'est cela qui est vraiment tragique. On a étudié une population de 3 700 détenus, et 37 p. 100 d'entre eux éprouvaient des difficultés d'apprentissage, jamais diagnostiquées auparavant, jamais traitées. À y penser c'est consternant.

Ce qui est intéressant - si vous me permettez l'expression - c'est que les évaluations les plus à jour de ces gens qui ont des déficits cognitifs et des difficultés d'apprentissage se font dans les pénitenciers pour adultes. Rien de semblable n'est fait chez les jeunes contrevenants au Canada. C'est consternant, mais vous comprenez maintenant que jamais nous ne prenons les devants, nous nous contentons toujours de réagir.

M. Schissel dit que notre appareil judiciaire pour jeunes est tombé dans le panneau de l'incarcération, ce qui fait de ces jeunes contrevenants de doubles victimes. Pourquoi doubles? Ils sont punis plutôt qu'aidés. Ils sont enfermés, ce qui est la pire chose à faire, et on ne les aide pas.

Je vous ai parlé tout à l'heure des juges pour enfants de toutes les régions du Canada. En effet, le programme dont je vous parlais ne se limite pas au Manitoba et à la Saskatchewan. Nous avons conçu le programme à partir de ceci... Je vais vous parler de la vidéo dans un instant. Les juges, sans exception, nous ont dit qu'ils ne peuvent pas aider ces enfants parce qu'il n'y a pas d'endroits où les envoyer pour qu'ils obtiennent l'aide dont ils ont besoin, et que les tribunaux les accueillent trop tard. Pourquoi n'y a-t-il pas de possibilités de s'occuper d'eux quand ils courent des risques, quand ils sont pré-délinquants? Et même à ce moment-là, les juges sont impuissants.

Nous avons fait quelque chose d'intéressant. Dans le cadre de notre programme à l'intention des juges, nous avons préparé une bande vidéo. Nous nous sommes servis de personnes réelles, une mère et son enfant - et c'était un enfant handicapé. Nous avons donné la bande au juge pour qu'il la regarde et nous avons formé des groupes pour qu'ils décident de la peine qu'ils imposeraient. Schissel a identifié cela. Cela s'est fait un peu en secret, car c'était écrit, et ensuite on leur a fait part des résultats. L'écart dans les peines imposées est incroyable. Les juges eux-mêmes étaient consternés de constater leur propre incohérence, leur manque de logique, face à cet enfant, et cela était dû en grande partie à leur incompréhension et à leur manque de connaissances.

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Cela est rapporté dans le livre de Schissel. Il y a quelque chose qui ne va vraiment pas dans un appareil judiciaire qui ne tient pas compte du fait que 75 p. 100 des enfants qu'il accueille souffrent de ce genre de difficultés.

M. Schissel explique clairement que la dissuasion de la punition est de plus en plus monnaie courante dans les tribunaux pour adolescents depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il ajoute que la réinsertion sociale est abandonnée au profit de procédures plus officielles et plus restrictives. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants, on a constaté dans plusieurs provinces que les tribunaux, dans leurs décisions, imposaient de plus en plus la garde en milieu fermé ou ouvert. Il trouve ironique que ce régime de plus en plus punitif à l'égard des jeunes, auquel on a ajouté des modifications en 1986 et en 1989 qui resserraient les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants, soit encore taxé de laxisme par ceux qui réclament une plus grande sévérité à l'égard des jeunes criminels.

Vous connaissez les statistiques publiées par Statistique Canada. On constate clairement, en les consultant, qu'il n'y a pas eu d'augmentation de la criminalité. Malheureusement, avec les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants, la criminalité n'a pas connu de recul mais il n'y a pas eu du tout de diminution de la récidive.

Voyons ce qui s'est passé. En 1981, la détention dans les centres d'éducation surveillés, avec l'application de la Loi sur les jeunes délinquants, était de 18 p. 100. Avec l'application de la loi sur les jeunes contrevenants, elle est de 34 p. 100, c'est-à-dire une augmentation de 60 p. 100 des détentions. Les amendes et les restitutions constituant les peines - et les juges ont dit très clairement qu'ils voulaient qu'on leur donne la possibilité de rendre leurs décisions autrement mais ils ne le peuvent pas en vertu des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants... Cent pour cent de moins de ce genre de moyen. Quant au ordonnances de traitement, qui autrefois étaient courantes, il y en a 400 fois moins avec l'application des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants si l'on compare à l'application de la Loi sur les jeunes délinquants. La peine moyenne, avec l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants, a doublé.

Peut-on dire s'il y a eu progrès? Peut-on dire qu'il y a équilibre entre les droits de l'enfant et la protection e la collectivité?

M. Schissel conclut, devant des données aussi concrètes sur les décisions prises en vertu des deux lois, que l'on peut dire que par suite de l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants on s'est éloigné des soins et du traitement et on a intensifié la punition. En Ontario, par exemple, les décisions d'incarcération étaient en moyenne de 250 jours pendant la première année d'application de la Loi sur les jeunes contrevenants, une augmentation de 115 p. 100 par rapport à la dernière année d'application de la Loi sur les jeunes délinquants. On imagine facilement qu'il s'agit d'un renversement spectaculaire. Il c'est cela l'équilibre que l'on veut réaliser.

Dans un article, paru dans le Toronto Star en 1995, Mme Johnson fait une étude comparative des taux de récidive enregistrés au tribunal de la famille de London. Plusieurs d'entre vous connaissent le travail extraordinaire fait par le Dr Alan Leschied - tout à fait extraordinaire - et par le Dr Hoge et le Dr Andrews de Carleton. J'y reviendrai plus tard. Mme Johnson a fait une comparaison des taux de récidive à London donc. Voici ce qu'elle a découvert. Les enfants en difficulté - et rappelez-vous toujours qu'ils constituent 75 p. 100 des enfants qui ont des démêlés avec la justice - accusaient en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants un taux de récidive de 27,5 p. 100, tandis qu'avec la Loi sur les jeunes contrevenants, ce taux est passé à 56 p. 100: une augmentation de 100 p. 100. Quant aux autres enfants, le pourcentage de récidive est passé, avec l'application de la nouvelle loi, de 20,5 p. 100 qu'il était auparavant à 65 p. 100.

Leschied en 1989 a étudié les caractéristiques des jeunes contrevenants qui passaient au Tribunal de la famille de London. Il a pu constater qu'un grand nombre de jeunes contrevenants ayant commis les crimes les plus graves ne fonctionnaient pas efficacement à l'école. Les jeunes qui de façon persistante enfreignent le code social éprouvent, et c'est caractéristique, des problèmes d'assiduité scolaire, d'interaction sociale et de réussite en général.

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Il importe, ajoutait-il, de comparer l'impact négatif, ou au mieux, neutre d'une politique de dissuasion avec les résultats plus positifs des derniers programmes de rééducation et de traitement des jeunes criminels.

Dans son article de 1989 M. Leschied souligne qu'en continuant à favoriser une politique axée sur la dissuasion, l'État néglige l'intervention qui non seulement répond mieux aux besoins des jeunes concernés, mais également à ceux de la collectivité.

Les autorités au Manitoba ne semblent proposer qu'une solution, solution dont il a été maintes fois prouvé qu'elle entraîne inévitablement ces enfants dans un cycle de violence qui finit par les faire aboutir dans le système pénitentiaire pour adultes. Le pourcentage de délinquants adultes qui ont eu des démêlés avec la justice quand ils étaient adolescents est de 38 p. 100. Pensez-y un instant. Près de 40 p. 100 des délinquants adultes ont déjà eu à faire à la justice quand ils étaient juvéniles.

Pour revenir à ma discussion concernant la frustration des juges, malgré tout le respect que je dois à tous les bien-pensants que j'ai rencontrés aux quatre coins du pays, la vaste majorité des responsables de notre système de justice juvénile - ne nous faisons pas d'illusion - sont contre tout changement de ce système. Pourquoi? Parce qu'ils ne savent pas comment faire; parce qu'ils ne savent pas avec qui; parce qu'ils ne savent pas quand; parce qu'ils ne savent pas où; parce qu'ils n'ont pas reçu la formation nécessaire.

M. Leschied poursuit en disant:

Quand on considère toutes ces études majeures réalisées au Canada et aux États-Unis, on est frappé par la similitude de la situation au Canada et aux États-Unis.

Les Américains ont mené une vaste étude en 1977. Ils ont passé trois ans à examiner la corrélation entre les problèmes d'apprentissage - et pas seulement les problèmes d'apprentissage scolaire - et le comportement criminel.

À la suite de cette étude, en 1982, ils ont lancé quatre projets dans de grosses métropoles américaines pour mettre en pratique ces recommandations. Devinez un peu quelle était leur bible? Savez-vous sur quoi reposait le plan d'action des États-Unis? Le rapport CELDIC. Pendant deux ans j'ai été président de la commission chargée d'appliquer le rapport CELDIC au Manitoba. Tous les Américains nous disaient: «Quel merveilleux outil de travail». Il est devenu leur bible.

Mais que s'est-il passé? En 1982 ces projets, projets extraordinairement bons, ont été lancés et bien sûr M. Regan est arrivé au pouvoir. Plus de budget.

Nous avons l'exact parallèle ici. C'est plus récent, mais dire «Qui aime bien châtie bien» revient de plus en plus à la mode. Comme si châtier psychologiquement et physiquement un enfant ou l'enfermer lui apprenait quoi que ce soit. Cela ne lui apprend qu'une seule chose: «On ne nous aime pas, on n'est pas important, on compte pour rien. On va leur montrer qu'on compte pour quelque chose».

Tout ce que vous voyez est une manifestation de notre négligence, de l'échec de la société à répondre effectivement aux besoins des enfants qui crient à l'aide. Quelqu'un une fois m'a demandé comment moi et des gens comme moi, comme Doreen Kronick en Ontario... Je pourrais citer le nom d'une dizaine de personnes qui ensemble ont lancé en 1967 l'Association canadienne pour les enfants et adultes ayant des troubles d'apprentissage, association qui regroupe maintenant 10 000 personnes réparties dans plus de 140 chapitres.

Pourquoi persistons-nous dans nos efforts? Parce que tous les jours dans ce système destiné à servir les enfants, il y a des enfants qui agonisent, il y a les enfants qui sont détruits petit à petit. Et je n'exagère pas, nous en sommes témoins tous les jours.

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L'exemple qui vous a été donné aujourd'hui est l'exemple de ce qui arrive quand nous négligeons un enfant. Il faudrait changer la loi provinciale pour que ces parents dysfonctionnels qui ne bénéficient d'aucune aide ne soient pas tenus responsables des actes de leurs enfants. Il faudrait rendre responsables des démêlés de ces enfants avec la loi les auteurs de mesures qui ne les appliquent pas.

Vous avez tout à fait raison. Où étaient les secours pour cette famille dysfonctionnelle? Où étaient les organismes qui auraient dû unir leurs efforts? Où étaient-ils? Partout au Canada où ils n'unissent pas leurs efforts, où ils ne se préoccupent que de leurs petits empires, ils ne savent même pas comment s'unir.

Il y a une ou deux magnifiques exceptions. Il se trouve qu'il y en a une au Manitoba. Il s'agit du programme MAP à Brandon. Ce n'est pas grâce au gouvernement... et je ne fais pas de politique. Il n'y a pas que ce gouvernement. Tous les gouvernements parlent de camps de redressement, de punitions et de châtiments comme si ça pouvait marcher.

Le programme MAP regroupe tous les organismes de Brandon qui s'occupent des jeunes à risque. Chacun de ces organismes a identifié ces enfants à risque. Collectivement, avec les parents comme partenaires, avec tous ces organismes, y compris la Couronne, comme partenaires, ils essaient d'unir leurs efforts pour répondre à une situation désespérée dont ils savent que la collectivité ne se remettra pas s'ils ne font rien. Ils ont accepté la responsabilité. Ils ont reconnu que c'était de leur faute et non pas de celle des enfants.

C'est avec consternation que j'ai constaté que ces excellentes initiatives locales étaient pratiquement inconnues. C'est pour ça que la souris s'est transformée en éléphant.

Il va nous falloir trouver le moyen, par le biais de ce comité, de ce livre ou par d'autres canaux, de mettre nos efforts en commun afin qu'on ne puisse pas dire dans 25 ans - cela fait un quart de siècle que ce livre a été publié et on a tout oublié. Est-ce que nous allons de nouveau oublier un million d'enfants? Est-ce que nous sommes en train de le faire? J'espère bien que non.

Je sais que je m'emballe. Je m'étais promis d'essayer d'être bref. C'est très difficile car il y a tellement de choses à dire.

Permettez-moi de passer très rapidement en revue le sommaire avec vous. Je crois qu'il importe de bien résumer certaines des constatations de ce document.

Vous me pardonnerez, monsieur St-Laurent. Je n'ai pas pu recevoir à temps le document du Québec. Je sais qu'il y a des choses extraordinairement positives qui se passent dans le système judiciaire pour les jeunes au Québec. Tout ce que j'ai pu obtenir dans le temps limité à ma disposition... Je ne le dis pas par égoïsme, mais le personnel de notre association est très peu nombreux et j'ai dû faire moi-même toutes les recherches.

C'est en Ontario que se fait en ce moment un travail absolument extraordinaire. Il n'y a pas que la recherche mais aussi les séances de formation de ces moniteurs de jeunes contrevenants, comme ils les appellent, aux quatre coins de la province, sur la base des travaux des professeurs Hoge et Andrews. Je vous en ai déjà parlé tout à l'heure.

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Les plus importants ce sont les modèles d'enquête analytique sur les jeunes à risque qu'ils ont mis au point. C'est un travail superbe. Je suis enchanté de pouvoir vous annoncer qu'ils m'ont envoyé les trois premiers chapitres de leur nouveau livre. Il sera publié en novembre. C'est probablement l'étude la plus avancée, non pas seulement au Canada mais en Amérique du Nord, dans ce domaine. Après avoir eu de longues discussions avec le professeur Hoge en particulier, et après avoir lu les trois chapitres qu'il a pu m'envoyer et tout le travail, je suppose que c'est quelque chose que vos documentalistes étudieront en détail. C'est le point lumineux dans toutes ces ténèbres, mais il ne brille pas encore avec assez d'intensité.

Permettez-moi de résumer avec vous. À l'origine, la Loi sur les jeunes contrevenants a été promulguée pour corriger le déséquilibre supposé entre les droits des jeunes délinquants - c'est à la page 2 - et le droit du public à la sécurité. L'objectif de cette Loi était de réduire la criminalité chez les jeunes par le biais de la rééducation, et non pas par la mise en oeuvre de stratégies plus strictes. Pourtant, malgré ces intentions honorables, la dissuasion par le châtiment est devenue la pratique la plus courante dans les tribunaux pour adolescents depuis l'introduction de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Jusqu'à 75 p. 100 des jeunes contrevenants souffrent de problèmes d'apprentissage. Un problème d'apprentissage est défini comme un trouble qui affecte la capacité des concernés à soit interpréter ce qu'ils voient et ce qu'ils entendent, soit à établir des liens de cause à effet, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure.

Ce qui a une importance particulière, c'est qu'en 1991-1992, dans 80 à 95 p. 100 des cas, il s'agissait de jeunes de sexe masculin et le résumé énumère les facteurs responsables de cette difficulté particulière. En passant, c'est le même pourcentage au niveau du système judiciaire pour les jeunes. Dans leur vaste majorité, ce sont des jeunes de sexe masculin.

Il ne fait aucun doute que des programmes de rééducation appropriés peuvent aider ces délinquants, surtout ceux qui ont des problèmes d'apprentissage. Par exemple, des études démontrent que les taux de récidive pour les délinquants qui ont suivi des programmes de formation ou de compétences cognitives dans la collectivité n'est que de 30,5 p. 100, c'est-à-dire près de 40 p. 100 de moins que pour ceux qui n'ont pas suivi de tels programmes.

Je conclurai ce chapitre sur cette observation. Je ne suis jamais arrivé à comprendre pourquoi la collectivité était prête à dépenser 100 000$ pour enfermer quelqu'un quand 40 000$ suffiraient pour l'aider. Une étude extraordinairement intéressante a été réalisée dans l'État de New-York à la fin des années 80 et au début des années 90. Elle démontrait qu'un investissement de 12 ans dans des personnes à besoins spéciaux est d'un rapport positif pour la collectivité. Ces personnes subviennent à leurs besoins et font entrer une moyenne de 75 000$ sous forme d'impôts sur le revenu pendant leur vie productive. Comparativement, si elles n'avaient pas été aidées, elles auraient pu coûter de 500 000$ à 1 million de dollars à la collectivité.

Permettez-moi de conclure sur cette observation. Les changements proposés à la Loi sur les jeunes contrevenants et le document accompagnateur présenté par le ministère de la Justice sont la manifestation d'un cas d'espèce typique de quasi-aliénation du droit et de la morale. Pour beaucoup trop d'enfants qui sont en conflit avec la loi au Canada, et en particulier pour ceux qui ont des besoins spéciaux, il semble qu'il y ait peu de corrélation entre le droit et la morale. Au Canada, la balance de la justice a toujours été défavorable aux jeunes en conflit avec la loi. Il est fort possible que par la faute de ces nouveaux amendements, les enfants et les jeunes qui sont déjà mal servis par le système judiciaire qui les régit tombent carrément de cette balance.

Nous faisons quelques recommandations de caractère général aux pages 4 et 5 du sommaire. Je vous laisse le soin de les étudier, car je tiens à conclure sur certaines des recommandations plus précises qui se trouvent aux pages 6, 7 et 8 du sommaire.

Pour ce qui est du transfert devant les tribunaux pour adultes, le désir de traiter les délinquants plus sérieux en les transférant devant les tribunaux pour adultes a un impact tout particulier sur les jeunes souffrant de problèmes d'apprentissage, qui, dans de nombreux cas, n'ont aucune idée de ce qui leur arrive. Les transférer devant les tribunaux pour adultes, ostensiblement pour leur donner une plus grande protection, est absolument absurde. La possibilité qu'ils bénéficient d'une assistance quelconque dans le système pénitentiaire est extrêmement minime. Ce système n'est pas équipé pour s'occuper d'enfants, surtout ceux qui ont des problèmes d'apprentissage. Il n'arrive même pas à s'occuper correctement des adultes. Comment pouvez-vous penser que le système pénal pour adultes trouve la sensibilité nécessaire pour s'occuper d'enfants? En outre, bien entendu, les conséquences du placement d'enfants dans un système pénitentiaire sont horribles.

Quant à la divulgation de certains renseignements et à l'ouverture des casiers judiciaires, encore une fois, c'est la sécurité du public qui l'emporte largement sur le bien-être des enfants. L'échange des dossiers entre les divers groupes professionnels impliqués sert un but et une intention. Il s'agit de s'assurer que le jeune contrevenant est testé médicalement, physiquement, psychologiquement et éducativement. Le but doit être de déterminer avec précision la nature et l'étendue de ses difficultés médicales, sociales, éducatives et psychologiques.

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Dans sa déclaration de principes, le changement proposé modifierait fondamentalement le but et l'intention pour lesquels la Loi sur les jeunes contrevenants a été ostensiblement promulguée de toute façon. Comme nous l'avons déjà dit, lorsque cette loi a été promulguée elle avait pour but d'équilibrer la sécurité du public et la rééducation des jeunes. Dans les faits, c'est un échec, cet équilibre est totalement inexistant.

Les renseignements contenus dans ce mémoire démontrent clairement qu'une des causes les plus importantes des démêlés avec la justice chez ces enfants, est l'échec scolaire. Cette cause est également une des moins comprises et des moins prises en compte. Suggérer qu'il existe un nombre non négligeable de solutions de rechanges communautaires à l'incarcération est une vue de l'esprit. Il suffit d'avoir écouté le ministre de la Justice ce matin pour s'en convaincre.

Pour ce qui est des renonciations écrites, il est suggéré d'obtenir des enfants des renonciations écrites concernant la décision envisagée. Les ramifications pour les enfants et les jeunes souffrant de troubles d'apprentissage pourraient être extrêmement négatives et graves.

Pour ce qui est de la publication des condamnations, on part de l'hypothèse que cela aura un impact sur les efforts visant à prévenir toute récidive. On ajoute que l'impact sera encore plus grand parce que les parents souhaiteront que leurs noms ne soient pas publiés. C'est de la culpabilité par association. Il n'existe aucune recherche, aucune étude en démontrant l'efficacité.

À propos de l'abaissement de l'âge des mineurs qui peuvent être inculpés, je vous dirai seulement ceci. Cela ressemble un peu à ce qu'on faisait au Moyen âge. Tremper les coupables dans l'eau bouillante pouvait les purifier. Est-ce la réponse aux besoins de ces enfants?

Merci d'avoir été si patients et de m'avoir permis de vous faire part de mes préoccupations. Parfois, nous abordons ces audiences avec un peu de cynisme, nous demandant si cela va vraiment servir à grand-chose, s'il ne s'agit pas encore de l'un de ces simulacres de consultation itinérants. Nous prions pour qu'il n'en soit pas ainsi. Pour l'amour de ces enfants qui ont tellement besoin de vous, trouvez un juste équilibre. Ne vous méprenez pas. Cela fait plus d'années que je n'ose l'avouer que je suis avocat. Je comprends la nécessité de protéger le public. Mais n'oublions pas que s'il faut protéger le public c'est parce que nous n'avons pas rempli nos obligations auprès de ces enfants qui finissent par mettre ce public en danger. Quelles sont vos priorités?

Merci beaucoup.

La présidente: Merci, monsieur Henteleff.

Nous allons commencer avec M. St-Laurent.

[Français]

M. St-Laurent: Madame, si c'est possible, j'aimerais céder la parole à mon collègue du Parti réformiste afin de pouvoir obtenir la traduction de certains éléments de l'exposé de notre intervenant pour pouvoir mieux en discuter. Je reviendrai par la suite.

[Traduction]

La présidente: D'accord. Monsieur Ramsay, vous avez sept minutes.

M. Ramsay: Merci, madame la présidente.

Je souhaite vous remercier, monsieur, d'être venu et de vous être exprimé dans des termes aussi forts.

Vous avez dit que la déposition de Mme le procureur général se résumait à: enfermons les, montrons leur que nous ne plaisantons pas et le problème sera réglé. Cela me semble un peu restrictif. Elle nous a parlé de la mise en place de comités judiciaires pour enfants composés de membres de la collectivité pour s'occuper des enfants aux prises avec des difficultés, et que la réalité de ce problème était reconnue. Elle a parlé d'un certain nombre d'autres choses sur lesquelles je ne reviendrai pas parce que mon temps d'intervention est limité et parce qu'il y a une question particulière que je tiens à aborder avec vous.

Pour être très franc avec vous, et sauf votre respect, j'ai trouvé certains de vos commentaires un peu outrés surtout le dernier sur les enfants qu'on plongeait dans l'eau bouillante pour les purifier. Cette analogie ne m'est pas inconnue mais utiliser des analogies présente toujours des dangers et je ne suis pas certain que celle-ci aide vraiment le comité.

.1225

Hier, dans un établissement à milieu ouvert d'Alberta, nous avons constaté qu'un bon nombre des enfants avaient les aptitudes nécessaires pour réussir des études, mais qu'ils avaient besoin de supervision, qu'ils avaient besoin d'être poussés, qu'ils avaient besoin d'une attention spéciale.

J'aimerais revenir sur ce problème dont vous parlez - et c'est certainement un problème - à la page deux du sommaire quand vous dites:

Vous n'avez pas indiqué la cause de ces 75 p. 100. J'aimerais y revenir car nous avons déjà eu un témoignage sur cette question. En fait, j'ai trouvé ce témoignage si surprenant que je tiens à m'assurer de la validité des renseignements qui nous ont été donnés.

Le mémoire des témoins citait comme référence un texte annexé. Pour l'essentiel il s'agissait d'une étude sur les facteurs causatifs de troubles chez les enfants. On partait du principe que...

M. Henteleff: Je m'excuse, monsieur Ramsay, de quel document parlez-vous?

M. Ramsay: Il s'agit du témoignage devant notre comité de la National Foundation for Family Research and Education.

Dans ce mémoire - ce sont des extraits - on dit:

Je trouve surprenant que les enfants semblent être attachés à leurs parents comme unité. Je crois que les conséquences sur notre société contemporaine sont énormes et c'est la raison pour laquelle j'aimerais m'assurer de la validité de ces renseignements.

J'aimerais ajouter encore une ou deux petites choses puis vous demander votre réaction.

Il constate aussi:

Il poursuit en disant:

C'est un facteur important.

Je conclurai par une dernière citation:

Je crois que c'est le premier témoignage que nous ayons reçu sur les facteurs causatifs des difficultés des enfants.

J'ai l'impression - et je tiens à relire attentivement cette étude avant d'en tirer des conclusions - qu'on suggère qu'une des causes à étudier concernant les problèmes que vous nous avez signalés avec tant d'éloquence aujourd'hui se situe peut-être dans la réalité sociale du Canada et non pas seulement du Canada, mais d'autres pays, ou pour des raisons de nécessités économiques, les enfants ne tissent pas de liens affectifs avec leurs parents parce qu'il est vrai que, s'ils sont séparés de leurs parents pendant 20 heures par semaine, il y a un risque de détachement...

La présidente: Je m'excuse, monsieur Ramsay, il vous reste 10 secondes.

.1230

M. Ramsay: Merci.

Je m'arrêterai là. Si vous connaissez cette étude, j'aimerais entendre vos sentiments et vos opinions sur ce que je viens de dire.

M. Henteleff: Permettez-moi de répondre très brièvement.

Commençons par ce qui se passe au Manitoba. Il y avait au Manitoba un établissement en milieu ouvert, et à la suite des craintes exprimées par le public, le gouvernement a décidé d'affecter un demi-million de dollars à la construction d'une clôture.

Le taux d'évasion avant la clôture était minime - 0,5 p. 100. Dès que la clôture a été installée, clôture qu'on pouvait escalader - ils ont fait l'essai - en à peu près quatre secondes et demie, le taux d'évasion a augmenté d'environ 500 p. 100 ou plus. Pourquoi? Parce que c'est devenu un défi.

Ce n'était pas le moyen le plus efficace de traiter le problème, mais aux dépens des besoins de ces enfants, ils ont donné la priorité à la soi-disant sécurité du public.

J'aimerais revenir à votre deuxième point. Vous avez tout à fait raison. La société a évolué. La famille nucléaire, comme nous la connaissions, a évolué, et il y a un plus grand nombre de familles monoparentales. Dans leur vaste majorité, elles sont dirigées par des femmes qui pour la plupart sont aussi au seuil de la pauvreté.

Winnipeg est la capitale de la pauvreté du Canada pour ce qui concerne les enfants. Que se passe-t-il quand des enfants sont pauvres, que des parents seuls essaient de s'en sortir sans avoir assez d'argent et sans avoir assez d'aide? On se retrouve avec des familles dysfonctionnelles qui font de leur mieux.

Vous avez tout à fait raison. Nous nous retrouvons avec de plus en plus de familles qui ne bénéficient pas du soutien dont elles ont besoin. Concurremment, il est exact que dans de nombreux cas, les enfants qui souffrent de troubles d'apprentissage et qui quittent l'école sont issus de familles dysfonctionnelles. Il y a ce manque de liens affectifs. Il ne fait aucun doute que c'est un facteur. La pauvreté en est un autre; le syndrome foetal d'alcoolisme, un autre; ce sont tous des facteurs qui ont une incidence sur le développement des enfants. Tout comme les grossesses mal suivies, les accouchements mal suivis. La conséquence: les mères qui ne devraient pas avoir d'enfants à cause de leur âge en ont, et ce sont les enfants qui finissent toujours par en pâtir.

Vous avez tout à fait raison. Mais il ne faut pas oublier que c'est seulement un des facteurs, et non pas le seul.

Merci.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): J'ai une ou deux petites questions. J'ai beaucoup apprécié votre témoignage. Vous n'avez été ni avare de détails, de clarté, d'émotion et de vigueur.

À propos de la publication des condamnations des jeunes contrevenants, je ne suis pas forcément en désaccord avec ce que vous dites, mais que répondre aux parents de jeunes enfants qui vivent dans la même rue qu'un jeune ayant été condamné pour des délits sexuels, ou des délits violents? Que faire pour protéger ces familles?

M. Henteleff: On protège les familles en les impliquant. C'est ce qu'ils font à Brandon. Il n'y a pas que les parents qui sont impliqués, c'est toute la collectivité.

M. Maloney: [Inaudible - Éditeur].

M. Henteleff: En passant, il existe des moyens de tester les enfants à risque. Je n'ai pas le temps de vous énumérer tous les facteurs que devraient prendre en compte les parents et l'école pour pouvoir aider ces enfants.

Par exemple, un des problèmes dont on entend beaucoup parler dans les écoles est celui des brutalités, des enfants qui en brutalisent d'autres, ou des enfants qui sont brutalisés. Ce sont des enfants qui sont immédiatement identifiés et qui devraient être identifiés, comme un danger. Il y a toutes sortes de manières de déterminer si cet enfant ou si sa famille est en danger. Tous les organismes concernés devraient alors unir leurs efforts pour aider cet enfant. Cela inclut les parents qui s'inquiètent du fait qu'un enfant dans leur rue ou à l'école fait des choses qui sont considérées inacceptables.

M. Maloney: Pouvez-vous nous donner plus de détails sur l'expérience de Brandon? J'aimerais en savoir plus long.

M. Henteleff: Volontiers.

.1235

M. Maloney: Depuis combien de temps cette expérience a-t-elle cours?

M. Henteleff: Depuis un an et demi.

Il y a une rubrique sur l'identification précoce qui se trouve à la page 75 de l'annexe.

L'expérience a débuté en 1995. Comme vous pouvez le voir c'est quelque chose de très récent à Brandon. Comme on peut le lire dans la documentation, l'un des grands défis qui se pose aux organismes communautaires est de trouver des moyens efficaces d'offrir des programmes à l'intention du petit nombre de jeunes à risques élevés dans la collectivité.

Il faut noter que souvent, les organismes qui s'occupent de ces jeunes le font isolément les uns des autres. Devant les frustrations ainsi causées, on a à Brandon entrepris un effort concerté pour améliorer la coordination et l'action communautaire. Si l'on considère les objectifs, soit la coordination entre les organismes offrant des traitements aux jeunes à risques élevés, le recours au soutien communautaire et familial, la prévention d'une récidive du comportement au problème, l'application cohérente et opportune des ordonnances des tribunaux et la sécurité... Vous constaterez que les intervenants ont mis sur pied une base de données pour recenser les jeunes présentant des risques élevés à Brandon. Ils ont mis l'accent... En fait, les ressources n'étaient disponibles que pour les 40 jeunes présentant les risques les plus élevés. Ensuite, on considère le risque de décrochage, de troubles mentaux, de délinquance, de toxicomanie et enfin, les problèmes de comportement.

Si cela peut vous intéresser, à la page suivante figure un outil d'évaluation... et si le comité le souhaite, je pourrai lui fournir certains renseignements que je n'ai pas joints en annexe étant donné que le temps m'a manqué pour fournir tous les outils utilisés. Ainsi, vos recherchistes pourraient en prendre connaissance. Vous constaterez, monsieur Maloney, qu'à compter de la page 76, que nous mentionnons la nécessité de partager l'information pour avoir une vue globale de la situation de ces jeunes. Il faut coordonner nos efforts pour qu'ils aillent dans le même sens, qu'ils ne soient pas contradictoires, et ce afin de produire des résultats positifs. Il nous faut fixer des limites claires aux jeunes, mais pas nécessairement en les plaçant en milieu de garde, mais en les obligeant à tirer les conséquences de leurs actes. Même si notre collectivité est sûre, ce n'est pas toujours la perception de la population. Les collectivités exigent et méritent d'être des endroits sûrs.

Voilà notre démarche.

M. Maloney: Existe-t-il des statistiques? Je sais que le programme n'existe que depuis peu de temps, mais a-t-il été efficace?

M. Henteleff: Les résultats sont incroyables.

M. Maloney: Incroyables.

M. Henteleff: C'est d'ailleurs une surprise pour les responsables. Ils n'ont jamais cru que le programme donnerait des résultats aussi remarquables si rapidement.

Il existe un autre programme, et j'en suis à la page 81... Ce programme a cours à Redmond, dans l'État de Washington. Il vise spécifiquement des personnes ayant des difficultés d'apprentissage. Comme vous pouvez le constater, on prévoit la même procédure d'accueil, des tests optionnels et - ce qui est très intéressant, un cours de 14 semaines, à raison de 28 heures d'enseignement, qui traite précisément des besoins de cette clientèle.

Permettez-moi de mentionner un autre exemple que vous trouverez dans la documentation. On a effectué un test sur 1 800 détenus de pénitenciers affichant des déficiences cognitives - non pas des difficultés d'apprentissage, mais des déficiences cognitives. On a offert le programme au pénitencier même et les détenus, avant de pouvoir quitter la prison, étaient tenus de suivre ce cours. On a constaté qu'il donnait d'excellents résultats dans les cas de transition dans la collectivité. Le taux de récidive a été réduit de façon spectaculaire.

Ce qui est le plus intéressant, c'est que cette clientèle se composait de divers groupes de contrevenants. Le groupe où l'on a constaté la plus forte baisse du taux de récidive, parmi les détenus ayant des déficiences cognitives, était celui des détenus souffrant de déviations sexuelles. J'ai un exemplaire de cette étude. C'est tout à fait extraordinaire. Les responsables du programme eux-mêmes ont été stupéfaits de voir à quel point il avait été efficace auprès d'une population jusqu'ici assez imperméable aux efforts de réduction du taux de récidive.

J'aimerais avoir plus de deux exemples à vous offrir, mais ce sont les deux seuls que j'ai pu puiser dans les recherches sur les mesures qui se sont avérées efficaces pour repérer tôt les enfants présentant des risques élevés. J'espère que cela répond à votre question.

Le président suppléant (M. Gallaway): Malheureusement, monsieur Henteleff, le temps est écoulé.

.1240

[Français]

M. St-Laurent: C'est rafraîchissant de vous entendre ce matin, monsieur Henteleff. Vous devez sans doute être rassuré par les propos de la ministre qui a parlé avant vous. On sait maintenant qu'au Manitoba, tout va bien au niveau des jeunes contrevenants et que, selon la ministre, tout ira encore mieux en raison des dents de plus en plus longues qu'elle a l'intention de greffer à ses projets de loi. Vous connaissez mon opinion à cet égard; il va sans dire que je fais de l'ironie.

Selon votre expérience et l'énoncé que vous venez de nous livrer, est-ce que les jeunes contrevenants au Manitoba ont actuellement des programmes de suivi intéressants, adéquats et efficaces?

[Traduction]

M. Henteleff: À de rares exceptions, non.

[Français]

M. St-Laurent: Merci. Votre première recommandation, que l'on a bien voulu me traduire et m'expliquer, porte sur l'identification précoce des jeunes contrevenants et l'intervention la plus rapide possible en vue d'éviter les dégâts qui se font au fur et à mesure que le temps se passe. À quel moment faites-vous allusion? Parle-t-on de la maternelle, du niveau primaire ou faut-il simplement attendre qu'un jeune ait commis un larcin dans un dépanneur ou tout autre délit?

[Traduction]

M. Henteleff: Cela devrait se faire le plus tôt possible. Il existe maintenant de très nombreuses études - elles sont mentionnées dans le document - qui montrent qu'il est relativement facile de déterminer quand un enfant est à risque.

Il faut comprendre les conséquences liées au fait qu'un enfant ne réussisse pas là où il semble que tout le monde réussit aisément. Il en faut très peu pour que les enfants se sentent différents, à part, stupides, ignorants - en fait qu'ils ne sont pas performants. Pour eux, être capable d'accomplir la même chose que leurs pairs est la chose la plus importante du monde. Ils se rendent compte très vite qu'ils sont différents.

Au lieu d'aborder cette différence de façon productive, chaleureuse et compatissante, nous appliquons trop souvent ce que j'appelle une approche coût-efficacité à la satisfaction des besoins de ces enfants. Autrement dit, le système affirme que si notre investissement ne rapporte pas ce qu'on attend de ces enfants, cela ne vaut tout simplement pas la peine d'investir dans leur avenir. Voilà l'approche coût-efficacité. Le plus important, ce n'est pas le meilleur intérêt de l'enfant; le plus important, c'est la rentabilité: allons-nous rentrer dans notre argent avec cet enfant. Et je suis sérieux.

Ce qui nous inquiète beaucoup, c'est que nous semblons suivre un modèle qui se dessine aux États-Unis. L'État de la Californie consacre davantage d'argent au régime carcéral qu'au système d'éducation. Pensez-y un peu.

Rien qu'à lire dans le journal une évaluation de l'examen du système judiciaire pour les jeunes que l'on fait dans le comté de Dade, en Floride, en a envie de pleurer. Savez-vous pourquoi? Certes, on sympathise avec les enfants là-bas, mais en outre, on commence à voir des manifestations de cette tendance ici et c'est ce qui est alarmant.

Nous sommes en train d'instaurer un système dans lequel on investit dans les éléments qui nous paraissent dignes d'intérêt, et pas dans les autres. Comme Rosalie Abella l'a dit, non seulement ces personnes deviennent-elles les amortisseurs de chocs de la société, mais elles en sont aussi les éléments perdus.

Nous sommes en train de devenir des participants consentants à la création de ce genre de système de classe. La société sera de plus en plus en danger car combien de personnes peut-on enfermer? Notre taux d'incarcération vient au second rang après celui des États-Unis parmi les pays occidentaux. Est-ce cela que nous voulons pour le Canada? Est-ce là notre avenir? Est-ce notre avenir que de dépenser toujours plus pour les prisons et toujours moins pour l'éducation? C'est absolument grotesque.

.1245

Ce qui m'inquiète énormément, c'est l'attitude morale qui a vu le jour parallèlement à la peur, peur provoquée par le fait qu'on généralise des cas exceptionnels mettant en cause des enfants et qu'ils servent de prétexte à des déclarations politiques générales. Voilà ce que je crains - surtout que cela n'est pas justifié. Lorsqu'on prend connaissance des statistiques, on constate que rien ne justifie cela. Mais si nous ne sommes pas vigilants, notre réaction mal avisée à ce problème va mettre la société encore plus en danger.

[Français]

M. St-Laurent: Vos données précisent que 75 p. 100 des jeunes contrevenants ont des troubles d'apprentissage. Vos données indiquent-elles quelle proportion d'eux sont des autochtones du Manitoba? On ne semble relever de tels chiffres dans aucun des documents. Il semblerait que c'est très élevé.

[Traduction]

M. Henteleff: Dans le système pénitentiaire, plus de 50 p. 100 des détenus sont des Autochtones. Excusez-moi, je ne me souviens pas du pourcentage précis.

M. Schissel a fait une étude que je vous recommande car c'est un travail superbe. Il identifie les problèmes liés aux personnes d'antécédents et de cultures particulières. Si l'on considère le domaine de la santé, les soins prénataux et postnataux, le syndrome d'alcoolisme foetal et tous les autres problèmes que manifeste ce segment en particulier de notre population, il faut admettre que nous l'avons horriblement maltraité et que nous en récoltons maintenant les amères conséquences. Nous devons assumer la responsabilité de cette situation, mais nous ne le faisons pas.

Nous commençons à le faire à certains égards au Manitoba, Dieu merci, non pas grâce aux pouvoirs publics mais simplement parce que les Autochtones eux-mêmes comprennent qu'au bout du compte, leur salut est entre leurs propres mains. C'est ainsi qu'ils ont développé un système judiciaire. La culture autochtone est ouverte à la compassion. Nous avons tout fait pour détruire cette culture et nous avons pratiquement réussi. Je demeure ébahi de sa vigueur et de son ressort. Leur salut et leur avenir n'est pas entre nos mains. Dieu merci, ils sont entre leurs propres mains, car nous les avons toujours cruellement laissés tomber. C'est à eux qu'il appartient de trouver la solution, mais ils ont aussi leurs priorités, notamment le logement et l'hygiène publique. Ils ont aussi des besoins fondamentaux en matière de santé et d'éducation.

Je ne connais pas d'autres peuples qui aient une tradition de compassion aussi profonde pour les enfants et un aussi grand sens communautaire, que nous avons pratiquement détruit. Nous avons fait voler leur âme en éclats, et maintenant, ils essaient d'en recoller les morceaux. Ils vont nous donner un bon exemple de ce qu'il convient de faire.

Le président suppléant (M. Gallaway): Merci, Monsieur Henteleff. Je suis désolé, monsieur St-Laurent, mais...

M. Henteleff: Merci beaucoup de vos très bonnes questions.

Le président suppléant (M. Gallaway): Malheureusement, nous n'avons plus de temps à vous consacrer. Nous vous remercions d'être venu. Votre témoignage a été très apprécié. Merci beaucoup, monsieur Henteleff.

Si le comité le veut bien, nous ne ferons de pause car nous avons un échéancier très serré. Je demanderais donc au représentants du Comité interconfessionel de justice pour les jeunes de s'approcher de la table. Nous allons commencer immédiatement.

.1250

Je souhaite la bienvenue au Comité interconfessionel de Justice pour les jeunes dont les membres sont Thomas Novak, Margot Lavoie, Rudy Friesen et Barbara Shoomski. Je vous remercie d'avoir accepté de comparaître ce matin.

Mme Margot Lavoie (Comité interconfessionnel de justice pour les jeunes): Rudy Friesen a dû partir en raison d'un changement de programme, mais M. Jack George de l'Église Unie, est ici.

Le président suppléant (M. Gallaway): Bienvenu.

Je crois que vous avez pu observer la façon dont nous procédons. Je vous demanderais donc de faire votre exposé, qui sera ensuite suivi d'une période de questions. Vous avez la parole.

Le révérend Thomas Novak (Comité interconfessionnel de justice pour les jeunes): Pour accélérer les choses, pour notre nouvel exposé, nous allons lire ce qui est en gros caractères.

[Français]

Nous pourrons aussi répondre aux questions que pourrait poser M. St-Laurent en français.

[Traduction]

À peine avait-on signé la Loi sur les jeunes contrevenants que des appels étaient lancés pour la «réformer» par une augmentation des amendes, l'élargissement de son champ d'application à des enfants plus jeunes et le transfert des dossiers d'enfants plus âgés à un tribunal pour adultes. On a déclaré que la Loi sur les jeunes contrevenants n'avait par répondu aux espérances, car en dépit des statistiques qui révèlent que le taux de criminalité chez les jeunes est en fait en régression le public croit que le nombre de crimes commis par des jeunes augmente.

À l'éternel débat sur l'âge d'assujettissement à la loi et les peines qui conviennent se greffent deux questions plus fondamentales. Le public canadien et le Parlement ne mettent-ils pas beaucoup trop d'espoir dans cette seule loi? Est-il réaliste de s'attendre à ce que les tribunaux et les prisons s'attaquent seuls aux problèmes profonds que connaissent les jeunes Canadiens et Canadiennes et aux pressions qu'ils ou qu'elles subissent?

Avez-vous visité Rossbrook House ou cela fait-il partie des centres nouveaux genres que vous allez visiter?

Le président suppléant (M. Gallaway): Je suis désolé, je ne vous ai pas entendu.

Le rév. Novak: Allez-vous visiter Rossbrook House, ici à Winnipeg? Non? D'accord. Rossbrook House est un tout nouveau genre de halte-accueil ouverte toute la nuit aux enfants et aux adolescents de l'un des quartiers les plus pauvres non seulement de Winnipeg, mais du Canada.

Soeur Leslie Sacouman a dit ceci dans une récente interview qu'elle a accordé auWinnipeg Free Press:

Le taux de chômage est de 35 p. 100 dans ce secteur, qui est aussi perturbé en ce moment par l'activité de jeunes qui appartiennent à des gangs rivaux et par une augmentation de la violence chez les adolescents.

Soeur Sacouman avoue qu'au début, elle était furieuse et exaspérée, mais elle ajoute:

Soeur Sacouman reconnaît que pour un grand nombre de jeunes issus de familles aux prises avec des difficultés écrasantes, le gang joue le rôle de famille de substitution. En fait, l'un des plus imposant gang de rue de Winnipeg a été fondé à l'origine pour faire permettre aux adolescents d'une famille élargie de s'occuper de leurs petits frères, soeurs et cousins.

.1255

Il nous est impossible de comprendre comment on pourra régler les vrais problèmes qui sont la cause de tant de crimes et d'actes de violence chez les jeunes en les brutalisant davantage alors qu'ils sont accablés et blessés par la vie, en les incarcérant avec des détenus adultes, en prolongeant leur peine dans des prisons pour jeunes ou dans des camps de types militaires où les conditions d'isolement et d'austérité sont extrêmes.

Le Canada n'a pas besoin de prisons plus grandes et plus sévères. Toutefois, ce dont il a désespérément besoin, c'est que l'on adopte ce qui suit: premièrement, que l'on établisse un système global en ce qui concerne l'éducation, les possibilités d'emploi, les loisirs, les services sociaux et les autres moyens d'aider les jeunes Canadiens et Canadiennes à échapper à une vie marquée par la violence et le crime; deuxièmement, que l'on transforme le système juridique afin de lui donner plus de sens, tant pour les jeunes contrevenants que pour les victimes de leurs actes; troisièmement, que l'on trouve des solutions de rechange positives au système actuel de prisons pour les jeunes, qui encourageraient la réadaptation des jeunes contrevenants ainsi que la guérison de leurs victimes et leur rétablissement dans la collectivité en général.

Dans une récente entrevue à l'émission Morningside au réseau anglais de la radio de Radio-Canada, M. Fraser Mustard, de l'Institut canadien des recherches avancées, a expliqué ce que les psychologues appellent «l'effet à long terme», c'est-à-dire comment les expériences d'un enfant aux premières étapes de sa vie se répercutent sur lui plus tard. Avez-vous déjà entendu parler de cette étude en provenance du Michigan, ou est-ce là quelque chose de nouveau que je devrais expliquer davantage?

Une voix: Allez-y.

Le rév. Novak: M. Mustard décrit une étude qui a débuté il y a près de 30 ans au Michigan. Des enfants de trois ans avaient été choisis dans des quartiers pauvres où l'éducation des enfants laissait fort à désirer. Certains ont été placés au hasard dans un «groupe d'intervention» et un nombre égal d'entre eux dans un «groupe de non-intervention». Pendant les trois années suivantes, les enfants du groupe d'intervention ont travaillé cinq jours par semaine avec un adulte et leurs parents ont reçu des conseils pour les aider à améliorer leurs compétences parentales. Les enfants du groupe de non-intervention et leurs familles sont restés livrés à eux-mêmes. Des évaluations ont été faites quand les enfants ont eu 20 et 30 ans. On a découvert que dans le groupe d'intervention, le taux d'achèvement des études secondaire était d'un tiers plus élevé que dans l'autre groupe, le taux des grossesses des adolescentes y était de 40 p. 100 plus bas et les problèmes de santé mentale considérablement moins nombreux. Le taux de criminalité et de délinquance, ainsi que le taux de chômage, étaient aussi considérablement plus bas.

On a estimé que chaque dollar investi au cours de l'intervention initiale de trois ans a rapporté sept dollars à la société. Ces résultats sont attribuables en partie à la contribution de ces personnes à l'économie grâce à leur capacité de trouver et de garder un emploi. Ils sont aussi dus aux épargnes réalisées au chapitre du coût du crime, de l'incarcération et de la demande de travailleurs en santé mentale.

On affirme que la situation financière du Canada est tellement désespérée que les programmes sociaux devront faire l'objet de réductions massives afin de ne pas transmettre un fardeau financier intolérable à la génération suivante. Ainsi donc, au nom de la restructuration économique et des responsabilités financières, de plus en plus de familles sont anéanties par le chômage et la pauvreté, les possibilités en matière d'éducation sont éliminées et les services sociaux ravagés. Au Manitoba la montée en flèche des frais de scolarité et l'élimination des bourses rendent les études universitaires et même collégiales inaccessibles aux jeunes qui viennent de familles à faibles revenus. Les programmes qui devaient aider les décrocheurs à revenir à l'école ont été éliminés ou fortement réduits. Les organismes communautaires qui se sont efforcés d'offrir des solutions de rechange positives aux enfants des rues et aux adolescents qui traînent dans les centres-ville, ont été ravagés par les compressions budgétaires des gouvernements.

Par ailleurs, en raison de l'insuffisance de fonds consacrés aux services à l'enfance et à la famille, les organismes eux-mêmes ont dû admettre que les enfants de plus de 13 ans qui quittent la maison pour échapper à des problèmes familiaux sont essentiellement livrés à eux-mêmes faute d'argent pour les placer dans des foyers d'accueil. Et comme l'ont souligné les auteurs du rapport relatif à l'Enquête sur l'administration de la justice en milieu autochtone en 1991 - j'espère que vous connaissez ce document - , les «clients» du système de protection de l'enfance deviennent souvent des «clients» du système juridique. Les motifs de leur apparition dans un système sont souvent les mêmes que ceux qui avaient motivé leur arrestation dans l'autre système.

.1300

Comme bien d'autres qui travaillent auprès de familles à faibles revenus, nous craignons que les compressions de 7 milliards de dollars prévues par le gouvernement du Canada dans les paiements de transfert au chapitre des programmes sociaux et de l'éducation, frappent le plus fortement les segments de population qui sont précisément les plus vulnérables et dont les enfants risquent le plus de finir dans la rue, devant un tribunal ou en prison.

Pourtant, comme le révèle l'étude décrite par M. Fraser Mustard, pour chaque dollar retiré des programmes sociaux et qui pourrait aider des enfants à devenir des adultes équilibrés, c'est sept dollars qu'il faudra dépenser plus tard.

Aucune modification de la Loi sur les jeunes contrevenants ne pourra faire la moindre différence dans les statistiques relatives au crime sur les jeunes tant que l'on n'aura pas concerter les efforts pour répondre aux besoins d'une génération d'enfants qui de plus en plus sont infligés par la pauvreté et ses effets. Tous les ordres de gouvernement ainsi que les entreprises et les organisations communautaires doivent tenir leurs efforts à cette fin.

Comme l'a aussi révélé l'étude du Michigan, ce n'est pas la crainte de plus en plus sévère ou de peines plus longues qui empêcheront les enfants de commettre des crimes, mais plutôt l'engagement soutenu et l'amour d'au moins un adulte compatissant.

Beaucoup de programmes fructueux fondés sur ce principe sont en train d'être créés. Dans les années soixante-dix, par exemple, dans un quartier pauvre de Washington D.C., un certain Kent Amos craignait les mauvaises influences que ses enfants subiraient au contact des autres enfants du quartier qui n'avaient pas les mêmes chances qu'eux, ni le même soutien parental. Cet homme était un commerçant nanti.

Sa femme et lui se sont rendu compte qu'ils avaient deux choix: fuir le quartier ou faire une différence dans la vie de ces autres enfants. Ils ont donc pris la décision d'ouvrir leur maison aux enfants du quartier qui y sont venus pour jouer, étudier, se sentir en sécurité et aider. Grâce aux efforts de ce couple, beaucoup d'enfants du quartier ont pu briser le cercle vicieux de la pauvreté et du crime et faire par la suite des études poussées qui leur ont permis d'accéder à de bonnes professions.

Cette initiative a donné naissance à un mouvement à l'échelle du continent qu'on appelle l'institut de la famille urbaine. Ce mouvement a pour objet la création de «villages modèles» qui tisseraient «un réseau sans faille autour de nos enfants.»

La méthode consiste à mettre à contribution autant d'écoles, d'organismes, d'églises et d'intervenant que possible dans un quartier donné en vue de la création d'un «corridor de soin». Avec une telle méthode, un enfant solitaire aurait toujours un endroit où aller pour trouver un adulte attentif.

Des programmes élaborés chez nous sont le pendant de ces programmes américains. À la suite d'un sondage effectué par le centre familial de la rue Andrews, dans le nord de Winnipeg, dans 700 foyers du voisinage, en vue de déterminer le genre de services nécessaires, près de 400 personnes ont signé pour offrir une aide bénévole. Il s'agit là d'un des quartiers les plus pauvres du Canada.

L'École William Whyte, quelques rues plus à l'est, des parents vont à l'école avec leurs enfants. Pendant que ces derniers apprennent à lire et suivent des cours de science, leurs parents aident le professeur pendant la classe ou travaillent à leur propre cours de correspondance, notamment à la lecture et à l'écriture. L'école a aussi mis l'accent sur les visites à la maison et la constitution de réseaux de soutien.

Depuis leur implantation et l'adoption d'autres innovations il y a deux ans, les renvois de l'école au service à l'enfance et à la famille ont été réduits de 75 p. 100.

À moins que la société canadienne décide de n'épargner aucune ressource pour s'assurer qu'aucun enfant qui ne veut pas être seul le soit jamais, le nombre de crimes et d'actes de violence chez les jeunes continuera de grimper et d'échapper à notre contrôle et on criera de plus en plus, et de plus en plus fort, pour que l'on apporte d'autres modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants.

Comment se fait-il que les députés continuent de recevoir de milliers de lettres et d'appels téléphoniques pour exiger précisément des peines plus longues et plus dures en dépit du fait qu'il est presque prouvé que ce genre de peines ne contribue en rien à la réduction du taux de criminalité chez les jeunes? Or, non seulement cette attitude vengeresse persiste, mais elle devient même de plus en plus prononcée. Pourquoi?

Nous croyons que c'est une réaction primaire de l'être humain que de vouloir venger après avoir été blessé. La menace de vengeance est le moyen le plus primitif de dissuader quelqu'un de blesser une personne ou un membre de sa tribu ou de sa famille. Cependant, pour que les gens puissent vivre en paix, chaque société a dû imposer des limites au recours à la vengeance. Ainsi, dans les Écritures des Hébreux, les auteurs saints insistent pour les enfants d'Israël ne poussent pas leur vengeance au-delà de la Loi du talion «oeil pour oeil, dent pour dent».

.1305

Néanmoins, longtemps avant l'époque de Jésus-Christ, les Hébreux s'étaient rendu compte qu'une société saine ne peut reposer sur la loi du talion. Pour que ses membres entretiennent des relations amicales et saines à long terme, les principes de la réconciliation et de la guérison sont de loin plus efficaces.

Une infraction peut être vue sous différentes facettes. On peut la percevoir comme un problème en soi, dont le blâme doit être jeté sur quelqu'un, qui doit être puni. C'est de cette façon que fonctionne notre système accusatoire actuel. Par contre, l'infraction peut aussi être perçue comme un symptôme révélateur d'un trouble sous-jacent, par exemple de graves problèmes personnels, familiaux ou sociaux. L'infraction devient l'occasion d'exposer ou de guérir des blessures plus profondes. C'est l'approche qualifiée de justice réparatrice ou de façon plus appropriée justice transformationnelle.

La médiation entre la victime et le contrevenant constitue une alternative prometteuse... Allez-vous visiter les Mediation Services?

Le président suppléant (M. Gallaway): Non. Au Manitoba?

Le rév. Novak: Au Manitoba, ici à Winnipeg. C'est à Winnipeg que l'on trouve le meilleur programme de médiation en Amérique du Nord, à mon avis, dirigé par une organisation appelée Mediation Services.

Dans le cadre des tribunaux traditionnels, ni la victime ni le délinquant n'expérimentent la justice d'une façon propice à leur guérison. Les deux parties attendent passivement et en silence pendant que les avocats négocient et déploient leur stratégie. Un face à face est souvent le meilleur moyen d'aider le délinquant à comprendre que ses actes ont réellement des conséquences pénibles. D'ailleurs, sur le plan émotif, cette expérience est souvent plus dure à vivre que ses jours en centre de détention.

La médiation entre la victime et le délinquant fournit aussi à la victime une excellente occasion de guérison. Elle peut alors exprimer toute la douleur et toute l'angoisse que les actes du délinquant lui ont causée. Et de plus, il ou elle a aussi l'occasion d'entendre le délinquant parler lui-même des circonstances qui ont entouré l'infraction. Connaître les motifs qui expliquent pourquoi elle est devenue victime constitue un élément clé du processus caractérisant la période de détresse qui suit le crime et le processus de guérison proprement dit. Tout cela est crucial pour aider la personne à apaiser sa crainte d'être de nouveau victime d'un crime. Au cours d'une médiation, on incite les délinquants à accepter la responsabilité de leurs actes par la restitution d'un bien, l'exécution d'heures de travail communautaire ou des séances de counseling, ou une combinaison des trois.

Janet Schmidt, de Mediation Services à Winnipeg, signale que 90 p. 100 de ces accords sont respectés. En revanche, le taux de respect n'est que de 50 p. 100 pour les ordonnances des tribunaux conventionnels.

Le Japon se distingue par le fait que, depuis les dernières années, il est le seul pays industrialisé à avoir réellement réduit son taux de criminalité dans presque toutes les catégories. Le modèle japonais, qui a été mis au point au cours des quarante dernières années, ressemble à la médiation entre la victime et le délinquant à l'égard des points suivants: reconnaissance de la culpabilité, expression de remords, négociation directe avec la victime en vue de la restitution et du pardon comme condition préalable à un traitement moins sévère. On ne recourt que rarement à l'emprisonnement pour assurer la sécurité à court terme de la collectivité. Plus on fait preuve d'indulgence envers le délinquant et plus la collectivité est engagée, moins le taux de récidive est élevé.

Lorsqu'une infraction a été commise, ce ne sont pas uniquement la victime et le délinquant qu'il faut guérir de leurs blessures; la famille, la collectivité et le réseau complexe de leurs relations ont aussi été touchés et doivent se rétablir. À l'inverse, la famille et la collectivité peuvent souvent jouer un rôle important dans la guérison de la victime immédiate et du délinquant. C'est le principe sur lequel repose le conseil de détermination de la peine où la conférence de famille, deux options que vous connaissez sans doute. Comme vous êtes aussi au courant de l'expérience des conférences de famille menée en Nouvelle Zélande, je n'en parlerai donc pas.

Les cercles de détermination de la peine, qui prennent la forme de comités de justice pour la jeunesse, sont établis au Manitoba depuis plusieurs années. Leur nombre augmente dans les réserves et même dans la ville de Winnipeg.

.1310

St. Theresa Point, communauté autochtone située à 450 kilomètres au nord-est de Winnipeg, a été la première à mettre sur pied des cercles de justice pour la jeunesse. À St. Theresa Point, la Couronne renvoie pratiquement tous les jeunes délinquants à la communauté et c'est le cercle de justice pour la jeunesse de la communauté qui intervient, ayant à sa tête, un juge non professionnel choisi parmi les résidents. Comme les autres réserves isolées, aux prises avec un taux de chômage alarmant et bien d'autres problèmes, St. Theresa Point a maintenant la réputation d'être une collectivité où les crimes graves commis par des jeunes et les actes de violence sont pratiquement inexistants.

Nous voulons dire au ministre, le soussigné, comme je l'ai mentionné précédemment, que les tribunaux pour adolescents au Manitoba... Néanmoins, nous tenons à souligner que, jusqu'à il y a deux ans, les cercles de justice pour la jeunesse au Manitoba recevaient l'appui du ministère de la Justice, recevaient une formation. Depuis lors, le ministère de la Justice envoie simplement un agent de libération pour travailler avec les participants aux cercles de justice pour la jeunesse, un agent qui ne tient pas vraiment à être là, parce qu'il est surchargé déjà. On dévalorise ainsi le travail des cercles de justice pour la jeunesse.

Puisqu'à l'échelle nationale, nous avons cinq principes en matière de soins de santé, nous pensons qu'il convient d'élaborer des principes qui s'appliquent au régime de justice pour la jeunesse. Il faudrait resserrer les dispositions actuelles de la loi qui portent sur les cercles de justice pour la jeunesse afin que les provinces ne puissent pas tout simplement les ignorer. Au lieu de nous plaindre que la loi ne fonctionne pas, nous devrions peut-être faire des efforts pour la faire fonctionner. D'ailleurs, je ne pense pas qu'on ait vraiment complètement mis en oeuvre cette loi.

Nous voulions également souligner que dans l'enquête sur l'administration de la justice en milieu autochtone - connaissez-vous ce document? - , on identifie les cercles de détermination de la peine comme moyen approprié non seulement pour les adolescents mais aussi pour les délinquants adultes. C'est avec une infinie tristesse que nous constatons que ni le gouvernement fédéral ni les gouvernements provinciaux n'ont donné suite qu'à un très petit nombre des recommandations de ce rapport. Nous vous exhortons à en parler au ministre de la Justice. Demandez-lui de dépoussiérer son exemplaire et de donner suite à certaines des nombreuses recommandations qui s'y trouvent.

Le président suppléant (M. Gallaway): Si vous le permettez, monsieur Novak, comme vous le savez, nous avons un ordre à respecter. Je ne veux pas vous empêcher de faire votre exposé, mais je tiens à vous signaler que vous parlez déjà depuis environ vingt minutes. Vous risquez de couper court au temps prévu pour les questions et je sais que vous avez des personnes qui vous accompagnent.

Le rév. Novak: Très bien, je vais tenter de conclure en cinq minutes.

Le président suppléant (M. Gallaway): Parfait.

Le rév. Novak: Tout d'abord, nous voulons attirer votre attention sur le paragraphe 45: «Le taux de récidivisme augmente en fait avec la gravité de la peine.» Vous le saviez probablement déjà. Vous savez probablement aussi qu'il en coûte, comme nous le mentionnons au paragraphe 46, 200$ par jour pour garder des jeunes en cellule.

Nous avons ici à Winnipeg un centre de guérison, auquel le gouvernement fédéral a contribué des millions de dollars, mais il est vide car nous n'avons pas l'argent nécessaire pour y envoyer de jeunes délinquants. Il y a un programme à l'intention des adolescents masculins, mais l'on a dû réduire le programme de 20 à 10 lits parce qu'on n'arrive pas à obtenir le financement nécessaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, de Santé Canada et de la province - il s'agit de traiter les jeunes délinquants pour abus de solvants et autres problèmes.

À la page suivante, nous parlons des attitudes de la société. Comme le collègue qui m'a précédé, j'aimerais dire quelques mots à ce sujet. Je pense qu'il s'agit d'un problème théologique. Au bas du numéro 49, nous soulignons que dans notre société, on considère qu'il faut extirper le mal au moyen de punitions - qui aime bien, châtie bien. Par le passé, les églises enseignaient que pour assurer le salut des enfants, il fallait les faire souffrir, que ce que nous qualifions de «crime» est un mal et que ce qu'il faut, dans le cadre du régime traditionnel de justice, c'est trouver le coupable, le nommer, et ensuite le faire souffrir, le punir, lui faire payer.

Au lieu de ce système de justice accusatoire, dans le cadre duquel nous consacrons toutes nos énergies à faire souffrir, nous recommandons le modèle non occidental qui considère que le crime est une maladie, une blessure profonde.

À la page 11, nous disons qu'il faut concevoir des programmes qui répondent vraiment aux besoins des jeunes qui sont déjà mêlés à la violence et aux activités criminelles: des services d'orientation, des programmes récréatifs et de soin.

.1315

Au paragraphe 54, nous réagissons avec horreur à la possibilité que plus d'enfants soient jugés devant des tribunaux pour adultes et purgent leur peine dans des prisons ordinaires aux côtés de délinquants adultes. Il est alarmant que l'on puisse brutaliser de nouveau des enfants déjà blessés.

Au paragraphe 55, nous encourageons le ministre de la Justice à réinstaurer une disposition de l'ancienne loi sur les jeunes délinquants qui permettait aux juges d'aiguiller les jeunes délinquants vers les services d'aide à l'enfance plutôt que les tribunaux. On pourrait alors considérer la situation comme un problème de famille. Cette disposition pourrait également servir à faciliter l'orientation des jeunes délinquants et de leurs familles vers des centres de traitement et des options communautaires telles que la médiation et les cercles de guérison.

Allez-vous vous rendre à Agassiz à Portage-La-Prairie?

Le président suppléant (M. Gallaway): Non.

Le rév. Novak: Très bien. Nous vous recommandons d'examiner ce programme. Il s'agit d'un programme de culture positive par les pairs, reconnu dans le monde entier, que menace actuellement notre ministre de la Justice, même si l'on reconnaît partout que c'était un moyen très efficace de traiter les jeunes délinquants.

Au paragraphe 57, nous exhortons le gouvernement à examiner les lignes de conduite qui limitent les contacts qu'ont les enfants incarcérés avec leurs familles. Les jeunes incarcérés, par exemple au centre Agassiz... il est presque impossible pour les familles de faire des visites qui permettent de sortir les jeunes du circuit. Au lieu de faire partie du traitement du jeune, la famille est exclue. Les familles n'ont ensuite aucune idée de ce que leurs enfants on vécu pendant qu'ils étaient incarcérés.

Au paragraphe 59, nous notons qu'il est proposé d'assujettir les enfants de moins de 12 ans à la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous comprenons difficilement comment il pourrait être utile de stigmatiser de si jeunes enfants en les qualifiant de criminels et en leur faisant faire l'apprentissage de la criminalité. En d'autres termes, vous vous trouverez à les envoyer à l'école du crime. Nous pensons que ce que l'on qualifie de comportement criminel chez les plus jeunes constitue essentiellement un problème familial qui doit être traité en milieu familial.

Pour conclure, je mentionnerais qu'au Manitoba, on a proposé la formule de camp de plein air. La proposition attend sur les bureaux du ministre provincial de la justice et de son homologue fédéral - peut-être depuis dix ans, sans bouger. Nous aimerions savoir pourquoi on n'a pas donné suite à cette initiative. On donne toujours des excuses, mais nous pensons qu'en réalité, on ne tient pas vraiment à trouver des programmes de rechange à l'intention des Autochtones.

Au paragraphe 64, nous mentionnons qu'aussi étonnant que cela puisse paraître, même la GRC a commencé à adapter son travail en fonction du principe de la prévention. À Thompson, le détachement a récemment décidé d'affecter l'un de ses membres au poste de directeur des services récréatifs à plein temps, dans la réserve isolée de Shammatawa. Étiez-vous au courant?

Cette décision perspicace repose sur le résultat d'un programme de camps nordiques de sports accessibles par avion dans le cadre duquel des étudiants de programmes d'éducation physique obtiennent des postes d'été dans les services récréatifs de localités isolées. Le taux de criminalité chez les jeunes a chuté considérablement. Même la GRC se rend compte que c'est une perte de temps que de courir après les jeunes contrevenants et comprend qu'il faut plutôt faire de la prévention.

Il arrive trop souvent que des jeunes quittent un centre de détention ou de traitement et reviennent chez eux bien décidés à changer, pour se retrouver confrontés à une situation familiale désespérante qui était la source de leur délinquance. Nous n'avons guère l'espoir que des programmes de traitement en établissement - même les meilleurs - aient des effets positifs sur la vie des jeunes qui sortent de là tant que des structures de soutien ne seront pas mises en place dans les quartiers et les familles d'origine pour offrir amour et soin à ces jeunes et tant que la transformation éventuelle des jeunes délinquants ne sera pas accompagnée d'une transformation parallèle de la famille et de la collectivité.

Le président suppléant (M. Gallaway): Merci, monsieur Novak.

Nous allons commencer par M. St-Laurent.

[Français]

M. St-Laurent: Merci. D'abord, je vous félicite pour votre exposé qui était très intéressant. Je n'ai qu'une question qui ne devrait prendre que peu de temps.

.1320

Vous savez que nous avons habituellement toute une liste de questions à poser à nos témoins. Votre intervention a su répondre à mes préoccupations particulières, ce qui fait que je n'ai qu'une seule question à vous poser.

Je ne vous ai pas entendu parler de la publication des noms des jeunes contrevenants. Dans le cadre du travail que vous faites et de l'approche que vous entendez adopter, pensez-vous sincèrement que la publication des noms des jeunes contrevenants à risque, qui sont dangereux dans leur communauté ou les communautés avoisinantes, pourrait avoir un quelconque effet dissuasif ou si elle pourrait au contraire avoir un effet valorisant pour l'individu face à son groupe d'amis? J'aimerais vous entendre à propos de ces thèses.

Le rév. Novak: L'expérience ici, à Winnipeg, nous démontre que dans les gangs, cette publication est en quelque sorte une forme d'initiation. La publication du crime dans les journaux ou sa diffusion aux nouvelles donne du prestige au jeune au sein de sa gang. On pense que la publication des noms deviendra seulement une manière d'encourager les jeunes à chercher des manières d'agir de plus en plus spectaculaires en vue d'avoir du prestige auprès de leur gang. Pour eux, la gang, c'est leur famille et avoir du prestige dans la gang est important. Lorsqu'on ne peut pas obtenir l'appui ou l'intérêt des parents, on le recherche dans la gang.

Tout comme vous, nous craignons que la publication des noms ait des conséquences inverses à celles espérées.

Mme Lavoie: J'aimerais ajouter que les jeunes contrevenants ne sont pas tous nécessairement issus de familles qui ont négligé leur enfant. Il y a bien des parents, et j'en fais partie, qui ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour leur enfant. Ils ont essayé de trouver de l'aide, mais cette aide est tellement minime que le parent demeure sans aide. En publiant les noms, on ne fait qu'humilier davantage la famille qui a essayé d'aider son enfant.

M. St-Laurent: Je vous remercie beaucoup. Ce sera tout.

[Traduction]

Le président suppléant (M. Gallaway): Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Monsieur le président, j'aimerais remercier les membres de ce groupe de leur comparution devant nous et de l'information qu'ils nous ont fournie.

Lorsqu'il est question de publier des noms, je n'ai jamais entendu qui que ce soit le proposer comme moyen de dissuasion. C'est quelque chose que l'on revendique pour informer les familles afin d'empêcher leurs enfants de prendre contact.

En fait, la question a été soulevée dans le contexte de la garde en milieu fermé des jeunes contrevenants. Hier, ou peut-être avant-hier, un témoin a fait remarquer que lorsque l'on libère un délinquant sexuel, la population devrait en être prévenue. Cela n'aidera en rien la réadaptation de ce délinquant, mais cela fournira l'information nécessaire aux gens pour peut-être protéger leurs enfants.

On pourrait faire valoir le même argument dans le cas des trafiquants de drogue, etc. Ainsi au moins les parents auraient l'information voulue pour empêcher leurs enfants de venir en contact avec ce genre d'éléments qui risquent de les entraîner dans des activités criminelles. C'est la justification que j'ai entendue. Il ne s'agit pas de stigmatiser ou de réduire la possibilité de réadaptation du délinquant.

.1325

Lorsqu'il est question de retirer un droit à un délinquant, évidemment, cela signifie que nous accordons ce droit à la société, dans l'intérêt de la sécurité. Lorsqu'il est question d'accorder plus de droits aux délinquants, évidemment, cela signifie que nous les prenons à la société et réduisons sa capacité de se protéger. Ce que nous devons faire, comme législateurs, c'est trouver le juste milieu.

Personne n'y est encore parvenu, y compris vous-mêmes aujourd'hui. Vous dites simplement qu'il n'y a pas d'effet de dissuasion. Quant à moi, vous avez raison. Vous avez raison, mais vous n'avez pas envisagé le revers de la question.

J'aimerais que nous puissions trouver ce juste milieu. Essentiellement, il faut trouver le meilleur équilibre possible entre deux besoins: réadapter le délinquant et protéger la société.

J'ai lu précédemment une liste que j'ai ici de jeunes délinquants en surveillance fermée en Alberta: meurtre, meurtre, meurtre, prise d'otage, meurtre homicide involontaire, meurtre, meurtre. C'est très grave.

Il est facile de venir ici. Nous nous trouvons dans la même situation à Ottawa dans l'opposition. Nous pouvons critiquer les ministres qui tentent, honnêtement et sincèrement, de trouver des solutions aux problèmes de leurs ministères. Nous pouvons les critiquer, mais cela n'avance pas les choses. Ce qu'il faut c'est de tenter de trouver un équilibre.

J'aimerais aborder toute cette question de protection et de prévention. À mon avis, voilà la réponse. Nous devons chercher plus loin que ce que nous avons fait ce matin. Nous devons faire ce que préconise le mémoire de la Fondation nationale de la recherche et de l'éducation sur la famille: nous demander si nous pouvons faire quelque chose pour réduire le nombre d'enfants qui grandissent sans les liens affectifs normaux et naturels entre parents et enfant.

Je suis né dans la pauvreté. Je suis né dans une maison de rondins avec un toit de tourbe. J'en ai une photo sur mon réfrigérateur. Je suis né dans la pauvreté. Mon père gardait une courroie de cuir sur le mur. C'était le régime de justice à la maison. Il s'en servait lorsque nous avions enfreint la loi, sa loi, les règles, afin de maintenir l'ordre dans la maison. Cela n'a pas du tout eu d'influence néfaste sur mon sens de la justice.

Comme l'a fait ressortir le témoin qui a présenté ce document de la Fondation nationale, s'il se crée des liens affectifs, dans la grande majorité des cas, peu importe la pauvreté ou la quasi-pauvreté.

D'après mon expérience, je sais que c'est le cas. Nous étions pauvres mais mes parents nous aimaient et prenaient soin de nous. Lorsque mon père descendait la courroie de cuir du mur, pour s'en servir, il révélait ainsi qu'il m'aimait et qu'il s'intéressait à moi. Je le savais. Ce n'était pas me maltraiter. Je ne suis pas en faveur des mauvais traitements.

Je n'ai pas de courroie chez moi. Nous avons quatre enfants. J'aborde la question différemment. Heureusement, nous avons des enfants qui n'ont pas eu de difficultés de comportement auxquelles nous ne pouvions pas faire face.

Je suppose que je n'ai qu'une question pour vous. Songez à ce qui est dit ici sur l'éventuel manque de liens affectifs. En d'autres termes, on maintient que si au cours des cinq premières années, un enfant est séparé de ses parents pendant plus de 20 heures par semaine, les liens affectifs nécessaires risquent de ne pas être créés. Dans ce cas, cet enfant ne se développera pas comme il se doit, sur le plan émotif et autres.

S'il en est ainsi, les conséquences pour notre société me font frémir. Nous allons dépenser plus d'argent, dès le départ, pour la détection et la prévention. Nous allons dépenser de plus en plus d'argent.

À mon avis, ce n'est pas la solution. C'est la solution dans bien des cas, mais nous voulons nous attaquer aux causes et savoir pourquoi les enfants se développent comme ils font. Les seuls renseignements à ce sujet que nous ayons reçus jusqu'à présent proviennent de cet exposé que j'ai mentionné.

.1330

Avez-vous des renseignements au sujet des liens affectifs? Y a-t-il quelque chose dans ce mémoire? Si vous aviez des commentaires à ce sujet, je serais heureux de les entendre.

Le président suppléant (M. Gallaway): Merci, monsieur Ramsay. Est-ce que quelqu'un veut répondre?

Mme Barbara Shoomski (Comité interconfessionnel de justice pour les jeunes): Je suis conseillère spirituelle au Centre pour jeunes du Manitoba. D'après mon expérience, au départ, vous avez une longueur d'avance sur moi: vous êtes un mâle blanc. Cela n'a rien à voir avec votre pauvreté que vous ayez réussi ou non. Soyons clairs au départ. Si les jeunes que je sers sont à 80 p. 100 autochtones, c'est à cause du racisme.

Deuxièmement, la plupart de ces jeunes sont la cinquième génération à avoir fréquenté l'école résidentielle. Vous parlez de liens affectifs. Vous dites qu'il faut réparer ces liens affectifs. Or, c'est à ce moment là que tout a commencé. Le lien a été brisé lorsqu'on a privé ces jeunes de leur mère et de leur père. Ils n'ont jamais revu leurs parents.

Je ne sais pas si j'ai eu de la chance, mais je suis Métis et donc je n'ai pas été envoyée à l'école résidentielle. Très souvent, c'était les Indiens conventionnés qui y étaient envoyés. La localité de l'autre côté de la rivière de chez moi était une communauté conventionnée. Tous les jeunes sont partis. Ils ont quitté la communauté. Nous, la différence, c'est qu'on a pris soin de nous. J'ai l'honneur d'être assise devant vous parce que tous les parents de la réserve qu'on avait privés de leurs enfants se sont occupés de moi. J'ai été beaucoup aimée. Ces gens ont pris soin de moi parce qu'ils étaient si seuls.

Là où je travaille - je ne peux que parler de cet endroit - lorsque les jeunes se présentent à mon bureau, je ne les conseille pas. Nous nous asseyons, nous prenons une tasse de thé et nous racontons des histoires. J'essaie de donner un aperçu positif de tout ce qui est négatif dans la société.

J'ai grandi dans une famille aimante. Comme vous, nous étions pauvres, mais on nous aimait et notre vie reposait sur une base spirituelle. L'essentiel pour moi - je ne peux parler pour personne d'autre - c'est que j'ai grandi auprès de parents qui m'aimaient, y compris une famille élargie, des tantes, des oncles et des grands-parents. Nous avons perdu cela.

C'est une des choses que j'essaie de redonner aux jeunes. Il m'importe peu que d'autres prétendent que je suis comme une mère, j'en suis fière. Je n'ai pas besoin d'autres titres.

Merci.

Le rév. Novak: Je pense que nous sommes plus ou moins sur la même longueur d'ondes, monsieur Ramsay. Je ne connais pas beaucoup ce rapport particulier, mais je pense que nous essayons de faire comprendre qu'une fois que le jeune exprime sa douleur, une fois qu'il a des démêlés avec la justice, il est très important que nous fassions tout ce que nous pouvons pour recréer les liens affectifs et tenter de les remettre en place.

Malheureusement, la justice traditionnelle va dans un sens tout à fait opposé. Nous avons des jeunes qui viennent de 500 milles au nord de Winnipeg. Ils viennent à Winnipeg. Ils sont séparés de leurs familles pendant deux ou trois ans. Il n'y a pas de suivi. Il n'y a pas de communication avec la famille.

Nous pensons qu'il est très important de tenter de voir, dès le départ, l'instant qu'un jeune est arrêté, comment nous pouvons réunir la famille. Il ne s'agit pas uniquement de la famille, mais aussi des voisins, de façon à ce que tous puissent s'occuper de ces enfants en difficulté.

Pour revenir à votre point précédent, je pense qu'il est utile de publier des noms seulement lorsqu'il existe un genre de communauté. Les voisins se réunissent et disent: il y a un problème ici. On passe à l'acte. On se dit: à long terme, cela va nous toucher tous, donc réunissons-nous en cercle, discutons-en.

De tout simplement publier les noms - de dire: John en bas de la rue et toute sa famille sont complètement détraqués et donc nous savons qu'il ne faut pas fréquenter ces jeunes - assure une certaine protection je suppose, mais nous aimerions aller plus loin. Au lieu de tout simplement publier des noms, réunissons-nous en communauté. Faisons un cercle dans le quartier et regardons ce que font les enfants comme communauté. Donnons à la société et au quartier les ressources nécessaires à cette fin.

M. Maloney: Je ne veux aborder que deux aspects, vu le temps disponible.

En ce qui concerne la culture positive des pairs au centre Agassiz, pouvez-vous nous expliquer un peu plus en détail pourquoi c'est si formidable et comment ça fonctionne?

Ensuite j'aimerais que nous abordions le processus de médiation entre la victime et le délinquant. Vous dites avoir un taux de 95 p. 100 de respect des engagements. Quel est le taux de récidivisme et comment participer à ce programme? S'agit-il d'une mesure de rechange?

.1335

Mme Lavoie: Je vais dire quelques mots au sujet de la culture positive des pairs puisque c'est l'approche utilisée au centre Agassiz où a été mon fils.

Nous avons maintenant un groupe de parents qui se rendent au centre à chaque mois pour en apprendre plus long sur ce qui s'y passe. C'est l'effort que nous faisons pour tenter d'intégrer la communauté à notre travail plutôt que d'exclure les gens.

D'après ce que j'en sais, la culture positive des pairs est un effort pour aider les jeunes qui, comme nous le savons, sont plus facilement influencés par leurs pairs que par leurs parents. Donc comme il y a des pairs au centre, un groupe devient responsable du comportement d'un autre.

Les garçons - disons les garçons parce qu'il n'y a que des garçons à Portage - sont 12 par groupe au plus, ou du moins c'est le cas jusqu'à présent. Les membres du groupe sont toujours ensemble, du matin au soir. Les jeunes sont là pour s'entraider à acquérir des compétences sociales.

On les interroge. Ils participent à des cercles. Quand quelque chose ne va pas, on réunit un cercle et on vérifie. C'est le genre de vocabulaire utilisé. Le chef du groupe se tient au centre du cercle, mais ne contribue que par sa présence et son appui aux jeunes qui tentent de s'aider les uns les autres à changer leur comportement, leur approche dans leur contact les uns avec les autres lorsque les choses deviennent trop stressantes.

C'est plus compliqué que cela, mais de façon générale, voilà de quoi il s'agit. Les jeunes deviennent responsables du comportement du groupe. Si l'un fait une gaffe, tout le groupe est sur la sellette.

M. Maloney: Jusqu'à quel point est-ce efficace? Quel est le taux de récidivisme? Comment les jeunes qui vont à ce centre sont-ils réintégrés dans la communauté?

Mme Lavoie: Comme parents, nous avons posé la même question. Cela semble fonctionner lorsque les jeunes sont au centre, mais là encore, le problème se pose lorsque les jeunes retournent dans leur communauté. Il n'y a rien en place qui ajoute à l'effort ou aux démarches déjà faites par le jeune.

Nous avons entendu citer des chiffres. Je ne sais pas jusqu'à quel point c'est juste, mais on parle d'un taux de récidivisme d'environ 40 p. 100.

M. Maloney: Depuis combien de temps le centre existe-t-il?

Mme Lavoie: Le centre Agassiz est à l'avant-garde et existe depuis environ 20 ans. Aux États-Unis, on a repris ce modèle et on fait la même chose maintenant dans le monde entier. C'est un bon modèle, mais limité par le système puisqu'il n'y a pas de suivi.

M. Maloney: Quel est le taux d'efficacité du processus de médiation victime-délinquant offert par les services de médiation de Winnipeg? Quel est le taux de récidivisme? Et comment y être référé?

Le rév.Novak: Je ne peux pas vous donner le taux de récidivisme. Les seules données que nous possédons sont celles que l'on peut nous donner qui portent sur le respect des ententes entre victimes et délinquants. On dit que le taux de respect est de 95 p. 100. C'est beaucoup plus élevé que lorsqu'un juge ordonne restitution.

En général, ce sont les procureurs de la couronne qui connaissent l'existence du processus et qui sont disposés à recommander la médiation aux victimes. Il faut donc faire l'éducation des procureurs de la couronne afin qu'ils sachent que des programmes de rechange tels que la médiation sont disponibles. Tout dépend également du financement, car le programme demeure assez modeste et donc il y a une liste d'attente.

M. Maloney: Est-ce avant ou après le procès ou les deux? Est-ce avant les dépositions?

Le rév. Novak: Je pense que c'est avant les dépositions.

Est-ce que vous savez, Jack?

M. Jack George (Église unie du Canada): Oui, je pense que c'est le tribunal qui recommande le renvoi à un programme de médiation.

.1340

J'ai l'impression que nous avons mentionné de nombreuses approches innovatrices différentes pour traiter les jeunes qui ont maille à partir avec la justice. Les problèmes découlent du manque de communication des résultats positifs des programmes offerts dans les localités autochtones. À mon avis, le système de justice doit mieux faire connaître les innovations qui donnent des résultats, et qui sont d'ailleurs nombreuses, dans tout le pays. Le système de justice a peut-être besoin d'une subvention de recherche qui permette d'examiner ces programmes, de les évaluer le plus rigoureusement possible et de faire connaître les réussites. D'après les statistiques, la population pense que les personnes âgées et l'ensemble de la population courent un grave danger alors qu'en fait, le taux de criminalité n'augmente pas. Dans certains cas, il y a même diminution. Quoi qu'il en soit, il faut faire connaître au public, d'une façon plus efficace, les programmes qui ont du succès.

Le président suppléant (M. Gallaway): Je pense que Mme Cohen veut poser une question.

Mme Cohen: Je voulais vous mettre en garde. L'étude dont parlait mon collègue, M. Ramsay, est en fait très controversée. Elle est fondée sur la méta-analyse. On n'y trouve rien de nouveau, rien d'original. Il s'agit d'une méta-analyse de la littérature existante.

Faites attention également de ne pas reprendre à votre compte certaines allégations de la même étude, par exemple que les enfants issus de mariages de droit commun ne sont pas aussi en santé que ceux des familles traditionnelles qui vont à l'église, ce genre de chose. Il faut faire très attention. Le groupe est parrainé par la Fédération des contribuables canadiens. On peut se dire: les liens affectifs sont importants et il faut donc relever les prestations d'aide sociale afin de donner aux mères célibataires qui vivent sous le seuil de la pauvreté une meilleure possibilité de créer ces liens affectifs, mais ce n'est pas ce que dirait la fédération. L'information qu'on vous a donnée est un peu sélective. Ce n'est certainement pas dans la même vaine que ce que Fraser Mustard dirait, lui, au sujet des liens affectifs et de l'importance de la santé des familles.

Je veux vous dire quelque chose. L'attachement des parents pour leurs enfants est bien entendu important. Je suis d'accord. Mais il peut également y avoir des attachements malsains entre eux. Dans ma pratique du droit criminel, j'ai fréquemment vu des cas d'inceste, par exemple, où il y avait un amour très fort entre le père et sa fille, un attachement profond mais aussi malsain. Dans ces cas-là, à mon avis, il est certainement possible d'intervenir, de briser cet attachement pour le restructurer ou lui en substituer un autre.

J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus, et aussi sur la création de liens affectifs lorsqu'il n'y en a pas eus en raison de relations dysfonctionnelles dans la famille, de la modification d'un mode de vie traditionnel, d'une toxicomanie ou d'abus de la part des parents. N'est-il pas préférable de chercher ailleurs d'autres liens affectifs et de trouver moyen de le faire dans le cadre du système? Quel système convient le mieux pour le faire: le système judiciaire ou le système de l'aide sociale?

Mme Lavoie: Oui, je crois fermement que si le jeune n'est pas entouré par une communauté, tous les autres efforts sont à peu près inutiles. Je pense que c'est le point fort de la méthode néo-zélandaise, par exemple, pour les interventions entre le jeune contrevenant et la victime. Une communauté a créé un cercle, une assemblée. Cette communauté doit prendre soin de la victime et du délinquant. Vous pourrez publier toutes les listes que vous voudrez dans les journaux ou ailleurs, si le jeune est considéré comme dangereux, n'est pas entouré par une communauté, nos collectivités ne seront pas plus sûres. C'est illusoire.

.1345

Mme Shoomski: J'ai constaté un aspect négatif de la publication des noms de délinquants dans les journaux: pour les membres de gang, c'est un motif de fierté. Ils peuvent en effet dire qu'on a parlé d'eux dans le journal.

Mme Cohen: Les gangs sont un problème particulier ici, ou c'est ce qu'on dit, n'est-ce-pas?

Mme Shoomski: Oui.

Mme Cohen: Dans nos délibérations ailleurs au pays, on ne nous a pas beaucoup parlé des activités des gangs, mais dans les journaux nationaux, on a pu lire que c'était un problème particulier à Winnipeg.

Merci.

Le président suppléant (M. Gallaway): Malheureusement, notre temps est épuisé. Nous suspendons la séance deux minutes, en attendant que s'approche le groupe de témoins suivant, qui est de Thunder Bay.

Merci.

.1346

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La présidente: Reprenons nos travaux.

Nous accueillons la Thunder Bay Coalition on Youth and Crime, représentée par Marilyn McIntosh and Jarvis McComber. Je crois comprendre, toutefois, que votre mémoire a été préparé par d'autres, notamment Dave Challen, Dale Sauvé et Bob Thompson.

Nous vous souhaitons la bienvenue et j'apprécierais que vous nous disiez d'abord quelques mots au sujet de votre groupe. Nous sommes ravis de pouvoir vous recevoir à Winnipeg, qui est tout de même plus près de chez vous qu'Ottawa. Merci.

Mme Marilyn McIntosh (vice-présidente, Thunder Bay Coalition on Youth and Crime): Merci beaucoup. Nous allons vous donner un aperçu de notre organisme.

La présidente: Bien.

Mme McIntosh: Le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui a été préparé par un comité et approuvé par l'ensemble de la coalition. Il porte sur des sujets que la coalition a jugé très utile d'examiner.

Tout d'abord, nous avons été très contents d'apprendre que vous procéderiez à cet examen. Nous félicitons le gouvernement fédéral d'avoir pris cette initiative et de considérer cette question comme nécessitant la consultation des provinces et des collectivités.

La population de la région de Thunder Bay, comme certains d'entre vous le savent, est d'environ 113 000 habitants mais son bassin est bien plus grand pour les contrevenants associés à la phase un et la phase deux. Il y a des centres de détention pour la phase un et la phase deux, en milieu fermé et ouvert.

En tant que membres de la communauté, nous prenons très au sérieux notre responsabilité et notre participation à ce processus. Nous suivons vos travaux depuis un an et demi. Nous remercions le ministère de la Justice de s'occuper des frais de notre comparution aujourd'hui, parce que nous sommes des bénévoles, comme tous les membres de notre coalition.

La présidente: Je pense que c'est grâce au budget du comité plutôt qu'à celui du ministère si vous êtes venus...

Mme McIntosh: En tout cas, merci.

La présidente: ...au cas où quelqu'un ne l'aurait pas compris.

Avez-vous reçu le compte rendu de nos délibérations? Il est disponible sur l'Internet. Si vous voulez suivre de plus près nos délibérations, nous pouvons vous en reparler plus tard.

Mme McIntosh: Très bien.

En gros, nous pensons vraiment que la Loi sur les jeunes contrevenants est un document pertinent qui porte en soi la question de la responsabilité des jeunes contrevenants. Là où le bât blesse, c'est dans sa mise en oeuvre. Nous pensons qu'à ce chapitre, il faudrait certainement, pour améliorer les choses, resserrer la collaboration entre le gouvernement fédéral, ceux des provinces et les collectivités.

Pour notre groupe, l'espoir réside dans les efforts que nous faisons pour créer des communautés plus saines pour nos enfants.

Nous sommes un groupe d'une soixantaine de bénévoles provenant de différentes sphères professionnelles de notre collectivité: éducation, santé mentale chez les enfants, loisirs, toxicomanies, services correctionnels et justice pénale. Notre organisme est le premier en son genre à Thunder Bay, avec tous ces gens qui se sont mis ensemble pour travailler ensemble. Nous sommes donc très bien représentatifs des parents, des citoyens et des gens qui ont travaillé avec des jeunes et même, directement, avec des jeunes à risque.

La coalition s'est formée à la suite d'une recherche sur la façon de combler les fossés entre les stratégies et les services de soutien de la collectivité. Les gens qui ont été consultés, environ 70 personnes, se sont réunis pour examiner le rapport. Le rapport a alimenté un certain dynamisme. Les participants ont décidé de se réunir pour agir ensemble au sein de la communauté.

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C'était en mars 1993. Depuis, divers groupes de travail ont été formés, rassemblant encore une fois des gens de diverses disciplines en plus de jeunes personnes et de membres de la communauté autochtone. Nous avons décidé de partir de la base pour examiner les programmes et stratégies dont ils souhaitaient la mise en oeuvre dans notre collectivité. Essentiellement, nos membres proviennent de 26 organismes de la communauté, en plus des groupes de jeunes et de parents.

Au sujet des attitudes et des valeurs du public, nous percevons certainement de la crainte de la part de la communauté à l'égard de la criminalité chez les jeunes. C'est tout à fait conforme à ce que l'on voit dans toutes les régions du Canada. Or, notre coalition fait foi aux statistiques selon lesquelles le problème n'est pas plus grave qu'auparavant. Nous avons l'impression que nos foyers sont inondés d'informations relativement à des délits sensationnels se produisant au Canada et aux États-Unis. C'est particulièrement le cas de notre collectivité, dont la télévision est liée à celle de Détroit. Avec nos ressources limitées, c'est-à-dire uniquement nos membres, il est très difficile de s'attaquer à ce problème, du moins dans notre communauté, pour remettre les pendules à l'heure.

Nous sommes également préoccupés par le soutien qu'on accorde aux camps de type militaire, comme solution au problème. On concrétise ainsi le concept selon lequel le châtiment peut changer quelque chose. En fait, nous estimons qu'une partie de la frustration ainsi exprimée provient plutôt du système judiciaire, des longs délais entre l'accusation et le procès, des retards dans le traitement des dossiers et du fait que les jeunes ne subissent pas les conséquences de leurs actes assez rapidement.

Nous avons recommandé la promotion et la mise sur pied de programmes efficaces de réconciliation entre les victimes et les contrevenants et qu'on donne le soutien nécessaire aux programmes d'évaluation et de recherche pour ce genre de programmes au Canada. Nous pensons également que le gouvernement fédéral, avec ses ressources en matière de recherche, devrait encourager le dialogue au sein des collectivités sur le genre de mesures dissuasives dont on parle.

Essentiellement, nous pensons que la participation de la communauté est nécessaire pour répondre aux besoins des enfants et pour favoriser le sain développement de ceux-ci. Nous avons nous-mêmes adopté cette approche; nos membres - quand on est chacun dans sa profession - n'auraient pas autrement eu de contact les uns avec les autres. Nous avons fait tomber les barrières. Nous avons réussi à surmonter les restrictions imposées par un manque d'argent en faisant preuve de créativité dans notre travail collectif. Nous croyons donc certainement au modèle du travail collectif et à sa capacité de changer les choses.

Je vais maintenant vous parler de résultats de nos recherches et des recommandations de nos groupes de travail. Nous avons créé pour l'été une ligne téléphonique d'informations sur les activités récréatives pour informer les parents, les travailleurs et les enfants de ce qui est disponible. Nous sommes à mettre sur pied un fonds pour les activités récréatives des jeunes et des enfants, en faisant intervenir, encore une fois, de nombreux membres de la communauté. Nous allons examiner comment on pourrait créer un programme de parrainage et diffuser l'information sur les activités offertes aux enfants de notre communauté. Nous avons envisagé des moyens de mieux appuyer le programme pour les jeunes de la rue de Thunder Bay, en disséminant l'information et en créant des réseaux.

Nous sommes également les intermédiaires pour un programme de Service Jeunesse Canada qui sera mis sur pied bientôt à Thunder Bay. Dans un secteur de la ville, il y avait beaucoup de pyromanes. Un club d'enfants et d'adolescents, de concert avec le service d'incendie et la police du secteur où de nombreux feux étaient allumés chaque mois, a utilisé le programme de l'Institut Clark pour lutter contre la pyromanie. C'était un projet de six mois et le service des incendies a par la suite annoncé une baisse marquée du nombre d'incendies pendant cette période, au cours de laquelle des enfants déclarés «à risque» ont été confiés à des enfants plus vieux et ont participé à des corvées de nettoyage.

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Nous avons commencé bien d'autres projets et nous savons qu'il y a encore beaucoup de pain sur la planche, mais, je me répète, nous sommes tous des bénévoles.

Je cède la parole à Jarvis.

M. Jarvis McComber (président, Thunder Bay Coalition on Youth and Crime): J'aimerais à mon tour remercier le comité, non seulement pour sa décision de se déplacer dans tout le pays pour recueillir de l'information, mais également parce qu'il demande un examen critique de la loi. Je ne peux qu'imaginer le nombre de personnes qui ont déjà comparu devant vous et qui comparaîtront encore d'ici la fin de vos travaux.

J'ai vraiment hâte de savoir quelles seront les conclusions du comité. Je présume que certains des témoins vous diront que la Loi sur les jeunes contrevenants n'est pas une si mauvaise loi. J'entends tant de choses de mes voisins, de mes amis, à la radio, à la télévision... Nous savons que ce n'est pas vraiment une mauvaise loi.

Avant de passer à la dernière partie du mémoire, aux pages 4, 5 et 6, j'aimerais vous parler un peu de mon expérience de la justice pour les jeunes. Cela vous fera peut-être comprendre pourquoi j'ai cru nécessaire de venir parler au comité.

J'ai été gardien dans une prison à sécurité maximale de Thunder Bay pendant environ cinq ans, pendant mes études en enseignement. J'ai eu l'occasion de voir des jeunes de 16 et de 17 ans entrer dans cet établissement avant la mise en oeuvre de la Loi sur les jeunes contrevenants. Pour moi, ce n'était certainement pas l'endroit idéal pour apprendre la discipline à des jeunes qui en étaient qu'à leur première infraction.

Cette expérience a été très intéressante. Après mes études en enseignement, j'ai travaillé dans le système scolaire régulier pendant trois ans. Depuis douze ans, je travaille dans un établissement de garde en milieu fermé de Thunder Bay et je suis directeur de programme au Conseil scolaire Lakehead. C'est à cause de cela que j'ai participé aux interviews qui m'ont mené au rapport dont Marilyn a parlé et qui portait sur les lacunes entre les divers services à Thunder Bay. C'était la première fois que quelqu'un me posait des questions et me parlait des mesures de prévention du crime chez les jeunes à Thunder Bay et que je sentais qu'on pouvait vraiment agir. C'est à ce moment qu'a été créée la coalition. Cette expérience a été très enrichissante pour moi.

Je sais qu'on peut consacrer beaucoup de temps à toutes sortes de projets qui resteront sur les tablettes ou qui ne nous donnerons pas vraiment de satisfaction personnelle. Au contraire, cette expérience a été très enrichissante pour moi à cause du nombre de membres de la coalition qui s'intéressaient à ces sérieuses questions à Thunder Bay et de la diversité de leurs horizons.

Beaucoup des problèmes et solutions dont nous vous parlons aujourd'hui se rapportent à Thunder Bay. Je ne sais pas si les solutions s'appliqueraient à Ottawa, Edmonton ou au Manitoba, mais elles ont certainement fonctionné à Thunder Bay et nous poursuivons nos efforts.

En arrivant à la page 4, je vais essayer de vous parler de mesures peu coûteuses. J'ai eu l'occasion de voir l'une de vos premières séances de comité au canal parlementaire. Je crois même l'avoir enregistrée parce que cela m'intéressait beaucoup. M. Rock était l'un de vos premiers témoins. Je vous ai vus poser des questions à M. Rock au sujet de ce que le comité allait faire et au sujet des intentions du comité. Il a parlé des sommes énormes que le gouvernement fédéral dépense actuellement pour enfermer des enfants.

Nous avons pensé à des mesures peu coûteuses auxquelles le gouvernement fédéral pourrait consacrer son argent plutôt que de dépenser 100 000$ ou 125 000$, quel que soit le chiffre, pour incarcérer un enfant pendant un an. Nous pensons qu'il y a plein d'idées à retenir.

Je vais vous en présenter deux ou trois, mais j'insiste sur le fait qu'elles doivent être considérées en fonction de chaque enfant. Elles ne conviennent pas à tous. Elles ne conviennent pas, par exemple, à tous les délinquants violents. Il faut prendre en compte le vécu de chacun, sa position, son expérience et sa situation. Pour certains jeunes qui en sont à leur première infraction, certaines de ces idées peuvent être préférables à la détention.

Lorsqu'on parle de mesures de rechange plutôt que de détention, quelles que soient ces mesures, quel que soit le problème de l'enfant, il faut nous assurer que les mesures de rechange choisies lui conviennent. Il faudra aussi un sérieux effort d'éducation du public, afin qu'on n'interprète pas cela comme du laxisme de notre part.

Je reviendrai plus tard à l'éducation du public, mais je suis tout à fait convaincu que le gouvernement fédéral peut faire beaucoup mieux pour promouvoir la Loi sur les jeunes contrevenants, pour dire au public ce qu'elle est, quelles sont ses incidences, ses avantages et ses inconvénients et la façon dont elle se distingue du régime pour les adultes. Le gouvernement fédéral doit faire comprendre cela à davantage de Canadiens.

Parlons des mesures de rechange. À Thunder Bay, en collaboration avec le service de police, nous avons créé des solutions pour les voleurs à l'étalage à leur première infraction. Nous avons proposé pour ces contrevenants des solutions de rechange par rapport à la détention.

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Le gouvernement de l'Ontario n'a pas beaucoup bougé pour promouvoir cette idée, sans doute à cause du problème d'éducation du public, de la perception qu'a le public de la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est à cause de la perception du public qu'il ne veut pas trop avoir recours à ces idées, par peur de paraître trop indulgent.

Nous avons recommandé, comme mesures incitatives et pour encourager les programmes de mesures de rechange, que le gouvernement fédéral en partage les coûts avec le gouvernement de l'Ontario. Là encore, il est très important que ce genre de mesures soient assorties d'un instrument d'évaluation complet, afin que l'on ait par la suite des statistiques prouvant leur efficacité. Alors, on pourra dire au public que dans certains cas, oui, les mesures de rechange sont efficaces.

Au sujet du financement tripartite, dans la première phrase, lorsqu'il parle de la protection des fiefs, nous pouvons dire que la Thunder Bay Coalition on Youth and Crime est fière de sa capacité de travailler avec d'autres instances. En Ontario, vous le savez sans doute, les jeunes contrevenants sont divisés: ceux de la phase un et ceux de la phase deux. Je m'occupe de ceux de la phase deux, avec le solliciteur général. C'est le COMSOC qui s'occupe de ceux de la phase un. Cet organisme a une philosophie différente de la nôtre sur la façon de s'occuper des jeunes. Nous avons réussi à réunir ces ministères au sein de notre coalition et à obtenir la plus grande représentation possible, dans l'intérêt des jeunes de Thunder Bay.

Peu importe l'organisme que vous représentez, vous devez oublier tout cela: les limites territoriales, qui est votre employeur, qui est votre ministère. Nous avons vraiment insisté là-dessus pour mieux nous consacrer à l'amélioration globale de la situation des jeunes.

Avec le financement tripartite, nous aimerions voir la mise sur pied de projets de recherche et de démonstration financés à la fois par le fédéral et le provincial. J'en donnerai des exemples tantôt. Il faudrait que les deux paliers examinent les possibilités de restructuration et de développement des ressources. Ce que je veux dire, c'est qu'on examine ce qu'on fait avec les 127 000$ que l'on consacre à l'incarcération des jeunes et que l'on envisage des projets pilotes, plutôt que la simple détention qui nous coûte si cher. J'en donnerai un exemple.

À la page 6: la protection de la société; c'est une question essentielle pour moi et la raison même de ma participation à la coalition. Le mot «prévention», au début de la première phrase, inquiète bien des gens qui n'aiment pas la Loi sur les jeunes contrevenants.

Si l'on veut prévenir la criminalité chez les jeunes et, surtout, empêcher les contrevenants de revenir en prison, en faisant baisser le taux de récidivisme, nous devrons planifier leur sortie.

En tant qu'enseignant auprès de jeunes contrevenants, je fais partie d'une équipe de gestion de cas. Nous avons des réunions chaque semaine pour décider du premier plan d'intervention, du plan d'intervention pour réexamen et du plan d'intervention pour la libération. Pour les deux premiers plans, tout va comme sur des roulettes. Les jeunes arrivent dans notre établissement de détention et sont suivis par deux ou trois enseignants. Il y a aussi un psychométricien, un psychologue, un travailleur social et une infirmière. Il y a toutes sortes de services de soutien dans le milieu de garde. C'est extraordinaire tout ce qu'on peut y faire.

Nous mettons sur papier le premier plan d'intervention: il s'agit de ce qu'on va faire au cours des huit prochains mois, pendant la détention. Tout est beau. Au réexamen aussi, tout va bien. Mais au bout du compte, lorsque nous préparons le plan pour la libération, tout s'écroule, à mon avis.

C'est très frustrant de voir sortir un jeune plein d'espoir et d'estime de soi, quand on sait qu'il va se casser la figure. D'après ce que j'ai vu depuis 10 ou 11 ans, il n'y en a pas beaucoup qui s'en tirent. S'ils ne s'en tirent pas, c'est à cause du plan de libération. Si l'on veut miser sur la gestion de cas et le plan d'intervention à la libération, il faut le faire avec sérieux. Je ne veux pas dire qu'on va prendre les jeunes par la main pendant huit ou dix mois après leur sortie; je parle de la période de un à trois mois qui suit immédiatement leur sortie, lorsqu'ils sont démunis.

Le mandat des services correctionnels expire à la libération; il n'y a alors plus rien pour eux. Les agents chargés des dossiers des jeunes de notre établissement n'ont même pas le droit de les revoir après leur sortie. Ils ne sont même pas censés les voir au centre d'achat, ni prendre un café avec eux. Il y a quelque chose qui cloche.

La coalition que je présidais a formulé une proposition sur la planification des interventions à la libération et après, grâce au Lakehead Regional Family Centre. La mise en oeuvre de cette proposition est actuellement en cours. Je vous en laisse une copie et je vous encourage à l'examiner, surtout pour voir ce qui se fait à Thunder Bay. Je crois vraiment que cela fonctionnerait à Thunder Bay et dans d'autres collectivités.

Enfin, je veux parler du développement du personnel, c'est-à-dire des bénévoles. Leur importance et leur efficience. J'ai déjà deux bénévoles de Lakehead University qui enseignent chez nous. Ils arrivent dans leur deuxième, troisième ou quatrième année d'études en enseignement. Il est fascinant de voir leur intérêt et leur facilité de comprendre ce qu'est la réalité lorsqu'ils travaillent avec ces enfants.

Souvent, ils demandent s'il y a des postes d'enseignant à Bluewater ou ailleurs, parce qu'ils voudraient vraiment travailler avec ces enfants. Ils viennent comme bénévoles et souhaiteraient vraiment travailler dans nos établissements, avec ces jeunes à risque.

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Comme je l'ai déjà dit, l'éducation du public dont nous parlons aux pages 6 et 7 est un élément clé. Nous constatons que la philosophie et les idées de notre coalition sont totalement différentes de celles du citoyen moyen de Thunder Bay. Lorsque nous en discutons autour de notre table, une fois par mois, nos idées nous semblent excellentes, mais lorsque nous en parlons à nos voisins, ou à quelqu'un d'autre... Par exemple, lorsque je dis que je suis enseignant, on me dit «Oh», parce que les enseignants ne sont pas considérés avec beaucoup de... sans doute à cause de nos congés; mais lorsque je leur dis que j'enseigne à de jeunes contrevenants, je perds encore plus leur estime.

L'éducation du public est importante. À Thunder Bay, nous avons vécu une expérience intéressante. Dans un petit quartier, il y avait un taux élevé de criminalité. Un de nos groupes y est allé pour renseigner les gens du quartier, au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais aussi au sujet de solutions qui pourraient être adoptées pour lutter contre les gangs de jeunes, contre la violence, les introductions par effraction, et le reste. Nous avons demandé à quelques jeunes, d'anciens contrevenants, de faire du porte à porte et de présenter un exposé dans ce quartier à risque élevé de Thunder Bay. Les résultats ont été étonnants, ne serait-ce que pour les jeunes. Marilyn et moi-même avons assisté à cet exposé, et nous avons constaté que c'était fantastique pour ces quatre jeunes, dont deux jeunes anciens contrevenants, de faire cette présentation. L'un d'eux fait maintenant partie de notre coalition. C'est extraordinaire, tout ce qu'on peut faire en partenariat, et tout ce qu'on peut faire quand on communique avec des gens qui ont des problèmes avec ce même genre de jeunes.

J'aimerais terminer là où j'ai commencé. J'aimerais vraiment avoir un résumé de vos conclusions. Ce serait très intéressant pour moi. Nous sommes restés assis à l'arrière, quelques heures, Marilyn et moi, et je lui ai dit: «Je suis content que nous soyons arrivés tôt; il est intéressant d'écouter ce que les autres ont à dire.» Je ne peux qu'imaginer tout ce que vous avez entendu depuis environ un an.

Je vous encourage à favoriser le dialogue au sein des communautés, des régions et du pays selon nos valeurs et nos attitudes. Je vous encourage également à renseigner le public en diffusant les données réelles au sujet de la criminalité chez les jeunes et de la prévention du crime. D'après notre expérience, il faut faire circuler l'information, que ce soit dans le cadre d'une tournée, d'un exposé ou d'une rencontre; ceux qui ne comprennent pas bien la Loi sur les jeunes contrevenants ou qui ne la connaissent pas sont ensuite beaucoup plus compréhensifs. Ils disent: «Je ne savais pas que c'est ainsi que les choses se passaient; je n'étais pas certain; je ne me rendais pas compte que le système judiciaire pour les jeunes fonctionnait ainsi».

À la page 8, nous présentons les dix recommandations tirées de notre mémoire.

Enfin, je veux dire qu'après avoir travaillé dix ou onze ans dans un établissement de détention, je me rends compte que ce qui frustre vraiment les gens, et je l'entends de plus en plus souvent, ce sont les récidivistes et les délinquants violents. La semaine dernière, j'ai vu un jeune s'inscrire à notre école. Il en a, encore une fois, pour deux mois. C'est sa quatrième ou cinquième période de détention. Je ne peux pas préparer un programme pour lui pour deux mois seulement; combien de crédits du secondaire peut-on obtenir en deux mois? En outre, comme c'est la quatrième ou cinquième fois qu'il est mis sous garde, le personnel commence vraiment à... Tout cela devient très monotone et répétitif, à la quatrième ou cinquième détention.

Je ne sais pas si vous vous êtes penchés sur les peines plus longues ou les peines de deux mois. Quand on donne une peine de deux mois à un enfant, on devrait peut-être envisager des mesures de rechange ou trouver quelque chose de mieux que la détention. Si vous le mettez en prison, il faudrait peut-être, alors, que ce soit pour un peu plus de deux mois.

Nous voyons également des délinquants violents. Vous avez mentionné certaines des personnes qui étaient à l'établissement d'Edmonton. Depuis que je suis là, j'ai probablement vu dix ou douze enfants accusés de meurtre. Je pense qu'il faut traiter de ces cas-là sur une base très individuelle. J'ai vu des enfants entrer là accusés de meurtres, des crimes reliés à leur participation dans un gang, des crimes crapuleux, violents, prémédités.

J'ai également vu un enfant de notre collectivité qui avait un père extrêmement abusif qui avait un sérieux problème d'alcool. Il est entré chez lui un soir à deux heures du matin et a vu son père assis sur sa mère en train de la frapper très fort en plein visage, et il a poignardé son père. Il est venu chez nous et y a passé trois ans. Son temps a été très productif. Il est passé par un programme de traitement pour toxicomanie et alcoolisme. Je le vois souvent dans les centres commerciaux. Il a deux enfants. Il a très, très bien réussi.

Je ne dis pas que l'on devrait traiter chaque jeune accusé de meurtre de cette façon-là, mais à la radio et à la télévision, tout ce que je vois, ce sont des manifestations qui mettent l'accent sur cette question de meurtre. En termes d'éducation du public, il faut laisser cela de côté. Il faut traiter ces enfants-là et ils doivent être disciplinés - il ne fait aucun doute - , mais je pense en même temps qu'il ne faut pas trop insister là-dessus. Je pense que cela fait partie du rôle du gouvernement fédéral - éduquer le public sur la réalité de la Loi sur les jeunes contrevenants.

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J'aimerais maintenant conclure. Nous avons commencé notre résumé avec une citation de Bora Laskin, et si nous avons mentionné Bora Laskin, c'est parce qu'il avait un parent à Thunder Bay qui était autrefois maire de notre ville - Saul Laskin. C'était selon nous une citation tout à fait à propos:

Je pense qu'à l'heure actuelle, il manque certains de ces éléments substantiels.

Je vous remercie beaucoup.

La présidente: Merci.

Monsieur St-Laurent.

[Français]

M. St-Laurent: Merci. Je vais commencer par un petit aparté. Vous avez parlé des programmes de désintoxication dans les pénitenciers. Vous savez comme moi que les détenus participent souvent à ces programmes pour avoir une activité à l'extérieur ou une activité quelque peu différente à l'intérieur des murs.

Vous disiez plus tôt que le fait d'avoir été gardien dans une prison à sécurité maximale vous avait amené à être membre de ce comité. Je siège aujourd'hui pour ma part au Comité permanent de la justice et des questions juridiques justement parce que j'ai moi aussi acquis une expérience en tant que gardien de prison avant d'être élu député. J'en connais un peu sur le comportement des détenus à l'intérieur. Je ne sors pas aigri de cette expérience, bien au contraire.

Madame McIntosh, vous avez mentionné entre autres que vous avez consulté beaucoup de gens sur la problématique en général. Vous savez, j'aime bien manger et j'aimerais faire un parallèle avec une recette de gâteau. Pour qu'une recette fonctionne, il faut toujours qu'il y ait une espèce de suivi. Si on coupe quelque part, même si les éléments sont bons, ça ne fera jamais un bon gâteau.

Lors des consultations que vous avez tenues, est-ce que les gens se sont plaints de ce qu'il y avait en Ontario un manque dans le suivi des consultations? Je prendrai un exemple plus précis pour mieux m'expliquer. Le propriétaire d'un dépanneur arrête un jeune de sept ans qui commet un petit vol à l'étalage. Il appelle la police ou les parents qui ne sont pas loin. Les gens du milieu connaissent peut-être une personne qui travaille dans un organisme susceptible d'aider. Et le fil tient bon jusqu'à ce que le jeune soit replacé. On a travaillé un peu sur le problème, et non pas sur la punition, dont je n'ai pas entendu parler ce matin d'ailleurs et dont je suis saturé. Mais qu'a-t-on fait pour l'enfant au niveau émotionnel?

Avez-vous des problèmes à ce niveau-là en Ontario? Est-ce qu'il y a un manque dans cette espèce d'échelle, dans ce fil qui est nécessaire pour arriver à faire un bon gâteau? Est-ce qu'il y a un manque quelque part? Vous avez dû en entendre parler dans vos groupes.

[Traduction]

Mme McIntosh: Oui, cela a été reflété à 100 p. 100. Je pense que notre communauté est représentative de ce qui se produit lorsque les agents de police, les avocats, les juges, les agents de probation et les agents de santé commencent à se connaître. Le suivi - il n'y a certainement eu aucun financement pour cela. Je sais que pour la phase un, on a pu compter sur l'équipe de soutien communautaire, qui peut parfois faire un certain suivi lorsqu'un détenu est libéré. Cela se fait de façon très officieuse dans notre collectivité, en ce sens que les gens se connaissent et essaient d'avoir accès à des programmes ou à diverses formes de soutien.

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Une des recommandations qui est ressortie du rapport «Gaps» préconisait une intervention coordonnée auprès des jeunes qui s'adonnent à des activités criminelles. Nous ne sommes pas du tout prêts pour le moment à mettre en place une telle coordination. Dans notre collectivité, nous le faisons du mieux que nous pouvons par le réseautage et en se connaissant les autres, mais j'aimerais beaucoup voir les gouvernements fédéral et provincial faire un projet de démonstration avec le concours du ministère de l'Éducation et d'autres intervenants. Ce ministère est un des intervenants avec lesquels nous avons travaillé.

Certains de ces jeunes peuvent être identifiés très précocement. Il faut essayer de trouver des façons de travailler avec les écoles et le système d'éducation afin de fournir un meilleur appui aux familles. Dans certains cas, cela se passe déjà, mais dans notre communauté, cela se fait à pas de tortue.

M. McComber: Un des très nets avantages de la coalition comme telle est que...

Nous n'avons peut-être pas mis en oeuvre de nombreuses propositions. Beaucoup de gens regardent ce que vous avez fait de concret et ce que vous avez fait au cours des deux dernières années pour aider les jeunes qui ont des démêlés avec la justice.

Mais il ne fait aucun doute que l'un des avantages de la coalition a été les contacts qui se sont créés entre ces 25 ou 30 organismes. Je ne sais pas combien de fois on a pu prendre le téléphone à Thunder Bay et appeler quelqu'un d'un autre organisme d'un ministère. On peut se dire: «Je l'ai rencontré à la coalition. Je sais qu'il s'intéresse aux solutions à la criminalité des jeunes. Je vais l'appeler et voir ce qu'il pense de ceci.»

C'est incroyable de voir ce qu'on peut accomplir avec un groupe de bénévoles qui représentent tous ces organismes divers, ne serait-ce que par les noms de personnes-ressources qu'on obtient les idées que nous échangeons autour de la table lors de nos rencontres mensuelles. C'est un énorme avantage pour nous lorsqu'il s'agit de s'attaquer à ces problèmes à un moment où nous n'avons aucun argent.

[Français]

M. St-Laurent: Où se situe le manque en Ontario? Il y a certainement des gens qui vont d'abord identifier ou cibler les jeunes délinquants et peut-être les renvoyer aux policiers qui ne sauront pas quoi en faire. Où le bât blesse-t-il en Ontario dans la chaîne si naturelle que devrait être le suivi des jeunes contrevenants?

[Traduction]

Mme McIntosh: Nous essayons de composer avec le fait qu'il existe des lacunes dans chacun des systèmes. Le système judiciaire, le système de service policier, le système d'éducation et le système de probation travaillent tous de façon très isolée les uns des autres. Alors cette lacune existe parce que tous ces systèmes semblent incapables de travailler ensemble.

Je ne prétends pas du tout que nous ayons trouvé la solution. Nous trouvons simplement une façon très officieuse de nous occuper de chaque cas. Mais le problème s'aggrave très certainement lorsque la police essaie d'intervenir dans une situation où elle n'a aucune information ni aucune ressource. Voilà une des déficiences. Aussi, les familles sont laissées de côté lorsque le personnel enseignant n'a pas l'information nécessaire ni de moyens pour entrer en contact avec d'autres ressources.

Il y a certainement des choses qui manquent entre chacun de ces systèmes. Ce n'est que si nous essayons de surmonter les obstacles entre les diverses professions que certains de ces enfants parviendront à échapper à la criminalité.

Je ne sais pas si cela répond vraiment à votre question. Il existe des lacunes partout et nous essayons de notre mieux de les corriger.

[Français]

M. St-Laurent: Vous disiez que vous aviez besoin de fonds et de recherches pour approfondir un peu vos connaissances sur les résultats et les analyses des différentes expériences qui ont été tentées, dont les camps militaires, et probablement sur les approches holistiques.

Monsieur McComber, vous mentionniez qu'en mesures de rechange, vous aviez besoin de plus de deux mois d'incarcération pour travailler avec un jeune. Il me semble que vous allez de gauche à droite, que vous nagez dans l'expectative, comme on dit communément en politique, à ce niveau-là. Est-ce parce que vous manquez de données? Est-ce à la suite de vos consultations que vous reflétez la préoccupation des gens de votre comité à ce niveau?

.1430

[Traduction]

M. McComber: Je crois que la recherche démontrera que certains projets, certaines propositions et certaines idées que nous allons utiliser pour traiter du problème de la criminalité chez les jeunes sont efficaces et d'autres pas. Je crois que cette recommandation dont nous parlons... Toutes sortes de projets et d'idées ont été mis au point dans tout le Canada, dans divers ministères et dans diverses provinces. Certains donnent des résultats et d'autres pas. Je ne pense pas vraiment que les camps de type militaire soient particulièrement efficaces.

Lorsque vous parlez de données et de recherche, c'est ce que nous voulons dire. Examinez attentivement les données, déterminez lesquelles fonctionnent, peut-être parmi les témoignages que vous entendez en comité, et mettez en oeuvre ce qui fonctionne bien.

J'ai mentionné le plan de mise en liberté. C'est une proposition, une idée que nous avons mise au point. Nous avions un groupe de travail de 12 personnes. L'une d'elles était le parent d'un jeune contrevenant, une autre un agent de probation. Nous avions un très bon échantillonnage de gens qui s'occupent de cette question précise. Nous pensons que ce genre de proposition et d'idée et la recherche que nous avons faite pour la mener à bien donneront des résultats, et les gens qui participaient à ce groupe de travail et qui ont une certaine expertise dans le domaine croient que cela fonctionnera. Voilà le genre de choses que nous essayons de mettre en oeuvre.

Je ne suis pas au courant de toutes les autres idées et des autres données disponibles. Voilà ce que nous sommes en train de vous dire: il faut examiner les données et mettre en oeuvre celles qui donnent des résultats efficaces.

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Vous êtes des bénévoles et vous êtes membres d'un groupe de bénévoles. Les infirmiers et infirmières dans certains hôpitaux en Alberta ne veulent pas de bénévoles dans leur hôpital, quoi qu'il y en ait déjà, parce que cela menace leurs postes. Que va-t-il arriver à votre groupe de bénévoles et à la collaboration que vous avez maintenant avec certaines personnes dans le système judiciaire si l'on constate que vous commencez à menacer leurs emplois?

Là où je veux en venir est le point qui a été soulevé hier. J'en suis conscient depuis des années. Voici: la solution au problème avec lequel nous sommes aux prises, particulièrement dans le domaine de la prévention du crime, doit provenir des collectivités. Elle ne viendra pas du gouvernement. Ce ne sera pas le cas. Elle ne proviendra pas des institutions du gouvernement.

Les Autochtones me disent que lorsqu'un membre de la GRC est affecté à leur région et que cet agent s'entend bien avec eux et établit une bonne relation personnelle, il ne dure pas très longtemps. Il est rapidement muté.

Je me souviens que lorsque j'étais à la GRC, afin d'obtenir des renforts - nous travaillions 20 heures par jour à cette époque - , la seule preuve que le Conseil du Trésor acceptait était les statistiques. Alors plutôt que de vérifier si vous conduisiez en état d'ébriété lorsque vous avez brûlé un stop, de voir si tout allait et simplement vous avertir et vous laisser partir afin de ne pas surcharger les tribunaux avec votre cas, j'ai commencé à non pas vous servir, mais à vous utiliser. J'avais besoin de vous comme statistique. Alors je vous faisais passer devant le tribunal et je causais cette dépense afin de justifier le besoin de services supplémentaires pour que je puisse prendre un congé, etc.

Voici où je veux en venir. Une dame a comparu devant nous la semaine dernière et lorsqu'il a été question de ce sujet, elle nous a signalé qu'il y avait un excellent programme de déjudiciarisation qui fonctionnait bien dans le nord de l'Alberta, à un point tel qu'on avait réduit de façon spectaculaire le nombre de jeunes comparaissant devant les tribunaux. Un procureur de la couronne a mis fin à ce programme. Avez-vous l'impression qu'au fur et à mesure que vous réussissez en tant qu'équipe bénévole, vous allez vous heurter à la résistance des institutions et des personnes qui vous perçoivent comme une menace?

M. McComber: Je ne saurais être plus d'accord avec vous sur votre remarque préliminaire selon laquelle les initiatives locales doivent provenir de la collectivité. Cela ne fait aucun doute.

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J'ai déjà dit que certaines des idées que nous avons présentées et dont nous avons discuté autour de la table à Thunder Bay ne fonctionneront qu'à Thunder Bay. Elles ne fonctionneraient peut-être pas dans un plus grand centre urbain. Mais les idées locales sont la raison d'être de cette coalition. C'est local à 100 p. 100. Je n'ai certainement jamais perçu de problème à l'institution où je travaille ou à d'autres institutions de la phase un où travaillent les gens que je connais. On nous accueille à bras ouverts et on nous souhaite la bienvenue.

Étant donné l'état actuel du financement provenant du gouvernement, si quelqu'un veut venir et faire du bénévolat, il est le bienvenu. Comme je vous le disais, j'en ai deux qui travaillent avec moi à l'heure actuelle. Le pire problème c'est d'obtenir une cote de sécurité, faire une vérification du CIPC et s'assurer que ces gens-là ont une bonne réputation. Habituellement, si je mets de l'avant leur nom, j'ai fait certaines recherches moi-même pour voir s'ils conviennent au poste.

M. Ramsay: Si votre programme connaît un tel succès que...

M. McComber: À quel programme faites-vous allusion?

M. Ramsay: Je parle de votre programme de bénévolat et du travail que vous faites. Si vous mettez au point des programmes qui réussissent, et que quelqu'un au gouvernement décide d'élargir ce programme et d'injecter ou de transférer des fonds du ministère de la Justice à votre organisme afin que vous puissiez mieux faire votre travail, il y aura alors concurrence pour le financement.

Si vous continuez à faire votre travail par le biais de bénévoles seulement, cela serait merveilleux. Croyez-vous qu'il serait possible pour vous de continuer avec seulement des bénévoles? Je ne sais pas si vous avez un bureau ou des locaux quelconques.

M. McComber: Nous en avons parlé un peu tantôt. Nous avons dit qu'il y a certaines limites à ce que peut faire un groupe de bénévoles. Cela ne fait aucun doute. L'engagement existe. Le degré d'engagement est incroyable.

Mme McIntosh: Je pense que notre expérience pourrait vous intéresser puisque nous avons réfléchi à cette démarche et nous avons décidé en tant que coalition que nous n'allons pas nous occuper du financement de ces programmes. Nous collaborons avec les organismes que les groupes de travail désignent comme étant les plus aptes à parrainer l'activité. Donc nous jouons le rôle d'un organisme capable d'offrir le soutien nécessaire ou bien de les conseiller dans l'orientation qu'ils choisissent.

De cette façon, notre organisme n'est aucunement perçu comme un groupe qui cherche à consolider son pouvoir. À l'heure actuelle, nous travaillons avec au moins quatre organismes et nous les aidons à mieux élaborer leurs programmes en indiquant des liens possibles avec d'autres organismes.

M. Ramsay: Je vais vous donner un exemple. Nous sommes allés voir d'excellentes initiatives qui ont permis la réadaptation d'enfants qui ont eu des démêlés avec la justice; ce sont des programmes qui font un excellent travail. Je pense à un centre à Sydney Mines près de Sydney en Nouvelle-Écosse. Ce que nous y avons appris m'a bien surpris et encouragé. J'ai demandé au directeur, en supposant qu'il puisse maintenir le même taux de réussite avec un programme élargi, s'il prévoyait une résistance du statu quo. Il m'a dit qu'il y fait face déjà qu'ils doivent fonctionner avec un budget minime.

Je suis bien encouragé par l'existence des comités des jeunes et des comités locaux qui se préoccupent de la délinquance juvénile. Je voudrais en savoir davantage. J'aimerais parler aux membres de ces comités et comprendre un peu la dynamique qui explique leur succès. Mais je sais qu'il y aura de la résistance. J'espère que ce n'est pas le cas. J'espère qu'on commence à comprendre que quelque chose doit changer. J'ai constaté que le plus grand obstacle au dépistage précoce et au travail de prévention dont on entend tellement parler - mesures qui sont probablement appuyées par la majorité des membres - c'est que la réduction de la criminalité de 50 p. 100 représente en même temps une menace pour l'existence d'un certain nombre de postes de travail? Est-ce qu'on va vider les tribunaux? Est-ce qu'on aura besoin d'autant d'agents de probation, de procureurs et d'avocats de la défense, etc.?

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Cette façon de penser constitue un obstacle que les autorités doivent affronter, malgré les difficultés, en expliquant que nous allons élargir et financer certains programmes en prenant de l'argent en aval pour le mettre en amont. Et pourtant je prévois la situation où les représentants des différents éléments de l'appareil judiciaire vont protester au ministre de la Justice en disant que ça ne pourrait jamais marcher.

Voilà donc un peu ma pensée sur la question. J'écouterais avec intérêt vos commentaires.

Je vous offre mes meilleurs voeux de succès. Nous avons besoin de davantage de bénévoles.

M. McComber: Je pense souvent à un article de journal que j'ai vu sur la quantité d'argent consacré aux programmes pour les jeunes contrevenants et à leur garde. On disait qu'il faudrait consacrer autant d'argent à la porte arrière qu'à la porte avant parce qu'il y entre énormément d'argent... Là où je travaille, c'est étonnant de voir combien on consacre d'argent aux programmes pour les jeunes contrevenants, en fait c'est un centre qui était normalement prévu comme installation pour adultes. Nous avons 150 adultes et 35 jeunes contrevenants. On a simplement décidé de les entreposer là en 1984 lorsque la loi a été adoptée.

M. Ramsay: Mais vous comprenez bien que si nous décidons de prendre 50 p. 100 des 9 milliards ou des 10 milliards de dollars utilisés en aval pour les mettre en amont, il y aura de la résistance.

Mme McIntosh: Je peux vous répondre d'après notre expérience de trois ans. Nous n'avons jamais constaté ce problème. J'ai fait partie d'autres groupes et coalitions où le cas s'est présenté. L'une des particularités de notre coalition c'est qu'elle est l'initiative de personnes qui se voient comme des parents et des citoyens et pas simplement des gens qui gagnent leur vie dans le système de justice pénale ou avec les jeunes à risque. Dès le début, nous nous sommes mis d'accord sur notre principe fondamental, notre raison d'être, c'est-à-dire l'avancement de la jeunesse et son avenir. Je crois que les groupes qui ont d'autres idées en tête risquent de durer moins longtemps.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Maloney: Vous étiez présents ce matin et vous avez peut-être entendu parler du projet de Brandon où on identifie les jeunes à risque et on travaille avec eux. Votre coalition fait-elle quelque chose de semblable, ou avez-vous en place une infrastructure qui vous permettrait de le faire?

Mme McIntosh: Nous sommes un organisme non administratif. Nous n'avons pas de programmes ou de projets comme tels. Nous ressemblons davantage à un organisme de planification sociale spécialisée surtout en éducation. Mais avec les changements apportés au système d'enseignement, il y a certainement des initiatives en faveur d'une intervention précoce et d'identification d'enfants à risque. Il y a un projet du ministère de la Santé, le Programme d'action communautaire pour les enfants, qui essaie de travailler avec les familles et les enfants à risque. On essaie de resserrer leurs liens avec la communauté.

M. Maloney: Je vois dans votre mémoire quelque chose au sujet du financement tripartite et vous recommandez une restructuration fédérale-provinciale. Qui est la troisième partie? Est-ce le gouvernement municipal ou la commission scolaire?

Mme McIntosh: Oui. J'aurais dû préciser davantage. C'est le niveau municipal.

M. Maloney: Et comment prévoyez-vous cette participation municipale avec le gouvernement fédéral et les provinces?

Mme McIntosh: Il y a toutes sortes de projets de quartier qui relèvent du Service des loisirs de la municipalité. Notre ville s'occupe des services sociaux et nous essayons d'assurer une meilleure coordination en ce qui concerne l'accès pour les enfants aux services sociaux et aux services de santé mentale afin que les gens n'aient pas à s'adresser à plusieurs paliers administratifs.

M. Maloney: Vous êtes également favorables au programme de réconciliation de la victime et du contrevenant.

Mme McIntosh: Oui, absolument.

M. Maloney: Est-ce que votre organisme pourrait y participer ou bien organiser des séances?

Mme McIntosh: Il y a certainement des organismes dans notre collectivité qui s'y intéressent et qui pourraient s'en occuper.

M. Maloney: Lesquels?

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Mme McIntosh: Je pense à la Société John Howard. Il y a également l'équipe de soutien communautaire.

M. Maloney: Je n'ai plus de questions, madame la présidente.

La présidente: Merci. Monsieur Gallaway, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Gallaway: J'ai une observation. Je ne sais pas si vous avez assisté à toute la séance ce matin mais je sais que vous êtes ici depuis assez longtemps. Dans la plupart de nos réunions, nous entendons des personnes, souvent des fonctionnaires, qui adoptent une approche très simple pour aborder ce problème.

Ce matin nous avons entendu le procureur général nous dire qu'il y a un processus à cinq étapes et que si l'on suit les cinq étapes, on peut remédier au problème - au moins c'est ce qu'elle laisse entendre. Mais vous nous avez dit qu'à Thunder Bay, l'approche communautaire donne de bons résultats et que les collectivités locales peuvent faire quelque chose et régler les problèmes dans votre région.

Une de vos recommandations qui m'a intéressé, c'est la recommandation d'encourager et de soutenir le dialogue communautaire régional et national sur les valeurs et aussi la diffusion de données concernant la criminalité juvénile et la prévention du crime. Je crois que c'est le noeud du problème.

J'espère que dans ce pays nous avons un certain nombre de valeurs que nous partageons tous. Mais c'est dans l'expression concrète de ces valeurs dans nos attitudes et notre système de croyance où il semble y avoir des problèmes. D'après certains témoins, nous avons perdu tout contrôle de ce problème et les politiciens, y compris les membres de ce comité, font preuve d'intransigeance, ils sont inflexibles et ne veulent pas envisager de nouvelles approches.

Cela dit, j'aimerais savoir si vous avez constaté des changements dans la région de Thunder Bay dans la façon dont les jeunes sont perçus par le public en général? Faut-il penser que tous les jeunes qui ont des démêlés avec la loi sont méchants et irrécupérables...

M. McComber: J'ai parlé du projet Limbrick, c'est un très bon exemple. C'est un quartier de Thunder Bay où le taux de criminalité est très élevé. On dit aux gens de ne pas s'y attarder et de ne pas s'y aventurer la nuit en voiture. Nous y sommes allés avec un groupe de jeunes pour informer la population sur les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Nous avons organisé plusieurs séances. Nous avons pu expliquer aux gens en quoi consiste le régime des jeunes contrevenants. Nous avons organisé une visite d'un centre où les jeunes contrevenants sont emprisonnés. Les jeunes du quartier ont pu visiter l'installation - je pense que c'est très important d'obtenir la participation des jeunes.

Au printemps dernier nous avons tenu une tribune pour protester contre la violence. La station de télévision CKVR a organisé une grande réunion publique sur la violence. On nous a demandé d'envoyer un des quatre conférenciers prévus pour cette émission. Nous avons pu présenter à l'assistance ce soir-là quelques-unes de nos idées fondamentales sur la façon de traiter les jeunes et le fonctionnement de notre coalition pour remédier aux lacunes de services mentionnées dans le rapport de Marilyn.

Ce n'est que deux exemples. Au fur et à mesure que nous devenons mieux connus et que les gens apprennent que notre coalition compte un membre de la police de Thunder Bay, un agent de probation, un agent libération conditionnelle, un parent d'un jeune contrevenant, un professeur, donc un groupe très représentatif, ils nous contactent plus facilement en sachant que les membres de notre coalition accumulent une très grande expérience. Ils n'hésitent pas à nous contacter pour demander notre avis sur les modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants ou tel ou tel programme qui sera offert par le service de loisirs de la ville... On crée un fonds spécial pour les jeunes qui ne peuvent pas se payer un équipement sportif. Ils s'intéressent à notre avis parce qu'ils savent que nous avons de l'expérience dans ce domaine.

Tout cela nous a encouragés. Quand je dis que cela nous a beaucoup apporté, c'est qu'on commence à se rendre compte qu'on peut influencer la façon dont les gens perçoivent la réalité.

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M. Gallaway: Merci.

La présidente: Je voudrais vous remercier de votre comparution et de votre exposé.

Mme McIntosh: Merci.

M. McComber: Merci.

La présidente: Nous allons maintenant lever la séance. L'autobus viendra nous chercher à l'hôtel Delta à 14h45.

La séance est levée.

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